C. ...LES THÉMATIQUES LIÉES À L'ÉGALITÉ ENTRE FEMMES ET HOMMES, AUX PRÉJUGÉS SEXISTES ET AUX VIOLENCES SEXUELLES

Des préoccupations en lien avec l'exposition des étudiantes à la précarité, aux préjugés sexistes et aux violences sexuelles ont fait l'objet de témoignages récurrents au cours des travaux de la mission d'information.

1. Une interrogation sur la surreprésentation des jeunes femmes parmi les étudiants demandant une aide alimentaire

« Sept bénéficiaires sur dix [de l'aide alimentaire destinée aux étudiants] sont des étudiantes. Pourquoi ? Quelles solutions ? », s'est interrogé le président de l'association Co'p1 - Solidarités étudiantes lors de la table ronde sur la précarité alimentaire 305 ( * ) .

Quelques interprétations ont été esquissées à cette occasion : pour les étudiants vivant en couple, la persistance d'une répartition des tâches domestiques déséquilibrée entre hommes et femmes ; l'incidence des écarts salariaux défavorables aux femmes, qui se répercutent sur la rémunération des « petits jobs » réputés féminins ; le fait que les suppressions d'emplois dues à la crise aient souvent concerné ceux que l'on associe aux femmes ( baby-sitting , événementiel...), alors que les activités considérées comme masculines (sécurité, tâches manuelles...) auraient été préservées.

D'autres pistes ont été évoquées : la plus forte exposition des femmes à la précarité ; l'hypothèse du coût des produits d'hygiène, en lien avec la précarité menstruelle, et plus généralement l'incidence du prix des produits destinés aux femmes, souvent plus élevés : « Les dépenses des femmes, et des étudiantes, sont en effet plus importantes que celles des hommes. Même si l'écart peut sembler faible - quelques centimes pour les rasoirs par exemple -, c'est beaucoup pour les personnes qui ont déjà des difficultés pour se nourrir ».

L'hypothèse de l'amplification des inégalités dans le couple, pendant le premier confinement, en lien avec une charge de travail domestique accrue pour les femmes, rejoint le constat établi par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans un avis publié en mars 2021 306 ( * ) . Ce document souligne en outre que la crise a aggravé les fragilités économiques rencontrées par les étudiantes , plus nombreuses :

- parmi les boursiers elles sont 40 % à être boursières, contre 34 % d'étudiants ») ;

- parmi les étudiants « ayant arrêté leur activité rémunérée pendant le premier confinement » (40 % de femmes, 31 % d'hommes) 307 ( * ) .

Cette analyse souligne l'intérêt d'une étude complète et rigoureuse des conséquences de la crise pour les étudiantes, afin que des mesures de correction soient mises en oeuvre dans une logique de long terme.

2. L'enquête de l'OVE de 2020 : 4 % d'étudiants victimes de violences en une année, soit plus de 100 000 personnes

Pour la première fois, l'enquête « Conditions de vie 2020 » de l'Observatoire de la vie étudiante (OVE) a mesuré la prévalence des violences sexistes et sexuelles auprès des étudiants .

Les questions posées portaient sur les faits et les auteurs de ces violences ainsi que sur les conséquences de celles-ci sur le parcours universitaire des victimes.

L'enquête permet ainsi d'estimer qu'au cours de l'année universitaire, 4 % des étudiants (5 % des femmes et 3 % des hommes) ont déclaré avoir été victimes de violences sexistes et sexuelles ; 4 % des étudiantes (2 % des étudiants) ont déclaré avoir été victimes de propos, attitudes ou propositions à caractère sexuel et 2 % des étudiantes (1 % des étudiants) de rapport sexuel forcé.

Si l'on rapporte ce taux à la population étudiante, les violences concerneraient un nombre important de victimes (plus de 100 000), comme l'a souligné la présidente de l'OVE lors de son audition, le 11 mars 2021 ; elles touchent davantage les femmes que les hommes .

Ces violences restent peu dénoncées (plus d'une victime sur cinq n'en a parlé à personne ; un peu moins d'une victime sur quatre en a parlé au sein de l'institution - syndicat étudiant, personnel administratif ou cellule de prévention).

Ces violences ont des effets négatifs sur les suites du parcours universitaire de la victime : 14 % des personnes ayant subi propos, attitudes ou propositions à caractère sexuel et 15 % des victimes d'attouchements ou de rapport sexuel forcé ont déclaré avoir songé à changer d'orientation ; 6 % et 11 % d'entre elles ont été absentes pour une durée supérieure à deux semaines ; 37 % et 42 % ont déclaré avoir rencontré depuis les faits des difficultés de concentration .

S'agissant des auteurs , l'enquête révèle que ces violences sont le fait, en grande majorité, d' autres étudiants (68 % des agressions verbales et 71 % des attouchements ou rapports sexuels forcés). Le personnel enseignant ou administratif peut être également cité comme étant à l'origine de violences.

