B. DES ACTEURS FRANÇAIS DURABLEMENT AFFAIBLIS FACE À DES CONCURRENTS ANGLO-SAXONS PORTÉS PAR LES NOUVEAUX USAGES

La crise sanitaire a mis en évidence certains retards accumulés par les acteurs français ainsi que l'inadéquation de l'écosystème dans lequel ils évoluent. Elle a également jeté un doute sur l'adaptation des mesures prévues - ou non prévues - par la réforme de l'audiovisuel compte tenu d'un contexte concurrentiel durablement transformé. Au-delà des mesures immédiates de soutien qui sont nécessaires, c'est une nouvelle vision de l'évolution du secteur qui devient indispensable afin non plus d'adapter des dispositifs anciens mais de créer les conditions favorables à un contexte radicalement nouveau.

1. Un secteur des médias durablement affaibli par la crise sanitaire
a) « Une crise sans précédent » pour les médias privés

Le président de TF1 a estimé devant le groupe de travail que son groupe traversait une crise sans précédent. Certes l'audience a augmenté fortement au cours du confinement mais « cette audience n'a pas pu être monétisée ».

Le manque à gagner pour les chaînes privées est donc considérable, il pourrait représenter 300 à 400 M€ sur l'ensemble de l'année 2020 selon le président de TF1 ce qui représente un choc trois à quatre fois plus important que celui de la crise financière de 2008. Le groupe TF1 envisageait pour sa part une baisse de chiffre d'affaires comprise entre 50 et 60 % sur le deuxième trimestre et s'interrogeait sur le second semestre dans l'hypothèse où la reprise ne serait pas au rendez-vous.

Lors de son audition par le groupe de travail, le président du groupe M6, Nicolas de Tavernost, a indiqué que la gravité de la crise obligerait l'entreprise à réaliser une centaine de millions d'euros d'économies en 2020. Même si les audiences des chaînes du groupe ont augmenté, les recettes publicitaires ont fondu, jusque - 67 % en avril dernier.

Les présidents de TF1 et de M6 ont tous les deux souhaité mettre au débat la place de la publicité sur le service public audiovisuel . Après avoir observé que celle-ci ne représentait qu'environ 10 % des ressources de France Télévisions, ils ont appelé à une clarification du financement du service public . Au-delà du principe même du maintien de la publicité sur le service public, ils ont demandé à ce qu'une régulation effective de la politique tarifaire des régies de France Télévisions et Radio France soit instaurée pour les empêcher de « casser les prix » en période de crise 41 ( * ) .

b) Les incertitudes concernant l'avenir de France Télévisions

La situation du principal groupe de l'audiovisuel public est devenue quant à elle particulièrement complexe. Le report de l'examen de la réforme de l'audiovisuel public au Parlement devrait, a minima , retarder l'entrée en vigueur de la holding commune de plusieurs mois. Compte tenu des délais nécessaires à l'organisation de la transition, il n'est plus acquis que celle-ci aboutisse d'ici 2022. En conséquence, le mandat du prochain président de France Télévisions pourrait durer plus longtemps qu'escompté et tendre davantage vers un mandat de plein exercice . Le CSA a reporté son choix au mois de juillet 42 ( * ) et devra examiner les projets des candidats compte tenu d'un contexte financier devenu très incertain.

Lors de son audition par le groupe de travail, la présidente de France Télévisions a fait part des incertitudes économiques auxquelles le groupe était confronté. La perte de recettes de publicité était estimée à 40 M€ pour les seuls mois de mars à mai sans que les perspectives pour juin ne soient plus optimistes. Mais la vraie incertitude porte surtout sur le second semestre, le visage du résultat annuel étant appelé à changer radicalement selon qu'il y aura ou non une reprise de l'activité économique et donc une reprise du chiffre d'affaires publicitaire.

La direction du groupe est donc confrontée à une situation difficile. Alors que le ministère des finances a confirmé à plusieurs entreprises de l'audiovisuel public le maintien de la trajectoire financière de 2022, France Télévisions doit gérer tout à la fois le report de grands événements générateurs de publicité (Roland Garros, Tour de France, JO de Tokyo...) avec la nécessité de proposer des programmes de substitution, l'arrêt puis la reprise des tournages avec une hausse des coûts liée à l'adoption de protocoles sanitaires drastiques et, enfin, l'incertitude concernant l'avenir de France 4 et France Ô qui devaient arrêter leur diffusion hertzienne cet été.

Les marges de manoeuvre du groupe apparaissent dès lors restreintes d'autant que la montée en charge du plan de départs volontaires pourrait être contrariée par une baisse des départs pour « projet personnel » dans un contexte économique devenu particulièrement incertain.

