II. LA CONTINUITÉ DES SERVICES PUBLICS DANS LES TERRITOIRES MISE À L'ÉPREUVE PAR UNE ORGANISATION INEFFICIENTE

A. LA RÉPONSE IMMÉDIATE À LA CRISE A PÂTI D'UN MANQUE DE COHÉRENCE ET D'ORGANISATION

1. À crise globale, réponse globale : la nécessité d'une approche concertée et unifiée de la gestion de crise
a) Les réformes de l'organisation territoriale de l'État ont suivi une logique gestionnaire, peu adaptée à la gestion de crise

Les réformes récentes de l'État territorial ont eu pour objectif et conséquence la diminution des coûts liés aux services déconcentrés de l'État . La réforme de l'administration territoriale de l'État (dite « RéATE ») a particulièrement ciblé les services déconcentrés compris dans le champ d'étude des co-rapporteurs 118 ( * ) : services des préfectures et des diverses directions placées sous l'autorité des préfets (DIRECCTE, DDCS/PP, DREAL, etc .) 119 ( * ) .

Dans un rapport de décembre 2017, la Cour des comptes relevait l'inégale répartition des efforts consentis par les services déconcentrés de l'État lors de la RéATE , comme l'illustre le tableau ci-dessous.

Tableau récapitulatif de l'évolution des effectifs
des services déconcentrés entre 2011 et 2015

en ETP

2011

2015

Évolution
2011-2015

Périmètre hors RéATE

Éducation nationale

879 171

874 984

-0,48 %

dont Enseignants

859 294

855 028

-0,50 %

dont rectorats/DSDEN

19 877

19 956

0,40 %

Police et gendarmerie

240 298

241 476

0,49 %

DDFiP/DRFiP

102 970

91 848

-10,80 %

Douanes (services régionaux)

14 767

13 931

-5,66 %

DIR

8 597

8 246

-4,08 %

Total périmètre hors RéATE

1 245 803

1 230 485

-1,23 %

Périmètre RéATE

DRAC

2 237

2 187

-2,24 %

DIRECCTE

10 461

9 744

-6,85 %

DRJSCS

2 192

2 127

-2,97 %-

DDCS/PP

9 550

9 072

-5,01 %

DRAAF

2 313

2 142

-7,39 %

DREAL

9 903

9 615

-2,91 %

DDTM (agents MAAF+MEEM)

23 387

17 050

-27,10 %

Préfectures

27 530

26 011

-5,52 %

SGAR

1 030

983

-4,49 %

Total RéATE

88 603

78 931

-10,92 %

Total

1 334 406

1 309 416

-1,87 %

Source : « Les services déconcentrés de l'État », Cour des comptes, 2017, p. 26.

Les services placés sous l'autorité des préfets, inclus dans le « périmètre RéATE », ont ainsi consenti l'essentiel des efforts en moyens humains et financiers. Le dimensionnement de ces efforts budgétaires pose question : si de telles restrictions peuvent correspondre au fonctionnement normal de ces services, elles obèrent leur capacité de réponse en temps de crise .

b) La fragmentation de l'État territorial nuit à l'action des services en temps de crise

Ces restrictions budgétaires se sont doublées de modifications dans la gouvernance et la gestion de certains services déconcentrés dont l'orientation était surdéterminée par une conception gestionnaire de l'action publique . Il en va ainsi de la multiplication des agences et des autorités administratives indépendantes, qui sont autant de manières de cantonner l'action publique à des domaines d'expertise restreints là où la gestion de crise exige au contraire un décloisonnement des services, permettant d'apporter une réponse globale et coordonnée. L'organisation verticale, « en silos », qui en résulte, fragilise la cohérence de l'action publique au moment où elle est la plus nécessaire.

Les réformes récentes des services déconcentrés de l'État ont ainsi été menées pour des motifs essentiellement budgétaires qui, s'ils ne sont pas problématiques en soi, ne se sont pas accompagnés d'une réflexion d'ensemble sur le champ et l'étendue des missions exercées par ces services.

