B. LES FREINS À L'EMPLOI DES SENIORS SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL

France stratégie a analysé les freins à l'emploi des seniors en distinguant des facteurs propres au marché du travail et des facteurs périphériques. Les règles d'indemnisation du chômage peuvent également avoir un impact sur l'emploi des seniors.

1. Les facteurs qui pénalisent les seniors sur le marché du travail
a) Des attentes salariales élevées

La théorie économique explique les problèmes d'appariement de l'offre et de la demande par les rigidités empêchant les prix de s'adapter. Sur le marché du travail, le prix, c'est-à-dire le salaire, est évalué par les demandeurs (les entreprises) au regard du gain attendu, c'est-à-dire de la productivité des travailleurs. Les difficultés à trouver un emploi s'expliquerait alors par une productivité insuffisante au regard des coûts salariaux.

La croissance des rémunérations avec l'âge 66 ( * ) est un phénomène classique mais relativement plus marqué en France 67 ( * ) qui, intériorisé par les acteurs, influe sur les aspirations salariales des seniors.

Les difficultés des seniors à retrouver un emploi pourrait donc en partie s'expliquer par des attentes salariales en décalage avec ce que les employeurs sont disposés à proposer.

Toutefois, comme France stratégie le souligne (p. 60), la littérature économique ne permet pas de conclure à une baisse de la productivité individuelle avec l'âge.

b) Le poids des représentations des recruteurs et des dirigeants

France stratégie note que l'idée qu'un âge avancé joue en défaveur du candidat à l'emploi est commune aux employeurs, aux travailleurs et aux cabinets de recrutement et que la France « est particulièrement touchée par la défiance vis-à-vis des seniors, en particulier chez les managers » .

Pourtant, outre que les discriminations basées sur l'âge sont interdites 68 ( * ) , les représentations défavorables aux seniors apparaissent souvent infondées.

Ainsi, la perspective d'un départ à la retraite à plus ou moins brève échéance s'accompagne d'une moindre probabilité de quitter l'entreprise pour une autre, alors que l'expérience permet souvent de compenser l'obsolescence, perçue ou réelle, des compétences.

c) Un moindre recours à la formation et des contenus inadaptés

Dans un contexte d'évolution rapide des technologies et des organisations productives, l'accès à la formation professionnelle continue apparaît de plus en plus comme une condition du maintien de l'employabilité. Cela est d'autant plus vrai pour les seniors exerçant des activités qui peuvent difficilement être poursuivies au-delà d'un certain âge et pour les personnes dont l'emploi est menacé par les évolutions techniques. Par ailleurs, les personnes sans diplôme ou faiblement diplômées sont surreprésentées parmi les tranches les plus âgées de la population. Or, en règle générale, un faible niveau de qualification est associé à un risque de chômage accru.

Il apparaît pourtant que le recours à la formation professionnelle décroît avec l'âge. Selon l'Insee 69 ( * ) , la part des personnes ayant suivi au moins une formation au cours des 12 derniers mois approchait en 2016 60 % pour les 25-44 ans, 50 % pour les 45-54 ans mais tombe à 35 % pour les 55-64 ans.

Source : Insee

Comme le note France stratégie, le moindre recours à la formation professionnelle par les seniors résulte en partie d'un effet d'horizon, le gain attendu d'un départ en formation étant moindre à mesure que l'on s'approche de la fin de sa carrière. Il convient toutefois de noter que le décrochage dans le taux d'accès à la formation est visible dès 45 ans, soit bien avant l'âge de la retraite.

Il est en outre marquant de constater que le moindre recours des seniors à la formation se vérifie aussi s'agissant des demandeurs d'emploi. Ainsi, selon la Dares 70 ( * ) , le taux d'accès à la formation professionnelle est de 8,7 % pour les demandeurs d'emploi de 45 ans ou plus, contre 13,5 % pour les 26-44 ans.

Source : Dares

Dans une note 71 ( * ) de 2016 s'appuyant sur l'enquête sur la formation professionnelle des adultes de 2012, la Dares notait que les seniors mettent plus souvent en avant le refus ou l'absence d'aide de leur employeur pour expliquer les raisons qui les ont conduit à renoncer à une formation.

France stratégie relève également une inadéquation de l'offre de formation aux besoins des seniors. Cela serait notamment vrai pour les personnes les moins qualifiées, puisque 40 % des compétences acquises par les ouvriers de plus de 55 ans dans le cadre de formations professionnelles sont assez peu ou pas du tout utilisées selon la Dares.