Le projet de plateforme Salto qui était à l'origine de l'essentiel du déficit prévu en 2020 devrait, pour sa part, suivre son cours avec des perspectives de succès encore plus incertaines compte tenu du nouveau report de son lancement à l'automne, de la concurrence exacerbée de plusieurs plateformes attractives arrivées plus tôt 43 ( * ) et de la nécessité d'investir davantage dans des productions exclusives.

A défaut de bénéficier d'un soutien important de son actionnaire, le groupe France Télévisions devrait être confronté à la nécessité de choisir entre une forte aggravation de son déficit ou une baisse de ses dépenses sur ses principaux postes de charges.

c) Les difficultés propres à la radio publique

La crise sanitaire est intervenue alors que l'entreprise Radio France n'avait pas bouclé son accord de rupture conventionnelle collective (RCC) et alors que le chantier de rénovation de la Maison de la Radio se poursuivait toujours. L'entreprise a été directement impactée par la crise sanitaire du fait d'une baisse du chiffre d'affaires publicitaire et de l'arrêt des activités de concerts et de location de salles et de studio.

Cette baisse des ressources propres constitue un facteur de fragilité pour l'entreprise qui a connu deux grandes crises sociales au cours des cinq dernières années. Pour la présidente de Radio France, il existe un besoin de visibilité et de clarification concernant l'avenir de l'entreprise . En l'absence de remise en cause de la trajectoire financière, la baisse des ressources propres et le report des départs de salariés devraient dégrader les comptes sans que la suspension des travaux (et donc des dépenses afférentes) ne permettent de compenser.

Le coût de la crise est estimé entre 15 et 20 M€ sur l'année par la direction de Radio France qui a déjà acté de nouveaux retards sur le chantier de la Maison de la Radio et le report à l'automne du Plan de départs volontaires. Au-delà de l'éventuel déficit qui pourrait intervenir en 2020 en l'absence de contribution de l'actionnaire, se pose la question de l'adaptation du rythme de la mise en oeuvre de la trajectoire financière pour 2021 et 2022.

d) La situation très précaire des radios indépendantes et des télévisions locales

Les radios indépendantes ont été sévèrement touchées par la baisse des recettes publicitaires. Selon le président du SIRTI, Alain Liberty, auditionné par le groupe de travail : « trois radios sur quatre envisagent de supprimer des emplois » et la crise a agi « comme un accélérateur des problèmes préexistants » .

Les radios indépendantes se retrouvent aujourd'hui dans une situation périlleuse car elles vont devoir rembourser dans les années à venir les prêts souscrits avec la garantie de l'État. Le président du SIRTI n'a pas hésité à évoquer une « bombe à retardement » pour décrire la situation à venir. Les radios indépendantes sont le plus souvent des PME familiales confrontées à des problèmes de trésorerie. Selon le SIRTI, 38 % des dirigeants de ces petites entreprises estiment que l'existence de leur radio est menacée. Le SIRTI demande donc qu'en l'absence de mesure d'aide générale puissante du type « crédit d'impôt », les radios indépendantes puissent bénéficier d'annulations de charges sur au moins un trimestre.

Les télévisions locales connaissent les mêmes difficultés que les radios indépendantes. Alors que la charge de travail de leurs personnels a augmenté du fait de la forte demande d'information locale, ces chaînes ont subi une perte de chiffre d'affaires d'environ 20 %. Cette fragilité risque de se transmettre à l'ensemble de l'écosystème local de la production (baisse des commandes de documentaires et réduction des captations de spectacles vivants). Les conséquences sur l'emploi devaient également être importantes avec le non-renouvellement des CDD.

Les représentants des télévisions locales demandent donc à pouvoir bénéficier d'un plan de soutien qui pourrait prendre la forme soit d'exonérations des charges sociales patronales, soit l'instauration d'un taux de TVA à 0 % pour les contrats d'objectifs et de moyens (COM) signés avec les régions, soit la création d'un fonds d'aide pour prendre en charge tout ou partie de leurs frais de diffusion.

e) Un impact limité sur l'audiovisuel extérieur

France Médias Monde a fait face à une baisse de ses recettes publicitaires de - 1,6 M€ au cours des mois de mars et avril et a dû engager pour + 1,1 M€ de dépenses pour protéger les salariés (achats de masques, nettoyage des locaux, distanciation sociale sur les lieux de travail...). L'impact de la crise sur les comptes demeure donc raisonnable et la présidente de l'entreprise, Marie-Christine Saragosse, consciente des grandes difficultés que rencontrent d'autres médias, ne demande pas d'aide particulière.

