B. FACE À UNE CRISE DURABLE, FAIRE CONFIANCE AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

1. La sortie du confinement a été insuffisamment concertée avec les collectivités territoriales

Lorsqu'elle a été réussie, la gestion des conséquences du confinement a associé étroitement services de l'État et collectivités territoriales , chacun cessant temporairement de s'interroger sur son champ de compétences pour coopérer activement et proposer, face à une situation inédite, des réponses originales.

Les co-rapporteurs souhaitent ainsi souligner plusieurs exemples de coopération réussie entre services de l'État et collectivités. Dans le Morbihan, l'initiative de « l'usine invisible » a associé plusieurs niveaux de collectivités territoriales, services de l'État et acteurs privés (couturiers professionnels ou amateurs volontaires) et permis, grâce à l'intelligence du terrain, de structurer rapidement une filière de production de masques de protection en tissu.

La mise en place d'une « usine invisible »
dans le département du Morbihan

Face à la pénurie initiale de masques de protection, les élus locaux, accompagnés par la préfecture du Morbihan, ont souhaité fédérer les forces du territoire pour créer une « usine invisible » chargée de fabriquer des masques dit « grand public ».

Comme l'a souligné Yves Bleunven, président de l'association des maires du Morbihan, cette idée est née en observant la mobilisation des couturières et couturiers dans la fabrication des masques qu'ils fournissaient ensuite aux infirmières et aux EHPAD. Il a paru nécessaire aux élus locaux d'encourager ces bonnes volontés plutôt que d'avoir systématiquement recours aux importations.

Les collectivités ont assuré la logistique, achetant le tissu homologué par les autorités sanitaires et fournissant des kits prédécoupés aux couturiers, avant de récupérer les masques cousus et d'en assurer la distribution. Les couturiers ont été indemnisés, à hauteur de 2,80 euros par masque réalisé.

Les premiers masques ont eu vocation à équiper les agents des collectivités territoriales, en vue de préparer la sortie du confinement. Les premières commandes, centralisées par les douze EPCI à fiscalité propre du département, concernaient entre 70 000 et 100 000 masques.

Dans un second temps, « l'usine invisible » a eu pour but de fournir au grand public un produit issu de l'économie locale et respectant les normes de sécurité.

Source : « Deuxième rapport d'étape
sur la mise en oeuvre de l'état d'urgence sanitaire », publié le 29 avril 2020

De même, les plans de lutte contre les violences intrafamiliales et contre l'isolement mis en place en Martinique ( cf. supra ) ont résulté d'une initiative concertée entre services de l'État, collectivités territoriales et tissu associatif.

Les co-rapporteurs ne peuvent que déplorer le contraste entre ces initiatives concertées, engagées dans l'urgence des premiers temps de la crise, et la préparation du déconfinement, qui semble avoir délaissé cette intelligence de terrain pour une reprise en main qu'il est difficile de qualifier autrement que bureaucratique .

La gestion de la réouverture des établissements scolaires a ainsi paru, en particulier pour les communes, déconnectée des réalités de terrain. Sans se prononcer sur les conditions de cette réouverture, les co-rapporteurs tiennent à souligner que l'ensemble des représentants de maires, notamment ruraux, auditionnés ont insisté sur l'absence de concertation dont a pâti la réouverture de ces établissements.

De façon analogue, Romain Colas, maire de Boussy-Saint-Antoine et représentant de l'Association des petites villes de France (APVF), a fait part de l'incompréhension des élus locaux face à la décision, prise au niveau national, de l'interdiction de l'ouverture des parcs et jardins publics dans les départements classés en « zone rouge » 123 ( * ) . Bien que compréhensifs des enjeux sanitaires en cause, il a semblé difficilement acceptable pour des élus locaux de ne pas être davantage associés à une décision nationale dont ils assumaient aux yeux de leurs concitoyens la responsabilité de fait.

