TRAVAUX EN COMMISSION

Réunie le mercredi 17 juin 2020, la commission des affaires économiques a adopté le plan de relance et voté le rapport de la cellule de veille, de contrôle et d'anticipation du secteur « Logement, urbanisme et politique de la ville ».

Nous passons à la présentation du rapport de la cellule « Logement, urbanisme et politique de la ville ».

Mme Dominique Estrosi Sassone . - En introduction, je souhaite souligner que nous avons organisé de nombreuses auditions et entendu de nombreux acteurs au niveau national, mais nous avons aussi souhaité entendre des acteurs de terrain dans nos deux départements respectifs. Ce panorama nous a permis de mieux appréhender les problématiques liées à la gestion de la crise proprement dite tout en proposant des mesures permettant d'apporter des réponses à l'ensemble de nos concitoyens dans le domaine du logement.

« Quand le bâtiment va, tout va » dit l'adage. Force est de constater que l'arrêt presque total des chantiers fin mars a été l'un des symboles de la gravité de la crise sanitaire et économique et que le retour à la normale apparaîtra comme l'un des marqueurs d'une reprise voire d'une relance réussie. Nous sommes aujourd'hui à environ 93 % de chantiers ouverts. 69 % affichent un niveau d'activité normal avec un taux d'emploi de 93 % par rapport à la situation d'avant-crise.

Avant de parler de relance, il nous faut essayer de comprendre ce qu'il s'est passé. Faire le bon diagnostic est crucial. Les moyens mobilisables ne sont pas illimités et le logement au sens large est un secteur de temps long. Chaque année, on ne construit ou rénove qu'une infime partie du stock de logements existants - de l'ordre de 2 à 3 % au mieux sur 35,7 millions de logements en France en 2019. On construit pour des décennies voire beaucoup plus longtemps. L'immobilier est aussi un secteur aux multiples facettes et acteurs imbriqués. C'est également un instrument d'aménagement du territoire. Il faut donc essayer de se dégager des événements immédiats pour penser le temps long et la complexité. Cet exercice est évidemment difficile en ce moment mais tentons de poser quelques briques qui nous permettront de proposer de grandes orientations pour la relance.

Nous voudrions tout d'abord vous proposer de partager dix idées directrices sur l'analyse que nous faisons de la crise et qui font qu'il devra y avoir un avant et un après Covid-19.

La première idée est le lien entre l'architecture de nos villes et les épidémies. Nous l'avions oublié mais les épidémies du XIX e siècle, le choléra, la tuberculose, ont façonné la ville haussmannienne dans laquelle nous vivons. À l'époque déjà, les « hygiénistes », partisans de l'adaptation de la ville dense, s'opposaient au mouvement « prairiste » favorable à une ville à la campagne, plus saine et sûre, qui s'est plutôt développée dans les pays anglo-saxons.

En termes d'urbanisme, cela veut donc dire que, comme les épidémies passées, le Covid-19 va modifier nos villes et nos logements, car nous devons nous préparer aux épidémies futures en adaptant notre organisation urbaine.

La deuxième conviction est que la crise sanitaire que nous connaissons ne doit pas masquer la crise climatique et environnementale à venir. Sans adhérer à 100 % aux thèses qui lient agression de la biodiversité et pandémie, il ne faut pas céder au court termisme et abandonner de vue la menace de moyen long terme que constitue le changement climatique et renvoyer à plus tard toutes les transformations qu'il exige.

En termes de construction, cela se traduit par deux enjeux majeurs : la rénovation thermique des bâtiments, qui a jusqu'à présent piétiné, et la mise en oeuvre de l'objectif de « zéro artificialisation nette » ou de « sobriété foncière ».

Notre troisième conviction est que, si la crise sanitaire est peut-être derrière nous, tout du moins dans sa phase la plus aiguë, la crise économique et sociale est, elle, devant nous. Selon la Banque de France, il devrait y avoir un million de chômeurs de plus fin 2020 qu'il n'y en avait fin 2019 et le chômage devrait continuer à progresser en 2021 pour décroître ensuite tout en restant à un niveau très élevé. Dans le secteur du logement, cela veut dire plus d'aides, notamment les APL, plus d'impayés de loyer, plus de demandes de logements sociaux, plus de précarité et de concentration de pauvreté dans certains territoires.

Notre quatrième conviction est que la crise sanitaire, le confinement et l'arrêt des chantiers vont aggraver la crise du logement. Les promoteurs immobiliers et certains experts estiment que 100 000 logements pourraient ne pas être construits cette année, soit un quart des réalisations annuelles avec sans doute des effets d'entraînement négatifs sur 2021. Tous les observateurs ne s'accordent pas sur cette prévision, mais elle n'est pas fantaisiste, juste proportionnelle à un trimestre d'arrêt de l'activité.