Le plan de départs volontaires prévu pour 30 salariés a, par ailleurs été maintenu, avec pour conséquence la recherche de nouvelles synergies entre les rédactions arabophones.

f) Le groupe Canal + « à la croisée des chemins »

Le groupe Canal + a été pénalisé par le confinement du fait de la fermeture de la moitié environ de ses points de souscription (boutiques Orange, SFR, Bouygues ; magasins Darty, Fnac, Boulanger...). Malgré ces circonstances, Canal + continue à améliorer sa situation grâce notamment à de nombreux accords de distribution (Netflix, Disney +, Be In sport) et l'acquisition de nouveaux droits sportifs (Ligue des champions à partir de 2021).

Le président du directoire de Canal +, Maxime Saada, a déclaré lors de son audition par le groupe de travail qu'il restait nécessaire de rééquilibrer les conditions de la concurrence avec les plateformes. Il a appelé à une évolution de la règlementation concernant tant les droits attachés à la production que la fiscalité. Il a déploré que le taux de TVA appliqué aux abonnements soit passé en quelques années de 5,5 % à 7 % puis à 10 % aujourd'hui en estimant qu'il s'agissait d'un facteur important de perte de compétitivité pour le groupe. Il a appelé à un geste fort en termes de fiscalité pour renforcer l'ancrage français de Canal +.

g) Un secteur de la production fortement impacté par la crise sanitaire

Le secteur de la production a été plus fortement atteint que les chaînes. Les tournages ont, en effet, été arrêtés dès l'annonce du confinement et si certains tournages ont repris depuis la fin du mois de mai, ils ne concernent qu'une partie des formats (les séries quotidiennes et les émissions de plateau notamment) et s'accompagnent d'un protocole sanitaire très exigeant. Dans ces conditions, les chaînes risquent d'être confrontées à un problème quantitatif pour alimenter leurs grilles de programmes tandis que le coût de ces programmes est voué à augmenter pour tenir compte des nouvelles précautions sanitaires.

Lors de leur audition par le groupe de travail, les producteurs ont confirmé le diagnostic des chaînes. La présidente de Newen a ainsi évoqué un véritable « tsunami », expliquant que les 150 épisodes de fiction quotidienne qui n'avaient pas pu être tournés étaient définitivement perdus.

Le problème de la prise en charge du risque « Covid » par les assurances a été largement évoqué par les responsables auditionnés. Soit les assureurs refusent de prendre en charge ce risque soit la prime est tellement élevée qu'elle en devient dissuasive. Le groupe Newen a ainsi indiqué 44 ( * ) qu'il avait décidé de reprendre le tournage de ses séries quotidiennes comme « Plus belle la vie » sans être assuré, ce qui constitue un « énorme risque » selon ses responsables. Dans ces conditions, la mise en place du fonds de soutien du CNC annoncée par le ministère de la culture ainsi que le maintien du chômage partiel ont été considérés comme des dispositions essentielles.

Les responsables de Newen ont insisté lors de leur audition sur le rôle tout à fait essentiel des séries quotidiennes pour structurer l'économie de la profession. Le tournage des 260 épisodes d'une saison de « Plus belle la vie » mobilise environ 300 ETP par épisode, ce qui correspond à environ 1 500 personnes compte tenu des roulements. Le processus industriel mis en place permet à des centaines de jeunes de se former aux métiers de l'audiovisuel. Il était dans ces conditions indispensable de reprendre les tournages pour préserver toute une filière économique. Le groupe de production a donc créé un livre blanc consacré au déconfinement des tournages qui a pour objectif à la fois de rassurer l'ensemble des parties prenantes et de bien établir les responsabilités de chacun.

Le problème de la reprise des tournages a également été soulevé par le président de Mediawan, Pierre-Antoine Capton 45 ( * ) , qui a salué la mise en place d'un fonds de soutien doté de 50 M€ tout en regrettant que ce fonds ne puisse intervenir pour les coproductions européennes. Les émissions de flux comme « Le Grand échiquier » en sont également exclues alors même que les coûts de fabrication ont fortement augmenté.

Pierre-Antoine Capton a insisté sur le rôle du service public pour soutenir la filière de la production et sur la possibilité de faire des économies sur les tournages. Il a également évoqué la nécessité de donner plus de place à l'innovation dans les formats après avoir observé que les grandes chaînes ne mettaient aucune émission nouvelle de flux à l'antenne depuis de nombreuses années.

