II. ÉLÉMENTS DE CONTEXTE

A. LE CHAMP DE L'ÉNERGIE ET SES DIMENSIONS

1. Comprendre les notions d'énergie et de « production d'énergie »

Employé dans son acception moderne pour la première fois par Jean Bernoulli en 1717, bien que le concept remonte à l'Antiquité, le terme d'énergie renvoie à la « capacité d'un corps ou d'un système à produire du travail mécanique ou son équivalent » 17 ( * ) , plus formellement elle est définie comme « la grandeur physique qui se conserve lors de tout changement d'état d'un système physique » 18 ( * ) . Selon Jean-Marc Jancovici, cette définition scientifique « ne dit rien d'autre que le fait que dès que le monde qui nous entoure - un système - change, de l'énergie entre en jeu, et la mesure de cette énergie mesure le degré de transformation entre l'avant et l'après ».

Il s'agit donc de la mesure de la capacité d'un système à modifier un état , c'est-à-dire à produire un travail entraînant un mouvement, un rayonnement électromagnétique, de la chaleur ou encore du froid. Nous utilisons l'énergie à travers de multiples manières, parfois sans en être conscients, dans nos corps avec la force musculaire, comme dans le monde physique , sous la forme de solutions de mobilité, de production de chaleur ou de froid, de consommations d'électricité à des fins multiples, comme l'éclairage, la transmission et le traitement d'informations, de machines industrielles et plus rarement domestiques qui tordent, vissent, emboutissent, alèsent, écrasent, étirent, filent, râpent, découpent, etc.

L'énergie se singularise par une caractéristique majeure, bien connue des physiciens, elle ne peut ni se créer, ni se détruire, mais juste se transformer . Dans la continuité des observations d'Anaxagore de Clazomènes et d'Antoine Lavoisier, Julius Robert von Mayer formula en 1842 le premier principe de la thermodynamique , selon lequel, dans toute transformation, il existe une conservation de l'énergie . Ainsi que l'explique Julius Robert von Mayer dans un article 19 ( * ) de 1842, « au cours d'une transformation quelconque d'un système fermé, la variation de son énergie est égale à la quantité d'énergie échangée avec le milieu extérieur, par transfert thermique (chaleur) et transfert mécanique (travail) ». Cette loi de conservation postulée en mécanique classique, appelée aussi mécanique newtonienne, est démontrable en mécanique lagrangienne par le biais d'un théorème de Noether 20 ( * ) .

Comme il n'est pas possible de créer de l'énergie, nous ne pouvons donc que profiter de la transformation d'une énergie qui se trouve déjà dans la nature.

Parmi ces énergies présentes à l'état naturel, Jean-Marc Jancovici distingue les matières qui brûlent (bois, pétrole, charbon, gaz), les noyaux fissiles (uranium), les rayonnements déjà présents (soleil), les mouvements déjà présents (vent, marées, chutes d'eau), etc. Il en résulte selon lui que nous ne pouvons pas « consommer » plus d'énergie que ce qui se trouve dans la nature et que si une énergie n'existe que suite à une transformation par les hommes (électricité, hydrogène...), elle n'est pas pour autant une « source » d'énergie. Il s'agit en réalité d'une manière d'utiliser une autre énergie déjà présente dans la nature .

Le vocabulaire courant, ainsi que celui des domaines de l'économie et des politiques publiques, évoquent les concepts de « production d'énergie » et de « consommation d'énergie », mais comme il a été vu l'énergie au sens de la physique n'est ni créée, ni détruite, seulement transformée et transférée. Par commodité, on utilisera dans le présent rapport les notions de production d'énergie et de source d'énergie, mais sans oublier que ce n'est pas strictement rigoureux d'un point de vue scientifique car ni la production d'énergie ni les sources d'énergie n'existent en tant que telles 21 ( * ) .

2. Les « sources d'énergie »

Les principales énergies peuvent être distinguées selon les catégories suivantes :

- les énergies fossiles , dont le potentiel est évalué en termes de réserves (pétrole, gaz naturel, charbon) ;

- l' énergie nucléaire (uranium, plutonium...) ;

- les énergies renouvelables ou EnR (hydroélectricité, éolien, photovoltaïque, énergie solaire thermique, énergie thermique récupérée par pompe à chaleur 22 ( * ) dans l'air, l'eau ou le sol appelée alors géothermie, bois-énergie, biocarburants, biogaz (issu de la biomasse, de résidus et de déchets, etc.).

