III. UNE SESSION DE PRINTEMPS QUI A DONNÉ LIEU À DES DÉBATS THÉMATIQUES VARIÉS ET IMPORTANTS

La deuxième partie de la session ordinaire de 2019 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a été ponctuée par la discussion de plusieurs propositions de résolutions et de recommandations portant sur des sujets de préoccupation divers, mais essentiels et très actuels.

Outre plusieurs débats ayant trait au respect de l'État de droit, des processus démocratiques et des droits de l'Homme dans certains États membres du Conseil de l'Europe et au sein de l'Union européenne, d'une part, et à la montée des discours et attitudes de haine dans les milieux politique et sportif, d'autre part, l'APCE s'est préoccupée de la situation des migrants et de leurs droits dans les îles grecques, de la mise en oeuvre de l'agenda 2030 et des objectifs de développement durable, en lien avec l'Organisation des Nations Unies (ONU), les Parlements et les collectivités locales, des droits des différentes parties prenantes aux dons de gamètes, du sexisme et du harcèlement dans les Parlements ou encore de l'efficacité de la coopération internationale dans la lutte contre le crime organisé et le blanchiment de capitaux.

A. UNE VIGILANCE TOUJOURS AUSSI PRÉGNANTE À L'ÉGARD DES DROITS DE L'HOMME, DE LA DÉMOCRATIE ET DE L'ÉTAT DE DROIT

Chaque session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe comporte des débats et l'examen de textes sur ce qui constitue son coeur de métier, à savoir l'accompagnement de certains États dans leurs rendez-vous électoraux et dans leur cheminement vers les plus hauts standards démocratiques et juridiques. Fort logiquement, la session de ce printemps 2019 n'a pas dérogé à la règle.

1. Le bilan de l'observation des élections législatives en Moldavie, le 24 février 2019

Lors de son premier jour de session de printemps, le lundi 8 avril 2019, l'APCE a discuté des conclusions de la commission ad hoc désignée pour observer le bon déroulement des élections législatives en République de Moldova, qui se sont tenues le 24 février précédent. À cet effet, elle a examiné en séance plénière le rapport final de M. Claude Kern (Bas-Rhin - Union Centriste) , président de cette commission ad hoc à laquelle avait également participé Mme Maryvonne Blondin (Finistère - Socialiste et républicain) , en sa qualité de corapporteure de la commission de suivi.

Après avoir rappelé que l'Assemblée parlementaire, depuis 1994, avait observé toutes les élections en Moldavie, le rapporteur a insisté sur la continuité de la coopération avec ce pays, dans le but d'améliorer sa législation et ses pratiques électorales. Il a indiqué que la mission d'observation des dernières élections avait conclu que le scrutin du 24 février 2019 avait été compétitif et que les droits fondamentaux avaient été en général respectés.

Au titre des problèmes constatés, il a souligné que le nouveau système électoral avait malheureusement confirmé les inquiétudes de la Commission de Venise sur les pressions ou manipulations possibles de la part d'hommes d'affaires locaux dans les circonscriptions uninominales. Il a également déploré les changements fréquents de la législation électorale, combinés avec certains revirements politiques des membres du Parlement en cours de législature.

Le rapporteur a constaté que le jour du scrutin avait été calme et que le vote était apparu bien organisé, les opérations de vote et de dépouillement se déroulant de manière professionnelle. Il s'est néanmoins étonné des conditions de vote des citoyens moldaves résidant dans la région de Transnistrie et a déploré certaines tentatives d'intimidation des électeurs, des cas isolés de violences envers des candidats, des menaces contre des partisans des partis d'opposition, une utilisation abusive et massive de ressources administratives et la distribution de cadeaux électoraux.

Se félicitant que, dans le domaine du financement de la campagne électorale, plusieurs recommandations de la Commission de Venise et du GRECO aient été suivies, M. Claude Kern a loué l'efficacité de la gestion des aspects techniques du scrutin par la commission électorale centrale. En conclusion, il a invité les autorités moldaves à poursuivre leur coopération avec la commission de suivi de l'APCE ainsi que la Commission de Venise.

M me Maryvonne Blondin (Finistère - Socialiste et républicain), intervenant en sa qualité de corapporteure de la commission du suivi pour la Moldavie, a relevé deux points importants qui lui ont semblé perturber les électeurs : le premier était le nouveau système électoral mixte, adopté sans consultation ni débat, avec 50 parlementaires élus à la proportionnelle sur des listes nationales et 51 parlementaires élus nominativement dans les circonscriptions ; le second était la concomitance, contrairement aux avis de la Commission de Venise et du BIDDH, des élections avec un référendum à deux questions, source de confusion dans les bulletins, en particulier dans les zones rurales.

