II. DES MESURES PERTINENTES À PÉRENNISER, SOUS RÉSERVE D'AJUSTEMENTS PONCTUELS DESTINÉS À EN GARANTIR LA PLEINE EFFICACITÉ

Au cours de ses travaux, la mission a constaté un consensus de l'ensemble des acteurs concernés, judiciaires comme administratifs, sur l'efficacité des quatre mesures introduites par le législateur, dans un contexte de menace terroriste durable et élevée. C'est pourquoi elle suggère de les pérenniser à l'issue de la période d'expérimentation de trois ans .

Les deux premières années de mise en oeuvre permettent toutefois de conclure à la nécessité d'y apporter quelques ajustements ou compléments afin d'assurer la pleine efficacité de l'arsenal antiterroriste . Guidée par le même souci d'équilibre entre efficacité de la lutte antiterroriste et protection des droits et libertés constitutionnellement garantis qui avait inspiré le Sénat en 2017, elle estime toutefois nécessaire de faire preuve de prudence dans cet exercice : elle n'a pas souhaité, en conséquence, donner suite à l'ensemble des souhaits d'assouplissement exprimés par les services, afin de ne pas fragiliser, sur le plan constitutionnel, les dispositifs créés.

A. LES PÉRIMÈTRES DE PROTECTION : UN EFFORT D'HOMOGÉNÉISATION À CONDUIRE

1. Une mise en oeuvre fréquente, mais qui demeure fortement hétérogène

La possibilité d'instaurer des périmètres de protection a été beaucoup utilisée par les préfectures, et ce dès l'entrée en vigueur de la loi.

Au total, 504 arrêtés préfectoraux ont été pris, dont 228 14 ( * ) entre le 1 er novembre 2017 et le 31 octobre 2018 et 276 entre le 1 er novembre 2018 et le 31 décembre 2019.

Nombre de périmètres de protection instaurés, par mois

Source : commission des lois du Sénat.

L'hétérogénéité dans le recours à cette mesure, constatée par la mission l'an passé, a été confortée en 2019.

Sur le plan temporel tout d'abord, la mise en oeuvre des périmètres de protection se révèle très saisonnière , avec des pics notamment observés à l'approche de Noël, de la période estivale ou de certains évènements d'ampleur nationale (coupe du monde de football par exemple, en juillet 2018).

Au plan géographique ensuite, alors que 35 départements n'ont jamais instauré de périmètres en deux ans, d'autres en ont en revanche un usage très régulier. Parmi les départements y recourant le plus figurent le Nord, avec 51 arrêtés, les Alpes-Maritimes (32 arrêtés), Paris (30 arrêtés), le Var (28 arrêtés) et le Loiret (25 arrêtés).

Répartition géographique des périmètres de protection
au 31 décembre 2019

Source : commission des lois du Sénat via l'application Khartis.

Cette forte hétérogénéité géographique s'explique en partie par une exposition inégale au risque de terrorisme et une concentration d'évènements dans certains territoires. Elle révèle toutefois également une appropriation encore différente, selon les préfectures, des mesures introduites par la loi « SILT » . Il convient, à cet égard, de souligner que certains départements fortement peuplés et accueillant des évènements d'ampleur n'ont connu aucun périmètre de protection en deux ans, à l'instar du département des Bouches-du-Rhône, où plusieurs visites présidentielles se sont pourtant déroulées depuis l'entrée en vigueur de la loi. Cette observation laisse à penser que certains préfets continuent de faire appel, pour la protection d'évènements, à leurs pouvoirs de police générale ou à d'autres dispositifs de sécurisation.

Il serait, pour autant, réducteur d'en conclure à la redondance des périmètres de protection par rapport aux autres dispositifs de police administrative. Les personnes et institutions entendues par la mission ont en effet, à l'unanimité, fait état à la fois de l'utilité et de l'efficacité de cette mesure qui facilite la sécurisation d'évènements importants tout en étant le seul outil permettant d'associer, avec une grande souplesse, forces de l'ordre étatiques, police municipale et personnels de sécurité privée .

Force est également de constater que l'introduction, dans la loi, d'un fondement législatif spécifique permet d'encadrer strictement la réalisation des contrôles et d'offrir des garanties appropriées en termes de préservation de la vie familiale et professionnelle des personnes résidant dans ces périmètres.

