PREMIÈRE PARTIE
UNE POLITIQUE PUBLIQUE INTROUVABLE

La politique de prévention de la perte d'autonomie des personnes âgées est introuvable non pas, bien sûr, au sens où rien n'est fait en la matière, mais au sens où l'insuffisante structuration des diverses actions menées empêche encore d'en parler dans les termes d'une politique publique identifiable comme telle .

I. UN ENSEMBLE D'ACTIONS INSUFFISAMMENT COORDONNÉES

A. DES ACTEURS NÉCESSAIREMENT NOMBREUX

1. Les organismes de sécurité sociale
a) Les caisses de retraite

Si la prévention de la perte d'autonomie est, d'après son directeur, « le métier de la Caisse nationale d'assurance vieillesse » (CNAV), le code de la sécurité sociale ne lui donne comme mission en la matière que « d'exercer une action sanitaire et sociale en faveur des travailleurs salariés » 44 ( * ) .

La CNAV délivre d'abord des aides individuelles en tiers payant, les services d'aide à domicile étant rémunérés directement par la CNAV. En 2019, l'Assurance retraite a attribué des aides individuelles à plus de 310 000 retraités pour faciliter le maintien à domicile et favoriser la préservation de l'autonomie :

- plus de 200 000 personnes ont bénéficié d'un plan d'actions personnalisé , qui peut inclure l'intervention d'une aide à domicile, le portage de repas, l'aide aux courses et l'assistance à la préparation des repas, une sortie accompagnée ou des aides techniques ;

- près de 60 000 personnes ont bénéficié d'une aide au retour à domicile après hospitalisation pour faciliter le retour à domicile et accompagner les soins de suite pendant trois mois ;

- plus de 6 000 personnes ont bénéficié d'une aide aux situations de rupture : aide renforcée sur trois mois pour soutenir une personne âgée lors, par exemple, d'un déménagement, d'un décès ou de l'entrée en établissement du conjoint ;

- près de 20 000 personnes ont bénéficié d'une aide à l'adaptation de l'habitat permettant d'adapter le logement au vieillissement et ainsi faciliter le maintien à domicile, en partenariat avec Action logement et l'ANAH. Un forfait financier, ou kit prévention, permet en outre l'achat et l'installation d'aides techniques facilitant le maintien à domicile.

La CNAV finance en outre des actions collectives , qui ont bénéficié en 2019 à plus de 230 000 retraités avec l'appui des acteurs locaux : pour les deux tiers, sous forme d'ateliers de prévention sur la nutrition, l'équilibre, la mémoire, l'activité physique adaptée, et pour le tiers restant sous forme d'actions favorisant le maintien du lien social.

La CNAV propose encore des aides à la construction et à la rénovation de logements collectifs : résidences autonomie, habitat inclusif, petites unités de vie, maisons d'accueil et de résidence pour personnes âgées (Marpa), ou encore foyers de travailleurs migrants. En 2019, près de 400 projets ont été soutenus par une centaine de prêts sans intérêt et trois cents subventions. Pour favoriser le libre choix, les caisses soutiennent également le développement de la cohabitation intergénérationnelle solidaire en lien avec la branche famille et le réseau associatif.

Depuis 2019, les caisses de retraite proposent, en lien avec des partenaires locaux, l'accompagnement des retraités à l'usage du numérique pour favoriser la communication, l'accès aux services de la vie quotidienne, la mobilité, les loisirs et l'accès aux droits.

En outre, pour poursuivre la simplification des démarches des personnes âgées et de leurs aidants qui ont besoin d'aide à domicile, la CNAV et la CNSA ont élaboré un projet de formulaire national de demande unique pour l'aide des conseils départementaux et l'action sociale extra-légale des caisses de retraite, qui devait être expérimenté dans quelques départements au cours du second semestre 2020.

Enfin, la CNAV, en réponse à une demande de la CNSA, travaille actuellement à la construction d'un téléservice qui permettra de formuler une demande en ligne pour l'ensemble des aides destinées à soutenir l'autonomie à domicile.

Cette politique de prévention de la perte d'autonomie des caisses de retraite se développe depuis plusieurs années en interrégime . Une convention a été signée le 4 mai 2017 entre l'État, la CNAV, la CNRACL et la MSA, en application de l'article L. 115-9 du code de la sécurité sociale. L'Agirc-Arrco devait rejoindre cette convention à la fin 2020.

