B. LES PROPOSITIONS SECTORIELLES

Les propositions spécifiques à telle ou telle filière visent à développer par ordre d'importance et de priorité à donner dans nos politiques publiques : la méthanisation , qui permet de valoriser la partie fermentescible de la biomasse et des déchets, le photovoltaïque , l'éolien et les biocarburants . Les autres productions d'énergie issues du monde agricole sont de taille si négligeable (petite hydroélectricité, géothermie...) que le présent rapport n'a pas entendu formuler de propositions spécifiques pour elles, en dépit de leur intérêt.

Les dernières propositions dépassent le strict cadre de l'étude et abordent les perspectives de stockage ou de conversion de l'énergie , seul moyen de résoudre le problème de l'intermittence des filières photovoltaïques et éoliennes.

Elles évoquent aussi l'utilisation de l'hydrogène et des processus tels que la méthanation , à ne pas confondre avec la méthanisation et qui est un processus de production de méthane de synthèse (CH 4 ) à partir de dihydrogène (H 2 ) et de monoxyde de carbone (CO) ou de dioxyde de carbone (CO 2 ), grâce à un catalyseur ou des microorganismes. La méthanation pouvant être utilisée pour la conversion d'électricité en gaz (« Power to gas »), cette électricité devant être autant que possible décarbonée, ce qui renforce l'intérêt de la méthanation.

Sur la méthanisation

10. Développer de manière prioritaire la méthanisation, la coupler le plus souvent possible à la méthanation, mobiliser la biomasse au service de la bioéconomie et accroître les ambitions trop modestes de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) sur le biogaz

La méthanisation représente un mode de production d'énergie vertueux et majeur à privilégier dans le monde agricole et qui lui est spécifique . En effet l'éolien, le solaire PV ou le solaire thermique ne sont pas spécifiques au secteur agricole. Outre son rendement énergétique de bon niveau, elle bénéficie d'une proximité avec l'activité agricole et lui est complémentaire, sans induire de risques de conflits d'usage . Elle favorise l' économie circulaire , avec le traitement des déchets fermentescibles, qui va devenir un sujet de premier plan avec l'obligation de la collecte des biodéchets dans les villes au plus tard le 31 décembre 2023 198 ( * ) . La micro-méthanisation dans les villes sera une piste 199 ( * ) mais l'existence d'un plus grand nombre de méthaniseurs en zone rurale et péri-urbaine sera nécessaire.

La méthanisation peut être un levier pour la transition agroécologique , en apportant en même temps des réponses à certaines questions du monde agricole et en faisant entrer les exploitations agricoles dans une approche transversale et multiperformance. L'écart de prix de un à quatre du biogaz avec le prix du gaz naturel 200 ( * ) implique d' intégrer toutes les externalités dans le modèle économique de la filière biogaz. D'après le cabinet ENEA Consulting, l'évaluation de ces externalités peut être estimée entre 40 et 70 euros/MWh, en fonction de la valeur de la tonne de CO 2 .

Valeur des externalités de la filière biogaz


Source : ENEA Consulting.

Il faut noter que le nombre de méthaniseurs est faible mais en croissance en France , et que cette filière est donc à valoriser. Un pays comme l'Allemagne ayant énormément développé cette filière n'a désormais plus à en faire une priorité, mais notre voisin constitue un laboratoire intéressant pour ce qu'il convient de faire et de ne pas faire.

Dans la mesure où la filière biogaz impose de valoriser la biomasse et les déchets fermentescibles, elle comporte toujours le risque d'induire des tensions sur les productions , voire de poser dans des cas rares des conflits d'usage ou de réduire le retour au sol de matière organique , essentiel pour le stockage du carbone, il faut se donner les moyens d'accroître la biomasse .

Certaines solutions permettent de contourner ces difficultés en matière de tensions et de conflits et d'augmenter notre production de biomasse, à l'instar des cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) mais aussi du recours plus systématique aux haies (facteurs de biodiversité, productrices de biomasse, bénéfiques pour le stockage du carbone...) ou plus modestement - mais les petites rivières font les grands fleuves - de la récupération des sarments dans les vignobles.