Elle s'est néanmoins réjouie que des progrès aient été accomplis, sur la base des remarques précédentes de l'OSCE, du BIDDH et de la Commission de Venise : les électeurs ont ainsi eu le choix entre plusieurs candidats - 14 partis politiques, plus un bloc - pour les élections nationales et les bureaux de vote ont été bien tenus pour la grande majorité d'entre eux. Elle s'est aussi félicitée que les femmes aient été un peu plus nombreuses sur les listes électorales, bien que trop souvent encore en position non éligible.

Admettant la persistance de difficultés, telles l'utilisation abusive de ressources publiques, les allégations de pressions à l'encontre d'agents de la fonction publique ou encore la concentration des médias aux mains des oligarques, elle a estimé que la Moldavie reste un partenaire important pour le Conseil de l'Europe, qu'il importe de soutenir et d'accompagner dans la poursuite des réformes, notamment en matière de lutte contre la corruption et d'indépendance de la justice.

Après avoir constaté que la Moldavie, pays attachant et francophile, souffrait de sa situation géopolitique, M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - Les Républicains) a énuméré, au rang des défis qui ont pesé dans les dernières élections, le conflit de la Transnistrie, la soumission de l'économie au bon vouloir de puissants voisins, l'expatriation des jeunes et un désir fort de se tourner vers l'Union européenne. Il a lui aussi estimé que les changements fréquents de législation électorale conduisaient à une instabilité démocratique et, surtout, à une remise en cause de la confiance des électeurs dans les institutions et les valeurs de l'État de droit.

Observant que le taux de participation, de seulement 49 %, montrait une faible mobilisation du peuple moldave malgré l'enjeu, il l'a corrélé en partie au fait que les électeurs n'étaient sans doute pas persuadés que leurs bulletins exprimaient vraiment leurs choix, du fait notamment de pressions dans les circonscriptions uninominales : de la pression exercée par l'administration sur les électeurs aux manipulations d'hommes d'affaires, de l'obligation d'assister à des réunions électorales aux achats de votes, la liberté de l'électeur a malheureusement été mise à mal. Il a regretté cet état des choses car les Moldaves aspirent au respect des règles démocratiques, en votant en leur âme et conscience dans le secret de l'isoloir. Il a également déploré les conditions de vote des électeurs de Transnistrie, transférés en bus pour pouvoir exercer leur droit et dont l'accueil dans les bureaux de vote n'avait pas été à la hauteur de leur courage.

En conclusion, M. Frédéric Reiss a souhaité aux nouvelles autorités de Moldavie de réussir les réformes dont le pays a besoin, quand bien même le nouveau système électoral n'a pas apporté la stabilité politique nécessaire.

N'ayant pas pu prendre la parole dans le temps fixé par le service de la séance bien qu'il ait été présent dans l'hémicycle, M. Bernard Fournier (Loire - Les Républicains) a pu annexer ses réflexions personnelles sous forme d' addendum au compte-rendu. Il a, à cette occasion, estimé que les conclusions de la mission d'observation électorale n'étaient guère encourageantes pour la Moldavie, tant il faut distinguer le jour du scrutin et l'organisation technique de ces élections législatives, du contexte dans lequel celles-ci se sont déroulées. Certes, les opérations de vote et le dépouillement ont été conduits de façon professionnelle, mais des inquiétudes réelles demeurent, d'autant plus que certains problèmes récurrents n'ont pas été traités par les autorités moldaves. C'est le cas, en particulier, de l'utilisation abusive des ressources administratives, du niveau élevé de corruption politique et judiciaire, d'allégations d'achats de voix, de financement des campagnes électorales, de concentration excessive et de partialité des médias, voire de menaces et de violences envers les candidats. Dans certains cas, les recommandations de la Commission de Venise ont même tout simplement été ignorées, par exemple en matière de réforme électorale.

Surtout, et le faible taux de participation en constitue sans doute une conséquence, les Moldaves n'ont confiance ni dans leurs institutions ni dans leurs dirigeants. Il est vrai que plusieurs crises politiques ont affecté la stabilité gouvernementale et se sont traduites par des changements d'affiliation politique de grande ampleur. Du reste, à l'issue des dernières élections législatives, aucun parti n'a été en mesure d'obtenir la majorité absolue et les négociations pour la formation d'un Gouvernement restent en cours. De nombreuses coalitions sont envisageables.