2. Des freins liés à la situation personnelle des actifs âgés
a) L'impact de l'état de santé sur la capacité à occuper un emploi

L'état de santé a des effets sur la probabilité d'être en emploi.

Or, l'espérance de vie sans incapacité croît moins vite que l'espérance de vie totale et d'importances inégalités sociales sont constatées en la matière.

Par ailleurs, France stratégie (p. 82) met en évidence que les personnes qui ont été durablement exposées à des pénibilités sont moins souvent en emploi après 50 ans

Elle souligne toutefois que, selon l'OCDE, l'état de santé ne saurait justifier qu'une « petite fraction » de la forte baisse des taux d'emploi avec l'âge.

b) Le poids des facteurs personnels et familiaux alors que les enjeux liés à la dépendance se développent

La décision de quitter le marché du travail pour prendre sa retraite est en partie déterminée par des considérations liées à la situation familiale. Ainsi, parmi les retraités ayant liquidé leurs droits entre le 1 er juillet 2015 et le 30 juin 2016 et ayant travaillé jusqu'à 50 ans au moins, 16 % déclarent que les obligations familiales ont « beaucoup » (8 %) ou « assez » joué dans leur décision de partir à la retraite 72 ( * ) . Le fait que le conjoint partait ou était déjà à la retraite a par ailleurs beaucoup ou assez joué dans 21 % des cas.

Enfin, France stratégie souligne qu'un cinquième des 51-60 ans sont aidants d'un proche malade, âgé ou handicapé et que 20 % des aidants âgés de 40 à 64 ans déclarent que l'aide qu'ils apportent a eu des conséquences sur leur vie professionnelle (réduction du temps de travail ou refus d'heures supplémentaires, refus d'une mobilité géographique...).

France stratégie relève enfin des facteurs liés au cycle de vie, qui pourrait jouer à la marge sur l'emploi des seniors.

Le fait d'être propriétaire de son logement, ce qui est plus fréquent chez les seniors, réduit la mobilité géographique, alors que la réception d'un héritage augmente de 40 % la probabilité de départ à la retraite des personnes de 55 à 65 ans.

3. Les effets non-désirés des règles d'indemnisation du chômage
a) Les règles spécifiques visant à protéger les demandeurs d'emploi âgés

Les règles d'indemnisation au titre de l'assurance chômage traduisent un arbitrage entre deux logiques potentiellement contradictoires que sont la garantie d'un revenu pour les personnes faisant face à la perte de leur travail et la nécessaire incitation à la reprise d'un emploi, qui justifie une condition d'affiliation préalable et une durée maximale d'indemnisation.

Les difficultés spécifiques que connaissent les demandeurs d'emploi âgés réduisent l'efficacité des mécanismes incitatifs. C'est pourquoi des règles spécifiques existent pour les demandeurs d'emploi seniors.

Ces règles ont été globalement préservées dans la réforme de l'assurance chômage prévue par le décret du 26 juillet 2019 73 ( * ) , qui doit entrer en vigueur le 1 er novembre 2019 74 ( * ) .

La durée d'assurance nécessaire pour bénéficier de l'indemnisation passera de 4 à 6 mois. Cette durée est appréciée sur une période de référence qui doit passer de 28 à 24 mois, mais qui restera de 36 mois pour les demandeurs d'emploi qui étaient âgés d'au moins 53 ans à la date de fin de leur contrat de travail.

La durée maximale d'indemnisation n'est pas modifiée et reste de 24 mois pour les demandeurs d'emploi de moins de 53 ans, de 30 mois pour les demandeurs d'emploi âgés de 53 à 55 ans et de 36 mois pour les demandeurs d'emploi âgés d'au moins 55 ans.

Comme actuellement, la durée d'indemnisation pourra être prolongée, dans la limite de 36 mois, pour les demandeurs d'emploi âgés d'au moins 53 ans qui suivent une formation.

De même, les demandeurs d'emploi âgés d'au moins 62 ans bénéficieront toujours du maintien de leur indemnisation jusqu'à remplir les conditions pour obtenir une retraite à taux plein. Les conditions demeurent inchangées : justifier de 12 années d'appartenance au régime d'assurance chômage et de 100 trimestres validés au titre de l'assurance vieillesse et avoir travaillé un an en continu ou deux années discontinues sur les cinq années précédant la fin de leur contrat de travail.