En plus des CIVE, il faut souligner que certaines cultures ont un intérêt particulier pour la production rapide de biomasse, à l'image du miscanthus , de surcroît potentiellement mobilisable aussi pour la production de biocarburants de 2 e génération.

Il ne faut pas, en outre, négliger les difficultés potentielles liées à la mise en oeuvre de ces solutions : effets du changement climatique (instabilité et phénomènes comme la sécheresse), surcoût (en termes de travail, d'énergie...), nouveaux besoins d'intrants (eau, fertilisants, voire produits phytosanitaires...), etc. Une méthanisation raisonnée doit permettre de réduire les tensions sur les productions et de prévenir les risques des cas rares de conflits d'usage.

Comme vu précédemment, il est très utile de coupler la méthanisation le plus souvent possible à la méthanation , afin de récupérer le CO 2 issu de la méthanisation et de stocker de l'énergie, c'est pourquoi il faudra chercher à assortir tous les nouveaux projets de méthaniseurs d'une installation de méthanation.

Les rapporteurs déplorent les ambitions trop modestes de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) pour le biogaz et préconisent de porter davantage d'attention à cette filière, qu'il convient également d'intégrer pleinement à la SNBC (elle est évidemment d'ores et déjà pleinement partie prenante de la SNMB). Alors que la LTECV fixait en 2015 un objectif ambitieux de 10 % de la consommation de gaz en 2030, soit 39 à 42 TWh , la PPE de 2016 a fixé l'objectif de 8 TWh injectés dans le réseau en 2023, que la PPE de 2020 a ramené à 6 TWh, ce qui est clairement insuffisant 201 ( * ) .

11. Défendre le droit à l'injection du biogaz et encourager le raccordement au réseau national de gaz des installations existantes

Principale source d'énergie renouvelable en matière de gaz, le biométhane doit, d'une part, voir son injection dans les réseaux de transport et de distribution de gaz naturel encouragée et soutenue financièrement.

D'autre part, les méthaniseurs doivent le plus souvent possible être reliés au réseau national de gaz naturel , ce raccordement au réseau devant s'inscrire dans le cadre d'un droit reconnu et protégé, le droit à l'injection.

La loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi EGALIM, a instauré le droit à l'injection dans les réseaux de gaz au profit des producteurs de biogaz (article L. 453-9 du code de l'énergie) afin de faciliter le développement des projets de méthanisation. Cette avancée mérite d'être saluée mais elle n'est pas appliquée de manière satisfaisante. Le décret d'application n° 2019-665 et l'arrêté relatif aux conditions de mise en oeuvre de ce droit à l'injection ont été publiés le 29 juin 2019. Le plafond d'investissement est fixé par ce décret à 0,4 % des recettes annuelles des tarifs d'utilisation du réseau de distribution. Or, pour GRDF, ce plafond s'avère en pratique impossible à appliquer alors que la concertation envisageait un plafond cinq fois plus élevé et serait en contradiction évidente avec les objectifs d'une politique énergétique qui se doit d'être lisible et stable pour rassurer et inciter les acteurs à investir massivement dans la transition énergétique.

12. Assurer la traçabilité des intrants dans les méthaniseurs pour garantir leur pouvoir méthanogène ainsi que la bonne qualité des digestats en vue de leur épandage

La traçabilité de chaque intrant dans un méthaniseur est utile à plusieurs égards : elle permet de connaître leur « pouvoir méthanogène » 202 ( * ) de certifier la bonne qualité du digestat et de distinguer dès le stade de l'amont du processus de méthanisation deux types de digestats selon leur qualité, ce qui permet d'isoler les digestats de qualité incertaine des digestats de bonne qualité, sans les mélanger a posteriori . Le suivi de la provenance des intrants contribue donc à garantir dès le stade amont une méthanisation propre, sûre et durable .

