DEUXIÈME PARTIE

UNE POLITIQUE PUBLIQUE INSUFFISAMMENT PORTÉE
ET INÉGALEMENT APPLIQUÉE SUR LE TERRITOIRE

Il y a ainsi un écart regrettable entre l'ambition de faire de l'égalité entre les femmes et les hommes, et notamment de la lutte contre les violences faites aux femmes, la grande cause du quinquennat et la réalité des moyens humains et financiers mis à disposition.

La réalité de ces derniers confère parfois à cette politique publique, un caractère quelque peu « artisanal ». Les rapporteurs spéciaux saluent ainsi le travail remarquable de ces acteurs, que ce soit l'administration en charge de cette question et les associations, pivots de cette politique publique, qui tentent de mener leurs missions à bien, avec les moyens dont ils disposent.

I. UNE POLITIQUE PUBLIQUE PORTÉE PAR DES ACTEURS FAISANT UN TRAVAIL REMARQUABLE MAIS EN DIFFICULTÉ CAR INSUFFISAMMENT DOTÉS

Cette politique publique repose, en administration centrale, sur un service des droits des femmes et de l'égalité sous-doté, et dans les territoires sur l'impulsion de personnalités ou d'associations.

A. UNE ADMINISTRATION CENTRALE ET DÉCONCENTRÉE DONT LES MOYENS NE SONT PAS À LA HAUTEUR DES AMBITIONS DE CETTE POLITIQUE PUBLIQUE

1. Le service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) : un acteur central, mais sans véritable poids et capacité d'action interministérielle

Parmi ces acteurs, il faut citer le service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) tout d'abord , rattaché à la direction générale de la cohésion sociale, composé de 25 équivalents temps plein (ETP) dont les moyens humains n'ont pas cessé de diminuer depuis sa création.

Évolution des effectifs du SDFE depuis 2013

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux (Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes)

Il s'agit ainsi d'un service de taille réduite et non d'une administration centrale, ce qui limite, malheureusement, sa visibilité et sa capacité d'action interministérielle. Son rôle est celui d'animateur de réseau mais il n'a pas les moyens d'une vraie administration centrale.

Il ne bénéficie pas d'un poids suffisant pour assurer une forte mobilisation des autres directions ministérielles concernées par la question des violences, et n'est surtout pas outillé pour répondre à toutes les missions croissantes demandées par le ministère. Il en est de même pour le réseau déconcentré qu'il anime.

2. Le réseau déconcentré des délégations aux droits des femmes : le risque d'épuisement professionnel qui guette face à un surcroit de tâches

L'organisation du réseau a été fixée par une circulaire du Premier ministre du 29 septembre 2015 , dont la mise en oeuvre s'est traduite par l'instruction du Gouvernement du 3 février 2017 relative à la politique des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes et à sa mise en oeuvre dans les territoires.

Ce réseau repose, au niveau régional, sur un directeur ou une directrice régional(e) , avec une équipe restreinte de 2/3 personnes, rattachée au SGAR et au niveau départemental sur un(e) délégué(e), placé(e) au sein des directions départementales à la cohésion sociale. Seules trois déléguées sont directement rattachées au préfet, le texte de 2015 faisant de ce rattachement une faculté.

Toutefois, ce schéma ne s'applique pas territoires d'Outre-mer dans lesquels se trouvent uniquement des directrices régionales, disposant parfois d'une assistante.

Effectifs du réseau déconcentré du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE)

Au 1 er février 2020, sont en poste :

- 12 directrices/directeurs régionales/régionaux métropolitain(e)s ;

- 11 directrices/directeurs régionales/régionaux délégué(e)s ;

- 92 délégué(e)s départementaux (dont 4 mises à disposition) ;

- 4 directrices régionales pour les DOM (dont 1 mise à disposition à titre gratuit), 2 correspondantes ultramarines (Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna) ;

- 10 assistants de gestion et 8 secrétaires.

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux (Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes)

Compte tenu de la faiblesse des effectifs, l'impact de postes non pourvus est immédiat et le SDFE ne dispose pas directement de crédits de vacation permettant de pallier certaines situations. Ces effectifs très minces sont indéniablement un facteur de fragilisation de cette politique . Le besoin d'ETP peut être évalué à 140 dans le réseau déconcentré contre 124,6 ETP notifiés en 2019, soit un écart de près de 15 ETP.