Cela pose directement la question de « comment rattraper ce retard ? » dans un contexte où cette volonté d'accélérer pourrait buter sur la faillite d'un grand nombre d'entreprises, notamment de second oeuvre, le manque de main-d'oeuvre, les surcoûts et la baisse de la productivité liée aux « gestes barrière » et la complexité du droit de l'urbanisme.

Cinquièmement, et il s'agit plus d'une interrogation que d'une certitude, beaucoup d'acteurs sont très inquiets sur l'avenir de l'immobilier de bureau même si personne ne se hasarde à des pronostics. L'expérience que nous avons vécue de télétravail massif pendant plusieurs mois pourrait se traduire par une évolution durable des pratiques des entreprises et des salariés. C'est peut-être une double opportunité pour reconvertir des espaces de travail en logements dans les centres-villes et conduire les investisseurs institutionnels à se repositionner sur le logement.

Je cède maintenant la parole à Mme Annie Guillemot pour cette présentation à deux voix.

Mme Annie Guillemot . - Notre sixième conviction est que la crise a montré que le secteur du logement était en réalité une « chaîne » dont la solidité était celle de son maillon le plus faible. Il faut en avoir une vision écosystémique. Chacun y a sa place et aucun ne peut se passer du maillon suivant ou précédent. Dans ce jeu d'interdépendances, aucun acteur ne peut se sauver tout seul au détriment des autres. Il faut promouvoir une « chaîne de loyauté » et aider l'ensemble des acteurs à être plus résilients. On le voit bien en matière de surcoûts qui doivent être gérés au cas par cas en fonction des chantiers et des marges.

Notre septième idée est que, s'il y a une chaîne de production dans l'immobilier, il y a aussi un parcours résidentiel dont il nous faut maintenir la fluidité malgré la crise économique et qui est essentiel à l'équilibre de l'ensemble. Les sortants laissent leur place à de nouveaux entrants dans le parc social, les primo-accédants, notamment les jeunes ménages, permettent à leurs vendeurs d'être eux-mêmes acquéreurs.

Huitièmement point, la crise sanitaire a mis en lumière combien les Français étaient inégaux face au logement, sa taille et son éventuelle surpopulation, l'accès à des espaces extérieurs, son adaptation aux nécessités du télétravail ou sa proximité à un travail essentiel pour la nation.

Dans une étude parue au mois d'avril, l'Insee a montré que 5 millions de personnes vivaient dans un logement sur-occupé, la situation étant exacerbée dans les QPV d'Île-de-France et de la région PACA et pour les familles monoparentales avec de jeunes enfants. À l'inverse, l'isolement touche plus particulièrement 2,4 millions de personnes de plus de 75 ans et 1,2 million de personnes handicapées. Enfin, la fracture numérique est bien présente avec une absence de connexion à internet pour près de 12 % de la population, 53 % des plus de 75 ans mais également 3,5 % des enfants dans les familles monoparentales.

On a d'autant plus mal vécu le confinement qu'on est mal logé. La qualité du logement est donc un immense chantier, au même titre que la nécessité de fournir un logement aux travailleurs essentiels à proximité de leur lieu d'activité.

Neuvièmement, la crise a mis en lumière la situation des quartiers populaires car c'est là que se concentre le mal-logement dans toutes ses dimensions : insalubrité, sur-occupation, pauvreté, difficultés scolaires. Disons également, que la crise a révélé qu'en matière de politique de la ville, le roi était nu ! Les QPV sont essentiellement abordés sous les aspects sécuritaires et communautaristes, laissant de côté le travail scolaire, social et urbain.

Pourtant, il n'y a pas eu dans les quartiers l'explosion redoutée du fait du confinement même si on y a constaté de fortes tensions. Le confinement, qui y était beaucoup plus difficile qu'ailleurs, a été assez bien respecté. Mais le décrochage scolaire et la crise sociale y sont importants, faisant apparaître des besoins urgents, notamment alimentaires, et font craindre un découplage croissant avec le reste du pays.

La crise a aussi fait ressortir deux aspects fondamentaux de la politique de la ville telle qu'elle avait été dessinée par Jean-Louis Borloo : la question urbaine et architecturale : démolir et reconstruire autrement. Cela paraissait coûteux et inefficace à certains, cela se révèle tout simplement nécessaire, et la dimension « sociétale » : la politique de la ville doit poursuivre un objectif d'intégration.

