C. LES QUESTIONS POLITIQUES ET GÉOSTRATÉGIQUES POSÉES À L'UNION

Dans le contexte d'affirmation de la puissance chinoise en Europe et dans le monde, l'action de l'Union européenne doit s'inscrire dans une lecture lucide de la réorganisation de l'ordre mondial, sans surestimer ses faiblesses ni sous-estimer ses forces, et en pesant les termes de sa relation avec les États-Unis dont la politique « America First » paraît avoir survécu à son initiateur.

1. L'UE doit combiner dialogue ferme et négociation sans naïveté
a) Une défense ferme et lucide des droits de l'homme

Les contre-sanctions chinoises, répondant aux sanctions européennes prises dans le cadre de son régime mondial de sanctions en matière de droits de l'homme, ont été le signal clair d'une volonté chinoise d'impressionner, voire d'inquiéter. Elles constituent en effet une formidable escalade : ont été prononcées quasiment trois fois plus de contre-sanctions chinoises que de sanctions européennes. Ceci a démontré ce que les Européens savaient déjà, c'est-à-dire que leur conception en triptyque de la Chine ne résout pas à elle seule la complexité d'une relation bilatérale protéiforme.

La Chine s'oppose régulièrement dans ses déclarations officielles à cette définition en trois pans de sa relation avec l'Union, et plus particulièrement à son assimilation, désormais « inscrite dans le marbre » pour reprendre les propos de la Présidente de la Commission, à un rival systémique. La Chine redoute et dénonce déjà la formation d'un « front occidental » contre sa montée en puissance. Pékin n'est, en effet, pas avare en féroces critiques contre le multilatéralisme, qu'il soutient pourtant, lorsqu'il favorise ses objectifs et intérêts. Les organisations internationales sont alors présentées comme un « front occidental » uni contre la Chine.

En 2018, ni Xi Jinping, ni Narendra Modi, ni Vladimir Poutine n'étaient présents à l'Assemblée générale des Nations unies à New York, cette absence était un véritable signal d'alarme : « Ces absences font mieux que souligner en creux la perte d'influence de l'organisation, elles mettent en lumière un fait majeur : un autre ordre multilatéral est en train de naître, dont l'Occident sera cette fois le parent pauvre. (...) [ Cette situation est rendue ] possible grâce à la formidable locomotive qu'est devenue la Chine, derrière laquelle beaucoup de pays souhaitent s'arrimer. En quarante ans, elle s'est profondément enrichie et transformée. Sa nouvelle puissance lui permet de réorganiser l'ordre international comme elle le voit, autour de l'empire du Milieu. Elle veut devenir le leader technologique du XXIe siècle, se réarme et se crée des obligés et des débouchés sur la moitié de la planète avec son programme « one belt, one road 174 ( * ) ».

Cette analyse est confortée en juillet 2020, lors de la 44 e session du Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Le 30 juin une déclaration commune, émise par le Royaume-Uni et signée par 27 pays 175 ( * ) , dont 15 pays de l'UE, interpellait la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme et le gouvernement chinois sur la situation des Ouïghours dans le Xinjiang, ainsi que sur la nouvelle loi sur la sécurité nationale à Hongkong. Le 1 er juillet, une déclaration conjointe, émise par la Biélorussie et signée de 46 pays 176 ( * ) appuyait l'action de la Chine dans le Xinjiang. La Chine « compte » 177 ( * ) et multiplie ses soutiens dans sa vision des droits de l'homme différente de celle traditionnellement soutenue par l'Union européenne, plus basée sur le développement économique que sur les libertés individuelles.

Dans ce contexte, les contres-sanctions chinoises étaient anticipées par l'UE, même si leur cible a pu surprendre, tant il est évident que les autorités chinoises avaient sous-estimé l'émoi que des sanctions contre des parlementaires, parfaitement indépendants du pouvoir exécutif en vertu de la séparation des pouvoirs, et des chercheurs, parfaitement indépendants également en vertu de la liberté académique et de la liberté de la recherche, auraient dans des régimes démocratiques. Les contre-sanctions ont été accueillies avec une certaine bravache par les cibles visées 178 ( * ) , et ont fédéré, comme sans doute rien n'aurait pu le faire, les forces politiques, les opinions publiques et les forces économiques. Elles ont entraîné la suspension de la procédure de ratification de l'AGI, le Parlement européen conditionnant sa reprise à la levée des sanctions chinoises. Cette position ne semble pas avoir été anticipée par la Chine où les commentateurs la qualifient de « farce politique » et semblent penser que la « dépendance de son commerce avec la Chine » obligerait les eurodéputés à modifier la résolution votée 179 ( * ) .

