Rapport d'information n° 177 (2021-2022) de MM. Jean-Michel ARNAUD et Roger KAROUTCHI , fait au nom de la MCI Effets des mesures en matière de confinement, déposé le 18 novembre 2021

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N° 177

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 novembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission commune d'information destinée à évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d'activités (1) relatif aux enseignements de la quatrième vague épidémique outre-mer en matière sanitaire et économique ,

Par MM. Jean-Michel ARNAUD et Roger KAROUTCHI,

Sénateurs

(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. Bernard Jomier, président ; MM. Jean-Michel Arnaud, Roger Karoutchi, rapporteurs ; Mme Esther Benbassa, M. Henri Cabanel, Mme Laurence Cohen, MM. Martin Lévrier, Franck Menonville, Mmes Sophie Primas et Sylvie Robert, vice-présidents ; MM. Michel Laugier et Olivier Paccaud, secrétaires ; Mme Catherine Deroche, MM. Fabien Genet, Olivier Henno, Mme Muriel Jourda, MM. Alain Milon, Sebastien Pla et Mme Évelyne Renaud-Garabedian.

AVANT-PROPOS

La quatrième vague épidémique liée au variant delta a particulièrement affecté les outre-mer.

L'état d'urgence sanitaire, en vigueur en Guyane depuis le mois d'octobre 2020, a été successivement étendu à La Réunion et en Martinique le 14 juillet 2021, en Guadeloupe, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin le 29 juillet, en Polynésie française le 12 août et en Nouvelle-Calédonie le 9 septembre . Seuls Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon ainsi que Wallis-et-Futuna ont échappé à cette aggravation de la situation sanitaire.

Ce contexte a conduit la mission d'information destinée à évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d'activités, à la demande de M. le Président du Sénat, à analyser les causes de la flambée de l'épidémie dans ces territoires et à en mesurer les conséquences, tant au plan sanitaire qu'économique et social.

Les travaux conduits à compter du mois de septembre ont associé les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

La mission d'information a organisé une table ronde consacrée aux dimensions sanitaires et économiques de cette crise et procédé à l'audition de Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer.

Une délégation composée de Bernard Jomier, Jean-Michel Arnaud et Fabien Genet s'est rendue en Martinique et en Guadeloupe du 17 au 21 octobre. Avec les sénateurs des départements concernés, elle a rencontré les représentants de services de l'État, des élus locaux, des représentants des professionnels de santé et des acteurs économiques.

Enfin, les rapporteurs ont pu échanger par visioconférence avec des responsables et acteurs de Guyane, de La Réunion, de Mayotte, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française.

Le variant delta a provoqué une flambée épidémique sans précédent dans les territoires ultramarins qui, à eux seuls, représentent 30 % des décès liés au covid survenus en milieu hospitalier depuis l'été dernier. Dans plusieurs d'entre eux, les capacités hospitalières ont été saturées. Il convient de tirer les enseignements de cette crise, alors que le risque de rebond épidémique est élevé en raison de taux de vaccination encore très insuffisants.

La temporalité et la singularité de cette crise justifient également, au plan économique, des mesures de soutien adaptées à la situation de ces territoires où les perspectives de reprise économique sont encore incertaines.

I. LES ENSEIGNEMENTS D'UNE CRISE SANITAIRE SANS PRÉCÉDENT DEPUIS LE DÉBUT DE LA PANDÉMIE

A. FACE AU VARIANT DELTA, DES TERRITOIRES MOINS IMMUNISÉS ET UNE VAGUE ÉPIDÉMIQUE PLUS FORTE QUE DANS L'HEXAGONE

1. Des territoires moins touchés par les vagues précédentes, mais également moins vaccinés que l'hexagone

Amorcée dans l'hexagone au mois de juin 2021, la vague épidémique liée au variant delta s'est produite de manière échelonnée dans les territoires ultramarins : à La Réunion et en Martinique fin juin-début juillet en premier lieu, puis, tout au long du mois, dans les autres îles des Antilles et en Guyane. La Polynésie française a été touchée fin juillet et la Nouvelle-Calédonie début septembre. Mayotte a peu été affectée alors qu'au cours de l'été, cinq cas seulement étaient enregistrés à Saint-Pierre-et-Miquelon et aucun à Wallis-et-Futuna.

Les territoires atteints par cette nouvelle vague se trouvaient dans des situations diverses en termes d' immunité naturelle acquise par la population au cours des épisodes épidémiques précédents. Hormis en Guyane et à Saint-Barthélemy, le taux d'incidence cumulé depuis mars 2020 y était cependant très inférieur à celui de l'hexagone, particulièrement en Nouvelle-Calédonie, en Martinique, à La Réunion et en Guadeloupe.

Par ailleurs, comme l'a souligné le Conseil scientifique 1 ( * ) , si la 4 ème vague liée au variant delta a été, en France métropolitaine, moins importante que prévue, c'est en grande partie au succès de la vaccination en population générale qu'on le doit. Début juillet, la moitié de la population métropolitaine avait reçu une première dose de vaccin et un tiers disposait d'un schéma vaccinal complet. Or à l'exception de Saint-Barthélemy, les territoires ultramarins ont pour leur part affronté la propagation du variant delta, plus contagieux et plus virulent, avec des niveaux de vaccination très inférieurs à ceux de l'hexagone .

En Martinique , 15,7 % de la population seulement avait reçu une première dose début juillet, soit pratiquement 35 points de moins qu'en métropole. Lorsque la Guadeloupe et la Guyane ont été à leur tour concernées, la situation y était à peine moins défavorable - de l'ordre de 21 % de la population ayant reçu une première dose -, le taux montant à 26,2 % pour Saint-Martin . À La Réunion comme en Polynésie française , le taux de vaccination pour une première dose était d' environ 31 % , et donc de 20 points inférieur à celui de l'hexagone, lorsque la dernière vague est survenue. Enfin, ce taux atteignait 35 % en Nouvelle-Calédonie au début du mois de septembre.

2. Une population globalement plus vulnérable en raison de ses caractéristiques de santé

Alors que l' âge constitue un facteur de risque majeur de covid-19 grave ou de décès lié à cette maladie, la structure démographique des outre-mer joue plutôt favorablement dans le sens d'une moindre exposition. Si les plus de 60 ans représentent 27 % de la population hexagonale, leur proportion est inférieure à 20 % dans la plupart des territoires ultramarins et elle n'est que de 9 % en Guyane et de 4 % à Mayotte. La Guadeloupe et la Martinique font exception, avec une part des plus de 60 ans équivalente - et même supérieure en ce qui concerne la Martinique - à celle de l'hexagone.

En revanche, plusieurs comorbidités associées à un risque grave de covid-19 sont beaucoup plus présentes outre-mer qu'en moyenne nationale.

C'est le cas du surpoids qui concerne entre 65 et 70 % de la population adulte en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, et entre 55 et 60 % en Martinique et en Guadeloupe, contre 47 % seulement de la population dans l'hexagone. Des écarts très sensibles se retrouvent de manière analogue dans la prévalence de l' obésité (17 % de la population adulte dans l'hexagone, mais 23 % en Guadeloupe 28 % en Martinique et près de 40 % en Polynésie française).

De même, l' hypertension artérielle présente une prévalence plus élevée outre-mer, tout comme le diabète traité (5 % dans l'hexagone, 8 à 10 % outre-mer).

3. Une surmortalité dramatique aux Antilles et en Polynésie française, très élevée en Nouvelle-Calédonie et en Guyane

Plus de 30 % des décès en milieu hospitalier liés au covid depuis le début de la 4 ème vague sont survenus dans les territoires ultramarins alors que ceux-ci ne représentent que 4 % de la population nationale et que jusqu'alors, ces mêmes territoires n'avaient représenté que 3 % de ces décès.

C'est aux Antilles et en Polynésie française que la vague épidémique de l'été 2021 a été la plus violente. À elle seule, elle a très largement dépassé, par son ampleur et ses conséquences, le bilan des quinze premiers mois de l'épidémie dans ces territoires, de mars 2020 à juin 2021.

? Les collectivités antillaises

Au cours du mois d'août, le taux d'incidence est monté jusqu'à 1 200 cas pour 100 000 habitants en Martinique, 2 340 en Guadeloupe, 600 à Saint-Martin et plus de 1 600 à Saint-Barthélemy 2 ( * ) .

Ainsi que l'a exposé à la délégation de la mission d'information le docteur Bruno Jarrige, directeur médical de crise au CHU de Guadeloupe, cette 4 ème vague a été, en termes de cas positifs, quatre fois supérieure en Guadeloupe et cinq fois supérieure en Martinique, au cumul des deuxième (automne 2020) et troisième vagues (printemps 2021). Par rapport au cumul des deux vagues précédentes, l'impact a été :

- en termes d'hospitalisations, 3 fois supérieur en Guadeloupe et 6 fois supérieur en Martinique ;

- en termes de patients en réanimation, 3 fois supérieur en Guadeloupe et 4 fois supérieur en Martinique ;

- en termes de décès hospitaliers, 4 fois supérieur dans les deux départements.

Comme l'illustre le graphique ci-dessus, le nombre de décès hospitaliers liés au covid-19 pour 100 000 habitants a rejoint et très nettement dépassé celui de l'hexagone en l'espace de quelques semaines , alors qu'il lui était resté notablement inférieur jusqu'au début de l'été 2021 dans les deux départements.

Sur les mois de juillet à octobre 2021, de l'ordre de 580 décès hospitaliers liés au covid ont été enregistrés en Guadeloupe et 620 en Martinique . Pour donner la mesure du choc subi par ces deux départements, il faut souligner qu' une mortalité de même ampleur dans l'hexagone aurait entraîné plus de 100 000 décès hospitaliers alors que moins de 5 000 ont été enregistrés sur la même période.

Encore ne sont ici comptabilisés que les décès en milieu hospitalier, et non ceux survenus à domicile.

Selon les données encore provisoires publiées par l'Insee, sur la période allant du 1 er juin au 18 octobre 2021, le nombre de décès enregistrés est supérieur de 73,2 % en Guadeloupe et de 67,7 % en Martinique à celui mesuré sur la même période en 2019, alors que cette surmortalité est de l'ordre de 3 % pour la métropole 3 ( * ) .

À Saint-Barthélemy , 3 décès ont été enregistrés à l'hôpital entre juillet et octobre 2021, mais sur la même période, 35 l'ont été à Saint-Martin (certains patients originaires de l'île étant en outre décédés au CHU de Guadeloupe où ils avaient été transférés), soit un taux de mortalité équivalent aux deux-tiers de celui, extrêmement élevé, constaté en Guadeloupe.

? La Polynésie française

La Polynésie française , déjà fortement affectée à l'automne 2020, s'est trouvée dans une situation comparable à celle des départements antillais.

Dans la seconde quinzaine d'août, le taux d'incidence y a dépassé les 2 800 cas pour 100 000 habitants, et même 3 300 aux îles Sous-le-Vent. Au plus fort de cette vague épidémique, le nombre de patients hospitalisés en unité covid était près de trois fois supérieur à celui enregistré au plus fort de la vague de l'automne 2020 et quatre fois supérieur en ce qui concerne les réanimations.

Sur la période, 480 décès en milieu hospitalier étaient enregistrés 4 ( * ) , soit le triple de tous les décès hospitaliers liés au covid intervenus du début de l'épidémie jusqu'à l'été 2021 et un niveau de mortalité rapporté à la population analogue à celui constaté en Martinique. Le bilan est plus lourd encore si l'on prend en compte les décès survenus à domicile. Par rapport à la moyenne des décès des années 2015-2019, les données de l'état civil font apparaître une surmortalité de 346 % en août 2021 et de 182 % en septembre 2021, soit environ 650 décès supplémentaires 5 ( * ) .

? La Nouvelle-Calédonie

Au début du mois de septembre 2021, la Nouvelle-Calédonie avait enregistré 136 cas positifs depuis le début de l'épidémie, dont la moitié au printemps 2021. La vague liée au variant delta a été particulièrement brutale : le taux d'incidence est monté jusqu'à 1 200 cas pour 100 000 habitants et en deux mois, plus de 11 000 cas positifs ont été comptabilisés, pour une population de 270 000 habitants. Au plus fort de la crise, près de 60 patients se trouvaient en réanimation et 325 hospitalisés en unité covid. Au total, 267 décès hospitaliers ont été enregistrés, soit près de 100 décès pour 100 000 habitants et un taux de mortalité représentant les deux-tiers de celui, extrêmement élevé, ayant frappé les départements antillais et la Polynésie française.

? La Guyane

La Guyane , comme l'hexagone, a connu trois vagues épidémiques jusqu'au printemps 2021. La reprise épidémique liée à l'arrivée du variant delta est intervenue au mois d'août alors que les effets de la vague précédente, caractérisée très majoritairement par le variant gamma (ou « brésilien »), venaient à peine de s'atténuer.

Fin août, le taux d'incidence a dépassé les 500 cas pour 100 000 habitants. Si le niveau des hospitalisations a été légèrement inférieur à celui de la première vague, il a néanmoins atteint le plus haut de l'année 2021. Quant aux patients en réanimation, leur nombre a dépassé à deux reprises, au mois de juin puis au mois de septembre, celui atteint au plus haut de la première vague, au printemps 2020.

La fréquence des décès s'est accentuée dès la fin du mois de mai et du 1 er juillet au début du mois de novembre, près de 170 décès en milieu hospitalier ont été enregistrés, leur nombre ayant atteint des niveaux inégalés au mois de septembre. Dans son étude précitée l'Insee constate qu'en Guyane, « la hausse des décès est continue depuis la fin mai. En juin et juillet 2021, les décès sont supérieurs de 39 % à ceux survenus au cours des mêmes mois en 2019. La hausse s'accélère en août (+ 73 %) et encore davantage en septembre (+ 119 %). Elle se maintient à un niveau élevé sur les 18 premiers jours d'octobre (+ 90 % entre 2019 et 2021) ».

? La Réunion

À La Réunion , le taux d'incidence a atteint au début du mois d'août des niveaux inédits depuis le début de l'épidémie (426 cas pour 100 000 habitants, contre 226 dans l'hexagone au plus haut de la 4 ème vague). Un point haut a également été atteint, au cours du mois d'août, en termes d'hospitalisations. Relativement peu affectée en 2020, La Réunion a vu sa situation sanitaire se dégrader au mois de février 2021. De mars dernier à la fin du mois d'août, les hospitalisations et le nombre de patients admis en réanimation se sont maintenus à un niveau élevé. Alors qu'une soixantaine de décès en milieu hospitalier avaient été enregistrés depuis le début de l'épidémie, environ 180 l'ont été du 1 er mars à la fin juin et environ 140 du 1 er juillet à début novembre. Selon l'Insee, sur la période allant du 1?? juin au 18 octobre 2021, les décès survenus à La Réunion sont supérieurs de 16,7 % à ceux constatés sur la même période en 2019, l'île étant également touchée par une épidémie de dengue.

? Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna : des territoires épargnés par la dernière vague épidémique

À Mayotte , après une forte poussée au premier trimestre 2021, marquée par 80 décès en milieu hospitalier, la situation épidémique est restée relativement stable. Pour la première fois depuis le mois d'avril, le taux d'incidence a dépassé 50 cas pour 100 000 habitants début septembre, avant de redescendre dans les semaines qui ont suivi, mais le département n'a pas compté plus de 10 patients hospitalisés en unité covid depuis mai dernier. 10 décès sont survenus en milieu hospitalier depuis juillet dernier.

À Saint-Pierre-et-Miquelon 32 cas positifs seulement ont été recensés depuis mars 2020, dont 5 au cours de l'été dernier, et aucun décès n'est intervenu.

Le premier cas de covid à Wallis-et-Futuna a été détecté début mars 2021. En deux mois, un peu plus de 400 cas ont été recensés, une dizaine de patients ayant été hospitalisés sur place et 7 transférés en Nouvelle-Calédonie, 7 décès ayant été enregistrés sur la période. Aucun cas n'a été répertorié depuis la fin du mois d'avril.

B. UNE CRISE EXCÉDANT LES CAPACITÉS SANITAIRES DES TERRITOIRES UTRAMARINS

1. Le recours indispensable aux renforts nationaux et à des évacuations sanitaires vers l'hexagone, malgré une mobilisation exceptionnelle des moyens locaux

Dans l'ensemble des territoires ultramarins touchés par la reprise épidémique de l'été, des redéploiements massifs de moyens hospitaliers ont été effectués pour faire face à l'afflux de patients atteints du covid et les capacités de réanimation ont été fortement accrues . Des quantités très importantes d'équipements de protection individuels, de matériels de dépistage, de produits de réanimation, de médicaments et d'oxygène ont été acheminées en urgence. Des renforts nationaux - représentant plus de 4 600 médecins et soignants venant de l'hexagone du 1 er août au 31 octobre 6 ( * ) - ont été nécessaires afin d'épauler les équipes locales, sollicitées à un niveau extrême, et d'assurer le fonctionnement des capacités supplémentaires installées dans les services hospitaliers. Ceux-ci ont néanmoins été engorgés dans plusieurs territoires, surtout aux Antilles d'où 145 évacuations sanitaires vers l'hexagone de patients médicalisés et sous ventilation artificielle ont été opérées.

? Antilles et Guyane

En Martinique , les capacités en réanimation du CHU de Fort-de-France ont pu être portées de 26 à plus de 130 lits au plus fort de la crise, soit une multiplication par cinq. Un module militaire de réanimation de 20 lits y a notamment été déployé. Les capacités de l'hôpital en lits de médecine ont été accrues au profit des patients covid. Les renforts nationaux ont représenté plus de 1 600 médecins et soignants sur la période. Plus de 600 patients ont été médicalisés sous oxygène à domicile. Afin de soulager les services de réanimation, 82 évacuations sanitaires par avion ont été effectuées depuis le 1 er août vers l'hexagone.