Or la Moldavie demeure confrontée à d'importantes difficultés. Des difficultés économiques, d'abord : en dépit de réformes non négligeables, le pays reste le plus pauvre d'Europe, environ 30 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté, tandis que les transferts financiers des travailleurs migrants constituent plus de 20 % du PIB. Par ailleurs, la persistance du conflit gelé de Transnistrie, en dépit de certaines avancées obtenues par l'OSCE dans le cadre du format « 5+2 », contribue à exacerber les difficultés. Cette zone de non-droit, évidemment non reconnue par la communauté internationale, reste marquée par la présence d'un bataillon de l'armée russe, en violation du droit international et contre la volonté des autorités moldaves. Les relations moldavo-russes ne s'amélioreront pas tant que la Russie n'aura pas retiré ses troupes de la rive gauche du Dniestr. Cet état de fait représente le principal point d'achoppement avec la Russie, avec laquelle les relations sont de toute façon complexes.

Enfin, il est crucial que le prochain Gouvernement moldave maintienne le cap européen du pays, en application de l'accord d'association du 1 er septembre 2014 avec l'Union européenne, qui comporte un important programme de réformes. Au titre de la politique européenne de voisinage, la Moldavie est le premier bénéficiaire par tête de l'aide de Bruxelles. Le Conseil de l'Europe doit continuer, lui aussi, de soutenir la Moldavie.

2. L'examen de la création, par l'Union européenne, d'un mécanisme communautaire pour la démocratie, l'État de droit et les droits fondamentaux

Lors de la deuxième séance du mardi 9 avril 2019, l'Assemblée parlementaire a aussi débattu et adopté, sur le rapport de M me Petra De Sutter (Belgique - SOC), au nom de la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles, une résolution et une recommandation sur la création, par l'Union européenne, d'un mécanisme pour la démocratie, l'État de droit et les droits fondamentaux.

Se référant au contexte actuel sur l'avenir de l'Europe, à travers notamment le déficit budgétaire du Conseil de l'Europe dû au non-paiement par la Fédération de Russie de sa contribution depuis 2017, ainsi que le Brexit au niveau communautaire, la rapporteure a jugé que cette conjoncture créait une distorsion du projet initial mettant en danger l'État de droit et la démocratie sur tout le continent. Elle s'est néanmoins félicitée de l'existence de certaines garanties, qui pouvaient paraître totalement théoriques à l'origine mais ont prouvé leur utilité, à l'instar de la procédure de l'article 7 du traité de l'Union européenne qui a été déclenchée pour la Pologne en 2017 et pour la Hongrie en 2018.

En défense du lien existant entre les mécanismes propres à l'Union européenne et au Conseil de l'Europe, M me Petra De Sutter a souligné que les deux organisations ont des membres en commun, les deux tiers des États appartenant au Conseil de l'Europe étant également membres de l'Union. Elle a ensuite noté que les valeurs des droits de l'Homme, de l'État de droit et de la démocratie occupent une place importante dans le cadre institutionnel de ces deux organisations. Elle a enfin relevé que l'Union et le Conseil de l'Europe possèdent des mécanismes de suivi des menaces systémiques qui peuvent peser sur les droits de l'Homme ou l'État de droit, sous forme de procédures de suivi ou de mécanismes contraignants.

Rappelant qu'en 2016, le Parlement européen avait appelé à la création d'un mécanisme de l'Union européenne sur la démocratie, l'État de droit et les droits fondamentaux, la rapporteure a constaté que, deux ans plus tard, aucune initiative concrète n'avait été prise par les institutions de l'Union européenne pour la mettre en oeuvre. Elle a douté qu'une telle démarche se concrétise, tout en reconnaissant que des initiatives étaient régulièrement proposées pour que l'Union européenne possède un véritable système de suivi des droits de l'Homme. Elle a indiqué à cet égard que les Gouvernements allemand et belge avaient récemment proposé de créer un groupe d'experts pour un examen par les pairs de l'État de droit.

