B. UNE BAISSE DU POIDS DES PROMOTIONS EN GRANDE SURFACE

Mécaniquement, le taux de produits vendus sous promotions a été réduit dans la grande distribution depuis l'adoption de la loi. Cela provient avant tout d'un recul du taux moyen des promotions reculant de deux points sur les produits alimentaires 29 ( * ) . De même, le poids des ventes sous promotions des produits alimentaires a baissé à 18,5 % selon Nielsen, soit - 0,9 point par rapport à 2018.

Sur les produits du rayon droguerie, parfumerie, hygiène, où l'encadrement ne s'applique pas, le taux de générosité a augmenté, même si le poids du chiffre d'affaires sous promotion n'a pas fondamentalement évolué. Nul doute que lors des prochaines négociations commerciales, ces produits étant devenus des produits d'appel, cette tendance devrait être modifiée.

C. UN TEXTE TROP RIGIDE POUR DE NOMBREUX ACTEURS ÉCONOMIQUES

L'objectif de la mesure était de mettre fin à la guerre des prix et de redonner une « valeur » aux produits, aux yeux du consommateur.

Toutefois, cette mesure doit aussi se confronter aux réalités économiques du commerce et ne doit pas être préjudiciable à des acteurs territoriaux bien implantés. Un encadrement trop strict des promotions applicable sans période de transition est certes une mesure symboliquement forte mais qui peut, par excès de rigidité, aboutir à déstabiliser des filières agricoles françaises.

Cette position avait été défendue au Sénat lors des débats sur la loi Egalim. À l'initiative du rapporteur de la loi, M. Michel Raison, le Sénat avait tenté d'assouplir le régime en excluant de l'encadrement les promotions qui ont pour seul objet l'écoulement des marchandises en stock, ainsi que celles portant sur des denrées dont le caractère saisonnier ou périssable est particulièrement marqué et dont la liste aurait été fixée par décret.

Cette mesure n'a toutefois pas été retenue par l'Assemblée nationale. Il en est résulté un encadrement qui, bien qu'ayant été consensuel au moment des États généraux, se révèle au mieux problématique pour de nombreuses entreprises françaises, voire en totale contrariété pour certains produits avec l'esprit de la loi Egalim. Ce phénomène s'explique uniquement par cet excès de rigidité qui avait été anticipé lors des travaux parlementaires.

1. Un taux plafond devenu taux plancher pour les fournisseurs qui ne nécessitaient pas de taux élevés de promotions avant la loi

L'encadrement des promotions a, tout d'abord, eu l'effet d'une rigidification par le haut . Le « plafond » de promotions s'est transformé en « plancher », forçant toutes les entreprises, y compris les plus vertueuses qui vivaient très bien avec moins de promotions que la moyenne avant l'adoption de la loi, à augmenter considérablement leurs taux de promotion.

Ainsi, le taux de rabais est-il passé de 22 % à 28 % pour les fruits au sirop entre le premier semestre 2018 et le premier semestre 2019, selon l'IRI.

Les normes de 25 % de promotions en volume et de 34 % de promotions en valeur sont ainsi devenues les seuils de base à atteindre lors des négociations commerciales.

C'est ce que confirme M. Dominique Amirault, président de la FEEF : « en ce qui concerne l'encadrement des promotions, plusieurs fournisseurs nous ont alertés sur le fait que les seuils promotionnels à ne pas dépasser étaient progressivement devenus la norme. Cette dérive est inquiétante. »

Pour ces entreprises, l'encadrement des promotions aura été totalement à contre-courant de l'esprit des États généraux : non seulement, elles ont dû augmenter leur taux de promotions alors même que la mesure entendait le réduire ; mais, surtout, la hausse de leur taux de promotions est devenue une charge pour les entreprises dans la mesure où en pratique ce sont les producteurs qui les financent.

