C. LES PROCHAINES ÉCHÉANCES : « ENCORE UN LONG PROCESSUS »

Sur cette base, la reprise des négociations entre la Commission et le Conseil de l'Europe a été préparée.

Le 31 octobre 2019 , le président de la Commission, M. Jean-Claude Juncker, et le premier vice-président, M. Frans Timmermans, ont informé la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe que l'Union européenne était prête à reprendre les négociations sur son adhésion à la CEDH . En parallèle, les groupes FREMP et RELEX du Conseil poursuivent les travaux pour établir un projet de règles internes. Deux discussions ont déjà eu lieu à ce sujet depuis l'adoption des nouvelles directives de négociations, lors du groupe RELEX du 10 octobre 2019, pour les règles liées à la PESC, et lors du groupe FREMP du 24 octobre.

Le 13 novembre 2019, la Secrétaire générale a informé les délégués des ministres du souhait de la Commission de reprendre les négociations et a indiqué qu'elle leur ferait des propositions sur le format selon lequel ces négociations pourraient être menées, ainsi que sur les implications financières de ces travaux. Lors de sa 92 e réunion, du 26 au 29 novembre suivant, le CDDH a proposé un ensemble de dispositions pour la continuation des négociations au sein d'un groupe ad hoc composé des 47 États membres du Conseil de l'Europe et d'un représentant de l'Union européenne (« 47+1 »), et présidé par la Norvégienne Tonje Meinich.

Le 15 janvier 2020, les délégués des ministres ont approuvé la continuation du mandat occasionnel du CDDH en vue de l'adhésion.

Des réunions de négociations étaient prévues du 27 au 29 mai 2020, mais ont été reportées du 29 septembre au 2 octobre suivant du fait de la crise sanitaire liée au Covid-19, et une autre réunion a été programmées du 24 au 27 novembre. Afin de ne pas perdre trop de temps, et pour marquer la reprise des négociations, une réunion virtuelle informelle du groupe de négociation « 47+1 » s'est tenue le lundi 22 juin et a donné lieu à une présentation par la Commission européenne de son document de position.

Si la CJUE rend un avis positif , la signature et la conclusion de l'accord d'adhésion pourront être envisagées.

Les règles internes, tout comme les décisions autorisant la signature et la conclusion de l'accord d'adhésion, devront être adoptées par le Conseil statuant à l'unanimité , conformément à l'article 218, paragraphe 8, du TFUE.

En outre, la décision concernant la conclusion de l'accord devra être ratifiée par tous les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Cette étape risque d'être longue. L'accord d'adhésion devra en effet être ratifié non seulement par le Parlement européen, mais aussi par les parlements nationaux des 47 États parties à la CEDH.

Les instances du Conseil de l'Europe devront aussi l'approuver.

Comme l'a dit aux rapporteurs l'un de leurs interlocuteurs bruxellois très au fait du dossier, « l'adhésion sera encore un long processus » ...

Il n'est pas exclu, dès lors que les problèmes juridiques seraient surmontés, de se heurter à un nouveau problème, de nature politique celui-ci .

Au cours de ces nouvelles négociations, il faudra se garder de donner l'impression aux 20 États non-membres de l'Union européenne que celle-ci cherche à obtenir un statut privilégié au sein du système conventionnel, alors même que la prise en compte des objections de la CJUE ne peut conduire qu'à des spécificités pour l'Union . Ce sera l'enjeu principal de ces nouvelles négociations : jusqu'où l'Union européenne pourra-t-elle aller pour sauvegarder l'autonomie de son ordre juridique et jusqu'où le Conseil de l'Europe, de son côté, pourra-t-il aller pour garantir l'égalité des parties à la CEDH et l'intégrité du fonctionnement de la Cour de Strasbourg ?

