B. LES AUTRES SOURCES DE FINANCEMENT : LES COLLECTIVITÉS LOCALES EN PREMIÈRE LIGNE, LES FINANCEMENTS PRIVÉS ET EUROPÉENS SOUS-EXPLOITÉS

L'État n'est pas le seul financeur public de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes, les échelons local et européen, à des niveaux différents, y contribuent également.

À l'instar des difficultés rencontrées pour comptabiliser les financements étatiques, il est encore plus complexe de parvenir à identifier ces sources de financement de façon exhaustive . Toutefois, les exemples d'actions et de financement mis en lumière infra sont révélateurs de la diversité et de l'importance de ces financements.

1. Aides publiques : un soutien important des collectivités territoriales et une source insuffisamment utilisée en provenance de l'Union européenne
a) Les collectivités territoriales : un soutien financier important qui peut néanmoins varier selon les territoires

Outre l'État, les collectivités locales , qui sont en première ligne, apportent un soutien financier très important à cette politique publique , mêmes si des disparités peuvent exister selon les territoires.

Toutefois, les systèmes d'information existants de l'État ne permettent pas de rendre compte, de manière exhaustive, des contributions des collectivités locales .

Il n'en demeure pas moins que les collectivités cofinancent de nombreux dispositifs et prennent en charge une part importante du financement de cette politique sur leurs territoires.

Ainsi, la contribution aux dispositifs d'accueil, d'écoute et d'orientation des femmes victimes de violences est estimée à 37 % de son coût en 2017 . Il est également difficile de déterminer le montant consacré à ce public dans les dispositifs généralistes, à l'instar de ceux existants en matière d'aide aux victimes ou d'hébergement par exemple.

Exemple des financements des lieux d'écoute et d'accueil de jour (LEAO)

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux (Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes)

Toutefois, il est parfois difficile de distinguer ce qui relève d'un financement global de la structure d'une aide spécifique apportée au dispositif en tant que tel . Ainsi, le fonctionnement du dispositif « accueil de jour » est mutualisé avec d'autres activités menées par une même structure : par exemple, l'accueil de jour en Seine-Saint-Denis, porté par l'association SOS femmes 93, perçoit une subvention de 210 000 euros de la direction régionale et interdépartementale de l'hébergement et du logement (DRIHL) au titre également de sa gestion d'un centre d'hébergement et de réinsertion sociale.

Exemples des financements des accueils de jour

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux (Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes)

Une obligation de remise d'un rapport sur la situation en matière d'égalité
entre les femmes et les hommes

L'article 61 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes prescrit aux collectivités territoriales et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants de présenter, préalablement aux débats sur le projet de budget, un rapport sur la situation en matière d'égalité entre les femmes et les hommes intéressant le fonctionnement de la collectivité, les politiques qu'elle mène sur son territoire et les orientations .

Ces rapports n'ont pas vocation à être transmis aux services de l'État . Ils ne sont pas transmis au contrôle de légalité. Cependant, une circulaire du 28 février 2017 demande aux préfets de se rapprocher des collectivités pour transmission de ces rapports . Le contenu de ces rapports est néanmoins maigre et peu exploitable, selon les informations communiquées aux rapporteurs spéciaux.

En 2018 et en 2020, un recensement des collectivités ayant rédigé ce rapport à tenter d'être fait, non exhaustif puisque la transmission n'est pas obligatoire. Cependant, pour 2018, il peut être établi qu'au moins 45 % des collectivités assujettis à l'obligation avaient rédigé le rapport dans son ensemble (partie RH et politique publique).

Les services du SDFE et notamment les délégués régionaux accompagnent chaque année plus de collectivités dans la rédaction du rapport sur la situation en matière d'égalité entre les femmes et les hommes. Il est à noter également qu'un accompagnement des collectivités locales sur ce sujet est également organisé par l'association Centre Hubertine Auclert, subventionnée par le programme 137, qui diffuse notamment le guide « Agir efficacement contre les violences faites aux femmes au niveau local ».

