TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mardi 28 septembre 2021 sous la présidence de M. Bernard Delcros, vice-président, la commission a procédé à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de la commission en application de l'article 58 paragraphe 2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur la couverture mobile (4G) du territoire.

M. Bernard Delcros , président . - Nous allons procéder à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur la couverture mobile du territoire. Ce rapport s'intitule Réduire la fracture numérique mobile : le pari du New Deal 4G .

L'expression New Deal mobile désigne l'accord passé en 2018 entre l'État et les opérateurs de téléphonie mobile. L'État a renoncé à mettre aux enchères les autorisations d'utilisation de fréquences hertziennes et a stabilisé les redevances d'utilisation afférentes pour un effort financier public proche de 3 milliards d'euros, si l'on y ajoute les exonérations d'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) pour les pylônes déployés dans le cadre de l'accord ; en contrepartie, les opérateurs se sont engagés à moderniser leur réseau et à améliorer la couverture mobile du territoire. Ainsi, au titre de la modernisation des infrastructures, les pylônes en service 2G et 3G devaient, pour la quasi-totalité d'entre eux, passer en 4G avant la fin de l'année 2020.

Concernant la couverture des zones blanches, le dispositif de couverture ciblée (DCC) constitue le principal volet de l'accord : il contraint chaque opérateur à couvrir 5 000 zones dans un délai de deux ans à compter de leur identification par arrêté, à raison de 600 à 800 zones par an jusqu'en 2025. L'accord comprend également d'autres volets, concernant les axes routiers prioritaires (ARP), la 4G fixe, ou encore des évolutions technologiques permettant de mobiliser la technologie WiFi pour certains services.

Je salue la présence de M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions de cette enquête. Il est accompagné des magistrats qui ont contribué à cette enquête. Je souhaite également la bienvenue à Mme Laure de la Raudière, présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), ainsi qu'à M. Zacharia Alahyane, directeur du programme France mobile de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), à M. Mathieu Weill, chef du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises et à M. Arthur Dreyfuss, président de la Fédération française des télécoms (FFT).

Après la présentation de l'enquête par la Cour des comptes, nos collègues Frédérique Espagnac et Thierry Cozic, nous livreront leur analyse, en tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Économie », et nos invités pourront ensuite réagir aux conclusions de l'enquête et à ces observations.

À l'issue de nos débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.

Je salue la présence parmi nous de Serge Babary, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et Jean-Michel Houllegatte rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes . - Je suis heureux de vous présenter les constats de la Cour des comptes. Nous avons travaillé d'arrache-pied, dans un contexte difficile en raison de la crise sanitaire, mais nous avons pu développer une vision à la fois nationale et locale de la situation et évaluer les effets du New Deal sur la couverture et la qualité du réseau très haut débit 4G, trois ans après l'accord passé entre les pouvoirs publics et les opérateurs négocié sous l'égide de l'Arcep. Il s'agissait de réduire la fracture numérique territoriale, nous savons maintenant, après la crise sanitaire, à quel point il est essentiel d'y parvenir. Nous avons également cherché à apprécier l'efficacité de la gouvernance de ce New Deal au niveau national comme dans les territoires ainsi que les enjeux liés au déploiement de l'internet mobile.

Le très haut débit mobile 4G, messages, voix et internet mobile, a été proposé à partir de 2012 en France et nécessite des infrastructures à ciel ouvert sur tout le territoire ainsi que la mobilisation de fréquences hertziennes appartenant au domaine public et concédées contre redevance après enchères. La 5G finira par remplacer la 4G, mais ce dernier marché est toujours très dynamique, avec 56 millions de cartes actives. Il est toutefois concentré sur les zones denses, car le choix a été fait d'une concurrence par les infrastructures avec quatre opérateurs différents. Si des effets positifs sur les prix et les investissements des opérateurs ont pu être relevés, le développement s'est orienté vers les secteurs à forte densité, au détriment des zones rurales. En conséquence, en 2017, avant l'accord dont il est question aujourd'hui, la France était en retard en matière de déploiement, occupant seulement la vingt-quatrième place en Europe. Malgré les efforts, les disparités territoriales, sources d'insatisfaction et de pertes d'efficacité économique, n'étaient pas corrigées. Les premières obligations imposées par l'Arcep en matière d'aménagement du territoire étaient peut-être mal ciblées, et leur terme trop lointain ; les programmes de financements publics, ciblés sur les zones blanches centres-bourgs ont permis de construire près de 2 200 pylônes en quinze ans, mais ils ont parfois été complexes à mettre en oeuvre et la qualité de leur couverture était insuffisante. Un décalage persistait donc entre la croissance du taux de couverture théorique et le ressenti sur le terrain quant à la qualité des services, tel qu'il était compilé par les habitants et les collectivités.

Un changement s'imposait pour garantir un égal accès à la 4 G, ce fut le New Deal, c'est-à-dire un échange fréquences contre couverture, signé entre l'État et les opérateurs. Ces derniers se sont engagés sur différents points - meilleure couverture du territoire en internet mobile de qualité, nouveaux sites de diffusion, généralisation de la 4 G sur les sites existants, couverture des axes de transport, amélioration de la qualité du réseau - et l'État offrait des contreparties financières ou réglementaires, notamment la réattribution anticipée des fréquences hertziennes, sans enchères. Le primat a donc été donné à l'aménagement numérique du territoire plutôt qu'à la maximisation des recettes ; en parallèle, le raisonnement s'est appuyé sur la couverture territoriale en kilomètres carrés plutôt que sur le nombre de clients ; enfin, les élus ont été associés à la prise de décision, s'agissant notamment du dispositif de couverture ciblée, avec 5 000 sites prévus par opérateur.

