D. L'ACTION PUBLIQUE MÉRITERAIT D'ÊTRE RAFFERMIE POUR QUE LA SAUVEGARDE GAGNE EN EFFICACITÉ

L'une des principales difficultés pour rendre la sauvegarde plus efficace tient à ce qu'il faut parvenir à mieux soutenir les détenteurs de pratiques culturelles immatérielles sans pour autant institutionnaliser à outrance la sauvegarde, afin que l'initiative continue à venir de la base.

1. Les démarches pour obtenir une inscription doivent être clarifiées pour simplifier le travail des porteurs de projet

Autant les porteurs de projet louent globalement la qualité de l'accompagnement procuré par la DIRI une fois entrés en contact avec elle dans la perspective d'une inclusion à l'inventaire national ou d'une candidature à l'Unesco, autant ils sont nombreux à faire état des difficultés qu'ils ont rencontrées au tout début de leurs démarches pour faire reconnaitre un élément de PCI.

Beaucoup d'acteurs du PCI indiquent ne pas avoir su à qui s'adresser face à la multiplicité des acteurs institutionnels susceptibles d'être impliqués en matière de PCI (administration centrale ou services déconcentrés du ministère de la culture, Centre français du patrimoine culturel immatériel, délégation française auprès de l'Unesco, commission nationale française pour l'Unesco...). Ils attendent des clarifications sur la procédure applicable, sur le contenu des démarches à entreprendre, sur les critères de sélection des dossiers (voir supra au sujet du CPEI) , ainsi que sur les interlocuteurs qu'ils peuvent contacter à chacune des étapes . Il paraît en effet important de clarifier le rôle qu'est susceptible de jouer chacun de ces acteurs, celui-ci restant flou pour beaucoup de détenteurs de pratiques culturelles immatérielles, au risque de les voir perdre plusieurs mois en s'orientant dans une mauvaise direction. L'existence d'un point d'entrée unique pourrait sans doute faciliter les choses.

Le site du ministère de la culture ne comporte pas aujourd'hui une page unique récapitulant l'ensemble de ces informations, mais implique une navigation entre de multiples pages, qui ne sont pas toujours, de surcroît, à jour. À titre d'exemple, la personne toujours citée en référence pour obtenir des renseignements relatifs à une candidature aux listes de l'Unesco a quitté ses fonctions depuis bientôt six mois.

Dans la perspective d'une multiplication des candidatures multinationales auprès de l'Unesco, il paraîtrait également pertinent de fournir des informations sur l'accompagnement dont peuvent bénéficier les porteurs de projet en matière de recherche de partenaires étrangers. La commission nationale française pour l'Unesco, compétente en la matière, regrette de ne pas être davantage contactée à cet effet.

2. Le suivi assuré par l'Unesco et, en France, par l'État apparaît aujourd'hui nettement insuffisant

Ni l'Unesco ni le ministère de la culture ne sont aujourd'hui en mesure d'assurer un véritable suivi de l'exécution des mesures de sauvegarde des éléments inscrits. L'Unesco se fonde sur les rapports périodiques transmis par les États parties pour évaluer la mise en oeuvre de la Convention de 2003. Mais, elle reconnait qu'il lui manque aujourd'hui un cadre de suivi et d'évaluation assorti d'objectifs, d'indicateurs et de critères de référence qui lui permettrait de mesurer correctement les résultats obtenus et d'en tirer de véritables enseignements. Le ministère de la culture regrette aussi, pour sa part, de ne pas disposer d'une meilleure visibilité sur la mise en oeuvre des mesures de sauvegarde des éléments inscrits, alors même qu'il s'agit de la finalité même de l'inscription.

Un véritable suivi des mesures de sauvegarde serait pourtant indispensable à un double titre . D'une part, il permettrait d'identifier les carences dans la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'élément, de constater l'éventuelle disparition de la structure porteuse et de déterminer si des solutions alternatives pourraient être trouvées pour assurer la transmission de l'élément (recherche de nouvelles structures porteuses ou de nouveaux partenaires, recherche d'un soutien auprès des collectivités territoriales, mise en place de nouvelles actions...). D'autre part, il permettrait de démontrer la pertinence de la sauvegarde et les retombées liées à une inscription sur l'une des listes de l'Unesco ou à une inclusion sur l'inventaire national.

Dans les deux cas, le suivi n'est pas réalisé par manque de moyens humains et financiers . À titre d'illustration, seuls deux agents sont chargés des questions de PCI au sein de l'administration centrale du ministère de la culture. C'est pourquoi il semble impérieux de désigner des référents PCI dans chaque DRAC car c'est au plus près des territoires que le suivi de la mise en oeuvre des mesures de sauvegarde pourrait être le mieux assuré afin de faciliter la prise de décision avec les collectivités territoriales, le cas échéant.

