C. UN DÉFAUT D'ADAPTATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF AUX CARACTÉRISTIQUES ET AUX BESOINS DES CINQ ACADÉMIES

Le rapporteur constate que les recommandations formulées par le Sénat en 2009 6 ( * ) sur le défaut d'adaptation de la politique scolaire aux outre-mer restent malheureusement pertinentes.

La Cour des comptes indique ainsi que « peu d'actions innovantes sont conduites localement et lorsqu'elles existent, elles ne mobilisent que des moyens limités ». Toutefois, l'administration semble avoir pris conscience de la nécessité de travailler en dialogue étroit avec les académies afin de privilégier une gestion « sur mesure ».

1. La gestion des enseignants en décalage par rapport aux nécessités locales et aux difficultés de recrutement

La gestion des personnels enseignant et administratif obéit dans l'ensemble à des règles nationales, ce qui peut conduire à une inadaptation aux situations locales.

La Cour souligne une « mobilisation des enseignants trop contrastée [et] des structures et des méthodes de gestion quelquefois dépassées ». Le rapporteur spécial, s'il souscrit à ce constat, retient qu'il importe de souligner que l'administration se heurte au déficit d'attractivité des académies de Mayotte et de Guyane d'une part et à la baisse du nombre d'élèves aux Antilles d'autre part .

Les évolutions démographiques aux Antilles permettent de mettre en évidence le manque d'adaptation de la gestion des personnels enseignants au volume d'élèves, problème qui gagnera rapidement la métropole et dont le rapporteur spécial souligne qu'il constitue le principal défi à venir de l'éducation nationale.

Jusqu'à présent, comme souligné précédemment, la chute des effectifs d'élèves en Guadeloupe et à la Martinique se traduit par un encadrement plus proche de la moyenne européenne et un nombre d'élèves par enseignant nettement inférieur à celui de la métropole.

À l'inverse, à Mayotte, afin de pallier le manque de professeurs, les recrutements doivent être aménagés . Le ministère a mis en oeuvre plusieurs dispositifs dérogatoires , les enseignants pouvant être recrutés à la fin de la licence, et non du master comme en métropole et les modalités du stage de titularisation étant par ailleurs assouplies. En outre, le recours aux contractuels s'impose comme une alternative indispensable massivement utilisée.

Ce déficit d'attractivité, conjugué à La Réunion et aux Antilles à une sédentarisation des enseignants , se traduit par une moyenne d'âge et un taux d'enseignants hors classe supérieurs à ceux observables en métropole .

Ancienneté moyenne des enseignants dans l'académie (en années)

Source : commission des finances d'après les données de la Cour des comptes

Le rapporteur spécial plaide en outre pour un développement accru du dispositif de préprofessionnalisation prévu par l'article 49 de la loi pour une école de la confiance du 28 juillet 2019.

Celui-ci, déjà utilisé par le ministère en Guyane, où 200 enseignants sont concernés, permet à des étudiants d'être recrutés et donc rémunérés pendant leurs études et de découvrir le métier en amont du concours tout en étant accompagnés dans le cadre d'un parcours de préprofessionnalisation. Le rapporteur spécial note que ce système permet d'ancrer les futurs enseignants aux territoires en déficit d'attractivité , puisqu'il incite les jeunes étudiants à exercer sur le lieu même de leurs études.

En outre, la gestion des enseignants est entravée par l'inertie de l'adaptation des rémunérations aux réalités locales. Si, comme décrit plus haut, les enseignants d'outre-mer perçoivent en moyenne des primes d'éloignement, cela conduit à avantager davantage les enseignants de La Réunion par rapport à ceux des départements où le niveau de vie est moindre et la pression démographique supérieure et où par conséquent le besoin d'enseignants est le plus important.

Concernant plus particulièrement les académies des Antilles et de La Réunion, le rapporteur spécial déplore que le sureffectif d'enseignants ne se traduise pas par une amélioration de la gestion des remplacements . Bien au contraire, celle-ci s'avère selon la Cour « très défaillante » et conduit à un taux de remplacement dans le premier degré trois fois moindre que celui observé en métropole. Près de six jours d'enseignement sont perdus par an en moyenne en outre-mer en raison d'une absence de remplacement .

Par ailleurs, les académies ultramarines sont en surconsommation d'emplois administratifs tout en rencontrant des difficultés à pourvoir certains postes.

Dans le domaine de la santé scolaire, qui représente une difficulté chronique au niveau national 7 ( * ) , la difficulté à pourvoir les postes de médecins scolaire est accrue. En Guyane, la proportion de médecins scolaires contractuels est de 80 % contre 17,4 % au niveau national. À Mayotte, un poste de médecin scolaire est dépourvu de titulaire depuis plusieurs années.

Enfin, le rapporteur souligne les efforts menés en matière de formation continue qui doivent toutefois être approfondis . L'administration a ainsi présenté lors de l'audition pour suites à donner le développement de deux plans de formation à destination des enseignants du premier degré, lesquels devraient permettre de former par roulement l'ensemble des professeurs des écoles à raison de 16 % d'entre eux par an pendant six ans .

