B. LA DIVERSITÉ DES PROPOSITIONS REND DIFFICILE LA RECHERCHE D'UN DÉNOMINATEUR COMMUN : IL N'Y A PAS DE SOLUTION IDÉALE

Les auditions menées par vos rapporteurs ont permis de recenser de multiples variantes, entraînant des réformes institutionnelles d'ampleur diverses selon qu'elles confortent la MGP, la supprime ou en modifie le périmètre. En outre, si la MGP concentre les critiques, il est apparu d'une part que les EPT constituaient un autre « maillon faible » à réformer, d'autre part que les départements pouvaient également constituer une variable d'ajustement dans la simplification des échelons territoriaux.

Il est toutefois frappant d'observer qu'entre des positions allant du renforcement de la métropole à sa suppression, la très grande majorité des acteurs semblent d'abord défendre la position qu'ils occupent, qu'il s'agisse des établissements publics territoriaux (EPT), de la métropole, des départements et de la région. Difficile, voire impossible, sur cette base, de dégager un consensus dans un contexte où prévalent encore les logiques de « château-fort » ou de « coffre-fort », chacun campant sur ses positions.

L'espoir de voir se dégager une solution qui « monterait » des territoires comme l'ont souvent exprimé les ministres en charge du dossier est une pure illusion. L'État doit faire un choix, qui nécessairement déplaira à certains, puis le soumettre au Parlement. Il n'y a pas d'autre solution.

1. La suppression de la MGP (ou sa transformation en simple pôle métropolitain ou syndicat mixte)
a) Le modèle du pôle métropolitain : transformation des EPT en EPCI de droit commun et libre adhésion à un syndicat métropolitain

La proposition de loi de nos collègues députés du groupe La République en marche 15 ( * ) visant à engager une réforme institutionnelle du Grand Paris consiste, sur le modèle du pôle métropolitain créé par la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, à transformer la métropole actuelle en syndicat mixte ouvert et le retour des EPT dans le régime de droit commun des EPCI à fiscalité propre. L'adhésion au pôle métropolitain serait obligatoire pour les collectivités et établissements publics se trouvant dans le périmètre des départements de petite couronne et libre au-delà dans le périmètre de la région sous condition de contigüité avec le territoire métropolitain.

Le pôle métropolitain est fondé sur deux principes : le volontariat (adhésion et cotisation) et l'initiative des EPCI membres pour la détermination de l'intérêt métropolitain.

Article L. 5731-1 du CGCT

« Le pôle métropolitain est un établissement public constitué par accord entre des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ainsi que, le cas échéant, la métropole de Lyon, en vue d'actions d'intérêt métropolitain, afin de promouvoir un modèle d'aménagement, de développement durable et de solidarité territoriale.

« Par dérogation au premier alinéa du présent article, une commune nouvelle mentionnée aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 2113-9 peut adhérer à un pôle métropolitain. Dans ce cas, pour l'application du présent chapitre, le conseil municipal de la commune nouvelle exerce les compétences reconnues à l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale membre du pôle.

« Les organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale ainsi que, le cas échéant, les conseils régionaux, les conseils départementaux et le conseil de la métropole de Lyon membres du pôle métropolitain se prononcent, par délibérations concordantes, sur l'intérêt métropolitain des compétences qu'ils transfèrent ou des actions qu'ils délèguent au pôle métropolitain. »

Auditionné en qualité de président de l'Alliance des territoires du Grand Paris, Jean-Didier Berger a indiqué que tous les EPT actuels défendaient la même idée de transformation en EPCI et de libre adhésion. Il soutient également que la métropole ne doit pas avoir de vocation supra communale et demeurer dans un esprit d'intercommunalité fondé sur la libre détermination des compétences et des projets transférés à la métropole. Dans cet esprit, l'élection au suffrage universel direct de l'exécutif métropolitain n'est pas souhaitable.

Pour vos rapporteurs, souvent appelé modèle de la marguerite, est la négation même de l'idée de métropole. Transformer les EPT en EPCI de droit commun ne ferait que sanctuariser définitivement les écarts de richesse fiscale et ne permettrait en rien de réduire la fracture territoriale. Par ailleurs la question de la capacité des départements à financer les politiques sociales est tout simplement éludée. La métropole en serait alors réduite à produire des documents de nature stratégique, alors que la région le fait déjà, sans disposer d'aucun moyen financier. Quant à la place des maires dans un pareil modèle, on voit bien qu'elle serait d'autant plus réduite que le nombre d'EPCI intégrant ce pôle métropolitain serait important.

