EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le 29 septembre 2021 pour l'examen du présent rapport.

M. Jean-François Rapin , président. - Dans le contexte actuel, il était très compliqué de porter à bien le projet d'une résolution européenne émanant de notre commission sur le sujet du Pacte.

Lundi dernier, au cours d'un échange avec Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, en charge des Affaires européennes, lors d'une réunion du comité des élus qu'il a constitué pour préparer la Présidence française du Conseil de l'Union européenne, notre collègue Didier Marie avait posé une question relative aux perspectives des négociations du Pacte. Le ministre n'a pas su répondre clairement à cette interrogation. L'objectif initial du Gouvernement était de clore ce dossier durant la Présidence française mais il semble aujourd'hui prendre conscience qu'il n'y parviendra pas.

Moins d'un an auparavant, à l'automne 2020, je vous rappelle que nous avions auditionné le vice-président de la Commission européenne, Margarítis Schinás, dont les propos sincères se trouvent aujourd'hui un peu éloignés de la réalité, puisqu'il considérait à l'époque que le Pacte pouvait être adopté durant la Présidence française.

Clément Beaune nous fait valoir qu'avec des mesures techniques, la France va pouvoir avancer « pas-à-pas ». La seule vraie interrogation aujourd'hui par rapport à la disparité des flux qui s'annoncent, notamment sur la route orientale et en raison des conséquences potentielle de la crise afghane, concerne la prise en compte de ces situations nouvelles par les dispositions du Pacte. En l'état, les mesures « pas-à-pas » et les mesures techniques avancées par le ministre ne permettraient sans doute pas de répondre à une situation de pression migratoire plus importante.

Par ailleurs, lors d'un entretien avec le préfet de mon territoire, ce dernier m'expliquait qu'il y avait une flambée des flux migratoires à travers la Manche. Nous avons constaté une forte augmentation, de 8 000 à 26 000 traversées en moins d'un an. Derrière cette augmentation, il y a, sur le terrain, la nécessité de mettre en place des dispositifs sécuritaires, sanitaires et d'accueil, dans des zones où la densité de population est déjà très importante. On touche là à des phénomènes qui ont une dimension humaine et il faut en tenir compte. Je le dis avec sincérité. J'ai été maire d'une commune sur laquelle est implanté un centre qui accueille de jeunes migrants ainsi que des mères de famille. Je vois ces migrants sur les routes : ils ont souvent « leur vie dans un sac plastique ». Malgré tout, il existe une immigration qu'on ne peut pas accepter sans limites ni cantonner dans certains États membres et pas dans les autres.

L'une des voies pour répondre à ces problématiques est la diplomatie parlementaire. L'échange d'hier avec mon homologue lituanienne en a été un bel exemple.

M. Franck Menonville . - Merci à nos rapporteurs pour ces précieuses informations. J'ai bien noté que les évènements afghans et la chute de Kaboul n'avaient pas engendré, pour l'heure, une augmentation massive des flux migratoires irréguliers vers l'Union européenne.

J'ai également noté que les flux migratoires irréguliers repartaient à la hausse en provenance du sud de l'Union européenne. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur cette évolution ? Car, sur le terrain, je n'ai rien constaté.

Enfin, je voudrais savoir si, selon nos rapporteurs, l'agence européenne Frontex est assez dimensionnée pour faire face aux défis migratoires actuels. Plusieurs critiques ont en effet été émises au cours des derniers mois sur son action.

Mme Marta de Cidrac. - Cette restitution de nos rapporteurs était exhaustive. Je voudrais vous faire partager une observation : en tant que présidente du groupe d'amitié sénatorial sur les Balkans occidentaux, je me suis rendue récemment sur place et j'ai constaté que les autorités locales menaient actuellement des campagnes générales de recensement de leur population. Pourquoi ? Parce que les jeunes ressortissants de ces États quittent leur pays pour aller tenter leur chance, en Allemagne principalement, mais également en France. Ces pays se vident de leurs ressources humaines. Il s'agit d'un vrai enjeu pour la stabilité des Balkans occidentaux.

Par ailleurs, je vous confirme que ces pays, qui sont situés sur l'une des routes migratoires vers l'Union européenne, observent avec préoccupation l'évolution de la crise afghane.

M. Jean-Yves Leconte , co-rapporteur . - Concernant Frontex, je veux d'abord rappeler que, récemment, l'agence a obtenu un mandat élargi et des moyens complémentaires, mais qu'elle n'a pas été destinataire de l'ensemble des moyens promis par l'Union européenne pour qu'elle puisse mener ses actions. L'agence doit aussi poursuivre ses recrutements en personnels.

