II. LA SYNDICATION, UNE TECHNIQUE D'ÉMISSION PERTINENTE POUR LE LANCEMENT DE PRODUITS INNOVANTS ET DE TITRES SUR LES SEGMENTS MOINS PROFONDS DE MARCHÉ, MAIS ÉGALEMENT MOBILISÉE POUR RÉPONDRE À LA CRISE

A. EN SITUATION ORDINAIRE, DEUX TYPES DE PRODUITS JUSTIFIENT D'AVOIR RECOURS À UNE SYNDICATION

1. Les syndications, pour lancer des produits innovants ou des titres de maturité très élevée

En période « ordinaire », l'Agence France Trésor tend à privilégier et à proposer de procéder par syndication dans deux types de situations :

- pour lancer des titres innovants : ce fut le cas par exemple pour le lancement de la première obligation assimilable du Trésor (OAT) verte, en 2017, puis pour son ré-abondement en 2018, ainsi que pour le lancement de la seconde OAT verte au mois de mars 2021 ;

- pour émettre des nouveaux titres sur des segments de marché moins profonds , c'est-à-dire sur les maturités les plus longues de la courbe, soit plus de 30 ans pour les OAT et plus de 15 ans pour les OATi.

En 2021, trois syndications ont été ou devraient être lancées :

- la première a eu lieu au mois de janvier 2021, pour le lancement d'une nouvelle OAT à 50 ans (OAT 0,50 % 25 mai 2072). Il s'agit de la quatrième OAT à 50 ans lancée par la France depuis 2005 ;

- la deuxième a eu lieu au mois de mars 2021, pour le lancement de la deuxième OAT verte française, d'une maturité de 23 ans (OAT 0,50 % 25 juin 2044) ;

- une troisième devrait avoir lieu au second semestre et concernerait le lancement d'une nouvelle ligne à 30 ans.

2. Les avantages de la syndication pour ces produits
a) Découvrir le prix

Du fait du processus de découverte des prix, par une confrontation directe entre l'émetteur et les investisseurs finaux, la syndication est une technique d'émission adaptée au placement de nouvelles obligations, pour lesquelles le processus de découverte du taux est mécaniquement plus complexe , que ce soit par rapport aux caractéristiques financières du titre ou à l'établissement de la demande des investisseurs au prix d'une prime d'émission. C'est d'ailleurs toujours la logique qui a présidé à l'utilisation des syndications par l'AFT, Benoît Coeuré l'ayant expliqué dès 2003, alors qu'il était directeur adjoint de l'Agence France Trésor : « nous utilisons les syndications [...] soit pour les nouveaux produits, soit pour ceux dont le contenu technique est spécifique ou que les investisseurs connaissent peu » 17 ( * ) .

La syndication est donc propice au lancement des titres indexés à l'inflation, qui présentent des caractéristiques techniques plus complexes , ou au lancement des OAT vertes, pour lesquelles il existe encore peu de données de comparaison pour découvrir le niveau de taux . Dans ce dernier cas, la valorisation financière de la « prime verte » ( green premium ou greenium ), liée à l'émission de ces titres et favorable, ici, à l'émetteur, est encore incertaine.

b) Disposer d'une base d'investisseurs finaux solide et élargie

Dans le cadre de cette confrontation directe, le rôle des SVT est également différent : d'acheteurs directs dans les adjudications, ils deviennent garants dans les syndications. Ils sont alors amenés à déployer des stratégies de vente auprès des investisseurs, en s'appuyant sur une communication plus poussée, par exemple par le biais de conférences téléphoniques, conduisant mécaniquement à élargir la base des investisseurs . 430 investisseurs finaux ont ainsi souscrit au lancement par syndication de l'OAT 0,50 % 25 mai 2072.

De même, la concession sur le prix et donc la prime à l'émission en faveur des investisseurs doivent inciter ces derniers à participer aux transactions, facilitant de fait le placement de ces produits auprès d'une base d'investisseurs diversifiée et de qualité. Dans le cadre d'une adjudication, ce sont au contraire les SVT qui achètent la dette, sur le marché primaire, les investisseurs finaux demeurant entièrement libres de leurs interventions sur le marché secondaire, par exemple pour leur racheter ces titres.

c) Diminuer les risques pour les spécialistes en valeur du Trésor

Le rôle de garant des SVT dans le processus de syndication est particulièrement adapté pour l'émission de nouveaux titres de maturité très longue (30 ans ou 50 ans). En effet, pour ces titres, la capacité de portage bilanciel des banques est plus limitée, en raison des contraintes règlementaires . Détenir un titre à 30 ans est mécaniquement plus risqué que détenir un titre à 10 ans : pour une même quantité, une même hausse du taux entraine une perte trois fois supérieure à 30 ans 18 ( * ) . En effet, les variations d'un prix sont à peu près proportionnelles à la durée du titre (pour un titre à 10 ans, la variation sera d'environ 10 %). Pour une même variation, l'actif qui vaut 100 vaudra environ 60 si c'est un titre à 50 ans, 90 si c'est un titre à 10 ans et 99 si c'est à titre à un an. La banque a donc besoin de mettre plus de capital en face, dans son bilan, si c'est un titre à 50 ans plutôt qu'un titre à un an. Le placement direct auprès des investisseurs finaux permet de contourner cette contrainte et ce risque pour les SVT.

Il s'agit là d'une différence fondamentale avec le processus d'adjudication, lors duquel les SVT ont l'obligation de venir acheter du papier et de le stocker dans leurs bilans avant de le revendre. Ces titres de très longue maturité seraient alors très consommateurs de risque de bilan pour ces établissements, qui pourraient donc compenser ce risque par un prix plus élevé. A contrario , dans la syndication, les banques n'exposent pas leur bilan mais valorisent leurs capacités de vente.

Il peut être rappelé ici que les règles mises en place après la crise financière de 2008 ont changé les pratiques d'émission de dette pour ces titres longs . En effet, avant cette crise, l'AFT ne procédait pas par syndication pour lancer de nouveaux titres à 30 ans, mais par adjudication, les banques considérant en effet que, pour cette activité de SVT, elles avaient des obligations plus faibles pour leur bilan. L'AFT n'utilisait les syndications que pour les titres pour lesquels elle ne connaissait pas le prix.

Ces maturités, à 30 ou 50 ans, correspondent par ailleurs à des segments pour lesquels la profondeur de marché est plus faible , et où il peut donc être judicieux d'attirer les investisseurs, via une concession sur le prix. En procédant par syndication, l'émetteur prend moins de risques . Il témoigne dans le même temps de sa capacité à animer l'ensemble des points de la courbe de taux , y compris donc sur la partie très longue, afin de garantir la liquidité des titres 19 ( * ) .


* 17 Traduction, extrait de Global Capital, « Euro sovereigns take on syndication », 15 mai 2003.

* 18 Données et informations transmises par l'Agence France Trésor en réponse au questionnaire du rapporteur spécial.

* 19 Agence France Trésor, bulletin mensuel du mois de janvier 2021 .

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