EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 3 juillet 2019, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'audition de M. Denis Morin, président de la 6 ème chambre de la Cour des comptes pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, sur la politique de prévention et de prise en charge du VIH.

M. Alain Milon , président. - Nous prolongeons l'audition de M. Morin par la présentation de l'enquête que notre commission a sollicitée de la Cour des comptes en application de l'article LO 132-3-1 du code des juridictions financières sur la politique de prévention et de prise en charge du VIH. M. Morin est accompagné de MM. François de la Guéronnière, président de section, Ali Saïb, conseiller maître, Didier Selles, conseiller maître, Clélia Delpech, conseillère référendaire et Jean-Christophe Bras, rapporteur.

Dans un contexte de relâchement de la prévention chez les jeunes et de recrudescence des infections sexuellement transmissibles (IST) au sein de cette population particulièrement vulnérable, cette enquête s'imposait.

Santé publique France relevait ainsi l'année dernière que le recours au préservatif devenait de moins en moins systématique chez les jeunes de moins de 25 ans. Votre enquête fait état d'une « épidémie cachée », que nous n'arrivons toujours pas à circonscrire : le nombre d'infections nouvelles chaque année ne faiblit pas.

Il n'y a désormais plus de place pour les hésitations dans la lutte contre le VIH : il nous faut nous engager dans une politique de prévention résolument décomplexée, en levant les barrières juridiques et financières à l'accès du plus grand nombre aux outils de dépistage et aux traitements préventifs. Démultiplier les points d'accès gratuit aux tests sanguins, autotests et tests rapides d'orientation diagnostique (TROD), mais aussi à la prophylaxie pré-exposition (PrEP) et au traitement post-exposition (TPE), représente certes un coût pour l'assurance maladie, mais il sera toujours inférieur au coût de prise en charge d'une affection de longue durée.

Enfin, votre rapport souligne l'effort de recherche de notre pays et la place particulière qu'il occupe, sur la scène internationale, dans la lutte contre le Sida, de par notamment sa contribution substantielle au fonds mondial de lutte contre le Sida, dont la reconstitution aura lieu en octobre prochain à Paris. À cet égard, pouvez-vous nous indiquer si notre agence de recherche française (ANRS) parvient à mobiliser en retour le soutien financier de ce fonds pour ses projets de recherche en partenariat avec les pays du Sud ?

M. Denis Morin . - Je ne peux être que redondant par rapport à votre présentation. J'ajouterai seulement quelques constats. Il y a actuellement en France 172 700 personnes séropositives en France ; 30 000 d'entre elles ignorent leur statut sérologique et 60 % des contaminations nouvelles sont liées à cette épidémie cachée. 6 000 personnes ont découvert leur séropositivité en 2017. L'épidémie n'est donc pas finie en France, alors qu'elle stagne ou régresse dans d'autres pays. Cela justifie des initiatives audacieuses en matière de prévention si nous souhaitons atteindre les objectifs non seulement de l'organisation mondiale de la santé (OMS), mais aussi du Gouvernement, lequel est encore plus ambitieux. Selon l'OMS, on pourra considérer que le Sida est éradiqué quand trois conditions seront réunies : 90 % des séropositifs au clair sur leur statut, c'est le principal point de fragilité de la situation française aujourd'hui ; 90 % des personnes dépistées traitées par un traitement antirétroviral ; 90 % des personnes traitées avec une charge virale indétectable et donc potentiellement non contaminantes. C'est ce que l'on appelle la cascade de l'OMS, qu'elle identifie comme la condition d'une éradication de l'épidémie. La France est encore plus ambitieuse, puisqu'elle porte ces taux à 95 %.

En France, l'épidémie est très concentrée dans les grandes villes - Paris, Lyon, la Côte d'Azur - et sur certaines populations. La situation sanitaire est aussi très difficile dans les outre-mer, particulièrement en Guyane. La contamination concerne principalement la population masculine, en partie des migrants d'origine subsaharienne. Les transmissions materno-foetales sont maîtrisées, tandis que les transmissions par seringues usagées dans les populations toxicomanes ont quasiment disparu.

Outre le préservatif, il y a d'autres moyens de prévention, tels que les traitements antirétroviraux à titre préventif. Reste que le préservatif est indispensable pour se protéger d'autres types d'IST.