Cette enquête dresse un premier bilan du dispositif à mi-parcours. Après trois ans, le jugement est positif et les résultats sont tangibles : la couverture par l'ensemble des opérateurs est passée de 47 % à 76 %, la couverture minimale par au moins un opérateur de 89 % à 96 %. Il subsiste quelques difficultés en matière, notamment, de qualité du débit fourni, alors qu'il n'existe pas de norme minimale de très haut débit mobile. Les engagements des opérateurs ont été tenus. 97 % des sites 2G et 3G sont désormais équipés en 4G, de nombreux sites de couverture ciblée ont été mis en place, malgré un démarrage un peu lent. Aujourd'hui, 91 % des engagements ont été tenus, malgré des retards que l'Arcep devrait, selon nous, instruire avec plus de diligence. Les autres résultats apparaissent comme plus difficiles à évaluer et leur échéance est plus lointaine. Reste qu'il faut maintenant aller au-delà de ce New Deal et qu'un complément est probablement nécessaire.

Nous avons également tenté de déterminer dans quelle mesure cet accord était équilibré s'agissant des engagements réciproques qui le fondaient. Il est cependant difficile d'évaluer les investissements que les opérateurs auraient réalisés sans le New Deal et il reste une incertitude quant aux moyens qu'ils ont réellement engagés au titre des obligations qui en sont issues, alors que les évaluations oscillaient entre 3,2 et 5,6 milliards d'euros prévus. On sait, en revanche, que l'État a consacré 3 milliards d'euros à cet effort, dont 2,5 milliards d'euros d'enchères non perçues. Cet engagement financier a d'ailleurs été insuffisamment retranscrit dans les documents budgétaires, le Parlement ne s'étant prononcé que sur l'exonération de l'IFER, soit près de 120 millions d'euros.

Nous portons un jugement positif sur le pilotage national et local, s'agissant, notamment, du dispositif de couverture ciblée, qui a été bien adapté aux réalités locales. La mission France Mobile a bien fonctionné et on gagnerait à étendre ses méthodes aux autres engagements du New Deal .

Il reste toutefois des progrès à accomplir ; le principal concerne la mutualisation des infrastructures entre opérateurs, laquelle est aujourd'hui insuffisante. Aujourd'hui, chacun veut bénéficier d'un réseau de qualité, mais personne ne souhaite héberger d'antenne. Il importe donc de trouver les moyens d'en limiter le nombre. Or la part relative des sites mutualisés a baissé entre 2017 et 2020, alors que ce procédé emporte des gains économiques et environnementaux. D'autres enjeux sont présents et doivent être pris en compte, comme la cybersécurité, la maîtrise des risques sanitaires potentiels liés aux ondes et les préoccupations environnementales. Il faut travailler en ce sens dans la continuité du rapport d'information du Sénat intitulé Pour une transition numérique écologique de juin 2020. Si la 5G est moins consommatrice, elle provoquera un accroissement des usages et son empreinte carbone sera supérieure à celle de la 4G. Il faudra enfin veiller à ce que la montée en gamme des réseaux vers la 5G ne crée pas de nouvelles inégalités territoriales.

À notre sens, pour parachever la réduction de la fracture, deux leviers peuvent être utilisés. Le premier est l'extinction à terme de tout ou partie des technologies 2G et 3G. Cela nécessitera un accompagnement, car beaucoup d'objets connectés reposent encore aujourd'hui sur ces réseaux, qui comptent par ailleurs encore 2,7 millions d'utilisateurs exclusifs. Tout le monde pourrait trouver intérêt à cette évolution, car de nouveaux investissements pourraient être négociés avec les opérateurs en échange des nouvelles ressources que ces derniers pourraient en tirer. Le deuxième levier est précisément l'imposition de nouvelles obligations d'investissements ciblés des opérateurs dans les territoires les moins couverts, notamment à la faveur de la clause de rendez-vous de 2023 pour l'attribution des fréquences de 3,5 gigahertz.

En conclusion, la Cour des comptes émet neuf recommandations, qui se divisent en trois grandes orientations.

Il faut, tout d'abord, conforter l'économie générale du New Deal , en améliorant l'évaluation des engagements réciproques et l'information sur ses conséquences budgétaires.

Ensuite, nous proposons d'optimiser sa mise en oeuvre au niveau local en s'appuyant sur les équipes projets locales et en revoyant l'allocation des moyens, en étant attentifs à la question des sites du dispositif de couverture ciblée, en accélérant les contrôles sur le retard et en précisant les règles foncières en matière de télécommunications.

Enfin, il importe de réduire les sources d'insatisfaction liées à la fracture numérique en définissant une norme de très haut débit minimal mobile - c'est là un point de difficulté avec les opérateurs -, en mesurant plus largement la qualité du service mobile sur le territoire et en complétant le New Deal pour parachever la couverture mobile de qualité du territoire.

M. Bernard Delcros , président . - Nous avons bien entendu que vous alertez à la fois sur la nécessité de progresser et sur le risque de donner naissance, ce faisant, à de nouvelles fractures territoriales avec la 5G.

Mme Frédérique Espagnac , rapporteure spéciale . - Je tiens à insister sur le fait que le New Deal mobile a été conclu en 2018 après une négociation entre l'exécutif et les opérateurs sans que le Parlement ait été saisi des termes de cet accord. Si les exonérations d'IFER ont bien donné lieu à un vote en loi de finances pour 2019, force est de constater que celles-ci n'arrivent que dans un second temps et ne concernent qu'une petite partie de l'accord : il s'agit uniquement d'exonérer les antennes labellisées New Deal . La méthode d'un accord direct a pu être présentée comme plus efficace et permettant la mise en oeuvre rapide des engagements des opérateurs, nous considérons qu'elle revient surtout à débudgétiser près de trois milliards d'euros de recettes publiques, ce dont, en tant que parlementaires, nous ne pouvons nous satisfaire. Le Parlement n'ayant pas été saisi, il ne s'est pas prononcé sur l'usage de ces sommes, comme il aurait pu le faire sur des crédits budgétaires. Par ailleurs, comme l'a relevé la Cour des comptes, la débudgétisation ne s'est pas accompagnée d'un renforcement de l'information à destination des parlementaires. Ni le projet annuel de performances de la mission « Économie » ni les voies et moyens concernant les recettes de l'État ne retracent les crédits dédiés à cette politique publique. À peine un paragraphe, dans le document de politique transversale « aménagement du territoire » annexé au projet de loi de finances pour 2019 rappelle seulement le principe du New Deal. Nous estimons ainsi, dans la lignée de l'enquête, que les documents budgétaires, et en particulier ceux concernant la mission « Économie », doivent être le support d'informations supplémentaires relatives à l'avancée du New Deal mobile et à son coût.