La Guadeloupe dispose en temps normal de 27 lits de réanimation (22 au CHU et 5 au centre hospitalier de Basse-Terre). Il a été possible, sans recours à des renforts, en déprogrammant des activités chirurgicales et en rappelant du personnel en congés, d'armer jusqu'à 69 lits de réanimation aiguë et de surveillance continue répartis sur les deux établissements et des établissements privés. L'arrivée de renforts nationaux (plus de 1 300 au total) a en outre permis de monter jusqu'à 98 lits de réanimation. Dans des délais très courts, des lits de médecine ont été transformés en lits covid et des lits de soins de suite et de réadaptation en lits de médecine 7 ( * ) . Plusieurs centaines de patients ont été pris en charge à domicile sous oxygène. De début août à début septembre, 63 évacuations sanitaires ont été opérées, certaines concernant jusqu'à 12 patients sous ventilation artificielle en un seul vol.

À Saint-Martin , les activités programmées au centre hospitalier, qui comporte habituellement 92 lits, ont été suspendues et l'établissement a accueilli jusqu'à 26 patients covid.

La Guyane ne disposait que de 11 lits de réanimation autorisés, tous situés au centre hospitalier de Cayenne. La capacité a été triplée avec 11 lits supplémentaires à Cayenne, 8 au centre hospitalier de Saint-Laurent-du-Maroni et 6 à celui de Kourou. Jusqu'à 130 médecins et soignants ont été présents en renfort des personnels locaux. Il n'a pas été nécessaire de procéder à des évacuations sanitaires.

? La Réunion

À La Réunion, des redéploiements sont également intervenus pour accueillir des patients covid et les capacités en réanimation ont été pratiquement doublées, avec des lits supplémentaires ouverts dans les services du CHU et de manière complémentaire à Saint-Paul, au centre hospitalier ouest. Des renforts issus de la réserve sanitaire ont été déployés à hauteur de 37 personnels. Le seuil de saturation en réanimation a pratiquement été atteint au plus fort de la crise, mais il n'a pas été nécessaire de procéder à des évacuations sanitaires.

? La Polynésie française

Seul établissement à disposer de capacités de réanimation, le centre hospitalier de la Polynésie française les a triplées, passant de 18 à 54 lits. Jusqu'à 350 patients covid ont été pris en charge en hospitalisation et 700 patients ont été placés sous oxygène à domicile. Plus de 400 renforts nationaux ont été envoyés d'août à fin octobre, avec un maximum de 150 présents au plus fort de la crise, soit plus de 10 % de l'effectif habituel du centre hospitalier. Le 17 septembre, 8 patients sous ventilation artificielle ont été transférés vers l'hexagone par un vol spécial qui a effectué une escale à Pointe-à-Pitre.

? La Nouvelle-Calédonie

À Nouméa, le Médipôle (centre hospitalier territorial) a ouvert jusqu'à 340 lits pour les patients covid et 61 lits de réanimation, soit un triplement des capacités . Des patients non covid ont été transférés vers des cliniques privées. Une solution originale a été mise en oeuvre avec la transformation d'hôtels en hôpitaux , les « hospitels ». Initialement destinés aux personnes ne pouvant s'isoler à domicile, ils ont accueillis des personnes fragiles nécessitant une surveillance ou, après un séjour au Médipôle, des patients stabilisés sous oxygène. Jusqu'à 150 patients ont été accueillis en « hospitels ». Environ une centaine de patients sont restés à domicile sous oxygène, bien moins qu'en Polynésie française ou qu'aux Antilles. Durant les quinze premiers jours de la crise épidémique, l'augmentation des capacités d'hospitalisation a été assurée par recours au personnel local, avant que ceux-ci soient épaulés par des renforts nationaux (472 au total jusqu'à fin octobre). Il n'a été procédé à aucune évacuation sanitaire.

2. Des capacités inégales à surmonter la crise
a) Une situation proche de la médecine de catastrophe aux Antilles face à un « tsunami » épidémique

La vague épidémique survenue cet été aux Antilles constituait un véritable « tsunami » , selon les termes employés par les professionnels de santé qui y ont été confrontés, rencontrés sur place par la délégation de la mission d'information au mois d'octobre.

Les services de l'État et les établissements ont fait preuve d'une très grande réactivité, en particulier en assurant une rapide montée en puissance des capacités d'hospitalisation et de réanimation . Face à l'urgence, ce sont cependant dans certains cas des lits de réanimation « de fortune » qui ont été installés, notamment dans des établissements ne disposant pas habituellement du matériel et des compétences nécessaires.

Malgré cette mobilisation et l'engagement absolu des équipes soignantes, les structures hospitalières ont été débordées en raison du flux exceptionnel de patients .

Comme l'ont confirmé les représentants de la communauté médicale à la délégation de la mission d'information, des priorités ont dû être établies pour l'admission des patients à l'hôpital puis en service de réanimation, en privilégiant ceux pour lesquels le bénéfice apparaissait le plus élevé. Cette priorisation des patients a atteint aux Antilles une intensité sans équivalent sur le territoire national depuis le début de la pandémie.

Tant en Martinique qu'en Guadeloupe, les services de réanimation , dont la capacité avait été considérablement accrue, ont été saturés , alors même que des évacuations sanitaires vers l'hexagone ont été effectuées, dans des conditions complexes, pour 145 patients intubés ventilés 8 ( * ) . Initialement limitées à 4 patients par vol, les capacités ont été progressivement augmentées jusqu'à 12 patients. C'est la première fois depuis le début de l'épidémie, en mars 2020, que de tels transferts massifs vers l'hexagone sont effectués , la seule opération réalisée jusqu'alors ayant concerné 4 patients évacués depuis La Réunion 9 ( * ) . Il s'agit d'un ultime recours pour libérer des capacités de prise en charge de nouveaux patients. Conditionné à l'accord préalable de la famille, il ne peut concerner que des patients répondant à des critères médicaux spécifiques stricts.

Ce contexte de crise très éprouvant, proche de l'exercice de la médecine de catastrophe , a produit un fort impact psychologique sur des personnels qui n'avaient jamais été placés dans ce type de situation. Il a également profondément marqué les familles des patients et suscité, dans certains cas, des incompréhensions et des tensions avec les soignants.

En raison de l'engorgement des hôpitaux antillais, plus d'un millier de patients ont été pris en charge à domicile . Les représentants des professionnels libéraux - médecins et infirmiers - ont relayé auprès de la délégation le sentiment d'isolement et de solitude de beaucoup de leurs confrères face à cette crise exceptionnelle. Aux difficultés à obtenir des consignes précises sur la prise en charge et l'orientation des patients se sont ajoutées celles liées à l' approvisionnement en oxygène ou en équipements médicaux . Les agences régionales de santé ont passé en urgence les commandes nécessaires, mais les livraisons n'ont semble-t-il pas toujours été effectuées dans des délais satisfaisants. La nécessité, dans de telles circonstances, de recourir à des vols cargos spécifiques a été soulignée.

L'ampleur des moyens consacrés aux patients covid a généré par contrecoup un impact considérable sur la prise en charge de pathologies chroniques comme l'hypertension artérielle ou le diabète, des retards sur le diagnostic et le traitement des cancers et le report d'interventions de chirurgie non urgentes. Cet effet induit du covid a certainement contribué à la surmortalité constatée sur les derniers mois, dans des proportions qui restent à évaluer plus précisément.

Enfin, la prise en charge massive de patients atteints de formes sévères du covid est intervenue dans un contexte social tendu . Depuis plusieurs mois, le bien-fondé de la politique conduite contre l'épidémie , et notamment de la vaccination, faisait l'objet aux Antilles d'une contestation latente . En Martinique, le rétablissement du couvre-feu en application de l'état d'urgence et l'annonce des mesures prévues dans le projet de loi sur la gestion de la crise sanitaire - extension du passe sanitaire, obligation de vaccination pour certains personnels - ont donné lieu dans la seconde quinzaine de juillet à plusieurs manifestations, dont certaines émaillées de violences 10 ( * ) . Quoi que de moindre ampleur, des faits de même nature se sont produits en Guadeloupe. C'est dans ce climat dégradé que des membres des équipes hospitalières - personnels permanents ou renforts venus de l'hexagone - ont fait l'objet de mises en causes ou de prises à partie leur imputant une responsabilité dans la détérioration accélérée de la situation sanitaire et la mortalité élevée en résultant.

La mission d'information, qui a pu mesurer l' engagement de ces personnels dans des conditions extrêmement difficiles , tient à les assurer de son plein soutien . Elle constate qu'un tel épisode n'est pas sans conséquence sur la pérennité des équipes médicales sur place, des souhaits de départ vers l'hexagone , à court ou à moyen terme, ayant été exprimés par de nombreux médecins et soignants.

b) Des conditions très tendues en termes de ressources humaines dans tous les autres territoires

Si la Guyane a connu une situation de tension hospitalière comparable à celles des Antilles, sans qu'il ait toutefois été nécessaire de recourir à des évacuations sanitaires ou d'établir des priorités pour l'accès aux services de réanimation, d'autres territoires ont pu faire face dans de meilleures conditions à la crise épidémique.

La Nouvelle-Calédonie dispose avec le Médipôle d'un établissement hospitalier récent, ouvert en décembre 2016, dont le dimensionnement et l'équipement ont permis l'ouverture de nombreux lits supplémentaires. Grâce à ces capacités, combinées à l'ouverture de lits dans des hôtels reconfigurés, les oxygénothérapies à domicile ont été beaucoup moins nombreuses qu'en Polynésie française ou aux Antilles.

La Polynésie française bénéficie elle aussi d'un centre hospitalier récent et bien équipé, même si son extension pourrait paraître nécessaire afin répondre aux besoins de stockage, plus importants en raison de l'éloignement, et de permettre d'aménager des espaces de soins supplémentaires en cas de crise. L'hôpital dispose en outre de sa propre capacité de production d'oxygène. Cela n'a pas évité une situation proche de la saturation et comme indiqué précédemment, 8 évacuations sanitaires vers l'hexagone ont été effectuées.

De fait, tous les territoires n'ont pu affronter la crise qu'en redéployant leurs capacités aux dépens des pathologies courantes - avec des conséquences encore difficiles à évaluer - et en bénéficiant de concours nationaux pour renforcer des ressources humaines sollicitées à l'extrême. Ces renforts ont représenté un total d'environ 4 600 personnels du 1 er août au 31 octobre, supérieur au cumul de tous ceux qui avaient jusqu'alors été envoyés depuis mars 2020 (4 000 en un an-et-demi). Il s'agissait pour les deux-tiers de personnels en activité volontaires, alors que jusqu'alors, les renforts provenaient à 90 % de la réserve sanitaire.

En Guyane, la quatrième vague a suivi de quelques semaines à peine la vague précédente, générant un sentiment d'épuisement au sein des équipes hospitalières. La tension sur les équipes a également été forte à La Réunion. En Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, la vague épidémique a suivi une longue période au cours de laquelle les contraintes de déplacement vers et depuis l'hexagone ont éprouvé nombre de personnels médicaux ou soignants et leurs familles. Dans ces territoires du Pacifique, l'isolement des établissements fait ressortir leur fragilité, dans la mesure où leur fonctionnement reste très dépendant d'une ressource médicale originaire de l'hexagone dont la motivation à exercer sur place n'est pas acquise.

C. DES VULNÉRABILITÉS ENCORE TROP IMPORTANTES FACE AU RISQUE D'UNE PROBABLE REPRISE ÉPIDÉMIQUE

1. Une amélioration progressive de la situation sanitaire

Dans chaque territoire concerné, les autorités ont pris tout au long de la crise des mesures spécifiques, adaptées à leur situation propre , pour stopper la progression de l'épidémie. Ces mesures ont fait l'objet d'échanges dans des instances d'information et de concertation réunissant les principaux partenaires intéressés - services de l'État, élus, chambres consulaires. Elles ont été arrêtées par les préfets et, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, dans le cadre de leurs compétences respectives, par les représentants de l'État et les autorités gouvernementales locales, la politique sanitaire relevant de ces dernières.

Outre le couvre-feu, un confinement strict a été imposé à la Martinique, en Guadeloupe, dans certaines zones de Guyane, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, et un confinement partiel à La Réunion. La rentrée scolaire a été reportée aux Antilles et en Guyane et les écoles ont été fermées en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Des restrictions ont également été apportées aux conditions d'entrée sur ces territoires (exigence d'un motif impérieux et d'un teste PCR négatif, sas sanitaire en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française).

Ces mesures de freinage différenciées et, dans certains territoires tout au moins, les progrès de la vaccination, ont permis une forte diminution des cas positifs, des hospitalisations et des patients en réanimation .

Au cours des dernières semaines, la situation sanitaire est progressivement redevenue sous contrôle, même si elle demeure contrastée selon les territoires.

Aux Antilles, le taux d'incidence est redescendu début novembre autour de 50 cas pour 100 000 habitants, excepté en Martinique où il est encore de l'ordre de 100.

En Guyane, il est encore de l'ordre de 130, avec de fortes disparités territoriales, puisqu'il est supérieur à la moyenne à Cayenne et Kourou.

A La Réunion, le taux d'incidence est nettement remonté au-dessus du seuil d'alerte et dépasse désormais 150 cas pour 100 000  habitants, même si le nombre d'hospitalisés et de patients en réanimation n'augmente que modérément. Le taux d'incidence reste en revanche au-dessous de 50 à Mayotte.

En Nouvelle-Calédonie, le taux d'incidence est passé sous les 100 cas pour 100 000 habitants alors qu'il est redescendu à 12 en Polynésie française.

Cette évolution dans l'ensemble positive a permis un assouplissement des mesures de restriction des déplacements et activités.

L' état d'urgence sanitaire a été levé à La Réunion le 15 octobre 2021. Il est resté en vigueur en Guadeloupe, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, en Polynésie Française et en Nouvelle-Calédonie jusqu'au 15 novembre 2021. Il ne demeure applicable qu'à la Guyane et à la Martinique, jusqu'au 31 décembre prochain 11 ( * ) .

Si un couvre-feu est maintenu en Martinique, en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, les restrictions applicables aux déplacements en journée ne le sont que dans certaines zones de Guyane, où ils sont soumis à attestation, et le week-end en Nouvelle-Calédonie.

Dans les départements d'outre-mer, l'exigence de motifs impérieux et d'un test PCR négatif pour entrer sur le territoire ne subsiste que pour les passagers non-vaccinés. C'est également le cas en Polynésie française, ainsi que pour les passagers vaccinés provenant de zones rouge, cette exigence se doublant d'une obligation d'isolement de 10 jours. En Nouvelle-Calédonie, l'exigence d'un motif impérieux a été levée le 1 er novembre, mais l'entrée est subordonnée, pour les plus de 18 ans, à une obligation de vaccination (sauf contre-indication médicale) et tous les entrants restent soumis à une obligation d'isolement.

Il faut enfin souligner que bien qu'aucun cas positif n'y ait été détecté depuis fin avril, un régime contraignant d'entrée et de sortie a été imposé à Wallis-et-Futuna durant plusieurs mois. En effet, une « bulle sanitaire » est établie entre la Nouvelle-Calédonie et ce territoire. Celui-ci a été atteint par le virus au printemps 2021. Ce n'est qu'après avoir de nouveau été déclaré « covid-free », mi-juillet, qu'un reprise limitée des vols a été envisagée à compter du 30 août. Mais à peine celle-ci intervenue, la dégradation de la situation en Nouvelle-Calédonie a de nouveau interrompu les liaisons aériennes.

Les répercussions de l 'isolement prolongé de Wallis-et-Futuna sont particulièrement sensibles en matière sanitaire. Depuis un an et demi, les missions de médecins spécialistes sur le territoire sont pratiquement suspendues. De même, en raison de l'interruption des liaisons, des patients n'ont pu se rendre en Nouvelle-Calédonie où s'effectue leur prise en charge médicale et d'autres qui y recevaient des soins n'ont pu revenir à leur domicile. Toutefois, au vu de l'amélioration de la situation sanitaire en Nouvelle-Calédonie, le conseil de gouvernance des îles 12 ( * ) s'est prononcé le 3 novembre dernier en faveur de la reprise des liaisons aériennes . Un vol hebdomadaire doit ainsi reprendre à compter 18 novembre. L'entrée sur le territoire sera subordonnée à des motifs impérieux 13 ( * ) . Ce rétablissement des vols, qui était nécessaire, met toutefois en lumière les risques pesant sur les communications vers et depuis le territoire tant que le taux de vaccination (un peu plus de 50 % de la population) le rend vulnérable à la propagation du virus.

2. Une couverture vaccinale encore insuffisante pour prévenir une 5ème vague

Au regard de la situation dans les outre-mer à la veille de la quatrième vague, le taux de vaccination a nettement progressé, avec de toutefois de très fortes disparités entre territoires .

Taux de vaccination dans les territoires ultramarins

(Données disponibles au 15 novembre 2021)

Population de plus de 12 ans

Population générale

1 dose

schéma complet

1 dose

schéma complet

Guadeloupe

40,8 %

37,6 %

35,4 %

32,7 %

Guyane

39,4 %

34,2 %

29,4 %

25,5 %

La Réunion

73,8 %

70,9 %

60,6 %

58,2 %

Martinique

42,1 %

38,8 %

37,1 %

34,2 %

Mayotte

83,6 %

66,4 %

53,7 %

42,6 %

St Barthélemy

77,8 %

73,0 %

68,3 %

64,1 %

St Martin

46,6 %

41,9 %

37,5 %

33,7 %

St Pierre-et-Miquelon

88,5 %

85,5 %

-

-

Nouvelle-Calédonie

77,3 %

71,8 %

66,0 %

61,3 %

Polynésie française

69,2 %

67,6 %

57,6 %

55,2 %

Wallis-et-Futuna

67,3 %

66,1 %

54,4 %

53,5 %

France entière

89,0 %

87,0 %

76,6 %

75,0 %

Sources : Santé publique France, agences régionales de santé, préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon, gouvernement de Nouvelle-Calédonie, gouvernement de Polynésie française, préfet, administrateur supérieur des îles Wallis-et-Futuna. Pour Saint-Pierre-et-Miquelon, le taux figurant dans la colonne « schéma complet » correspond à la population de plus de 12 ans ayant reçu une deuxième dose.