Nous devons considérablement faire porter notre effort sur la prévention, qui est un des défauts de notre système de santé au sens large, alors que nous sommes bons en curatif. Le coût d'une bonne politique de prévention représente moins de 10 % de celui du traitement de l'épidémie, qui est de l'ordre d'1,5 milliard d'euros dans notre pays. Il serait possible de dégager des ressources supplémentaires en accélérant la réduction du coût des traitements sous l'impulsion du comité économique des produits de santé (CEPS), qui pourraient être mobilisées pour le développement d'actions plus vigoureuses de prévention. Nous défendons dans notre rapport le programme de la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) « Au labo sans ordo », dont l'expérimentation vient de débuter à Paris et en Côte d'Azur, qui permet de réaliser gratuitement, sans ordonnance ni rendez-vous, un dépistage du VIH dans des laboratoires d'analyses médicales.

Nous avons le sentiment que le seul moyen d'atteindre le premier taux de 95 % de la cascade, c'est de saturer l'espace public en moyens de dépistage gratuit accessibles sans médiation. Il faut stimuler le recours aux autotests et aux TROD. J'ai le souvenir, lors de l'introduction sur le marché des autotests, qu'il avait été objecté qu'ils ne devraient être mis à disposition que dans le cadre d'un accompagnement médical très étroit, la découverte d'une séropositivité dans cette démarche pouvant être problématique.

La réalité est différente : il faut mettre l'accent sur la mise à disposition gratuite des autotests partout où c'est possible. Pour les sérologies en laboratoire, c'est ce que propose la Cnam pour un coût modeste de 20 euros par personne, chiffre à comparer, encore une fois, avec le coût des traitements. Il faudra bien entendu évaluer ce programme.

Enfin, s'agissant de la gouvernance, nous ne faisons pas de propositions spectaculaires.

Mme Corinne Imbert . - Vous proposez un dépistage en population générale et vous avez rappelé votre soutien au programme « Au labo sans ordo ». Est-ce à dire que vous envisagez un accès illimité aux dépistages gratuits en laboratoire ou faudra-t-il, selon vous, mettre des conditions afin de maîtriser le coût pour l'assurance maladie ?

Le renforcement de la participation du ministère de la santé à la politique de recherche sur le VIH passe-t-il nécessairement par une augmentation des crédits en ce sens dans la mission « Santé » ? Ne serait-il pas plus cohérent d'inscrire l'ensemble des crédits de la recherche sur le VIH dans la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (Mires) ? Dans quelle mesure la France peut-elle avoir accès au fonds mondial de lutte contre le Sida, auquel elle est l'un des premiers contributeurs ?

La commission des affaires sociales dénonçait la non-compensation intégrale des soins urgents liés à la prise en charge des migrants non éligibles à l'aide médicale de l'État (AME). Les frais irrécouvrables de prise en charge des migrants au titre de leur santé sexuelle font partie de ces frais. La Cour des comptes soulève-t-elle cette problématique dans la certification des comptes 2018 du budget de l'État pour la mission « Santé » et plaide-t-elle pour une compensation intégrale des établissements de santé au titre de ces dépenses ? Cette compensation est aujourd'hui forfaitaire et se situe autour de 40 millions d'euros dans la loi de finances pour 2019.

Mme Catherine Deroche . - Avez-vous des informations sur la recherche sur le vaccin, préventif ou thérapeutique ? Ne pensez-vous pas que nous pourrions encourager la télémédecine pour faciliter l'accès aux consultations pour la délivrance de la PrEP en centres gratuits d'information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) et en centres de santé sexuelle hospitaliers ou associatifs, qui sont parfois vécues de manière assez stigmatisante ?

M. Yves Daudigny . - Nous avons été alertés lors des auditions sur un nombre croissant de ruptures d'approvisionnement en antirétroviraux. Ne pensez-vous pas que les écarts de prix avec d'autres pays risquent d'amplifier le risque ? L'offre thérapeutique est-elle suffisante et adaptée pour les enfants ?

Par ailleurs, l'accès au traitement post-exposition (TPE) est-il principalement concentré dans les services d'urgences des centres hospitaliers universitaires (CHU) ? N'aurait-il pas fallu prévoir une mission, pour les hôpitaux de proximité, dans la prévention et la prise en charge des IST afin d'y garantir l'accès au TPE ? Observez-vous des inégalités territoriales dans l'accès au TPE ?

Enfin, la recherche avance-t-elle, selon vous, sur l'identification et la destruction des cellules réservoirs du VIH chez les personnes à la charge virale indétectable ?