À ce propos, quelles doivent être, selon vous, les informations à intégrer aux documents budgétaires pour garantir le suivi du New Deal par les parlementaires ?

De plus, nous considérons que l'architecture budgétaire actuelle du New Deal mobile ne permet pas d'identifier clairement l'origine des fonds ayant permis le déploiement des nouvelles antennes. On trouve, dans les dossiers de presse des inaugurations, le montant total des investissements réalisés par les opérateurs, mais pas vraiment de rappel du fait que ces déploiements sont majoritairement financés par l'État au travers du New Deal . Il nous paraît donc indispensable que l'architecture des prochains accords avec les opérateurs permette d'identifier beaucoup plus clairement la part de l'État dans le financement des nouveaux déploiements.

Par ailleurs, nous avons pu constater lors de nos déplacements sur le terrain que, dans l'organisation des équipes projets au niveau local, les maires des communes visées par le dispositif de couverture ciblée n'étaient pas toujours suffisamment associés aux premières étapes du processus. Ainsi, nombreux sont les maires à n'avoir pas connaissance du dispositif, y compris lorsqu'ils ont bénéficié eux-mêmes d'une implantation au titre du New Deal . Il est plusieurs fois arrivé que des équipes municipales s'opposent à l'installation d'une antenne après que leur commune a été désignée par arrêté. Ces situations témoignent d'une prise en compte des maires parfois très insuffisante. De ce point de vue, l'exemple des Pyrénées-Atlantiques nous a paru intéressant : après que plusieurs équipes municipales ont rejeté le projet d'installation d'une antenne à la suite de la publication de l'arrêté ministériel, l'équipe projet départementale a fait le choix d'exiger une délibération des communes en amont de la sélection des projets, donc de la prise des arrêtés. Cette exigence, qui sécurise l'arrêté ministériel en garantissant l'accord de la commune concernée par l'implantation d'une antenne, permet également de faire de la démocratie locale une étape préalable à toute décision ministérielle sur le sujet. Une meilleure association des maires permettrait également de limiter les phénomènes de spéculation sur le foncier. En effet, lors de nos déplacements, des situations de spéculation foncière nous ont été présentées. Elles interviennent aussi bien en amont de l'installation des pylônes qu'à l'occasion des renouvellements de bail. Ainsi, nous avons rencontré un maire auquel on a promis, s'il acceptait de céder le bail d'un opérateur, 900 euros de rente annuelle jusqu'à la fin de celui-ci, soit près de douze ans, puis une multiplication par deux des loyers une fois le bail de l'opérateur échu. Les élus ne sont pas toujours au courant des risques de démontage d'antenne existant si les opérateurs refusent les conditions fixées par les entreprises en question.

Alors que l'article 24 bis de la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique traite uniquement de l'installation de pylônes, quelles sont vos préconisations pour éviter la spéculation sur les renouvellements de bail ?

Je tiens à attirer votre attention sur un dernier point : l'insuffisance du New Deal , lequel ne permettra pas de résorber toutes les difficultés, même dans un horizon lointain. Ainsi, dans les Pyrénées-Atlantiques, la route nationale 134, qui conduit à la frontière avec l'Espagne et constitue un axe routier structurant prioritaire, n'entre pas dans les critères des axes routiers prioritaires. Elle ne bénéficiera donc pas du volet ARP du New Deal et un tronçon entier ne sera pas couvert en réseau mobile, avec les risques en termes de sécurité et sur l'environnement que cela représente. Il nous apparaît urgent d'apporter des adaptations au New Deal et aux obligations des opérateurs, afin que ce type de situations trouve une solution avant 2027.

M. Thierry Cozic , rapporteur spécial . - Pour ma part, je tiens à revenir sur un sujet que vous avez évoqué : les écarts entre la cartographie plutôt optimiste de l'Arcep et la perception réelle de nos concitoyens, lesquels sont particulièrement importants. En effet, si le premier bilan que propose la Cour des comptes est plutôt positif, la perception du terrain n'est pas toujours aussi tranchée que l'évolution des cartes qui, dans la chromatologie de l'Arcep, sont désormais totalement violettes. Certains élus sont même allés jusqu'à évoquer en audition une perte de la qualité de la couverture depuis 2018 sur leur territoire. Nous ne pensons pas que ces exemples puissent être généralisés, mais ils témoignent en tous cas d'une perception assez éloignée de ce que les chiffres de la couverture tendent à montrer. Comme le rappelle l'enquête de la Cour, les cartes de couverture sont basées sur la localisation des antennes et leurs spécificités techniques. De ce point de vue, nous partageons l'analyse de la Cour d'un réel besoin de renforcement des outils de mesure, aussi bien à destination des collectivités que du grand public via une application. Ce constat est d'autant plus préoccupant qu'il s'accompagne d'une crainte, partagée entre les acteurs, que la fin du New Deal mobile ne signe pas la fin des zones blanches. La Cour souligne ainsi que « toutes les parties prenantes publiques et privées reconnaissent que le New Deal sera insuffisant pour combler la fracture numérique territoriale. » Alors que ses derniers déploiements s'étendront jusqu'en 2027, il existe un fort risque que les zones blanches ne soient toujours pas résorbées à cette date. La Cour recommande de faire évoluer la clé de répartition entre départements et de saisir les prochaines occasions, telles que la réforme des IFER, la fin du 2G et 3G ou encore les prochaines mises aux enchères de fréquence, pour renforcer les engagements des opérateurs.

Ainsi, quels sont, selon vous, les besoins en antennes pour améliorer significativement la couverture du territoire ? Vous évoquez une réévaluation de la clé de répartition, mais quels sont, selon vous, les départements qui auraient besoin de renforcer leurs dotations et quels sont - si vous osez vous y aventurer ! - ceux dont la dotation est trop importante et qui devraient en reverser une partie ?