2. Le maintien d'une métropole de la zone dense
a) Un statu quo amélioré avec la transformation des EPT en échelons déconcentrés de la MGP

Tout en ne cachant pas sa désapprobation du dispositif de la loi NOTRe contre laquelle il a voté, Patrick Ollier s'est insurgé, au cours de la table ronde, en ces termes : « Le problème est que l'on veut tuer le bébé, qui n'a que quatre ans. Néanmoins, il faut nous laisser le temps de prouver notre efficacité collective - car nous en avons une - avant de dire qu'il faut supprimer la métropole ».

Dans sa contribution écrite communiquée à la délégation ( cf . annexes I et II), le président de la MGP précise ses propositions sur deux points : les moyens financiers et l'organisation politico-administrative.

S'agissant des moyens, il estime que « la Métropole est aujourd'hui privée - de manière temporaire - d'un certain nombre de ressources financières, au profit des établissements publics territoriaux. Il est permis de plaider pour un retour à la normalité. Comme cela était envisagé originellement par le législateur à partir du 1er janvier 2020, la Métropole du Grand Paris doit pouvoir bénéficier de de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la cotisation foncière sur les entreprises (CFE). D'un côté, cela permettrait à la Métropole de développer ses actions métropolitaines et d'harmoniser la mise en oeuvre des politiques publiques sur son territoire. De l'autre, cela permettrait de mettre fin à une anomalie juridique, à savoir la possibilité laissée aux établissements publics territoriaux, assimilés par le législateur à des syndicats de communes, donc dénués de fiscalité propre, de percevoir le produit d'une taxe ».

Il propose en second lieu de décomplexifier l'organisation politico-administrative pour une mise en oeuvre plus optimale des politiques métropolitaines en transformant les établissements publics territoriaux en services déconcentrés de la Métropole. Il rappelle que, par exception au droit commun, chaque commune du Grand Paris est membre de deux établissements publics intercommunaux : la Métropole du Grand Paris et un établissement public territorial.

Ce faisant, cette position revient à défendre l'épure initiale de la loi NOTRe qui prévoyait le transfert à la métropole des recettes de l'impôt économique (CFE et CVAE).

Est-ce que le toilettage proposé serait une réponse suffisante au problème ? Le concept de « métropole de projets » est-il toujours pertinent ?

Pour Anne Hidalgo, « Il faut ne pas s'enferrer non plus dans le sujet institutionnel. Il faut plutôt partir des projets ». Elle plaide pour une métropole de projets tout en reconnaissant que le système actuel est « un casse-tête et que la question du financement n'est pas réglée ». En l'absence de remise d'une contribution écrite pour préciser ses déclarations lors de la table ronde du 26 novembre 2020, il est difficile de discerner plus précisément les orientations de la maire de Paris, celle-ci ayant indiqué la nécessité de se concerter plus largement.

Vos rapporteurs estiment que cette solution peut permettre de répondre aux objectifs de mutualisation des compétences et des moyens inhérents à une métropole digne de ce nom, à la condition que celle-ci instaure un mécanisme fort de solidarité financière entre les territoires, à partir du moment où elle percevra la totalité des impôts économiques et les dotations de fonctionnement des EPT. Cependant, la question du financement des politiques sociales dans l'espace métropolitain n'est pas ici traitée.

b) La transformation des départements de petite couronne en échelons déconcentrés de la MGP

Pour Stéphane Troussel, président du département de la Seine-Saint-Denis, « Le fonctionnement de la métropole est illisible, complexe, et pas forcément efficace ». Son constat se fonde sur la baisse constante des taux de participation aux élections et sur la multiplication des strates de collectivités territoriales en Ile-de-France : cinq, voire six en tenant compte de l'importance croissante des syndicats à compétence unique qui se multiplient pour exercer les compétences à la place des collectivités elles-mêmes.

Sa proposition de réorganisation s'appuie sur la spécificité de la zone dense et prévoit que les départements de la petite couronne deviennent les outils déconcentrés de la métropole.

À l'exemple de New York, dont l'organisation de la métropole s'appuie sur cinq entités (les districts de Manhattan, du Bronx, de Brooklyn, de Staten Island et du Queens), la force de frappe y est plus forte et équilibré qu'à Paris. Face au poids démesuré de Paris, le périmètre du département lui semble plus pertinent que celui d'un EPT à la fois pour négocier avec Paris, mais aussi pour mettre en oeuvre des politiques sociales de redistribution efficaces.

L'idée que les quatre départements-territoires de la métropole deviendraient des échelons déconcentrés de la MGP aurait le mérite d'être opérationnel rapidement car, à la différence des départements, les EPT ont encore peu de compétences, et tous ne disposent pas d'une administration robuste. Le département-territoire serait également l'échelon électif pour la zone dense. Selon Stéphane Troussel, ce schéma serait plus efficace pour lutter contre les disparités qu'une métropole divisée en douze territoires. De même, les communes de moins de 7 000 habitants devraient se regrouper en communes nouvelles pour disposer de moyens suffisants dans cette structuration à trois niveaux : commune, département-territoire et MGP.