2. Des périmètres utilisés pour protéger des évènements plus que des lieux

Dans une grande majorité des cas, les périmètres de protection ont été instaurés pour assurer la protection d'un évènement , qu'il s'agisse d'un évènement ponctuel, d'une durée maximale de quelques jours, ou d'un évènement de plus longue durée, à l'instar des marchés de Noël, qui nécessitent des périmètres de protection de plusieurs semaines.

Dans moins de 5 % des cas seulement , le recours aux périmètres de protection était lié à la nécessité d'assurer la sécurisation de lieux . Au total, seuls sept lieux ont été concernés sur l'ensemble du territoire national :

- la Gare de Lille Europe (1 périmètre de protection renouvelé neuf fois) ;

- la Gare du Nord à Paris (1 périmètre de protection renouvelé une fois) ;

- le Port de Dunkerque (1 périmètre de protection renouvelé sept fois) ;

- le centre nucléaire de Flamanville (1 périmètre de protection) ;

- le Mont Saint-Michel (7 périmètres de protection, dont 1 renouvelé une fois et 1 renouvelé deux fois) ;

- la préfecture de Charleville-Mézières (13 périmètres de protection) ;

- l'usine de Nobel Sport dans le Finistère (2 périmètres de protection).

À l'aune des travaux qu'il a menés, le rapporteur a observé, notamment au cours des premiers mois d'application de la loi, des difficultés d'appréhension du périmètre de la mesure par certaines préfectures , qui ont recouru aux périmètres de protection dans des situations et pour des motifs non conformes au cadre légal .

Il en a notamment été ainsi des périmètres mis en place autour de la préfecture de Charleville-Mézières et d'une usine située près de Notre-Dame-des-Landes , qui se justifiaient non par la prévention d'actes de terrorisme, mais pour des motifs d'ordre public .

Interrogé par le rapporteur sur ce point, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur a indiqué avoir adressé des instructions spécifiques aux préfets concernés pour éviter que de telles situations ne se reproduisent. Il n'en demeure pas moins que, faute de transmission immédiate des arrêtés préfectoraux à l'administration centrale, cette réaction s'est révélée tardive et n'a pas empêché que la pratique se reproduise, alors même que leur légalité était douteuse, à Charleville-Mézières pendant plusieurs semaines de suite comme à Notre-Dame-des-Landes, où un nouvel arrêté a été pris en 2019, plusieurs mois après le premier.

Par ailleurs, comme le rapporteur a déjà eu l'occasion de l'indiquer dans le rapport intermédiaire de la mission de décembre 2018, plusieurs préfectures ont instauré, pendant les premiers mois d'application de la loi, des périmètres de protection quasi permanents : autour de la gare de Lille Europe, de la gare du Nord à Paris, du port de Dunkerque et du centre nucléaire de Flamanville.

Si la sécurisation de tels lieux est bien évidemment justifiée, elle ne relève pas, de l'avis du rapporteur, du dispositif des périmètres de protection, créé par le législateur pour être ciblé sur des lieux temporairement soumis à une menace terroriste. D'autres dispositifs légaux permettent de protéger de manière adaptée et plus durable ces lieux, qu'il s'agisse du régime applicable aux opérateurs d'importance vitale 15 ( * ) , des dispositifs de protection des gares 16 ( * ) , des installations portuaires 17 ( * ) ou aéroportuaires 18 ( * ) . La mission se félicite que cette pratique, contestable en droit, ne se soit pas reproduite au cours de la seconde année d'application de la loi , le ministre de l'intérieur ayant adressé aux préfets des instructions strictes en ce sens.

A la lumière de ces observations, la mobilisation des périmètres de protection pour couvrir des lieux devrait donc, à l'avenir, être restreinte et ne concerner que certains lieux touristiques soumis, pendant des périodes d'affluence, à un risque élevé de menace terroriste.

3. Une mobilisation fréquente des agents de sécurité privée et des forces de police municipale

L'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure prévoit que les forces de sécurité de l'État puissent être assistées, dans la mise en oeuvre du périmètre de protection et la réalisation des contrôles à ses abords et en son sein, par des agents de sécurité privée et, sous réserve de l'accord du maire concerné, des agents de police municipale.