M me Petra de Sutter a souligné que le cadre pour l'État de droit de la Commission européenne, adopté en 2014, était en cours de révision en vue de la présentation d'une nouvelle proposition en juin 2019. Elle a précisé que, dans ce cadre, la Commission européenne avait proposé de réduire l'accès des États aux financements de l'Union européenne en cas de violation de l'État de droit, en ajout aux outils de suivi déjà existants (semestre européen, mécanisme de coopération et de vérification et tableau de bord européen en matière de justice).

Soulignant que la position centrale du Conseil de l'Europe comme référence en matière de droits de l'Homme, de primauté du droit et de démocratie en Europe n'avait jamais été remise en question à Bruxelles et gagnait du terrain, la rapporteure a néanmoins estimé que des aménagements pratiques s'avéraient nécessaires à tous les niveaux pour poursuivre l'action commune, encourager les synergies et éviter la fragmentation de la compréhension des valeurs fondamentales défendues sur le continent européen.

Elle a espéré que l'Union européenne tienne davantage compte des rapports, avis et recommandations de l'APCE. Elle a en outre souhaité la mise en place de garanties, pour être sûre que les évaluations et les actions menées par l'Union européenne n'affectent pas les procédures existantes au sein du Conseil de l'Europe. Elle a par ailleurs demandé la tenue de débats annuels ou biannuels, à l'Assemblée parlementaire, sur l'État de droit, avec des représentants des institutions de l'Union européenne. En dernier lieu, elle a recommandé que le Comité des Ministres adopte une approche plus intégrée, impliquant un dialogue direct avec les institutions communautaires quand a lieu une évaluation sur un État membre commun aux deux organisations, afin de voir si l'État de droit a été violé ou si les défaillances ont été corrigées.

S'exprimant comme porte-parole du groupe PPE/DC, M me Marie-Christine Dalloz (Jura - Les Républicains) a relevé que la question de la mise en place progressive, par l'Union européenne, d'agences ou de mécanismes traitant des droits de l'Homme et de l'État de droit était un sujet récurrent provoquant parfois des réticences de l'APCE, à l'instar de la création de l'Agence européennes des droits fondamentaux.

Après avoir souligné que l'expertise du Conseil de l'Europe en matière de défense des droits, de la démocratie et de l'État de droit était reconnue de tous, même de l'Union européenne, elle a estimé que cette dernière ne devait pas créer encore et encore des organismes ou agences concurrents du travail fait au sein même du Conseil de l'Europe, ne serait-ce que pour garantir la cohérence dans les analyses et les actions menées.

Pour cette raison, elle s'est félicitée de la suggestion de création, par la rapporteure, de référentiels communs et du placement de la défense de l'expertise du Conseil de l'Europe au coeur de ses relations avec l'Union européenne. Elle a considéré que l'APCE avait aussi un rôle à jouer dans le dispositif, la procédure de suivi et de post-suivi - qui concerne deux pays membres et certains pays candidats à l'Union européenne - permettant d'évaluer les engagements de ces États.

Elle a aussi défendu l'apport des missions d'observation des élections pour évaluer le fonctionnement démocratique des États, l'organisation d'une élection, son déroulement, la capacité des électeurs à exercer librement et sans pression leur droit de vote constituant autant de signes positifs ou négatifs de la vitalité de l'État de droit. Elle a notamment fait valoir que lorsqu'une loi électorale n'est pas mise en oeuvre correctement, la démocratie n'a plus la même force, appelant l'Union européenne à s'interroger aussi sur cet outil concret et efficace pour juger du respect de l'État de droit.

M me Nicole Duranton (Eure - Les Républicains) a jugé le sujet de ce débat éminemment politique, puisque portant sur le type de relations que doivent entretenir le Conseil de l'Europe et l'Union européenne. Mettant en exergue sa récurrence, elle a estimé que l'APCE n'avait toujours pas défini clairement le positionnement qui doit être celui du Conseil de l'Europe, affecté par une grave crise politique et budgétaire, par rapport à l'Union européenne, dont les compétences sont bien plus larges et les moyens sans commune mesure. Elle a souligné que le mémorandum d'accord de 2007 avait certes prévu un partenariat stratégique entre les deux organisations, fondé sur leurs valeurs communes et prévoyant des mécanismes visant à éviter les chevauchements de compétences, mais observé que la question de sa bonne application restait posée, surtout entre des partenaires aussi inégaux. Elle a jugé que, de ce point de vue, la rapporteure adoptait une position ambivalente et plutôt embarrassée.