2. Un certain retard dans la mobilisation des soutiens publics aux médias
a) Des mesures de soutien ponctuelles indispensables qui tardent à arriver

Dès le mois de mars, les entreprises de médias ont averti qu'elles auraient besoin d'être aidées afin de pouvoir faire face aux conséquences de la crise économique sur leur modèle économique . Lors de son audition par le groupe de travail, le président du CSA a insisté sur la nécessité de « redonner de l'oxygène » au secteur en assouplissant la réglementation, en revisitant la trajectoire financière du service public et en engageant la transcription de la directive SMA...

Le groupe de travail ne peut que regretter que plus de deux mois après le début de la crise les décisions quant à d'éventuelles aides publiques à destination des médias soient encore à l'arbitrage et que le plus grand flou subsiste quant au périmètre, au montant et aux bénéficiaires d'un tel soutien. L'absence de débat public sur les mesures à adopter laisse également craindre que les décisions portent davantage la marque des actions de lobbying d'acteurs aux intérêts contradictoires que celle d'une vision assumée de l'avenir du secteur.

Au final, il semble que le soutien au secteur audiovisuel ne constitue pas aujourd'hui une priorité du Gouvernement . Si on peut comprendre que ce dernier porte une attention plus soutenue aux secteurs qui ont été en « première ligne », il convient de rappeler que le « poids » du secteur audiovisuel et de la production équivaut à celui de nombreux secteurs industriels plus traditionnels 46 ( * ) qui réussissent aujourd'hui à se faire entendre davantage.

b) Une clarification nécessaire du financement des médias audiovisuels

Concernant tout d'abord le financement des médias, la commission de la culture a répété depuis 2015 que la réforme des structures et de la gouvernance de l'audiovisuel public était inséparable de la réforme de son financement . La crise sanitaire est venue rappeler l'urgence d'une clarification et les inconvénients d'un financement mixte de l'audiovisuel public reposant très majoritairement sur une ressource publique mais également sur des recettes publicitaires (à hauteur d'environ 10 %).

Avec la chute de leurs revenus publicitaires (de 40 % en mars puis de 70 à 80 % au mois d'avril), les chaînes et les radios privées ont pris la mesure de la concurrence exercée par France Télévisions et Radio France sur le marché publicitaire. Les responsables de TF1 et de M6 ont regretté par ailleurs que les régies des deux sociétés publiques n'aient pas hésité à proposer des tarifs très attractifs à leurs annonceurs avec pour effet de renforcer la baisse de leurs propres revenus.

c) Des incohérences réglementaires à lever rapidement

Lors de son audition, le président du CSA, Roch-Olivier Maistre, a reconnu qu'il était paradoxal que les chaînes de télévision puissent faire de la publicité pour Netflix mais par pour les films qu'ils coproduisent. Il a également convenu qu'il pourrait être pertinent d'aller plus loin sur la publicité adressée.

Par ailleurs il apparaît aujourd'hui que le projet de loi de réforme de l'audiovisuel n'est sans doute pas allé assez loin sur la question de la régulation des données qui constitue pourtant « le nerf de la guerre » de la nouvelle économie des médias. Or les plateformes refusent toujours de rendre des comptes au régulateur de l'audiovisuel sur l'utilisation qu'elles font des données de leurs utilisateurs.

LES 10 PROPOSITIONS DU GROUPE DE TRAVAIL

I. REDONNER À LA POLITIQUE PUBLIQUE EN FAVEUR DU SECTEUR AUDIOVISUEL UN CARACTÈRE PRIORITAIRE

1. Accorder au secteur de l'audiovisuel le soutien correspondant à son poids économique et à son rôle démocratique et culturel

Le groupe de travail a constaté que, malgré une mobilisation précoce des acteurs du secteur des médias - dès le mois de mars -, les pouvoirs publics n'ont toujours pas élaboré de « plan d'action » global en sa faveur reposant sur une vision ambitieuse de l'avenir du secteur.

La crise sanitaire a pourtant mis en évidence que les dispositions de la loi audiovisuelle étaient insuffisantes pour assurer l'avenir des médias français. Le débat devrait donc moins porter - comme c'est le cas aujourd'hui - sur les moyens de mettre en oeuvre partiellement cette réforme et davantage sur la possibilité de dépasser le texte qui a été élaboré à l'automne dernier pour inclure d'autres dimensions essentielles qui étaient insuffisamment prises en compte (réforme de la CAP, modernisation de la réglementation de la production, allègement des contraintes imposées aux acteurs...).

Le secteur des médias ne peut pas être le « grand oublié » des plans de relance. L'écosystème des services médias audiovisuels est bouleversé et le retour à l'équilibre antérieur (si tant est qu'il y en eût un) est très peu probable. Les pouvoirs publics sont contraints à intervenir massivement et rapidement.