S'agissant des mutualisations d'infrastructures, elles sont prévues par le New Deal pour les antennes déployées dans le cadre de l'accord. L'enquête que vous nous présentez indique bien qu'elles n'ont toutefois pas été renforcées. Nous sommes tous conscients que le modèle des télécoms repose en grande partie sur une concurrence sur les infrastructures, cependant, lors des échanges de terrains avec l'ensemble des acteurs à l'exception des opérateurs, les mutualisations sont plébiscitées. Elles permettent en effet d'éviter que ne surgissent, sur le territoire d'une même commune, plusieurs pylônes, alors même que l'on sait que l'acceptabilité sociale et environnementale des antennes décline. Il semble indispensable d'inciter à davantage de mutualisations entre les opérateurs, dans l'intérêt de tous : elles limitent la détérioration des paysages, renforcent l'acceptabilité des pylônes, réduisent les coûts pour les opérateurs. La question des moyens dont dispose l'État pour renforcer ces mutualisations doit donc être pleinement posée. À ce titre, quels sont les mécanismes d'incitation susceptibles d'être mobilisés pour les renforcer ?

Mme Laure de la Raudière, présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse . - Le New Deal répond à une attente forte des élus et des citoyens d'améliorer la couverture numérique du territoire. En juillet 2018, l'État a décidé de prolonger des autorisations d'utilisation de fréquences en fixant des objectifs aux opérateurs. La Cour a constaté des résultats tangibles et positifs, l'Arcep fait le même constat au regard des objectifs fixés au départ. Nous sommes au coeur de la mise en oeuvre du dispositif, avec plusieurs obligations arrivant à échéance en 2020 et 2021. C'est le cas, par exemple, de la voix sur WiFi , de la généralisation de la 4G, avec 100 % des sites couverts d'ici à la fin de 2022. S'agissant des axes routiers, ils sont identifiés selon des critères objectifs à partir de données de trafic remontées par les préfectures. Aujourd'hui, 99,9 % d'entre eux sont couverts en extérieur, l'intérieur des véhicules le sera en 2022 pour Orange et SFR, et en 2025 pour Bouygues.

Le dispositif de couverture ciblée, dont la mise en oeuvre associe particulièrement les élus, concerne, au 30 juin 2021, 830 sites, plus de 3 000 autres sont identifiés par arrêté ; s'agissant de la 4G fixe, 510 sites ont été identifiés et seront déployés d'ici à la fin de 2021 et 490 autres restent à identifier.

Monsieur le président, vous formiez le voeu que l'Arcep prenne mieux en compte les retards. Nous sommes très mobilisés sur le sujet et nous avons ouvert une procédure anticipée mi-2019 - ce n'est pas habituel ! - pour mettre en demeure les opérateurs de réaliser les objectifs qui leur étaient assignés. Depuis lors, ceux-ci ont organisé le pilotage du New Deal avec une gouvernance fonctionnelle afin de nous transmettre, pour chaque pylône, des éléments tangibles et objectifs de non-mise en service : livraison en retard d'Enedis malgré les relances, problèmes d'acceptation sociale d'une commune, etc. Aujourd'hui, tous les retards sont documentés et nous les instruisons de manière très diligente.

S'agissant de la cartographie Arcep, en mars 2020, notre collège a augmenté le taux de fiabilité des cartes de 95 % à 98 %. Aujourd'hui, ces cartes sont issues de simulations des opérateurs dont la fiabilité est mesurée par des organismes indépendants missionnés par l'Arcep. Nous avons également la possibilité d'intégrer les mesures des collectivités, selon un protocole harmonisé, comme c'est déjà le cas pour six d'entre elles et, depuis 2021, nous pouvons prendre également en compte les mesures issues du grand public à partir d'applications respectant le protocole édicté par l'Arcep. Nous répondons ainsi à la recommandation de la Cour des comptes.

Concernant l'évaluation financière, nous avons prévu un bilan d'étape à la fin de 2022 permettant d'identifier tous les pylônes et tous les sites créés et de chiffrer les investissements correspondants à ces réalisations. Ce travail offrira un éclairage intéressant pour le Parlement. Bien sûr, un bilan final sera établi à la fin de 2027.

Je prends note de l'intérêt exprimé ici pour une nouvelle étape du New Deal après cette date pour compléter la couverture, nous pourrons engager des discussions avec les opérateurs à ce sujet à l'occasion du rendez-vous prévu en 2023 pour l'attribution des fréquences 5G à 3,5 gigahertz.

M. Mathieu Weill, chef du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises . - Ce New Deal mobile est une opération qui est loin d'être anodine. Les premières conclusions de la Cour confirment l'écart entre les attentes de nos concitoyens et des territoires et la réalité du déploiement des réseaux, écart aggravé par la crise sanitaire. La pertinence d'une politique publique en la matière fait donc encore moins débat aujourd'hui.

La généralisation de la couverture mobile, de manière plutôt inédite, non seulement a répondu à une dynamique publique, mais s'est inscrite dans le calendrier de renouvellement des attributions, créant ainsi des circonstances favorables pour préserver l'équilibre entre le renforcement de l'ambition politique de couverture mobile et la sauvegarde des intérêts patrimoniaux de l'État, préoccupation constante.

Comme l'a dit Mme de La Raudière, on cherchera peut-être d'autres occasions d'aller plus loin dans la couverture mobile, les attentes de nos concitoyens étant fortes. Mais il faut que ces circonstances se présentent, ce qui n'est pas toujours le cas, par exemple avec la 5G.

Ensuite, nous avons accordé la priorité à l'objectif de cohésion des territoires plutôt qu'à la maximisation des revenus financiers, dans l'objectif d'orienter au maximum les décisions des opérateurs vers l'investissement et de créer un véritable projet industriel. Cette organisation industrielle a mis un peu de temps à se mettre en place, mais on peut quand même en saluer les résultats, en dépit du contexte sanitaire.

La Cour souligne dans son rapport les premiers résultats tangibles, et nous devons poursuivre nos efforts dans ce sens. Avec nos collègues de l'ANCT, nous avons identifié certaines situations pouvant nécessiter des ajustements réglementaires ou certaines actions publiques relevant du Gouvernement et non de l'Arcep. À cet égard, la proposition de loi du sénateur Chaize contient des éléments intéressants relatifs à la lutte contre la spéculation sur les baux relatifs aux antennes. Il est bon qu'on se penche sur la question des « professionnels des tours » et sur la manière dont ils peuvent contribuer positivement à nos objectifs de couverture du territoire.