On parle d' énergies renouvelables car leur renouvellement naturel est assez rapide pour qu'elles puissent être considérées comme inépuisables à l'échelle du temps humain . Certaines d'entre elles sont intermittentes (éolien et énergie solaire photovoltaïque ou thermique). Les installations de production d'énergie renouvelable peuvent combiner la production de chaleur et d'électricité sur une même unité, on parle alors de cogénération .

Il convient de relever que les concepts d' énergie verte et d' énergie durable restent très discutés.

Le premier concept regroupe les énergies qui peuvent être extraites, générées et/ou consommées avec de moindres conséquences sur l'environnement (outre la plupart des énergies renouvelables, certains y incluent l'énergie nucléaire, ce qui ne fait pas l'objet d'un consensus, notamment du fait des déchets nucléaires).

Le second, l'énergie durable, comprend les énergies capables de répondre aux besoins du moment présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins (outre les énergies renouvelables, certains y incluent les technologies permettant d'améliorer l'efficacité énergétique, l'énergie nucléaire et même le charbon avec stockage géologique du CO 2 , ces trois points faisant l'objet de polémiques).

D'un point de vue historique, la force musculaire humaine et l'énergie de la biomasse utilisable grâce au feu ont été les premiers types d'énergie mobilisés.

Ils se sont enrichis ensuite de l' utilisation de la traction animale , comme celle du cheval 23 ( * ) , ce qui a constitué un progrès significatif, très utile en agriculture et qui a bénéficié d'outils de plus en plus performants. L'énergie des eaux courantes et du vent pour le transport ou pour des processus agricoles ou industriels simples a ensuite été mobilisée. Le secteur agricole a ainsi recouru massivement à l'énergie hydraulique et à l'énergie éolienne avec les moulins à eau et à vent , dans le même temps que l'humanité se dotait de voiliers, qui ont permis le développement et l'accélération des échanges commerciaux dans le monde.

Les moulins à grain - qu'ils soient à eau ou à vent - appartenaient le plus souvent à de riches investisseurs et non pas aux agriculteurs, qui se contentaient de louer leurs terres pour que des moulins y soient implantés. On retrouve d'ailleurs cette organisation aujourd'hui : si la terre agricole appartient bien au monde agricole, ce n'est pas souvent le cas des installations de production d'énergie qui s'y trouvent.

D'après Didier Roux, délégué à l'information et à la communication de l'Académie des sciences, spécialiste des questions d'énergie, la source principale d'énergie sur terre est le soleil (exception faite de l'énergie nucléaire et de la géothermie- qui est cependant elle aussi d'origine nucléaire sur terre). Le soleil a toujours constitué pour le monde agricole un apport gratuit d'énergie pour faire pousser les plantes mais aussi faire sécher le foin, le tabac ou le bois. Le chauffage au bois-bûche a constitué partout la principale source de chaleur jusqu'à ce que le charbon le remplace au 19 e siècle.

La bioéconomie , bien antérieure à la division sociale du travail, tout comme le recours à des ressources renouvelables faisaient auparavant figure d'évidence.

Comme l'explique Rémi Carrilon, « autrefois l'agriculture était nettement polyvalente car, on s'attachait, dans la pauvreté générale, à exploiter tout ce qu'elle pouvait fournir : les aliments d'abord, certes, et aussi les matières premières (bois d'oeuvre, fibres, laine, chaumes, suif, soie, cuirs, etc.) et les produits énergétiques (bois de feu, huiles et alcool pour l'éclairage, déchets divers pour le chauffage et la cuisson, etc.) » 24 ( * ) .

À l'époque contemporaine, l'utilisation de la machine à vapeur , puis celle de l'électricité et des moteurs thermiques (essence ou diesel) ont été des jalons essentiels de la révolution industrielle, en s'appuyant sur les énergies fossiles , charbon, gaz et pétrole en tête. À partir de la seconde moitié du 20 e siècle, la maîtrise des réactions de fission nucléaire a permis la production d'électricité dans des centrales nucléaires .