Le groupe de travail préconise donc qu'un véritable « plan d'actions » en faveur de l'audiovisuel et de la production soit élaboré comportant des mesures tant conjoncturelles que structurelles.

Des mesures à effet immédiat sont, en effet, nécessaires pour permettre aux entreprises de préserver leurs investissements et leurs moyens humains (outre des crédits d'impôts, des exonérations de taxes ou des aides concernant les frais de diffusion peuvent être envisagées), mais l'avenir du secteur repose aussi sur des mesures de plus long terme portant en particulier sur la réglementation du secteur pour rétablir des conditions de concurrence plus justes avec les plateformes anglo-saxonnes de vidéo par abonnement. Ce plan d'actions doit permettre de soutenir une filière économique - qui pèse autant que d'autres secteurs industriels comme l'automobile - mais également de préserver notre exception culturelle.

II. CONSOLIDER LE SERVICE PUBLIC DE L'AUDIOVISUEL

2. Assurer la pérennité du service public de l'audiovisuel en lui garantissant dans la durée des moyens suffisants

Les entreprises de l'audiovisuel public ont été au rendez-vous de la crise sanitaire en termes d'information, d'accès à la culture et au patrimoine cinématographique, et de programmes éducatifs et d'animation. Cette situation a renforcé l'intérêt de disposer d'un audiovisuel public puissant doté de moyens suffisants. Or le choix qui a été fait depuis 2017 de mettre l'audiovisuel « sous tension » budgétaire risque aujourd'hui de devenir contreproductif compte tenu des risques financiers qui menacent ces entreprises (baisse des ressources propres, hausse de nombreux coûts).

Le Gouvernement a défini une trajectoire financière de l'audiovisuel public qui prévoit une baisse de 190 M€ des moyens des sociétés de l'audiovisuel public sur la période 2018-2022. La mise en oeuvre de cette trajectoire financière a demandé des efforts importants de la part des entreprises concernées en particulier en 2019 et 2020. Les dirigeantes des entreprises publiques auditionnées par le groupe de travail n'ont pas demandé la remise en cause de cette trajectoire financière d'autant plus que cette perspective semble avoir été exclue par le ministère des Finances lors de plusieurs réunions menées en mai.

A défaut de remettre en cause - ou tout du moins de suspendre pour une certaine durée - cette trajectoire, le groupe de travail estime indispensable d'adapter les efforts demandés à la situation de chaque entreprise afin de tenir compte de la mobilisation exceptionnelle des personnels pendant la crise sanitaire et de la nécessité de préserver le niveau de qualité de l'offre de l'audiovisuel public.

Le groupe de travail estime, par ailleurs, qu'il ne serait pas souhaitable que les entreprises de l'audiovisuel public soient obligées de supporter des déficits importants en 2020 qui seraient la conséquence d'un non choix consistant pour l'actionnaire à ne pas augmenter leurs moyens et pour les entreprises à ne pas réduire leurs charges . Depuis 2015, les entreprises de l'audiovisuel public ont fait de gros efforts pour revenir vers des résultats équilibrés ; plus que jamais il convient de rappeler que le fait de « laisser filer les déficits » ne constitue ni une solution durable, ni une politique responsable.

3. Mener à son terme la réforme de l'audiovisuel public afin de favoriser les mutualisations, les économies et les projets innovants

La crise sanitaire a donné lieu à un renforcement des coopérations entre les entreprises de l'audiovisuel public (achat en commun de masques par exemple). Elle a aussi montré les limites de l'organisation actuelle puisque les matinales communes entre France 3 et France Bleu ont été arrêtées dès le début du confinement alors même qu'elles auraient pu jouer un rôle important pour informer les Français au plus près des territoires. Par ailleurs, les faibles performances de la chaîne publique Franceinfo ont également illustré les difficultés d'organisation de cette chaîne qui ne peut s'appuyer sur l'ensemble des moyens dont disposent le service public et la nécessité de renforcer les mutualisations.

Dans ces conditions, le regroupement des sociétés de l'audiovisuel public apparaît toujours comme une nécessité à la fois pour réaliser des économies de moyens et pour développer des offres véritablement communes notamment dans l'information et à travers le numérique.

4. Préserver la diffusion hertzienne de France 4 et sa programmation dédiée à la jeunesse et à l'éducation

Le désaccord exprimé par la commission de la culture lors de l'annonce de l'arrêt de la diffusion hertzienne de France 4 n'a pu qu'être renforcé par le repositionnement de la chaîne opéré par la direction du groupe public dès le début de la crise sanitaire et l'intérêt qu'a suscité cette nouvelle offre gratuite, accessible et pertinente.