Trois remarques s'imposent :

- le Parlement européen est souverain et la nécessité de défendre les droits de l'homme a été réaffirmée lors des négociations de l'AGI notamment par les représentants du pouvoir exécutif de l'UE. Il n'y a donc là aucune divergence d'appréciation entre pouvoir législatif et pouvoir exécutif, dans le respect de leur indépendance. En effet, lors de la réunion des dirigeants européens et chinois de septembre 2020, le Président de l'UE a rappelé que « la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong continue de susciter de graves préoccupations » et a « réitéré des inquiétudes sur le traitement par la Chine des minorités au Xinjiang et au Tibet, ainsi que sur le sort réservé aux défenseurs des droits de l'homme et des journalistes ». De même, lors de son discours sur l'état de l'Union prononcé le 16 septembre 2020 en session plénière du Parlement européen, la Présidente de la Commission a déclaré au sujet de la rivalité systémique avec la Chine : « il est incontestable que les systèmes de gouvernance et de société que nous promouvons sont très différents. Nous croyons à la valeur universelle de la démocratie et aux droits de l'individu. L'Europe a elle aussi ses problèmes - pensons par exemple à l'antisémitisme. Mais nous en débattons dans la sphère publique. Non seulement la critique et l'opposition sont acceptées, mais elles sont protégées par la loi. Nous devons donc toujours dénoncer les violations des droits de l'homme lorsqu'elles se produisent et où que ce soit, à Hong Kong ou chez les Ouïghours 180 ( * ) »,

- les forces économiques de l'UE ont subi un double boycott : des consommateurs occidentaux et notamment européens, qui ont dénoncé l'usage de coton potentiellement issu du travail forcé des minorités musulmanes du Xinjiang, puis des consommateurs chinois lorsque des marques ont refusé d'utiliser dans leurs chaînes les produits issus de ce travail forcé,

- l'UE n'a pas participé à l'escalade initiée par les contre-sanctions chinoises. Elle a prononcé des sanctions sur une base légale claire et s'en est tenue à cette position. Il ressort des différentes auditions de vos rapporteurs que l'Union devrait développer son régime de sanctions politiques comme économiques. La Chine, la Russie mais aussi les États-Unis utilisent pleinement cet outil de puissance géoéconomique. L'UE aurait donc intérêt à envisager le développement d'une palette de moyens défensifs pour contenir l'impact des instruments qui pourraient lui être opposés à l'avenir et exprimer ainsi sa propre puissance. « L'arme des sanctions pourrait en effet s'accompagner de l'arme du droit extraterritorial, du contrôle des exportations, notamment pour ce qui concerne les technologies de rupture (« emerging and foundational technologies ») (...), l'arme de la lutte contre la corruption et du contrôle des investissements » 181 ( * ) .

Recommandation : Il apparaît donc nécessaire à vos rapporteurs que :

- l'Union européenne étudie les moyens de développer son régime de sanctions politiques comme économiques et qu'elle envisage cet outil de puissance géoéconomique sous toutes ses facettes : sanctions, droit extraterritorial européen, contrôle des exportations, notamment pour ce qui concerne les technologies de rupture, lutte contre la corruption et contrôle des investissements,

- l'UE comme la France continuent de mener un dialogue de haut niveau lucide et exigeant avec la Chine sur les sujets qui constituent désormais les lignes rouges de la politique étrangère chinoise : le Tibet, Hong-Kong, Taïwan, le traitement des minorités musulmanes du Xinjiang, la liberté de navigation, y compris en mer de Chine, les droits de l'homme, notamment,

- les États membres de l'UE veillent à leur unité sur ces sujets.

L'Union aura d'autant plus de poids dans son dialogue avec la Chine qu'elle se sera dotée des moyens juridiques d'exprimer sa puissance, ce qui implique d'avoir surmonté son ambiguïté en la matière. L'élection en 2019 de la nouvelle Présidente de la Commission et du nouveau Président du Conseil européen a donné une impulsion en ce sens. La définition d'une nouvelle boussole stratégique européenne l'approfondira.

b) Le bouleversement stratégique venu d'Australie, la stabilité indopacifique fragilisée

La boussole stratégique européenne a fait l'objet d'un rapport de notre commission cette année 182 ( * ) .