2. Une mesure posant de graves difficultés pour les fournisseurs de produits saisonniers

L'encadrement des promotions a également, pour les entreprises proposant des taux de promotions plus élevés que les plafonds définis dans l'ordonnance, exercé une rigidification par le bas qui pose de graves difficultés à plusieurs entreprises françaises, surtout des PME et ETI.

Les produits saisonniers sont les plus exposés à l'encadrement des promotions en volume.

Pour certains produits, le chiffre d'affaires se réalise très majoritairement en promotions. C'est le cas pour le foie gras (68 % du chiffre d'affaires sous promotion), les galettes des rois ou les bûches (61 %), les chocolats (58 %) notamment à la période de Pâques, les champagnes, les saucissons ou le pain d'épices 30 ( * ) .

Pour les entreprises produisant ces denrées, modifier radicalement leur modèle de vente en moins d'un an n'était matériellement pas possible.

D'autant que, pour ces produits, le consommateur agit par le biais d'« achats impulsifs ». À défaut de promotion, le consommateur diminue ses achats et pénalise ainsi certaines filières.

Certes, une solution pour ces opérateurs serait de proposer un « prix choc » en baissant le prix unitaire d'achat. Toutefois, les premières expérimentations de cette nouvelle pratique commerciale depuis le début d'année font état d'un recul significatif du chiffre d'affaires des entreprises concernées.

Lors de ses auditions, le groupe de suivi a constaté la détresse de plusieurs dirigeants des entreprises des filières concernées qui ont subi une chute de leur chiffre d'affaires sur le début d'année. Ils craignent, en l'absence de promotions pour les fêtes de fin d'année, un recul encore plus important de leur activité dans les mois à venir.

Pour la filière foie gras, dont près des 2/3 des ventes se réalisent lors des fêtes de fin d'année sous promotions, les chiffres depuis le début d'année font état d'un recul des ventes de près de 25 % en volume depuis le début d'année. Or la grande distribution représente une part très importante des débouchés de la filière. Certaines entreprises auditionnées projettent un recul de 50 % de leur chiffre d'affaires sur l'année. Après deux années de crise de production, des producteurs pourraient ne pas s'en relever. En outre, compte tenu des difficultés d'écoulement en volume, les entreprises se livrent une véritable guerre des prix sur les marchés résiduels de foie gras, notamment à l'export, mais aussi sur d'autres produits. La loi Egalim aurait donc, pour certaines filières comme le foie gras, paradoxalement renforcé... la guerre des prix.

Il en va de même pour la filière champagne. Une bouteille sur deux est vendue en promotion. Sur les six premiers mois, les volumes de ventes de champagne ont été réduits de 21 %.

D'autres produits comme le saumon fumé ou les chocolats pourraient être impactés de la même manière.

Une question particulière peut être posée pour la filière porcine qui, chaque année, est confrontée à un besoin d'écoulement de ces produits en janvier après les fêtes de fin d'année.

Un problème particulier :
les promotions des produits porcins aux mois de janvier et septembre

Si des opérations promotionnelles sur les produits alimentaires périssables sont susceptibles de désorganiser les marchés, l'article L. 443-1 31 ( * ) du code de commerce dispose qu'un arrêté interministériel ou à défaut préfectoral peut encadrer la périodicité et la durée de ces opérations.

Les ministres chargés de l'agriculture et de l'économie ont sur ce fondement pris, dans un contexte de crise porcine, depuis 2015, des arrêtés, d'une durée d'un an, pour encadrer les opérations promotionnelles de la viande porcine fraîche.

Aux termes de l'arrêté du 27 novembre 2017, en dehors des périodes des fêtes de début d'année et de la sortie de l'été où les opérations sont utiles pour désengorger le marché, aucune opération promotionnelle mettant en avant des prix inférieurs à 40 % du prix moyen hors promotion du mois précédent ne pouvait être prise.