3. La lutte contre les préjugés sexistes, les discriminations et les violences sexuelles : un effort de sensibilisation et de formation à amplifier

Ø Le risque de situations critiques concernant les « relations parfois complexes » entre les doctorants et leur directeur de thèse , voire de cas de harcèlement moral ou sexuel , a été évoqué par M. Pierre Ouzoulias, président, lors de la table ronde sur les études doctorales, le 31 mai 2021.

Les associations de chercheurs rencontrées à cette occasion 308 ( * ) ont plus généralement évoqué les difficultés posées par les études doctorales en termes de conciliation de travaux de recherche avec la vie de famille : si cette question affecte tant les hommes que les femmes, les congés maternité en revanche peuvent compromettre la préparation d'une thèse quand ils décalent la date de la soutenance sans que le terme du contrat doctoral soit adapté , interrompant de ce fait le financement de la recherche.

Ces questions renvoient à l' accompagnement des doctorants - plus particulièrement au rôle des comités de suivi - et à la sensibilisation des directeurs de thèse à l'égalité entre femmes et hommes ainsi qu'à la lutte contre les discriminations et les violences.

Ø Dans le contexte des études de médecine, une enquête récente sur les violences sexuelles et sexistes confirme le caractère récurrent d'agissements sexistes et de violences sexuelles subies tant dans le cadre de la faculté de médecine que lors des stages à l'hôpital qui constituent l'une des spécificités de ce cursus (voir supra ).

Cette enquête de l' Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), dont les résultats ont été publiés en mars 2021, fait ainsi ressortir quelques témoignages particulièrement édifiants révélant un degré de tolérance trop élevé aux propos sexistes, voire misogynes : « Vous avez volé la place d'un homme en faisant médecine » ; « On manque cruellement de femmes pour ranger les dossiers » ; « Les petites remarques sexistes quotidiennes de la part des médecins/chirurgiens font mal [...] et donnent envie de choisir une spécialité où il y a une présence forte de femmes pour ne pas vivre ça tous les jours de ma vie » ; « Durant un bloc opératoire d'amputation [...] , j'ai eu droit à des regards insistants sur mes parties intimes. [...] J'étais en stage de chirurgie depuis seulement une semaine [...] . J'ai vécu un enfer pendant les 3h que l'opération a durées ».

Une Conférence de concertation sur le mal être et le harcèlement des étudiants des formations médicales a ainsi été réunie au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, le 29 mars 2021, pour réagir à cette situation.

Lors de son audition, le 16 juin 2021, rappelant qu'« Il ne doit être laissé aucune place à la discrimination, au harcèlement et à la maltraitance [dans l'enseignement supérieur] », la ministre de l'enseignement supérieur, de la formation et de la recherche a annoncé un plan de lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans l'enseignement supérieur, démarche que l'on ne peut que saluer même si l'on peut estimer qu'elle intervient un peu tard par rapport aux déclarations sur la « Grande cause du quinquennat ».

Ø Par ailleurs, lors de la table ronde du 8 avril 2021 avec les organisations représentatives étudiantes, notre collègue Marie Mercier a évoqué la question complexe de ce qu'il est convenu de dénommer « prostitution étudiante » .

Pour le syndicat Alternative étudiante, la problématique est « bien réelle, notamment lorsqu'on connaît l'"uberisation" de la prostitution », celle-ci pouvant malheureusement « être une réponse pour certains étudiants et certaines étudiantes dans la situation de précarité que l'on connaît ». Selon la FAGE, il y a un manque de données sur un « sujet peu étudié » : « Les premiers chiffres disponibles sont issus d'enquêtes belges. À l'heure actuelle, nous avons très peu de retours, mais nous pouvons néanmoins observer des pratiques contraintes ». L'UNEF a pour sa part confirmé l'existence de la prostitution étudiante : « Nous avons aussi des témoignages, mais nous n'avons aucun chiffre précis ». Le président d'Alternative étudiante a toutefois fait état d'études réalisées dans certaines universités permettant d'évaluer à « 2 % à 4 % de la population estudiantine » la proportion d'étudiants concernés.

Déjà en 2011, la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la prostitution constatait dans son rapport 309 ( * ) la « pénurie de chiffres globaux » en matière de prostitution étudiante : « La prostitution étudiante existe bel et bien. Il est en outre possible que ce soit dans des proportions non négligeables en valeur absolue. Reste toutefois à en mesurer l'importance. »

Dix ans plus tard, la réalité de la prostitution étudiante reste difficile à cerner, comme l'a confirmé l'audition, le 7 juin 2021 310 ( * ) :

- de Catherine Gay, inspectrice générale de la justice, co-auteure en 2019 d'un bilan 311 ( * ) de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ;

- et de Claire Quidet, présidente du Mouvement du nid, association agréée pour accompagner le parcours de sortie de la prostitution mis en place par la loi de 2016.