En variante de ce scénario, le maintien des EPT reste envisageable, mais ne contribuerait pas à l'objectif de simplification recherché.

Vos rapporteurs estiment que cette solution, qui se rapproche du modèle lyonnais et de la solution proposée par Philippe Dallier dans son rapport précité de 2008, répond aux exigences d'une véritable métropole. Elle créé de facto un très fort effet péréquateur, traite du financement des politiques sociales et porte une simplification de l'organisation territoriale.

Cependant l'idée de traiter différemment Paris, dans les compétences que la Ville exerce maintenant en lieu et place de l'ancien département qu'elle a absorbé, semble difficilement justifiable. Dans ce scénario, il conviendrait donc de revenir sur la réforme mise en oeuvre au 1 er janvier 2019 de fusion de la Ville de Paris et du conseil départementale.

3. Le transfert à l'échelle régionale

Pour les partisans d'une région-métropole, plusieurs scénarios sont envisageables. Il peut s'agir du simple transfert à la Région des fonctions de coordination et de production de documents ou schémas de planification dont la MGP a aujourd'hui la charge. Cette solution s'apparente finalement à celle du pôle-métropolitain décrite plus haut, sur la totalité du périmètre régional. Elle impose aussi la transformation des EPT en EPCI de droit commun avec les mêmes conséquences sur l'absence complète de mutualisation des moyens et des compétences opérationnelles. Mais il est également possible de concevoir une solution beaucoup plus intégratrice sur laquelle le Préfet Michel Cadot avait formulé des propositions.

a) L'hypothèse du transfert des compétences de la MGP à la Région

Pour Valérie Pécresse, présidente de la Région Ile-de-France, le périmètre pertinent de la métropole est celui de la région. Outre la suppression d'une couche dans le mille-feuille administratif, celui de la MGP, elle estime qu'il s'agit du bon niveau d'action pour aménager et équilibrer le territoire. Il s'agit pour elle d'« harmoniser à la fois cette dynamique exceptionnellement porteuse économiquement des centres-villes, des centres urbains et l'aménagement de ces territoires ruraux péri-urbains ou ruraux profonds, qui sont aux portes ».

Elle estime que la métropole, dans son périmètre actuel, est « tronquée » pour plusieurs raisons :

- pour les cinq millions d'habitants de la grande couronne, la métropole est un nouveau périphérique qui les exclut (transport, éloignement de l'hypercentre) ;

- les centres de développement (Roissy, Disneyland, plateau de Saclay) et les réserves foncières se trouvent en grande couronne ;

- limiter la métropole à la seule zone dense et urbaine ne prend pas en compte la réalité des échanges avec les zones périurbaines et rurales de l'Ile-de-France.

Sur la gouvernance et l'organisation institutionnelle, Valérie Pécresse propose :

- une métropole régionale dotée de deux collèges d'élus. Un premier collège serait l'assemblée élue dans les conditions actuelles du vote à la proportionnelle départementalisée, qui serait l'expression démocratique. Le second collège serait une assemblée des maires dotée d'un pouvoir de décision à l'image du Sénat, représentant des collectivités territoriales ;

- la simplification par la fusion métropole-région permettrait de conserver les territoires de la métropole comme échelon de proximité avec une jauge de 400 000 habitants, ainsi que les intercommunalités de grande couronne à condition que ces dernières s'accroissent et passent à une taille minimale de 300 000 à 400 000 habitants.

La proposition de la présidente de région peut s'accompagner de variantes consistant en la suppression des EPT, ainsi que le suggère notre collègue Philippe Pemezec, dans la contribution qu'il a bien voulu apporter à vos rapporteurs ( cf . encadré ci-après), en insistant sur le rôle central qui doit être accordé à l'échelon municipal. Ceci imposerait néanmoins de transférer aux communes les compétences opérationnelles des EPT.

Pour vos rapporteurs, si cette solution permet d'unifier le pilote en matière de transport et de développement économique, elle ne règle rien concernant le financement des politiques sociales et n'a surtout aucun effet péréquateur sur le produit des impôts économiques (CVAE, CFE).

Par ailleurs, le projet d'une assemblée composée des 1 300 maires de la région semble difficilement concevable. Quels pourraient être son rôle et son pouvoir à côté de l'assemblée régionale ?