Après avoir rappelé que le Parlement européen propose d'instituer un mécanisme complet de supervision de la situation de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'Homme au sein des États membres de l'Union européenne, elle a craint un risque de duplication des normes et procédures et, finalement, une contestation de l'utilité de conserver deux dispositifs redondants.

M me Nicole Duranton a relevé que l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme, véritable serpent de mer institutionnel, posait la même question. Se félicitant que le projet de résolution en discussion appelle à reprendre les négociations d'adhésion, elle s'est interrogée sur le réalisme de cette position, pointant notamment la portée politique de l'avis rendu par la Cour de justice de l'Union européenne sur le projet d'accord d'adhésion, en décembre 2014, les juges de Luxembourg ayant rejeté en fait toute subordination aux juges de Strasbourg en matière de respect des droits fondamentaux. Elle a donc douté que l'adhésion, bien que prévue par le traité de Lisbonne, ait lieu prochainement.

S'agissant de la résolution du Parlement européen, elle a constaté que ni la Commission européenne, ni le Conseil, n'avaient pour l'heure donné suite, s'interrogeant sur la portée de ce silence, valant peut-être refus de dupliquer des dispositifs internes à l'Union européenne elle-même. Elle a à cet égard noté que les textes actuels n'avaient pas empêché le déclenchement de procédures de manquement à l'État de droit à l'encontre de la Pologne, sur intervention de la Commission, puis de la Hongrie, à l'initiative du Parlement européen.

M me Marietta Karamanli (Sarthe - Socialistes et apparentés) a considéré que le Conseil de l'Europe et l'Union européenne étaient deux organisations qui n'ont pas la même origine et ne proposent pas systématiquement à leurs pays membres un cadre à l'État de droit et des droits avancés pour les citoyens. Rappelant que l'APCE avait développé ses contacts avec le Parlement européen, elle s'est déclarée surprise que l'Union européenne n'ait pas encore adhéré, en tant qu'entité, à la convention européenne des droits de l'Homme, le mécanisme de la Cour européenne des droits de l'Homme étant un mécanisme unique de protection des droits dans le monde.

À la suite de ce constat, elle a formulé deux observations :

- la première, d'ordre institutionnel, était que les actuels grands choix économiques et sociaux de l'Union européenne qui s'imposent aux États de la zone euro, avec leurs conséquences en matière de droits sociaux notamment, sont opérés sur la base d'organes hors normes car non prévus par les traités, tels l'Eurogroupe ou les sommets de la zone euro. Par conséquent, la création d'un dispositif visant à coordonner l'action du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne dans les domaines des droits fondamentaux et de la démocratie constitue une légitime préoccupation qui, de surcroît, ne semble pas devoir rencontrer d'obstacles majeurs de la part de l'Union, sauf absence de volonté politique de l'exécutif européen ;

- la seconde observation, d'ordre plus politique, visait à insuffler un second souffle dans la promotion de l'État de droit par les Parlements nationaux. Le Conseil de l'Europe oeuvre en vue de faire en sorte que les lois nationales respectent les droits fondamentaux reconnus et promus par la convention européenne. À cet égard, M me Marietta Karamanli a indiqué avoir déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale une proposition de résolution tendant à ce que les députés puissent débattre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme 5 ( * ) .

En conclusion, M me Marietta Karamanli a souhaité qu'intervienne une nouvelle alliance entre les Parlements nationaux, l'APCE et le Parlement européen, par davantage de coordination et des initiatives communes. Elle a estimé que chacun avait à y gagner, car les Parlements nationaux et le Parlement européen pourront ainsi s'approprier les enjeux, dans le cadre de débats publics au plus près des citoyens et, d'autre part, les Parlements nationaux constateront que les droits sont autant de questions qui nécessitent une démarche partagée entre les États et les institutions paneuropéennes.

M me Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française, a resitué ce débat dans le contexte des prochaines élections européennes et de la commémoration des 70 ans du Conseil de l'Europe, échéances politiques cruciales pour le continent européen. Jugeant que l'enjeu dépassait le simple cadre du mécanisme que le Parlement européen avait voulu créer lors du vote de sa résolution du 25 octobre 2016, elle a considéré qu'il touchait plus généralement à la relation que l'Union européenne et le Conseil de l'Europe doivent bâtir et entretenir pour consolider, améliorer et garantir la démocratie, l'État de droit, ainsi que les droits fondamentaux au sein de chacun des États membres.