Globalement, la faiblesse des moyens consacrés par le ministère de la culture au patrimoine culturel immatériel n'est pas sans générer un certain ressentiment parmi les acteurs du PCI, qui y voient le signe du manque de considération de l'État pour le PCI , surtout lorsqu'ils observent l'importance de son action dans le domaine du patrimoine matériel. Ce n'est pas parce que l'État n'est pas prescripteur en matière de PCI qu'il ne doit pas jouer un rôle pour le promouvoir et en faciliter la sauvegarde. Cela exige de sa part d'y consacrer un minimum de moyens humains et matériels. Il s'agirait d'un moyen d'honorer les engagements qui découlent de la ratification de la Convention de 2003.

Jusqu'ici encore relativement absent sur ces questions, le Parlement a aussi une responsabilité à prendre en charge pour faire connaître le PCI, l'aider à gagner en lisibilité et pour contrôler, à l'avenir, régulièrement l'action du Gouvernement sur ces questions. Il apparaît important que la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat poursuive, à l'avenir, le contrôle qu'elle a initié avec ce premier rapport sur la mise en oeuvre des engagements de la France en matière de sauvegarde du PCI.

3. Des synergies devraient être créées avec d'autres outils pour compléter les moyens de sauvegarde du PCI

Une piste à explorer pour compenser le déficit de moyens alloués au PCI serait de mobiliser davantage autour de cet enjeu un certain nombre d'outils déjà existants .

L'Unesco ne semble pas nécessairement hostile à une telle approche, puisqu'elle avait elle-même déploré, dans sa première évaluation de la Convention en 2013, que les liens entre la Convention de 2003, la Convention de 1972 sur le patrimoine mondial, la Convention de 2005 sur la diversité des expressions culturelles et les activités de l'organisation en matière de propriété intellectuelle ne soient pas suffisamment exploités par les États parties.

Étonnement, elle n'avait pas pensé à mentionner le Réseau des villes créatives , programme qu'elle a créé en 2004 pour promouvoir la coopération avec et entre les villes qui ont décidé de faire de la créativité et des industries culturelles l'un des principaux leviers de leur développement, alors même que plusieurs des sept domaines créatifs valorisés sont étroitement liés au PCI. Les villes peuvent être reconnues en tant que villes créatives d'artisanat et des arts populaires, villes créatives de la gastronomie, villes créatives de musique, villes créatives de littérature, villes créatives de design, villes créatives du film ou villes créatives des arts numérique. Les villes qui rejoignent le réseau s'engagent à partager leurs bonnes pratiques, à développer des partenariats pour promouvoir la créativité et les industries culturelles, à renforcer la participation à la vie culturelle et à inscrire ces questions au coeur de leurs politiques.

Malheureusement, les villes françaises sont aujourd'hui peu impliquées dans ce programme qui regroupe 246 villes à travers le monde. Seules six d'entre elles y sont associées : Angoulême en tant que ville créative de la littérature, Enghien-les-Bains et Lyon en tant que villes créatives des arts numériques, Limoges en tant que ville créative de l'artisanat et des arts populaires, Metz en tant que ville créative de la musique, et Saint-Etienne en tant que ville créative du design. Aucune ville n'y participe au titre de la gastronomie ou du film. Il s'agit pourtant d'un outil qui serait propice à rendre le PCI plus visible et à garantir la bonne prise en compte de l'enjeu de sa sauvegarde dans les politiques publiques. On peut en attendre des effets très positifs sur l'attention portée par les élus locaux aux questions de PCI. C'est la raison pour laquelle il serait souhaitable que l'Unesco développe des synergies entre les listes du PCI et ce programme et que, de son côté, l'État encourage nos villes à candidater pour rejoindre ce réseau.

À cet axe de travail s'ajoutent également, au niveau français :

- le renforcement des liens entre le PCI et un certain nombre de labels et procédés normatifs existants , à l'image du titre de maître d'art, du titre de meilleur ouvrier de France, du label Entreprise du patrimoine vivant, des différentes appellations et indications dans le domaine gastronomique et culinaire, du label des Sites remarquables du goût, ou encore des labels dans le domaine du patrimoine ou du développement durable. Même si l'Unesco n'encourage pas les signes de distinction ou d'excellence en matière de PCI, c'est une manière de répondre aux désirs légitimes de reconnaissance des détenteurs de pratiques culturelles immatérielles ;

- la plus forte mobilisation des établissements publics dans le domaine de la création et des patrimoines en faveur de la promotion du PCI .

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