Dans la pratique, cette possibilité a été très fréquemment utilisée par les préfectures . Ainsi, seuls 12 % des périmètres de protection ont été gérés uniquement par les forces de police et de gendarmerie. Dans tous les autres cas, ont été mobilisés soit des agents de sécurité privée (22 % des périmètres), soit des agents de police municipale (6 % des périmètres), soit ces deux catégories d'agents de manière concomitante (60 % des périmètres).

Catégories d'agents mobilisés dans le cadre des périmètres de protection instaurés depuis le 1 er novembre 2017

Source : commission des lois du Sénat.

Le recours à la police municipale ainsi qu'à la sécurité privée a été significativement plus important au cours de la seconde année d'application de la loi .

L'exemple parisien en est une bonne illustration. Selon les données communiquées par la préfecture de police, 17 622 agents de sécurité privée ont été mobilisés sur les périmètres de protection de la capitale et des départements de la petite couronne, dont 2 020 au cours de la première année d'application de la loi, 14 547 au cours de la deuxième année et 1 055 au cours des premiers mois de la troisième année.

De même, les policiers municipaux ont été plus fréquemment mobilisés au cours de la deuxième année, leur participation aux contrôles ayant été prévue dans 69 % des cas en 2019, contre 58 % des cas en 2018.

Ainsi que l'a rappelé le Conseil constitutionnel, la participation de ces agents, et en particulier des agents de sécurité privée, aux opérations de contrôle aux abords d'un périmètre de protection n'est envisageable que s'ils sont placés sous le contrôle effectif et continu d'officiers de police judiciaire , afin de s'assurer qu'ils se limitent, dans la pratique, à faire application des prérogatives qui leur sont reconnues par la loi et par l'arrêté instaurant le périmètre.

Le rapporteur s'est interrogé sur les moyens effectivement mis en oeuvre par les autorités publiques pour garantir le respect de cette réserve d'interprétation dans la pratique. Il lui a été indiqué qu'une procédure ad hoc avait été mise en place à la préfecture de police de Paris, qui permet une vérification des opérations de contrôle réalisées par les agents de sécurité privée à l'aide du système de vidéo-protection. Aucune information n'a pu en revanche lui être communiquée concernant les pratiques dans les autres départements.

Aussi la mission invite-t-elle le ministère de l'intérieur à s'assurer de la bonne application de cette réserve dans la pratique, le cas échéant en renouvelant ses instructions aux préfets. Il estime en outre souhaitable que soit complété l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure afin de consacrer dans la loi la réserve d'interprétation constitutionnelle, en précisant que la participation des agents de sécurité privée doit être organisée non seulement sous la surveillance d'officiers de police judiciaire, comme le prévoit actuellement le texte, mais également sous leur contrôle permanent. Un tel ajout présente le mérite de faciliter la lecture et l'interprétation du cadre légal, notamment à destination des forces opérationnelles directement impliquées dans la construction des dispositifs.

Recommandation n° 2 :

Compléter l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure afin de consacrer, dans la loi, la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel relative aux conditions de mobilisation d'agents de sécurité privée dans les périmètres de protection.

4. Une appropriation juridique de la mesure encore perfectible

Au-delà des difficultés d'appréhension du champ de la mesure déjà évoquées, l'analyse des arrêtés préfectoraux instaurant des périmètres de protection a permis d'identifier certaines imprécisions et insuffisances dans leur rédaction, sources de fragilité juridique.

Certaines d'entre elles, dont le rapporteur avait fait état dans son bilan intermédiaire, ont trait au manque de précision dans la définition et l'organisation du périmètre : délimitation géographique imprécise des zones de contrôle, absence de définition des points d'accès au périmètre, absence d'indication des horaires d'activation et de fin du périmètre.

Ces difficultés, constatées lors des premiers mois ayant suivi l'entrée en vigueur de la loi, paraissent s'être estompées à mesure de la montée en puissance du dispositif , de son appropriation par les préfectures et des conseils apportés par l'administration centrale du ministère de l'intérieur.

Demeurent en revanche des faiblesses à deux niveaux.

