E. VERS UNE EXTENSION DES COMPÉTENCES DU PARQUET EUROPÉEN ?

La compétence du parquet européen est actuellement limitée aux infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne. Elle peut néanmoins, aux termes de l'article 86 du TFUE, être étendue à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière , mais uniquement par le Conseil européen statuant à l'unanimité , après approbation du Parlement européen et consultation de la Commission.

La perspective d'un parquet européen compétent contre le terrorisme et le crime organisé a été envisagée à la fois par le Président Juncker, lors de son discours sur l'état de l'Union, le 13 septembre 2017, et par le Président de la République, à l'occasion de son discours de La Sorbonne, le 26 septembre suivant.

Les autorités françaises considèrent que le fonctionnement du parquet européen permettra de démontrer son efficacité et, dès lors, d'envisager une nouvelle étape de son développement, passant par l'extension de son champ de compétence à la lutte contre le terrorisme et les formes graves de criminalité, qui permettrait d'engager une action encore plus coordonnée.

Le 12 septembre 2018, la Commission européenne a publié une communication relative à une extension de compétences aux infractions terroristes transfrontières 37 ( * ) , car « un certain nombre de lacunes subsistent encore dans le cadre juridique, institutionnel et opérationnel actuel. En particulier, il n'existe pas d'approche commune de l'Union en matière d'enquête, de poursuite et de renvoi en jugement des infractions terroristes transfrontières ».

Cette communication comporte en annexe un projet de décision visant à modifier l'article 86 du TFUE, afin d' étendre les compétences du parquet au terrorisme . Dès lors, cet article préciserait que « le parquet européen est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, le cas échéant en liaison avec Europol, les auteurs et complices d'infractions terroristes concernant plusieurs États membres ». Ce n'est qu'après l'adoption, à l'unanimité du Conseil européen, de cette décision, que la Commission présenterait une proposition visant à modifier le règlement (UE) 2017/1939.

La Commission, dans une approche très intégrée , confirme ainsi l'ambition d'étendre la compétence du futur parquet européen à la lutte contre le terrorisme, sujet présentant une priorité politique haute dans de très nombreux États membres. Elle met en avant des arguments de nature théorique et générale, d'autant plus que le parquet européen n'est pas encore en fonctionnement. La communication évoque, de façon indirecte dans l'introduction par référence aux propos du Président Juncker, l'année 2025 pour l'aboutissement de ce projet d'extension des compétences , tandis que la conclusion mentionne mai 2019, et plus particulièrement le sommet de Sibiu du 9 mai, pour le démarrage du processus.

Plusieurs États membres ont exprimé des réserves sur ce projet.

Les Pays-Bas , dont le positionnement avait évolué au cours des négociations sur la création du parquet européen, passant, pour des raisons d'équilibres politiques internes à la coalition au pouvoir, d'une hostilité explicite à un accord « à reculons », ont ainsi fait état de leurs craintes sur le positionnement du parquet européen pour améliorer la lutte contre le terrorisme et sur le risque de retard dans la mise en place de ce nouvel organe.

Lors de leur entretien avec des représentants du ministère néerlandais de la justice, à La Haye, vos rapporteurs ont effectivement pu constater les réticences à un tel élargissement de compétences. Leurs interlocuteurs ont certes souligné la nécessité de développer la coopération judiciaire en matière pénale, qui reste méconnue des citoyens européens, et la priorité que constitue la lutte antiterroriste pour leur pays, mais ont insisté sur le contexte global dans lequel prospère le terrorisme et sur la nécessité, selon eux, de prendre en compte la totalité de la chaîne, de la prévention à la sanction, alors même qu'il n'existe aucune définition internationale consensuelle de ce qu'est le terrorisme. Ils ont estimé qu'il était préférable d'observer le fonctionnement du futur parquet européen tel qu'il est actuellement prévu, la protection des intérêts financiers de l'Union étant un objectif important, d'autant plus pour un contributeur net au budget européen comme les Pays-Bas. Ils ont ajouté qu'Europol, qui dispose désormais en son sein d'un centre dédié, et Eurojust avaient une mission importante à accomplir dans la lutte antiterroriste et que des marges de progression existaient pour l'échange de données et l'interopérabilité des systèmes d'information. En outre, ils ont mis en garde sur la façon dont le parlement néerlandais, très attentif à la souveraineté et à la subsidiarité, pourrait réagir à une extension des compétences du parquet européen.