L'Allemagne a proposé en 2019 l'élaboration d'une « boussole stratégique », forme de livre blanc pour la sécurité et la défense de l'UE 183 ( * ) , qui a été initiée sous sa présidence tournante de l'UE au 2 nd semestre 2020. Pour cela a été organisé, à une échelle inédite, l'échange entre experts et représentants des exécutifs de l'ensemble des États membres, en commençant par une analyse des risques établie sur la base des contributions de leurs services de renseignement. Le SEAE a finalisé cette analyse classifiée qui est devenue la base d'une réflexion organisée en 4 « paniers » devant aboutir au 1 er semestre 2022, sous présidence française du Conseil européen, à une réponse exhaustive aux menaces.

La Chine constitue pour l'UE un défi croissant, surtout sur des sujets de résilience : souveraineté numérique, désinformation, capacité industrielle, compétitivité, accès au marché, risque de déni d'accès aux voies maritimes, notamment dans les détroits. Il devient de plus en plus évident que l'Europe doit présenter un « front uni ». Comme le note le rapport de notre commission, l'Europe doit « ' jouer collectif ' face à une Chine décrite comme étant à la fois rivale, concurrente et partenaire, et que dessert un hubris devenu ostensible. L'écueil serait de ne traiter la « question chinoise » que via l'OTAN, au risque d'une immixtion américaine dans la politique commerciale de l'UE. [L'UE] doit donc vite affiner une ligne stratégique, qui devra passer par une exigence de réciprocité en matière économique. Il se pourrait, ainsi, que la Chine relaie l'ancien président Trump comme moteur de la `géopolitisation' de l'UE » .

La stratégie indopacifique dans le cadre de la réflexion sur la boussole stratégique est présentée comme la zone de fort enjeu, qu'elle est hébergeant 60 % de la population mondiale et les PIB les plus dynamiques de la planète ; 30 % du commerce maritime mondial transitent par le détroit de Malacca en direction du canal de Suez, ce qui en fait une zone vitale pour les approvisionnements européens. Plus d'un tiers des exportations françaises, hors Union européenne, sont à destination de la région indopacifique. C'est aussi dans cette zone, qui compte plusieurs pays nucléarisés, qu'ont été enregistrés au cours des dix dernières années les plus gros efforts d'investissements de défense. Enfin, le déficit de régulation et l'absence de consensus multilatéral sur les conditions d'accès et d'utilisation des espaces communs facilitent l'exercice de rapports de force entre États, ou à l'encontre d'acteurs non-étatiques, dans l'ensemble de la zone.

L'UE pourrait oeuvrer au renforcement de son positionnement dans la région en soutenant la conclusion d'un partenariat stratégique avec l'ASEAN, son admission au Sommet de l'Asie de l'Est (EAS), la reprise des négociations en vue d'accords de libre-échange - notamment avec certains pays de l'ASEAN - dans la perspective d'un accord bi-régional ambitieux, une redynamisation du dialogue Europe-Asie dit « ASEM » (Asia Europe Meeting), appelé à devenir un espace d'expression de l'ambition européenne en Asie, la mise en oeuvre de la stratégie européenne de connectivité entre l'UE et l'Asie et surtout la détermination d'une stratégie européenne dans le Pacifique, qui s'annonce comme un enjeu majeur de la PFUE.

La capacité d'intervention de l'UE dans la zone est cependant limitée en matière de sécurité et de défense. La France est le seul État membre avec les Pays-Bas et l'Allemagne à montrer une disponibilité maritime dans l'Indopacifique, sachant que ces deux pays déploient chacun une seule frégate, et encore, seulement une partie de l'année. De plus, les partenariats stratégiques que la France a noués dans cette région dont elle est partie prenante et riveraine en vue de renforcer une présence occidentale pacifique et fédérative, ont connu un développement extrêmement regrettable lorsque l'Australie a dénoncé le 16 septembre le partenariat stratégique qui la liait à la France. Il conviendra d'analyser :