Source : commission des finances du Sénat

Il n'en demeure pas moins, que les collectivités constituent souvent des précieux laboratoires d'expérimentation :

- l'observatoire des violences de Seine-Saint-Denis , présidé par une figure militante, Ernestine Ronai, fut, par exemple, préfigurateur de nombreux dispositifs, comme le Téléphone Grave Danger ;

- il en est de même avec la communauté urbaine d'Arras , avec la mise en place, de longue date, du premier centre de prise en charge des auteurs de violence, que le Gouvernement veut généraliser, dans le cadre du Grenelle.

Outre ces éléments communiqués par le SDFE, les rapporteurs spéciaux ont pu obtenir des informations de l'Association des départements de France (ADF), de l'Union des centres communaux d'action sociale (UNCASS) et de l'Association des maires de France (AMF) extrêmement intéressantes.

Les départements, par la nature de leurs compétences sociales, agissent généralement directement en proposant aux femmes victimes de violences un accueil, une écoute et un accompagnement, par le biais de leurs travailleurs sociaux ou indirectement par des structures associatives qu'ils financent. Dans le cadre de leurs missions de protection de l'enfance, ils peuvent également intervenir en aide aux femmes victimes de violences.

Par ailleurs, ils participent également au financement de nombreux dispositifs comme les intervenants sociaux en commissariat en gendarmerie, les TGD etc. Des exemples de financements et d'actions des départements illustrant la diversité et l'importance de leur soutien figurent en annexe du présent rapport.

Outre les départements, les communes sont également en première ligne pour la déclinaison locale de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes . Lors de son dernier congrès, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité a adopté une charte faisant de la lutte contre les violences faites aux femmes, une grande cause du mandat . Elle propose aux communes et aux associations départementales de maires de la décliner localement.

Dans un memento intitulé « la commune et l'égalité femmes/hommes » publié en mars 2020 13 ( * ) , l'AMF propose aux communes de prendre une délibération-cadre réaffirmant leur attachement indéfectible à l'égalité femme/homme, mentionnant un(e) élu(e) en charge de cette responsabilité et indiquant la volonté de la municipalité d'adopter, dans un délai raisonnable, un plan global de promotion de l'égalité femme/homme et de la lutte contre les violences faites aux femmes. Le modèle de délibération, d'après les informations fournies aux rapporteurs spéciaux, devrait être transmis prochainement aux communes.

Concernant l'échelon intercommunal , 11 % des sollicitations d'aides et secours financiers auprès des centres communaux ou intercommunaux d'action sociale (CCAS et CIAS) sont liées aux violences conjugales , d'après le guide du premier accueil des aides facultatives de l'UNCASS. 14 ( * )

Exemples d'action des CCAS et CIAS, en matière de lutte contre les violences
faites aux femmes

Dans les situations de violence intrafamiliale, la première urgence est de mettre à l'abri les victimes. Pour ce faire, les CCAS et CIAS disposent souvent d'un parc d'hébergement d'urgence dédié, qui peut - selon les cas - prendre la forme de lieux identifiés, comme à Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane), de lieux destinés aux femmes sans abri comme aux victimes de violences, comme la Maison Simone Veil récemment inaugurée à Saint-Priest (Grand Lyon) ou d'une offre plus diffuse, comme sur le territoire d'Ambert-Livradois-Forez (Puy-de-Dôme). Le développement de cette offre demeure en soi un sujet : ainsi, les CCAS de Saint-Benoît et de Saint-André ouvriront bientôt les premiers logements temporaires de la Réunion pour les victimes de violences familiales et conjugales.