Je veux enfin indiquer à Mme la rapporteure spéciale que l'Arcep a fait un gros effort de transparence vis-à-vis du Parlement sur les engagements pris et sur leur réalisation. Et il n'y a aucune difficulté à les intégrer dans les documents budgétaires et à étoffer les documents de base. Cela étant, s'agissant d'un abandon de recettes fiscales, il faudra voir comment l'intégrer dans l'architecture des lois de de finances.

Nous sommes donc tout à fait favorables à cet effort de transparence vis-à-vis des élus et du Parlement sur ces travaux, qui demeurent néanmoins pilotés pour des raisons à la fois d'économie et d'efficacité par le secteur privé, qui est le modèle de développement du secteur des télécommunications au niveau européen. Il faut contrôler et orienter ces investissements en toute transparence, quand bien même il s'agit d'investissements privés et non pas de la dépense publique.

M. Zacharia Alahyane, directeur du programme France mobile de l'Agence nationale de la cohésion des territoires . - Nous partageons l'appréciation de la Cour quant au caractère tangible des résultats du New Deal . L'ANCT a en charge essentiellement le dispositif de couverture ciblée, qui est entré dans sa phase industrielle : à la fin du mois d'août, 1 039 sites ont été mis en service par les opérateurs. Le Gouvernement a fait le choix politique fort de confier aux territoires le soin de définir les zones à couvrir prioritairement. C'est ce qui a justifié la mise en place des équipes projets dans le cadre de l'instruction du 18 juillet 2018 définissant leurs missions. L'ANCT accompagne ces équipes, les forme, leur fournit des outils méthodologiques. Une fois que ces équipes projets ont défini les zones à couvrir prioritairement, en lien avec les opérateurs, nous rédigeons des arrêtés pour publication par la direction générale des entreprises afin de les obliger à assurer la couverture mobile sous vingt-quatre mois maximum.

Dans cet exercice, le maire a un rôle central, alors qu'il est parfois oublié par les équipes projets, ce qui est une source d'inquiétude pour nous, à tel point que nous leur avons passé un certain nombre de consignes pour leur demander de mobiliser les élus et les maires avant toute demande d'inscription en zone prioritaire. Il faut bien reconnaître qu'il reste des progrès à faire. Peut-être faudrait-il revoir l'instruction de juillet 2018 pour ancrer davantage cette façon de procéder.

Quelques recommandations de la Cour des comptes ont retenu notre attention, notamment l'élargissement des missions des équipes projets. En effet, la circulaire ne couvre que le dispositif de couverture ciblée. Les équipes projets ont acquis une expertise dans ce domaine, connaissent de mieux en mieux leurs territoires, et il ne nous semble donc pas anormal de les mobiliser pour les autres composantes du dispositif. En tous cas, l'ANCT y est plutôt favorable.

Autre recommandation : la mobilisation de l'Agence nationale des fréquences (ANFR). Disposant d'un réseau d'experts, elle peut construire des modèles de propagation des opérateurs. Il n'est pas inutile non plus que les équipes projets puissent ponctuellement recourir à l'expertise de l'ANFR, ne serait-ce que pour porter, en tant que tiers indépendant, un regard différent et critique sur ce que proposent les opérateurs.

Le contrôle des déploiements est assuré par l'Arcep. L'ANCT, elle, se mobilise pour le déploiement et a mis en place à cette fin notamment une plateforme de signalement des difficultés à destination des opérateurs pour qu'ils puissent nous indiquer les cas où l'échéance réglementaire risque de ne pas être tenue. Les données ainsi recueillies sont transmises à l'Arcep pour lui permettre d'agir comme elle le juge.

S'agissant de l'allocation des dotations, le New Deal vise 5 000 sites, soit, annuellement, entre 600 à 800 sites. Le comité de concertation France Mobile, l'un des comités de pilotage du New Deal mobile, propose au ministre une clé de répartition des dotations. Les critères retenus sont des critères de population, de surface, de relief, ainsi que les signalements faits par les maires sur la plateforme France Mobile.

Quelques critères ont été retenus par le comité, notamment une règle minimale : au moins cinq sites par opérateur et par an par équipe projet. D'une année à l'autre, les données de couverture mobile évoluent et donc une équipe projet peut voir sa dotation éventuellement diminuer. Le comité a ainsi défini une règle d'amortissement afin d'empêcher toute réduction sur plus d'un site d'une année à l'autre.

Le comité s'est demandé, comme vous, si dans cette deuxième phase du dispositif de couverture ciblée, il ne fallait pas se réinterroger sur ces règles. C'est dans cette optique que les propositions de la Cour des comptes seront étudiées. Ces travaux devraient aboutir au début de 2023.

M. Arthur Dreyfuss, président de la Fédération française des télécoms . - Le New Deal représente un changement de paradigme dans l'appréhension de l'aménagement numérique du territoire. Il continue de produire des effets tangibles dans l'accélération de la couverture mobile en 4G sur l'ensemble du territoire.

Ce changement de paradigme implique l'État, les collectivités locales, mais également les opérateurs. Nous sommes désormais entrés dans une phase de déploiement industriel pour réduire les zones blanches de la téléphonie mobile. Les opérateurs télécoms sont engagés dans de lourdes politiques d'investissements : plus de 93 milliards d'euros dans les réseaux fixes et mobiles au cours des dix dernières années, dont 11,5 milliards d'euros l'année dernière. Cela se traduit par une amélioration tangible de la couverture numérique du territoire.

Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des mesures du New Deal mobile. Toutefois, on peut réfléchir à la meilleure manière d'accélérer et de sécuriser le déploiement des infrastructures. L'accélération de la couverture mobile se trouve en effet retardée par des règles d'urbanisme parfois contraignantes et surtout par la multiplication d'oppositions locales à toute implantation d'antennes-relais de téléphonie mobile. Vous pouvez compter sur les opérateurs télécoms pour poursuivre le travail de pédagogie aux côtés des élus et de l'État : la couverture mobile du territoire passe nécessairement par l'implantation d'antennes.