Enfin, dixième leçon de la crise, la mise à l'abri quasi systématique des personnes à la rue ou en campement - près de 180 000 au total - a montré que la société changeait de point de vue. Il ne s'agit plus seulement d'humanité, il s'agit de préserver la santé de tous et, dès lors, il pourrait coûter moins cher de donner un toit à chacun plutôt que de prendre le risque de nouveaux clusters épidémiques. En termes d'hébergement d'urgence, cela induit deux grandes conséquences. Les hébergements collectifs, avec ce que cela implique de promiscuité, ne sont plus adaptés. On doit les restructurer sans pour autant réduire les capacités et la politique du « logement d'abord et accompagné » se révèle centrale.

Mme Dominique Estrosi Sassone . - Ces dix idées directrices nous conduisent à proposer quatre axes pour la relance du secteur de l'immobilier : construire plus, construire mieux, sécuriser l'accès au logement et relancer la politique de la ville.

Nous l'avons dit, la crise sanitaire va aggraver la crise du logement, car pendant un trimestre, le secteur de la construction aura été à l'arrêt. Comment rattraper ce retard au plus vite et durablement pour construire plus ? Il faut tout d'abord mobiliser les ressources. Un peu comme lorsqu'il a fallu faire face à la crise du logement de l'après-guerre, il nous faut nous appuyer sur trois acteurs :

- Le mouvement HLM, tout d'abord, car dans la crise sociale qui s'annonce, développer le logement abordable est l'une des clefs. Pour ce faire, il faut redonner aux bailleurs sociaux les moyens d'agir et revenir sur la réduction de loyer de solidarité (RLS), soit une ponction annuelle de 1,3 milliard d'euros à laquelle s'ajoute notamment une TVA qui n'est pas uniformément revenue à 5,5 %. Les offices publics de l'habitat (OPH) et les entreprises sociales pour l'habitat (ESH) ont proposé de s'engager sur 130 000 constructions neuves et 150 000 rénovations par an pendant trois ans si on leur redonnait les moyens financiers nécessaires.

- Le « 1 % logement » ensuite, c'est-à-dire la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC) versée à Action logement. Le groupe paritaire est aujourd'hui contesté dans son existence et ses objectifs, il doit se recentrer sur sa mission première et sa raison d'être : loger les salariés suivant sa politique propre plutôt que de financer des politiques publiques qu'il n'a pas décidées.

- Les investisseurs institutionnels enfin, on sait qu'en France ils se sont presque complètement retirés du marché du logement ne possédant que moins de 1 % des résidences principales. Or, la baisse des taux d'intérêt, les faibles rendements des actifs et leur volatilité constituent, sans doute, une opportunité historique alors que le logement offre une rentabilité stable et de faibles risques. Par ailleurs, la crise probable de l'immobilier de bureau pourrait conduire à reconvertir en logements des immeubles qui ont, au cours des décennies passées, été transformés en bureaux. Il faudrait quelques déclencheurs : considérer l'investissement locatif comme un investissement productif économiquement et socialement, garantir un taux de TVA à 5,5 % dans les opérations de transformation en logement, quelle que soit leur ampleur et, éventuellement, contraindre les assurances vie à consacrer une partie de leur encours au logement (1 800 milliards fin 2019 - 26 milliards de collecte). Avec 10 milliards d'euros, CDC Habitat va acheter plus de 40 000 logements. Cela donne une idée de l'impact que pourrait avoir le retour de ces grands investisseurs.

Pour permettre à cette mobilisation de produire tous ses effets, il faut ensuite simplifier la chaîne du logement. Le confinement a provoqué une rupture, notamment dans l'instruction des autorisations d'urbanisme. Si cet arrêt est loin d'avoir été uniforme et s'il a été amplifié par certaines décisions du Gouvernement, il a fait fleurir nombre d'idées pour accélérer les procédures. La numérisation fait l'unanimité, mais on peut se demander s'il est réaliste de vouloir aller plus vite compte tenu de sa complexité et alors qu'elle est déjà prévue pour le 1 er janvier 2022 et qu'elle est d'ores et déjà en oeuvre dans nombre de communes et métropoles. De même, beaucoup de propositions ont été formulées comme l'idée d'un « permis Covid » simplifié, celle d'un « permis déclaratif » soumis par un architecte en dessous du seuil où son intervention est obligatoire, ou encore celle de permettre à l'aménageur de pré-instruire ou des vérifications a posteriori .

Ce que nous constatons, c'est qu'il faut aujourd'hui plus d'un mandat de maire pour actualiser un plan local d'urbanisme (PLU) ou faire aboutir un projet. C'est trop long !

