ANNEXE : LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS

DE L'HOMME ET LE SUIVI DE L'EXÉCUTION

DES ARRÊTS DE LA COUR

I. Le fonctionnement de la Cour européenne des droits de l'Homme

? Instituée en 1959, la Cour européenne des droits de l'Homme est une juridiction internationale compétente pour statuer sur des requêtes individuelles ou interétatiques alléguant des violations des droits civils et politiques énoncés par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales, plus connue sous le nom de Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH).

En application de l'article 33 de la CEDH, « toute Haute Partie contractante peut saisir la Cour de tout manquement aux dispositions de la Convention et de ses protocoles qu'elle croira pouvoir être imputé à une autre Haute Partie contractante ». En application de son article 34, « la Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à n'entraver par aucune mesure l'exercice efficace de ce droit ».

Les 820 millions de ressortissants des États membres du Conseil de l'Europe peuvent ainsi saisir la Cour, sous certaines conditions ( cf . infra ). La Cour peut également être saisie par toute personne relevant de la juridiction des États parties à la Convention. Saisie par des migrants, elle a ainsi imposé certaines limitations aux droits des États de refuser l'accès à leurs frontières. Elle a également été amenée à se prononcer sur des actions menées par des États étrangers sur le sol d'États parties, en violation de la Convention (prisons secrètes de la CIA par exemple).

? Les droits fondamentaux garantis par la Cour sont ceux définis par le titre I de la CEDH. Celle-ci garantit notamment le droit à la vie, le droit à un procès équitable, le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté d'expression, la liberté de pensée, de conscience et de religion, le droit au respect de ses biens. Elle interdit notamment la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, l'esclavage et le travail forcé, la détention arbitraire et illégale, et les discriminations dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention.

La philosophie générale de la Convention et de la Cour repose sur le principe de subsidiarité : il appartient aux États parties de se conformer aux principes de la Convention et aux décisions ou arrêts de la Cour. De même, la saisine de la Cour ne peut intervenir qu'après épuisement des voies de recours internes.

? La Cour se compose d'autant de juges que d'États membres du Conseil de l'Europe, soit 47 aujourd'hui 28 ( * ) .

Les juges sont élus, à la majorité simple, par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), pour un mandat de neuf ans non renouvelable, à partir d'une liste de trois noms proposés par chaque État.

Les trois candidats proposés sont auditionnés par la commission sur l'élection des juges à la Cour européenne des droits de l'Homme de l'APCE. Si elle considère que toutes les conditions sont réunies, la commission formule à l'attention de l'Assemblée une recommandation indiquant quel candidat elle considère le plus qualifié. Dans le cas contraire, la commission peut recommander qu'un État membre soit invité à soumettre une nouvelle liste (ce fut le cas pour la France en 2011). En janvier 2020, l'APCE a élu M. Mattias Guyomar juge français ; il a remplacé M. André Potocki, le 21 juin.

? La procédure devant la Cour peut être résumée comme suit :

• Examen de la recevabilité de la requête : cet examen comprend une étape purement formelle (vérification que toutes les pièces ou informations requises sont jointes à la requête) puis un examen technique.

Si l'affaire est clairement irrecevable, la décision d'irrecevabilité est rendue par un juge unique, procédure mise en place il y a 10 ans, à un moment où la Cour était très engorgée (protocole n° 14, entré en vigueur en juin 2010). La décision d'irrecevabilité n'est pas susceptible de recours et n'est pas motivée.

• Lorsque la requête est recevable, elle est renvoyée :

o à un comité de trois juges lorsque l'affaire est considérée comme « répétitive », c'est-à-dire faisant l'objet d'une jurisprudence établie de la Cour ;

o à une chambre de sept juges lorsque l'affaire n'est pas considérée comme « répétitive ». La chambre est composée du président de la section à laquelle l'affaire a été attribuée, du juge élu au titre de l'État contre lequel la requête a été introduite, et de cinq autres juges désignés par le président de la section selon un système de rotation.