Outre leur fonction d'hébergement, ces lieux permettent également d'engager un travail d'accompagnement social en profondeur des victimes . Le but est de leur donner des clés pour se reconstruire et reprendre en main leur destin. À ce titre la Maison des Femmes de Roubaix (Nord), inaugurée à l'automne dernier et présentée au Congrès 2019 de l'Unccas, apparaît comme une initiative particulièrement ambitieuse. Nourri d'une démarche de design de service, le lieu, son organisation, son offre et jusqu'à sa décoration ont été pensés par les utilisatrices, en lien avec les équipes du CCAS : un moyen de se sentir bien dans ce nouvel espace et une première occasion de prendre la parole et de reprendre confiance en soi, avant d'entamer le travail sur son projet de vie.

Les CCAS et CIAS s'appuient également sur des partenariats avec de multiples acteurs : les départements, les services publics décentralisés et le monde associatif, mais également des acteurs privés tels que la société de taxis G7, qui a noué une convention de partenariat avec plusieurs villes des Hauts-de-Seine pour transporter gratuitement les victimes de violence à l'unité médico-judiciaire du département. Les travailleurs sociaux basés dans les locaux de la police ou de la gendarmerie, comme à Sens (Yonne) ou Issoudun (Indre) sont également des interlocuteurs précieux, dont le rôle devrait être renforcé par le plan de prévention de la délinquance publié récemment par le FIPD.

L'innovation technologique apparaît parfois comme un moyen de protéger les femmes en danger , comme l'outil Mon Shériff mis à disposition par le CCAS de Châteauroux (Indre), qui permet d'alerter simultanément cinq proches grâce à une simple pression sur un bouton.

Source : article de l'UNCASS « Droit des femmes : retours sur quelques leviers d'action des CCAS/CIAS », https://www.unccas.org/droit-des-femmes-retours-sur-quelques-leviers-d-action-des-ccas-cias#.XyLxJ9ZuK71

b) Les financements européens sont peu sollicités par les associations

Outre l'échelon national et local, la politique de lutte contre les violences faites aux femmes repose également sur des financements en provenance de l'Union européenne. Toutefois, ceux-ci demeurent sous-exploités . Lors des auditions réalisées, les rapporteurs spéciaux ont été étonnés d'entendre très peu de référence à ces financements, qui restent sous-utilisés.

Pourtant, des financements existent . Ainsi le programme Daphné III (2007-2013) disposait d'une enveloppe budgétaire de 116,85 millions d'euros. Depuis 2014, il relève du programme « Droits, égalité et citoyenneté » 2014-2020. Son enveloppe pour 2014-2020 est de 439,5 millions d'euros, dont 35 % destinés à la prévention et à la lutte contre la violence et à la protection des victimes. Sur la période 2021-2027, le programme devrait relever du nouveau programme « Droits et valeurs ». La proposition de la Commission européenne prévoyait une enveloppe commune de quelque 408,7 millions d'euros pour les volets « Daphné » et « égalité et droits ».

Une des raisons à cette sous-utilisation tient très probablement à la complexité des procédures et appels à projet pour les structures associatives, mais également à une insuffisante information de la part de l'État sur ces sources de financements potentielles.

2. Aides privées (dons des particuliers et mécénat) : une source de financement encore peu exploitée
a) Une source peu développée, même si cela commence à changer à la faveur du mouvement « me too » et de la période de confinement

Les aidées privées (dons des particuliers et mécénat) sont également une source peu développée, même si cela commence à changer à la faveur de la communication engendrée par le mouvement « me too » , et la période de confinement.

Une des rares études sur le sujet datant de 2016 15 ( * ) - étude menée par le Fonds pour les Femmes en Méditerranée, en collaboration avec le Centre Français des Fondations - sur la part des fonds et des fondations dans le financement de la promotion des filles et des femmes en France (2017/2018) - indiquait que les actions des fondations en faveur des droits des femmes représentaient un budget de 3 millions d'euros . Par ailleurs, cette étude montrait que seulement une fondation généraliste sur cinq déclarait investir contre les violences faites aux femmes et aucune d'entre elles ne déclarait soutenir financièrement l'égalité entre les femmes et les hommes.