Saint-Pierre-et-Miquelon possède une couverture vaccinale équivalente à la moyenne nationale ; Saint-Barthélemy , la Nouvelle-Calédonie et, dans une moindre mesure, La Réunion , s'en approchent. La campagne de vaccination a touché plus de 80 % de la population éligible à Mayotte , mais un déficit important demeure pour l'administration de la seconde dose.

La vaccination a également bien progressé en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna , tout en restant insuffisante.

En revanche, la Guyane et les collectivités antillaises , à l'exception de Saint-Barthélemy, demeurent à des niveaux très faibles. L'épisode douloureux de cet été, quasi-exclusivement subi par des non vaccinés, n'entraîne pas d'effet accélérateur sur la campagne de vaccination . En effet, dans ces collectivités, la vaccination a progressé de manière régulière mais extrêmement lente, alors qu'une nette accélération s'est produite mi-juillet à La Réunion et à Mayotte.

ÉVOLUTION DE LA CAMPAGNE VACCINALE AUX ANTILLES,
EN GUYANE ET DANS L'OCÉAN INDIEN

Nombre de personnes ayant reçu au moins une dose de vaccin pour 100 000 habitants

Source : covidtracker.fr

En Polynésie française , la vaccination a progressé de vingt-cinq points entre la fin juillet, date du déclenchement de la vague épidémique, et la fin août.

En Nouvelle-Calédonie , elle a fortement augmenté au début du mois de septembre, au moment de la flambée épidémique, mais également après l'adoption par le Congrès, le 3 septembre, d'une délibération instaurant l'obligation vaccinale . En application de cette délibération, toutes les personnes majeures présentes sur le territoire doivent être vaccinées d'ici le 31 décembre 2021 . À ce stade, cette obligation n'est pas assortie de sanctions, celles-ci étant renvoyées à une délibération ultérieure du Congrès « si l'évolution du taux de vaccination dans les prochains mois ne permet pas une protection suffisante de la population en cas d'introduction du virus ou si la situation sanitaire se dégrade de manière significative » 14 ( * ) .

ÉVOLUTION DE LA VACCINATION EN POLYNÉSIE FRANÇAISE

Nombre de personnes ayant reçu une 1 ère et une 2 ème dose

Source : gouvernement de Polynésie française

ÉVOLUTION DE LA VACCINATION EN NOUVELLE-CALÉDONIE

Nombre de personnes ayant reçu une 1 ère et une 2 ème dose

Source : gouvernement de Nouvelle-Calédonie

Dans les territoires de l'Océan indien et du Pacifique, la vaccination a accru la protection des populations face aux risques de reprise épidémique, mais elle demeure encore insuffisante pour prévenir toute remontée qui impliquerait des prises en charge hospitalières.

Aux Antilles , le risque d'une 5 ème vague se traduisant de nouveau par un nombre élevé de formes sévères , une forte mobilisation des capacités d'hospitalisation et de réanimation , avec des conséquences sur la prise en charge d'autres pathologies, et un taux de mortalité élevé , a été jugé très probable par les interlocuteurs rencontrés par la délégation de la mission d'information. À peine la moitié des 65-74 ans disposent d'un schéma vaccinal complet et les taux sont de 7 à 10 points inférieurs pour les plus de 75 ans.

La situation est plus défavorable encore en Guyane , avec des niveaux de vaccination inférieurs de cinq points à ceux des Antilles pour les plus de 65 ans.

Certes, la circulation du virus au cours des dernières semaines et des derniers mois a pu contribuer à l' immunité d'une partie de la population.

Selon la dernière enquête de séroprévalence publiée il y a quelques jours par l'Institut Pasteur de Guyane , 63,9 % de la population guyanaise possède des anticorps contre le Sars-CoV-2 en ayant contracté la maladie ou par la vaccination. Or un quart de la population dispose d'un schéma vaccinal complet, environ 30 % ayant reçu une dose.

Il n'a pas été possible à la mission d'information de disposer d'information de même nature sur le niveau d'immunité aux Antilles 15 ( * ) .

En tout état de cause, même si l'immunité naturelle chez les non-vaccinés y était comparable à celle estimé pour la Guyane, elle demeurerait très inférieure au niveau nécessaire pour empêcher la circulation du virus, qui est évalué à au moins 90 % de la population compte tenu du caractère contagieux et pathogène du variant delta.

Aux Antilles comme en Guyane, la part de la population vulnérable vis-à-vis d'une reprise épidémique est donc toujours très importante.

3. Des freins puissants à la vaccination aux Antilles

La question de la vaccination a été au coeur des entretiens menés par la délégation de la mission d'information qui s'est rendue en Martinique et en Guadeloupe du 17 au 21 octobre dernier.

Les deux départements ont bénéficié d'une mise à disposition précoce des vaccins et la vaccination y a été ouverte aux différentes catégories de population plus rapidement que dans l'hexagone. Elle demeure pourtant à un niveau extrêmement bas et se heurte à des résistances puissantes.

a) De nombreux facteurs de défiance vis-à-vis de la vaccination

Lors d'une consultation citoyenne menée cet été sur près de 6 000  personnes en Martinique 16 ( * ) , un répondant sur deux déclarait ne pas vouloir se faire vacciner , cette proportion dépassant les 65 % chez les 18-34 ans puis diminuant avec l'âge, excepté pour la tranche des 75 ans et plus. Un quart des répondants se disaient opposés à la vaccination contre le covid-19 et les deux-tiers n'étaient pas en accord avec le fait que la vaccination constituait une solution pour venir à bout de l'épidémie et retrouver progressivement une vie normale. Les alternatives proposées se partageaient entre l'utilisation de traitements 17 ( * ) ou la mise en place d'un confinement strict, la fermeture des frontières et le respect des gestes barrières.

Combinées à l'opposition au passe sanitaire et à l'obligation vaccinale pour les personnels de santé, les motivations exprimées pour justifier l'hostilité, les réticences ou les doutes vis-à-vis de la vaccination ne diffèrent pas fondamentalement de celles constatées dans l'hexagone.

Elles trouvent cependant aux Antilles un écho beaucoup plus important lié à de multiples facteurs :

- une moindre adhésion aux traitements issus de l'industrie pharmaceutique et une inclination traditionnelle à privilégier le recours à la pharmacopée locale et à des traitements alternatifs ;

- une propension sans doute plus marquée qu'ailleurs à relativiser les effets de la pandémie au regard des autres risques qui caractérisent ces territoires (cyclones, séismes, éruptions volcaniques) ;

- la place démesurée prise par les réseaux sociaux , vecteurs privilégiés d'informations contestables ou erronées sur la pandémie, les vaccins, les traitements et la gestion de la crise sanitaire ;

- la défiance d'une partie de la population vis-à-vis de l'État et de la parole officielle , pour des raisons très profondément ancrées tenant à l'histoire de ces territoires, mais aussi, de manière plus contemporaine, à l'occultation prolongée des conséquences de l'usage de la chlordécone ; de ce point de vue, l'opposition à la vaccination promue par les autorités comporte une dimension identitaire ;

- l' instrumentalisation de la question vaccinale par des mouvances politiques y trouvant des opportunités de déstabilisation.

b) Une tension sociale qui fige les positions au sein de la population

La délégation de la mission d'information a constaté, lors de son déplacement aux Antilles, une tension palpable autour de la question de la vaccination .

L'opposition à la vaccination se manifeste de façon virulente, par des mises en cause ou des menaces inacceptables à l'encontre de ceux qui en soulignent la nécessité, qu'il s'agisse de fonctionnaires, d'élus, de médecins, d'acteurs du monde économique, culturel ou social.

L'opinion publique est très divisée. Si une importante minorité reste très déterminée dans son rejet, plusieurs interlocuteurs de la délégation ont souligné le sentiment de peur qui caractérise une fraction de la population : peur du virus, plus encore peur du vaccin, mais également peur de prendre parti ou de se singulariser dans un contexte où la non-vaccination demeure aujourd'hui la norme dominante.

Sans être hostiles au vaccin, beaucoup d'Antillais hésitent encore à franchir le pas . Et il est révélateur que parmi ceux qui s'y rallient, certains veuillent le faire en toute discrétion, en se rendant dans une commune autre que celle de leur domicile ou en exigeant une stricte confidentialité, comme cela a été rapporté à plusieurs reprises à la délégation, que ce soit par peur d'être mal considérés ou pour ne pas faire apparaître qu'ils se sont déjugés.

c) Des autorités en difficulté face à l'activisme antivaccinal

La force de l'activisme antivaccinal tout comme l'hostilité ou la réserve d'un part importante de la population ont très certainement été sous-estimées dans les premiers mois de la campagne vaccinale.

La véritable contre-campagne véhiculée par les réseaux sociaux a beaucoup plus porté qu'une communication institutionnelle calquée sur celle conduite dans l'hexagone, peu adaptée aux particularités du contexte local et n'impliquant guère les acteurs de proximité tels que les professionnels de santé ou les élus.

De même, seule la fraction la plus convaincue de la population s'est rendue spontanément dans les centres de vaccination.

Face à cette situation, des inflexions ont été apportées .

La communication a été réorientée et axée sur les préoccupations de la population et la réponse aux arguments avancés par les anti-vaccins. Les opérations d' « aller vers » se sont multipliées, en particulier avec les tournées de « vaccibus » généralement financés par les collectivités locales. Plusieurs élus se sont impliqués, par des prises de position publiques ou des initiatives locales, et certains de manière très engagée, même si d'autres demeurent sur la réserve ou ne se considèrent pas légitimes pour formuler des préconisations en matière de santé publique.

En Martinique, un comité citoyen de transparence, composé de sept représentants de la société civile, a été mis en place. Il s'est fait le relai auprès des autorités ou de professionnels de santé des interrogations de la population sur la gestion de la crise sanitaire, la vaccination ou encore les traitements. Il a publié depuis le mois d'août cinq communications qui ont été signalées dans la presse locale, mais qui mériteraient une diffusion plus large qu'il n'est pas dans les moyens du comité d'opérer. Il ne dispose d'un site internet que depuis la mi-novembre 18 ( * ) .

Ces évolutions sont intervenues assez tardivement et n'ont pour l'instant produit que des effets limités, alors que localement, les questions de la vaccination et de l'obligation vaccinale des soignants tendent désormais à se confondre dans l'esprit de l'opinion publique, relativisant les considérations d'ordre strictement scientifique et sanitaire.

Les solutions de proximité pour la vaccination se sont multipliées, mais les résultats demeurent inégaux. Ils sont meilleurs là où la population a été préalablement sensibilisée, notamment par une implication des municipalités.

d) Des ressorts comparables en Guyane

La mission d'information n'a pu recueillir des éléments aussi détaillés sur les ressorts du faible taux de vaccination en Guyane, mais ceux dont elle dispose montrent qu'avec des différences liées au contexte local, à la géographie et aux caractéristiques de la population, les problématiques sont assez voisines de celles rencontrées aux Antilles.

Les mouvements hostiles à la vaccination recueillent un écho important, les doutes sur les effets du vaccin sont répandus, la parole des autorités et des scientifiques est mise en cause.

Comme aux Antilles, la communication a été ajustée, notamment par des supports dans les différentes langues parlées sur le territoire. Un comité citoyen de la transparence de 17 membres a également été mis en place à la fin du mois de septembre.

Pour répondre aux objections à l'encontre des vaccins à ARN messager, le territoire a été approvisionné à la mi-octobre en vaccins Janssen sans que cela ne modifie sensiblement la progression de la vaccination qui demeure toujours extrêmement lente.

4. Une mise en oeuvre difficile de l'obligation vaccinale dans le secteur sanitaire

Pleinement en vigueur dans l'hexagone depuis le 16 octobre, l'obligation vaccinale des personnels des établissements de santé et des professionnels médicaux et paramédicaux libéraux prévue par la loi du 5 août dernier relative à la gestion de la crise sanitaire a fait l'objet outre-mer d'un calendrier aménagé compte tenu des effets prolongés de la vague épidémique de l'été dernier. Les échéances d'engagement dans le parcours vaccinal et d'exigence d'un schéma complet ont été décalées. Le contrôle de cette obligation dans les établissements hospitaliers s'effectue de manière échelonnée : à l'égard des cadres et personnels médicaux tout d'abord, des personnels affectés aux fonctions support ensuite et enfin des personnels soignants non médicaux.

En Nouvelle-Calédonie , le Congrès, par sa délibération du 3 septembre dernier, a instauré une obligation de vaccination, à compter du 31 octobre 2021 et sous peine d'une amende de 175 000 francs CFP (1 458 euros) de plusieurs catégories de personnels 19 ( * ) . À l'issue d'une table ronde sociale tenue le 23 octobre, il a été décidé de reporter cette obligation au 31 décembre 2021.

Une obligation comparable 20 ( * ) a été prévue en Polynésie française , à compter du 23 octobre et sous peine d'une amende du même montant et d'une majoration du ticket modérateur pour le remboursement des soins, par la loi du pays du 23 août 2021 relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19. Le 13 octobre dernier, le président du pays a annoncé son report de deux mois, jusqu'au 23 décembre.

Cette obligation a suscité de vives contestations, particulièrement aux Antilles et en Guyane, débouchant sur des conflits sociaux dans de nombreux établissements hospitaliers. À la suite de la médiation engagée en Martinique, le Gouvernement y a également repoussé au 31 décembre l'exigence d'un schéma vaccinal complet, les personnels devant justifier d'une première injection avant le 6 décembre.

À la veille des échéances initiales, les estimations sur le taux de vaccination des personnels concernés étaient particulièrement basses. Elles sont aujourd'hui nettement plus élevées, davantage de personnels ayant déclaré leur statut vaccinal ou régularisé leur situation.

Ainsi, le taux de professionnels libéraux engagés dans le parcours vaccinal est supérieur à 80 % et atteint même 95 % à La Réunion.

L'agence régionale de santé de Guadeloupe indique que le taux de vaccination du personnel est de 85 % au CHU de Pointe-à-Pitre, de 95 % au centre hospitalier de Basse-Terre, de 99 % à celui de Marie-Galante, de 90 % à celui de Saint-Martin et de près de 100 % à la clinique des Eaux Claires de Baie-Mahault. 60 % des Ehpad ont un taux de vaccination compris entre 90 % et 100 %.

À La Réunion, 94 % des personnels établissements de santé et médico-sociaux sont en conformité avec l'obligation vaccinale et 85 % au centre hospitalier de Mayotte.

En Martinique, le taux de vaccination du personnel du CHU n'avoisinerait en revanche que les 50 % 21 ( * ) et en Guyane, il n'est que de 64 % pour l'ensemble des établissements de santé.

Aux yeux de la mission d'information, l'obligation fixée par la loi doit pleinement s'appliquer outre-mer. Il est en revanche légitime que sa mise en oeuvre obéisse à des modalités adaptées à la situation de chaque territoire et que les équipes compétentes soient en mesure de répondre à toutes les interrogations des personnels concernés.

D. DOTER LES OUTRE-MER DE CAPACITÉS SANITAIRES PLUS ROBUSTES À COURT ET À MOYEN TERME

1. Une mobilisation pour la vaccination à accentuer et à cibler

La vaccination doit demeurer une priorité absolue , tant pour prémunir les territoires ultramarins des impacts d'une probable cinquième vague que pour permettre le retour à une vie économique et sociale normale.

Il s'agit à la fois de toucher les catégories de population les plus à l'écart de la vaccination et de tenir compte des facteurs auxquels s'est heurtée la campagne vaccinale, particulièrement aux Antilles et en Guyane . Dans ces territoires, la communication doit être beaucoup plus adaptée à l'état d'esprit et aux préoccupations de la population. Des efforts et des moyens spécifiques doivent être consacrés à des actions « sur-mesure » pour améliorer la couverture vaccinale.

D'une manière générale, il est souhaitable que les autorités locales disposent de la latitude nécessaire et des moyens pour conduire, notamment en matière de vaccination, des actions adaptées au contexte de chaque collectivité .

Proposition : accentuer les actions de communication pour répondre aux informations erronées diffusées sur l'épidémie et la vaccination en valorisant sous une forme accessible au grand public les données issues de l'expertise scientifique.

Proposition : constituer à l'échelle de chaque territoire un réseau de relais pour une communication de proximité sur la vaccination, adaptée aux préoccupations de la population, à travers les élus locaux et les milieux professionnels, associatifs, culturels et sportifs.

Proposition : mettre en place une communication spécifique en direction des jeunes, par exemple en s'appuyant sur les volontaires du service civique.

Proposition : dans les territoires où les taux de vaccination sont les plus faibles, dégager des ressources humaines dédiées à l'écoute et au dialogue afin de répondre aux interrogations de la population vis-à-vis de la vaccination.

Proposition : afin d'améliorer les résultats des opérations de vaccination de proximité, les préparer par des actions d'information préalable s'appuyant sur des relais locaux, notamment les élus.

Proposition : mener des actions spécifiques en direction des personnes présentant les risques de formes sévères les plus élevés : personnes en surpoids, diabétiques, insuffisants rénaux, hypertendus.

Proposition : renforcer l'implication des médecins et pharmaciens dans la vaccination

2. Des situations de crise à mieux anticiper

Selon les informations recueillies par la mission d'information auprès du ministère des solidarités et de la santé, plusieurs dispositions ont été prises en vue d'améliorer les capacités des territoires ultramarins à faire face à une nouvelle crise sanitaire.

Les stocks de matériels médicaux ont été renforcés, avec l'intégration du matériel acheminé l'été dernier. Les plans de montée en puissance des établissements de santé ont généralement été adaptés à la lumière des constats effectués lors de la crise. Un nouveau prestataire a été retenu pour l'acheminement des renforts en personnel et des matériels et pour l'organisation des opérations d'évacuation sanitaire, afin d'en assurer une plus grande réactivité. Deux concentrateurs d'oxygène ont été acquis pour la zone Antilles, en vue de doter ces territoires d'une autonomie complète en cas de situation sanitaire exceptionnelle.

Proposition : dans l'immédiat, tant que subsistent une situation sanitaire incertaine et un important retard dans la prise en charge des pathologies autres que le covid, maintenir autant que possible les renforts nationaux venant en appui des établissements hospitaliers ultramarins.