Comme vous l'indiquiez, l'action de Frontex a fait l'objet de critiques. On l'a accusée en particulier d'avoir « couvert » ses agents qui auraient procédé à des actions de refoulement de migrants en mer Egée. Plusieurs de ces critiques ont été formulées par le Parlement européen. Au cours de ces derniers mois cependant, le Parlement européen est passé des critiques à la mise en place d'un contrôle parlementaire, ce qui est préférable.

Je voudrais également apporter quelques compléments sur les flux migratoires irréguliers : on peut constater, sur les huit premiers mois de 2021, une hausse de 64 % de ces flux par rapport à 2020. En Méditerranée centrale, les franchissements illégaux ont augmenté de plus de 90 % par rapport à 2020. En Méditerranée occidentale, l'augmentation est modérée (+ 14 %). Mais sur la route des Balkans occidentaux, au cours de cette même période, les flux ont doublé. Et à la frontière biélorusse, ces flux ont été multipliés par quinze ! On note également un regain de passages de migrants, de la Turquie vers la Bulgarie.

Enfin, en réponse à notre collègue Marta de Cidrac sur le départ en nombre des jeunes ressortissants des pays des Balkans occidentaux pour gagner l'Union européenne, je pense que l'absence de perspective crédible d'un élargissement de l'Union européenne à ces États est certainement l'une des causes majeures du départ de ces jeunes.

M. André Reichardt , co-rapporteur . - Je rejoins les propos de mon collègue Jean-Yves Leconte sur Frontex. Son directeur exécutif a d'ailleurs formellement rejeté les accusations portées contre son agence. Par ailleurs, Frontex est en phase de « montée en puissance » et certains moyens ont été manquants.

Concernant l'évolution des flux migratoires irréguliers, il y a effectivement une reprise des traversées par la Méditerranée centrale, le plus souvent par des ressortissants tunisiens attirés par la situation économique de l'Union européenne au regard de celle de leur pays. Il y a aussi de nombreuses tentatives de traversées depuis la Libye, mais la plupart des migrants sont rattrapés au large de la Libye - et, semble-t-il également dans les eaux internationales - par les garde-côtes libyens, qui sont d'ailleurs financés par l'Union européenne pour ces missions de surveillance.

Enfin, le renforcement des flux à destination des Canaries depuis l'Afrique subsaharienne est indéniable. Plusieurs facteurs expliquent cette hausse, en particulier, la fin de certaines contraintes de circulation liées à la pandémie, qui avaient de fait limité les possibilités de traversée pendant plusieurs mois, ainsi que la saison plus favorable aux traversées.

Mme Pascale Gruny . - Votre rapport est précis et utile sur un sujet qui occupe notre quotidien. Je voudrais poser deux questions aux rapporteurs : d'abord, le Pacte sur la migration et l'asile serait-il suffisant pour faire face à de nouvelles crises tout en marquant notre solidarité avec les États membres de première entrée ? À cet égard, il est nécessaire de prendre en considération la dimension humaine dans les réponses que nous apportons aux enjeux migratoires.

Par ailleurs, des sommes importantes ont été versées par l'Union européenne et ses États membres aux pays d'origine des migrants, mais avons-nous la certitude que cet argent est bien utilisé ? Pourquoi ne parvenons-nous pas à nous accorder avec ces pays pour organiser une immigration de personnes formées ?

M. François Calvet . - Je voulais vous faire partager une réflexion, dans un contexte où chacun constate que le populisme émerge de nouveau.

Non loin de chez moi, au col du Pertus, entre la France et l'Espagne, les autorités françaises ont posté des douaniers pour surveiller les franchissements de la frontière, alors qu'il existe 500 passages non surveillés dans les Pyrénées, pour aller d'Espagne en France. Pourquoi ne donnons-nous pas plutôt la priorité aux contrôles aux frontières extérieures de l'Union européenne ? À l'intérieur de l'Union européenne, au contraire, la libre circulation des personnes et des marchandises doit être la règle. C'est un acquis essentiel de l'Union européenne.

Je ne comprends pas pourquoi l'État disperse ses moyens. On veut rassurer l'opinion avec des décisions jacobines. Mais ce sont des mesures en « trompe l'oeil » !