Le chantier du New Deal est encore long, avec 1 000 pylônes du dispositif de couverture ciblée construits sur les 5 000 prévus, sans compter la densification des réseaux sur les axes de transports. Les blocages et difficultés de déploiement doivent donc être levés.

La mutualisation, en France, est plus avancée que dans les autres pays européens, en partie grâce au New Deal mobile. La France a fait le choix de la concurrence par les infrastructures, qui permet aux opérateurs de se différencier en matière de niveau de couverture mobile et donc de qualité de service au profit des citoyens.

Quelques chiffres sur la mutualisation des réseaux : 1,85 antenne par support, tous opérateurs confondus ; 70 % des antennes des opérateurs de la Fédération française des télécoms mutualisées ; près de 3 antennes par support pour les opérateurs de la FFT.

La mutualisation, c'est la pierre angulaire de ce New Deal mobile. Le dispositif de couverture ciblée prévoit l'obligation de mutualisation des réseaux à quatre opérateurs pour tout nouveau site construit. Les opérateurs de la FFT favorisent le partage d'infrastructures réduire les coûts et les délais de construction. Néanmoins, la mutualisation n'est pas toujours possible pour des raisons techniques ou d'exposition.

Nous sommes très réservés quant à une évolution de la législation vers plus de contraintes en matière de mutualisation, notamment au regard du cadre européen, de nos obligations dans le New Deal mobile, du contenu de nos licences et du principe sacro-saint de la concurrence par les infrastructures qui permet aux Français de bénéficier des prix les plus avantageux en Europe.

Nous attendons depuis de nombreuses années une réforme de l'IFER. L'IFER radio représente une ponction croissante sur la capacité d'investissement des opérateurs. L'objectif initial de la réforme de 2010 était de compenser la perte des recettes perçues par les collectivités en raison de la suppression de la taxe professionnelle. En 2011, cela représentait 125 millions d'euros, contre 238 millions d'euros en 2020. Sans réforme, l'IFER doublera d'ici à 2026 pour atteindre plus de 460 millions d'euros. Cela affectera nos capacités d'investissement.

L'IFER radio n'est manifestement plus adaptée au modèle économique du secteur des télécoms et à l'attente de nos concitoyens. Une réforme assujettissant les pylônes et les points hauts plutôt que les technologies serait conciliable avec les exigences de lisibilité, de prévisibilité et de sécurité juridique de cet impôt tout en garantissant les recettes des collectivités territoriales.

Nous appelons de nos voeux la présentation aux parlementaires du rapport du gouvernement relatif à l'IFER mobile remis au Parlement récemment. Avant de s'interroger sur l'opportunité d'un New Deal 2, évaluons les résultats du New Deal actuel, dont les résultats sont tangibles quant à l'amélioration de la couverture mobile, et le seront jusqu'en 2026.

M. Hervé Maurey . - Je me réjouis que la Cour des comptes ait repris un certain nombre des remarques que le Sénat formule depuis longtemps : le modèle de déploiement a délaissé les zones rurales ; la différence entre le taux de couverture théorique et le taux de couverture réel.

Le New Deal est positif. Le plus important n'est pas de transformer les pylônes 3G en 4G, mais d'apporter de la couverture là où il n'y en a pas.

Mme la rapporteure spéciale a eu raison de dire que le Parlement était totalement dessaisi, non seulement sur ce New Deal , mais sur toutes les politiques de couverture numérique des territoires - fibre, téléphonie mobile. Les organismes de concertation comme France Mobile ne comptent aucun parlementaire. J'y siège en tant que représentant de Régions de France, notre collègue Patrick Chaize y siège en tant que représentant d'une association d'élus locaux, l'Avicca. Il faudrait y remédier.

Le nombre de pylônes attribués ne permettra pas de régler le problème. Dans l'Eure, on a identifié environ 50 sites qui ne sont pas couverts, et ce n'est pas en installant huit pylônes par an qu'on va y arriver d'ici à 2027.

Par ailleurs, on décide l'installation de pylônes sans diagnostic réel de la situation du territoire, en fonction des évaluations des opérateurs eux-mêmes. J'en ai encore eu la preuve récemment, des maires de mon département m'ayant signalé dix-sept zones non couvertes, sans que l'État y trouve quoi que ce soit à dire.

Dernier point, j'ai demandé de nombreuses fois que l'on puisse offrir aux élus et aux administrés une visibilité sur un calendrier de déploiement, à l'image de ce qui se fait pour la fibre. Actuellement, ce n'est pas possible. Il faut en finir avec cette installation de pylônes au fil de l'eau.

M. Vincent Segouin . - Je souscris aux propos d'Hervé Maurey. Dans l'Orne, il existe une vraie différence entre la théorie et la réalité. Il est impossible de tenir une conversation de plus de deux minutes dans notre secteur, contrairement à ce que tend à indiquer la carte de couverture.

J'ai appris récemment que le réseau propre qu'utilisent la gendarmerie et les pompiers disparaîtra en 2024. Or le déploiement de la couverture mobile est prévu jusqu'en 2027. Est-ce à dire qu'entre 2024 et 2027 il sera impossible d'assurer la sécurité de nos concitoyens ?

M. Jérôme Bascher . - Je m'associe aux propos d'Hervé Maurey. Vous avez privilégié l'approche pécuniaire plutôt qu'un véritable aménagement du territoire. Quand on regarde la réalité des territoires, elle diffère des cartes officielles de l'Arcep. Dans les faits, on constate un écart important entre les zones blanches et les zones gris clair, prétendument couvertes. Ce retard n'est finalement pas sanctionné. Or il s'agit d'argent public, et, sur ce point, monsieur Weill, je ne suis pas d'accord avec vous : en renonçant à 3 milliards d'euros de redevances, vous avez en réalité fait de l'aide à l'investissement au profit des opérateurs, qui n'avaient pas prévu de réaliser ces investissements. Voilà le modèle économique qui était à l'oeuvre. Pour faire de l'aménagement du territoire, on a renoncé à 3 milliards d'euros de recettes. Au Sénat, nous pouvons le comprendre, à condition que ce soit bien de l'aménagement du territoire et non pas de l'aménagement des métropoles, des grandes villes ou d'endroits où, par nature, la rentabilité est assurée.