Au 1 er février 2020, 8 postes étaient non pourvus dans les territoires . Il semble y avoir un roulement important de ces postes de délégués, dû souvent à un épuisement professionnel . Ces personnes se trouvent souvent au coeur d'« injonctions contradictoires » , les demandes du ministère sur ces sujets d'égalité et des violences sont croissantes et les moyens désuets. C'est le cas pour le SDFE déjà cité, mais également pour la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF).

3. La mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) : un rôle essentiel mais des moyens désuets

La MIPROF, créée en 2012, comme les précédents acteurs, souffre d'une inadéquation croissante entre les sollicitations grandissantes et les moyens dont elle dispose.

S'agissant de la question des violences, cette mission dirigée par une secrétaire générale, a deux principales tâches en matière de lutte contre les violences faites aux femmes :

- la définition d'un plan national de formation des professionnels sur les violences faites aux femmes et la création d'outils de formation déclinés en fonction des spécificités des différentes professions et des différentes formes de violences ;

- un rôle d'observatoire national sur les violences faites aux femmes , avec pour mission de rassembler, analyser et diffuser les informations et données relatives aux violences faites aux femmes.

Les observatoires territoriaux des violences faites aux femmes

Outre l'observatoire national géré par la MIPROF, il existe des observatoires locaux, qui ne sont cependant pas présents sur l'ensemble du territoire. Ils sont au nombre de 22 selon la MIPROF, en charge du suivi de ce dispositif. Ils se situent:

- soit à l'échelon régional (2): Ile de France ( Observatoire régional des violences faites aux femmes rattaché au Centre Hubertine Auclert -association loi 1901 en Ile de France ), Pays-de-Loire (Association Union Régionale Solidarité Femmes des Pays de la Loire ) ;

- soit départemental (15) : Allier ( porté par le Conseil départemental, Direction générale adjointe des solidarités ), Corse ( Observatoire rattaché à l'adjointe de la DGA en charge les affaires sociales et sanitaires ), Deux-Sèvres, Gers ( Conseil départemental, Service Numéro vert social rattaché au cabinet du Président ), Gard ( Conseil départemental ), Gironde, La Réunion ( Préfecture ), Martinique ( association ALEFPA Martinique ), Pyrénées-Orientales ( Département, Direction Générale Adjointe Citoyenneté - Mission Égalité ), Mayotte, Seine-Saint-Denis ( Conseil départemental, Direction de la Prévention et de l'Action Sociale du Pôle Solidarité ), Tarn-et-Garonne ( Préfecture, coanimation avec l'UDAF82 sur les champs coordinations - formations ), Val de Marne ( Conseil Départemental du Val-de-Marne, Direction des Relations à la Population ), Vaucluse ( Préfecture ), Vienne ;

- soit local (5) : Arcueil ( Mairie d'Arcueil, Mission animation sociale des quartiers et égalité femmes-hommes ), Mitry-Mory ( Observatoire intégré à la Maison des droits des femmes et de l'égalité de la Ville ), Mulhouse ( Ville de Mulhouse, Pôle Prévention et Sécurité ), Nice ( Ville de Nice, Direction générale adjointe des Solidarités, Mission Égalité, Droits des Femmes, et Prévention du Harcèlement ), Paris ( Ville de Paris, Direction de la Démocratie, des Citoyen.ne.s et des Territoire, au sein du Service Égalité Intégration Inclusion. Politiquement rattaché à la délégation d'Hélène Bidard, adjointe à la Maire de Paris en charge de l'égalité femmes-hommes, de la lutte contre les discriminations et des droits humains ).

Trois observatoires seraient également en projet à Fontenay-sous-Bois ( porté par la ville ), à Saint-Quentin-en-Yvelines (Réseau Violences Intra Familiales de Saint Quentin porté par le Territoire d'Action Départementale de Saint Quentin du Conseil Départemental des Yvelines), et dans l'Hérault (Conseil départemental).