Connaître les intrants est aussi nécessaire à l'identification du caractère agricole ou non du méthaniseur. Sur les 950 méthaniseurs recensés, on dénombre environ 500 méthaniseurs liés à l'agriculture (c'est-à-dire utilisant au moins 50 % d'intrants d'origine agricole) mais ce chiffre est lui-même sujet à caution en raison de la faiblesse du suivi de ces installations et de leurs intrants . La traçabilité est aussi une condition au processus de labellisation évoqué précédemment.

Dans la mesure où la qualité du digestat dépend directement de la qualité des intrants , et en vue de garantir un niveau minimal de qualité des digestats destinés à l'épandage, il convient de viser le respect de critères d'efficacité (effet fertilisant, fonction des caractéristiques physiques et biologiques des sols, etc., ces critères nécessitant de savoir maîtriser le retour au sol des digestats et de les inclure dans les pratiques culturales) et d'innocuité (ETM 203 ( * ) , composés organiques, agents microbiologiques, etc.), le cas échéant des contrôles qualité doivent être réalisés.

Pour être normalisé, un digestat doit être composté selon les critères des normes existantes (NFU44-051, NFU44-095, NFU42-001...) et donc être constitué de matières premières prévues par ces normes. Aujourd'hui sauf homologation, les digestats bruts sont soumis à autorisation préfectorale pour leur épandage. Les services de l'État auront de plus en plus à analyser la qualité du digestat selon sa compatibilité avec les types d'agriculture concernés. Plutôt qu'une approche duale (accord ou rejet), une approche « contextuelle » doit permettre des épandages adaptés à la nature des cultures et des sols affectataires dont les propriétés physico-chimiques peuvent fortement varier. Pour les agriculteurs, cela peut conduire à reconcevoir leurs pratiques et leurs systèmes de culture.

Ces observations impliquent d'intégrer dans la conception du projet de méthaniseur, le dimensionnement - y compris financier - et la mise en place des installations des ateliers de traitement des digestats, avec des étapes de compostage, de séchage et d'hygiénisation.

Pour Frédéric Terrisse, directeur général adjoint d'Engie Bioz et président de la commission gaz renouvelable du syndicat des énergies renouvelables, le digestat doit pouvoir être commercialisé : « aujourd'hui le digestat est considéré comme un déchet, son épandage est donc soumis à des règles administratives très strictes. Dès lors qu'il y a un cahier des charges strict, il semble important de sortir le digestat de son statut de déchet afin qu'il ait le statut de produit, et donc permettre la commercialisation du digestat ».

Le présent rapport invite à repenser globalement la notion de déchet : le digestat ne doit pas être considéré comme un simple déchet mais plutôt comme une ressource, pour autant il serait prématuré de le rendre commercialisable . Une telle évolution juridique doit être bien analysée et mesurée en termes d'impacts et d'effets collatéraux.

13. Organiser une vigilance sur la qualité des installations par un suivi régulier et recourir à des contrôles de sécurité ponctuels

Augmenter le nombre de méthaniseurs passera par des exigences accrues en termes de sécurité , c'est pourquoi il faudra organiser une vigilance sur la qualité des installations par un suivi régulier et recourir à des contrôles de sécurité plus ponctuels . Les services du ministère de l'agriculture et de l'alimentation - les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la Forêt (DRAAF) - et celles du ministère de la Transition écologique - les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) - pourront s'acquitter de cette mission.

Il faudra aussi réfléchir à un système de certification des exploitants, à l'image du Certiphyto pour l'utilisation des produits phytosanitaires, par exemple en recourant au label « Agroénergie », proposé au point 7 de la présente liste.

14. Réduire les fuites indésirables de gaz lors de la méthanisation, notamment de méthane, de CO2 et d'ammoniac

Le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) estime les émissions fugitives de biogaz entre 0 % et 10 % . Ce biogaz, étant constitué de CO 2 et de CH 4 (ce dernier, le méthane, ayant un potentiel de réchauffement global 25 fois plus élevé que le dioxyde de carbone) mais aussi de traces d'ammoniac et d'hydrogène sulfuré, peut avoir un impact environnemental et sanitaire s'il est relâché. La fuite de ce biogaz peut aussi avoir un impact économique , influant sur la rentabilité des installations de méthanisation.