Mme Laurence Cohen . - Il y a encore de nombreux défis à relever, notamment pour combattre les discriminations. Que pensez-vous de la mise en place d'un « pass santé sexuelle » qui pourrait être distribué gratuitement en services de médecine scolaire et universitaire, ainsi que dans les CeGIDD, aux jeunes de moins de 25 ans et aux populations à risque, pour leur permettre un accès gratuit et permanent à tous les outils de dépistage ?

Votre rapport évoque des discriminations dans la prise en charge des personnes séropositives. Le code de la sécurité sociale prévoit pourtant la possibilité pour les organismes d'assurance maladie de prononcer des sanctions à l'encontre des professionnels de santé coupables de ces discriminations. Avez-vous pu vérifier si de telles sanctions avaient déjà été prononcées ?

Enfin, je crois avoir compris que vous étiez favorable au programme « Au labo sans ordo » mis en oeuvre depuis le 1 er juillet à Paris et dans les Alpes-Maritimes. Nous sommes, dans notre groupe, favorables à la généralisation de cette expérimentation.

Mme Michelle Meunier . - Je m'étonne que la contamination par seringue ait quasiment disparu : quelle est la place de la prévention tertiaire dans ce résultat ? Est-ce la conséquence des politiques de mise à disposition et d'échange de seringues ou d'autres types de drogues sont-elles apparues ?

Mme Jocelyne Guidez . - La prophylaxie pré-exposition est-elle accessible aux mineurs sans information des parents ? Faut-il, selon vous, l'envisager ? Si oui, faut-il étendre la possibilité de délivrer la PrEP aux services de médecine scolaire et universitaire, avec les précautions nécessaires pour que la prise en charge de la PrEP ne figure pas dans les données de remboursement des parents ?

Avez-vous, par ailleurs, constaté des inégalités d'accès aux traitements post-exposition ? Ne serait-il pas souhaitable d'autoriser la médecine de ville et les pharmacies d'officine à délivrer au moins les premières prises de TPE ?

M. René-Paul Savary . - Pouvons-nous imaginer de développer les TROD en pharmacie ? Dans le cadre du dernier projet de loi « Santé », nous avons automatisé l'ouverture du dossier médical partagé et de l'espace numérique de santé : dans ce cadre, peut-on envisager un dépistage périodique de la population tous les 5 ans ?

Mme Victoire Jasmin . - Il y a eu une augmentation de l'AME, mais le problème linguistique crée des barrières chez les migrants, en particulier en Guyane. Avez-vous identifié un lien de causalité ? Pouvez-vous nous parler du programme Interreg Caraïbes ? Pour ce qui est de l'utilisation du préservatif, je pense que nous devons vraiment mettre l'accent en milieu scolaire.

M. Ali Saïb, conseiller maître à la Cour des comptes . - La recherche française est très bien placée. Nous y consacrons 40 millions d'euros annuels. Dès la fin des années 1980, l'agence nationale de recherches sur le sida (ANRS) s'est positionnée en mettant tout le monde autour de la table, devenant une véritable plateforme de coordination et de financement de la recherche sur le Sida.

La question du vaccin a été posée dès le départ par les chercheurs, mais ils n'ont pour l'instant rencontré aucun succès majeur en matière de prévention. On parle aujourd'hui de vaccins curatifs, qui permettent d'éliminer les cellules, mais, pour pouvoir atteindre cet objectif, il faut identifier les cellules infectées. On arrive à limiter la réplication du virus, et faire en sorte qu'il soit indétectable au niveau du sang périphérique des individus infectés, mais, dès que l'on arrête les traitements, le virus réapparaît, ce qui sous-entend qu'il y a des réservoirs et non pas un seul. L'enjeu est de tous les identifier en réactivant éventuellement le virus pour pouvoir cibler ces réservoirs et les éliminer de l'organisme.

Des personnes sont également naturellement résistantes au virus. Il y a donc également un volet immunologique, que l'on ne connaît pas encore très bien.

Il y a un laboratoire d'excellence en France qui est en connexion avec un réseau international pour partager les connaissances sur le vaccin. Le tout est toujours plus que la somme des parties.