Devant la complexité du droit de l'urbanisme, qui a conduit le Gouvernement à corriger plusieurs fois les ordonnances sur les délais, nous ne croyons pas à un « choc de simplification » décidé d'en haut. Il faut au contraire consulter, prendre le temps de vérifier le caractère opérationnel des propositions et leurs éventuelles conséquences indésirables. Dans cette période où tout est urgent, c'est pourtant la seule vraie solution. Nous en appelons donc à un « Ségur de la simplification du droit de l'urbanisme » dès cet été pour se donner un cadre juridique plus agile pour relancer la construction.

Nous souhaitons aborder ensuite le second axe de relance que nous proposons : « construire mieux ». Il s'agit ici de promouvoir un immobilier compatible avec nos objectifs de développement durable, c'est-à-dire d'accélérer fortement la rénovation thermique des bâtiments et de rendre compatibles l'effort de construction et la sobriété foncière.

On le sait, la rénovation énergétique progresse presque deux fois moins vite que souhaité (288 000 rénovations par rapport à un objectif de 500 000) car elle représente d'importants investissements qui sont difficiles et longs à rentabiliser pour les propriétaires comme pour les locataires compte tenu des coûts de l'énergie.

Or, c'est un secteur crucial, susceptible de remplir le carnet de commandes des petites entreprises du bâtiment et diffuser la relance dans tous nos territoires. De plus, une importante épargne a été accumulée pendant le confinement et il serait logique qu'après cette épreuve, elle puisse être employée à améliorer l'habitat. Mais il faut pour cela que l'État consente, au moins temporairement, à inciter les Français qui en ont les moyens à le faire pour eux-mêmes en tant qu'occupant d'un logement ou comme bailleurs. Le Gouvernement a voulu focaliser « Ma Prime Rénov' » et le CITE sur les Français qui en avaient le plus besoin. Mais soyons pragmatiques, pour relancer l'économie, ne serait-il pas temps d'inciter les Français aisés à vider leur bas de laine ? Il faut donc élargir le CITE et modifier « Ma Prime Rénov' » pour servir de déclencheur temporaire aussi rapidement que possible. Nous sommes ici parfaitement d'accord avec l'une des propositions de la cellule « Énergie ».

Une seconde piste, moins connue, mérite d'être mise en avant, celle des « energy service company » (ESCO) que la Commission européenne veut promouvoir. Il s'agit d'entreprises qui portent le poids financier des grandes rénovations en s'endettant et en se remboursant grâce aux économies dégagées sur longue période.

« Construire mieux en construisant plus » c'est aussi répondre au défi de la sobriété foncière. La crise sanitaire a relancé les débats sur la vie et la ville à la campagne, mais, pas plus que dans Le Hussard sur le toit de Giono, la ruralité n'a protégé du virus... Hong-Kong, Séoul ou New-York ont été proportionnellement moins atteintes que bien des villages reculés d'Italie.

Il nous faut donc promouvoir une densité acceptable et acceptée - débat qu'il faut oser porter - et une densité adaptée à la crise que nous avons vécue avec des espaces extérieurs et partagés. Ayons conscience que quand il est possible de construire un R+4, il faut l'autoriser sinon on renchérit le logement.

Ne soyons pas des observateurs myopes et moutonniers, l'expérience du confinement en ville dense est aussi celui d'une solidarité retrouvée ou de la proximité des soins et des services accessibles à pied. Il y a aussi une densité de qualité qu'il faut promouvoir. Promouvons donc la proximité et la compacité de nos villes, c'est-à-dire la reconstruction de la ville sur la ville.

Mme Annie Guillemot . - Le troisième axe que nous vous proposons est : « sécuriser l'accès au logement ». La crise sanitaire a souligné combien le logement était, d'une certaine manière, un bien de première nécessité. Il nous faut donc travailler à sécuriser le fait d'accéder au logement et d'y demeurer. Préservons également la mobilité et le parcours résidentiel des ménages.

Pour certains, réduits aux hébergements d'urgence et aux hôtels, c'est le parcours vers le logement qu'il faut conforter. L'ensemble des associations considère comme une priorité l'accélération de la politique dite du « logement d'abord » et l'accompagnement social vers et dans le logement. Beaucoup a été fait ces dernières années, mais les quelque 180 000 personnes hébergées durant la crise disent le besoin criant de développer des solutions stables. La crise a aussi montré le besoin de solutions sanitaires pérennes, telles que les centres de desserrement mis en place pour les malades du coronavirus et d'équipes mobiles médico-sociales.