De plus, si le méthane est avant tout un GES il joue aussi un rôle important dans la chimie de l'atmosphère, notamment pour la production d' ozone , qui est lui-même un GES et un polluant de l'air, dont l' impact sanitaire est connu : ses effets sur la santé humaine, outre une irritation des yeux, des voies nasales et de la gorge, une toux et des maux de tête, sont une diminution de la fonction pulmonaire, le déclenchement de crises d'asthme, et l'apparition de maladies respiratoires. De plus, l'ozone a un effet sur la flore et peut affecter les rendements agricoles de manière significative.

L' ammoniac , pour sa part, contribue à la dégradation de la biodiversité végétale et à la formation des particules fines dangereuses pour la santé humaine.

Outre les opérations de transport, des émissions ont notamment lieu à l'étape de la digestion. Il est nécessaire d' identifier la localisation de ces fuites dans un objectif global de réduction de ces émissions . La maîtrise de ces émissions implique une surveillance appuyée de ces installations, en plus d'une bonne conduite et d'une conception correcte. En outre, Trackyleaks a développé une méthode d'identification et de quantification de ces émissions fugitives, à l'aide d'une caméra infrarouge à détection de gaz. L'usage de cette méthode devrait devenir systématique afin de certifier et labelliser une production de biométhane dans le secteur agricole.

15. Réhausser les limites des travaux de renforcement prévus par le compte d'affectation spéciale (CAS) « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (Facé)

Le Facé, qui signifiait « Fonds d'amortissement des charges d'électrification » de 1936 à 2012 et qui a été rebaptisé « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » lors de sa transformation en compte d'affectation spéciale (CAS), prévoit entre autres le financement des opérations de production d'électricité par des énergies renouvelables si ces opérations permettent d'éviter des extensions ou des renforcements de réseaux , ces dépenses s'intégrant dans une enveloppe plafonnée au titre des « travaux de renforcement ». Il est donc proposé, par une fongibilité asymétrique , que les limitations de cette enveloppe de travaux soient réhaussées : les autres dépenses au titre du Facé doivent pouvoir être utilisées sur cette tranche , mais l'inverse ne doit pas être possible.

Sur le photovoltaïque

16. Pour les projets photovoltaïques, utiliser le levier des seuils des appels d'offres et des guichets ouverts et soutenir l'agrivoltaïsme, en vue d'éviter l'artificialisation des sols et recourir le plus possible aux technologies innovantes comme l'intelligence artificielle

Le levier des seuils des appels d'offres et des guichets ouverts pour les projets photovoltaïques est à utiliser largement pour piloter le développement de la filière.

L'agrivoltaïsme doit être particulièrement soutenu car il permet d'éviter l'artificialisation des sols. Les installations sur toitures et les ombrières doivent être favorisées.

De plus, l' évolution des technologies photovoltaïques flexibles (cellules solaires à couche mince ou « thin-film solar cells », perovskites, siliciums organiques...) ouvrent des opportunités pour des structures photovoltaïques qui peuvent épouser différents types de forme géométrique.

Cette filière devra, en outre, avantageusement recourir le plus possible aux TIC, notamment avec l'intelligence artificielle (IA), à travers des « réseaux intelligents » , comme le montrent les innovations d'agrivoltaïsme dynamique des entreprises Sun'Agri, Sun'R (en coopération avec l'INRAE), Ombrea ou, encore, Akuo Energy.

Sur l'éolien

17. Engager une réflexion sur le soutien aux éoliennes terrestres et veiller au respect de la règle de remise en état des terres à la suite des opérations de démantèlement

L'éolien est l'énergie électrique renouvelable produisant le plus d'électricité en France, selon le dernier bilan RTE, après l'hydroélectricité. De plus, les objectifs de production d'électricité d'origine éolienne fixés par la PPE précédente ont été atteints et la nouvelle PPE prévoit à nouveau un doublement pour 2028.