Proposition : au vu des plans de montée en puissance des établissements de santé, anticiper les besoins et mieux organiser et mobiliser la réserve sanitaire afin d'assurer une plus grande réactivité en cas de cinquième vague, notamment aux Antilles et en Guyane compte tenu du moindre niveau de protection des populations de ces territoires.

Proposition : fournir un appui technique aux professionnels de santé des territoires ultramarins afin d'effectuer un retour d'expérience approfondi sur la crise sanitaire de l'été 2021, identifier les lacunes ou points d'amélioration et consolider les plans de préparation aux crises.

Proposition : veiller particulièrement, dans les plans de préparation aux crises, à renforcer la coordination entre autorités sanitaires, établissements hospitaliers et professionnels libéraux.

Proposition : veiller au renforcement de l'autonomie des territoires en constituant des stocks suffisants d'équipements, de matériels et de produits de santé et en garantissant une capacité locale de production d'oxygène.

Proposition : explorer les possibilités de coopération régionale de nature à offrir, en cas de crise, une alternative au recours à des renforts nationaux ou à des évacuations sanitaires vers l'hexagone.

3. Des infrastructures hospitalières à rehausser, notamment aux Antilles

L'offre de soins hospitaliers outre-mer apparaît assez contrastée. « La Guadeloupe et la Martinique ont une capacité d'accueil et une activité d'hospitalisation complète comparable à celles de la métropole. En Guyane, à La Réunion et plus encore à Mayotte, les capacités d'accueil, rapportées à la population, sont nettement moins élevées et moins variées. Pour l'hospitalisation partielle, la Guadeloupe, ainsi que La Réunion se rapprochent de la métropole. ... En nombre de lits de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie (MCO) pour 100 000 habitants, la Guadeloupe est le DROM qui se rapproche le plus de la métropole en 2019 (- 10 % d'écart), suivi par la Guyane et la Martinique (- 16 %) et La Réunion (- 18 %). Pour Mayotte, l'écart reste toujours nettement plus important (- 55 %) » 22 ( * ) .

Selon la même source, « les DROM hors Guyane ont connu les plus grandes évolutions de leur densité de lits en réanimation entre 2013 et 2019, leur permettant d'atteindre un niveau similaire à celui de la métropole : la densité de lits de réanimation progresse ainsi très fortement en Martinique (+ 71 %), à La Réunion (+ 30 %, malgré une augmentation de la population de 3%) et en Guadeloupe (+ 24%). À l'inverse, la densité de lits en réanimation pour 100 000 habitants en Guyane a reculé de 20 % entre 2013 et 2019, reflétant la hausse de la population sur cette période ». Mayotte, où les données relatives à l'évolution 2013-2019 ne sont pas disponibles, et la Guyane sont les régions françaises pour lesquelles la densité en lits de réanimation est la plus faible. Pour sa part, la densité de lits en soins critiques « progresse le plus fortement dans les DROM entre 2013 et 2019 : Martinique (+ 58 %), Guadeloupe (+ 32 %), La Réunion (+ 30 %) et Guyane (+ 15 %) », même si elle reste notablement inférieure à la moyenne nationale à Mayotte, en Guyane et en Guadeloupe.

S'agissant des infrastructures hospitalières elles-mêmes, la Nouvelle-Calédonie dispose d'un hôpital très récent et bien dimensionné. C'est aussi le cas en Polynésie française, avec un hôpital achevé il y a une dizaine d'années qui pourrait sans doute faire l'objet d'aménagements complémentaires pour accroître les surfaces de stockage et les capacités d'accueil des patients nécessaires en cas de crise. Dans ces deux territoires, la santé relève de la compétence des territoires. Si les équipements hospitaliers sont à niveau, leur fonctionnement est assuré par des organismes d'assurance maladie qui sont confrontés à des déficits 23 ( * ) , l'organisation et le coût des évacuations sanitaires inter-îles soulevant également des difficultés particulières en Polynésie française. L'État accorde à cette dernière un soutien financier en matière de santé dans le cadre d'une convention qui a été renouvelée le 14 octobre dernier pour la période 2021-2023. Cette contribution de l'État s'inscrit dans la limite d'une moyenne annuelle de 13,19 millions d'euros.

L'équipement est en revanche vieillissant et mérite d'être modernisé aux Antilles. Le chantier du nouveau CHU de Pointe-à-Pitre, engagé après l'incendie survenu en 2017, devrait être achevé fin 2023.

En Guyane, le plan santé annoncé par le Gouvernement en mars dernier prévoit la création d'un CHU à l'horizon 2025, le renforcement des 17 centres délocalisés de prévention santé (CDPS), la transformation d'ici 2022 de trois d'entre eux 24 ( * ) en hôpitaux de proximité aménagés, le doublement des capacités d'hospitalisation en soins critiques d'ici 2024.

À Mayotte, la décision de construire un second site hospitalier, nécessaire en raison de l'augmentation rapide de la population, a été annoncée en 2019, mais cette réalisation n'est pas prévue avant la fin de la décennie.

Les outre-mer représentent une part significative du plan d'investissement prévu dans le cadre du « Ségur de la santé » - plus d'1 milliard d'euros sur un total de 14,5 milliards - et plus encore de son volet « projets », soit plus de 700 millions d'euros sur un total de 6,5 milliards. En outre, ces montants n'incluent pas les 580 millions d'euros destinés à la construction du CHU Guadeloupe, entièrement financée par l'État.

Le tableau ci-après retrace les montants prévus, qui se décomposent en subventions destinées à améliorer la trésorerie des établissements et à les désendetter, en financements de projets et en dotations pour des investissements courants.

Répartition du plan d'investissement en santé (volet sanitaire)

(en millions d'euros)

Restauration capacités financières

Projets

Investissements courants

Total

Guadeloupe

46

98*

10

154*

Martinique

75

364

9

448

Guyane

33

99

6

138

La Réunion

122

110

20

252

Mayotte

26

33

6

65

St-Pierre-et-Miq.

0,1

5,3

0,1

5,5

Total

302,1

709,3

51,1

1 062,5

* hors financement par l'État, à hauteur de 580 millions d'euros, de la construction du CHU de Pointe-à-Pitre.

Un effort de rattrapage est donc engagé, mais ses effets ne seront pas immédiats.

Aux yeux de la mission d'information, l'insularité ou l'isolement et l'éloignement des territoires ultramarins , qui les privent de possibilités géographiques alternatives de prise en charge, justifient un dimensionnement de l'offre de soins au moins équivalent à celui de l'hexagone .

Il est donc important que les moyens en investissement prévus à la suite du Ségur de la santé soient rapidement engagés sur les projets les plus pertinents.

Par ailleurs, à la lumière de la crise épidémique, une attention particulière mérite d'être apportée aux capacités en soins critiques pour lesquelles les effets de l'isolement et de l'éloignement sont plus sensibles. On ne peut envisager, en la matière, un simple retour au niveau d'avant-crise.

Proposition : engager rapidement sur les projets les plus pertinents les moyens en investissement prévus outre-mer à la suite du Ségur de la santé.

Proposition : maintenir dans les territoires ultramarins une capacité en soins critique supérieure à celle dont ils disposaient avant la crise épidémique de l'été 2021.

Proposition : mettre à l'étude la mise en place d'une capacité de réanimation au centre hospitalier de Saint-Martin compte tenu des difficultés rencontrées en matière d'évacuations sanitaires lors de la dernière crise épidémique.

4. Une attractivité médicale à renforcer

Selon les données publiées par le Conseil national de l'ordre des médecins, la densité en médecins généralistes s'est renforcée entre 2012 et 2021 en Martinique, en Guadeloupe en Guyane et à La Réunion, alors qu'elle a régressé en moyenne nationale, et dans ces mêmes départements, la densité en médecins spécialistes a davantage progressé qu'en moyenne nationale.

Pour autant, « à l'échelle régionale, la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe sont les régions les plus touchées par la sous-densité médicale .... La situation est particulièrement dégradée en Guyane, dont la part de population vivant en zone sous-dense en 2018 s'élève à 44,2 %. La situation s'améliore légèrement en Martinique et en Guadeloupe, seules régions où la part de population résidant en zone sous-dense recule sensiblement durant la période » 25 ( * ) . Dans ces deux régions, environ 18 % de la population vit cependant en zone sous-dense en médecins généralistes, contre 5,7 % pour la France entière.

Un dispositif d'autorisation d'exercice dérogatoire au droit commun a récemment été instauré pour faciliter le recrutement de praticiens étrangers dans certains territoires d'outre-mer 26 ( * ) . Entre 2020 et 2021, plus de 700 postes de praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) y ont été ouverts et, selon les informations communiquées à la mission d'information par le ministère des solidarités et de la santé, la quasi-totalité des postes ont été pourvus.

La délégation de la mission d'information a cependant constaté lors de son déplacement aux Antilles le risque d'effritement de la ressource médicale, notamment en milieu hospitalier , compte tenu du contexte éprouvant traversé lors de la crise épidémique et des fortes tensions sociales qui se sont manifestées. Un nombre important de souhaits de départ vers l'hexagone ont été exprimés.

Par ailleurs, la mise en oeuvre des nouvelles dispositions législatives sur l'intérim médical, bien que reportée, et la suppression prévue en 2022 du statut de clinicien hospitalier, alors que les conditions du nouveau statut unique de praticien contractuel remplaçant les trois formules actuelles de contrat ne sont pas encore définitivement connues, créent une incertitude sur la pérennité de la présence d'un certain nombre de personnels médicaux dans les établissements.

Proposition : élaborer une stratégie et des mesures spécifiques pour renforcer l'attractivité de l'exercice médical outre-mer.

Proposition : veiller, dans les territoires ultramarins, à assurer une transition adaptée pour la mise en oeuvre du nouveau cadre d'exercice de l'intérim médical et du nouveau statut unique de praticien contractuel destiné à remplacer les statuts contractuels actuel et le statut de clinicien hospitalier.

II. UNE RÉPONSE ÉCONOMIQUE D'AMPLEUR APPRÉCIABLE, MAIS DEVANT ENCORE GAGNER EN ADAPTATION ET EN AMBITION

A. UNE CRISE FRAPPANT DES TERRITOIRES AFFECTÉS DE FRAGILITÉS STRUCTURELLES QUI ONT EN PARTIE JOUÉ UN RÔLE AMORTISSEUR

1. Des vulnérabilités liées à des fragilités structurelles ...

Face à la crise provoquée par l'épidémie et les mesures de freinage associées, lesquelles suivaient d'autres secousses ayant affecté leur économie 27 ( * ) , les territoires ultramarins ont présenté des vulnérabilités spécifiques liées à leurs fragilités structurelles.

a) Une forte dépendance des échanges commerciaux extérieurs

Les outre-mer disposant d'une faible base industrielle, une grande partie de la consommation des ménages et des entreprises y provient des importations et une part significative des débouchés sont liés aux exportations. La rupture mondiale des chaînes d'approvisionnement a désorganisé la production internationale de biens manufacturés, diminué le flux d'importations et entraîné la fermeture des marchés de destination des entreprises ultramarines avec de faibles possibilités de se reporter sur le marché local.

Par ailleurs, les territoires ultramarins ont subi l'impact des mesures de freinage en vigueur dans l'hexagone, avec lequel se concentrent 50 à 60 % de leurs échanges, alors qu'eux-mêmes, jusqu'à l'été dernier, étaient moins touchés par l'épidémie. De ce point de vue, le faible degré d'intégration régionale est un facteur aggravant.

b) Une écrasante majorité de TPE et PME

Les outre-mer se caractérisent par une très forte proportion de TPE 28 ( * ) , souvent sous le régime de l'entrepreneur individuel, et de PME (95 % environ). 84 % des entreprises de Guadeloupe n'auraient aucun salarié, 81 % en Martinique et 65 % en Guyane 29 ( * ) .

Or ces petites entreprises sont, toutes choses égales par ailleurs, plus vulnérables aux chocs économiques, a fortiori de cette ampleur, compte tenu de leur plus faible trésorerie, de leur moindre rentabilité et des réticences des banques à leur octroyer des prêts.

Leur besoin en fonds de roulement (décalage de trésorerie entre les encaissements et les décaissements) est supérieur à celui constaté dans l'hexagone.

ÉVOLUTION DU BESOIN EN FONDS DE ROULEMENT DES PME DES DCOM
DE LA ZONE EURO ET DE L'HEXAGONE

(en jours de chiffre d'affaires)

Source : Banque de France, IEDOM, base Fiben

Pour Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l'IEDOM et directrice générale de l'IEOM, « cela correspond à la nécessité, pour les entreprises ultramarines, de constituer davantage de stock. Joue également sur ce besoin en fonds de roulement le poids de la fiscalité indirecte, en particulier de l'octroi de mer 30 ( * ) ». Il s'agit donc là d'une fragilité plus importante que pour les entreprises hexagonales en cas de diminution des revenus d'activité.

Les secteurs les plus touchés par les restrictions d'activité sont en outre ceux dont le besoin en fonds de roulement (BFR) est le plus élevé et dont la trésorerie est la plus faible (hormis le tourisme, très impacté, mais dont le BFR est négatif de 10 jours de chiffre d'affaires et dont la trésorerie est supérieure à la moyenne). Mme Poussin-Delmas indiquait ainsi que « les secteurs-clés sur lesquels doit reposer la reprise en outre-mer - construction, industrie, commerce, mais aussi agriculture, sylviculture et pêche - sont clairement aujourd'hui dans une situation financière compliquée par rapport au défi que représente la reprise économique ».

NIVEAU DE TRÉSORERIE ET DE BFR PAR SECTEUR D'ACTIVITÉ

Source : IEDOM et base FIBEN.

c) Un poids important de l'économie informelle

La part de l'économie informelle dans le PIB est outre-mer beaucoup plus importante que dans l'hexagone. À titre d'exemple, elle représentait en 2015 à Mayotte les deux tiers des entreprises marchandes (soit 5 300 entreprises) et générait 9 % de la valeur ajoutée de l'ensemble des entreprises 31 ( * ) . Sans que des données aussi précises puissent être avancées, l'économie informelle est particulièrement marquée à Wallis-et-Futuna (notamment dans les secteurs de l'agriculture et de l'artisanat). En Guadeloupe, le secteur informel représenterait entre 23 et 26,5 % des emplois, entre 19 et 20 % en Martinique et de 12,5 à 16,5 % à La Réunion.

Cette situation a accru les difficultés économiques outre-mer lors de la crise. Les entreprises du secteur informel ne sont pas éligibles aux aides et sont concentrées dans les activités les plus affectées, comme le commerce de détail ou la construction. Enfin, comme l'a indiqué en audition M. Bourahima Ali Ousseni, président de la Confédération des PME de Mayotte, compte tenu de l'économie informelle, une recrudescence des violences et des vols dans les entreprises fermées a été constatée (200 cambriolages sur 45 jours, surtout dans la grande distribution).

d) Une diversification insuffisante

De manière générale, la diversification de l'économie est considérée comme de nature à mieux amortir les chocs économiques. Or les économies ultramarines reposent sur un nombre réduit de secteurs : l'agriculture, caractérisée par une grande spécialisation, le tourisme, le bâtiment, qui bénéficie de dispositifs non-négligeables de défiscalisation, le nickel en Nouvelle-Calédonie et l'industrie spatiale en Guyane.

S'agissant du tourisme , il est déterminant aux Antilles (30 % du PIB de la Guadeloupe, par exemple) ainsi qu'à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. M. Éric Leung, président de la délégation aux outre-mer du Conseil économique, social et environnemental (Cese) a ainsi rappelé, lors de son audition par la mission d'information le 28 septembre 2021 : « la filière touristique de l'île de La Réunion, dont le chiffre d'affaires annuel s'établit normalement à 1,7 milliard d'euros, a perdu l'année dernière plus de 770 millions d'euros, soit 50 %. Et je rappelle que le tourisme représente 9 % du PIB de notre territoire » ;

e) Des délais de paiement des collectivités locales et des établissements hospitaliers anormalement longs

Outre-mer, en 2018, les délais de paiement des services de l'État étaient en moyenne de 20,8 jours, mais ils atteignent 66,5 jours pour le secteur public local et hospitalier (pour des délais règlementaires respectifs de 30 jours et de 50 jours) 32 ( * ) .

Selon une étude plus récente transmise par l'IEDOM-IEOM à la mission d'information en septembre 2021, ils atteindraient près de 100 jours pour les établissements publics de santé des départements et collectivités d'outre-mer.

ÉVOLUTION DES DÉLAIS DE PAIEMENT DU SECTEUR PUBLIC

(en jours)

Source : DGFiP, rapport IEDOM.

ÉVOLUTION DES DÉLAIS DE PAIEMENT DES COLLECTIVITÉS LOCALES ET HOSPITALIÈRES DANS LES DCOM DE LA ZONE EURO

(en jours)

Source : DGFiP, document transmis par l'IEDOM-IEOM.

De tels délais engendrent de réelles contraintes sur la trésorerie des entreprises, notamment celles du secteur de la construction, où il atteint 123 jours, des services aux entreprises (94 jours) et des transports (92 jours).

Ces différentes fragilités structurelles, particulièrement mises en évidence en 2020 à l'apogée de la crise, ne se sont pas résorbées depuis, alors que la vague épidémique survenue mi-2021 a contraint les pouvoirs publics à de nouvelles mesures de restriction d'activité.

2. ... dont certaines ont paradoxalement permis d'atténuer légèrement l'importance du choc économique

Certaines spécificités de l'économie ultramarine ont cependant permis d'amortir l'impact de la crise économique.

La part du secteur non-marchand, plus élevée dans ces territoires qu'en métropole, atténue leur vulnérabilité aux chocs économiques 33 ( * ) . Il représente 54 % de la valeur ajoutée à Mayotte, entre 33 et 37 % dans les autres DROM et en Polynésie française et 24 % en Nouvelle-Calédonie, contre 22 % en moyenne pour la France entière.

Le graphique ci-dessous illustre la corrélation entre la part du secteur non marchand et la baisse d'activité au cours de l'année 2020.