Par ailleurs, en mars dernier, le comité permanent néerlandais d'experts en droit international de l'immigration, des réfugiés et du droit pénal, dit « comité Meijers », a appelé à la prudence sur le possible élargissement du champ de compétence du parquet européen à la lutte anti-terroriste, en considérant que les réticences nationales qui existaient en matière de poursuite de la fraude aux intérêts financiers de l'Union n'existent pas pour lutter contre le terrorisme et que cette proposition de la Commission ne repose pas suffisamment sur des arguments empiriques. D'autant plus que les réformes en cours d'Eurojust et d'Europol sont en partie justifiées par la lutte contre le terrorisme et qu'il convient donc de les évaluer avant d'engager une nouvelle réforme.

L' Allemagne aurait exprimé son refus d'un élargissement des compétences du parquet européen dans un cadre bilatéral.

L'Espagne avait en revanche fait part de son accord de principe, ainsi que l'Italie, mais avant les élections parlementaires du 4 mars 2018.

Étendre le champ de compétences du parquet européen à la lutte antiterroriste devrait engendrer un surplus d'activité restant maîtrisable eu égard au nombre de dossiers concernés. Mais, cela ne serait probablement pas le cas d'une extension aux autres formes de criminalité organisée, qui recouvrent de très nombreux dossiers. De même, le parquet européen aurait sans doute des difficultés à gérer les affaires relatives à des mouvements violents à la limite du terrorisme tels que le radicalisme d'extrême droite et d'extrême gauche ou les mouvements nationalistes de type IRA, qui font l'objet de débats politiques d'autant plus intenses qu'il n'existe pas de définition du terrorisme faisant consensus.

Vos rapporteurs, sans formuler d'opposition de principe à l'extension des compétences du parquet européen à la lutte antiterroriste, souhaitent faire part de certaines réserves.

En premier lieu, il convient de rappeler que l'institution d'un organe supranational au champ de compétences pour l'instant limité n'a pas fait l'unanimité parmi les États membres. Il paraît donc peu réaliste, dans les conditions actuelles, de penser qu'un parquet européen aux compétences élargies susciterait l'accord des États membres, qui doivent se prononcer à l' unanimité , qu'ils participent ou pas au parquet européen.

Ensuite, vos rapporteurs sont d'avis qu'il est nécessaire d' éviter toute précipitation , alors que le parquet européen n'est pas encore en fonctionnement, et qu'il ne le sera pas avant presque dix-huit mois. Ce parquet devra trouver sa place à la fois au sein du paysage institutionnel européen et dans l'ordre juridique des États membres. Il devra aussi asseoir sa légitimité et démontrer son utilité et son efficacité dans la conduite des enquêtes. Il ne semble dès lors pas opportun d'élargir son champ de compétences et donc sa charge de travail avant même que son objet initial n'ait été évalué. Seul le résultat d'une telle évaluation devra permettre, ou pas, d'envisager de confier de nouvelles missions au parquet européen.

Par ailleurs, un parquet européen antiterroriste n'apportera une véritable valeur ajoutée que s'il se coordonne de façon optimale avec les dispositifs nationaux . Ainsi, l'organisation de la justice antiterroriste en France, qui repose à la fois sur la centralisation du traitement des affaires au parquet de Paris et sur la spécialisation des acteurs, donne de bons résultats. Du reste, notre pays a récemment créé un parquet national antiterroriste qui, lui-même, va connaître une montée en charge progressive et devra démontrer son intérêt. Il convient d' éviter des conflits de compétences , en particulier sur un sujet aussi sensible.

Surtout, la réponse à un attentat terroriste restera longtemps nationale et, dans la mesure du possible, privilégiera la prévention. L'extension du champ de compétences du parquet européen - qui plus est une compétence touchant directement à la souveraineté nationale - doit respecter le principe de subsidiarité , d'autant plus que les traités affirment que la sécurité nationale reste de la seule responsabilité des États membres , dont l'organisation institutionnelle interne est hétérogène. Les enjeux de la lutte antiterroriste sont très différents de ceux de la protection des intérêts financiers de l'Union , que doit assurer le futur parquet européen.


* 37 Texte COM (2018) 641 final.

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