III. DOTER LA SÉCURITÉ SOCIALE D'UNE RÈGLE D'OR POUR COUPER LE ROBINET DE LA DETTE SOCIALE APRÈS 2023

Les projets de loi organique et ordinaire relatifs à la dette sociale et à l'autonomie, en cours d'examen par le Parlement, devraient se traduire par de nouveaux transferts massifs de déficits cumulés des différents organismes de sécurité sociale à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).

En vertu de ces mêmes textes, la durée de vie de cette caisse devrait être prolongée jusqu'au 31 décembre 2033.

Ainsi, comme lors de la création de la Cades, il y a près d'un quart de siècle afin de ne pas transmettre aux générations suivantes le poids de la dette sociale, l'horizon d'amortissement de cette dette est aujourd'hui de treize ans, à supposer que la situation des comptes sociaux ne se dégrade pas plus qu'actuellement envisagé.

Ainsi revenus en quelque sorte au point de départ, les pouvoirs publics doivent regarder lucidement l'échec que constitue la tentative d'amortissement de la dette, à laquelle sont consacrés chaque année environ 17 milliards d'euros d'impositions de toute nature 16 ( * ) .

Il n'est plus temps de rester entre deux eaux. Il convient au contraire d'effectuer un choix clair entre :

- le remboursement complet de cette dette en intérêts et en capital en assurant son financement sans plus constamment éloigner l'horizon du remboursement. Tel a été le choix de la commission des affaires sociales lors de l'examen du projet de loi organique ;

- le constat de l'échec collectif à apurer cette dette , ce qui devrait se traduire par le transfert de la dette sociale à l'État et l'emploi à d'autres fins des recettes actuellement consacrées au remboursement du capital de la dette sociale.

Dans un cas comme dans l'autre, il est impératif de « couper le robinet » de la dette en dotant les LFSS d'une règle d'or de niveau organique qui interdira l'accumulation de nouveaux déficits .

En effet, il revient à chaque génération d'assurer le financement de sa propre protection sociale sauf à miner le pacte générationnel et la confiance des jeunes générations envers l'ensemble du système (singulièrement dans le système de retraite, dont les bénéfices sont pour elles très lointains).

Telle est la proposition qu'a formulée la commission des affaires sociales dans le cadre de l'examen du projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l'autonomie, au travers de l'insertion d'un article 1 er bis . Si, comme cela est probable, cet article ne devait pas figurer dans la loi organique qui sera promulguée cet été, il conviendrait d'en reprendre le principe dans le cadre d'une future réforme de la loi organique. Le présent rapport rappelle donc les principes de la règle d'or adoptée par la commission puis par le Sénat. Mais davantage que les modalités précises d'une telle règle, c'est bien son existence qui doit être promue.

Dans le système proposé par la commission des affaires sociales, qui s'inspire de ce que prévoyait le projet de loi organique relatif au système universel de retraite, la règle d'or s'appuierait sur les éléments de pluriannualité qui existent déjà dans les PLFSS puisque ceux-ci comportent déjà une annexe faisant apparaître les prévisions de recettes, dépenses et soldes des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (ROBSS) et du FSV sur cinq ans, pour les années N à N+4.

Sur cette base, il faudrait que le cumul des soldes consolidés des ROBSS et du FSV des années N à N+4 soit toujours positif ou nul à compter du PLFSS pour 2025. La trajectoire concernerait alors les exercices 2024 à 2028.

Comme cela a été souligné dans le rapport de la commission sur ledit projet de loi organique 17 ( * ) , une telle règle serait à la fois contraignante et souple.

Contraignante, parce que le législateur ne s'est jusqu'à présent jamais doté d'un tel encadrement et que celui-ci imposerait, à l'avenir, de faire de véritables choix en matière sociale - sans plus céder à la tentation de vouloir offrir davantage de prestations sans en assumer le coût.