VARIATION DE L'ACTIVITÉ PENDANT LE PREMIER CONFINEMENT

ET POIDS DU SECTEUR NON MARCHAND DANS LES OUTRE-MER

Source : CEROM, mars 2021, Les conséquences économiques de la crise sanitaire dans les Outre-mer.

À ce facteur s'ajoute, pour La Réunion, une moindre dépendance aux exportations. Lorsque les marchés de destination se sont fermés, l'impact sur la chute du PIB y a donc été moins fort que pour les autres territoires ultramarins.

La combinaison de ces différents éléments, ainsi qu'une durée de confinement plus courte pour les territoires du Pacifique, s'est traduit outre-mer par un recul d'activité moins fort qu'en métropole lors du premier confinement de 2020.

VARIATION D'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE

PAR RAPPORT À UNE SITUATION NORMALE, EN %,

LORS DU PREMIER CONFINEMENT

Source : CEROM - « Les conséquences économiques de la crise sanitaire dans les Outre-mer », page 4.

B. UNE RÉPONSE ÉCONOMIQUE EFFICACE MAIS INSUFFISAMMENT TERRITORIALISÉE

1. Un choc inédit en 2020, une reprise réelle au premier semestre 2021 et de fortes incertitudes pour les mois à venir
a) Une chute de l'activité très marquée en 2020, bien que moins forte qu'en France métropolitaine
(1) Une chute d'activité globale entre 3 % et 6 % du PIB en outre-mer, qui masque des situations contrastées selon les territoires

Les différents « amortisseurs » recensés supra ont « ont permis d'amortir la baisse du PIB, qui, en dépit des estimations très élevées du début d'année 34 ( * ) , s'est établie, à la fin de l'année 2020, entre moins 3 % et moins 6 %, à comparer à la diminution de 7,9 % enregistrée dans l'Hexagone, sauf en Polynésie française, où la régression du PIB a été de 7,6 % », ainsi que l'a relevé Mme Marie-Anne Poussin-Delmas devant la mission d'information.

Pour autant, cette chute de l'activité reste massive, inédite par son ampleur et sa synchronie entre les territoires, et ses conséquences dommageables devraient persister sur le moyen terme.

Dans le détail, le PIB de la Guadeloupe s'est contracté de 3 % en 2020 et les estimations de perte de chiffre d'affaires s'établissent à -13,1 %. En Martinique , la baisse du PIB est également de 3 %, et l'indicateur du climat des affaires a connu en 2020 sa plus forte baisse depuis les mouvements sociaux de 2009. Ainsi que le note une publication 35 ( * ) de l'IEOM/IEDOM d'avril 2021, « il n'en reste pas moins que l'économie martiniquaise expérimente en 2020 l'une des plus dures récessions de son histoire moderne ».

En Guyane , si le secteur du tourisme s'est effondré et ne s'était toujours pas entièrement redressé en avril 2021, l'activité des principaux secteurs est restée plutôt stable. Le moral des chefs d'entreprise, après avoir plongé lors du premier trimestre 2020, atteignait ainsi fin 2020 son niveau de 2019.

À Saint-Pierre-et-Miquelon , « malgré des incertitudes persistantes et une reprise inégale selon les secteurs d'activité, l'économie de l'archipel s'est montrée résiliente face à la crise économique en 2020 », selon le rapport IEDOM-IEOM précité, grâce notamment à la consommation des ménages et au poids de l'administration publique.

À La Réunion , les pertes de chiffre d'affaires ont atteint 9 % en moyenne sur l'année, tous les grands secteurs économiques étant touchés, mais l'économie a fait preuve dans l'ensemble d'une importante résilience en raison notamment d'une situation sanitaire mieux maîtrisée. À Mayotte en revanche, les difficultés déjà existantes ont été amplifiées par la crise sanitaire et économique, les problèmes de trésorerie des entreprises ayant été particulièrement aigus ; après une courte reprise, l'activité globale a ainsi à nouveau diminué au dernier trimestre.

En Nouvelle-Calédonie , l'économie a été fortement fragilisée tout au long de 2020 (en particulier pour les secteurs tournés vers l'extérieur comme le tourisme) et « sa capacité de résilience est dans une large mesure entamée », d'autant que le secteur du nickel a connu de nouvelles tensions.

En Polynésie française , 85 % des entreprises ont connu une baisse d'activité durant le confinement, liée notamment à la division par trois du nombre de touristes. La gravité de la situation a conduit les autorités publiques locales, appuyées par l'État, a mettre en place des mesures de soutien.

À Wallis-et-Futuna , enfin, où le territoire a été épargné par la pandémie en 2020, l'économie a maintenu une trajectoire favorable.

En ce qui concerne plus particulièrement le secteur touristique, l'activité a chuté en 2020 de 45 % en Guadeloupe, de 43 % en Martinique et de 40 % en Guyane.

(2) Les entreprises ultramarines ont bénéficié d'un soutien non négligeable de l'État

La moindre diminution en 2020 du PIB en outre-mer par rapport à l'hexagone s'explique notamment par les mesures de soutien mises en oeuvre. Ainsi, toujours selon Mme Poussin-Delmas, « les dix premières régions françaises bénéficiaires de PGE comptent six territoires ultramarins. À la fin du mois de septembre, l'encours de crédit dont les entreprises ultramarines ont bénéficié s'est élevé à 3,4 milliards d'euros, à savoir 2,5 % de l'encours pour la France entière, soit le poids exact du PIB des outre-mer dans le PIB de notre pays ».

INTENSITÉ DU RECOURS AUX PGE AU 3 SEPTEMBRE 2021 DANS LES DOM-COM

Source : IEDOM-IEOM, documents transmis à la mission d'information.

Note de lecture : l'intensité est mesurée par le ratio entre la part de la région dans le total des PGE accordés en France entre la part de la région dans le PIB total.

Mme Poussin-Delmas a par ailleurs précisé que « l'intensité du recours au dispositif d'activité partielle a également été massive lors du premier confinement. Les cinq DOM ont bénéficié de 629 millions d'euros d'indemnisation », expliquant en partie la chute plus modérée, bien que significative, de l'activité. Pour ne prendre que l'exemple de la Guadeloupe, 10,6 millions d'heures chômées ont été validées, pour une dépense publique de 101 millions d'euros, et 80 % des établissements employant au moins un salarié dans le secteur privé ont été concernés.

INTENSITÉ DU RECOURS À L'ACTIVITÉ PARTIELLE
DANS LES DOM-COM DE LA ZONE EURO

Source : IEDOM-IEOM, documents transmis à la mission d'information.

La banque centrale des collectivités du Pacifique a également joué un rôle via sa politique de refinancement. Celui-ci a ainsi été multiplié par 12 entre fin 2019 et septembre 2021, pour atteindre 150 milliards de francs Pacifique, avec des taux nuls voire négatifs.

b) La reprise épidémique mi-2021 met fin à la dynamique de reprise encourageante observée au premier semestre 2021
(1) Un regain d'activité économique soudainement stoppé

Compte tenu de la forte reprise épidémique aux mois de juillet et août, plusieurs territoires ultramarins ont à nouveau été confinés : la Guadeloupe du 4 août au 8 octobre, la Martinique du 30 juillet au 19 septembre, La Réunion de fin juillet au 18 septembre, la Nouvelle-Calédonie du 6 septembre au 14 novembre, la Polynésie française du 23 août au 20 septembre (confinement maintenu les week-ends dans les îles les plus peuplées). Tous les territoires, y compris ceux non soumis à confinement, ont fait l'objet d'un renforcement des mesures de restriction d'activité .

Or cette situation a heurté de plein fouet le regain d'activité constaté depuis le début 2021 qui permettait aux chefs d'entreprise d'anticiper une hausse de leur chiffre d'affaires de 5 % en moyenne.

ANTICIPATIONS DE L'ÉVOLUTION DU CHIFFRE D'AFFAIRES
DES ENTREPRISES ULTRAMARINES POUR 2021

Source : IEDOM-IEOM, note n° 656, avril 2021.

La matérialisation de ces anticipations se traduisait ainsi à la fois par une diminution du nombre de demandeurs d'emplois et par une hausse de l'indicateur du climat des affaires.

ÉVOLUTION DES DEMANDEURS D'EMPLOIS (DE CATÉGORIE A)
DANS LES DOM, EN GLISSEMENT ANNUEL

Source : IEDOM-IEOM, à partir des données des DIECCTE, de Pôle emploi et de la DARES.

INDICATEUR DU CLIMAT DES AFFAIRES DANS LES DOM

(100 = moyenne de longue période)

Source : Rapport CEROM, à partir des données IEDOM, IEOM, Banque de France.

Compte tenu de la fermeture de nombre d'entreprises et des fragilités structurelles, qui ont pu se révéler temporairement vertueuses en 2020 ( cf. supra ) mais qui maintiennent ceteris paribus ces territoires dans une vulnérabilité économique, la crise de l'été 2021 , dont il n'est pas encore possible de quantifier précisément l'ampleur en termes de destruction de richesse et d'emplois, risque d'aggraver durablement une situation économique déjà fortement dégradée 36 ( * ) . En outre, plusieurs acteurs ont souligné qu'en raison d'un trop faible taux de vaccination, l'application du passe sanitaire, dans certains territoires comme Mayotte ou la Guyane, risquait d'entraîner un recul de la fréquentation des restaurants et hôtels 37 ( * ) et un manque d'effectifs. En Guyane par exemple, moins d'un tiers des restaurateurs ont pu ouvrir avec une équipe complète, en raison du faible taux de vaccination de leur personnel.

Par ailleurs, ainsi que l'a rappelé Mme Poussin-Delmas devant la mission d'information, « contrairement à l'ensemble des autres secteurs, le secteur touristique a raté son redémarrage au deuxième trimestre 2021 [alors son chiffre d'affaires a baissé de 45 % en 2020] . Il n'a pas repris du fait de la situation sanitaire, notamment de son impact sur le trafic aérien. Il se trouve dans une situation d'extrême difficulté . Le chiffre d'affaires du secteur était en recul de 4 % au premier trimestre par rapport au trimestre précédent. La situation ne s'est pas améliorée au deuxième trimestre, avec un chiffre d'affaires en recul de 14 % ». Au surplus, en Polynésie française où le secteur touristique est prépondérant, les perspectives positives offertes par la réouverture du trafic aérien international en juillet ont rapidement été balayées par le regain épidémique. Selon le Syndicat des entreprises du tour operating (Seto), la Polynésie française ne se situe ainsi qu'à 75 % de son niveau d'activité d'avant-crise, et La Réunion qu'à 36 %.

L'ANNULATION DES DÉPARTS DE CROISIÈRES : UN CHOC ÉCONOMIQUE À COURT-TERME, UNE INQUIÉTUDE À PLUS LONG TERME

Compte tenu des spécificités de cette activité (proximité des passagers, diversité des pays d'origine des passagers, nombre d'activités réalisées sans masque - repas, activités aquatiques, danse, etc. -), le dynamisme du secteur des croisières dépend étroitement des mesures sanitaires édictées dans les différents ports de départ ou de destination et du taux de vaccination observé dans ces localités.

Or le Comité France Maritime a annoncé en octobre 2021 que la Guadeloupe et la Martinique n'accueilleraient aucune escale de bateaux de croisière avant le 15 janvier 2022, c'est-à-dire lorsque la saison hivernale sera déjà entamée, et que les vacances de Noël seront achevées.

Cette décision, outre ses conséquences économiques à court-terme pour le secteur touristique (et notamment les agences de voyage), suscite des inquiétudes quant à l'attractivité de ces territoires à moyen terme. Entendus en Martinique par la mission d'information qui s'est rendue sur place, des acteurs du tourisme ont ainsi fait part de leurs craintes que cette décision permette à d'autres ports des Caraïbes (Sint-Marteen, République dominicaine) de s'imposer comme points de départ, au détriment des îles françaises, ce qui affaiblirait structurellement le dynamisme de ce secteur, pourtant vital à l'économie locale.

Le Comité du tourisme de Guadeloupe a, quant à lui, indiqué craindre que les compagnies aériennes ayant ouvert des lignes pour acheminer les croisiéristes fassent finalement le choix de les fermer.

Au total, pour la Guadeloupe, le manque à gagner pourrait représenter entre 80 et 100 millions d'euros (700 emplois dépendent directement des croisières).

Tout ceci se traduit donc par d'importantes craintes qu'une vague de faillites ne survienne dans les prochains mois : « les chefs d'entreprise sont très inquiets, comme ils l'ont exprimé à l'occasion de notre enquête de conjoncture : 28 % craignent de devoir cesser leur activité dans un délai de douze mois - ce taux est de 25 % dans le secteur de la construction 38 ( * ) ». Cette situation contraste fortement avec les anticipations plutôt positives que les entrepreneurs portaient début 2021 sur le dynamisme de leurs secteurs respectifs. Ces considérations ne s'appliquent toutefois pas à Saint-Barthélemy, où les représentants de la CCI ont indiqué à la mission d'information que la situation économique était excellente, grâce notamment au taux élevé de vaccination et au retour des touristes américains. En revanche, en Nouvelle-Calédonie, elles se doublent d'inquiétudes vives des entrepreneurs quant à l'évolution institutionnelle du territoire, compte tenu du référendum prévu le 12 décembre 2021.

Par ailleurs, à ces difficultés liées aux restrictions d'activité s'ajoutent divers éléments exogènes susceptibles de dégrader encore la situation. Ainsi du coût du fret et de l'inflation qui en résulte : « nous connaissons aujourd'hui des pénuries de conteneurs et des lenteurs d'approvisionnement. Le prix des conteneurs a été multiplié par quatre entre septembre 2020 et août 2021. Par conséquent, les outre-mer subissent aujourd'hui, de façon générale, une hausse des prix des matières premières, des coûts du fret, du prix de l'énergie et, au-delà, de nombreux intrants 39 ( * ) ». Les retards du fret obligent les entreprises à surstocker afin de pallier toute rupture d'approvisionnement, ce qui entraîne des coûts logistiques supplémentaires, soit répercutés dans les prix de vente, soit absorbés par une réduction de leur rentabilité. Cette situation est particulièrement préjudiciable dans des territoires comme Mayotte, où 80 % des marchandises sont importées. En outre, cette hausse des prix pose des difficultés pour les titulaires de contrats dont les termes financiers ont été négociés il y a plusieurs mois ; l'équilibre desdits contrats s'en trouve d'autant modifié.

Si, mi-novembre 2021, la situation sanitaire semble s'améliorer, rien ne permet de conclure à un retour rapide à la normale de la vie économique. Aux Antilles comme en Guyane, la faiblesse de la couverture vaccinale expose à un rebond de l'épidémie qui nécessiterait de nouveau des mesures de freinage pesant sur l'activité . La mise à l'arrêt de l'économie ultramarine pouvant produire des dégâts de moyen terme voire de long terme (faillites, difficultés d'approvisionnement, marchés d'export toujours fermés, moindre appétence des touristes pour ces zones, etc.), et les entreprises ultramarines présentant des fragilités considérables, les mesures de soutien économique doivent être maintenues y compris en cas de légère reprise de l'activité.

(2) Une quatrième vague qui aggrave en outre les difficultés sociales

Les territoires d'outre-mer se caractérisent par des indicateurs sociaux plus dégradés que la moyenne. Ainsi du chômage, qui en 2020 s'est élevé par exemple à près de 19 % en Guadeloupe, 13 % en Martinique, 17 % à La Réunion, 11 % en Nouvelle-Calédonie (mais 15 % pour les Kanaks), 15 % en Polynésie française. Ainsi également du taux de pauvreté, qui atteint quant à lui 30 % 40 ( * ) en Martinique et en Guadeloupe, 42 % à La Réunion, 53 % en Guyane et même 77 % à Mayotte.

Ainsi qu'il a été rappelé en audition par M. Bourahima Ali Ousseni, président de la Confédération des PME de Mayotte, le PIB/habitant sur l'île est de 12 000 euros contre 30 000 euros environ en métropole.

À ces difficultés s'ajoutent celles liées :

• à un contexte social éruptif ;

• à un taux plus élevé d'infractions violentes 41 ( * ) et de violences intrafamiliales ;

• à « un temps effectif d'étude sensiblement inférieur à celui observé en métropole, [...] affecté par l'insuffisance des transports scolaires 42 ( * ) ».

Lors de son déplacement en Martinique, la délégation de la mission d'information a pu évoquer avec des intervenants de l'action sociale et les services de l'État l' aggravation de la situation sociale depuis le début de la pandémie , avec des besoins accrus en matière d'aide alimentaire, notamment pour des publics jusqu'alors peu concernés tels que les étudiants, l'augmentation des violences intrafamiliales et la nécessité de trouver des solutions d'hébergement d'urgence qui en résulte ou encore l'accentuation de la fracture numérique liée au développement d'activités en distanciel. Cette situation a justifié, sous la forme d'un « bouclier social », la mobilisation de tous les dispositifs sociaux existants, qu'ils relèvent de l'État ou des collectivités locales. Par ailleurs, la fermeture des établissements scolaires, qui suivait une longue période de grève, a renforcé les risques de décrochage, avec des effets à moyen terme sur l'insertion sociale et professionnelle des jeunes.

Il est clair qu'en cas de forte reprise épidémique, la mise en place d'un nouveau confinement et/ou d'un couvre-feu dans tout ou partie des territoires ultramarins serait fortement susceptible d'accroître ces difficultés.

LA NOUVELLE-CALÉDONIE ET LA POLYNÉSIE FRANÇAISE,
DEUX COLLECTIVITÉS SANS MARGE DE MANoeUVRE BUDGÉTAIRE

Si plusieurs mesures d'aides ont été décidées par les assemblées délibérantes de ces collectivités, l'État a été contraint d'intervenir à plusieurs reprises pour combler leur déficit budgétaire et leur assurer des marges de manoeuvre financières.