Cette expérience a démontré que ce n'était pas l'existence d'une chaîne dédiée à la jeunesse qui devait se poser mais tout simplement sa ligne éditoriale et les moyens qui lui étaient dédiés .

France 4 a montré pendant la période de confinement son utilité sociale. Mais cette pérennisation doit se faire sous conditions claires : il ne s'agit toutefois pas de revenir à l'état ex-ante où les performances de France 4 en matière d'audience étaient modestes. Il s'agit de « construire un nouveau France 4 » sur les bases de ce qui a fait sa réussite récente : programmes éducatifs et divertissement pour les publics scolaires. Il faut un vrai cahier des charges pour le nouveau France 4.

Comme l'a expliqué Delphine Ernotte lors de son audition par le groupe de travail : « la mission éducative de France 4 est une question politique et non économique » même si le maintien de la diffusion hertzienne de cette chaîne aurait un coût estimé par la direction du groupe entre 10 et 15 M€.

Dans ces conditions, le groupe de travail ne peut que réitérer son souhait que le Gouvernement revienne sur sa décision de supprimer la diffusion hertzienne de France 4 .

III. ACCOMPAGNER LA RELANCE ÉCONOMIQUE DU SECTEUR DES MÉDIAS DE MANIÈRE CIBLÉE

5. Adopter une mesure générale et temporaire de soutien aux investissements des éditeurs dans la production et dans l'information

L'ensemble des médias audiovisuels a été durement fragilisé par la crise sanitaire du fait de la baisse de leurs ressources propres. Si le choc a été amorti par la CAP pour les entreprises publiques et par les abonnements pour la télévision payante, il a été massif pour les grandes chaînes de télévisions et les radios privées financées quasi exclusivement par la publicité. Les chaînes locales et les radios indépendantes ont également été sévèrement fragilisées.

L'ensemble des acteurs ont défendu depuis le mois de mars la création d'un « crédit d'impôt communication » au bénéfice des annonceurs qui permettrait de dynamiser le chiffre d'affaires publicitaire des médias mais également de soutenir la reprise de la consommation, du fait de l'effet démultiplicateur de la publicité sur les ventes.

Le coût d'une telle mesure 47 ( * ) , même limitée dans sa durée d'application, constitue néanmoins un obstacle à son adoption. C'est pourquoi le groupe de travail préconise la mise en place d'un crédit d'impôt réservé aux éditeurs de programmes et ciblé sur leurs investissements dans la production et l'information . Cette mesure - plus ciblée qu'un crédit d'impôt ouvert à tous les annonceurs - pourrait s'appliquer pendant un an afin d'accompagner les acteurs tout au long de la reprise de l'activité et les inciter à augmenter leurs investissements dans la production et l'information, deux secteurs clé pour l'avenir de notre secteur audiovisuel. Une telle mesure devrait cependant être ciblée et ne pas exclure les programmes de flux 48 ( * ) et le divertissement qui constituent des secteurs importants. Il conviendrait toutefois d'exclure les achats de programmes étrangers extra-européens afin de préserver l'effet de « relance » d'une telle initiative.

6. Clarifier le modèle de financement de l'audiovisuel public et privé (réforme de la CAP, suppression progressive de la publicité sur le service public)

La crise a mis en évidence les fragilités intrinsèques du modèle économique du secteur de l'audiovisuel français. Elle a rendu difficilement supportable pour les chaînes hertziennes et les radios privées - financées quasiment uniquement par les recettes de publicité - la « ponction » opérée par France Télévisions et Radio France sur le marché publicitaire (à hauteur d'environ 400 M€ par an). Les médias privés ont, par ailleurs, regretté la politique tarifaire pratiquée par les régies publicitaires des deux sociétés publiques pendant la crise sanitaire qui aurait tiré les prix « vers le bas ».

Le groupe de travail estime impératif, dans ces conditions, de rouvrir dans le PLF 2021 le chantier du financement de l'audiovisuel public . La modernisation de la CAP constituait « l'angle mort » du projet de loi de réforme de l'audiovisuel déposé au Parlement alors même que la prévisibilité de ses ressources constitue aujourd'hui le fondement même de l'indépendance de tout service public de l'audiovisuel.

Il importe donc aujourd'hui de garantir à l'audiovisuel public des moyens pour assurer son indépendance dans la durée. Cet objectif ne pourra être atteint selon le groupe de travail que par la création d'une « nouvelle redevance » qui ne sera plus assise sur la détention d'un téléviseur mais sur le fait que tous les foyers ont aujourd'hui accès aux programmes de l'audiovisuel public sur tous les supports (postes de télévision et de radio, tablettes, ordinateurs, téléphones intelligents).