Alors que la pose d'un pylône coûte environ 250 000 euros et que les engagements chiffrés des opérateurs ne portent que sur 5 000 pylônes qui sont presque tous mutualisés, on pourrait avoir l'impression que les opérateurs sortent gagnants d'un dispositif qui leur fait bénéficier d'une compensation financière de près de 3 milliards d'euros. Ainsi, combien de pylônes seront-ils déployés, au total, au titre du New Deal ?

M. Stéphane Sautarel . - Je souscris pleinement à ce qui a été dit par mes collègues précédents.

Première remarque : l'écart entre la réalité du terrain et la théorie. Cet écart non seulement suscite beaucoup d'incompréhension chez nos concitoyens, mais, de surcroît, on enregistre des reculs dans la couverture de nos territoires pour des raisons techniques mal perçues.

Deuxième remarque : les collègues qui se sont exprimés avant moi sont des élus de départements au relief plat. Même si, dans ces départements, les besoins existent toujours, la couverture a progressé considérablement ces dernières années. Or c'est loin d'être le cas dans les territoires de moyenne montagne comme le Cantal.

Troisième remarque, nous nous inquiétons des écarts grandissants entre les territoires. Non seulement il reste des besoins non satisfaits au regard du calendrier prévu par le New Deal, mais encore on peut craindre des retards et des écarts considérables, d'autant qu'on a le sentiment de courir en permanence derrière la technologie. À l'échéance de 2027, on n'en sera plus à la 4G ! Il faut donc d'ores et déjà s'engager dans un déploiement qui ne réponde pas seulement aux besoins de la 4G.

Quatrième remarque : les difficultés d'itinérance. L'A89, entre Clermont-Ferrand et Lyon, n'est aujourd'hui absolument pas couverte. C'est surprenant pour un axe reliant deux métropoles d'une même région.

Cinquième remarque : il reste des interrogations sur l'avenir des pylônes qui étaient loués à TéléDiffusion de France (TDF) et sur leur utilisation future, avec le risque d'installations de nouveaux pylônes à côté de ceux-ci.

Dernière remarque : il reste des interrogations quant aux priorités de déploiement de ces pylônes- équité ou égalité de traitement ?

M. Bernard Delcros , président . - Monsieur Charpy, vous avez beaucoup insisté sur la fracture numérique, craignant que la 5G n'en crée une nouvelle. La fracture numérique est due au fait que les opérateurs ont investi prioritairement dans les territoires à forte densité de population. Les technologies évoluant en permanence, que faudrait-il faire pour éviter de devoir toujours courir derrière les progrès technologiques et équiper l'ensemble des territoires au même rythme ? Il faut tenir compte de l'expérience passée pour ne pas créer à chaque nouveau progrès technologique un nouveau retard et donc une nouvelle fracture.

Dans le cadre de l'acte II de la loi Montagne de 2016, nous avions voté une exonération de trois ans de l'IFER pour faciliter les investissements dans les territoires de montagne. Cette exonération a-t-elle eu un effet réel sur l'installation de nouveaux pylônes ou de nouvelles infrastructures dans ces territoires ?

Vous avez indiqué que la mutualisation des équipements n'était pas une réussite totale. Quels leviers faudrait-il actionner pour la favoriser ?

M. Christian Charpy . - L'écart entre les schémas théoriques de diffusion et de réception et la réalité ressentie du terrain est frappant. La suggestion de la présidente de l'Arcep, à savoir accroître la mobilisation des données issues du grand public, va dans le bon sens. Toujours est-il qu'il faut présenter les schémas de réception avec plus de prudence.

S'agissant des documents budgétaires, je me souviens qu'il existait auparavant un compte d'affectation spéciale « hertzien » : en recettes, les recettes de redevance ou d'enchères ; en dépenses, ce à quoi ils étaient utilisés, notamment les programmes militaires. Dans le cadre des voies et moyens, il doit être possible de faire mieux apparaître ces redevances, mais aussi les décisions de l'administration qui conduisent à réduire celles-ci et le montant des pertes qui en résultent. De même, la Cour, tout comme le souhaite l'Arcep, recommande de mieux évaluer l'impact des investissements réalisés.

S'agissant de la spéculation sur les pylônes, la loi devrait bientôt obliger à disposer du mandat d'un opérateur pour négocier un bail, mais la question se pose effectivement pour leur renouvellement. Faudra-t-il allonger les baux, encadrer les loyers ? La Cour n'a pas la réponse, mais il est clair qu'il faut examiner de près ce point, pour trouver la meilleure solution.

L'évaluation précise des besoins en pylônes pour assurer la couverture complète du territoire demande, me semble-t-il, qu'on élargisse les missions des équipes projets. La solution passe aussi par plus de mutualisation et par le changement de la règle d'allocation des pylônes, car la dotation minimale de 5 sites consolide la présence sur certains territoires, au détriment d'autres territoires.

Nous savons que le choix a été fait d'inciter et non pas de contraindre à mutualiser. Cependant, au vu des besoins non couverts et de l'insuffisante mutualisation, je crois que la voie réglementaire devra s'imposer.

Les règles actuelles de l'IFER sont perfectibles, il faut examiner les avantages d'un système par pylône, mais sans négliger son impact financier, qui n'est pas anodin. Je ne connais pas l'effet précis de l'exonération de l'IFER en montagne, faute d'évaluation sur ce point.

Mme Laure de la Raudière. - L'Arcep n'est pas opposée à la mutualisation, nous l'avons même encouragée en zone rurale, nous sommes à l'écoute des solutions pour la renforcer. Je suis bien consciente des différences qu'il y a entre la carte de couverture et le ressenti des utilisateurs, j'en ai l'expérience pratique. Pour la 3G, nous avons distingué trois niveaux de couverture pour la voix et les SMS : limité, quand le réseau passe mal ; bonne qualité, quand il passe à l'extérieur, mais pas toujours bien à l'intérieur des bâtiments ; et très bonne qualité, quand la connexion est bonne à l'intérieur comme à l'extérieur des bâtiments. Pour la 4G, nous n'avons qu'un seul niveau à évaluer de la couverture, qui mesure la connexion à l'extérieur des bâtiments ; nous savons que ce n'est pas l'usage qu'en ont les citoyens, qui attendent du réseau qu'il passe à l'intérieur des bâtiments avec un bon débit ; nous réfléchissons au bon référentiel sur la 4G. Toutefois, c'est difficile parce que la qualité dépend en pratique du nombre d'utilisateurs simultanés sur une antenne.