Cet encadrement des promotions par arrêté, lorsque celles-ci sont susceptibles de désorganiser le marché, utilisé depuis 2015 pour la viande fraîche de porc, devra désormais respecter les seuils définis dans l'ordonnance, notamment 34 % en valeur. C'est d'ailleurs pourquoi, à la connaissance du groupe de suivi, aucun arrêté sur la viande fraîche de porc n'a été pris pour réglementer spécifiquement les promotions sur ces produits en 2019.

Toutefois, cela peut poser des difficultés particulières pour les mois de janvier et de septembre, quand les producteurs porcins ont besoin d'écouler leurs produits.

Si cette situation ne sera pas problématique cette année compte tenu de la situation particulière du marché du porc, les producteurs français tournant, sans doute, leur production vers l'export, le besoin de dégagement pourrait se faire sentir de nouveau dans les années à venir.

3. L'encadrement pose des difficultés en matière de concurrence en ajoutant des boulets aux pieds des PME contre les grandes marques

Enfin, l'encadrement des promotions pose des difficultés pour certaines PME positionnées sur des marchés dominés par des grands groupes.

Ces PME n'ont pas toutes les moyens de réserver un espace publicitaire en « prime time » à la télévision, d'imprimer une double page publicitaire dans un grand quotidien ou de passer dans les matinales à la radio.

Le seul moyen pour exister aux yeux des consommateurs face à des firmes multinationales ayant un budget publicitaire très important, ce sont les promotions en rayon.

C'est pourquoi certaines d'entre elles réalisent une part significative de leur chiffre d'affaires sous promotion en grande surface, avec parfois une part supérieure à 50 %.

Avec l'encadrement des promotions imposé par la loi Egalim à 25 % sur leur volume d'affaires, les PME ne peuvent plus utiliser cet outil marketing et ne sont donc plus concurrentielles face aux budgets publicitaires des grandes marques.

Claude Genetay, directeur général d'Intermarché et de Netto, l'a confirmé devant la commission des affaires économiques du Sénat lors de son audition le 5 juin 2019 : « des PME, qui ne peuvent pas se payer de force de vente et de publicité, ont un business model basé sur les promotions. Certaines dépassaient allégrement le taux de 25 % : on leur a retiré leur levier principal pour exister . »

Les dernières données de Nielsen démontrent, au reste, que ce sont les PME qui ont le plus dû reculer leur poids des ventes sous promotion depuis le début d'année.

Source : Nielsen Scantrack P6 2019, transmis par la FEEF

Perdant en attractivité, ces PME voient leur chiffre d'affaires reculer : depuis la promulgation de la loi Egalim, certaines entreprises ont perdu en moins d'un an un tiers de leur chiffre d'affaires dans la grande distribution.

L'encadrement des promotions, en ce sens, contribue à renforcer les grandes marques dans les linéaires en grande distribution, au détriment des PME.

Cette analyse est d'ailleurs partagée par l'Autorité de la concurrence 32 ( * ) qui estime que l'encadrement des promotions induit un biais en faveur des grandes marques ayant une plus grande profondeur de marques . Ces dernières pourront augmenter les promotions en volume sur certains produits et compenser par de moindres promotions sur d'autres produits tandis que les PME ne pourront jouer sur cet effet de péréquation ayant le plus souvent qu'un très faible nombre de références. De même, cet encadrement renforce les barrières à l'entrée du côté des fournisseurs car les promotions permettent à un fournisseur entrant sur un marché d'accroître sa notoriété.

4. Une mesure déjà contournée

Cet encadrement des promotions pose donc de sérieuses difficultés pour les PME et ETI alors même qu'il est totalement contourné par de nombreuses marques.

En effet, dans les grandes surfaces, tous les consommateurs ont déjà constaté de nouvelles pratiques promotionnelles qui contournent totalement l'esprit de la loi.