La Fondation des femmes, quant à elle, a vu ses dons passer de 300 000 euros en 2017 à un million d'euros en 2019 , grâce à des évènements de collecte, mais ceux-ci demeurent faibles comparativement aux autres causes.

Ces remarques ne tiennent pas compte de l'évolution liée à la période de confinement, évoquée infra dans le présent rapport.

Ce faible recours aux dons et au mécénat s'explique principalement par le manque de visibilité de la cause et un personnel non formé à cette recherche de financement dans les associations , souvent des petites structures et pourtant des piliers de la politique de lutte contre les violences.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que le dispositif voté dans le dernier PLF, concernant la hausse du plafond de défiscalisation à hauteur de 75 % des dons versés n'est que très peu connu par les structures qui sollicitent des dons, et par les particuliers .

Cette méconnaissance du dispositif n'est que peu surprenante, au vu de l'étude de la fondation des Apprentis d'Auteuil, qui indique, s'agissant du rehaussement du plafond de déduction des dons aux organismes d'aide aux personnes en difficulté pour l'impôt sur le revenu, que « le fait que ce plafond ait été augmenté pour les dons effectués cette année, passant de 537 euros à 1 000 euros, est encore trop peu connu ». Seuls 27 % des Français (et 54 % chez les hauts revenus) savent en effet que ce plafond a été relevé 16 ( * ) .

Bien que peu développée dans la majorité des structures, le mécénat est une ressource qui est prisée par certaines structures, comme Women Safe, la Maison des femmes, et la Fondation des femmes, qui pourraient constituer des exemples en la matière.

S'agissant de Women Safe , le bilan 2018 présente un montant de ressources de 271 559 euros, soit 95 % de dons publics et privés. La répartition des financements est la suivante : 70 % pour les fonds publics et 30 % pour les dons et le mécénat. Des actions de fundraising et appels à générosité publique sont menées annuellement avec succès. Quant à la Maison des femmes , d'après les informations communiquées aux rapporteurs spéciaux, ses ressources en dons individuels mais surtout en provenance des fondations et entreprises privées ont augmenté régulièrement, au fur et à mesure que ses actions de plaidoyer et de lobbying étaient de plus en plus structurées et efficaces.

b) Toutefois, ces financements ont souvent un caractère non pérenne et peuvent aboutir à une « concurrence » entre structures

Comme le considèrent les associations, d'une manière générale, et les structures précitées en particulier, ce type de financement se heurte à son caractère ponctuel et non pérenne . Ils ne peuvent consister en un modèle de financement pour ces structures.

Pour la Maison des femmes, l'objectif à moyen terme est ainsi une sortie d'un financement privé, par une prise en charge plus adaptée de son budget par le ministère de la santé , s'agissant des consultations de suivi psychologique, puisque la plupart des patientes sont en situation de psycho-traumatisme et nécessitent une prise en charge très intense. Aujourd'hui la grande partie des financements privés, récoltés par la structure, sert à payer les psychologues.

La recherche de ce type de financement occasionne, par ailleurs, une concurrence importante entre structures . Certaines associations regrettent que les organisations se présentant comme une interface bailleurs/organisations de terrain ne permettent pas le développement de leurs contacts directs auprès des fondations, puisque leur temps opérationnel de terrain pénalise leur travail régulier auprès de ces financeurs potentiels.


* 13 https://www.amf.asso.fr/m/document/fichier.php?FTP=3e6adf0f0b2d03f4ca78d14a3b45e4bb.pdf&id=39945

* 14 https://www.unccas.org/vivre-premier-accueil-et-aides-facultatives-au-sein-des-ccas-cias#.XoLz3nI682w

* 15 Figurant dans le rapport précité « où est l'argent contre les violences faites aux femmes », 2018.

* 16 https://www.moneyvox.fr/actu/79853/dons-aux-associations-18-des-francais-comptent-donner-moins-que-annee-derniere.

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