À ce stade, le comité ou la chambre peut encore rendre une décision d'irrecevabilité.

o à la Grande Chambre de dix-sept juges, dans trois cas de figure :

§ à la suite d'un renvoi demandé par l'une des parties, dans les trois mois suivant le prononcé de l'arrêt de chambre. C'est le collège de la Grande Chambre, composé de cinq juges, qui décide s'il y a lieu de renvoyer ou non l'affaire devant la Grande Chambre pour un nouvel examen ;

§ par voie de dessaisissement d'une chambre, si l'affaire soulève une question grave relative à l'interprétation de la Convention (sujets totalement nouveaux notamment) ou s'il y a un risque de conflit de jurisprudence ;

§ lorsqu'elle est saisie, en application du protocole n° 16 à la Convention, par les plus hautes juridictions d'un État, dans le cadre d'une affaire dont elles sont saisies, pour une demande d'avis consultatif « sur des questions de principe relatives à l'interprétation ou à l'application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles ». Le collège de la Grande Chambre se prononce sur l'acceptation de la demande d'avis. La Cour de cassation a été la première juridiction nationale à recourir à cette procédure 29 ( * ) .

La Grande Chambre comprend le Président de la Cour, les vice-présidents, les présidents de section, le juge national et des juges tirés au sort. Les juges qui siègent dans une chambre ayant rendu un arrêt ne peuvent siéger en Grande Chambre lorsque celle-ci statue sur renvoi.

La procédure est essentiellement écrite. La Cour tient toutefois des audiences dans une minorité d'affaires de chambre ou Grande Chambre.

Deux points particuliers doivent être relevés :

- la Cour procède à une priorisation de certaines affaires : c'est en particulier le cas lorsque l'affaire concerne un risque d'expulsion vers un pays dans lequel la torture est pratiquée ou lorsque la vie du requérant est en jeu ;

- lorsqu'un grand nombre de requêtes ont la même origine, la Cour a mis en place une procédure dite d' « arrêt pilote ». Dans le cadre de cette procédure, le but de la Cour n'est pas seulement de se prononcer sur la question de savoir s'il y a eu ou non violation de la Convention dans telle ou telle affaire. Il est aussi d'identifier le problème systémique et de donner au gouvernement concerné des indications claires sur les mesures de redressement qu'il doit prendre pour y remédier. La Cour peut alors ajourner pendant un certain temps les affaires qui relèvent de cette procédure, à condition que le gouvernement concerné prenne rapidement les mesures internes requises pour se conformer à l'arrêt. Toutefois, la Cour peut reprendre l'examen des affaires ajournées chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige.

Lorsque la Cour rend un arrêt de « non-violation », l'affaire est close. Lorsqu'elle rend un arrêt de violation définitif, le dossier est transmis au Comité des ministres du Conseil de l'Europe, qui va assurer le suivi de l'exécution des arrêts.

? La Cour européenne des droits de l'Homme dispose également d'un département de l'exécution des arrêts.

Ce département assiste à la fois le Comité des ministres dans la surveillance de l'exécution des arrêts en lui fournissant des expertises juridiques et les États parties en leur apportant des avis sur ce qui est attendu d'eux après l'arrêt rendu.

Le département de l'exécution des arrêts entretient également des relations avec le ministère de la justice, ou des affaires étrangères, des États parties sur la mise en oeuvre des arrêts de la Cour. Son contact au sein des ministères nationaux joue le rôle d'un « facilitateur » qui peut faire avancer la mise en oeuvre des arrêts, qui implique l'ensemble des pouvoirs publics de son pays.

II. Le suivi par le Comité des ministres de l'exécution des arrêts de la CEDH

Ø Le rôle du Comité des ministres

Il appartient aux États parties d'exécuter les arrêts de la Cour constatant une violation des droits garantis par la Convention.