Souple parce qu'à l'inverse de la pratique d'un pays comme l'Allemagne en matière d'assurance maladie, les déficits ponctuels resteraient permis, l'équilibre étant constamment apprécié sur un moyen terme - celui d'un cycle économique. De plus, en cas de survenance de circonstances exceptionnelles , au sens de l'article 3 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) du 3 mars 2012 (comme par exemple la crise financière de 2008 ou la crise actuelle), l'échéance pour retrouver un équilibre global pourrait être étendue jusqu'à dix ans. Une telle souplesse rendrait d'autant plus nécessaire le contrôle du caractère réaliste de la trajectoire proposée, par le Parlement, le Haut Conseil des finances publiques et le Conseil constitutionnel.

Concrètement, l'article L.O. 111-4 du code de la sécurité sociale serait complété afin qu'y figure la règle selon laquelle, dans le rapport annexé aux PLFSS à compter de 2024, la prévision de solde cumulé de l'ensemble des ROBSS et des organismes concourant au financement de ces régimes (c'est-à-dire du FSV) pour la période allant de l'année en cours aux quatre exercices à venir est positive ou nulle . Le rapport présenterait les moyens et modalités permettant de parvenir à ce résultat afin d'en assurer la sincérité.

Comme indiqué ci-dessus, une dérogation serait prévue à ce principe en cas de « circonstances exceptionnelles » au sens du traité européen, dûment constatées dans les conditions prévues à l'article 23 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Dans ce cas, le rapport annexé au PLFSS préciserait celui des dix prochains exercices à l'issue duquel le solde cumulé de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes concourant au financement de ces régimes pour la période allant de l'année en cours audit exercice redeviendrait positif ou nul ainsi que les moyens et modalités permettant de parvenir à ce résultat.

En outre, la rédaction des articles 14 et 23 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 précitée serait modifiée de façon à :

- d'une part, permettre au Haut Conseil des finances publiques de se prononcer sur le caractère réaliste de la trajectoire quinquennale présentée dans le PLFSS ;

- d'autre part, prévoir, le cas échéant, la déclaration de « circonstances exceptionnelles » dans le rapport annexé au PLFSS.

On relèvera que l'instauration d'un tel mécanisme devrait sécuriser à long terme les ressources de la sécurité sociale, au travers d'une compensation systématique des mesures de baisses de recettes par des moyens simples et robustes.

Le respect du principe d'équilibre financier de l'assurance maladie obligatoire
en Allemagne pendant la crise de la covid-19

L'Allemagne a instauré, dans une loi du 26 mars 2007 entrée en vigueur en 2009 , une règle de stabilité financière de l'assurance maladie légalement obligatoire ( gesetzliche Krankenversicherung - GKV) 18 ( * ) .

Depuis lors, le financement de l'assurance maladie est assuré par un « Fonds de santé » qui reçoit l'ensemble des contributions des employeurs et des salariés ainsi que la participation de l'État fédéral, fixée en principe à 14,5 milliards d'euros par an. Ce fonds réaffecte ensuite les recettes revenant à chaque caisse. Si les besoins de financement d'une caisse d'assurance maladie ne peuvent pas être couverts par les virements reçus du Fonds de santé, celle-ci doit exiger de ses membres une contribution supplémentaire.

Pendant l'actuelle crise provoquée par l'épidémie de covid-19, la règle de l'équilibre financier demeure stricto sensu inchangée. Toutefois la participation financière de l'État fédéral a été rehaussée à titre exceptionnel en 2020 (à hauteur de 3,5 milliards d'euros) et devrait l'être de nouveau en 2021, dans des proportions à préciser. Un prélèvement dans les réserves des caisses d'assurance maladie (estimées mi-2020 à 20,6 milliards d'euros, soit cinq fois le niveau minimal de réserves prévu par la loi) est également envisagé. En toute hypothèse, le gouvernement fédéral a exclu une hausse de la contribution additionnelle des assurés afin de respecter l'engagement de la coalition à ce que le niveau des cotisations sociales ne dépasse pas 40 % des salaires et rémunérations.

Source : Division de la législation comparée du Sénat


* 16 Soit la totalité du produit de la CRDS, créée à cette fin et une partie du produit de la CSG.

* 17 Rapport Sénat n° 556 (2019-2020).

* 18 Pour plus de détails sur l'organisation et le financement de la médecine de ville en Allemagne, voir le rapport d'information Sénat n° 867 (2015-2016) de Jean-Marie Vanlerenberghe et Yves Daudigny.

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