2. L'occasion d'une confiance retrouvée entre l'État et les collectivités territoriales

Les conséquences économiques et sociales de cette crise sanitaire vont être durables. Il apparaît donc plus que jamais nécessaire de renouer un lien de confiance entre État et collectivités territoriales. Alors que l'État s'est en partie reposé sur la connaissance du terrain des collectivités territoriales dans la gestion des effets de court terme de la crise, il doit désormais leur montrer une confiance accrue dans la gestion de la période qui s'est ouverte avec la fin du confinement.

a) Procéder aux ajustements nécessaires des compétences des collectivités territoriales

À la lumière de la crise sanitaire, certains ajustements dans les compétences des collectivités territoriales pourraient être étudiés, en particulier en ce qui concerne les départements dont les possibilités de réaction semblent avoir été corsetées par le champ de leurs compétences. Sans que les co-rapporteurs aient jugé utile de rouvrir le débat autour de la clause de compétence générale des départements, ils estiment que des ajustements dans les compétences de cette catégorie de collectivité territoriale leur permettraient de mieux réagir face à certaines situations de crise. Deux pistes semblent à cet égard particulièrement prometteuses.

La première est la possibilité de déroger, en situation d'urgence reconnue, à la répartition des compétences entre collectivités territoriales . Cette piste de réflexion, qui figure parmi les cinquante propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales, permettrait de décloisonner temporairement les champs de compétences des collectivités territoriales et de leur permettre d'agir de concert, dans toute la mesure de leurs capacités, pour juguler les effets d'une telle crise.

Proposition n° 4 : permettre aux collectivités de déroger, en situation d'urgence reconnue, à la répartition de leurs compétences .

En second lieu, l'impossibilité pour les départements de répondre aux situations de crise économique sur leur territoire semble contraire au bon sens. Sans remettre en cause les équilibres actuels, il semble donc nécessaire de permettre les délégations de compétences en matière économique aux départements, sous l'autorité de la région qui demeurerait chef de file en la matière.

Proposition n° 5 : permettre les délégations de compétences en matière économique des régions aux départements.

b) Accompagner financièrement les collectivités territoriales dans les actions qu'elles auront bientôt à mener

Face à cette crise inédite, la question de l' accompagnement financier des collectivités territoriales est amenée à se poser avec acuité, tout particulièrement pour les exercices 2020 et 2021.

L'ensemble des personnes auditionnées ont ainsi exprimé leur inquiétude quant à la dégradation de l'équilibre financier des collectivités territoriales à la suite de cette crise : une hausse des dépenses, notamment d'intervention (versement du RSA par les départements) conjuguée à une nette diminution des recettes (baisse des recettes fiscales liées à l'activité économique notamment) devrait se traduire par des difficultés financières affectant l'ensemble des collectivités territoriales.

Face à ce risque et sans préjudice des mesures en cours d'examen dans le cadre du troisième projet de loi de finances rectificative de cette année, les co-rapporteurs souhaiteraient évoquer plusieurs options.

Dans l'immédiat et dans le contexte d'incertitude actuelle, il semble de la première importance de stabiliser la situation financière des collectivités territoriales en instaurant un moratoire sur la réforme de la fiscalité locale entamée en loi de finances initiale pour 2020. Par ailleurs, plusieurs associations d'élus ont évoqué la possibilité d'isoler les dépenses de gestion de crise dans un compte distinct ou un budget annexe, dans le but de permettre l'endettement sur les sommes et faciliter ainsi leur amortissement.

Afin de rassurer les collectivités territoriales sur leur situation financière et préserver une visibilité sur leurs ressources, il apparaît nécessaire de pérenniser et d'étendre les mécanismes de garantie des pertes, proposés aux communes, aux départements, dont les pertes financières devraient être massives en raison de leurs compétences sociales.

Enfin, une réflexion sur certaines réformes plus structurelles gagnerait à être menée afin de préparer au mieux les finances des collectivités territoriales aux crises futures . Dans ce sillon, il pourrait apparaître pertinent de permettre aux collectivités qui le souhaitent de lisser leur gestion budgétaire en ayant la possibilité de tenir un compte provisionnel contra-cyclique . Ce compte serait provisionné les années excédentaires et débité les années exigeant des dépenses exceptionnelles.

Des mesures de cette nature doteraient les collectivités territoriales des moyens de se préparer financièrement à des crises d'ampleur comme celle que nous connaissons actuellement tout en leur donnant une visibilité accrue sur leurs finances.


* 123 Article 9 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

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