PRINCIPAUX CONSTATS ET RECOMMANDATIONS

Réunie mercredi 16 juin 2021, sous la présidence de Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission a adopté le rapport d'information sur l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2019 à 2025 présenté par Christian Cambon et Jean-Marc Todeschini , et les membres du groupe de travail composé des rapporteurs pour avis de la mission « Défense », Pascal Allizard et Yannick Vaugrenard (programme 144), Cédric Perrin et Hélène Conway-Mouret (programme 146), Olivier Cigolotti et Michelle Gréaume (programme 178), Joël Guerriau et Marie-Arlette Carlotti (programme 212), et de Alain Cazabonne .

* * *

? La commission dénonce vivement le manquement du Gouvernement à son engagement de mettre en oeuvre une loi d'actualisation en 2021 ainsi que le prévoit l'article 7 de la LPM .

? La commission regrette que l'exigence de transparence envers le Parlement sur la trajectoire financière , l' évolution des effectifs , l' amélioration de la préparation opérationnelle et la disponibilité technique des équipements ne soit pas pleinement respectée.

? La commission a rappelé le soutien du Sénat pour l'application de la LPM 2019-2025 , adoptée à une très large majorité par 326 voix pour et 14 voix contre, confirmé chaque année par le vote du budget annuel de la défense .

? La trajectoire pour les deux dernières annuités 2024 (47 Mds €) et 2025 (50 Mds €) doit être fixée en valeur afin de sécuriser l'enveloppe globale de la programmation financière ( 295 Mds €) mentionnée par le rapport annexé à l'article 2 de la LPM.

? La commission a identifié un périmètre d'actualisation de 8,6 Mds €, répartis entre 7,4 Mds € de surcoûts non prévus en LPM (dont 3,1 Mds € d'ajustements opérés en A2PM 2019, 2020 et 2021 en faveur de programmes prioritaires ) et plus de 1,2 Md € de surcoûts à prévoir pour atteindre les objectifs 2025 de préparation des forces.

? La commission réitère sa demande pour une application stricte de l'article 4 de la LPM prévoyant une solidarité interministérielle pour le financement des surcoûts OPEX dont le montant s'est élevé à 600 millions d'euros pour les deux premières annuités 2019 et 2020 de la LPM.

? La commission propose d' instituer un retour au budget de la défense de l'intégralité du produit de cession à l'export de matériels d'occasion à l'instar du dispositif prévu à l'article 3 de la LPM relatif aux cessions immobilières.

? La commission souligne le risque de ne pas atteindre le niveau du parc des matériels fixé pour 2025 en application de l'article 2 de la LPM, notamment : une réduction capacitaire du parc des Rafale de l'armée de l'air et de l'espace en cas de non remplacement avant 2025 des 12 Rafale d'occasion cédés à la Croatie ; une cible revue à la baisse pour les livraisons de véhicules blindés légers et véhicules des forces spéciales .

? La commission alerte le Gouvernement sur le déficit très préoccupant de médecins au service de santé des armées (ce déficit est passé pour les médecins de premier recours de 97 postes en 2020 à 136 en 2021).

I. L'ACTUALISATION DE LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE S'IMPOSE PAR LE DROIT ET PAR LES FAITS

L'article 7 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense (LPM 2019-2025) prévoit expressément qu'elle ferait « l'objet d'actualisations, dont l'une sera mise en oeuvre avant la fin de l'année 2021 ». Cette disposition, issue du texte initial du projet de loi, correspond donc à un engagement du Gouvernement . C'est donc en toute légitimité que la commission des affaires étrangères et de la défense a appelé le Gouvernement à déposer devant le Parlement un projet de loi d'actualisation de la LPM.

Cette obligation d'ordre législatif se double de circonstances exceptionnelles , telles que l'impact de la crise de la Covid-19 sur la situation macroéconomique et l'actualisation de la revue stratégique 2021 faisant état du renforcement de certaines menaces sur les intérêts de la France. Les évolutions du contexte national et géopolitique justifient de manière encore plus prégnante la nécessité de « vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés [...], les réalisations et les moyens consacrés » .

A. LA LPM PRÉVOYAIT EXPRESSÉMENT UNE ACTUALISATION EN 2021

1. Une loi largement soutenue par le Sénat sous la condition d'un contrôle parlementaire renforcé et d'une exigence de transparence sur l'exécution de la LPM

Pour l'application de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017, le Sénat a soutenu l'engagement du Président de la République de doter le pays d'un modèle d'armée complet - autonome sur tout le spectre d'intervention, capable « d'entrer en premier » et d'affronter des conflits de « haute intensité » fixés par l'ambition opérationnelle 2030 - en adoptant la LPM 2019-2025 à une très large majorité des groupes politiques , par 326 voix pour et 14 voix contre 2 ( * ) .