Or parmi celles-ci figure la gestion de crises telles que celle que traverse notre pays. Cette mission, à laquelle les services des préfectures sont rompus, ne semble pas avoir été pleinement assimilée par les ARS.

c) Vers une réunification de l'État territorial autour du préfet

À l'issue de leurs travaux, les co-rapporteurs estiment donc qu'une réunification de l'État territorial autour du préfet est nécessaire en temps de crise.

Cette crise semble ainsi avoir frontalement posé la question des relations des préfectures avec les services de l'État qui ne sont pas placés sous l'autorité directe du préfet , notamment les agences régionales de santé (ARS), leurs délégations départementales ainsi que les directions académiques des services de l'Éducation nationale (DASEN).

L'éclatement de ces services pose en effet, en temps de crise, des problèmes pratiques de coordination . En matière de communication, un domaine essentiel à la gestion réussie d'une crise, le préfet des Vosges a ainsi décrit la difficile mise en place d'une communication de crise efficace, lorsque services de la préfecture, de l'ARS et du rectorat peinent à se coordonner.

D'autres acteurs ont déploré, au-delà du constat d'éclatement des divers services amenés à gérer la crise, le défaut pour certains d'entre eux d'une réelle culture en la matière. Comme les co-rapporteurs en faisaient déjà état dans le rapport d'étape de la mission de suivi de la commission des lois 120 ( * ) , la plupart des personnes auditionnées ont ainsi relevé la difficulté, pour des structures ne disposant pas d'une culture de gestion de crise, de rompre avec leur fonctionnement habituel pour dialoguer avec les acteurs ne relevant pas directement de leur champ de compétence.

La création d'une task force territoriale pour réduire le nombre d'interlocuteurs et établir une chaîne de commandement à la fois claire et lisible semble indispensable en temps de crise . Les politiques publiques doivent être pensées dans un écosystème global, se déployant sur les champs sanitaire, social et économique.

Proposition n° 2 : en temps de crise, créer une task force permettant au préfet de coordonner l'ensemble des services déconcentrés du territoire, que ceux-ci soient normalement placés sous son autorité ou non.

Par ailleurs, à plus long terme, une réflexion gagnerait à être engagée sur le désarmement de l'État territorial qui a accompagné sa fragmentation . Auditionné devant la commission des lois, Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, s'est ainsi dit favorable à ce que soit ouvert « un débat sur l'opportunité et les limites de “l'agenciarisation”, sur la réunification de l'action de l'État dans les territoires et sur la question de la déconcentration ».

Proposition n° 3 : à plus long terme, penser la réunification de l'État territorial, l'organisation territoriale devant également être conçue en fonction des situations de crise.

2. Un sérieux défaut d'organisation : mieux anticiper et se doter des outils permettant la continuité des services publics

Si l'ampleur de la crise sanitaire pouvait difficilement être prévue, certains services publics sont apparus particulièrement mal préparés à son éventualité. L'interruption de la continuité du service public de la Poste dans les premiers temps du confinement est apparue à cet égard particulièrement problématique.

Un exemple de défaut d'anticipation :
le service public de la Poste face à la crise sanitaire

Le manque d'anticipation a conduit à l'interruption temporaire des services postaux avant la mise en place progressive d'une stratégie de continuité du service public. Ne disposant pas de matériel de protection et faisant face à un fort taux d'absentéisme
- qui a pu atteindre 30 % dans les Vosges, par exemple -, La Poste a fait le choix de fermer les bureaux dont la superficie ne permettait pas d'assurer le respect des « gestes barrières ». Ainsi, durant les quinze premiers jours du confinement, seuls 1 600 bureaux de vote sont restés ouverts, sur plus de 6 500.

Ces décisions ont souvent été prises sans concertation préalable avec les élus locaux , entraînant une rupture de la continuité du service public dans les territoires ruraux où se concentrent les bureaux de taille modeste. La réduction drastique du nombre de vols commerciaux à destination des outre-mer a également perturbé la distribution du courrier dans ces territoires.

La distribution de masques et de gel hydro-alcoolique a permis de rouvrir progressivement les établissements mais, un mois après le début du confinement, le taux de bureaux ouverts ne dépassait pas 54 %. L'effondrement du nombre de points de contact a cependant été partiellement compensé par le maintien en activité des relais commerçants.