Le raisonnement par le nombre d'antennes et par le prix des pylônes est partiel, car, pour mesurer les coûts d'ensemble, il faut ajouter d'autres investissements, comme ceux de la 4G fixe : c'est ce que nous voulons faire fin 2022 pour un bilan d'étape du New Deal .

Enfin, nous sommes très favorables à un encadrement réglementaire pour limiter la spéculation.

M. Bernard Delcros , président . - Monsieur Dreyfuss, savez-vous quel a été l'effet des exonérations sur l'installation de pylônes en montagne ?

M. Arthur Dreyfuss. - Il faudrait regarder précisément les chiffres par année, je ne les ai pas ici, mais je vous les communiquerai ; en tout cas, je sais que nous avons beaucoup d'installations de pylônes en zones de montagne depuis cette exonération.

Nous sommes très prudents sur l'idée d'établir une norme de très haut débit minimal, une carte précise des débits effectifs parait peu réaliste, car l'internet mobile est toujours partagé entre des clients, donc le débit effectif dépend de la charge et de la localisation sur le réseau. Nous sommes favorables à plus de transparence, mais veillons à ne pas tomber dans des travers.

M. Zacharia Alahyane. - Je veux souligner l'importance de la prévisibilité pour les équipes projets : il faut donner de la visibilité, même sur deux ans seulement et avec prudence, c'est cela qui permet de prioriser entre les équipes projets.

Un recul de la couverture est effectivement constaté ici ou là, il n'est pas logique puisque le niveau d'équipement progresse et il tient le plus souvent à des travaux ou des opérations de maintenance sur des pylônes. C'est pourquoi nous conseillons, lorsque cela se produit, d'alerter aussitôt l'équipe projet pour qu'elle se tourne vers l'opérateur, qui peut alors faire le nécessaire ou expliquer ce qui se passe.

Les critères de répartition des dotations sont : la population sans bonne couverture dans le département, la taille de la zone sans bonne couverture, le nombre de communes de montagne, et le signalement des élus. Les régions les plus dotées sont l'Occitanie et l'Auvergne-Rhône-Alpes, ce qui est assez logique puisque c'est en zone de montagne que la propagation des ondes est la plus compliquée.

M. Mathieu Weill. - Le dispositif de couverture ciblée est un produit d'appel très visible, mais les opérateurs ont des obligations pour la couverture, en particulier celle des axes routiers prioritaires, pour un service effectif dans les véhicules, il faut considérer l'ensemble du New Deal . En réalité, les opérateurs construisent un nouveau réseau national, avec 12 000 à 16 000 pylônes sur le territoire. Ensuite, la question se pose d'une « course à échalote » : à mesure que la technologie avance, il faudrait tout recommencer pour la couverture 5G. En fait, il faut partir des besoins de la population, ceux d'une communication par la voix, des SMS et des données, donc le besoin de pouvoir utiliser un service de données : précisément, dans les attributions de fréquence 5G, il y a en parallèle une obligation de fournir une capacité de données suffisante.

Enfin, le ministère de l'intérieur projette de basculer les réseaux actuels de sécurité - ceux des pompiers, des services de secours -, des réseaux qui sont très locaux et posent des problèmes opérationnels, sur un réseau unique et national : je ne doute pas que le ministère de l'intérieur s'assurera que ce réseau couvre l'intégralité du territoire.

M. Jérôme Bascher . - J'ai vu il y a cinq ans déjà que la box fibre était tout à fait suffisante pour les SMS et la voix : pourquoi cette technologie n'est-elle pas retenue ?

Mme Laure de la Raudière. - Les opérateurs, dans le cadre du New Deal , ont obligation de permettre de recevoir ses appels sur WiFi, c'est en cours, un opérateur doit encore le faire. Il y a donc continuité, à partir du moment où l'on possède un téléphone récent.

M. Mathieu Weill. - Toutes les box sont compatibles, mais il faut, effectivement, un téléphone récent.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Ce rapport et notre débat montrent bien la réalité du terrain : les questions viennent des territoires situés dans des départements à dominante rurale, où il y a du relief. Nous le savons depuis longtemps, les réseaux sont un enjeu d'aménagement du territoire, les choses avancent lentement. J'ai constaté, encore dimanche dernier en sortant d'un village à 10 kilomètres d'Annecy, que deux pylônes se faisaient face sur une route départementale, à environ 40 mètres l'un de l'autre, ce n'est pas normal - je crois qu'on devrait taxer les opérateurs pour les inciter à travailler de concert...

Nous manquons de coordination, Hervé Maurey l'a bien dit. Avec les moyens techniques dont les opérateurs disposent, il ne devrait pas être si difficile d'avoir une cartographie en temps réel du réseau, en fonction des ajouts et des retraits, et nous devrions décider des choses au vu de ces données, en les examinant par exemple dans des conférences départementales. À vous écouter, tout est possible, mais dans les faits, nous ne sommes pas toujours bien reçus par les opérateurs, y compris les parlementaires - il faut y faire attention, car ces difficultés s'ajoutent au sentiment du déclassement, et la juxtaposition des cartes faisant apparaître les failles dans les infrastructures routières, ferroviaires, numériques, révèle aussi la France des « gilets jaunes », celle qui a le sentiment de n'être pas entendue.

Merci pour vos contributions, nous allons regarder comment les mettre en perspective avec les enjeux de demain, pour améliorer la couverture, mais aussi la qualité des réseaux, du débit, et imaginer ensemble des solutions. On dépense beaucoup, parfois sans coordonner - c'est peut-être une mission pour l'ANCT, de mieux faire converger les énergies afin de réduire la fracture numérique mobile.

À l'issue de ce débat, en application de l'article 58 paragraphe 2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes en annexe à un rapport d'information de M. Thierry Cozic et Mme Frédérique Espagnac, rapporteurs spéciaux.

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