Ces observatoires fonctionnent grâce à des co-financements, notamment au niveau local. Des crédits nationaux peuvent néanmoins être mobilisés sur le financement de ces observatoires. Le SDFE ne dispose toutefois pas d'une vision exhaustive de l'ensemble des crédits mobilisés à ce titre, relevant du pilotage de la MIPROF. À titre d'illustration, il peut toutefois être indiqué, sur la base de retours de certains territoires les éléments d'informations suivants : l'observatoire animé par l'Union régionale solidarité femmes dans les Pays de Loire est financé par l'État à hauteur 10 000 euros (P 137) ; celui dans le Vaucluse était financé en 2019 par l'État (FIPD : 10 000 euros et P 137 : 13 500 euros) et par la région (6 000 euros); celui du Tarn-et-Garonne bénéficie d'une mise à disposition de temps agent (DDFE + coordinatrice qui rend compte à l'observatoire+ collaboration des réseaux associatifs), ainsi que de financements ponctuels sur des projets (FIPD, p 137, Conseil départemental, Politique de la Ville, Intercommunalités, CAF) ; celui de la Réunion reçoit une contribution du P.137 à hauteur de 14.190 euros.

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux (Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes)

Pour remplir ces missions, la MIPROF dispose d'un effectif réduit : cinq agents mis à disposition et un budget de fonctionnement de 20 000 euros par an. Les rapporteurs spéciaux ont été étonnés d'entendre comment étaient réalisés les outils de formation, sans équipements ou logiciels informatiques adéquats. Là encore, cette politique repose sur l'engagement de personnalités, comme sa secrétaire générale .

Par ailleurs, jouant un vrai rôle de coordination interministérielle sur le sujet de la lutte contre la traite des êtres humains, la MIPROF ne peut se consacrer autant, au vu de la faiblesse de ses effectifs, au sujet des violences contre les femmes . Les rapporteurs spéciaux regrettent ainsi le non-remplacement de Mme Ernestine Ronai, chargée de la coordination sur le sujet des violences faites aux femmes.

Dans le cadre du Grenelle, les différents acteurs et le Gouvernement se sont beaucoup reposés sur la MIPROF pour son expertise. Toutefois, les rapporteurs spéciaux craignent que la mission ne soit pas en capacité de porter toutes les mesures , que le Gouvernement lui a assignées notamment en matière de formation.

4. Le réseau des hauts fonctionnaires à l'égalité : un rôle variable selon les ministères

Depuis août 2012, un(e) haut(e) fonctionnaire à l'égalité (HFE) a été désigné(e) dans chaque ministère . Ils doivent participer à la mise en oeuvre de la politique d'égalité entre les femmes et les hommes, et celle relative aux violences faites aux femmes ( cf. encadré infra ).

Les missions des hauts fonctionnaires à l'égalité (HFE)

Elles sont prévues par la circulaire du 23 août 2012 :

- définir et mettre en oeuvre une politique publique en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes (coordination des travaux permettant de dresser l'état des lieux en matière d'égalité entre les femmes et les hommes dans l'ensemble des politiques relevant du ministère, élaboration des feuilles de route, coordination de la préparation et du suivi du plan d'action interministériel) ;

- suivre et impulser une politique des ressources humaines égalitaire (suivi des nominations de femmes aux emplois supérieurs avec le secrétariat général et les services chargés des ressources humaines du ministère, proposition de toutes mesures de nature à favoriser l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle des agent.e.s) ;

- suivre les travaux relatifs au renforcement de la prise en compte de la question des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes dans la préparation des textes législatifs et réglementaires et dans les indicateurs de performance des programmes du budget de l'État (élaboration des études d'impact ou du document de politique transversale) ;

- prendre toutes les initiatives utiles pour favoriser l'implication des services déconcentrés dans les politiques d'égalité entre les femmes et les hommes mises en oeuvre dans les territoires (notamment dans le cadre des plans régionaux stratégiques en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes élaborés par les préfets de région).

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux (Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes)

Toutefois, d'après les auditions réalisées, le rôle de ces hauts fonctionnaires semble assez hétérogène selon les ministères . Ils devaient avoir un rôle pivot mais nombre d'entre eux, en raison souvent d'un manque d'impulsion politique, se sont contentés de gérer le pilotage des ressources humaines du ministère et non de la politique publique . Des exemples de réussite existent, néanmoins, avec notamment la haute fonctionnaire à l'égalité du ministère de la justice, Madame Isabelle Rome, très impliquée sur le sujet des violences faites aux femmes, notamment aussi car très associée aux décisions de la ministre et du cabinet.

Par ailleurs, les rapporteurs spéciaux regrettent que ces postes ne soient pas assez valorisés , puisqu'ils pourraient constituer des relais essentiels pour la mise en oeuvre de la politique d'égalité et de lutte contre les violences.

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