N° 509

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 mai 2019

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la coopération judiciaire en matière pénale et la mise en oeuvre du parquet européen ,

Par M. Jacques BIGOT et Mme Sophie JOISSAINS,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet , président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, Mme Véronique Guillotin, M. Pierre Ouzoulias , vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Claude Haut, Olivier Henno, Mmes Sophie Joissains, Mireille Jouve, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La coopération en matière de justice (et de sécurité) en Europe s'est progressivement mise en place, d'abord en marge des traités par des réunions ministérielles informelles et la conclusion de conventions relevant du droit international. Puis elle a été communautarisée par le traité de Maastricht, en 1992, sous la dénomination de « justice et affaires intérieures » (JAI), faisant toutefois l'objet d'un cadre institutionnel spécifique, de nature intergouvernementale, le « 3 e pilier ».

Le traité d'Amsterdam de 1997 a érigé en objectif de l'Union européenne la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice.

Dans ce cadre institutionnel, les politiques européennes en la matière ont été conduites au moyen de programmes pluriannuels :

- le Conseil européen de Tempere a établi un programme sur la période 1999-2004 : il a notamment érigé en priorités la création d'un véritable espace européen de justice et le renforcement de la lutte contre les formes graves de criminalité à l'échelle de l'Union européenne, transformé Europol en agence européenne et institué Eurojust, et affirmé le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, principe révolutionnaire à l'époque qui a permis des avancées majeures ;

- le programme de La Haye, sur les années 2005 à 2010, a principalement été marqué, au niveau judiciaire, par la mise en oeuvre effective du mandat d'arrêt européen.

Le bilan de ces initiatives est resté relativement mitigé, à la fois pour des raisons institutionnelles et du fait d'un caractère opérationnel limité.

Le traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009, a ouvert de nouvelles perspectives. En particulier, il élargit le champ de la coopération judiciaire en matière civile et pénale, renforce les rôles d'Europol et d'Eurojust et envisage un nouveau modèle de coopération judiciaire passant par la création d'un parquet européen compétent pour la protection des intérêts financiers de l'Union européenne. Par ailleurs, sauf exception, il soumet l'espace de liberté, de sécurité et de justice à la procédure législative ordinaire.

Dans ce cadre renouvelé, le Conseil européen de Stockholm a engagé un nouveau programme sur les années 2010 à 2014, qui prévoit en particulier le renforcement de la coopération judiciaire, avec la réaffirmation du principe de reconnaissance mutuelle, l'établissement d'un socle commun de normes et la montée en puissance d'Eurojust qui pourra déclencher des enquêtes pénales, coordonner certaines enquêtes ou poursuites ou encore préfigurer le futur parquet européen.

Après l'adoption, sous la forme d'une coopération renforcée, du règlement instituant ce parquet européen, c'est précisément sa mise en fonctionnement désormais prochaine, à l'automne 2020, qui a conduit votre commission des affaires européennes à vouloir étudier la façon dont il se met en place, au niveau tant européen que national, et à le resituer dans le contexte plus large de la coopération judiciaire en matière pénale.

À cette fin, vos rapporteurs ont effectué plusieurs auditions et se sont rendus à Bruxelles et à La Haye, où siègent Eurojust et Europol.

De leurs travaux, ils ont acquis la conviction que le parquet européen devrait renforcer la coopération judiciaire au sein de l'Union européenne, et faciliter la lutte contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Ils ont pris l'initiative d'une proposition de résolution européenne visant à prendre position sur les conditions à remplir pour optimiser la coopération judiciaire et sur les perspectives du parquet européen.

I. LA COOPÉRATION JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE : VUE D'ENSEMBLE

Le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) comporte, dans son titre V relatif à l'espace de liberté, de sécurité et de justice, un chapitre 4 dédié à la coopération judiciaire en matière pénale qui recouvre trois principaux aspects : les principes et les règles minimales de la coopération en matière pénale (articles 82 à 84), Eurojust (article 85) et le parquet européen (article 86). Il a considérablement accru les compétences de l'Union européenne dans ce domaine.