Le décret du 26 juillet 2019 a par ailleurs prévu une dégressivité de l'allocation à compter du septième mois, pour les demandeurs d'emploi qui percevaient un salaire supérieur à 4 500 euros brut. Cette dégressivité ne doit toutefois pas être applicable aux demandeurs d'emploi âgés d'au moins 57 ans au moment de la fin de leur contrat de travail.

b) Un système implicite de pré-retraite supporté par l'assurance chômage

Les durées d'indemnisation plus longue pour les demandeurs d'emploi approchant de l'âge de la retraite permettent d'éviter des ruptures préjudiciables aux intéressés. Toutefois, ces règles ont des effets non désirés lorsqu'elles permettent des stratégies de gestion des ressources humaines dont le coût est supporté par l'assurance chômage.

On observe en effet un pic du nombre de ruptures de CDI trois ans avant l'âge de la retraite, ainsi que l'illustre le graphique ci-après.

Source : Dares

Ce constat conduit le conseil d'analyse économique (CAE), dans sa note de mai 2016, à considérer que « le système d'assurance chômage continue d'alimenter un dispositif implicite de préretraite qui gonfle le nombre de chômeurs indemnisés trois années avant l'âge légal de la retraite ».

4. L'échec des dispositifs ciblant spécifiquement les seniors

L'expérience montre que les dispositifs de la politique de l'emploi ciblant spécifiquement les seniors se sont avérés inefficaces, notamment en raison de leurs effets discriminants. Le soutien à l'emploi des seniors passe aujourd'hui essentiellement par les dispositifs de droit commun.

a) Les effets pervers de la taxation des licenciements

Entre 1987 et 2008, il existait un dispositif de taxation des licenciements des salariés de plus de 50 ans sous la forme d'une contribution équivalant à trois mois de salaire brut versée à l'assurance chômage (contribution « Delalande »). Ainsi que le soulignait un article publié par l'Insee en 2004 75 ( * ) ce dispositif a eu des effets pervers sur les embauches de salariés âgés, sans effet probant sur les licenciements.

Vos rapporteurs estiment donc que tout dispositif coercitif ou de taxation des licenciements, même sous la forme d'un « bonus-malus » ne saurait être efficace et risquerait au contraire d'avoir un effet pervers et stigmatisant en faisant apparaître les seniors comme des salariés à risque.

b) L'échec des contrats de génération

Suite à l'accord national interprofessionnel du 19 octobre 2012, la loi du 1 er mars 2013 a créé les contrats de génération, qui figuraient dans le programme présidentiel de François Hollande.

Ce dispositif visait à promouvoir l'emploi des jeunes tout en protégeant l'emploi des seniors et comportait deux volets.

En premier lieu, les entreprises de moins de 300 salariés ou ne relevant pas d'un groupe d'au moins 300 salariés pouvaient obtenir une aide pour l'embauche d'un jeune de moins de 26 ans couplée avec le maintien dans l'emploi d'un salarié de plus de 57 ans.

D'autre part, la loi prévoyait une obligation de négociation pour les entreprises de plus de 50 salariés, qui devaient, sous peine de pénalité financière, conclure un accord d'entreprise ou à défaut élaborer un plan d'action comportant « des engagements en faveur de la formation et de l'insertion durable des jeunes dans l'emploi, de l'emploi des salariés âgés et de la transmission des savoirs et des compétences ».

Dans son rapport public annuel pour 2016 76 ( * ) , la Cour des comptes a dressé un constat d'échec du dispositif des contrats de génération, qui a été abrogé par l'ordonnance du 22 septembre 2017.

La Cour des comptes soulignait que, fin 2015, seuls 40 300 contrats assortis d'une aide avaient été signés, alors que 220 000 étaient espérés à cette date, avec un objectif de 500 000 contrats fin 2017 77 ( * ) .

Cet échec s'explique selon la Cour des comptes par l'illisibilité du dispositif en dépit du montant substantiel de l'aide financière et de l'exclusion d'un grand nombre d'entreprises de plus de 300 salariés ou appartenant à des groupes de plus de 300 salariés 78 ( * ) . En outre, la Cour soulignait que les décisions d'embauche des entreprises dépendent de leur propre activité économique davantage que du caractère avantageux du dispositif d'aide.

S'agissant du second volet, la Cour des comptes relevait que la dynamique de négociation « s'est révélée très limitée dans son contenu ».

c) Le recentrage des contrats aidés sur d'autres publics prioritaires

Les contrats aidés n'ont jamais été réservés aux seniors même si une dérogation à la durée maximale de 24 mois existait pour les personnes âgées de plus de 50 ans.