Vos deux rapporteurs souscrivent tous les deux à la formulation de la présente proposition, mais ils ont souhaité l'argumenter de manière différente.

Pour Jean-Luc Fugit, il semble nécessaire d' engager une réflexion sur le soutien aux éoliennes terrestres et de remettre à plat notre politique d'incitations en vue de la réorienter, y compris en révisant les objectifs de la nouvelle PPE , particulièrement ambitieuse pour la filière éolienne.

Le vent tourne pour cette filière et comme l'avait déclaré le Président de la République lors d'un déplacement à Pau le 14 janvier 2020, « la capacité à développer massivement de l'éolien est réduite. On pourra le faire où il y a consensus, mais le consensus autour de l'éolien est en train de nettement s'affaiblir dans notre pays ».

Il n'est donc pas sûr qu'il soit pertinent d'accroître les soutiens à la filière de l'éolien terrestre , celle-ci étant déjà largement développée en France et ayant bénéficié de soutiens très importants au cours des 20 dernières années, surtout que d'autres filières pouvant contribuer au développement des EnR et à la réduction de nos émissions de GES, méritent au moins autant d'être soutenues, à l'heure où les moyens de l'Etat doivent être alloués de la manière la plus efficiente possible (pas seulement d'un point de vue économique mais surtout d'un point de vue environnemental).

Les bilans ACV sont moins favorables aux éoliennes terrestres que l'impact environnemental qui avait été imaginé dans les années 1990 : la fabrication des composants et leur transport (ce sont surtout des matériels importés), leur utilisation de terres rares (néodyme 204 ( * ) et dysprosium), les difficultés à recycler certaines des matières utilisée s (cas des matériaux composites « non recyclables » en particulier), le fait qu'une éolienne tourne en moyenne 2 000 heures par an et soit un tiers du temps en maintenance , tous ces éléments questionnent la pertinence de la filière, surtout que leur forte intermittence , difficile à anticiper, conduit les éoliennes à nécessiter plus de stockage que d'autres EnR - comme le photovoltaïque - car s'il est possible de déterminer le temps de fonctionnement d'un panneau photovoltaïque, ce n'est pas aussi simple pour une éolienne. Il faut ajouter à ces défauts l'occupation des terres , les pollutions visuelles et sonores pour nos paysages et nos campagnes, ainsi que les impacts sur la faune , certes discutés et à l'ampleur incertaine, en particulier sur les animaux d'élevage et les oiseaux.

Selon Roland Courteau, certes les problèmes d'intermittence, de stockage et de stabilité du réseau électrique constituent de réels freins au rôle que pourra jouer l'éolien terrestre dans le futur, puisqu'il faut maintenir la tension et la fréquence constantes, malgré la variabilité du vent. Cependant, nous sommes en retard en matière d'énergies renouvelables, et nous devons accélérer notre transition énergétique. Or les énergies éoliennes et solaires permettent d'augmenter de manière significative, la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique. Il nous faudra calibrer leur développement, comme le suggérait Nicolas Hulot, « pour qu'il ne soit, ni trop coûteux, ni anarchique : en résumé, il faut un développement soutenable ». Ce qui est certain, c'est que la réussite de la transition écologique se jouera dans les territoires car le système centralisé national n'est plus le plus efficace économiquement. Nous devons, au total, défendre un mix énergétique plus équilibré portant sur toutes les formes d'énergie.

Il faut, en outre, et vos deux rapporteurs partagent cette préoccupation, veiller à ce que toutes les opérations de démantèlement des éoliennes s'accompagnent bien de la remise en état des terres agricoles , sachant que le droit existant ne prévoit qu'un minimum d'un mètre de profondeur et que cette exigence pourrait être accrue.

C'est à l'exploitant du parc éolien qu'incombe l'obligation 205 ( * ) de démanteler les éoliennes qu'il exploite une fois qu'elles arrivent en fin de vie, et ce, afin de limiter leur impact sur l'environnement.