Cette politique doit s'accompagner d'une restructuration des hébergements collectifs ou en foyer pour les rendre résilients à de futures épidémies et fournir un logement plus digne. Mais cela ne doit pas se faire au détriment du nombre de places. L'effort financier est donc très important. Aujourd'hui, par exemple, 142 foyers de travailleurs migrants sont encore à rénover. Avant la crise, l'ambition était d'y parvenir en 2030... Comme le montre CDC Habitat, c'est un programme beaucoup plus ambitieux qu'il faut aujourd'hui mettre en oeuvre en termes de rénovation et d'achats d'hôtels. Le contexte actuel est peut-être une opportunité pour acquérir des infrastructures. Il convient aussi de s'appuyer sur un vrai savoir-faire financier pour mobiliser des fonds sur le long terme et équilibrer les opérations.

Il convient également de garantir le maintien dans le logement. La crise sociale fait craindre des impayés de loyer qui conduiraient à des expulsions. Cette crainte ne s'est pas pour le moment réalisée. Un moratoire des loyers a été écarté, les capacités financières des locataires ont été soutenues par l'activité partielle et des aides d'urgence. Un accompagnement au cas par cas est mis en place. Certains départements ou métropoles ont doté leur FSL de moyens supplémentaires. Dans ces conditions, on peut comprendre la réticence financière et technique du Gouvernement à venir abonder les FSL à hauteur de 200 millions d'euros comme la Fondation Abbé Pierre le demande. Mais trop tarder c'est prendre le risque de la constitution de situation d'impayés et de ne pas disposer de l'outil le moment venu. La circulaire aux préfets, que vient de signer Julien Denormandie, ne suffira pas ! La revalorisation des APL doit être mise à l'ordre du jour.

Enfin, l'accès au logement, c'est pour ceux qui en ont les moyens dans leur parcours résidentiel, l'accession à la propriété. Plusieurs de nos interlocuteurs ont souligné que c'était un axe essentiel du plan de relance de 2008. Il faut soutenir les primo-accédants. À cette fin, nous proposons la relance de l'APL-Accession en métropole et du prêt à taux zéro, le développement des Offices fonciers solidaires (OFS) et la généralisation des « chartes promoteurs » pour réguler les prix du foncier et des logements.

Enfin, nous estimons qu'il faut relancer la politique de la ville dans deux dimensions principales : l'urbanisme et l'école.

Nous l'avons dit, le confinement a fait revenir sur le devant de la scène la question de l'urbanisme dans les quartiers. En 2008, un grand programme partenarial : État/ANRU/collectivités territoriales avait été mis en place avec des possibilités de déroger à certaines règles de marché public. On nous dit que l'ANRU a été relancée mais elle n'est pas encore arrivée sur le terrain... Nous ne comprenons pas pourquoi l'ANRU reste si discrète alors que la situation est si préoccupante. Elle parle technique administrative et financière à un petit cercle de spécialistes là où elle devrait être le bras armé de la reconquête de quartiers en sécession !

Mais la politique de la ville, ce n'est pas que du béton, on l'a suffisamment reproché, à tort, à Jean-Louis Borloo. C'est une politique de société. Ne retenons ici que la question de l'école. Nous nous étions félicitées de la volonté de les rouvrir au plus vite dans les quartiers populaires. Force est de constater que les conditions dans lesquelles cette reprise s'est réalisée n'a pas tenu ses promesses. Un enfant sur dix des quartiers a été scolarisé. S'il est difficile de tirer un bilan dès maintenant, retenons que pour organiser les « vacances apprenantes », il va falloir changer de méthode et de braquet. Dès maintenant, nous demandons une vraie concertation et un vrai soutien financier aux maires pour l'accueil des enfants dans les écoles. Par ailleurs, il nous semble essentiel de mobiliser les jeunes, notamment les étudiants qui vont se retrouver sans ressources faute de job d'été, via des contrats aidés, pour être les tuteurs des décrocheurs en matière d'enseignement à distance et de remise à niveau scolaire. Ce dispositif permettra de redonner de l'espoir. De plus, si l'épidémie reprend en octobre et que les écoles ferment de nouveau, le risque est grand que le nombre de décrocheurs se multiplie.

Voilà, madame la Présidente, mes chers collègues, les idées directrices que nous tirons de nos quelque 40 auditions et les grandes orientations que nous souhaitons proposer et décliner, pour quelques-unes rapidement, mais pour l'essentiel dans la durée, le logement, répétons-le, étant un secteur de temps long.

Mme Sophie Primas , présidente . - Merci pour ce travail très engagé. Il me semble que ces propositions sont partagées par un grand nombre d'entre nous.