- l'impact qu'aura le rejet du partenariat stratégique par l'Australie sur les négociations commerciales en cours entre elle et l'UE 184 ( * ) et sur la définition de la stratégie indopacifique de l'UE. L'Australie souhaitait par ce partenariat éviter le tête-à-tête entre les États-Unis et la Chine. Sa dénonciation du contrat de fournitures de sous-marins conventionnels, construits pour l'essentiel dans les chantiers navals d'Adélaïde 185 ( * ) est un « game changer ». La conclusion du pacte AUKUS, regroupant les États-Unis, le Royaume-Uni, qui trouve là un moyen de conforter sa nouvelle stratégie « Global Britain » et l'Australie ne laisse plus de doute sur la constitution d'un front anti-Chine,

-  l'impact qu'aura la diffusion de technologies nucléaires militaires à un pays non doté, l'Australie. Les États-Unis et le Royaume-Uni fourniront, dans des délais et à des montants non connus à ce jour, des sous-marins d'attaque, à propulsion nucléaire. « ' Le besoin d'une alliance solide pour contrer Pékin est si pressant qu'il a relégué au second plan les anciennes réserves [des États-Unis] quant au partage d'informations confidentielles sur les technologies nucléaires .' Jusqu'à présent, seul le Royaume-Uni y avait accès, en vertu d'un accord signé en 1958 » 186 ( * ) . Le Japon et la Corée du Sud y verront-ils la porte ouverte à l'adoption de tels équipements à leur tour ? Quelle position adoptera le Canada sur cette question ? Les nations de l'Océanie, la Nouvelle-Zélande en tête, farouchement opposées à l'énergie nucléaire, vont-elles distendre leurs relations politiques et économiques avec l'Australie ? La réaction de la Chine, pour sa part, ne laisse guère de place à l'interrogation, elle a immédiatement dénoncé ce qu'elle considère comme une escalade des menaces.

Le rapport de votre commission sur la boussole stratégique notait déjà que « l'Indopacifique(...), vaste sujet de sécurité et de défense pour l'UE, risque d'apparaître comme pouvant être plus adéquatement traité dans le cadre de l'OTAN, en compagnie des puissances maritimes que sont les États-Unis et le Royaume-Uni, au risque de réduire l'autonomie de la politique de l'UE vis-à-vis de la Chine ». Le constat était juste et inquiétant. La stabilité de l'indopacifique est fragilisée, voire menacée, par le bouleversement stratégique que constitue la dénonciation du partenariat stratégique avec la France par l'Australie et la conclusion du pacte Aukus.

Recommandation : Il apparaît donc absolument nécessaire à vos rapporteurs :

- de réévaluer la relation bilatérale avec l'Australie d'une part, avec les États-Unis d'autre part,

- de réaffirmer l'attachement indéfectible de la France à la maîtrise des armements et à la non-prolifération nucléaire,

- et de réévaluer l'analyse des menaces dans le cadre de la préparation de la boussole stratégique tant la dénonciation par l'Australie du partenariat stratégique avec la France et son équipement en sous-marins d'attaque américains, à propulsion nucléaire dans le cadre du pacte Aukus conclus avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni est un « game changer », c'est-à-dire un profond bouleversement stratégique susceptible d'ébranler la stabilité de l'indopacifique dans son ensemble.

2. L'évolution récente de l'OTAN sur la Chine : la prise en compte d'une puissance chinoise de plus en plus assertive
a) 2019 : la prise en compte des politiques internationales de la Chine

En 2019, pour la première fois, le communiqué publié à l'issue du sommet des chefs d'État et de gouvernement participant au Conseil de l'Atlantique Nord (CAN), tenu en décembre à Londres en 2019, évoquait « l'influence croissante et les politiques internationales de la Chine ... [vues] à la fois [comme des] opportunités et des défis » appelant une réponse des Alliés.

Outre la stratégie chinoise même, la proximité entre Moscou et Pékin est également analysée comme une potentielle nouvelle source de dangers pour l'Alliance. En 2020, le Secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg exprimera à plusieurs reprises la nécessité pour l'OTAN de prendre en compte les investissements chinois dans les infrastructures de transport et de télécommunications en Europe et d'évaluer l'impact de ces investissements.