M. Denis Morin . - Dans un schéma financièrement équilibré, nous préconisons effectivement d'ouvrir largement et sans condition l'accès aux laboratoires pour effectuer des sérologies, ce qui serait financé par les économies réalisées sur le curatif. Nous ferions une évaluation au bout de deux ou trois ans. Il faut le généraliser à toute la France au nom du principe d'égalité : dans certains territoires, il est sans doute plus aisé de trouver un laboratoire qu'un médecin traitant. A fortiori dans des territoires où moins de monde est concerné, cela coûtera moins cher. Nous évaluons le coût global de la mesure à une centaine de millions d'euros, même si les estimations restent compliquées. Nous proposons également d'ouvrir largement la PrEP, y compris grâce à la télémédecine. Les conditions d'accès aux CeGIDD ne sont pas toujours simples, les horaires d'ouverture sont souvent restreints, et ces centres sont souvent raturés. Encore une fois, il est préférable de jouer la redondance des capacités de prescription que le resserrement sur des centres dédiés.

M. François de la Guéronnière, président de section à la Cour des comptes . - Les ruptures d'approvisionnement sont encore limitées. Nous en avons recensé 18 de moins de 15 jours. Pour l'avenir, nous recommandons le développement des génériques, ce qui réduira le risque de rupture. Pour ce qui est des enfants, nous n'avons pas pointé de difficultés particulières.

S'agissant de l'accès aux traitements post-exposition, le point clé est l'accessibilité 24 heures sur 24, donc les services d'urgence des CHU sont les endroits les plus adaptés. Il y a sans doute une méconnaissance du dispositif. Nous recommandons que la circulaire de 2008 qui en détermine les conditions de délivrance soit réactualisée à la lumière d'études de la Haute Autorité de santé, notamment concernant les modalités pratiques de sa dispensation.

M. Ali Saïb . - Quels sont aujourd'hui les grands enjeux de la recherche sur le VIH ? L'identification des réservoirs, à partir desquels le virus se réactive. On a évoqué tout à l'heure le réservoir populationnel : 30 000 personnes qui ignorent leur statut ou ne sont pas prises en charge. Mais il existe un correspondant au niveau de la recherche : le réservoir cellulaire.

Pour revenir sur le fonds mondial et sur son champ d'intervention, l'ANRS est en réseau avec un grand nombre de laboratoires dans les pays du Nord comme du Sud. Les statuts du fonds mondial ne permettent pas à l'agence de pouvoir y accéder. Un des points de discussion de la réunion d'octobre 2019 portera sur l'ouverture du fonds à des agences nationales.

M. Denis Morin . - Je suis évidemment favorable à la mise en place du « pass santé sexuelle ». Il ne faut pas non plus multiplier à l'infini les intervenants pour ne pas risquer des brouiller les messages.

S'agissant des discriminations, une étude de l'association Aides relève que 80 % des personnes séropositives ont déjà été victimes de discriminations. Près du quart de ces attitudes discriminatoires étaient le fait de personnels médicaux ou paramédicaux. Nous n'avons pas la possibilité de vérifier ces chiffres. Je ne peux que conseiller aux victimes de saisir les structures ordinales.

Madame Meunier, nous pensons effectivement que la fin des contaminations par seringue est la conséquence des politiques de santé publique qui ont été menées.

Madame Guidez, la PrEP n'est pas accessible aux mineurs, mais c'est envisageable, en particulier à titre préventif pour un traitement antirétroviral dont il est établi aujourd'hui qu'il évite des contaminations. Nous évoquons un dépistage général de la population dans le rapport. D'aucuns nous ont répondu que ce n'était pas le sujet. Je n'en suis pas persuadé. Personnellement, l'idée ne me choque pas qu'il y ait au moins une fois au cours de la vie un dépistage.

S'agissant de l'accès aux TROD en pharmacie, cela demande une formation des pharmaciens. L'ordre des pharmaciens y est hostile.

M. François de la Guéronnière . - Madame Jasmin, la Haute Autorité de santé a formulé des recommandations pour essayer de surmonter la question linguistique dans le cadre de la médiation sanitaire. Le comité de la coordination régionale de la lutte contre l'infection par le VIH (Corevih) d'Île-de-France a par exemple mis en place des expérimentations sur ce point en 2015, de même que l'université Paris XIII a ouvert des formations pour surmonter ces problèmes linguistiques. Malheureusement, nous n'avons pas d'éléments sur le plan Interreg Caraïbes.

M. Denis Morin . - Madame Imbert, vous avez raison, il faut une compensation intégrale des frais engagés dans le cadre de l'AME, qui du reste ne concernerait que quelques établissements.

La commission autorise la publication du rapport.

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