M. Alain Duran . - Merci à nos deux rapporteurs pour la qualité de leurs travaux.

Concernant la densité, j'aurai peut-être un bémol. Nous ne pouvons pas avoir du béton, d'un côté, et des déserts de l'autre. Ces territoires ne doivent pas être des lieux auxquels l'on pense uniquement lorsque vient le moment de rechercher une destination de vacances. D'ailleurs, si ces territoires sont effectivement des déserts, ils ne pourront même pas accueillir les habitants des villes de béton pendant leurs vacances. C'est un équilibre à trouver en se penchant sur l'aménagement du territoire.

La massification des opérations énergétiques a été qualifiée comme clef de voûte de la relance verte. Au-delà du défi économique, le défi est ici aussi social et écologique. L'État doit passer rapidement des paroles aux actes et je soutiens les propositions que vous portez.

Le logement s'inscrit certes dans un temps long mais des défis immédiats sont aussi à relever. Il faut donc trouver rapidement des moyens et cesser de discourir pour passer aux actes.

M. Joël Labbé . - Je souscris à l'essentiel de vos propositions et je salue en particulier une notion que je n'avais pas entendue jusqu'alors et qui est celle de la sobriété foncière. Le repeuplement des territoires ruraux est un sujet de fond. Avec une couverture numérique dense et le développement du télétravail, nous devons pouvoir y réfléchir car la vie dans une ville à la campagne ou dans un bourg à la campagne est une vie particulièrement riche et intéressante. C'est aussi ainsi que nous pourrons irriguer notre territoire national.

Je souhaite également dire un mot sur les populations migrantes. Nous allons être amenés à en accueillir davantage, quoi qu'en disent certains. Cependant, cet accueil ne devra pas s'organiser dans des ghettos mais en organisant les territoires de telle sorte que des migrants de culture rurale puissent trouver pleinement leur place dans nos territoires et y apporter leur diversité.

Au nom de mon groupe, je souhaite de nouveau saluer votre travail et je voterai pour ce plan de relance.

Mme Dominique Estrosi Sassone . - Dans ce rapport, nous n'avons pas voulu opposer la ville à la campagne. Certes, les villes recueillent l'essentiel des besoins, notamment dans le domaine du logement mais nous avons surtout souhaité dire qu'il ne fallait pas avoir peur d'aborder la question de la densité. C'est vrai qu'il s'agit d'un mot qui fait peur, qui renvoie aux barres construites à la va-vite. Pour autant, si l'on veut répondre à la demande de logements, nous devons construire plus. Le faire en faisant preuve de sobriété foncière suppose cependant d'y réfléchir. Nous devons limiter l'étalement urbain. Nous nous orientons donc vers des solutions de logement collectif plutôt que vers la maison individuelle. Toutefois, nous entendons aussi que la maison correspond à un certain nombre d'aspirations légitimes de nos concitoyens. C'est un équilibre qu'il nous faut trouver. Dans les territoires dits « détendus », c'est-à-dire dont les besoins dans le domaine du logement sont moins importants que dans les territoires denses, les programmes Action coeur de ville, Revitalisation des centres-bourgs, etc. devront être amplifiés. Action coeur de ville touche aujourd'hui 222 communes sur 800 identifiées. La question concerne donc le logement mais aussi l'aménagement du coeur de ville, les commerces, les services publics, etc.

Par ailleurs, dans les territoires détendus, on ne peut pas assigner les personnes à résidence et leur annoncer que l'on ne construira pas chez eux car les besoins ne sont pas présents sur leur territoire. Il faudra aussi y construire des logements sociaux et réhabiliter des logements qui ne sont plus adaptés. Nous devons donc faire en sorte que les dispositifs existants, comme le prêt à taux zéro, ne disparaissent pas de ces territoires. Nos concitoyens doivent aussi pouvoir aspirer à vivre dans un logement plus confortable dans un immeuble collectif. Il faut aussi permettre à des bailleurs sociaux de continuer à venir dans ces territoires.

Nous ne sommes donc pas dans une opposition mais nous invitons à envisager un spectre différent du côté des villes comme du côté de la ville moyenne et de la campagne.

Mme Annie Guillemot . - Je partage ces propos et je crois aussi que nous devons préparer l'avenir. Si l'épidémie reprend, que devrons-nous faire dans les villes denses ? Il faut absolument promouvoir des espaces verts collectifs pour un ou deux immeubles sans risque de créer un cluster tout en permettant aux enfants de sortir. De même, dans les foyers d'hébergement, très souvent, aucun espace vert n'est accessible. Pour chaque projet, nous devons réfléchir à la possibilité d'installer ces petits lieux collectifs où les habitants pourront s'aérer si jamais une nouvelle pandémie survient.

