III. LA STRATÉGIE ANTIFRAUDE DE L'UNION EUROPÉENNE EST À LA RECHERCHE D'UN NOUVEAU SOUFFLE

A. LA MISE EN oeUVRE DU PARQUET EUROPÉEN D'ICI 2020 DEVRAIT PERMETTRE DE FRANCHIR UN NOUVEAU CAP

L'article 86 du TFUE fournit, depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, la base législative permettant de créer un Parquet européen. Toutefois, une adoption à l'unanimité est requise. Face aux réticences de certains États membres, le recours à une coopération renforcée a été justifié pour une concrétisation rapide du Parquet européen 28 ( * ) .

Si la Commission européenne a présenté dès 2013 un projet de règlement instituant le Parquet européen, les négociations ont tardé en raison de l'opposition de plusieurs États membres, dont les Pays-Bas, la Pologne, la Suède et la Hongrie, mais aussi, de la question du respect du principe de subsidiarité, soulevée par quatorze parlements nationaux, dont le Sénat français.

En effet, une résolution européenne a été adoptée par le Sénat le 28 octobre 2013 , à l'initiative de notre collègue Sophie Joissains, portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement portant création du Parquet européen. Le Sénat s'est prononcé en faveur d'un projet de Parquet européen dans un format plus collégial , s'appuyant sur des délégués nationaux dans chaque État membre 29 ( * ) . La position finale adoptée a retenu le principe d'une organisation à deux niveaux et décentralisée ( cf. encadré ci-après ).

1. Des compétences à articuler avec l'OLAF et les États membres

Le champ de compétences du Parquet européen est défini par le règlement 2017/1939 30 ( * ) , par référence à la directive 2017/1371 31 ( * ) (« directive PIF »). Cette directive remplace la convention de 1995 pour les 26 États membres liés par elle. Elle vise à approfondir l'harmonisation des sanctions pénales minimales relatives aux infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union.

Définition de la fraude selon la directive 2017/1371 (« directive PIF »)

Les éléments suivants sont considérés comme étant une fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union:

a) en matière de dépenses non liées à la passation de marchés publics, tout acte ou omission relatif : i) à l'utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets , ayant pour effet le détournement ou la rétention indue de fonds ou d'avoirs provenant du budget de l'Union ou des budgets gérés par l'Union ou pour son compte; ii) à la non-communication d'une information en violation d'une obligation spécifique , ayant le même effet; ou iii) au détournement de tels fonds ou avoirs à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été initialement accordés ;

b) en matière de dépenses relatives aux marchés publics, à tout le moins en vue, pour son auteur ou une autre personne, de réaliser un gain illicite en causant un préjudice aux intérêts financiers de l'Union, tout acte ou omission relatif : i) à l'utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets , ayant pour effet le détournement ou la rétention indue de fonds ou d'avoirs provenant du budget de l'Union ou des budgets gérés par l'Union ou pour son compte ; ii) à la non-communication d'une information en violation d'une obligation spécifique , ayant le même effet ; ou iii) au détournement de tels fonds ou avoirs à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été initialement accordés, qui porte atteinte aux intérêts de l'Union ;

c) en matière de recettes autres que les recettes issues des ressources propres provenant de la TVA visées au point d), tout acte ou omission relatif : i) à l'utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets , ayant pour effet la diminution illégale de ressources du budget de l'Union ou des budgets gérés par l'Union ou pour son compte ; ii) à la non-communication d'une information en violation d'une obligation spécifique , ayant le même effet ; ou iii) au détournement d'un avantage légalement obtenu, ayant le même effet ;

d) en matière de recettes issues des ressources propres provenant de la TVA , tout acte ou omission commis dans le cadre d'un système frauduleux transfrontière concernant : i) l'utilisation ou la présentation de déclarations ou de documents relatifs à la TVA qui sont faux, inexacts ou incomplets , ayant pour effet la diminution des ressources du budget de l'Union ; ii) la non-communication d'une information relative à la TVA en violation d'une obligation spécifique, ayant le même effet ; ou iii) la présentation de déclarations relatives à la TVA correctes aux fins de la dissimulation frauduleuse d'une absence de paiement ou de la création illégitime de droits à des remboursements de TVA .

Source : article 2 de la directive 2017/1371

Par conséquent, le Parquet européen sera compétent pour engager des poursuites pour les fraudes portant atteinte aux fonds européens telles que le détournement de fonds publics, l'abus de confiance, l'escroquerie, ou la corruption.

L'infraction doit avoir entraîné un préjudice d'un montant supérieur à 10 000 euros , sauf si l'infraction requiert la conduite d'une enquête à grande échelle, ou qu'elle pourrait avoir été commise par un agent de l'Union européenne 32 ( * ) . Ce seuil de 10 000 euros a été établi en reprenant le principe d'un minimis de 4 000 écus fixé par la convention de 1995. Votre rapporteur spécial relève que le montant du préjudice financier ne peut être connu avec certitude avant l'ouverture d'une enquête, ce qui pourrait être de nature à restreindre l'exercice de sa compétence par le Parquet européen.