En mars 2018, la Commission européenne a présenté un plan d'action, élaboré en concertation avec l'OTAN, pour créer ce qui a été appelé un « Schengen militaire » visant à faciliter les transports de troupes et de matériel au sein de l'Union européenne, freinés par la complexité des formalités administratives et le manque d'infrastructures adaptées, qu'il s'agisse de ponts routiers ou d'infrastructures ferroviaires. Un travail d'inventaire a été mené dans cette perspective qui a conduit à mettre en évidence la part croissante prise par les investissements chinois en la matière. Le général Jörg Vollmer, en charge du commandement des forces interarmées alliées Brunssum, a estimé que cette situation donnait déjà lieu à des « risques de contrôle du flux de fret à divers degrés » 187 ( * ) . L'Alliance s'emploie donc à établir un inventaire précis et cartographié des investissements chinois, qu'ils soient publics ou privés (ce qui pose la question de l'attribution de l'investissement), dans les infrastructures de transport - ports, aéroports, ponts, etc.- et de télécommunication sur tout le territoire européen. L'objectif est d'évaluer le risque d'entrave de mobilité pour les armées alliées en cas de conflit 188 ( * ) .

Les réflexions menées sur ces sujets conduisent parfois à des recommandations extrêmes : Julian Lindley-French, co-auteur d'un rapport du Center for European Policy Analysis (C EPA ) 189 ( * ) sur la mobilité militaire 190 ( * ) , a ainsi suggéré de mettre en place des mécanismes permettant aux gouvernements européens de prendre le contrôle des infrastructures critiques en cas de crise 191 ( * ) .

b) 2021 : la Chine défi systémique pour l'OTAN

Lors du sommet de Bruxelles du 14 juin 2021, comme on pouvait s'y attendre, la Chine a fait l'objet d'une nouvelle appréciation : ses « ambitions... et... son assertivité présentent des défis systémiques pour l'ordre international fondé sur des règles et dans des domaines revêtant de l'importance pour la sécurité de l'Alliance ». Les extraits du communiqué du 28 e sommet des chefs de l'État et de gouvernement du CAN afférents à cette nouvelle position de l'Alliance face à la Chine sont présentés dans l'encadré suivant.

Extrait du Communiqué du sommet de Bruxelles publié par les chefs d'État et de gouvernement participant à la réunion du CAN tenue à Bruxelles le 14 juin 2021

« Les ambitions déclarées de la Chine et son assertivité présentent des défis systémiques pour l'ordre international fondé sur des règles et dans des domaines revêtant de l'importance pour la sécurité de l'Alliance. Nous sommes préoccupés par celles des politiques coercitives qui ne correspondent pas aux valeurs fondamentales inscrites dans le traité de Washington. La Chine accroît rapidement son arsenal nucléaire, se dotant d'un plus grand nombre d'ogives et de vecteurs sophistiqués pour établir une triade nucléaire. Elle fait preuve d'opacité dans la mise en oeuvre de la modernisation de son appareil militaire et dans celle de sa stratégie de fusion militaro-civile publiquement déclarée. Elle coopère par ailleurs avec la Russie dans le domaine militaire, notamment en participant à des exercices russes dans la zone euro-atlantique. Nous restons préoccupés par le fait que la Chine manque souvent de transparence et a fréquemment recours à la désinformation. Nous appelons la Chine à respecter ses engagements internationaux et à agir de manière responsable au sein du système international, notamment dans les milieux spatial, cyber et maritime, en conformité avec son rôle de grande puissance.

L'OTAN maintient un dialogue constructif avec la Chine lorsque cela est possible. Sur la base des intérêts qui sont les nôtres, nous voyons d'un oeil favorable les possibilités d'interagir avec la Chine sur des questions revêtant de l'importance pour l'Alliance et sur des défis communs, tels que le changement climatique. Il est utile d'échanger des informations sur les politiques et les activités de chacun, afin de mieux se connaître et d'aborder les éventuels points de désaccord. Les Alliés exhortent la Chine à s'investir de manière substantielle dans le dialogue, dans le développement de la confiance, et dans des mesures de transparence concernant ses capacités et sa doctrine nucléaires. La transparence et la compréhension mutuelles seraient avantageuses aussi bien pour l'OTAN que pour la Chine. »

Trois points d'attention ressortent de la position de l'OTAN : la posture de la Chine dans le cyberespace, l'évolution de son arsenal nucléaire et l'opacité de sa stratégie nucléaire et sa coopération avec la Russie.

L'Alliance, par la voix de son secrétaire général, a précisé que la « Chine n'est pas notre adversaire, notre ennemie » mais que « nous devons faire face aux défis qu'elle pose pour notre sécurité » 192 ( * ) . Pour autant, les autorités chinoises, par la voix de leur ambassadeur auprès de l'Union européenne, ont estimé que l'utilisation de l'expression « défi systémique calomnie l'évolution pacifique [de la Chine] » 193 ( * ) .