M. Franck Montaugé . - Le rapport prévoit-il de faire un point sur l'état d'avancement des engagements financiers du programme national de renouvellement urbain (PNRU) ? Pour le vivre sur mon territoire, je note que l'avancement n'est pas aussi rapide qu'il serait souhaitable. On se souvient de l'intervention de Jean-Louis Borloo devant notre commission. Il avait alors mis un grand coup de pied dans la fourmilière ! Je pense que ce point est à relier avec le repeuplement de certains territoires en déshérence qui pourraient accueillir dans de bonnes conditions nos concitoyens, tout en prenant en compte les problématiques de déplacement, qui ne sont pas les moins importantes.

Je souhaite aussi évoquer les programmes nationaux (Action coeur de ville, Petites villes d'avenir, bourgs-centres) qu'il faut mettre en cohérence. J'espère que ce rapport sera l'occasion de le faire pour répondre aux besoins de relance économique et aux besoins intrinsèques de nos territoires.

M. Daniel Gremillet . - Beaucoup de chefs d'entreprises nous ont annoncé que le télétravail, et son développement, modifierait leurs implantations, ce qui va influencer l'urbanisme de nos villes. En milieu urbain, nous pourrions ainsi constater des déprises sur l'installation de sièges et de bureaux.

M. Franck Menonville . - Je souscris à toutes les propositions contenues dans le rapport. Le contexte actuel nous invite à rebâtir une politique de la ville ambitieuse quand on voit les tensions qui perdurent mais aussi celles qui naissent et se développent. La proposition qui consiste à mobiliser les jeunes au profit d'autres jeunes par l'intermédiaire de contrats aidés me semble une proposition de bon sens dans le contexte actuel. Nous devons porter fortement cette idée.

Mme Valérie Létard . - Je me joins tout d'abord à mes collègues pour saluer le travail accompli. Ce rapport est véritablement une synthèse de ce qui est attendu sur le terrain et il est important que le Gouvernement prenne en compte les préconisations que nous remontons qui sont, en outre, des propositions partagées au-delà des étiquettes politiques. On voit donc bien que ce sont des propositions de bon sens et des propositions pragmatiques. Certes, le Gouvernement a ses contraintes et ses limites budgétaires mais ce travail doit permettre de se repositionner. Au-delà des travaux menés pour mûrir la réflexion, des interventions ont également eu lieu auprès des ministres concernés pour alerter sur un certain nombre de problèmes.

Sur le sujet de l'artificialisation et de la densification, nous ne pouvons qu'être d'accord avec les propositions. Déjà aujourd'hui, on nous demande des comptes fonciers de plus en plus réduits. Le seul bémol que j'introduirai porte donc sur la méthode : met-on corset au niveau national ou fait-on confiance aux collectivités qui ont mandat et mission de s'adapter à la réalité de leur territoire ? Devons-nous poser des outils, des observatoires, des règles du jeu pour expliquer d'en haut où les territoires doivent densifier ? Donnons-nous au contraire les outils et les moyens aux collectivités pour avoir une bonne connaissance de la situation et porter les mesures adaptées à la réalité tout en respectant un cadre général national ? Sur certains territoires, il existe de nombreuses friches industrielles et habitat, que l'on rend à la nature. Aussi nous devons avoir la possibilité de mobiliser d'autres espaces qui seront nécessaires. Pour pousser la relance économique et industrielle, nous aurons besoin de terrains qui ne seront peut-être pas les mêmes qu'aujourd'hui. Arrêtons d'être dans un corset qui ne laisse pas la possibilité de s'adapter. Il faut laisser de la souplesse et de la réactivité aux territoires. La décentralisation suppose de faire confiance aux territoires tout en fixant des règles du jeu.

La rénovation thermique des logements est aussi cruciale. C'est une question à traiter dans le milieu urbain comme rural. Elle est urgente car elle permet la relance économique. Elle répond à tous les enjeux : environnementaux, sociaux, économiques, urbains et ruraux. Cependant, pourquoi le CITE a-t-il été retiré alors que l'objectif est d'accélérer la rénovation thermique des logements ? L'Europe souhaite aussi en faire une priorité stratégique et placera des financements pour cela. C'est donc le moyen d'aller les chercher. Nous devons aller très vite et très fort.