En premier lieu, la motivation de certains arrêtés apparaît toujours insuffisante au regard des critères fixés par la loi . Dans un certain nombre de cas, les préfets se sont en effet bornés à des justifications générales et peu circonstanciées (« considérant la prégnance de la menace terroriste sur le territoire national »), sans faire état d'éléments factuels et concrets permettant d'étayer l'existence d'une menace terroriste. De même, la mission a observé que certains arrêtés ne justifiaient pas la mise en place de périmètres de protection au regard de l'ensemble des critères fixés par la loi, se contentant de faire état de l'ampleur de la fréquentation du lieu ou de l'évènement concerné sans préciser en quoi sa nature l'exposerait plus particulièrement à un risque d'actes de terrorisme.

À titre d'exemples :

- un périmètre mis en place autour de la foire aux vins de Colmar a été justifié uniquement par « la prégnance de la menace terroriste sur le territoire national » et par une fréquentation journalière pouvant « atteindre jusqu'à 30 000 personnes », sans aucune précision portant sur la nature de l'évènement ;

- de la même manière, un arrêté instaurant un périmètre autour du festival « Festa Maio » à Bastia n'évoque, outre « la prégnance de la menace terroriste sur le territoire national », que le fait que l'évènement soit « appelé à rassembler plus de 16 000 spectateurs sur 3 jours ».

En second lieu, la prise en compte de la situation des personnes devant accéder habituellement à l'intérieur du périmètre pour des raisons familiales ou professionnelles se révèle imparfaite . Tous les périmètres n'englobent pas, il est vrai, de lieux d'habitation ou à usage professionnel et ne justifient pas la prise de mesures spécifiques. Il apparaît toutefois que seuls 35 % des arrêtés préfectoraux pris depuis l'entrée en vigueur de la loi ont tenu compte de cette exigence posée par le législateur, une proportion qui paraît faible au regard de l'étendue géographique et de l'implantation, souvent urbaine, de nombreux périmètres.

Ces insuffisances fragilisent, assurément, les dispositifs de sécurisation mis en place . Il peut, à cet égard, être rappelé que l'unique recours formé à l'encontre d'un arrêté instaurant un périmètre de protection a justement conduit à sa suspension par le juge administratif, au motif qu'il n'avait pas aménagé les conditions d'accès pour des raisons professionnelles 19 ( * ) .

Au vu de ces constats, la mission, tout en se prononçant en faveur de la pérennisation du dispositif , juge souhaitable qu'outre les modèles d'actes administratifs et les instructions ponctuelles déjà diffusés aux préfectures, soit également établi un référentiel précis à destination des préfectures, nourris d'exemples concrets et rappelant le cadre légal, les différentes situations, catégories de lieux ou d'évènements justifiant la mise en oeuvre d'un périmètre de protection ainsi que les éléments nécessaires à la motivation de l'arrêté.

Elle recommande en outre que des instructions soient données aux préfets afin que les arrêtés instaurant des périmètres de protection soient transmis à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques dans les plus brefs délais . Il s'agirait, ce faisant, de permettre à cette dernière de s'assurer suffisamment tôt de la sécurité juridique des arrêtés et d'adresser, le cas échéant, des instructions aux préfets concernés.

Recommandation n° 3 :

Améliorer la sécurité juridique des arrêtés préfectoraux instaurant des périmètres de protection :

- en dressant, de manière complémentaire aux modèles d'actes et instructions ponctuelles déjà diffusés, un référentiel précis à destination des préfectures, précisant les situations justifiant un périmètre de protection et les éléments nécessaires à la motivation de l'arrêté ;

- en donnant des instructions claires aux préfets en vue d'une transmission sans délai des arrêtés à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur.


* 14 Ce chiffre est supérieur à celui présenté l'an passé à la commission des lois par le rapporteur dans son bilan intermédiaire. Le ministère de l'intérieur a en effet indiqué au groupe de travail que plusieurs arrêtés préfectoraux pris en 2018 ne lui avaient été transmis que plusieurs mois plus tard, ne permettant pas leur intégration dans les chiffres établis lors du bilan de la première année d'application de la loi.

* 15 Art. L. 1332-1 et suivants du code de la défense.

* 16 Art. L. 2251-1 et suivants du code des transports.

* 17 Art. L.. 5332-1 A et suivants du code des transports.

* 18 Art. L. 6341-1 et suivants du code des transports.

* 19 Tribunal administratif de Pau, ordonnance du 23 août 2019, Binet, n° 19011885.

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