L'Alliance s'affirme préoccupée par la politique chinoise dans le cyberespace et son recours à la désinformation. Ainsi, le 19 juillet 2021, la déclaration de l'OTAN invitait « tous les États, y compris la Chine, à respecter leurs obligations et engagements internationaux et à agir de manière responsable au sein du système international, y compris dans le domaine cyber ». La Chine était ainsi citée nommément un mois après le sommet de Bruxelles. La cyberattaque ayant compromis les serveurs de la messagerie Microsoft Exchange a été attribuée par les États-Unis au groupe de pirates informatiques « Hafnium », lié à Pékin. Les autorités chinoises ont officiellement démenti tout piratage de Microsoft.

L'évolution de l'arsenal nucléaire chinois a donné lieu à de nombreux commentaires et articles au cours de l'été 2021. Le Washington Post , citant une analyse effectuée par le Centre James Martin pour les études sur la non-prolifération d'images satellites, a écrit que 119 silos étaient en construction dans un désert près de Yumen, une ville du nord-ouest de la Chine 194 ( * ) . Un rapport également basé sur des images satellites, publié par la Fédération des scientifiques américains, fait état de travaux de construction d'un champ de silos à missiles nucléaires dans la province du Xinjiang, située à l'ouest de la Chine. Enfin, le rapport de notre collègue Cédric Perrin, en tant que rapporteur général de la commission de la défense de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, sur les enjeux futurs de la maîtrise internationale des armements, en cours d'élaboration 195 ( * ) , fait état des inquiétudes que soulève la relative opacité de la stratégie nucléaire chinoise dite de « dissuasion minimale » 196 ( * ) et l'utilisation de systèmes d'armement à capacité duale.

Recommandation : Il apparaît donc absolument nécessaire à vos rapporteurs :

-- de prôner la transparence en matière de stratégie nucléaire,

- d'inciter tous les États dotés, Chine comprise -lorsque l'architecture de maîtrise internationale des armements a été posée pendant la guerre froide, la Chine n'avait pas été associée à hauteur du statut qui est le sien-, à participer à des discussions favorisant la non-prolifération et la maîtrise des armements nucléaires,

- et de rappeler que l'OTAN est une institution qui doit être rééquilibrée politiquement et ne doit pas s'organiser autour de la rivalité sino-américaine mais bien pourvoir à la défense euro-atlantique. La révision du concept stratégique de l'OTAN devra aller en ce sens.

c) Quelle forme prendra la coopération militaire sino-russe à l'avenir ?

Enfin, l'Alliance a exprimé, lors du dernier sommet de Bruxelles, sa préoccupation face à la coopération dans le domaine militaire entre la Chine et la Russie qui se traduit en particulier par la participation de la Chine à des exercices militaires russes de façon régulière depuis 2017. Des exercices militaires navals dans la mer Baltique en 2017 et depuis en mer Méditerranée et mer Noire ont été organisés. En 2018, l'exercice Vostok aurait, selon les organisateurs, engagé près de 300 000 militaires, 36 000 blindés, 1 000 aéronefs et 80 navires sur cinq champs de manoeuvres situés de la Sibérie à l'Extrême-Orient russe. La participation chinoise se serait traduite par l'engagement de 3 200 militaires chinois dans la Transbaïkalie, région frontalière entre les deux pays et l'armée populaire de libération (APL) aurait envoyé en Russie 900 unités et 30 aéronefs.

En août 2021, a eu lieu l'exercice Zapad/Interaction, associant la Chine et la Russie dans un exercice militaire situé sur le territoire de la Chine. Cet exercice semble s'inscrire dans le cadre des Jeux internationaux militaires annuels organisés par Moscou 197 ( * ) . Ceux-ci rassemblent cette année, jusqu'au début du mois de septembre, 2 000 soldats de 17 pays dont la Serbie, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, ou la Chine dans des épreuves destinées à renforcer la confiance mutuelle entre les forces militaires. L'APL a engagé ses blindés, et une dizaine d'avions - bombardiers, chasseurs et transporteurs chinois. « Ces échanges restent toutefois limités à un objectif d'interopérabilité militaire dans un conflit restreint, soulignent les spécialistes du sujet. La relation reste éloignée d'une véritable alliance militaire, en raison des intérêts stratégiques différents des deux puissances et de la méfiance réciproque qu'entretiennent leurs services de sécurité » 198 ( * ) .