Ce démantèlement doit comprendre le démontage de l'éolienne et du poste électrique , l'excavation des fondations , le retrait de la plupart des câbles , la remise en état des terrains , et la valorisation des déchets du démontage. Les fondations excavées sont ensuite remplacées par des terres de caractéristiques comparables aux terres en place à proximité de l'installation éolienne 206 ( * ) .

Il convient de noter que le socle d'une éolienne nécessite la mise en oeuvre d'environ 400 m 3 de béton armé pour un poids d'à peu près un millier de tonnes (jusqu'environ 1 500 tonnes).

Le socle d'une éolienne

Sources : CTE Wind et OTE Engineering.

Sur les biocarburants

18. Tirer les conséquences de l'abandon progressif des soutiens aux biocarburants de première génération et développer des technologies innovantes, par exemple en matière de biocarburants aéronautiques

Il faut tirer les conséquences de l'abandon progressif des soutiens aux biocarburants de première génération et du faible développement des usages pertinents (comme les véhicules flexfuel), en vue d'adapter nos filières agricoles à cette réalité. Les biocarburants de première génération n'ont pas un grand avenir et ne seront pas des débouchés pertinents pour nos agriculteurs , notamment du fait de leurs implications en termes de conflits d'usage avec l'alimentation, de changement d'affectation des sols, de tensions sur les prix des denrées alimentaires, de rendement énergétique moindre et d'analyses de cycle de vie (ACV) illustrant un bilan global d'émission de gaz à effet de serre peu satisfaisant, mais aussi compte tenu du développement des véhicules électriques.

Le groupe Avril, leader de la production d'esters méthyliques d'huiles végétales, qui importe environ un tiers de son biogazole, va fermer deux de ses six usines, ce qui est révélateur.

Des situations surprenantes comme l'importation d'huile de palme issue de la déforestation pour produire du biodiesel interrogent, en particulier dans le cas de Total à la Mède où, pour maintenir des emplois sur le site, l'approvisionnement est garanti à des prix réduits. En ACV, comme l'ont fait apparaître les auditions, les biocarburants importés émettent probablement beaucoup plus de CO 2 que le diesel issu d'énergies fossiles.

Les biocarburants de deuxième génération permettront d'éviter la concurrence entre usage alimentaire et non alimentaire et pourront utiliser la voie thermochimique dite « biomass to liquid » qui consiste à gazéifier la biomasse à haute température et à la transformer en carburant de très bonne qualité par le procédé Fischer-Tropsch 207 ( * ) . En France un premier pilote a été mis en place par Total et fonctionne depuis 2019 dans sa raffinerie de Dunkerque.

À terme, et parce qu'il n'est pas du tout sûr que le transport aérien soit révolutionné par le recours à l'énergie électrique même si des projets électriques et hybrides sérieux apparaissent pour le transport aérien courtes distances, il faudrait cependant favoriser l'émergence d'une filière française de biocarburants aéronautiques ou biojet fuels et compenser les surcoûts liés à leur utilisation (ces biocarburants sont 30 % plus chers que les jet fuels classiques à base de kérosène). Afin d'encourager leur essor, des lignes aériennes - intérieures puis internationales - doivent se fonder sur l'utilisation de biocarburants. L'Amérique latine, qui détient le record du taux d'incorporation des biocarburants (10 %) est avancée en la matière : la compagnie aérienne chilienne LAN a réalisé en 2012 son premier vol commercial à base de biocarburants, sur une distance de 500 km. Plus récemment le constructeur Boeing s'est associé au brésilien Embraer pour créer un centre de recherche et développement visant le développement des biocarburants dans l'aéronautique. Chaque jour, un vol Paris-Toulouse utilise des biojet fuels en France.

Pour mémoire, la mission d'information du Sénat sur le transport aérien a dans son rapport « Contribution du transport aérien au désenclavement et à la cohésion des territoires » 208 ( * ) préconisé dans sa proposition 29 d'initier le développement d'une filière de production et d'approvisionnement en biocarburants aéronautiques localisée dans les territoires et dans sa proposition 30 de faire de l'aviation régionale française le laboratoire du transport aérien hybride et décarboné de demain .