La création d'un ministère public européen compétent en matière de protection des intérêts financiers de l'Union européen permettra d'établir une politique de lutte contre la fraude plus aboutie, intégrant des enquêtes administratives et pénales . Toutefois, la mise en oeuvre du Parquet européen d'ici 2020 suppose d'établir des modalités de coopération efficaces entre l'OLAF et cette nouvelle autorité .

En effet, les auditions conduites par votre rapporteur spécial ont fait état d'un risque élevé de « dévitalisation » de l'OLAF si les conditions d'une complémentarité harmonieuse ne sont pas réunies . Dans cette perspective, votre rapporteur spécial s'inquiète des transferts de personnel de l'OLAF vers le Parquet européen qui seraient envisagés.

En mai 2018, la Commission européenne a proposé une modification du règlement relatif aux pouvoirs de l'OLAF 33 ( * ) , afin de tenir compte de son articulation future avec le Parquet européen. Ce texte, toujours en négociation, prévoit notamment :

- une obligation de signalement de l'OLAF au Parquet européen de tout comportement délictueux qui pourrait relever de sa compétence ;

- un principe de non-duplication des enquêtes, c'est-à-dire que l'OLAF ne doit pas ouvrir des enquêtes sur des faits identiques à ceux faisant déjà l'objet de poursuites par le Parquet européen.

Votre rapporteur spécial estime que la compétence et l'expérience acquises par l'OLAF depuis près de vingt ans doivent être mises au service de la réussite du futur Parquet européen.

Concernant les autorités judiciaires nationales, une obligation de signalement est également prévue, ainsi que le principe d'une coopération loyale des parquets nationaux envers le Parquet européen. Le procureur européen disposera également d'un droit d'évocation lui permettant de se saisir d'une enquête faisant déjà l'objet d'une instruction par une ou plusieurs autorités judiciaires nationales.

2. Des moyens humains et budgétaires qui devront monter en puissance

Organisation du Parquet européen

Le Parquet européen sera divisé en deux niveaux : le niveau central et le niveau décentralisé.

Le Bureau central se composera d'un collège, d'un chef du Parquet européen, de chambres permanentes et de procureurs européens. Sa mission sera notamment d'assurer la supervision, la direction et la surveillance des enquêtes et poursuites menées par le niveau décentralisé.

Le niveau décentralisé sera composé de procureurs européens délégués affectés dans chaque État membre participant à la coopération renforcée. L'organisation ainsi pensée permettra une efficacité des enquêtes et des poursuites effectuées sur plusieurs États.

Un procureur de chaque État membre sera nommé par le Conseil, sur une liste étatique de trois candidats. Ces candidats doivent être membres actifs du ministère public ou du corps judiciaire, offrir toutes les garanties d'indépendance, disposer des qualifications requises pour l'exercice de hautes fonctions et posséder une expérience pratique des ordres juridiques nationaux, des enquêtes financières et de la coopération judiciaire internationale en matière pénale.

Les différents mandats seront non-renouvelables et leur durée respective sera fixée comme suit : sept années pour le chef du Parquet européen ; six années pour les procureurs européens, par renouvellements partiels tous les trois ans ; cinq années pour les procureurs européens délégués.

Source : Commission des finances du Sénat

Le budget alloué en 2019 au Parquet européen, alors encore en phase de constitution, s'élève à 4,9 millions d'euros , et devrait connaître une augmentation significative dans les prochaines années. D'après les informations transmises à votre rapporteur spécial 34 ( * ) , le budget prévu pour 2019 semble avoir été largement sous-estimé. Par conséquent, il devrait être réévalué à 9 millions d'euros en 2020 pour tenir compte de l'actualisation des coûts de personnel, et de fonctionnement de l'infrastructure, notamment en ce qui concerne les dépenses des équipements de sécurité.

La proposition de la Commission européenne pour le prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027 prévoit un budget de 163 millions d'euros sur sept ans, soit 23,2 millions d'euros par an en moyenne .


* 28 22 États membres participent à cette opération renforcée : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, Chypre, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.

* 29 Rapport d'information n° 509 (2018-2019) fait au nom de la commission des affaires européennes sur la coopération judiciaire en matière pénale et la mise en oeuvre du parquet européen, par M. Jacques BIGOT et Madame Sophie JOISSAINS.

* 30 Règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en oeuvre une coopération renforcée concernant la création du parquet européen.

* 31 Directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union au moyen du droit pénal.

* 32 Article 25 du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en oeuvre une coopération renforcée concernant la création du parquet européen.

* 33 Proposition de la Commission du 23 mai 2018 relative à la modification du règlement (UE, Euratom) n° 883/2013 en ce qui concerne la coopération avec le Parquet européen et l'efficacité des enquêtes de l'OLAF.

* 34 Fournies par le SGAE, en réponse au questionnaire écrit.

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