La deuxième quinzaine de septembre 2021 devrait se tenir l'exercice Zapad, organisé tous les quatre ans par la Russie 199 ( * ) . La question se pose de la participation, pour la première fois, de la Chine à cet exercice qui devrait réunir 10 000 hommes des forces russes et biélorusses, dans la perspective d'un entraînement figurant peu ou prou une confrontation avec les forces de l'OTAN. Les effets d'annonce sont, et c'est le lieu de tels exercices, volontairement importants. L'avion chinois furtif de 5 e génération Chengdu J-20 pourrait être déployé en témoignage de la forte coopération militaire entre la Chine et la Russie.

La façon dont les troupes chinoises s'intègreront éventuellement à ce dispositif suscite la plus vive attention de l'Alliance.

L'Union doit donc affiner sa propre ligne stratégique vis-à-vis de la Chine, indépendamment de l'OTAN et des États-Unis. Elle passe, en matière économique, par l'exigence de réciprocité. Ce faisant, la Chine pourrait bien s'ajouter à l'Amérique de Trump et depuis la conclusion du pacte Aukus de Biden, comme moteur de la « géopolitisation » de l'Union européenne. Ce sera à n'en pas douter l'un des enjeux essentiels de la présidence française de l'Union européenne au premier semestre 2022.


* 174 « Multilatéralisme : vers la fin de l'ordre occidental » par Virginie Robert, publié le 25 septembre 2018 et mis à jour le 6 août 2019, sur le site des Échos à l'adresse suivante : https://www.lesechos.fr/2018/09/multilateralisme-vers-la-fin-de-lordre-occidental-1120948

* 175 Soient les pays suivants : l'Albanie, l'Australie, l'Autriche, la Belgique, le Belize, le Canada, le Danemark, l'Estonie, la Finlande, la France, l'Islande, l'Irlande, l'Allemagne, le Japon, la Lettonie, le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, la République des Îles Marshall, le Royaume des Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, les Palaos, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni.

* 176 Soient les pays suivants : Bahreïn, la Biélorussie, le Burundi, le Cambodge, le Cameroun, la République centrafricaine, la Chine, les Comores, le Congo, Cuba, Djibouti, l'Égypte, la Guinée équatoriale, l'Érythrée, la Guinée, la Guinée-Bissau, la République islamique d'Iran, l'Iraq, la République démocratique populaire du Laos, le Lesotho, le Mozambique, la Birmanie, le Népal, le Nicaragua, le Niger, Oman, le Pakistan, l'État de Palestine, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Philippines, la Fédération de Russie, l'Arabie saoudite, la Serbie, Îles Salomon, le Soudan du Sud, le Sri Lanka, le Soudan, le Suriname, la République arabe syrienne, le Togo, les Émirats arabes unis, le Venezuela, le Yémen, la Zambie et le Zimbabwe. 17 des signataires ont l'islam comme religion majoritaire, ce qui a pu surprendre les observateurs qui s'attendaient à une solidarité basé sur le partage de la même religion.

* 177 En référence à sa diplomatie « comptable » précitée.

* 178 Voir les réseaux sociaux des parlementaires concernés par les contre-sanctions chinoises.

* 179 Voir par exemple « Le Parlement européen gèle l'AGI avec la Chine, mettant en jeu les vrais intérêts de l'UE » , non signé, mis en ligne sur le site French.china.org.cn le 21 mai 2021 à l'adresse suivante : http://french.china.org.cn/business/txt/2021-05/21/content_77517387.htm

* 180 Voir le discours de la Présidente de la Commission à l'adresse suivante : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/speech_20_1655

* 181 «La politique de sanctions de l'Union européenne. Ambition multilatérale contre logique de puissance » , par Éric-André Martin, Études de l'Ifri, publiée en octobre 2019 à l'adresse suivante : https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/martin_sanctions_ue_2019.pdf

* 182 « Quelle boussole stratégique pour l'Union européenne ? » . Rapport d'information n° 753 (2020-2021) du 7 juillet 2021 - par M. Ronan Le Gleut et Mme Hélène Conway-Mouret.

* 183 Dont la CAED avait préconisé la rédaction dans son rapport « Défense européenne, le défi de l'autonomie stratégique » , Rapport du Sénat n° 626 (2018-2019), juillet 2019.