La crise sanitaire a également perturbé l'approvisionnement des distributeurs automatiques de billets. Dans certains départements comme la Martinique ou les Vosges, près du quart des distributeurs automatiques de billets n'ont pas été alimentés durant la première semaine de confinement.

La Poste a progressivement rétabli une certaine continuité de son service, grâce à la mise en place de mesures comme l'information des clients par SMS ou le recours aux forces de l'ordre en Seine-Saint-Denis pour sécuriser les abords des bureaux de postes. Ces dispositions ont ainsi permis de gérer correctement l'afflux de clients provoqué par le versement des prestations sociales le 4 avril 2020.

Il importe donc de développer les outils permettant, face aux crises futures, de pleinement garantir la continuité des services publics .

À titre d'exemple, les maisons France Service 121 ( * ) , qui regroupent en un guichet unique plusieurs organismes tels que la Poste, la caisse d'allocations familiales et les ministères de l'intérieur, de la justice et des finances publiques, auraient pu jouer un rôle de premier plan dans la garantie de la continuité des services publics. Or, en s'appuyant uniquement sur les outils numériques en période de crise, le réseau France Service, géré par la nouvelle Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) a affaibli l'accès aux services publics d'une partie de la population. L'on constate ainsi une chute drastique, de l'ordre de 90 %, du nombre de sollicitations auprès des maisons France Service, ce qui montre que les usagers ont souvent préféré reporter leurs démarches administratives plutôt que de les réaliser à distance . Alors que 59 d'entre elles ont cessé toute activité, sans concertation préalable avec les acteurs locaux, elles ne semblent en tout état de cause pas suffisamment identifiées par les citoyens.

Deuxièmement, l'accès aux services publics par voie numérique n'a pas constitué une réponse pleinement satisfaisante aux enjeux posés par le confinement. Si des initiatives ont été prises en la matière, comme le prouve le déploiement par la direction interministérielle du numérique (DINUM), en collaboration avec l'ANCT, de la plateforme « Solidarité numérique » 122 ( * ) , elles ne sauraient apporter de réponse satisfaisante aux 13 millions de Français qui rencontrent des difficultés dans l'approche du numérique avec les services publics.

L'inclusion numérique apparaît ainsi, à la lumière de la crise sanitaire, comme un enjeu majeur dans l'amélioration de l'accès des usagers aux services publics . Les efforts engagés par l'État dans cette voie, à l'image du déploiement de la plateforme « observatoire.gouv.numerique.fr », qui permet aux usagers de mesurer la qualité de chaque démarche administrative dématérialisée par le biais de questionnaires de satisfaction, doivent être encouragés.

Néanmoins, la dématérialisation à marche forcée des procédures administratives ne saurait être une alternative satisfaisante à l'accueil physique du public tant que l'illectronisme perdurera, d'une part, et que, d'autre part, la qualité des réseaux ne sera pas améliorée sur l'ensemble du territoire. Les travaux de déploiement de la fibre optique, dans le cadre du plan « France très haut débit », et la généralisation de la 4G doivent donc être impérativement poursuivis.


* 118 Pour mémoire, celui-ci n'inclut pas les services du ministère de l'éducation nationale, les directions régionales et départementales des finances publiques (DRFiP et DDFiP) ou encore les services rattachés au ministère de la justice.

* 119 DIRECCTE : directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ; DDCS/PP : directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations ; DREAL : directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement.

* 120 « Deuxième rapport d'étape sur la mise en oeuvre de l'état d'urgence sanitaire », 29 avril 2020.

* 121 Pour mémoire, le label France Service, créé l'année dernière en remplacement des maisons de services au public (MSAP), a été pensé comme un moyen de renforcer la proximité et l'accessibilité du service public. Le label prévoit ainsi que chaque maison devra disposer de deux agents formés à l'accueil du public, l'objectif étant qu'à l'horizon 2022, chaque Français puisse accéder à une maison France Service en moins de 30 minutes.

* 122 Cette plateforme a vocation, via une ligne téléphonique animée par des bénévoles et un site internet, à accompagner dans leurs démarches administratives les publics les plus éloignés du numérique.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page