M. Jean-Michel Houllegatte . - Je voulais réagir à votre présentation en tant que sénateur de la Manche, où siège la préfecture maritime compétente pour la zone concernée par les traversées de migrants vers le Royaume-Uni. Comme le rappelait le président de la commission, ces tentatives de traversées ont très fortement augmenté depuis un an.

C'est pourquoi, le 20 juillet dernier, les ministres de l'Intérieur français et britannique ont conclu un accord en trois points, prévoyant, à la fois, le renforcement de la contribution financière britannique pour soutenir les efforts de surveillance déployés par la France, une coopération renforcée dans la lutte contre les filières et les passeurs, et un engagement du Royaume-Uni à réduire l'attractivité de son régime d'asile avec la perspective d'un accord de réadmission des demandeurs d'asile déboutés.

M. Philippe Bonnecarrère. - Je voudrais à mon tour remercier les rapporteurs et vous prie de m'excuser par avance pour mon pessimisme sur les enjeux migratoires.

À dire vrai, ces enjeux sont tels que la mission de nos rapporteurs devrait être permanente. En effet, le dossier migratoire est, pour l'heure, sans solution. Beaucoup d'éléments, vous l'avez rappelé, sont contre nous, en particulier, les désaccords entre États membres au sein du Conseil et les difficultés de la procédure de co-décision avec le Parlement européen. Il nous faut donc demeurer en veille dans l'espoir d'une solution que l'on voit s'éloigner.

Je récuse, quant à moi, l'existence d'un lien automatique entre l'ouverture à l'immigration d'un pays et sa prospérité économique. Ce lien peut être avéré dans certains cas, à l'image de ces migrants iraniens et indiens de haut niveau scientifique qui gagnent les États-Unis, mais cet exemple ne peut pas être généralisé.

Concernant l'Afghanistan, il ne faut pas oublier que ce pays compte deux fois plus d'habitants que la Syrie. Donc, s'il y avait des mouvements migratoires vers l'Union européenne en provenance d'Afghanistan, ils seraient massifs. Mais ils prendraient du temps. Bien sûr, il faut s'accorder avec les pays voisins de l'Afghanistan pour qu'ils accueillent les Afghans qui quittent leur pays. L'Iran en accueille déjà plusieurs millions. Mais, lorsque l'on considère nos relations diplomatiques actuelles avec cet État, pensez-vous que nous pourrons trouver facilement un accord avec lui ?

Je voudrais aussi souligner que, sur le sujet migratoire, nous sommes au coeur du « maelström » des relations entre l'exercice du pouvoir régalien et l'Union européenne. En effet, la jurisprudence des Cours européennes sur les enjeux migratoires va être source de tensions croissantes. Car, à l'heure actuelle, des voix s'élèvent pour dire que la France ne devrait pas forcément appliquer le droit de l'Union européenne dans ce domaine. D'autres proposent d'organiser un référendum sur l'immigration et les réponses politiques à y apporter. Mais, dans cette hypothèse, le Conseil constitutionnel se réserverait la possibilité de vérifier la constitutionnalité du texte soumis au référendum.

Ce sujet doit donc être au coeur des réflexions de notre commission.

M. Jean-François Rapin , président . - Ce sujet est effectivement très important. Dans certains domaines régaliens, nous sommes à la croisée des chemins. Comme vous le savez, mon cher collègue, ce sujet a été évoqué lors de notre table ronde du 10 juin dernier, dont le thème de réflexion était « Pouvoir régalien et droit européen ». Et je vous confirme, mon cher collègue, que je suis favorable à votre demande de l'expertiser plus avant au nom de notre commission.

M. André Reichardt , co-rapporteur . - Je ne suis pas non plus très optimiste sur les suites de ce dossier. Notre collègue Pascale Gruny nous demandait si le Pacte sur la migration et l'asile pouvait permettre à l'Union européenne de faire face à une crise. Il le pourrait si le « filtrage » des migrants irréguliers était mis en place à la frontière et si le système Eurodac était interconnecté avec les fichiers de l'espace Schengen. Mais, en l'état, Eurodac ne fonctionne pas partout correctement.