Les énergies fossiles représentent aujourd'hui dans le monde, comme l'indique le graphique ci-après basé sur les dernières données disponibles à la fin de l'année 2019 et qui dresse un bilan pour 2017, 81 % de la consommation d'énergie primaire (pétrole : 32 %, charbon : 27 %, gaz naturel : 22,2 %); le reste de cette consommation d'énergie provenait du nucléaire ( 4,9 %) et des énergies renouvelables ( 13,8 %, dont 9,5 % de la biomasse 25 ( * ) , 2,5 % de l'énergie hydraulique et 1,8 % d'autres énergies renouvelables 26 ( * ) ). Pour certains, les statistiques de l'Agence internationale de l'énergie auraient tendance à sous-évaluer la part des énergies renouvelables électriques, telles que l'hydroélectricité, l'éolien et le photovoltaïque.

Les principales énergies consommées dans le monde

Source : Agence internationale de l'énergie, 2019.

Les données de l'Agence internationale de l'énergie utilisent le million de tonnes d'équivalent pétrole (Mtep), qui est le multiple de la tonne d'équivalent pétrole (tep), le pétrole étant la source d'énergie la plus utilisée dans le monde. Si l'unité de mesure officielle de l'énergie est le joule, les sources d'énergie possèdent souvent une unité de mesure privilégiée : ainsi, le pétrole et la tonne d'équivalent pétrole (tep), le gaz naturel et le mètre cube, le charbon et la tonne équivalent charbon (tec), ou encore l'électricité et le kilowatt-heure (kWh). Pour les agréger ou les comparer, les unités de base que sont le joule et le tep ou parfois le kWh sont utilisées, toute énergie primaire étant assez souvent convertie en électricité.

Pour mémoire, la conversion entre ces unités de mesure est réalisée de la manière suivante : 1 kWh = 3,6 10 6 J ; 1 tep = 4,186 10 10 J ; 1 tep = 11630 kWh ; 1 kWh = 8,5985 10 -5 tep.

3. Le mix énergétique français

En 2018, comme l'indique le graphique ci-après basé sur les dernières données disponibles, parues à la fin de l'été 2019, la France a consommé près de 249 Mtep d'énergie primaire 27 ( * ) dont 12 % d'énergies renouvelables (contre 6 % en 2006 et 11 % en 2016).

Les principales énergies consommées en France

Source : Service des statistiques du ministère de la transition écologique, 2019.

En dépit de cette part croissante des énergies renouvelables, le nucléaire, les produits pétroliers et le gaz restent, de loin, les sources principales d'énergie . Environ la moitié de ces énergies consommées en France ont été produites sur le territoire national et il en découle des importations considérables qui pèsent sur notre balance commerciale. Environ 40 % de l'énergie primaire est absorbée dans des opérations de conversion, comme la transformation de combustibles fossiles en électricité, ou le transport de l'énergie, à travers des pertes par effet Joule 28 ( * ) . Aussi, la quantité d'énergie finale restante consommée en France s'est élevée à 142 Mtep. Sur ce total, près de 13 Mtep ne sont pas utilisés en réalité à des fins énergétiques mais pour leurs propriétés chimiques : plastiques, bitumes, etc.

La part des énergies renouvelables est ainsi portée à 16,3 % si elle est rapportée non à l'énergie primaire mais à la consommation finale brute d'énergie (sur une période de 30 ans la croissance des énergies renouvelables est dans ce cadre de 70 %). C'est ce pourcentage qui est utilisé pour mesurer l'atteinte (ou la non atteinte dans le cas de notre pays) des objectifs de développement des énergies renouvelables .

Le mix énergétique français concernant les seules énergies renouvelables se décompose de la manière suivante : bois-énergie 39,6 %, hydraulique 16,7 %, biocarburants 10,2 %, pompes à chaleur 8,9 %, éolien 8,2 %, déchets renouvelables 5,4 %, biogaz 3,5 %, solaire photovoltaïque 3,2 % et 4,4 % d'autres énergies, telles que la géothermie, les résidus de l'agriculture, le solaire thermique, les énergies marines, etc.

Les énergies renouvelables en France

Source : Service des statistiques du ministère de la transition écologique, 2019.