En Nouvelle-Calédonie, le budget n'a ainsi pas été voté par le Congrès, mais arrêté par le Haut-commissaire. La collectivité a perçu en 2020 un prêt de l'Agence française de développement (AFD) garanti par l'État de 240 millions d'euros, ainsi qu'une subvention étatique de 82 millions d'euros en 2021. Une aide supplémentaire de 40 millions d'euros a été annoncée. D'ici la fin de l'année, le besoin de financement serait toutefois encore évalué entre 200 et 250 millions d'euros.

En audition, le ministre de la santé de Nouvelle-Calédonie a toutefois évoqué une impasse budgétaire de 375 millions d'euros pour 2020.

La Polynésie française a perçu, quant à elle, deux PGE accordés par l'AFD (240 puis 300 millions d'euros).

2. Dans l'ensemble, un soutien économique notable, mais devant mieux répondre aux besoins légitimes d'adaptation locale
a) Le soutien économique de l'État a permis d'éviter une catastrophe économique...

Les territoires d'outre-mer ont bénéficié depuis mars 2020 de mesures de soutien équivalentes à celles prévues pour la métropole. De l'avis général, elles ont été bienvenues et ont joué un rôle important pour éviter un désastre économique. Environ 6 milliards d'euros ont ainsi été injectés dans l'économie de ces territoires, qui se décomposent comme suit :

• 3,5 milliards d'euros de prêts garantis par l'État (PGE) ;

• 1 milliard d'euros au titre du fonds de solidarité ;

• 830 millions d'euros de reports de charges ;

• 650 millions d'euros au titre de l'activité partielle 43 ( * ) .

M. Éric Leung, président de la délégation aux outre-mer du Cese, a ainsi indiqué à la mission d'information : « les mesures massives qu'a apportées l'État depuis le premier confinement en mars 2020 ont répondu aux attentes du monde économique de façon générale. Si l'intensité de la mise en oeuvre de ces aides a été différenciée, nous pouvons considérer que les fonds de solidarité, l'articulation des prêts garantis par l'État, l'activité partielle ont permis de sauvegarder nos entreprises dans la très grande majorité de nos onze territoires ».

LES MESURES DE SOUTIEN ÉCONOMIQUE ONT ÉTÉ PROLONGÉES EN OUTRE-MER
À LA SUITE À LA RÉSURGENCE DE L'ÉPIDÉMIE

Alors que le terme du « quoi qu'il en coûte » est intervenu fin septembre 2021 en métropole (notamment avec l'extinction du fonds de solidarité), différentes mesures de soutien économique ont été prolongées en outre-mer à la suite du déclenchement de l'état d'urgence sanitaire à La Réunion, en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane :

- concernant l' activité partielle , les entreprises dont l'activité est partiellement ou totalement interrompue sur décision de l'État restent éligibles à ce dispositif ; pour les autres, si leur perte de chiffre d'affaires est supérieure à 60 %, elles sont éligibles à ce dispositif (sans reste à charge pour l'entreprise). Pour celles dont la perte est inférieure à 60 %, le bénéfice de l'activité partielle dépend de leur couverture ou non par un accord collectif relatif à l'activité partielle de longue durée (APLD). Si elles sont couvertes, elles sont éligibles à l'activité partielle avec un reste à charge de 15 % ; si elles ne le sont pas, le reste à charge était de 25 % en août et de 40 % à partir de septembre ;

- le fonds de solidarité est maintenu, mais selon un schéma complexe, qui dépend de l'interruption totale ou non de l'activité sur décision de l'État pendant plus de 21 jours au cours du mois, du type d'activité exercée (secteurs protégés ou non) et de l'emplacement géographique de l'entreprise (territoire soumis à état d'urgence sanitaire ou non, ou soumis à un confinement pendant plus de 8 jours) ;

- l' exonération de charges patronales et le régime plus favorable d' aide au paiement des charges sociales sont maintenus pour les petites entreprises du tourisme, de l'événementiel, de la culture, du sport et du transport aérien, mais uniquement pour les entreprises exerçant leur activité dans un secteur protégé et employant moins de 250 salariés.

b) ... mais est resté insuffisamment adapté aux fortes spécificités des entreprises ultramarines, y compris en 2021

Les différents acteurs économiques entendus par la mission ont tous relevé que ces aides ont permis d'amortir, temporairement, les effets de la crise. Pour autant, plusieurs d'entre eux ont mis en avant le fait que les mesures de soutien ne tenaient pas suffisamment compte des réalités locales . Ils ont notamment déploré que peu de suites aient été données à leurs demandes d'adaptation, ou trop tardivement.

(1) Des critères d'éligibilité parfois trop restrictifs

Le maintien du fonds de solidarité au-delà de septembre 2021 obéit à un schéma particulièrement complexe , et semble comporter plusieurs « trous dans la raquette » liés à la multiplicité des critères d'éligibilité.

SCHÉMA EXPLICATIF DE L'ÉLIGIBILITÉ AU FONDS DE SOLIDARITÉ EN OUTRE-MER

Source : Ministère des outre-mer

Ainsi, une entreprise qui n'a pas été fermée administrativement, mais qui exerce son activité dans un secteur protégé au sein d'un territoire non soumis à état d'urgence sanitaire n'est éligible à l'indemnisation de 20 % de la perte de chiffre d'affaires qu'à la condition d'avoir déjà touché le fonds de solidarité en avril ou mai 2021 ; dans tous les cas, elle n'est plus éligible depuis septembre. De même, une entreprise qui n'a pas été fermée administrativement, qui n'exerce pas dans un secteur protégé mais qui est basée dans un territoire soumis à confinement pendant plus de huit jours ne peut percevoir qu'une indemnisation d'au plus 1 500 euros, et seulement si la perte de chiffre d'affaires est supérieure à 50 %. Or toutes ces entreprises, sans être en « première ligne » face aux confinements et fermetures administratives, peuvent souvent être des victimes collatérales du marasme général de l'écosystème dans lequel elles s'inscrivent.

UNE INDEMNISATION QUI NE TIENT PAS SUFFISAMMENT COMPTE DE L'AMPLEUR DE LA PERTE, DÈS LORS QUE CELLE-CI EST IMPORTANTE

Il convient de noter que le montant de l'indemnisation jusqu'à 40 % de la perte de chiffre d'affaires, pour les entreprises situées dans un territoire soumis à état d'urgence sanitaire et qui exercent leur activité dans un secteur protégé (donc les entreprises les plus directement touchées), est plafonnée à 20 % du chiffre d'affaires.

Autrement dit, seules les entreprises qui enregistrent des pertes de moins de 50 % peuvent toucher une aide de 40 % de leur chiffre d'affaires (au-dessus de 50 % de perte, l'indemnisation serait limitée par le fait que le plafond de 20 % du chiffre d'affaires serait dépassé).

Ce qui signifie qu'à chiffre d'affaires égal, deux entreprises dont l'une a perdu 70 % de son activité et l'autre 35 % perçoivent la même indemnité.

Le volet n° 2 du fonds de solidarité (compensations financières accordées par les collectivités) n'était par ailleurs initialement ouvert qu'aux entreprises employant au moins un salarié 44 ( * ) . Or quatre entreprises sur cinq en Martinique, Guadeloupe et Guyane n'emploient aucun salarié, ce qui les excluait d'office du bénéfice de ces aides.

Au rang des critères trop restrictifs, plusieurs acteurs économiques ont déploré par ailleurs l'exigence d'avoir bénéficié du fonds de solidarité en avril ou mai 2021 (ou entre janvier et juin 2020 pour la Polynésie française) pour pouvoir en bénéficier en septembre-octobre 2021. Les entreprises n'en ayant pas ressenti le besoin au printemps sont dès lors pénalisées à l'automne (par exemple en Polynésie française, où la situation sanitaire était plus calme au printemps) ; si la situation semble avoir été ultérieurement réglée par l'État, elle a engendré un surcroît de complexité et de démarches, et placé temporairement lesdites entreprises dans une situation fragile du point de vue de leur trésorerie.

En outre, ces aides étant conditionnées au fait d'être à jour des obligations fiscales et sociales, un certain nombre d'entreprises qui n'étaient pas dans ce cas, même de manière exceptionnelle, en ont été écartées. La CCI de Martinique évalue ainsi à 13 % cette proportion.

Parallèlement, le poids élevé du secteur informel a conduit, mécaniquement, à une sous-estimation de l'ampleur du soutien nécessaire aux entrepreneurs ultramarins.

(2) Un « maquis d'aide » d'une grande complexité, alors que les bénéficiaires sont de petites entreprises peu familiarisées à de telles démarches

De façon générale, il a été fréquemment déploré, lors des échanges des rapporteurs avec le monde économique, que les différentes aides relèvent d'une multiplicité d'interlocuteurs 45 ( * ) , complexifiant d'autant les démarches et provoquant un allongement des délais de versement, voire un renoncement des chefs d'entreprises. Cette difficulté est plus prononcée en outre-mer qu'en métropole, compte tenu de la très forte prépondérance des très petites entreprises, dont certaines n'ont aucun salarié.

En outre, la dématérialisation systématique de toutes les démarches représente un handicap dans les zones où l'accès au numérique reste insuffisant, ainsi que le réseau consulaire l'a souligné lors du déplacement de la mission d'information en Martinique. Cette réflexion vaut au demeurant tant pour les dispositifs nationaux que pour certaines mesures plus locales, comme le « prêt territorial covid-19 » mis en place en Martinique.

Par ailleurs, les plus petites d'entreprises n'ont, souvent, pas de comptabilité, ce qui les excluait d'office du bénéfice du PGE.

(3) Une hausse drastique et potentiellement fatale de l'endettement des TPE-PME

Par ailleurs, le recours aux PGE a conduit les entreprises à augmenter leur taux d'endettement. Si cette situation n'est pas propre à l'outre-mer, elle soulève des difficultés particulières pour les entreprises de ces territoires. Ainsi que l'a souligné M. Leung à la mission d'information, « en matière de trésorerie, au-delà du mur de dettes, des besoins en fonds de roulement et des délais de règlement qui sont hors norme chez nous, il faut ajouter le fait que, depuis 2018 et la crise des « gilets jaunes », les territoires ultramarins sont considérés par certains établissements bancaires ou certains assureurs crédits comme des « pays » à haut risque. Comme les comptes à la fin de l'année 2020 ont été clôturés avec des taux d'endettement ou des résultats d'exploitation médiocres, il s'ensuit que beaucoup de nos entreprises connaissent des relations très difficiles avec nos partenaires bancaires. Sans trésorerie et sans accompagnement de nos entreprises, ce sera extrêmement compliqué ».

Compte tenu de la faiblesse structurelle des fonds propres de ces entreprises, il a également été demandé par les acteurs économiques qu'une fraction des PGE soit convertie en fonds propres, afin tant d'éloigner le spectre de la faillite que d'accélérer leur désendettement et de renforcer leurs capacités d'investissement. La CCI de Guadeloupe a ainsi indiqué à la mission d'information, lors de son déplacement sur place, que « les petites entreprises ne disposaient d'aucun fonds propre leur permettant de rembourser les PGE ».

En résumé, ces insuffisances ne sont bien entendu pas propres aux outre-mer, mais leur tissu économique étant plus fragile, inadaptations et complexité y sont encore plus dommageables que dans l'hexagone, laissant ces territoires plus exposés au risque de faillites et d'effondrement de la vie économique.

(4) Un plan France Relance trop peu adapté aux spécificités des territoires ultramarins

Le déploiement du plan de relance, présenté en septembre 2020 et adopté à la fin de l'année, semble se heurter à plusieurs écueils dans les territoires ultramarins. Plusieurs élus locaux ont ainsi déploré manquer de l'ingénierie technique nécessaire pour constituer les dossiers de demande de fonds, au demeurant dans un calendrier contraint.

En outre, ces élus regrettent que les aides du plan soient trop directement fléchées vers certains types de projets, pénalisant les initiatives des collectivités qui souhaiteraient mettre en oeuvre un projet utile à leur territoire mais ne répondant que partiellement aux critères définis au niveau national. La maire de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, indiquait ainsi : « il faut cocher des cases, sauf que chez nous, dans les outre-mer, on ne peut pas toujours cocher toutes les cases 46 ( * ) ».

C. LE SOUTIEN AUX TERRITOIRES ULTRAMARINS REQUIERT UNE PLUS GRANDE ADAPTATION LOCALE DES DISPOSITIFS NATIONAUX ET DOIT S'INSCRIRE DANS UNE PERSPECTIVE PLUS LARGE DE DÉVELOPPEMENT

1. Maintenir, élargir et accélérer les mesures de soutien économique de court-terme

Compte tenu des différents éléments recueillis par la mission d'information, en audition comme lors de son déplacement en Martinique et en Guadeloupe, les mesures suivantes semblent de nature à apporter une solution de court-terme efficace aux entreprises ultramarines impactées par les restrictions d'activité.

Général :

Proposition : engager une action vigoureuse de réduction des délais de paiement du secteur public local et hospitalier, notamment en modernisant le circuit de traitement de la dépense via une accélération de la dématérialisation de la facturation et en renforçant la transparence sur les délais pratiqués afin d'améliorer l'information des entreprises ultramarines.

Proposition : définir un référent au sein des services de l'État centralisant, dans chaque collectivité, les demandes d'aide et les transférant aux différents services compétents.

Proposition : mettre en place un groupe de suivi et d'évaluation des mesures de soutien réunissant l'État, les organismes sociaux, les collectivités territoriales, le réseau consulaire et les principales organisations représentatives du monde économique.

Proposition : substituer à l'obligation d'être à jour de leurs charges fiscales et sociales pour l'éligibilité des entreprises aux différentes aides un engagement sur l'honneur d'entrer dans une procédure d'étalement desdites obligations lorsque ce n'est pas le cas.

Fonds de solidarité :

Proposition : abaisser à 40 %, au lieu de 60 %, le seuil de perte de chiffre d'affaires à partir duquel les entreprises sont éligibles au dispositif d'activité partielle sans reste à charge pour l'employeur.

Proposition : pour l'accès au fonds de solidarité, supprimer la condition d'en avoir déjà bénéficié au moins un mois entre janvier et mai 2021.

Proposition : pour l'accès au fonds de solidarité des entreprises qui n'ont pas été fermées administrativement mais qui exercent dans un secteur protégé et qui sont situées dans un territoire soumis à état d'urgence sanitaire, supprimer le plafond d'aide fixé à 40 % de la perte de chiffre d'affaires subie.

Proposition : accélérer massivement le versement des aides au titre de l'activité partielle et du fonds de solidarité afin de minimiser les difficultés de trésorerie des entreprises.

Prêts garantis par l'État :

Proposition : étudier la possibilité d'un différé supplémentaire pour le remboursement des prêts garantis par l'État et d'un allongement de la durée de remboursement pour les entreprises ultramarines, et les adapter selon la date de reprise de l'activité.

Proposition : étudier la possibilité d'une transformation des PGE en fonds propres.

Exonération de charges patronales :

Proposition : élargir le dispositif d'exonération de charges patronales aux entreprises qui n'exercent pas dans un secteur protégé mais qui sont présentes sur un territoire soumis à état d'urgence sanitaire.

Proposition : pour l'accès aux exonérations de charges patronales des entreprises exerçant dans un secteur protégé mais non situées dans un territoire soumis à l'état d'urgence sanitaire, supprimer la condition d'avoir déjà été éligible à ce dispositif en mars, avril ou mai 2021.

2. Adapter les dispositifs de relance aux contraintes des territoires ultramarins

Au-delà des mesures de court terme, la reprise d'activité et le développement équilibré des territoires ultra-marins exigent un renforcement structurel de leurs atouts et la réduction de leurs handicaps (enclavement, isolement, dépendance aux exportations, concentration sur quelques secteurs, qualité des infrastructures de transport, etc.).

Si le plan de relance s'inscrit dans ces ambitions (1,5 milliard d'euros pour l'outre-mer, dont 94 millions d'euros pour Mayotte, 125 millions d'euros pour la Guyane, 35 millions d'euros pour la Martinique en 2021, par exemple), il présente encore plusieurs faiblesses déplorées par les acteurs économiques entendus par la mission d'information ( cf. supra ). En outre, le volet « outre-mer » du plan de relance a été dimensionné mi-2020 , bien avant la nouvelle vague épidémique de l'été 2021 , alors que le nouveau programme « France 2030 » semble laisser de côté les outre-mer, sauf en ce qui concerne l'exploration des fonds marins.

Il en résulte la nécessité de revoir à la hausse l'enveloppe allouée aux territoires ultramarins, au regard de l'aggravation de leur situation économique et sociale depuis plusieurs mois.

Proposition : rehausser le montant de l'enveloppe du plan de relance dédiée à l'outre-mer, arrêté avant la résurgence de l'épidémie en 2021.

Proposition : concentrer les efforts du plan de relance « outre-mer » sur la numérisation des entreprises, l'amélioration des transports en commun et le développement du tourisme durable.

Proposition : étudier la possibilité de confier la gestion d'une partie de l'enveloppe budgétaire directement aux départements et collectivités d'outre-mer, qui sélectionneraient eux-mêmes les projets lauréats.

De même, le programme « Territoires d'industrie », sur lequel s'appuie l'État depuis 2018 pour renforcer le tissu industriel local, est bienvenu mais dispose de marges d'amélioration. M. Pascal Plante, premier vice-président de la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion, a ainsi déploré en audition le fait que les projets éligibles doivent être supérieurs à 5 millions d'euros. Selon lui, dix-huit projets à La Réunion seraient bloqués en préfecture en raison de ce seuil.

Proposition : assouplir les critères d'éligibilité pour la soumission de projets aux appels d'offre lancés dans le cadre de « Territoire d'industries », notamment le seuil financier minimum, qui écarte certains projets pourtant prêts à être lancés, et simplifier les démarches pour les PME.

EXAMEN PAR LA MISSION D'INFORMATION

Réunie le jeudi 18 novembre 2021, sous la présidence de M. Bernard Jomier, la mission d'information examine le rapport d'information sur la situation dans les outre-mer à la suite de la quatrième vague épidémique.