Les seniors ne font plus partie des publics prioritaires des parcours emploi compétences (PEC) dans lesquels s'articule la politique de contrats aidés depuis 2018. La circulaire du 31 janvier 2019 79 ( * ) mentionne en effet les seules personnes handicapées, jeunes et personnes résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) comme devant faire l'objet d'une attention particulière.

d) Des dispositifs toujours en vigueur connaissant un succès limité

Le contrat de professionnalisation est un contrat de travail en alternance permettant à son titulaire de bénéficier d'une formation visant à l'obtention d'un titre ou diplôme.

Les employeurs qui concluent un contrat de professionnalisation avec des demandeurs d'emploi de plus de 45 ans peuvent bénéficier d'une aide de l'État et d'exonérations sociales. Ce dispositif peine à décoller. Selon une étude de la Dares publiée en mars 2018, le nombre de contrats de professionnalisation conclus avec des personnes de plus de 45 ans est passé de 2 600 en 2012 à 3 000 en 2016.

Par ailleurs, un employeur non-agricole peut embaucher pour un contrat d'une durée maximale de 18 mois renouvelable une fois un demandeur d'emploi inscrit depuis au moins trois mois ou bénéficiant d'une convention de reclassement personnalisé « afin de faciliter son retour à l'emploi et de lui permettre d'acquérir des droits supplémentaires en vue de la liquidation de sa retraite à taux plein ». Ce type de contrat n'ouvre droit à aucune aide ou exonération spécifique mais échappe aux règles encadrant le recours au CDD en matière de motif de recours et de délai de carence 80 ( * ) .

Le faible recours au « CDD senior » s'expliquerait en partie par le fait que la majorité des embauches de salariés âgés en CDD se fait dans le cadre général, les règles de droit commun n'étant en réalité pas excessivement contraignantes pour les entreprises.


* 66 Cette différence est en partie due à un effet de composition, les personnes percevant les salaires les moins élevés sortant plus tôt du marché du travail.

* 67 Le rapport de France stratégie met en effet en lumière le fait que le ratio des salaires des 55-64 ans rapporté à celui de 25-54 ans était en 2016 de 1,2 contre 1,1 en moyenne dans l'OCDE et 1,08 en Suède.

* 68 Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, article 1 er .

* 69 Insee références, Formation et emploi, édition 2018.

* 70 Dares résultats n° 009 février 2019La formation professionnelle des personnes en recherche d'emploi en 2016 et 2017

* 71 Dares analyses, juin 2016 n° 31 Formation professionnelle : quels facteurs limitent l'accès des salariés seniors ?

* 72 Source : Drees, Les retraités et les retraites - édition 2019.

* 73 Décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d'assurance chômage.

* 74 En application de l'article 57 de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, le Gouvernement a transmis en septembre 2018 un document de cadrage définissant la trajectoire financière et les objectifs d'évolution des règles sur lesquels il demandait aux partenaires sociaux de s'entendre. Ceux-ci n'étant pas parvenus à trouver un accord, il revenait au Gouvernement, en application de l'article L. 5422-20 du code du travail, de déterminer les règles de l'assurance chômage. Ces nouvelles règles sont applicables à compter du 1 er novembre 2019 et jusqu'au 1 er novembre 2022.

* 75 Luc Behagel, Bruno Crépon et Béatrice Sédillot, Contribution Delalande et transitions sur le marché du travail, Économie et statistique n° 372, 2004.

* 76 Cour des comptes, rapport public annuel 2016, février 2016.

* 77 La Cour relevait en outre que près des deux tiers des jeunes concernés étaient déjà présents dans les entreprises concernées.

* 78 Cette exclusion s'expliquait par la crainte de voir apparaître des appariements « factices » entre le jeune recruté et le senior maintenu dans l'emploi.

* 79 Circulaire n° DGEFP/SDPAE/MIP/METH/MPP/2019/17 du 31 janvier 2019 relative au Fonds d'inclusion dans l'emploi en faveur des personnes les plus éloignées du marché du travail (parcours emploi compétences, insertion par l'activité économique, entreprises adaptées, groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification).

* 80 Bien que les dispositions légales relatives à l'indemnité de précarité ne s'appliquent pas au CDD senior, l'ANI du 9 mars 2006, étendu par les arrêtés du 12 juillet et du 26 juillet 2006 prévoit une indemnité de même nature.

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