* 184 « Crise des sous-marins: la France rappelle ses ambassadeurs en Australie et aux États-Unis » , par H.G. avec AFP, publié le 17 septembre 2021 sur le site de BFMTV à l'adresse suivante : https://www.bfmtv.com/international/crise-des-sous-marins-la-france-rappelle-ses-ambassadeurs-en-australie-et-aux-etats-unis_AD-202109170437.html « On a des négociations commerciales avec l'Australie, je ne vois pas comment on peut faire confiance au partenaire australien », a lancé le secrétaire d'État aux Affaires européennes Clément Beaune ».

* 185 Voir le rapport « Australie : quelle place pour la France dans le Nouveau monde ? » , Rapport d'information n° 222 (2016-2017) du 14 décembre 2016 - par M. Christian Cambon co-président, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, co-présidente, et MM. Robert Laufoaulou, André Trillard et Christian Namy. La mission de la CAED s'était d'ailleurs rendue à Adelaïde pour visiter les chantiers navals.

* 186 « Avec le pacte Aukus, Washington et Canberra se jettent à l'eau pour contrer Pékin » par Sasha Mitchell, publié le 16 septembre 2021 sur le site de Courrier international, à l'adresse suivante : https://www.courrierinternational.com/article/analyse-avec-le-pacte-aukus-washington-et-canberra-se-jettent-leau-pour-contrer-pekin

* 187 Cité dans l'article « L'OTAN se penche sur les investissements de la Chine dans les infrastructures de transport en Europe » de Laurent Lagneau, publié le 9 mars 2021 sur le site Zone militaire opex.360 à l'adresse suivante http://www.opex360.com/2021/03/09/lotan-se-penche-sur-les-investissements-de-la-chine-dans-les-infrastructures-de-transport-en-europe/.

* 188 Sur ce sujet, voir https://www.defensenews.com/global/europe/2021/03/04/nato-grapples-with-grasping-chinas-transportation-clout-in-europe/.

* 189 Le CEPA est un think tank basé à Washington dédié au renforcement de la relation transatlantique.

* 190 Voir The CEPA Military Mobility Project à l'adresse suivante https://cepa.org/wp-content/uploads/2021/05/CEPA-Military-Mobility-Report-web-5.21.21.pdf.

* 191 Cité dans l'article « L'OTAN se penche sur les investissements de la Chine dans les infrastructures de transport en Europe » de Laurent Lagneau, publié le 9 mars 2021 sur le site Zone militaire opex.360 à l'adresse suivante http://www.opex360.com/2021/03/09/lotan-se-penche-sur-les-investissements-de-la-chine-dans-les-infrastructures-de-transport-en-europe/.

* 192 Cité dans l'article « Pour l'Otan, la Chine présente des `défis systémiques'; Pékin dénonce une `exagération' » par Laurent Lagneau publié le 15 juin 2021 sur le site zone militaire opex360.com à l'adresse suivante : http://www.opex360.com/2021/06/15/pour-lotan-la-chine-presente-des-defis-systemiques-pekin-denonce-une-exageration/.

* 193 Ibid.

* 194 Cité dans l'article « Le renforcement de l'arsenal nucléaire chinois inquiète les Etats-Unis » par le Figaro avec l'AFP publié le 8 juillet 2021 sur le site du Figaro à l'adresse suivante : https://www.lefigaro.fr/flash-actu/le-renforcement-de-l-arsenal-nucleaire-chinois-inquiete-les-etats-unis-20210708.

* 195 Il sera soumis à l'adoption de la commission puis de l'AP-OTAN, lors de la prochaine session plénière de l'AP qui se tiendra en octobre 2021.

* 196 Qui s'appuyait sur un non-emploi en premier, mais aussi sur un arsenal nucléaire encore relativement réduit.

* 197 Pour la septième fois.

* 198 Extrait de l'article « L'été fructueux de la coopération militaire russo-chinoise » par Nathalie Guibert, publié le 25 août 2021 sur le site du Monde à l'adresse suivante : https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/25/l-ete-fructueux-de-la-cooperation-militaire-russo-chinoise_6092289_3210.html.

* 199 En 2009 et 2013, lors de l'exercice Zapad aurait été simulée une attaque nucléaire contre la Pologne selon certains commentateurs, en 2017, l'accent aurait été mis sur le domaine cyber. Il ne s'agit toutefois que de suppositions non confirmées par les autorités russes.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page