M. Bernard Jomier, président . - Depuis la fin du mois de septembre, notre mission d'information s'est livrée à une analyse détaillée de la vague épidémique entraînée cet été par le variant delta dans les territoires ultramarins, à ses conséquences aux plans sanitaire et économique et aux enseignements qu'il convient d'en tirer.

Nous avons organisé une table ronde de personnalités qualifiées sur le sujet et procédé à l'audition de Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Nos rapporteurs, Roger Karoutchi et Jean-Michel Arnaud, ont échangé par visioconférence avec des responsables de Guyane, de La Réunion, de Mayotte, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. Les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer ont été associés.

Enfin, une délégation composée de Jean-Michel Arnaud, Fabien Genet et moi-même s'est rendue en Martinique et en Guadeloupe du 17 au 21 octobre. Avec les sénateurs des départements concernés, elle a rencontré les représentants des services de l'État, des élus locaux, des représentants des professionnels de santé et des acteurs économiques.

C'est donc un nombre très important d'éléments d'information et de témoignages qui ont été recueillis en un peu plus d'un mois et demi.

Nos rapporteurs vont maintenant nous livrer la synthèse de ces travaux, ainsi que les conclusions et propositions qui en découlent.

M. Roger Karoutchi, rapporteur . - Nos travaux visaient à évaluer la situation tant au plan sanitaire qu'au plan économique. C'est donc sur ces deux volets que portent les constats et propositions des rapporteurs.

D'abord, le volet sanitaire. C'est bien entendu l'ampleur de la crise sanitaire survenue cet été qui justifiait de porter une attention particulière à la situation des territoires ultramarins, comme l'avait demandé le président Larcher.

Comme l'hexagone, mais avec un décalage dans le temps, de début juillet en Martinique et à La Réunion à début septembre en Nouvelle-Calédonie, l'outre-mer a connu une reprise épidémique liée au variant delta. Trois territoires seulement y ont échappé : Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna.

Les conséquences ont été beaucoup plus graves qu'en métropole, car ce variant plus contagieux et plus virulent a atteint des populations : globalement moins touchées par les vagues précédentes, et donc moins immunisées ; beaucoup moins vaccinées, entre 20 et 35 points de moins que dans l'Hexagone selon les territoires ; plus exposées en raison de comorbidités plus fréquentes : surpoids et obésité, diabète, hypertension, ...

Le bilan de cette quatrième vague est extrêmement lourd : les outre-mer représentent 4 % de la population française, mais plus de 30 % des décès liés à la covid et survenus en milieu hospitalier de début juillet à fin octobre. Le nombre des décès à domicile, qui n'est pas comptabilisé à ce stade, alourdit plus encore le bilan.

La Martinique et la Guadeloupe, avec plus de 1 200 décès dus à la covid à l'hôpital sur la période, ainsi que la Polynésie française - près de 500 décès - sont les territoires les plus gravement touchés. La mortalité a été élevée en Nouvelle-Calédonie et en Guyane, un peu moins à La Réunion.

Face à cette flambée épidémique, la tension sur le système de santé a été maximale. Les capacités de réanimation ont été multipliées par cinq en Martinique, par près de quatre en Guadeloupe, par trois en Guyane, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, par deux à La Réunion.

Les hôpitaux ont reçu un nombre inédit de renforts de métropole : 4 600 soignants au total en trois mois, contre 4 000 de mars 2020 à juillet 2021.

Pour soulager les services de réanimation, des évacuations sanitaires sans précédent ont été effectuées vers l'hexagone. Il y en avait eu quatre seulement depuis le début de l'épidémie. Depuis août dernier, 153 patients intubés et ventilés ont été évacués vers la métropole.

L'ampleur des moyens déployés montre que cette crise dépassait, à des degrés variables que nous détaillons dans le rapport écrit, les capacités propres des territoires ultramarins en matière sanitaire.

C'est incontestablement en Martinique et en Guadeloupe que la situation a été la plus dramatique. Les interlocuteurs de la délégation de notre mission d'information ont décrit un véritable « tsunami » épidémique et une situation relevant de la médecine de catastrophe.

Tout d'abord, malgré l'augmentation des capacités, l'envoi des renforts et les évacuations sanitaires, les hôpitaux ont été débordés et les services de réanimation saturés. Une priorisation des patients a été nécessaire. Elle a connu aux Antilles une intensité sans équivalent sur le territoire national depuis le début de la pandémie.

En raison de l'engorgement des hôpitaux, plus d'un millier de patients ont été pris en charge à domicile. Les professionnels libéraux ont exprimé leur sentiment d'isolement et de solitude en l'absence de consignes précises sur la conduite à tenir ou face aux difficultés d'approvisionnement en oxygène.

Un retard considérable a été pris sur le diagnostic et le traitement des pathologies non-covid, avec un impact sur la surmortalité qui ne fait pas de doute, mais reste à évaluer.

Enfin, cette crise est intervenue dans un contexte social tendu, de contestation de la politique sanitaire. Des membres des équipes hospitalières ont été mis en cause ou pris à partie, alors qu'ils ont été très éprouvés par cette crise et fait preuve d'un engagement exemplaire qui mérite d'être salué. Au terme de cet épisode, les souhaits de départ vers l'hexagone s'accentuent.

Où en est-on aujourd'hui ? Les mesures de freinage, différenciées territoire par territoire, ont permis de revenir à une situation globalement sous contrôle.

Le taux d'incidence a baissé. Il se situe autour de 100 en Martinique, en Guyane et en Nouvelle-Calédonie. Il est inférieur partout ailleurs.

Une exception préoccupante toutefois : La Réunion. Le taux d'incidence remonte fortement depuis trois à quatre semaines et dépasse maintenant 150, même si le nombre d'hospitalisés et de patients en réanimation n'augmente que modérément.

Les mesures de restriction ont été progressivement assouplies. La Guyane et la Martinique demeurent cependant sous l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 31 décembre.

Le taux de vaccination constitue le point clé. Il est partout inférieur à celui de l'hexagone, excepté à Saint-Pierre-et-Miquelon. Mais il faut distinguer deux groupes de territoires :

D'une part, ceux dans lesquels la majorité de la population est vaccinée, même si c'est en moindre proportion que dans l'hexagone. Dans les territoires de l'Océan indien et du Pacifique, la vague épidémique a suscité un sursaut de la vaccination. La protection de la population s'est notablement accrue, même si elle doit être améliorée.

D'autre part, les territoires dans lesquels une majorité de la population n'est pas vaccinée. Il s'agit de la Guyane et des Antilles, à l'exception de Saint-Barthélemy.

Dans ces territoires, la vague épidémique de l'été dernier - et pour la Martinique et la Guadeloupe il s'agissait d'un tsunami - n'a provoqué aucune accélération de la vaccination. Celle-ci progresse, mais à un rythme extrêmement lent.

Certes, une part de la population non-vaccinée a contracté le virus et acquis une immunité naturelle. Mais en Guyane comme aux Antilles, la part de la population vulnérable à l'égard d'une reprise épidémique est toujours très importante.

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur . - Pourquoi un tel retard de la vaccination ? Cette question était au coeur des entretiens de notre délégation aux Antilles le mois dernier.

Les motivations exprimées pour justifier l'hostilité, les réticences ou les doutes vis-à-vis du vaccin ne diffèrent pas fondamentalement de celles constatées dans l'hexagone. Elles trouvent cependant aux Antilles un écho beaucoup plus important lié à de multiples facteurs.

Premièrement, un recours répandu à la pharmacopée traditionnelle et à des traitements alternatifs.

Deuxièmement, une propension à relativiser les effets de la pandémie au regard des risques propres à ces territoires - cyclones, séismes, éruptions volcaniques...

Troisièmement, la place démesurée des réseaux sociaux, vecteurs de fausses informations.

Quatrièmement, la défiance d'une partie de la population vis-à-vis de l'État et de la parole officielle, pour des raisons profondément ancrées tenant à l'histoire de ces territoires, mais aussi, de manière plus contemporaine, à l'occultation prolongée des conséquences de l'usage de la chlordécone.

Cinquièmement, l'instrumentalisation de la question vaccinale par des mouvances politiques y voyant des opportunités de déstabilisation.

L'obligation vaccinale des soignants, qui a fait l'objet d'un calendrier aménagé, avec un report au 31 décembre en Martinique, suscite une contestation vive, même si dans les établissements, plus de 80 % des personnels sont vaccinés. Ce climat - que nous avons pu aussi constater chez les pompiers - accentue le clivage entre vaccinés et non-vaccinés.

La force de l'activisme antivaccinal tout comme l'hostilité ou la réserve d'un part importante de la population ont été sous-estimées durant plusieurs mois.

La communication est demeurée institutionnelle, identique à celle mise en oeuvre en métropole, sans adaptations au contexte local et aux préoccupations propres de la population antillaise. Les centres de vaccination n'ont reçu la visite que des plus convaincus et les solutions de proximité, notamment itinérantes avec des « vaccibus », ont été mise en oeuvre avec retard, sans être toujours accompagnées d'une sensibilisation préalable dans les communes ou quartiers concernés, et parfois aussi avec des positions différenciées des maires.

M. Roger Karoutchi, rapporteur . - Face à ces constats, nous formulons quatre séries de recommandations pour rendre les capacités sanitaires des territoires ultra-marins plus robustes à court et à moyen termes.

Les premières concernent la vaccination, qui constitue une priorité absolue, notamment aux Antilles et en Guyane. Il s'agit de passer d'une méthode « standard », décalquée de la métropole, à du « sur-mesure ». La communication doit répondre aux inquiétudes d'une partie de la population, prendre des formes variées vers des publics ciblés - jeunes, personnes présentant des risques de forme sévère - et s'appuyer sur des relais proches du public : élus locaux, milieux professionnels, associatifs, culturels, sportifs. Pour la vaccination, les opérations de proximité doivent être privilégiées en y consacrant les moyens humains nécessaires à l'information préalable de la population et en y impliquant davantage les médecins et les pharmaciens.

Deuxième priorité : l'anticipation d'une nouvelle vague épidémique. Autant que possible, les renforts actuels doivent être maintenus tant que la situation demeure incertaine et que le retard dans les prises en charge non-covid n'est pas résorbé. Un appui technique doit être apporté aux instances locales pour effectuer un retour d'expérience et améliorer les plans de préparation aux crises, notamment la coordination avec les professionnels libéraux. Au vu de ces plans, les besoins doivent être anticipés et la réserve sanitaire mieux organisée et mobilisée, afin d'assurer une réponse plus réactive en cas de cinquième vague. L'autonomie des territoires ultra-marins doit être renforcée en termes d'équipement, de matériels, de production d'oxygène.

Troisième axe : rehausser les infrastructures hospitalières, notamment aux Antilles. La situation est contrastée selon les territoires. Des investissements sont en cours, comme le nouveau centre hospitalier universitaire (CHU) de Guadeloupe attendu fin 2023, et d'autres sont prévus par le Ségur de la santé : 1 milliard d'euros pour les outre-mer, dont 700 millions d'euros pour des projets et 300 millions d'euros pour restaurer la trésorerie des hôpitaux. Il est nécessaire d'engager rapidement les projets prévus et de maintenir une capacité en soins critiques supérieure à ce qu'elle était avant la crise, avec une prise en compte de la situation particulière de Saint-Martin, dépourvu de capacités alors que les évacuations n'étaient plus possibles vers un CHU de Guadeloupe saturé.

Enfin, il est indispensable d'élaborer une stratégie et des mesures spécifiques pour renforcer l'attractivité de l'exercice médical outre-mer, alors qu'aujourd'hui, les risques de départ vers l'hexagone sont réels. Dans l'immédiat, il faut assurer une transition adaptée pour mettre en oeuvre les nouvelles dispositions sur l'intérim médical et le statut unique de praticien contractuel afin de ne pas déstabiliser les équipes hospitalières.

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur . - Venons-en, donc, aux impacts économiques et sociaux de cette crise sur les territoires ultra-marins. Leurs fragilités structurelles ont déjà été soulignées par nos collègues de la délégation aux outre-mer dans leur rapport de juillet 2020 sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la première vague. Leur dépendance des échanges commerciaux extérieurs, notamment avec l'hexagone, qui les expose particulièrement aux difficultés rencontrées par les chaînes d'approvisionnement mondiales. Leur très forte proportion de très petites entreprises (TPE), plus vulnérables aux chocs économiques, a fortiori de cette ampleur, compte tenu de la fragilité de leur trésorerie, de leur moindre rentabilité et des réticences des banques à leur octroyer des prêts.

La part de l'économie informelle, avec des entreprises qui ne sont donc pas éligibles aux aides et se concentrent surtout dans les activités les plus affectées par la crise, comme le commerce de détail ou la construction. Nous avons constaté également une diversification insuffisante, avec une part importante du tourisme : 30 % du PIB en Guadeloupe, par exemple.

Enfin, des délais de paiement anormalement longs des collectivités locales et des établissements hospitaliers, qui se répercutent sur la trésorerie des entreprises.

En revanche, d'autres spécificités ont permis d'atténuer l'impact économique de la crise, à tout le moins en 2020. Le poids plus important du secteur public a joué un rôle amortisseur certain, selon tous les acteurs entendus, dans le fait que le PIB n'ait reculé, selon les territoires, qu'entre 3 et 6 % l'an dernier, contre 8 % dans l'hexagone. Si une dynamique de reprise économique a pu être observée tout au long du premier semestre 2021, la vague épidémique de l'été y a mis un terme. Alors que le nombre de demandeurs d'emplois diminuait, que l'indicateur du climat des affaires repartait à la hausse et que les chefs d'entreprise anticipaient une hausse de leur chiffre d'affaires pour l'année en cours, les confinements, couvre-feu et autres mesures de freinage ont, comme en 2020, conduit à un arrêt brutal de l'activité économique, notamment celle liée au tourisme.

L'annulation des départs de croisières représente à cet égard un exemple marquant. À court terme, elle entraîne une baisse du chiffre d'affaires des acteurs du tourisme, notamment des agences de voyage ; à moyen terme, elle fait courir le risque que d'autres ports des Caraïbes s'imposent comme points de départ, au détriment des îles françaises, ce qui affaiblirait structurellement et durablement le dynamisme de ce secteur.

Tout cela conduit à un risque élevé qu'une vague de faillites et de chômage survienne dans les semaines et mois à venir : 28 % des chefs d'entreprise interrogés récemment par l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) craignent de devoir cesser leur activité dans un délai de douze mois.

Aux Antilles comme en Guyane, la faiblesse de la couverture vaccinale expose à un rebond de l'épidémie qui nécessiterait de nouveau des mesures de freinage pesant sur l'activité.

Le climat social et le dynamisme économique étant étroitement liés, la prospérité de ces territoires risque également d'être fragilisée par le regain de tensions, parfois violentes, et par la déscolarisation d'un certain nombre d'élèves, pour ne citer que ces exemples.

Divers éléments exogènes sont susceptibles de dégrader encore la situation. Le coût du fret et l'inflation qui en résulte obligent les entreprises à sur-stocker afin de pallier toute rupture d'approvisionnement, ce qui entraîne des coûts logistiques supplémentaires.

Face à cette situation, l'État a répondu présent en matière de soutien économique, en 2021 comme en 2020, que ce soit via l'activité partielle, le fonds de solidarité ou les prêts garantis par l'État (PGE). Au total, 6 milliards d'euros environ ont été injectés dans l'économie de ces territoires, qui ont dans l'ensemble permis de sauvegarder à court terme le tissu économique, notamment en mettant les entreprises « sous perfusion ». Pour autant, nos travaux ont mis en exergue un manque d'adaptation de ces dispositifs aux réalités locales, ainsi qu'une réelle crainte qu'il y soit mis fin prématurément au motif que la situation s'améliore sur le plan sanitaire.

Parmi les difficultés signalées, l'exigence, pour l'octroi des aides, d'être à jour des obligations fiscales et sociales. Il nous paraîtrait souhaitable, pour les petites et moyennes entreprises (PME) de ces territoires, d'être plus souple et de s'en tenir à l'engagement dans une procédure de régularisation.

Autre exemple : la nécessité d'avoir déjà bénéficié du fonds de solidarité à une période donnée pour y être de nouveau éligible. Cette condition nous semble devoir être supprimée. Le caractère totalement dématérialisé des démarches a également constitué un obstacle pour beaucoup d'entreprises compte tenu du faible degré de numérisation dans ces territoires. Nous proposons qu'un référent, au sein des services de l'État, centralise les demandes d'aide et les transfère aux différents services compétents.

Nos propositions visent donc à assouplir et à adapter les critères d'éligibilité aux aides, à simplifier les modalités de demande, à ajuster la durée du soutien sur le caractère plus violent et plus récent de cette crise en outre-mer et à y préparer la reprise économique.

J'en ai déjà cité trois. Nous suggérons également d'étudier la possibilité d'un différé supplémentaire et d'un allongement de la durée de remboursement des prêts garantis par l'État pour les entreprises ultra-marines.

Par ailleurs, le montant de l'enveloppe du plan de relance dédiée à l'outre-mer avait été arrêté avant la résurgence de l'épidémie en 2021. Il nous paraît nécessaire de le rehausser et de concentrer ses financements sur la numérisation des entreprises, l'amélioration des transports en commun et le développement du tourisme durable. De même, les collectivités locales pourraient être plus impliquées dans la sélection des projets, les critères nationaux étant peu adaptés à la réalité économique des outre-mer.

Je vous renvoie au rapport pour le détail de ces propositions qui répondent à un besoin d'adaptation aux spécificités économiques de ces territoires comme à la singularité et à la temporalité de la crise qu'ils ont traversée et qu'ils continuent de traverser.

M. Roger Karoutchi, rapporteur . - Je n'ai pas effectué le déplacement aux Antilles, mais j'ai mené les visioconférences avec la Guyane, la Nouvelle-Calédonie, La Réunion et Mayotte. J'ai été frappé par le fait que dans certains territoires, il existait une véritable cohésion entre les élus, le corps médical, l'hôpital, le monde économique et la préfecture. Cette cohésion nous permet de penser que les choses peuvent s'améliorer. C'est le cas, par exemple, à Mayotte, ce qui n'allait pas de soi, mais aussi en Nouvelle-Calédonie. Je n'ai pas eu le même sentiment en Guyane, notamment dans les rapports entre la collectivité et l'État. Des élus exprimaient très clairement leurs réserves sur la vaccination. Dans ces conditions, comment sortir de cette crise ?