En contrepartie, le Sénat a renforcé les capacités de contrôle parlementaire de l'exécution de la programmation , en obtenant du Gouvernement que le « point de contrôle » en 2021 intègre un examen de l'amélioration de la préparation opérationnelle et de la disponibilité technique des équipements ainsi que le surcoût lié au soutien aux grands contrats d'exportation d'armement. Face à un effort budgétaire plus important, il apparaissait logique que le contrôle du Parlement s'accroisse, s'intensifie et soit assorti d'une exigence de transparence sur toute adaptation de la LPM aux nouvelles menaces identifiées par l'actualisation stratégique 2021 .

2. Une programmation respectée sur les 3 premières annuités...

Ce soutien s'est renouvelé lors de l'examen de chaque loi de finances initiale pour les trois premières années 2019, 2020 et 2021, où l'allocation de crédits à la mission « Défense » a respecté la trajectoire de programmation , passant de 35,9 Mds € en 2019 à 39,2 Mds € pour 2021 ( cf . graphique ci-dessous).

Néanmoins, certaines fragilités structurelles de la LPM avaient d'emblée été signalées :

Seules les 5 premières annuités de 2019 à 2023 ont été votées pour un montant global de 197,8 Mds € , renvoyant les 2 dernières annuités 2024-2025 à un arbitrage ultérieur prenant en compte la situation macroéconomique à la date de l'actualisation et l'objectif de porter l'effort de défense à 2 % du PIB en 2025 ;

L'objectif en valeur de la LPM de 295 Mds € sur toute la période n'est évoqué que dans le rapport annexé à l'article 2 de la LPM, il reste ainsi 97 Mds € sur lesquels pèsent une incertitude programmatique pour 2024 et 2025 ;

Le rythme de progression annuelle des crédits est déséquilibré . Il est construit suivant une courbe « douce » (+ 1,7 Md € par an) jusqu'en 2022, jusqu'au terme du quinquennat actuel, puis selon une pente plus prononcée (+ 3 Mds € par an) à compter de 2023 jusqu'en 2025, renvoyant ainsi l'essentiel de l'effort budgétaire à une majorité présidentielle potentiellement différente.

Trajectoire budgétaire de la LPM 2019-2025

(en milliard d'euros)

Source : commission des affaires étrangères et de la défense d'après les documents budgétaires

3. ...mais il n'appartient pas au Gouvernement de s'affranchir de la loi et du Parlement.

L'année 2021 constituait donc la dernière opportunité de revoyure de la LPM permettant de contrôler l'exécution par le même gouvernement qui en aura été à l'origine et pourra assumer la responsabilité politique . À cet égard, l'engagement de la ministre des armées dans les débats en séance publique paraissait sans ambiguïté : « le Gouvernement ne souhaite pas se soustraire à une évaluation qui interviendra à un moment où la majorité et le chef de l'État - le chef des armées - seront toujours aux responsabilités. Il ne désire pas se soustraire à l'engagement permettant à la majorité en place d'assumer, devant les représentants de la Nation, l'évaluation de l'exécution des exercices déjà réalisés et, surtout, de tracer la voie permettant de tenir l'engagement du président de la République : atteindre en 2025 l'objectif des 2 % » 3 ( * ) .

Qu'un débat puisse s'instaurer sur la forme législative que pourrait prendre l'actualisation méconnaît l'intention du législateur comme la lettre de l'article 7 précité. Par parallélisme des formes, seuls l'examen et le vote d'un texte législatif peuvent revenir sur une loi antérieure. Aussi le remplacement d'un projet de loi par une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution, ne saurait remplacer la discussion article par article, avec la possibilité de déposer des amendements, que nécessiterait un tel exercice, notamment si des ajustements majeurs d'objectifs et de moyens sont mis à jour ( cf. infra ). Un débat n'a pas force de loi et il n'appartient pas au Gouvernement de s'affranchir de la loi et du Parlement .


* 2 Scrutin public n° 174 sur l'ensemble du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, dans la rédaction du texte proposé par la commission mixte paritaire (séance du 28 juin 2018).

* 3 Séance du 22 mai 2018 (compte rendu intégral des débats)

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