Ce point d'équilibre pourra-t-il être trouvé ? Si, au sein du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, les 27 États membres de l'Union européenne développent une politique d'action concertée - qui n'existe pas actuellement selon divers observateurs -, ils seront majoritaires au sein du Comité, face aux 20 autres États parties à la CEDH, qui ont toujours été sourcilleux sur le risque de « doubles standards ». L'équilibre politique au sein du Comité des ministres pourrait dès lors s'en trouver modifié. Cela peut avoir des conséquences, en particulier au cours de la procédure de suivi de l'exécution des arrêts de la Cour de Strasbourg , l'article 46 de la Convention donnant force obligatoire aux arrêts et organisant le suivi de leur exécution, qui peut aller, à la majorité des deux tiers, jusqu'à une procédure en manquement sur le fondement de l'article 46-4, comme on l'a vu récemment pour l'Azerbaïdjan 27 ( * ) .

Or, comme l'ont fait remarquer plusieurs interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs à Strasbourg, le contexte de ces négociations est plus difficile pour l'Union européenne que lors des précédentes négociations qui profitaient encore de la dynamique lancée par le mémorandum d'accord de 2007.

Désormais, le Brexit a eu lieu et le Royaume-Uni ne fait plus partie des États membres de l'Union européenne ; il a rejoint le groupe des États parties à la CEDH. La Russie et la Turquie sont aujourd'hui dans une position plus défensive par rapport à la Cour européenne des droits de l'Homme : la Russie a adopté une loi affirmant la primauté de la Constitution russe sur le droit international, et donc sur la CEDH, et Vladimir Poutine a fait état de nouveaux amendements constitutionnels en ce sens en janvier dernier, tandis que les relations se sont tendues avec la Turquie à la suite de la réponse apportée par les autorités turques au coup d'État manqué du 15 juillet 2016. Rappelons que le parlement russe a mis des années avant de ratifier le protocole n° 14 à la CEDH, qui comportait des dispositions indispensables au désengorgement, et donc au bon fonctionnement, de la Cour européenne des droits de l'Homme...

Les entretiens que les rapporteurs ont eus, à Strasbourg, avec les ambassadeurs de Turquie et de Russie auprès du Conseil de l'Europe ont confirmé ce climat. L'ambassadeur turc, après avoir affirmé le fort attachement de son pays à l'intégrité et à l'efficacité du Conseil de l'Europe, a noté que le blocage était venu d'une institution de l'Union européenne et que seules des clauses d'exception pourraient le lever, au prix de déséquilibres entre les Cours de Strasbourg et de Luxembourg et entre les États parties à la CEDH, avec un risque de fragmentation entre les jurisprudences en matière de droits de l'Homme. Quant à l'ambassadeur russe, il a tenu un discours à la tonalité proche, faisant observer que, dans les négociations, « le diable est dans les détails ». Il a insisté sur la nécessité de maintenir l'égalité entre l'ensemble des États parties et a écarté toute négociation aboutissant à un double système. La Russie considérait le projet d'accord de 2013 comme « balancé » ; il ne fallait donc pas bouleverser son équilibre général uniquement pour prendre en compte l'avis de la CJUE.

Lorsque l'Union européenne aura adhéré à la CEDH, le Parlement européen désignera une délégation, sans doute de dix-huit membres comme les États les plus peuplés, à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) en vue de procéder à l'élection du juge représentant l'Union européenne à la Cour européenne des droits de l'Homme. Or, il conviendrait que cette délégation puisse participer à l'élection des 48 juges. En effet, actuellement, l'ensemble des délégations nationales à l'APCE participent à l'élection des 47 juges. Au-delà de cette question, il paraît probable - ce serait du reste plutôt légitime - que les députés européens qui siègeront à l'APCE cherchent à participer aux débats de chacune des quatre parties de session annuelle de cette Assemblée. Plus largement, l'Union européenne participera également aux mécanismes de suivi de l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, qui est l'une des compétences du Comité des ministres du Conseil de l'Europe.


* 27 Cour EDH, arrêt Ilgar Mammadov c./Azerbaïdjan (n° 15172/13) du 29 mai 2019.

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