B. UNE CRISE DES VOCATIONS

L'augmentation du nombre ou de la gravité des violences semble avoir un impact évident sur la vocation de sapeurs-pompiers puisqu'elles font parfois reculer celles ou ceux souhaitant devenir sapeurs-pompiers volontaires ou professionnels. Elles poussent également les pompiers déjà en exercice à envisager leur reconversion professionnelle . Les témoignages recueillis par vos rapporteurs sont unanimes et explicites :

« Les agressions verbales, c'est tous les jours, les agressions physiques de plus en plus. On ne peut plus, ce n'est plus possible [...] Lors de ma dernière agression, on m'a cassé deux dents. C'était une intervention basique sur un dépressif qui a fait un malaise et ça a fini en bagarre. Je me suis retrouvé quarante minutes au sol à me battre. On n'est pas protégé. Ce n'est plus le même métier. Lorsque nous sortons d'un véhicule, nous devons regarder en l'air : on a peur de se faire caillasser du haut des immeubles, de se faire cracher dessus, de se prendre des pavés... En intervention, nous fermons le véhicule avant de partir par peur de se faire voler. On rentre chez nous avec la boule au ventre. Aujourd'hui, je me pose la question mais je pense que, tôt ou tard, j'arrêterai mon métier » 26 ( * ) .

Les effets du découragement des vocations ayant pour cause les violences subies par les sapeurs-pompiers sont pour l'heure difficilement quantifiables. S'il n'est pas traité, ce phénomène risque néanmoins d'annihiler l'ensemble des efforts fournis en vue de redynamiser le recrutement de pompiers et notamment de sapeurs-pompiers volontaires qui représentent 79 % des effectifs 27 ( * ) . Ces efforts se matérialisent aujourd'hui par le plan d'action 2019-2021 pour les sapeurs-pompiers volontaires qui a été mis en place par la DGSCGC et qui comporte 37 mesures qui ont pour premier objectif de susciter des vocations 28 ( * ) .

C. LA FORMATION D'UNE BULLE DE DÉTRESSE PSYCHOLOGIQUE

Vos rapporteurs ont été saisis par la grande détresse des sapeurs-pompiers rencontrés. Ils ont choisi de consacrer leur carrière professionnelle ou leur temps libre à porter secours à leur prochain, de manière volontaire et altruiste. Et ils ne comprennent pas que cet engagement leur vaille d'être pris pour cible. Cette incompréhension les imprègne d'un sentiment acide allant parfois jusqu'à la remise en cause de leur propre engagement.

Là aussi, ce mal-être est difficilement quantifiable. Néanmoins, une étude menée par la mutuelle Intérial auprès d'un large panel de fonctionnaires territoriaux 29 ( * ) montre des signes tangibles auprès des agents des SDIS. Ceux-ci semblent à première vue en bonne santé puisqu'ils le considèrent eux-mêmes à 95 %, soit un point au-dessus de la moyenne des Français, jugent leur alimentation équilibrée 30 ( * ) et pratiquent régulièrement une activité physique 31 ( * ) . Des indices démontrent pourtant un mal-être psychologique grandissant.

Ainsi, les agents des SDIS ne souffrent pas nécessairement plus de troubles du sommeil que le reste de la population mais ces troubles sont deux fois plus souvent attribués à leur travail (dans 61 % des cas, contre 28 % pour le reste de la population). L'étude démontre également chez eux une forme de fatalisme face aux situations inhabituelles et traumatisantes. Ils y sont trois plus souvent confrontés que le reste de la population puisque 28 % des agents des SDIS déclarent avoir vécu une telle situation, contre 11 % pour le reste de la population. Néanmoins, 51 % des agents des SDIS concernés n'ont rien fait de particulier à la suite de cette situation alors que ce taux est de 26 % pour le reste de la population. Enfin, les agents des SDIS n'ont pas davantage de pensées suicidaires que le reste de la population (11 % contre 21 %) mais n'en parlent pas lorsque cette situation se produit (66 % d'entre eux ne le font pas, contre 58 % pour le reste de la population).

Selon cette étude, le portrait type de l'agent de SDIS est donc une personne en bonne santé physique mais que son travail empêche souvent de dormir, qui est fréquemment confrontée à des traumatismes sans pour autant juger nécessaire d'y faire suite d'une quelconque manière. Elle n'a pas plus de pensées suicidaires que les autres mais a plus de difficultés à chercher une aide extérieure pour y faire face.

Ce constat est corroboré par le groupe de travail national santé sécurité prévention, constitué par plusieurs acteurs de la sécurité civile, qui relevait en 2014 que « des différents retours collectés, il a pu ainsi être dénombré en 2010, sur un échantillon représentatif de plus de 75 % de la population des sapeurs-pompiers et autres agents des SDIS, 37 cas de suicides avérés, soit un taux de mortalité par suicide légèrement supérieur à 19 cas pour 100 000, ce qui reste légèrement inférieur au taux relevé au sein de la population générale » 32 ( * ) .

Ces signes inquiètent vos rapporteurs. Combiné à une pression opérationnelle croissante, ce contexte de violence pourrait, à terme, conduire à un malaise grandissant au sein des personnels du même type que celui qui touche aujourd'hui les forces de sécurité intérieure.


* 26 Témoignage de Julien, 31 ans, sapeur-pompier du SDIS 13, recueilli par Public Sénat à l'occasion du déplacement de vos rapporteurs dans les Bouches-du-Rhône en juillet 2019. Vidéo disponible à l'adresse suivante : https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/violences-contre-les-pompiers-un-jour-je-vais-arreter-mon-metier-144657

* 27 Les statistiques des SDIS, édition 2018, page 26.

* 28 Voir la plaquette du ministère de l'intérieur à l'adresse suivante :

https://www.pompiers.fr/sites/default/files/publications/file/plan_d_action_volontariat_pompiers_2019-2021.pdf

* 29 Étude réalisée par la mutuelle Intérial afin d'établir un baromètre « santé et prévention » dont un volet porte sur la fonction publique territoriale dont les agents des SDIS. Elle a été réalisée de mars à avril 2019 sur la base d'un questionnaire auto-administré en ligne auprès des 6 268 adhérents que compte cette mutuelle parmi les agents territoriaux, dont 248 agents de SDIS. Un benchmark réalisé par l'institut CSA auprès de 1 000 individus de la population française sert d'étalon à cette étude.

* 30 À 84 % contre 82 % dans la fonction publique territoriale et 77 % dans la population française.

* 31 À 77 % contre 54 % dans la fonction publique territoriale et 52 % dans la population française.

* 32 Groupe de travail national santé sécurité prévention, La prévention et l'accompagnement des conduites suicidaires chez les sapeurs-pompiers, février 2014.

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