Contribution de M. Philippe Pemezec,
sénateur, membre de la délégation

M. Philippe Pemezec a transmis à la délégation, le 4 février 2021, une contribution précisant les positions qu'il souhaitait défendre « pour faire avancer le débat sur la nécessité et l'urgence d'une simplification de l'organisation de l'Ile-de-France ». Le texte de sa contribution est le suivant :

« Ma position repose sur deux principes :

« 1. La nécessité de supprimer au moins une couche et idéalement deux dans le mille-feuille territorial actuel constitué de cinq couches,

« 2. La volonté de rendre aux maires la liberté de choix dans la mutualisation de leurs compétences.

« Mon schéma de principe est le suivant :

« 1) Fusion de la Métropole dans la Région pour créer une nouvelle collectivité : la Région capitale Paris Ile-de-France

« D'une vraie dimension mondiale (12 millions d'habitants), plus autonome parce qu'assise sur deux pieds (centre urbanisé et périphéries), elle conserverait les compétences stratégiques essentielles : Schéma de cohérence métropolitaine, mobilités et transports en commun (notamment le Grand Paris Express revenant à Ile-de-France Mobilités), développement économique et emploi.

« 2) Disparition automatique des EPT (Territoires) en première couronne

« Démembrement de la Métropole actuelle, les Etablissement Publics Territoriaux disparaitraient d'office, afin de rendre aux communes leur liberté :

« - Soit de rester en dehors de toute intercommunalité et de retrouver la plénitude de leurs compétences (comme c'est déjà le cas de la Ville de Paris),

« - Soit de revenir dans une EPCI, ce qui laisse au maire la possibilité de garder la compétence urbanisme s'il le souhaite,

« - Soit de fusionner en commune nouvelle.

« 3) Offrir une liberté de choix en 2e et 3e couronne

« Chaque commune doit retrouver le choix de rester dans une structure intercommunale existante, de s'associer avec d'autres communes pour recréer une autre structure intercommunale ou de passer par un syndicat pour mutualiser les services qu'elle souhaite.

« Ce nouveau dispositif permettrait de supprimer entre une et deux couches d'administration territoriale, de remettre les maires au coeur du dispositif, de conserver les départements qui sont une strate de proximité reconnue et efficace, et de donner à notre région un vrai statut de métropole à l'échelle mondiale.

« Voilà les idées que je compte défendre au cours des débats dans les semaines à venir et sur lesquelles je suis certain que nous pourrons dégager un consensus parmi les élus d'Île-de-France qui sont très majoritairement favorables à une réforme du dispositif actuel et au renforcement du rôle des maires dans l'équilibre de notre région capitale. »

b) Le scenario du transfert à l'échelle régionale avec transformation des départements en districts déconcentrés de la métropole

Un temps évoquée parmi les possibles projets gouvernementaux de réforme, la transformation des huit départements de la Région en districts déconcentrés d'une région-métropole apporterait une solution plus radicale de mutualisation renforcée des moyens et des compétences. La puissance budgétaire ainsi générée accorderait encore plus de pouvoir à l'exécutif régional. La création d'une organisation territoriale d'une telle importance serait l'aboutissement le plus ultime à ce jour de la logique de la décentralisation et du principe de subsidiarité. Comme les arrondissements de Paris, toutes choses égales par ailleurs, les départements-territoires ou « districts départementaux » agiraient comme des échelons déconcentrés de la région-métropole, sans personnalité morale propre et dotés d'un conseil élu.

Une telle métropole réunissant les sept départements et Paris serait comparable au Grand Londres. Dotée d'une capacité à porter le développement de la Région capitale aussi bien sur le plan national qu'international, elle disposerait des ressources et du pouvoir nécessaire pour décider des politiques péréquatrices et redistributives.

La « puissance » de ce modèle pose toutefois des questions :

- au vu de la concentration des moyens, une réflexion sur un partage de compétences différent avec l'État sur le RSA, le transport ou sur des grands projets ;

- le maintien des compétences et des ressources du bloc communal et intercommunal serait garanti. En revanche on peut craindre que les maires n'aient plus un rôle central dans ce vaste ensemble région-métropole.

Cette solution maximaliste a le mérite de relancer le débat en faveur de la résorption des inégalités quand bien même sa faisabilité politique demeure une interrogation.

* *

*

Quel est le bon levier d'action ? Jusqu'où aller dans le périmètre géographique, la simplification administrative ? L'ambition de donner une nouvelle dynamique à la métropole parisienne - un vrai sujet politique, au sens de la vie de la cité - suppose qu'un véritable débat s'instaure sur toutes les propositions mise sur la table, avec les outils d'analyse qui permettront de faire un choix éclairé .


* 15 Proposition de loi n° 3681 (XV e législature) visant à engager une réforme institutionnelle du Grand Paris, présentée par MM. Pacôme Rupin, Guillaume Gouffier-Cha et plusieurs de leurs collègues.

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