La production d'électricité , distincte de la production et la consommation d'énergie, représente 537,7 TWh en 2019 et continue de reposer en France à plus de 70 % sur l'énergie nucléaire 29 ( * ) . Au sein de cette production, les énergies renouvelables se répartissent entre l'hydroélectricité (11,2 %), l'éolien (6,3 %), le solaire photovoltaïque (2,2 %) et les bioénergies dont le biogaz (1,8 %).

La production d'électricité en France

Source : Bilan électrique 2019, RTE, 2020.


* 17 Cf. la définition de l'énergie dans le Trésor de la langue française informatisé.

* 18 Cf. les explications de Jean-Marc Jancovici au lien suivant : https://jancovici.com/transition-energetique/l-energie-et-nous/lenergie-de-quoi-sagit-il-exactement/

* 19 Cf. l'article des Annales allemandes de chimie et de pharmacie, « Bemerkungen über die Kräfte der unbelebten Natur », Annalen der Chemie und Pharmazie, 1842.

* 20 Monument de la pensée mathématique d'après Albert Einstein, ce théorème fut démontré en 1915 par la mathématicienne allemande Emmy Noether. Il pose qu'à toute transformation infinitésimale qui laisse invariante l'intégrale d'action correspond une grandeur qui se conserve. Il permet donc de constater - par certaines transformations des coordonnées - l'équivalence entre les lois de conservation et l'invariance du lagrangien d'un système (on appelle lagrangien la fonction des variables qui permet d'écrire de manière concise les équations du mouvement d'un système).

* 21 Le deuxième principe de la thermodynamique, énoncé par Sadi Carnot en 1824, établit l'irréversibilité des phénomènes physiques, en particulier lors des échanges thermiques. C'est un principe qui fait appel à la notion d'entropie et qui implique le fait que la transformation d'énergie en travail s'accompagne d'un travail mais aussi de chaleur et donc que le rendement utile en terme de travail n'est pas de 100 % bien que la somme travail + chaleur le soit.

* 22 En toute rigueur, une pompe à chaleur conduit à une amélioration du rendement thermique d'une source énergétique en produisant du travail qui utilise une énergie qui n'est pas forcément d'origine renouvelable. Si effectivement son coefficient de performance est supérieur à un c'est parce qu'elle récupère - avec du travail - des calories d'une source froide, qu'elle réchauffe. Toutes les pompes à chaleur ne sont donc pas à classer dans les EnR, même si la géothermie rentre bien, quant à elle, dans ce cadre.

* 23 Comme l'a expliqué lors de son audition Bernard Tardieu, ancien président de la commission « Énergie et changement climatique » de l'Académie des technologies, ancien cadre dirigeant chez Engie et ancien vice-président de la Commission internationale des grands barrages, « la force motrice c'est d'abord la force humaine puis celle du cheval. On disposait d'un cheval spécialisé pour chaque chose. Les chevaux étaient omniprésents. Et pour nourrir ces chevaux qui servaient essentiellement au transport, il fallait de l'avoine. En 1830, alors qu'on avait déjà le train, on importait l'avoine d'Ukraine par le Havre. On le produisait et on l'importait pour le transport en France ». Il a également commenté le risque de conflit d'usage des sols entre production alimentaire et production d'énergie : « en 1850, un tiers de la surface agricole de la France est consacré à l'alimentation des chevaux, utiles au transport et au travail. Des surfaces importantes sont dédiées au lin, au chanvre et à d'autres cultures industrielles. C'est le résultat d'un consensus sociopolitique. Les conflits d'usage peuvent être résolus par des consensus, plus que par des injonctions morales ».

* 24 Cf. « L'agriculture et l'énergie », Revue d'économie industrielle, vol. 18, 1981.

* 25 La biomasse comprend ici le bois énergie, les déchets urbains et agricoles, ainsi que les biocarburants.

* 26 Les autres énergies renouvelables comprennent l'énergie éolienne, l'énergie solaire, la géothermie, etc.

* 27 Les données seraient différentes si l'on utilisait l'énergie finale.

* 28 L'effet Joule est la manifestation thermique de la résistance électrique qui se produit lors du passage d'un courant électrique dans tout matériau conducteur.

* 29 Cf. le « Bilan électrique 2019 », RTE, février 2020.

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