Lorsqu'un arrêt de violation est rendu, le dossier est transmis au Comité des ministres qui examine, dans le cadre de sa formation « droits de l'Homme », les obligations de l'État condamné (paiment d'une indemnité, adoption de mesures générales ou de mesures individuelles) et surveille l'exécution des arrêts, en application de l'article 46 § 2 de la Convention.

En pratique, ces séances du Comité des ministres sont préparées par le service pour l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme. Ce service a en effet pour fonction de conseiller et d'assister le Comité des ministres dans son suivi de l'exécution des arrêts, mais aussi d'apporter son soutien aux États parties dans leurs efforts pour aboutir à une bonne exécution des arrêts. Les États doivent en effet présenter un plan d'action puis un bilan d'action, une fois les mesures prises.

Les affaires restent sous surveillance jusqu'à l'adoption de l'ensemble des mesures requises : le dossier est alors clos par une résolution finale. La plupart des plans d'action présentés par les États font l'objet d'une procédure de surveillance standard.

Les affaires requérant des mesures individuelles urgentes ou qui révèlent des problèmes structurels importants (en particulier les arrêts pilotes), de même que les affaires interétatiques, font l'objet d'une inscription en procédure soutenue.

Compte tenu du délai entre la saisine de la justice dans le pays d'origine de l'affaire et le jugement de la CEDH, il peut arriver que les circonstances de l'affaire ne puissent plus se reproduire. L'intérêt pour le requérant est alors moral et pécuniaire (compensation financière accordée par la Cour), mais il n'y a plus d'enjeu systémique pour l'État faisant l'objet d'une condamnation.

À l'inverse, il arrive également que les États ne prennent pas les mesures nécessaires pour se conformer aux arrêts de la Cour. Ce fut notamment le cas de l'Azerbaïdjan dans l'affaire « Mammadov ». Ceci a conduit, pour la première fois en 2017, le Comité des ministres à saisir, en application de l'article 46 § 4 de la Convention et à la majorité des deux tiers, la Cour du non-respect par cet État de son obligation de se conformer aux arrêts définitifs de la Cour.

Ø La situation de la France

Le nombre de saisines de la Cour européenne des droits de l'Homme à l'encontre de la France est faible (1 100 dossiers enregistrés du 1 er janvier à la fin septembre 2019) et le nombre de requêtes aboutissant à un jugement au fond est minime : 40 % des requêtes sont rejetées après une analyse purement administrative car les formalités requises ne sont pas correctement remplies ; sur les 60 % restants, 95 % des dossiers sont rejetés par un juge unique car ils sont considérés comme irrecevables.

La France est peu condamnée : six arrêts de condamnation ont été rendus à son encontre depuis le début de l'année 2019. Sur la dernière année, la moitié des affaires jugées ont abouti à un arrêt de violation, la moitié à un arrêt de non violation.

Le dialogue des juges dans le cadre du réseau des cours supérieures est important et suivi. L'action de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, du Défenseur des droits et du Contrôleur général des lieux de privation de liberté a été citée en exemple. La France apparaît ainsi globalement comme un « bon élève » en matière d'exécution des arrêts de la Cour de Strasbourg.

Ø Les modalités de suivi des arrêts de la CEDH par les parlements nationaux : une singularité française ?

Si la surveillance de la mise en oeuvre des arrêts de la Cour relève de la compétence du Comité des ministres, il n'en demeure pas moins que les parlements nationaux ont eux aussi un rôle important à jouer, en premier lieu en examinant et adoptant les projets ou propositions de loi qui permettent d'adapter les législations nationales à ces arrêts.

Selon des statistiques de 2018, les niveaux de conformité aux arrêts des États parties à la Convention sont très inégaux. Si le taux de conformité moyen s'établit à 72 %, et si quinze États présentent un taux de conformité de 90 %, ce taux est de 26 % en Russie, de 23 % en Albanie, de moins de 15 % en Ukraine et de 1,5 % en Azerbaïdjan...