Trois d'entre elles doivent être mises en avant :

- la première consiste à réaliser un cagnottage sans l'affecter à un produit. Cela se traduit non plus par une remise sur carte de fidélité si le montant total d'achat d'un produit d'une marque est supérieur à un seuil mais plutôt à une remise sur carte de fidélité si le montant total d'achat dans le rayon par exemple est supérieur à un seuil. Cela pourrait se traduire par les promotions du type : « 10 euros de remise sur carte de fidélité si le montant total des produits du rayon est supérieur à 100 euros » ;

- la seconde revient à baisser simplement le prix de vente en annonçant un « prix choc ». Plutôt que d'annoncer un prix avant et après promotions, pour inciter les consommateurs à inclure le produit dans leur panier, les enseignes insistent sur l'événement que constitue la vente de ces produits à un prix cassé ;

- enfin, la troisième rassemble l'ensemble des « ventes avec primes » du type : « un lot de yaourt offert pour un pot de miel acheté ».

L'objectif de l'encadrement en promotions était, symboliquement, d'interdire les promotions du type « 1 produit acheté, 1 produit offert » pour les limiter à la promotion « 2 produits achetés, 1 produit offert ». Dès lors que ce sont les mêmes produits qui sont proposés, aller au-delà de ces 34 % de promotions en valeur est interdit.

Or cela ne semble pas être le cas si les produits sont différents. Il est possible d'imaginer une promotion du type « une boîte de foie gras achetée, une boîte de confit de canard offerte ». Le principe d'une dévalorisation des produits agricoles aux yeux des consommateurs demeure.

Un exemple plus caricatural encore pourrait être imaginé et consister à proposer « une bouteille de champagne brut achetée, une bouteille de champagne demi-sec offerte » pour contourner l'encadrement en promotions en valeur.

Certes, ces exemples ne sont pas majoritaires mais traduisent la facilité qu'ont les distributeurs à imaginer des systèmes s'éloignant de l'esprit de la loi. Il est possible que ces contournements ne bénéficient qu'aux produits de grandes marques, les plus concernés par les promotions, notamment en catalogue, et accroissent encore le désavantage subi par les PME et ETI.

Enfin, il convient de rappeler que l'Autorité de la concurrence estime que ces mesures pourraient ne pas s'appliquer aux distributeurs implantés à l'étranger. Elle rappelle à cet égard que le Sénat avait tenté d'introduire un article 10 bis A qui visait à conférer aux dispositions de l'article L. 441-7 du code de commerce la qualité de « loi de police » selon les règles du droit international privé. Cela aurait eu pour effet de rendre applicables l'encadrement à tout contrat qui a pour objet l'approvisionnement d'un acheteur de produits destinés à la revente sur le territoire français.

5. Des premières corrections apportées par le Gouvernement, dont la robustesse juridique est limitée

La DGCCRF a publié des « lignes directrices » en mars 2019 pour préciser l'interprétation qui présidera l'action des services de contrôles sur l'encadrement des promotions. La DGCCRF se réserve une possibilité de tenir compte « dans certains cas de la situation particulière du fournisseur du fournisseur au regard de l'impact de l'encadrement en volume des avantages promotionnels. La nécessité d'une telle prise en compte sera appréciée au cas par cas et à la lumière d'éléments objectifs relatifs à la situation financière du fournisseur, ainsi qu'à celle de son exploitation et de la continuité de cette dernière. »

La DGCCRF se réserve donc le droit d'exonérer du respect du dispositif d'encadrement des promotions en volume des entreprises au cas par cas , preuve que le Gouvernement semble conscient des effets de bord du dispositif. Des dérogations de ce type ont déjà été accordées. Or ces exonérations se font sans base juridique claire et pourraient donc être fragiles en cas de contestation devant le juge.

*


* 29 Baisse de la générosité des discounts

* 30 Nielsen

* 31 Anciennement L. 441-2

* 32 Avis n° 18-A-14 du 23 novembre 2018 relatif au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page