Les quatorze centres de l'Agirc-Arrco s'étendent sur 70 départements métropolitains. Ils réalisent des bilans, de manière permanente ou ponctuelle, sur environ 200 lieux différents. En 2019, près de 27 000 personnes ont été accueillies dans ces centres pour des bilans destinés aux moins de 80 ans. Le dispositif des bilans destinés aux aidants, en cours de déploiement, ne concerne pour l'heure que près de 600 personnes. Près de 15 300 personnes ont en outre participé à des ateliers collectifs, et 5 000 personnes ont assisté aux conférences organisée par les centres. L'Agirc-Arrco consacre à cette politique environ 265 millions d'euros sur les 445 que pèse son budget d'action sociale.

La MSA déploie quant à elle des ateliers collectifs et conférences-débats, qui touchent chaque année près de 30 000 personnes, finance un service de téléassistance dénommé « Présence verte », gère des maisons d'accueil et de résidence pour l'autonomie et attribue des aides sociales permettant le retour à domicile après une hospitalisation ou l'adaptation du logement. Depuis peu, un service spécifique contribue au répit de trois centaines d'aidants.

b) L'Assurance maladie

La Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) a pour rôle de « définir et de mettre en oeuvre les mesures de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles », mais aussi « de promouvoir une action de prévention, d'éducation et d'information de nature à améliorer l'état de santé de ses ressortissants et de coordonner les actions menées à cet effet par les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail et les caisses primaires d'assurance maladie, dans le cadre des programmes de santé publique » 45 ( * ) .

C'est dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion (COG) conclue avec l'État pour les exercices 2006-2009 que les interventions du service social, ses objectifs prioritaires, et ses publics cibles en matière de prévention de la perte d'autonomie ont été pour la première fois définis. Le périmètre de son action a été resserré par la circulaire commune du 7 septembre 2010 sur le plan de la préservation de l'autonomie des personnes âgées. En novembre 2014, les représentants de la CNAMTS et de la CNAV ont signé la convention nationale de mise en oeuvre du plan « Proximité, autonomie et avancée en âge », destiné à repérer les personnes âgées en risque de fragilité et à leur offrir des parcours.

Les centres d'examens de santé de la caisse sont chargés d'offrir aux assurés sociaux du régime général, à partir de 16 ans, un examen de prévention en santé (EPS). La CNAM s'est engagée à ce que plus de la moitié des examens soient réalisés au bénéfice des populations éloignées du système de santé. Ainsi en 2019, les centres ont accueilli plus de 465 000 bénéficiaires, dont plus de 59 % en situation de précarité.

Au sein de ce dispositif, l'EPS senior concerne les personnes âgées de 55 ans et plus. À cette occasion, l'attention est portée sur la prévention des complications des pathologies chroniques, les dépistages organisés des cancers, la prévention des chutes, l'existence de signes de dépression. En 2019, près de 26 % des EPS sont réalisés au profit de cette population, soit environ 122 000 personnes, pour un coût d'environ 33 millions d'euros.

Les crédits d'assurance maladie financent également le fonds d'intervention régional (FIR), créé par l'article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, qui regroupe des moyens auparavant dispersés et destinés à des politiques proches ou complémentaires dans le domaine de la performance, de la continuité et de la qualité des soins ainsi que de la prévention. Aux crédits de l'assurance maladie s'ajoute une dotation de la CNSA et, le cas échéant, d'autres sources de financement.

Le rapport Vachey de septembre 2019 évalue à 68,6 millions d'euros ses dépenses de prévention de la perte d'autonomie, auxquels s'ajoutent 142,5 millions d'euros dans le cadre de sa mission relative, notamment, au parcours de santé des personnes âgées en perte d'autonomie (Paerpa), aux maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades d'Alzheimer (MAIA), et aux groupes d'entraide mutuelle.

c) La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie

Avant 2015, la CNSA n'avait pour compétence, en matière de prévention, que de « participer, avec les autres institutions et administrations compétentes, à la définition et au lancement d'actions de recherche dans le domaine de la prévention et de la compensation de la perte d'autonomie » 46 ( * ) .

La loi d'adaptation de la société au vieillissement (ASV) de 2015 lui a ajouté la mission, placée même en tête de la liste prévue à l'article L. 14-10-1 du code de l'action sociale et des familles, de « contribuer au financement de la prévention et de l'accompagnement de la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, à domicile et en établissement, ainsi qu'au financement du soutien des proches aidants, dans le respect de l'égalité de traitement des personnes concernées sur l'ensemble du territoire ».