La crise sanitaire a également mis en évidence la nécessité de réduire la dépendance de l'audiovisuel public à la publicité sans pour autant diminuer ses moyens . C'est la raison pour laquelle le groupe de travail propose que la réforme de la CAP à travers la création d'une contribution universelle s'accompagne d'une mise à l'étude des possibilités de supprimer la publicité sur l'ensemble des antennes du service public. Ce processus pourrait être progressif et commencer par la suppression de la publicité le week-end afin de renforcer la spécificité des programmes. L'objectif pourrait être d'aboutir à la suppression totale de la publicité d'ici 2025, c'est-à-dire à la fin du mandat théorique du prochain président de France Télévisions. A cette date il conviendrait qu'une « nouvelle CAP », dont les critères essentiels (tarifs, redevables...) pourraient être définis par une commission indépendante, apporte les moyens suffisants aux entreprises de l'audiovisuel public.

7. Mettre à contribution les plateformes de vidéos par abonnement en transcrivant rapidement la directive SMA

Les industries culturelles sont parmi les secteurs les plus touchés par la crise du coronavirus. Dans le même temps, les grandes plateformes de vidéo à la demande comme Netflix, Amazon Prime et Disney + connaissent une expansion sans précédent. Il existe donc un déséquilibre inquiétant, au détriment des créateurs français et de notre diversité culturelle.

La transcription rapide de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) permettrait à la fois de rétablir un équilibre entre les acteurs historiques et les nouveaux acteurs mais également de dynamiser l'investissement dans la production et de permettre le développement de cette filière.

Le groupe de travail demande donc que la transcription de cette directive intervienne dans les meilleurs délais et que le Parlement soit étroitement associé à la détermination des contreparties qui pourraient être accordées aux plateformes notamment au regard de la chronologie des médias .

Plusieurs dirigeants de chaînes se sont en effet inquiétés auprès du groupe de travail du risque qu'il pourrait y avoir que les plateformes se voient accorder un régime très favorable concernant la diffusion des films de cinéma. Or il serait paradoxal que la mise en oeuvre d'une disposition ayant pour but de développer la création française et européenne aboutisse à une nouvelle distorsion de concurrence au détriment des acteurs nationaux.

8. Préserver la diversité audiovisuelle en soutenant particulièrement les radios indépendantes et les télévisions locales

Les radios indépendantes et les télévisions locales ont été très durement pénalisées par les conséquences économiques de la crise sanitaire. Or elles ne disposent ni de la surface financière des grands groupes de médias privés qui éditent les chaînes nationales de la TNT, ni de la sécurité que représente le financement public de la CAP pour l'audiovisuel public.

Dans ces conditions, le groupe de travail estime nécessaire de prévoir une aide spécifique, au-delà de la mesure d'ordre général qu'il préconise, adaptée à la situation des radios indépendantes et des télévisions locales. Cette aide pourrait prendre la forme d'une prise en charge des frais de diffusion par un fonds public dédié pendant une durée suffisante, le cas échéant à travers un mécanisme dégressif dans le temps.

IV. PROMOUVOIR DES PROGRAMMES DE QUALITÉ ET ATTRACTIFS

9. Renforcer l'attractivité des chaînes d'information en continu

La crise sanitaire a démontré le caractère fondamental des programmes d'information tant privés que publics. Les « JT » des grandes chaînes ont retrouvé leurs audiences passées tandis que les chaînes d'information continu ont largement augmenté leurs audiences à l'exception de Franceinfo dont le format a démontré ses limites pour rendre compte d'une crise majeure.

Une information de qualité, fondée sur la vérification des faits, le pluralisme et une certaine impartialité n'a jamais été aussi importante pour préserver le fonctionnement de notre démocratie. Cette situation justifie d'aménager autant que nécessaire les conditions d'exercice des médias d'information. Le groupe de travail propose donc que les chaînes d'information de la TNT soient regroupées dans un « bloc unique » en réorganisant la numérotation. Les règles qui régissent les mutualisations au sein des groupes de médias possédant une chaîne d'information ont déjà été assouplies à l'initiative du CSA. Il semble cependant essentiel de donner un caractère pérenne au principe des mutualisations concernant l'information (en autorisant par exemple la codiffusion de programmes à la télévision comme c'est déjà le cas entre une radio et une télévision).