Il faudrait que le « plan de soutien à l'aéronautique pour une industrie verte et compétitive » annoncé par le Gouvernement le 9 juin 2020 et qui prévoit 15 milliards d'euros d'aides publiques sur les trois prochaines années, dont 1,5 milliard d'euros pour l'avion bas carbone (y compris 300 millions d'euros dès 2020), veille bien à contribuer au développement de cette nouvelle filière . Les travaux précédents, tels que la feuille de route française pour le déploiement des biocarburants aéronautiques durables 209 ( * ) et le rapport pour la mise en place d'une filière de biocarburants aéronautiques durables en France 210 ( * ) , doivent éclairer l'usage d'une partie de ces crédits, sachant que l'option ferroviaire doit toujours être privilégiée par rapport aux vols intérieurs lorsque c'est possible.

19. Relever le défi du stockage de l'énergie, seul moyen à ce jour de résoudre le problème de l'intermittence des filières photovoltaïque et éolienne

Le stockage de l'énergie est un levier majeur de la transition énergétique et comme le montre la note scientifique n °11 de l'Office de notre collègue sénatrice Angèle Préville 211 ( * ) , le stockage de l'électricité est appelé à se développer dans un contexte de fort essor des énergies renouvelables (EnR). C'est aussi le seul moyen à ce jour de résoudre le problème de l'intermittence des filières photovoltaïque et éolienne . Les perspectives technologiques de stockage de l'énergie décrites dans le présent rapport doivent être suivies et soutenues.

20. Développer les technologies et les infrastructures de stockage d'énergie à travers le « power to gas » permettant de produire de l'hydrogène et/ou du méthane de synthèse, utilisable notamment par des piles à combustible

En lien avec la proposition 19 mais de manière plus spécifique, la présente proposition appelle à développer les technologies et les infrastructures de stockage d'énergie à travers le « power to gas » permettant de produire de l'hydrogène renouvelable et/ou du méthane de synthèse . Ces deux derniers vecteurs vont de plus en plus s'insérer dans notre mix énergétique comme vecteur et passerelle vers les réseaux de gaz en respectant les spécifications d'injection et l'intégrité du réseau. L'hydrogène et, selon des technologies plus récentes, le méthane de synthèse après méthanation sont, en effet, utilisables par des piles à combustibles 212 ( * ) .

L' Union européenne a invité à développer l'hydrogène renouvelable dès que possible en mettant en place des infrastructures (stockages souterrains, réseaux) avec la conversion des infrastructures gazières existantes et en donnant la priorité aux usages industriels (ammoniac, acier, chimie) et aux transports.

L'Allemagne s'est ainsi dotée d'un plan visant 5 GW d'hydrogène renouvelable (électrolyse) avec 9 milliards d'euros engagés d'ici 2030 (7 milliards d'euros pour le marché intérieur et 2 milliards d'euros de partenariats internationaux, pour les importations).

En France , le plan de déploiement de l'hydrogène présenté le 1 er juin 2018 avec une enveloppe annoncée de 100 millions d'euros a conduit au lancement de deux appels d'offres en 2019 (le premier appel représente 11,5 millions d'euros et le deuxième qui concerne les transports 80 millions d'euros) et de deux appels à manifestation d'intérêt (AMI). Ce plan est clairement insuffisant .

Comme il a été vu, la méthanation, processus de production de méthane de synthèse (CH 4 ) à partir de dihydrogène (H 2 ) et de monoxyde de carbone (CO) ou de dioxyde de carbone (CO 2 ) grâce à un catalyseur (méthanation catalytique) ou des microorganismes (méthanation biologique), ne doit pas être confondu avec la méthanisation. Elle peut être encouragée avec la mise en place d' appels d'offres avec complément de rémunération , en précisant que l'incitation doit varier selon l'origine de l'hydrogène : on distinguera donc l'hydrogène propre issu d'EnR et l'hydrogène dit « bas carbone », c'est-à-dire celui dont le niveau des émissions de CO 2 est inférieur à un seuil donné, ce qui permet d'inclure l'énergie nucléaire.