À ce titre, la CNSA assure le versement de deux concours financiers aux départements prévus par la loi ASV pour soutenir les actions de prévention réalisées dans les résidences autonomie à travers le forfait autonomie et les autres actions individuelles et collectives de prévention. Ces concours sont financés par une fraction de 23,9 % du produit de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie, ressource affectée au budget de la caisse. Leur montant est fixé chaque année par un arrêté des ministres chargés de l'action sociale, de la sécurité sociale et du budget.

Concours financiers de la CNSA aux départements

Année

Montant notifié pour le concours « autres actions de prévention » (en M€)

Montant notifié pour le « forfait autonomie » (M€)

Total

2016

102

25

127

2017

140

40

180

2018

140

40

180

2019

140

40

180

2020

145

40

185

Source : CNSA

La loi dite « Guidez » du 22 mai 2019 autorise la mobilisation d'une partie des crédits du concours « autres actions de prévention » pour financer des actions de soutien aux proches aidants. En 2020, l'enveloppe du concours « autres actions de prévention » a été abondée de 5 millions d'euros pour permettre de financer davantage d'actions en faveur des aidants.

La CNSA assure également un rôle d'animation et d'appui, au niveau national, aux conférences des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie créée par la loi ASV.

Depuis qu'elle gère la branche autonomie, en vertu de la loi du 9 août 2020, la CNSA a pour mission de « contribuer, en assurant une répartition équitable sur le territoire national, au financement et au pilotage d'une politique de prévention de la perte d'autonomie [...] » 47 ( * ) .

2. L'État et ses opérateurs
a) La politique de santé

Si la prévention de la perte d'autonomie est sous un certain rapport la promotion de la santé tout au long de la vie, elle est une composante de la politique globale de prévention sanitaire que déploie le ministère de la santé. Sa dernière version, la stratégie nationale de santé 2018-2022, balaye de nombreuses dimensions d'une politique contribuant également à la prophylaxie du vieillissement accéléré.

Ce n'est pas ici le lieu de répéter les avis de la commission des affaires sociales du Sénat sur les derniers projets de loi de finances, à savoir que l'effort en la matière de l'État, qui ne finance plus que marginalement les agences sanitaires, est « résiduel, fragmenté, dépourvu de toute portée stratégique » 48 ( * ) .

Un document de politique transversale (DPT) annexé au projet de loi de finances pour 2020 évaluait le montant total des crédits participant à la politique de prévention en santé inscrits sur le budget de l'État, en englobant aussi bien la sécurité routière que la préparation des forces armées et la recherche dans le développement durable, à 2,95 milliards d'euros en crédits de paiement, mais seuls un peu plus de 53 millions d'euros sont retracés par le programme 204 de la mission Santé.

Les seules sous-actions du programme 204 dont le financement envisagé dépasse le million d'euros sont relatives à la prévention des addictions, des infections sexuellement transmissibles, à la santé environnementale et à la prévention des maladies chroniques.

b) La politique d'adaptation des logements

Le programme « Habiter facile » de l'agence nationale de l'habitat (ANAH) vise à accompagner le financement des travaux d'accès et d'adaptation du logement aux besoins spécifiques des personnes aux ressources modestes en situation de handicap ou de perte d'autonomie liée au vieillissement afin qu'elles puissent rester plus longtemps dans leur logement.

L'aide est soumise à des plafonds de ressources, et les bénéficiaires doivent disposer d'un justificatif de handicap ou de perte d'autonomie. Le dossier doit également comprendre un document permettant de vérifier l'adéquation du projet aux besoins réels : rapport d'ergothérapeute, diagnostic autonomie ou évaluation réalisée lors de la demande de prestation de compensation du handicap (PCH). Le montant de l'aide accordée peut atteindre 35 % du montant total des travaux hors taxe ou 50 % pour les ménages très modestes, et 7 000 euros maximum - 10 000 euros pour les très modestes.

Le programme dispose d'un budget de 67 millions d'euros en autorisations d'engagement en 2020 et 2021, et de 80 millions d'euros en 2022. En 2019, l'objectif de financement était de 30 000 logements ; seuls 20 353 logements ont été financés pour un montant global de 11,9 millions d'euros, soit en moyenne 4 088 euros d'aides par logement. L'objectif fixé pour 2020 était de 25 000 logements.

c) Le soutien à l'activité physique et sportive

Depuis le plan Bien vieillir de 2007, le ministère des sports est également associé à la politique d'accompagnement du vieillissement. À la stratégie de lutte contre la sédentarité, puis au plan national sport santé bien-être, fondés sur le rapport du Pr Daniel Rivière sur l'activité physique à l'attention des personnes âgées 49 ( * ) et sur le rapport Aquino, s'est substituée la stratégie nationale sport-santé, présentée le 26 mars 2019, élaborée en lien avec la feuille de route « Grand âge et autonomie » de 2018.