La réforme de la formation initiale va également dans le sens d'une meilleure adaptation aux difficultés propres à chaque territoire. Depuis septembre 2020, 10 % de la maquette de la formation des nouveaux enseignants est laissée au choix des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) .

Il importe cependant que les Inspé se saisissent pleinement de cette opportunité pour que les jeunes enseignants soient davantage préparés à la réalité et aux enjeux du territoire sur lequel ils sont appelés à exercer.

Recommandation n° 2 : aménager plus largement les modalités de recrutement des enseignants, ainsi que leur formation et leur régime indemnitaire, afin de mieux prendre en compte les besoins des territoires.

2. L'éducation prioritaire, un outil généralisé mais mal utilisé

Une des particularités des académies d'outre-mer réside dans l'utilisation massive du réseau d'éducation prioritaire. Ainsi, la Guyane est intégralement classée en REP + depuis 2016 ; Mayotte est classée en REP depuis 2018 , dont la moitié des élèves scolarisés en REP +.

En Martinique et à La Réunion, un tiers des enfants scolarisés dans le primaire et au collège est en éducation prioritaire, et ce malgré les différences de situations socio-économiques des deux îles.

L'éducation prioritaire est toutefois beaucoup moins nécessaire dans les académies des Antilles et de La Réunion, où elle constitue parfois un produit de l'histoire que ne justifie plus l'évolution du niveau de vie et des effectifs d'élèves. La Cour note que « l'extension du périmètre de l'éducation prioritaire ne semble ni bien réfléchie ni très efficiente » 8 ( * ) en termes de performances scolaires.

Si, face aux enjeux de Mayotte et de la Guyane, le placement en éducation prioritaire semble de bon sens, des difficultés d'adaptation aux réalités territoriales impliquent une fois de plus de nuancer cette idée. Ainsi, à défaut d'un nombre suffisant de formateurs et de coordinateurs, les enseignants ne disposent pas d'autant d'outils que leurs collègues de métropole.

Concernant le dédoublement des classes de CP et CE1, que le rapporteur spécial salue comme un dispositif efficace et dont les évaluations montrent qu'il a fait ses preuves, il a pour corollaire un accroissement du nombre d'enseignants et de locaux.

Or, concernant le premier aspect, les difficultés de recrutement ont été évoquées plus haut et, concernant le second, le déficit structurel d'établissements scolaires implique de manière généralisée de faire cohabiter deux enseignants et deux classes dans une même salle. Il serait plus efficace de mettre en oeuvre un système plus approprié aux difficultés propres à ces deux académies.

Recommandation n° 3 : mieux utiliser le dispositif d'éducation prioritaire en le recentrant sur les académies et les établissements où il est le plus nécessaire, voire y substituer un dispositif spécifique pour la Guyane et Mayotte.

3. Une meilleure intégration des élèves allophones en Guyane et à Mayotte

Près de 70 % des enfants scolarisés en Guyane ont une langue maternelle autre que le français , comprise parmi la trentaine de langues vernaculaires du territoire. Cette proportion est encore supérieure à Mayotte . La maîtrise du français est pourtant la clé d'accès à l'enseignement.

Si la prise en compte de cette situation est relativement ancienne et structurée en Guyane, ce n'est pas le cas à Mayotte. Les vagues récentes d'immigration soumettent le centre académique pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des élèves issus des familles itinérantes et de voyageurs (CASNAV) à une forte tension. La Cour des comptes évoque notamment des listes d'attente de plusieurs centaines d'enfants attendant d'intégrer les sections du CASNAV, quand il ne s'agit pas d'enfants non francophones envoyés par défaut dans des établissements n'ayant pas les moyens de les prendre en charge.

Le nombre d'élèves y étant scolarisés a triplé sur la seule année 2017. Le rapporteur spécial considère qu'il est crucial d'accroître les moyens financiers des CASNAV afin de permettre une intégration rapide des élèves allophones dans le système scolaire classique.

Recommandation n° 4 : accroître les moyens des centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des élèves issus des familles itinérantes et de voyageurs (CASNAV) pour tenir compte des évolutions du nombre d'élèves allophones et mieux former les enseignants aux questions linguistiques.

Plus largement, la question linguistique dans les outre-mer doit faire l'objet d'une attention particulière . Le rapporteur spécial souligne que les enseignants doivent pouvoir bénéficier d'une formation, tant pour les sensibiliser au sujet des langues locales que pour leur permettre de développer des pratiques pédagogiques adaptées.

Afin de développer un véritable bilinguisme et d'améliorer la pratique du français académique, l'intégration parmi les enseignements d'exercices d'expression orale est à approfondir. En Martinique, le rectorat a par exemple mis en place le projet EOL, pour expression orale libre, consistant dans la prise de parole libre d'un élève par jour pendant l'intégralité de sa scolarité, durant cinq minutes et sur un sujet de son choix. Un tel exercice pourrait être facilement généralisé à coût constant aux autres académies ultramarines.


* 6 Rapport d'information de M. Éric Doligé, fait au nom de la Mission commune d'information outre-mer, n° 519 (2008-2009) - 7 juillet 2009.

* 7 Voir à ce propos la communication de la Cour des comptes à la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale portant sur Les médecins et les personnels de santé scolaire, transmise en avril 2020.

* 8 P. 46

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