EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 25 juin 2020 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet , président . - Merci, je retiens deux mots forts de votre intervention : « propulser » - j'ai bien compris que l'horizon est lointain, voire très lointain - et « plénitude » - de l'architecture de la CJUE et de ses décisions récentes. Que ce soit sur la Hongrie ou sur le Royaume-Uni, restons-en aux fondamentaux que vous avez évoqués. Je comprends que vous n'ayez pas voulu vous engager dans une proposition de résolution européenne. La CJUE a un rôle important. J'apprécie beaucoup cette analyse, et c'est un sujet sur lequel je suis prudent. Je tiens à saluer la finesse de votre analyse et de vos conclusions.

M. Jean-Yves Leconte , rapporteur. - Comme vous l'avez peut-être compris, si nous n'avons pas souhaité faire de PPRE, c'est parce que, avec Philippe Bonnecarrère, nous sommes d'accord sur nos désaccords. Il était difficile de proposer une PPRE qui marque une direction très précise car nous avons des sensibilités différentes sur ce point.

Je me permets d'ajouter qu'il y a quand même un sujet sur lequel nous sommes vraiment en désaccord avec Philippe Bonnecarrère : la primauté du droit communautaire est un combat de la CJUE, qui manifeste des résistances et en manifestera toujours. Le Brexit met cette primauté sous tension. Contrairement à la position qui consiste à penser que, c'est en réaffirmant la primauté du droit communautaire que l'on donne de la robustesse à l'Union européenne, je pense que c'est en affrontant toutes les contradictions que l'on a entre nous et avec l'extérieur, et en affrontant le contrôle externe que l'on consolidera l'UE. La perception d'une Union européenne nous obligeant à aller à l'encontre de notre Constitution est un sujet sensible ; par conséquent, il ne faut pas considérer que la CJUE se trouve au sommet d'une pyramide et que tout ce qui la remettrait en cause est un danger pour l'Union. Je ne conteste pas son rôle essentiel. Encore la semaine dernière, sur le fait d'affirmer la liberté académique en Hongrie, la CJUE a joué son rôle. Mais je pense que le dialogue doit être favorisé, et non la préservation à tout prix d'une hiérarchie. Aussi, si nous voulons faire en sorte que les droits de l'Homme soient défendus en Turquie et en Russie, l'Union européenne ne peut pas être sur la réserve face à la Cour de Strasbourg, qui n'est pas un groupe de juges qui ne feraient que condamner les États par rapport à des requêtes de leurs citoyens. Bien au contraire, les juges nationaux ont un rôle particulier et il serait utile que l'Union européenne dispose d'un juge siégeant à la Cour de Strasbourg.

M. André Gattolin . - Je veux féliciter les deux rapporteurs pour leur travail, mais j'ai un double regret : nous sommes législateurs, et nous sommes dans un conflit de doctrine sur la hiérarchie des normes en Europe, entre la CJUE et la Cour européenne des droits de l'Homme. C'est un des principaux problèmes. Nous sommes aussi des responsables politiques et à travers nos actes, nous faisons passer un message au niveau européen, de nature géopolitique. Je suis assez désappointé par le choix des rapporteurs, dont je salue la qualité bien sûr, mais je rappelle que nous avons une délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), que plusieurs membres de la commission des affaires européennes en font partie et nous aurions pu envisager un binôme membre / non membre. D'ailleurs, plusieurs collègues de l'APCE s'étonnent que la délégation, sur un sujet si important et concernant le Conseil de l'Europe, ne soit pas représentée dans ce rapport. La délégation française à l'APCE comprend deux tiers de députés et un tiers de sénateurs, et nous avons pourtant des difficultés à être reconnus dans notre pays. Donc je trouve vraiment dommage que nous envoyions ce signal, en dépit de la qualité du rapport et du fait que j'approuve l'essentiel des conclusions, y compris des non-conclusions de nos rapporteurs.