Le déploiement des maisons sport santé en est l'élément principal. Ces maisons permettront d'accompagner les personnes, notamment les personnes isolées, dans le cadre d'une prescription médicale ou d'une recommandation - d'un médecin traitant, d'un spécialiste, d'un infirmier, d'un pharmacien ou d'une collectivité. Des actions plus volontaristes sont prévues pour la prise en charge de personnes en affection de longue durée, ainsi que des protocoles particuliers sur la prévention des chutes. Pour l'heure, 138 structures ont été identifiées dans tous les départements sauf sept, et 249 nouvelles candidatures ont été reçues, qui permettront à terme de couvrir l'ensemble des territoires en métropole et outre-mer.

L'Agence nationale du sport (ANS) consacre en outre une enveloppe de près de 14 millions d'euros au sport-santé, dont 1,9 million d'euros sont spécifiquement orientés vers les publics seniors et le maintien en autonomie.

Enfin, pour mettre en oeuvre une approche différenciée en fonction des publics âgés, le ministère compte enfin sur les projets sportifs fédéraux, déployés depuis 2019 et généralisés en 2020. La direction des sports a défini des orientations claires sur les populations à cibler - les seniors en Ehpad par exemple.

3. Les collectivités territoriales

Les collectivités territoriales ont un rôle important en matière de prévention de la perte d'autonomie, même si les textes ne le leur confèrent pas explicitement.

Elles accompagnent d'abord les personnes reconnues dépendantes en finançant les aides à l'autonomie. Les départements servent à cette fin aux personnes de plus de 60 ans l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), ou, sous certaines conditions après cet âge, et sans cumul possible avec l'APA, la prestation de compensation du handicap. Au titre de l'aide sociale, les personnes âgées en perte d'autonomie ou en risque de perte d'autonomie à domicile - relevant des GIR 5 et 6 - peuvent solliciter de leur département une aide ménagère, et les personnes hébergées le bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement.

Les communes sont tenues à peu d'obligations légales dans le domaine social, mais nombreuses sont celles qui mettent en place des actions de soutien aux personnes âgées, qui est d'ailleurs le domaine de l'action sociale dans lequel les communes s'investissent le plus. D'après le panorama annuel de la Drees, 60 % des petites communes - de moins de 1 500 habitants - et 91 % des moyennes et grandes communes avaient mis en place une action dans ce domaine fin 2014, trente points de pourcentage devant le secteur de la jeunesse ou la lutte contre la pauvreté, le tout couvrant 90 % de la population. C'est en outre le secteur dans lequel l'action est le plus massivement exercée par les CCAS plutôt que par les services communaux, à près de 70 %.

Les collectivités territoriales ont également une importante responsabilité dans l'accessibilité de l'environnement urbain et l'identification des besoins.

La prise en compte du vieillissement est réalisée à travers différents documents de programmation, notamment le schéma gérontologique à l'échelle départementale et le programme interdépartemental d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie réalisé par l'ARS. Le programme local de l'habitat (PLH), qui définit au niveau intercommunal la politique de l'habitat d'une collectivité pour six ans, décline et articule entre eux ces documents de programmation, en faisant l'interface entre le médico-social et l'habitat et les autres thématiques de l'aménagement. Depuis la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan), les plans locaux d'urbanisme peuvent tenir lieu de PLH ainsi que de plan de déplacement urbain, permettant alors une meilleure articulation entre habitat, aménagement et mobilités.

À ces documents s'est ajouté le diagnostic établi par les conférences des financeurs, établi à partir des besoins recensés notamment par le schéma départemental relatif aux personnes en perte d'autonomie et par le projet régional de santé.


* 44 Article L. 222-1 du code de la sécurité sociale.

* 45 Article L. 221-1 du code de la sécurité sociale.

* 46 Article L. 14-10-1 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement.

* 47 Article L. 14-10-1 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction issue de la loi n° 2020-991 du 9 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie.

* 48 Voir ainsi l'avis n° 141 (2020-2021) de Mme Annie Delmont-Koropoulis, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 19 novembre 2020.

* 49 Dispositifs d'activités physiques et sportives en direction des âgés , rapport remis au ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative et au ministre délégué aux personnes âgées et à l'autonomie par le groupe de travail présidé par le Pr Daniel Rivière, décembre 2013.

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