10. Assouplir la réglementation de la production afin de favoriser les investissements

La réforme de l'audiovisuel comportait trop peu de mesures visant à alléger les contraintes imposées aux chaînes de télévision. Les avancées relatives à la publicité sur le cinéma et à la publicité adressée étaient tellement encadrées que les chaînes s'interrogeaient sur la possibilité de les mettre en oeuvre. Concernant la réglementation de la production, la demande de nombreuses chaînes de pouvoir bénéficier de davantage de droits n'a pas reçu la réponse espérée.

La crise sanitaire devrait compliquer encore la situation puisque les obligations des chaînes étant calculées sur leur chiffre d'affaires, la baisse de ce dernier aura pour conséquence de réduire mécaniquement les obligations d'investissement des chaînes. Pourtant, les responsables de chaînes auditionnés ont tous affirmé que leur priorité était moins de réduire leur investissement que de pouvoir mieux les orienter en fonction des attentes du public.

Certains acteurs ont ainsi demandé de pouvoir fusionner les obligations des chaînes en matière de cinéma et de production audiovisuelle afin de permettre aux chaînes de financer plus de films ou plus de séries selon les moments. Sans aller jusqu'à une fusion totale des obligations, le groupe de travail propose de mettre à l'étude la possibilité de créer une « zone de souplesse » dans les obligations actuelles de financement. À côté de l'obligation de financer le cinéma et de l'obligation de financer la production audiovisuelle pourrait ainsi être créée une troisième obligation « mixte » permettant aux éditeurs de programmes de financer soit des films soit des séries en fonction de leurs projets. Une concertation pourrait être organisée entre les éditeurs et les producteurs afin de définir les engagements que pourraient prendre les chaînes afin de bénéficier de cette « clause de souplesse » ainsi que les conditions de suivi et d'évaluation de cet aménagement.


* 41 Les présidents de TF1 et M6 ont également regretté que France Télévisions continue à les concurrencer sur l'acquisition de programmes américains en n'hésitant pas à surenchérir sur leurs propres offres d'achat, participant ainsi à la hausse des coûts de ces programmes et à leur affaiblissement.

* 42 La date de dépôt des candidatures a été repoussée par le CSA du 2 avril au 10 juillet et la décision de nomination qui devait intervenir avant le 5 mai 2020 sera finalement rendue au plus tard le 24 juillet 2020.

* 43 Dès son lancement le 7 avril 2020, Disney + s'est octroyée près d'un tiers de la consommation des plateformes de vidéo par abonnement.

* 44 La présidente du groupe Newen, Bibiane Godfroi, a été auditionnée par le groupe de travail le 19 mai 2020.

* 45 Le président de Mediawan, Pierre-Antoine Capton, a été auditionné par le groupe de travail le 25 mai 2020.

* 46 Le CNC rappelait déjà il y a quelques années que « les secteurs soutenus par le CNC génèrent une valeur ajoutée directe de 8,5 Md€ en 2012, soit une valeur équivalente à celle de l'industrie automobile (8,6 Md€ selon l'INSEE) et supérieure à celle de l'industrie pharmaceutique (6,4 Md€) ou encore à celle de la fabrication de textiles, l'industrie de l'habillement, l'industrie du cuir et de la chaussure (5,3 Md€) ».

* 47 Un chiffrage présenté au groupe de travail lors d'une des auditions évaluait le coût annuel de la disposition à 800 M€ dans l'hypothèse d'un crédit d'impôt de 20 % appliqué à un chiffre d'affaires d'achats d'espaces de 4 Mds€. Une application de la mesure sur un semestre nécessiterait tout de même de mobiliser 400 M€ avec un risque d'effet d'aubaine pour les annonceurs qui n'avaient pas prévu de renoncer à leur programme d'achats d'espaces au second semestre.

* 48 En France, les chaînes publiques comme privées sont assez frileuses et n'incitent pas à la création de nouveaux formats. Pour l'essentiel, notamment dans le service public, il s'agit de formats étrangers achetés et adaptés. France Télévisions dans ses nouveaux programmes de flux mis à l'antenne entre 2015 et 2020 ne compte que 29 % de programmes originaux contre 95 % pour la BBC au cours de la même période (Etude TOOCO 2020). Ce déficit de formats originaux a un double impact économique pour les chaînes : les droits de formats achetés à l'étranger représentent 7 à 10 % des coûts de production ; l'absence de formats propriétaires prive les chaînes et les producteurs d'une ressource de plus en plus stratégique (face à la baisse tendancielle des ressources publicitaires), celle des droits de commercialisation des formats vendus à l'étranger. Autre effet regrettable : cette situation bride la créativité des producteurs internes comme privés. Le crédit d'impôt consacré aux éditeurs pourrait ainsi intégrer dans son périmètre les innovations françaises en matière de programmes de flux.

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