Et certains États membres ne sont pas prêts à accepter la mise en place des procédures à la frontière prévues par le Pacte. L'Espagne et L'Italie sont restées passives lors de sa présentation. Ensuite, ces États ont analysé la réforme et ont jugé l'ensemble très décevant. Lorsque nous sommes allés à Bruxelles, notre interlocuteur de la représentation permanente espagnole auprès de l'Union européenne a précisé que les simulations transmises par la Commission européenne aux États membres sur le mécanisme de solidarité, qui prévoit, en situation de pression migratoire, un partage des relocalisations des demandeurs d'asile, n'étaient pas raisonnables. Ainsi, pour l'Espagne, sur 25 000 demandeurs d'asile accueillis en période normale, 58 seulement devraient être relocalisés dans un autre État membre.

Ces États membres ont indiqué avoir fait un geste de bonne volonté en acceptant d'adopter le règlement créant l'agence européenne de l'asile mais confirment qu'ils s'opposeront fermement aux autres dispositions de la réforme, si aucun renforcement de la solidarité européenne n'est décidé.

Nous avons par ailleurs eu confirmation par la directrice générale des affaires intérieures de la Commission européenne que ces États n'enregistraient pas toujours les migrants arrivant sur leur territoire.

Pour répondre à notre collègue François Calvet, je souhaite rappeller que la protection des frontières extérieures de l'Union européenne est l'objet même des règles de l'espace Schengen. En théorie, il ne devrait pas y avoir de contrôles aux frontières intérieures entre États membres. Or la France, en pratique, a rétabli de tels contrôles depuis 2015. Il faut donc travailler au rétablissement d'une situation où des contrôles efficaces aux frontières extérieures de l'Union européenne permettent la levée des contrôles aux frontières intérieures.

Concernant le soutien financier destiné aux pays d'origine pour empêcher les flux migratoires irréguliers, il faut constater malheureusement que l'évaluation de l'utilisation des fonds européens demeure insuffisante. En outre, même si une aide financière existe, on n'empêchera pas certains ressortissants de ces pays d'avoir envie de venir vivre dans l'Union européenne.

Sur les engagements pris par le Royaume-Uni récemment, en particulier sur sa volonté de réduire son attractivité pour les demandeurs d'asile, je dois avouer que j'ai des doutes sur sa chance d'y parvenir. Le Royaume-Uni n'est plus dans l'Union européenne, le règlement « Dublin III » n'est donc plus applicable, et il faut effectivement un accord sur les retours.

M. Jean-Yves Leconte , co-rapporteur . - Depuis 2015, des choses ont été faites par l'Union européenne et ses États membres pour le contrôle des frontières extérieures, en particulier avec l'interopérabilité croissante des bases de données, l'élargissement du mandat de Frontex et la mise en place prochaine du système d'autorisation préalable de voyage pour les ressortissants de pays tiers non soumis à visa, ETIAS. Les entrées irrégulières sont ainsi plus faibles qu'en 2015-2016.

L'Union européenne est donc la solution et les « gesticulations nationales » sont les problèmes. Et disons-le clairement : cela ne sert à rien de discuter du Pacte sur la migration et l'asile si l'on souhaite obtenir une option de retrait, ou « opt out », dans l'application des règles migratoires européennes. La question de la solidarité européenne est toujours posée puisqu'en réalité, la France ne veut pas être réellement solidaire de l' Italie: elle souhaite surtout limiter au maximum les mouvements secondaires de demandeurs d'asile.

Sur le Royaume-Uni, étant donné que ce dernier n'est plus membre de l'Union européenne, il ne peut plus nous renvoyer les migrants déboutés du droit d'asile. Le régime d'asile britannique demeure donc très attractif aujourd'hui, car les migrants qui ont réussi la traversée de la Manche savent qu'on ne pourra pas les renvoyer sur le continent.

En conclusion, le soutien financier au développement des pays d'origine et de transit est la bonne solution pour limiter les flux migratoires irréguliers, à moyen et long termes. Mais, lorsque ce choix est fait, il faut ensuite être prêt et résilient. Car, lorsqu'un pays se développe, dans la phase initiale, les catégories de la population qui réussissent et qui sont les mieux informées ont toujours envie de partir pour aller vivre ailleurs.

Or, nous sommes trop souvent dans la gesticulation. En effet, l'essentiel pour les États membres est de récupérer les laissez-passer consulaires. On préfère ainsi payer aux ministres de l'Intérieur des pays d'origine des laissez-passer consulaires plutôt que de mener une politique de développement et de coopération transparente sous le contrôle du Parlement européen. Je le déplore. Il faut pouvoir résoudre ce problème sur le long terme et ne pas dépendre de nos voisins.

La commission des affaires européennes autorise la publication du rapport d'information présenté par les rapporteurs.

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