Je rejoins également les rapporteurs pour ce qui concerne les mesures à prendre dans les quartiers. La crise va laisser beaucoup de jeunes sans solution. Pour moi, les emplois aidés, ce n'est pas du traitement social du chômage ni une voie négative. La question est de savoir si l'on veut laisser nos jeunes sans solution ou si l'on accepte de répondre à des problématiques d'encadrement et d'accompagnement en leur proposant des contrats aidés à durée déterminée. Il faudra que ces dispositifs s'accompagnent aussi d'une formation.

Enfin, pour ce qui concerne les impayés de loyers, l'État devra répondre présent, évidemment.

Mme Annie Guillemot . - La décentralisation évoquée par Valérie Létard est une question cruciale. Beaucoup d'acteurs locaux nous ont dit que c'étaient les maires, les présidents de métropoles ou les présidents de départements qui étaient leurs interlocuteurs. Dans la crise actuelle, avec un jeu de ping-pong entre Santé Publique France, les agences régionales de santé (ARS) et la préfecture, on voit encore que ce sont les élus qui trouvent les solutions de terrain. Voir l'État prendre les masques commandés par les régions ne peut que nous interpeller. Il faut donc évidemment retravailler la décentralisation. En matière de logement et de politique de la ville, il faut faire confiance aux élus locaux et les remettre dans la boucle.

Concernant l'emploi des jeunes, après avoir fait le tour des quartiers, je peux témoigner que nous faisons face à une situation d'urgence avec des enfants qui décrochent et des familles qui ne sont pas capables d'aider leurs enfants. Avec des emplois aidés, des étudiants pourraient faire le lien entre les familles, les enfants et l'école. Nous pourrions demander à ces étudiants des quartiers de consacrer 10 ou 12 heures par semaine à suivre les enfants d'un quartier, d'une école. Cet emploi leur permettrait de poursuivre leurs études, à l'université ou dans un autre cursus. Il faut aussi donner un message à ces jeunes pour mettre en avant les valeurs de la République.

Je souhaite aussi revenir sur la question de Franck Montaugé pour lui dire que des éléments seront disponibles dans le rapport de la Cour des comptes, lequel évalue le PNRU et NPNRU.

M. Laurent Duplomb . - Alors que le télétravail va se développer, nous pourrions inciter plus de personnes à vivre à la campagne pour éviter l'artificialisation des sols autour des villes. Après des années d'exode rural, quelques zones rurales seraient tout à fait disposées à accueillir des habitants supplémentaires. Ce mouvement serait bénéfique car ceux qui vivent en ville et dictent la politique en France connaîtraient ainsi un peu mieux les réalités de la campagne. Ce rééquilibrage permettrait d'apaiser les tensions.

Par ailleurs, il faudrait que les règles relatives à l'absence d'artificialisation des sols ne soient pas les mêmes à la campagne qu'en ville. Aujourd'hui, les normes applicables, même en cas d'extension d'un habitat existant, sont absurdes, et cela car l'on a souhaité fixer des règles identiques dans les zones urbaines et dans les zones rurales.

De plus, pour attirer de nouveaux habitants dans les campagnes, il faut aussi que le « new deal » sur le numérique apporte les effets annoncés. Rappelons que nous avons fait un cadeau de quelques milliards d'euros aux opérateurs télécoms pour installer des antennes téléphoniques dans les zones rurales mais que les résultats de ces actions peinent à se concrétiser. Nous avons donc besoin d'accélérer le mouvement et d'inciter plus fortement les opérateurs à mener le travail sur lequel ils se sont engagés.

Des changements doivent enfin être apportés au niveau de l'administration centrale parisienne. Le Président de la République dit qu'il va lui-même changer, et donc qu'il va arrêter d'être un centralisateur jacobin. Si c'est le cas, l'administration sera peut-être davantage déployée au niveau local pour mettre fin au parisianisme qui conduit notre pays dans la difficulté.

Mme Sophie Primas , présidente . - Merci pour cette intervention. Nous partageons un certain nombre de constats. Le sujet de la densité est très complexe et nécessite beaucoup de courage de la part des maires. Il ne faut pas confondre densité et qualité de vie. Rappelons que l'un des quartiers les plus denses de France est l'Île-Saint-Louis à Paris tandis que le quartier du Val Fourré à Mantes-la-Jolie n'est pas du tout dense. La densité, la mixité, l'aménagement, la qualité des logements et l'urbanisme sont des clés pour la qualité de vie. Je partage aussi avec vous le fait que l'aménagement du territoire a été trop longtemps oublié, peut-être parce qu'il n'y a pas assez de déconcentration et de décentralisation. Tout cela est probablement lié.

Je vous propose de voter ce rapport.

Le rapport de la cellule « Logement, urbanisme et politique de la ville » est adopté à l'unanimité.

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