S'affirmant comme une Européenne convaincue, elle s'est déclarée heureuse que l'Union européenne ait progressivement mis la question des valeurs humanistes et démocratiques au premier plan de ce qui rassemble et unit ses membres, même si cette préoccupation semble plus récente, le Conseil de l'Europe restant quant à lui le symbole absolu de la prééminence du droit et de la liberté au service de la paix et de l'harmonie entre sociétés. À la différence de certains, elle a jugé qu'il n'était pas choquant que l'Union européenne se préoccupe des enjeux de droits de l'Homme et d'État de droit, n'hésitant pas à recourir à l'expertise du Conseil de l'Europe et à ses différentes structures, telle la Commission de Venise, pour évaluer les progrès des États aspirant à la rejoindre et, plus récemment, à dénoncer, voire sanctionner les Gouvernement des États qui manquent à leurs obligations et violent les valeurs auxquelles ils ont pourtant adhéré.

M me Nicole Trisse a observé que la mise en oeuvre, même imparfaite, du mécanisme de l'article 7 du traité sur l'Union européenne, à deux reprises au cours de ces dernières années, avait incontestablement marqué l'opinion et mis un frein à certaines initiatives pour le moins contestables, ce dont elle s'est félicitée. Tout en partageant le sentiment de beaucoup de membres de l'APCE sur la nécessité de veiller à ce que les mécanismes de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe restent cohérents afin d'éviter toute forme de forum shopping en matière de droits fondamentaux, elle s'est montrée confiante dans la volonté de l'Union de continuer à inscrire son action dans un cadre largement inspiré par le Conseil de l'Europe, comme le prévoit le mémorandum de 2007.

Jugeant le travail de la rapporteure intéressant pour ancrer cette convergence dans la réalité, elle a résolument appuyé l'idée de la tenue d'un débat parlementaire annuel sur l'État de droit, commun à l'APCE et au Parlement européen, ainsi que celle de la relance du processus d'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme.

M. André Gattolin (Hauts-de-Seine - La République en Marche) a regretté la tonalité d'ensemble excessivement prudente du travail de la rapporteure. Dressant un parallèle entre ce débat et une publicité des années 1980 sur un rasoir jetable à deux lames, il s'est demandé si le Conseil de l'Europe était la seule organisation qui puisse définir la question des droits de l'Homme et des libertés - en s'avérant ainsi la première lame - et si l'Union européenne pourrait trancher au plus près les problèmes - en étant donc, la seconde lame.

Il a relevé que ces deux organisations avaient des périmètres, des compétences et des moyens très différents, mais que toutes deux poursuivent, au fond, les mêmes objectifs et partagent les mêmes valeurs. Il a constaté qu'elles souffraient également des mêmes maux, se trouvant remises en cause, non seulement, de l'extérieur, par des grands pays qui contestent la portée universelle de leurs valeurs, mais aussi, de l'intérieur, par des Gouvernements illibéraux qui affirment que seules des solutions nationales peuvent être apportées à des problèmes qui se jouent des frontières.

En dépit des risques de chevauchement des travaux de ces deux organisations européennes, il a affiché sa conviction que l'APCE devait appréhender de façon positive la proposition du Parlement européen de mettre en place, au niveau de l'Union européenne, un mécanisme pour la démocratie, l'État de droit et les droits fondamentaux.

Tout en convenant de l'utilité de réaffirmer la qualité de référence du Conseil de l'Europe en matière de droits de l'Homme et d'État de droit et de souhaiter que l'Union européenne adhère prochainement à la convention européenne des droits de l'Homme, il a noté que l'Union européenne dispose de moyens supérieurs à ceux du Conseil de l'Europe, pas simplement financiers, mais aussi de conviction et de rétorsions financières en cas de non-application d'un certain nombre de règles fondamentales auxquelles les pays ont adhéré. Il s'est, en cela, référé au principe de conditionnalité des attributions de budgets dans le prochain cadre pluriannuel financier, ainsi qu'à certains systèmes de préférences généralisées, comme l'initiative « Tout sauf les armes » conditionnée à l'application et à la mise en oeuvre de quinze conventions internationales. Il a conclu en estimant que l'Union européenne devait pouvoir travailler avec le Conseil de l'Europe et renforcer l'effectivité des droits.


* 5 Proposition de résolution n° 1834 tendant à modifier le Règlement de l'Assemblée nationale aux fins de présenter l'exécution par la France des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme et à en faire débattre l'Assemblée, déposée le 3 avril 2019.

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