A. RAPPEL DES FONDEMENTS JURIDIQUES

1. La coopération pénale européenne

L'article 82 du TFUE dispose que la coopération judiciaire en matière pénale dans l'Union est fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires et inclut le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres.

Ainsi prévoit-il que le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures visant à : établir des règles et des procédures pour assurer la reconnaissance, dans l'ensemble de l'Union, de toutes les formes de jugements et de décisions judiciaires ; prévenir et résoudre les conflits de compétence entre les États membres ; soutenir la formation des magistrats et des personnels de justice ; faciliter la coopération entre les autorités judiciaires ou équivalentes des États membres dans le cadre des poursuites pénales et de l'exécution des décisions.

Il prévoit également des règles minimales pour permettre la reconnaissance mutuelle , selon les règles de la procédure législative ordinaire par voie de directives ou de règlements, des jugements et décisions judiciaires concernant :

- l'admissibilité mutuelle des preuves entre les États membres ;

- les droits des personnes dans la procédure pénale ;

- les droits des victimes de la criminalité ;

- des éléments spécifiques de la procédure pénale par décision du Conseil après approbation du Parlement européen.

Toutefois, l'article 82 précise que l'adoption de règles minimales « n'empêche pas les États membres de maintenir ou d'instituer un niveau de protection plus élevé pour les personnes ».

Par ailleurs, l'article 83 prévoit l'adoption de directives établissant des règles minimales concernant la définition des infractions pénales et des sanctions dans certains domaines de la criminalité particulièrement graves revêtant une dimension transfrontière tels que le terrorisme, la traite des êtres humains, l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d'armes, le blanchiment d'argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée. Le même article dispose que l'Union européenne peut également être compétente pour définir les infractions pénales et les sanctions en dehors de toute menace grave à caractère transfrontalier lorsqu'il s'agit de garantir le respect d'une politique harmonisée au niveau européen. L'idée sous-jacente est que, si des États membres refusent de mettre en oeuvre une telle politique, le droit pénal peut jouer un rôle majeur lorsque les autres moyens d'actions de l'Union ont échoué.

Ainsi, sauf précision expresse dans le traité, l'Union européenne est libre d'adopter les instruments de la coopération pénale européenne par voie de directive ou de règlement par la procédure législative ordinaire.

Enfin, aux termes de l'article 84, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des mesures pour encourager et appuyer l'action des États membres dans le domaine de la prévention du crime , à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres.

2. Eurojust

Définie à l'article 85 du TFUE, la mission d'Eurojust est d' appuyer et de renforcer la coordination et la coopération entre les autorités nationales chargées des enquêtes et des poursuites relatives à la criminalité grave affectant deux ou plusieurs États membres ou exigeant une poursuite sur des bases communes, sur le fondement des opérations effectuées et des informations fournies par les autorités des États membres et par Europol.

À cet égard, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, déterminent la structure, le fonctionnement, le domaine d'action et les tâches d'Eurojust. Ces tâches peuvent comprendre : le déclenchement d'enquêtes pénales ainsi que la proposition de déclenchement de poursuites conduites par les autorités nationales compétentes, en particulier celles relatives à des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union ; la coordination des enquêtes et poursuites susmentionnées ; le renforcement de la coopération judiciaire, y compris par la résolution de conflits de compétences et par une coopération étroite avec le Réseau judiciaire européen.

3. Le parquet européen

L'article 86 du TFUE ouvre la possibilité de créer « à partir d'Eurojust » un parquet européen, compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement , le cas échéant en liaison avec Europol, les auteurs et complices d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union .

Il prévoit une procédure législative spéciale , l'unanimité du Conseil après approbation du Parlement européen. À défaut d'unanimité , un groupe d'au moins neuf États membres a la possibilité d'instaurer une coopération renforcée 1 ( * ) , après un passage au Conseil européen et après en avoir informé le Parlement européen, le Conseil et la Commission.

Il convient de noter que le paragraphe 4 de l'article 86 prévoit par ailleurs que la compétence du parquet européen peut être étendue à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière , mais uniquement par le Conseil européen statuant à l'unanimité, après approbation du Parlement européen et après consultation de la Commission.


* 1 En application de l'article 20 du traité sur l'Union européenne et des articles 326 à 334 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

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