* 198 La dernière directive cadre déchets prévoit l'obligation pour les États membres de mettre en place une gestion séparée des biodéchets au plus tard le 31 décembre 2023.

* 199 Des solutions innovantes de micro-méthanisation reposant sur des unités à petite échelle permettant de mailler efficacement les territoires sont par exemple proposées par l'entreprise Tryon, cf. https://www.tryon-environnement.com/

* 200 Les coûts de production du biogaz sont situés entre 90 et 120 euros/MWh, contre un prix du gaz naturel aujourd'hui inférieur à 25 euros/MWh et évalué à 33,2 euros/MWh en 2030 par l'AIE.

* 201 Cf. https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/TRER2006667D%20signe%CC%81%20PM.pdf

* 202 En méthanisation, le rendement dépend en premier lieu du type de ressources utilisées, chacune d'elle se caractérisant par un « pouvoir méthanogène » propre. La technologie de digestion a également un impact sur le rendement.

* 203 Il s'agit des éléments traces métalliques (As, Cu, Cd, Cr, Hg, Ni, Pb, Se, Zn...).

* 204 Selon l'Ademe, seule une faible part des éoliennes terrestres utilise le néodyme, environ 3 % en France. C'est le cas des éoliennes utilisant des générateurs « à aimants permanents » qui concentrent la totalité des terres rares de la filière. Oril est possible de substituer le néodyme par d'autres solutions, telles que des génératrices asynchrones ou des génératrices synchrones sans aimant permanent. Ce sont des génératrices qui transforment l'énergie mécanique en énergie électrique en étant entraînées au-delà de la vitesse de synchronisme. La problématique des aimants permanents est donc prise en compte par les constructeurs d'éoliennes.

* 205 Cette obligation se retrouve notamment dans l'article L. 553-3 du code de l'environnement : « l'exploitant d'une installation produisant de l'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent ou, en cas de défaillance, la société mère est responsable de son démantèlement et de la remise en état du site, dès qu'il est mis fin à l'exploitation, quel que soit le motif de la cessation de l'activité. Dès le début de la production, puis au titre des exercices comptables suivants, l'exploitant ou la société propriétaire constitue les garanties financières nécessaires ». L'exploitant doit, par ailleurs, constituer des garanties financières dès le début de l'exploitation, afin de pouvoir mener à bien le démantèlement (arrêté du 26 août 2011 relatif à la remise en état et à la constitution des garanties financières pour les installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent).

* 206 Cf. l'article 20 de l'arrêté du 22 juin 2020 portant modification des prescriptions relatives aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent.

* 207 La gazéification à haute température selon le procédé Fischer-Tropsch a permis à l'Allemagne de produire la moitié de ses carburants pendant la Seconde Guerre mondiale.

* 208 Rapport d'information n° 734 (2018-2019) https://www.senat.fr/notice-rapport/2018/r18-734-notice.html

* 209 Cf. https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Feuille%20de%20route%20fran%C3%A7aise%20pour%20le%20d%C3%A9ploiement%20des%20biocarburants%20a%C3%A9ronautiques%20durables.pdf

* 210 Cf. https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/ECV%20-%20Mise%20en%20place%20d%27une%20fili%C3%A8re%20de%20biocarburants%20a%C3%A9ronautiques%20en%20France.pdf

* 211 Cf. http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/opecst/quatre_pages/OPECST_2019_0009_note_stockage_electricite.pdf

* 212 Les piles à combustible convertissent l'énergie chimique de combustion en énergie électrique, en chaleur et en eau. L'hydrogène est utilisé comme combustible pour alimenter l'anode de la pile à combustible, tandis que la réaction de réduction sur la cathode est alimentée par injection de dioxygène. Il existe plusieurs familles de piles à combustible en fonction des électrolytes utilisés. Celles les plus couramment utilisées sont dites « PEM » (Proton Exchange Membrane Fuel Cell), dont l'électrolyte est constitué d'une membrane solide polymère fonctionnant à basse température. Le méthane de synthèse est lui aussi utilisable par des piles à combustibles à haute température.

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