La présidente du Mouvement du nid a rappelé qu'en l'absence d'enquête nationale approfondie sur la prostitution étudiante, seules peuvent être citées des données chiffrées partielles :

- l'enquête réalisée en 2016 par l'Observatoire de la vie étudiante sur la santé (1,9 % des étudiants interrogés, soit 229, ont répondu par l'affirmative à la question « Au cours de votre vie, vous est-il arrivé d'avoir un rapport sexuel pour sortir d'une situation financière difficile ou améliorer votre quotidien, ou contre de l'argent ? ») ;

- une étude sur la précarité étudiante conduite dans le département de l'Essonne en 2013 (2,78 % des répondants déclaraient avoir eu un rapport sexuel en échange d'argent, de biens ou de services ; 7,9 % auraient envisagé d'y recourir) ;

- un diagnostic établi en 2015 puis en 2019 par l'université de Grenoble-Alpes en relation avec l'Amicale du nid (en 2015, 4 % des étudiants interrogés auraient eu des rapports sexuels en échange de biens, d'argent ou de services ; 7 % en 2019) ;

- une enquête conduite dans le Morbihan en 2019 par le Mouvement du nid auprès de 506 étudiants de l'université de Bretagne Sud (1 % des répondants ont admis être en situation de prostitution ; 5 % l'auraient envisagé).

Selon Claire Quidet, rapportés à une population étudiante de 2,7 millions, ces chiffres pourraient ne pas être anodins ; la méthodologie de ces enquêtes ne permet toutefois pas de mesurer si cette pratique est régulière pour les répondants ou si elle constitue un acte isolé.

Pour Catherine Gay, la prostitution étudiante est donc un sujet « repéré mais non évalué ». Ces pratiques, dominées aujourd'hui par internet et les réseaux sociaux, restent « peu connues car peu visibles », selon la présidente du Mouvement du nid. L'existence de sites d' escorting et de sugar babies contribuent par ailleurs à « euphémiser » et à « banaliser » la prostitution : Mme Catherine Gay a insisté sur le rôle de la sémantique, qui contribue à occulter la « réalité sordide » de la prostitution pour les jeunes.

Notre collègue Marie Mercier a insisté sur le rôle préoccupant de sites comme Onlyfans , où des photos dénudées sont disponibles à l'achat et qui contribuent ainsi à la banalisation de la sexualité marchande : « ce n'est pas si grave et ça rapporte » ; le succès de tels sites témoigne d'un « déplacement de la norme » dans lequel l'exposition précoce des jeunes à la pornographie a selon elle une responsabilité certaine.

Le site Onlyfans constituerait en outre, selon la présidente du Mouvement du nid, non seulement un « pas vers la prostitution » pour des jeunes ; de fait, comme l'a relevé Marie Mercier, Onlyfans « permet à une clientèle de s'installer ». Il s'agit aussi, selon Claire Quidet, d'un « terrain de chasse pour proxénètes ».

La présidente du Mouvement du nid a par ailleurs mentionné, parmi les causes de la prostitution étudiante, l'installation progressive auprès des jeunes de l'idée que le « travail du sexe » serait un « travail comme un autre », qui s'exprime lors des séances de sensibilisation auxquelles participe le Mouvement du nid, de tels points de vue étant selon sa présidente impensables il y a encore une vingtaine d'années. Notre collègue Marie Mercier a sur ce point estimé que certains jeunes pouvaient considérer la prostitution comme l'expression d'une liberté et d'un choix assumé, sans se rendre compte de ses conséquences extrêmement graves : c'est un véritable enjeu de société, a-t-elle souligné.


* 305 Voir en annexe le compte rendu du 6 mai 2021.

* 306 Ce constat se réfère à un sondage réalisé en avril 2020 en France pour le secrétariat d'État chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes et à une enquête menée par l'ONU dans 47 pays sur l'incidence de la pandémie en termes de genre.

* 307 Dominique Joseph, Olga Trotiansky, Crise sanitaire et inégalités de genre , CESE, mars 2021, p. 36.

* 308 Réseau national des collèges doctoraux (RNCD), Association nationale des docteurs (ANDès) et Confédération des jeunes chercheurs (CJC).

* 309 Rapport présenté par M. Guy Geoffroy au nom de la mission d'information sur la prostitution en, Assemblée nationale, 13 e législ., n° 3334.

* 310 Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, a été associée à cette audition ; une réflexion sur l'application de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 est inscrite à l'agenda de la délégation aux droits des femmes en 2020-2021, en lien avec le cinquième anniversaire de cette loi.

* 311 Ce rapport, publié en décembre 2019, a été réalisé par l'Inspection générale de la justice, l'Inspection générale des affaires sociales et l'Inspection générale de l'administration.

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