La commission des questions juridiques et des droits de l'Homme de l'APCE établit tous les deux ans un rapport sur l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme ; elle en a jusqu'à présent publié neuf. Ces rapports mettent en évidence des problèmes structurels graves au sein, plus particulièrement, de dix États parties, dont la Russie, la Moldavie, la Roumanie, la Bulgarie, la Pologne, l'Italie ou encore la Grèce.

En juin 2011, l'APCE a adopté la résolution 1823 (2011), intitulée Les parlements nationaux : garants des droits de l'Homme en Europe, dont le premier alinéa dispose que « l'Assemblée parlementaire rappelle qu'il incombe aux États membres du Conseil de l'Europe de mettre en oeuvre de manière effective les normes internationales applicables en matière de droits de l'Homme auxquelles ils ont adhéré, et notamment les normes de la Convention européenne des droits de l'Homme. Cette obligation lie tous les organes de l'État, au sein des pouvoirs aussi bien exécutif, judiciaire que législatif ».

Le rapport sur le fondement duquel cette résolution avait été adoptée précisait qu'entre quinze et dix-huit parlements nationaux participaient à l'exécution des arrêts de la Cour de Strasbourg, selon trois principales modalités différentes :

1°) des commissions ou sous-commissions spécialisées sur le sujet des droits de l'Homme. C'est le cas notamment au parlement britannique, où il existe une commission conjointe aux deux chambres, créée en 2001 et comprenant deux fois six membres, et qui est compétente aussi pour engager des enquêtes sur des sujets tels que les violences à l'encontre des femmes, la lutte contre le terrorisme ou l'usage des drones ; le gouvernement est dans l'obligation d'apporter des réponses aux enquêtes de cette commission conjointe. Ce modèle se retrouve au sein des parlements hongrois, monténégrin, irlandais, roumain et polonais (mais la sous-commission instituée dans ce dernier en 2014 n'a pas été reconstituée en 2015) ;

2°) l'absence de structures spécialisées. Les questions relatives aux droits de l'Homme sont traitées par les différentes commissions parlementaires permanentes. C'est le cas au Danemark, en Russie, en Suède, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Estonie, en Islande ou encore en Norvège. Par exemple, en 2006, le parlement néerlandais a demandé que le rapport sur la mise en oeuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme établi à l'attention du Premier ministre soit également transmis à la commission des lois des deux chambres ;

3°) des dispositifs hybrides, que l'on retrouve dans les parlements arménien, chypriote, géorgien, allemand, italien ou encore lituanien. Par exemple, depuis 2004, le ministre allemand de la justice transmet le rapport sur l'exécution des arrêts de la Cour à deux commissions permanentes du Bundestag ; ce rapport gouvernemental est complété par des commentaires d'universitaires.

Le rapport précité de l'APCE a aussi mentionné certaines bonnes pratiques qui permettent de renforcer l'intervention des parlements dans l'exécution des arrêts de la Cour. Ainsi, aux Pays-Bas, le gouvernement fournit, dans l'étude d'impact accompagnant les projets de loi, une analyse sur la compatibilité de la législation avec les arrêts de la Cour dont il est proposé de tirer les conséquences.

Annexe

Depuis l'entrée en vigueur des réformes prévues par le protocole n° 14, le nombre d'affaires pendantes a très fortement diminué - il avait atteint le pic de plus de 120 000 en 2010.


* 28 Ni la Biélorussie, qui continue d'appliquer la peine de mort, ni le Kosovo, dont l'indépendance n'est pas reconnue par plusieurs États membres, ne sont membres du Conseil de l'Europe.

* 29 Demande d'avis consultatif quant à la nécessité, au regard de l'article 8 de la CEDH, d'une transcription d'un acte de naissance d'enfant né d'une GPA, en ce que cet acte désignerait la « mère d'intention », indépendamment de toute réalité biologique.

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