Par ailleurs, j'ai un second regret. Nous avons un éminent ancien membre de cette commission, Denis Badré, qui avait fait un travail considérable lorsqu'il avait été nommé parlementaire en mission par le Premier ministre François Fillon et avait remis un rapport sur la relation entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, dans lequel il abordait cette question de l'adhésion. Il avait proposé des avancées en vue d'une adhésion finale. Je regrette que son nom et ses travaux ne soient pas évoqués.

Ce débat entre la CJUE et la Cour européenne des droits de l'Homme pose des questions de nature juridique, de hiérarchie des normes, voire de conflits entre des juges à la complémentarité évidente parce que la CJUE dispose d'une arme forte - les pénalités économiques - que la Cour EDH n'a pas, mais qui a la capacité géopolitique du « name and shame » qui fait qu'un État condamné par la Cour EDH est pointé du doigt. On l'a vu récemment sur la polémique au sujet de la libération anticipée d'un certain nombre de détenus pendant la crise du Covid-19 ou résultant des condamnations multiples de la Cour à l'égard de la France concernant sa surpopulation carcérale. La Cour repose sur un système de représentation spécifique - un juge par État partie - soulevant des questions géopolitiques. Pour être membre de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme de l'APCE, je peux vous dire qu'avec la montée des États illibéraux, par exemple avec le retour actif de la Russie, nous nous battons à chaque réunion lorsque nous avons des résolutions sensibles à adopter sur des rapports, pour avoir une majorité de deux voix dans cette commission, pour ne pas avoir une majorité russe, turque, azérie ou ukrainienne qui nous conduirait à des résolutions parfois illibérales. Nous sommes sur une question de périmètre de compétence juridique et nous sommes aussi sur des questions géopolitiques. Si nous avons des États illibéraux au sein de l'Union européenne, nous en avons davantage au sein du Conseil de l'Europe. Je rappelle aussi qu'on nous regarde et que si nous voulons avoir une délégation française qui pèse, c'est dans la manière de la traiter et de la représenter au sein de nos parlements nationaux que cela se joue aussi.

M. Philippe Bonnecarrère , rapporteur. - J'entends très bien toutes les observations géopolitiques formulées par André Gattolin avec sa fougue et sa passion habituelles. Vous dites regretter que nous n'ayons pas de position politique. Elle l'est fortement : en vous faisant part de mon approche personnelle sur le marché unique, la monnaie unique et la juridiction unique, je plaide pour favoriser les conditions d'une intégration européenne plus importante. Je récuse l'idée que notre approche serait purement technique, mais la balance avantages-inconvénients que je vous ai dessinée penche en faveur de la CJUE, et se trouve plus défavorable à la Cour EDH : l'orientation très claire est de continuer à travailler à une plus forte intégration européenne.

M. Jean Bizet , président. - Merci Philippe Bonnecarrère. Je remercie les rapporteurs, et je rappelle à André Gattolin que la désignation des rapporteurs n'a fait l'objet d'aucune contestation en commission. Nos collègues membres de l'APCE ne sont pas intervenus sur ce point, mais ils seront les bienvenus à s'y pencher car le sujet va durer un certain temps... André Gattolin a fait référence au rapport de Denis Badré qui fut un grand européen au sein de cette commission. Son rapport n'était pas un rapport du Sénat, mais celui d'un parlementaire en mission, riche d'informations. Je rappelle à l'intention de nos collègues membres de l'APCE que nous rendons désormais régulièrement compte, au sein de cette commission, des travaux de cette Assemblée. Enfin, je considère que c'est important de mettre en lumière le travail du Conseil de l'Europe. Pour ce qui est de la conclusion politique de nos rapporteurs, j'estime qu'elle ne réside pas dans votre souci de ne pas fragiliser une architecture déjà affectée aujourd'hui. Essayons de prendre un peu de hauteur, c'est un sujet extrêmement important, propulsons nous dans un certain temps.

À l'issue du débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information .

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