M. Bernard Jomier, président . - Je vous remercie pour votre rapport, à travers lequel nous sentons bien que certains territoires, notamment les Antilles et la Guyane, suscitent l'inquiétude, avec un risque sanitaire élevé et une cinquième vague qui provoquerait un nombre important de formes sévères, d'hospitalisations et de décès. Un risque qui pèse de la même manière sur la situation économique. Les acteurs sanitaires et économiques sont en quelque sorte dans le même bateau. C'est bien la permanence de la crise sanitaire dans ces territoires qui a freiné la reprise économique et qui induit des facteurs d'inquiétude supplémentaires.

S'ajoute un contexte politique marqué par une instrumentalisation du vaccin, comme nous pouvons le voir en métropole de la part de l'extrême droite. Aux Antilles et en Guyane, une certaine mouvance rejette l'État français, rejette l'appartenance de ces territoires à notre République et est très active pour contester de façon violente la politique sanitaire mise en place. L'équipe de Public Sénat qui a suivi notre délégation a réalisé un documentaire d'une très grande qualité qui montre bien les racines du phénomène.

Si nous avons choisi de nous rendre dans ces territoires, c'est parce que nous ne pouvons pas abandonner les populations auxquelles nous devons apporter des réponses.

Je vous remercie, messieurs les rapporteurs, pour vos préconisations.

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur. - Nous avons aussi été très frappés par la grande souffrance des cadres hospitaliers locaux. Nous avons le sentiment que certains d'entre eux sont en situation d'isolement ou de décrochage psychologique, une situation dans laquelle on ne doit pas les laisser et qui requiert un soutien.

Mme Catherine Deroche . - Je nous félicite d'avoir créé cette mission destinée spécifiquement aux outre-mer. Ce rapport est un bon travail préparatoire pour la commission d'enquête qui va être ouverte sur la situation des hôpitaux.

Quelle différence avez-vous ressenti entre les Antilles et la Nouvelle-Calédonie ?

M. Roger Karoutchi, rapporteur. - En Nouvelle-Calédonie, la vaccination a commencé tard, mais s'est accélérée rapidement. Il y a moins de réticences, mais la vaccination aurait progressé davantage sans celles exprimées par certains responsables des communautés kanakes aux yeux desquels le vaccin et l'envoi des renforts hospitaliers sont des moyens pour l'État français d'influer sur le référendum, en défaveur de l'indépendance. Il y a donc pu avoir une utilisation politique de la vaccination, qui a néanmoins bien progressé, notamment grâce à la force de conviction de médecins très dévoués.

M. Olivier Paccaud. - Une forte solidarité nationale s'est manifestée avec de nombreux soignants de métropole qui sont partis dans les territoires d'outre-mer. Ont-ils été bien accueillis ? Car un certain nombre de soignants de mon département ont vécu des expériences qui les ont surpris, notamment concernant le fonctionnement des hôpitaux. Par exemple, ils allaient travailler à des horaires auxquels ils sont habitués en métropole, mais ils ne trouvaient pas grand monde pour travailler avec eux. Ils avaient l'impression que l'organisation manquait de rigueur. S'agissait-il d'un cas particulier ?

M. Bernard Jomier, président . - Nous n'avons pas eu, sur cette question des horaires de travail, de remontées particulières. En revanche, la Guadeloupe et la Martinique ont bénéficié d'énormément de renforts et ils étaient encore présents en Martinique au mois d'octobre. Ces renforts étaient indispensables. Je rappelle que le CHU de Fort-de-France est passé de 26 à plus de 130 lits de réanimation.

Les directions des hôpitaux concernés et les responsables des commissions médicales d'établissement (CME) étaient entièrement satisfaits d'avoir bénéficié de ces renforts. Ils n'ont certes pas tous été bien accueillis. Nous avons vu ces images en Martinique, à la descente d'un avion, et au CHU de Pointe-à-Pitre, un interne s'est fait molester sur le parking de l'hôpital. Ceux qui ne souhaitent pas que la réponse de l'État soit satisfaisante font tout pour la dégrader ; l'instrumentalisation va jusque-là.

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur. - Je ne crois pas que la situation des soignants en renfort ait été plus difficile que celle des personnels permanents. L'hôpital a pu fonctionner grâce aux renforts et la greffe avec les équipes médicales locales s'est bien passée, tous étant confrontés à une même situation difficile.

M. Roger Karoutchi, rapporteur . - Il semble qu'en Guyane les renforts n'aient pas toujours très bien accueillis, mais les soignants de l'hôpital de Cayenne eux-mêmes se disaient mis en cause lorsqu'ils préconisent la vaccination.

Rien de tel ne paraît s'être produit à La Réunion ou à Mayotte. Le contexte diffère selon les territoires.

M. Bernard Jomier, président . - Le tableau des taux de vaccination par territoire est très éclairant, car il montre bien la fracture entre la zone Antilles-Guyane, exception faite de Saint-Barthélemy, et la zone Océan indien et Pacifique.

Par ailleurs, dans la zone Martinique, Guadeloupe, Guyane, la vaccination augmente à un rythme désespérément lent, alors qu'elle a progressé de façon beaucoup plus rapide dans les autres territoires et avec des courbes qui, dans certains d'entre eux, atteignent quasiment le niveau de l'hexagone, avec là aussi une frange de la population totalement rétive à la vaccination.

Nous avons peu d'inquiétude pour les territoires où le taux de vaccination est de 70 % ou au-delà, mais nous en avons beaucoup plus aux Antilles et en Guyane, où le taux de couverture, immunité naturelle comprise, est au-dessous de ce seuil.

En Martinique et en Guadeloupe, nous avons interrogé nos interlocuteurs sur le taux d'immunité naturelle. Des études ont été lancées mais les résultats ne sont pas encore disponibles.

Nous avons en revanche reçu les données concernant la Guyane. L'étude de séroprévalence montre la présence d'anticorps pour 63 % de la population, alors que le taux de vaccinés est de l'ordre de 30 %. Il y a donc une réelle immunité naturelle pour une part de la population, mais elle n'est pas suffisante pour se prémunir contre une vague de formes sévères et de décès.

M. Roger Karoutchi, rapporteur. - À quel niveau estime-t-on atteindre l'immunité collective ? On la situait entre 75 et 80 %, puis 85 à 90 %. Qu'en est-il aujourd'hui ?

M. Bernard Jomier, président . - La définition d'une immunité collective est la suivante : il faut que l'importance de la protection de la population soit suffisamment forte pour que la circulation du virus s'arrête.

Au début, parce que la souche originelle nous faisait penser à d'autres virus du même ordre, on pensait qu'à 65 % de personnes vaccinées, la circulation du virus s'arrêterait. Mais avec le premier variant, qui était beaucoup plus transmissible, le chiffre est passé à 70 %, 75 %. Et aujourd'hui, avec le variant delta qui augmente la transmissibilité de 50 %, nous évaluons ce pourcentage à plus de 90 %.

Je rappelle qu'en métropole, 87 ou 88 % de la population éligible est vaccinée, mais en population totale, nous sommes en dessous. D'où la question qui va se poser prochainement de vacciner les enfants de 5 à 11 ans.

Mais nous pouvons aussi tenir un autre raisonnement : l'immunité collective étant très compliquée à atteindre, cherchons plutôt à réduire le virus à un bruit de fond afin qu'il n'occasionne que très peu de formes sévères et peu de sollicitations du système hospitalier. Pour cela, il n'y a pas de point de bascule. C'est une linéarité qui va avec la progression de la vaccination : à un taux de 85 % de personnes vaccinés, il y aura moins de formes hospitalières qu'à 82 %, 80 % ou 78 %, etc. C'est un continuum.

En métropole, les risques de sollicitation forte du système hospitalier sont faibles. De sorte que nous pouvons regarder arriver la nouvelle vague de façon différente.

Mais aux Antilles, avec un taux si faible de protection, le risque d'une cinquième vague qui entraînerait de nombreux décès est réel.

Mme Muriel Jourda . - Peut-on atteindre l'immunité collective alors que le vaccin n'empêche pas de contracter et de transmettre le virus ? De fait, nous aurons sans doute à nous accommoder d'un « bruit de fond », avec un virus qui certes se répand, mais peu de cas graves. Avec le recul que nous avons désormais, la capacité du système hospitalier à accueillir et soigner les malades est le juge de paix.

Si l'on regarde les chiffres de la mortalité, les personnes majoritairement touchées par ce virus ont plus de 70 ans. Le virus ne s'attaque pas à toute la population de manière grave. Avec ce vaccin qui ne protège pas de l'infection, ne sommes-nous pas contraints - et après tout, pourquoi pas ? - de nous satisfaire d'une protection qui empêche la gravité des cas et permet de ne pas encombrer notre système hospitalier ?

M. Bernard Jomier, président . - Vous avez absolument raison. La question est de savoir quelle stratégie nous souhaitons adopter. La quête de l'immunité collective me paraît vaine, car nous ignorons encore le pourcentage à atteindre - 90 %, 92 %, 95 %, 96 %, davantage encore ? Personne, dans notre pays, ne défend aujourd'hui cette stratégie de l'immunité ; on parle davantage de protection collective. Autrement dit, il s'agit de protéger notre société dans son ensemble, c'est-à-dire à la fois la population, notre système de santé et notre vie sociale et économique.

À l'heure actuelle, nous disposons des outils pour atteindre une bonne protection collective. La situation est notamment favorable en métropole. Si un variant résistant au vaccin apparaissait, ce serait davantage problématique ; mais nous n'en sommes pas là.

Le débat sur l'immunité collectivité relève de la discussion scientifique, voire théologique. Il appelle une réflexion sur la politique de gestion des risques. Faut-il chercher le risque zéro ? Ne peut-on pas accepter que le virus circule un peu et que l'on se protège par le vaccin et le port du masque en milieu clos ? Ce débat fait écho à celui que nous avons eu sur les contraintes, avec la question du passe sanitaire. Quel type de contrôle notre société est-elle capable d'accepter ?

Avant de clôturer cette réunion, j'informe les membres de la mission qu'il nous paraît utile d'organiser une table ronde avec trois experts différents - un infectiologue, un virologue et un épidémiologiste - qui pourront s'exprimer sur les perspectives de l'épidémie à moyen et long terme. Elle précèdera l'audition par la commission des affaires sociales, début décembre, de M. Jean-François Delfraissy.

ANNEXES

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION EN RÉUNION PLÉNIÈRE

I. TABLE RONDE DU 28 SEPTEMBRE 2021 CONSACRÉE À L'ANALYSE GLOBALE DES SPÉCIFICITÉS DES OUTRE-MER EN MATIÈRES SANITAIRE ET ÉCONOMIQUE

Audition de Mmes Brigitte Chane-Hime, présidente de la Conférence régionale de santé et de l'autonomie (CRSA) de La Réunion et membre de la Commission permanente de la Conférence nationale de la santé (CNS), Cécile Courrèges, inspectrice générale des affaires sociales (IGAS), docteur Francis Fellinger, conseiller médical à l'Agence nationale d'appui à la performance (ANAP), ancien conseiller général des établissements de santé à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), M. Eric Leung, président de la délégation aux Outre-mer du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directrice générale de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM)

M. Bernard Jomier, président . - Comme nous en sommes convenus, nous allons consacrer nos travaux dans les prochaines semaines à la situation des territoires ultramarins, compte tenu de la gravité particulière de la quatrième vague épidémique outre-mer. Pour nous permettre de formuler des préconisations adéquates, il est important que nous nous penchions sur les causes de la flambée de l'épidémie dans ces territoires et que nous en mesurions les conséquences, tant au plan sanitaire qu'économique et social.

Pour nous aider à mieux comprendre les spécificités des territoires d'outre-mer en matière sanitaire, nous accueillons ce matin trois intervenants : Mme Brigitte Chane-Hime, présidente de la Conférence régionale de santé et de l'autonomie (CRSA) de La Réunion et membre de la commission permanente de la Conférence nationale de santé (CNS) ; Mme Cécile Courrèges, inspectrice générale des affaires sociales (IGAS) et ancienne directrice générale de l'offre de soins ; et le docteur Francis Fellinger, conseiller médical à l'Agence nationale d'appui à la performance (ANAP), ancien conseiller général des établissements de santé à l'IGAS et ancien président de la conférence des présidents de commission médicale d'établissement. Mme Courrèges et le Dr Fellinger sont revenus il y a quelques semaines des Antilles, où ils ont participé à la mission d'appui mise en place par le Gouvernement pour gérer la crise de covid-19.

En ce qui concerne le volet économique, nous bénéficierons de l'expertise de Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directrice générale de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM). Ces deux organismes assument le rôle de banque centrale dans les territoires d'outre-mer ; et de M. Éric Leung, président de la délégation aux outre-mer du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui participe à notre réunion par visioconférence.

Je voulais tout d'abord vous remercier très chaleureusement d'avoir répondu à notre invitation. Il est très important, pour nous, de recueillir votre témoignage pour mieux comprendre les problèmes particuliers qui peuvent se poser outre-mer dans vos domaines de compétences et les adaptations qui sont nécessaires pour tenir compte de leurs spécificités. Justement, la réponse de l'État a-t-elle été suffisamment adaptée ? Quelles sont vos préconisations pour permettre aux territoires d'outre-mer de faire face à cette crise et éviter qu'elle ne se reproduise à l'avenir ? Nous sommes inquiets face au risque d'une nouvelle vague, qui pourrait avoir des effets dramatiques.

Avant de vous écouter pour un exposé liminaire de cinq minutes, je cède la parole à M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer et sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon, pour qu'il puisse nous dire quelques mots, compte tenu de sa connaissance approfondie du sujet. J'en profite pour saluer les membres de la délégation aux outre-mer qui se sont joints à notre réunion. J'excuse enfin l'absence de M. Karoutchi, co-rapporteur de notre mission.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer . - Je tiens à vous remercier pour l'invitation des membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer à participer aux auditions organisées par votre mission commune d'information.

Face à la gravité de la situation créée par la dernière vague épidémique, et à la suite du courrier du président Gérard Larcher et de nos échanges de cet été, il a été convenu d'un commun accord que les membres de la délégation seraient associés à vos travaux, et nous nous en félicitons.

Nous savons que la mission commune va aussi organiser tout au long du mois d'octobre des tables rondes géographiques permettant de mieux appréhender la situation propre à chaque territoire et auxquelles seront conviés les sénateurs des territoires concernés. Nous saluons cette approche conjointe qui était indispensable sur un sujet de cette nature et vu le caractère exceptionnel de la situation. Elle suppose une analyse fine et territorialisée, dans laquelle vous avez choisi de vous inscrire à juste titre.

Je ne reviendrai pas sur le bilan inédit et dramatique des dernières semaines. Lors du débat sur la prorogation de l'état d'urgence, le ministre Sébastien Lecornu a lui-même a reconnu que « nous affrontons en outre-mer la pire crise sanitaire que notre pays ait connue depuis le début de l'épidémie de covid-19, et ce notamment à cause du variant delta, qui se répand avec plus d'intensité et se propage plus rapidement que les précédents variants ».

Cette épidémie nous rappelle que nos territoires ultramarins, presque tous insulaires, sont terriblement vulnérables. La Martinique, la Guadeloupe ont payé et paient encore un lourd tribut à l'épidémie ; la Polynésie française a atteint des taux d'incidence et de mortalité jamais vus ; la Nouvelle-Calédonie fait face ces jours-ci à une flambée alarmante ; la situation est très préoccupante en Guyane... Même sur mon territoire, Saint-Pierre-et-Miquelon, qui dispose d'une couverture vaccinale élevée, la protection se fait au prix de mesures draconiennes et nous appelle constamment à la vigilance, et cet impératif de vigilance est toujours de mise à Saint-Barthélemy, Saint-Martin, La Réunion ou encore Mayotte... L'examen de la situation spécifique dans les outre-mer va conduire la mission à examiner des situations très variées et des problématiques sensibles comme la vaccination, les infrastructures de soins, la communication autour des questions sanitaires, etc. Vous pourrez compter sur mes collègues et moi-même pour vous apporter nos témoignages et nos suggestions.

En ce qui concerne le volet économique que vous aurez également à traiter, la délégation s'est préoccupée, dès avril 2020, des conséquences économiques de l'épidémie dans son rapport L'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du covid-19 , et je vous renvoie aux 58 recommandations que nous avions formulées avec mes collègues Viviane Artigalas et Nassimah Dindar qui restent - je crois - pleinement valables. Au fil de nos auditions de 2020, la délégation s'était intéressée non seulement aux mesures d'urgence mises en place pour sauvegarder le tissu économique dans les outre-mer, mais elle avait aussi cherché à identifier les secteurs clés à soutenir pour un redémarrage vigoureux après la quasi-mise à l'arrêt des activités. En outre, elle s'était interrogée sur les leçons à tirer à moyen et long termes de ce choc historique pour évoluer vers des économies plus résilientes. Ces trois dimensions sont importantes. Elles nous avaient conduits à procéder à de nombreuses auditions et donné l'opportunité d'entendre, le 18 juin 2020, Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l'IEDOM-IEOM. Avec la présence de vos invités, nous sommes heureux de l'opportunité qui nous est offerte de revenir sur ce travail élaboré au début de la crise sanitaire et qui reste à l'évidence d'actualité.

Un mot enfin pour remercier mes collègues pour leur mobilisation et vous dire que nous aurons prochainement l'occasion d'interpeller le Gouvernement sur sa politique dans cette crise inédite. La Conférence des présidents a en effet accepté, à ma demande et avec l'accord des rapporteurs concernés - Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard - de modifier l'objet du débat en séance publique prévu le mardi soir 5 octobre sur la politique du logement outre-mer, pour le consacrer à la situation sanitaire outre-mer. Nous comptons sur vous tous, Monsieur le Président, sur les rapporteurs et les membres de votre mission comme sur les membres de la délégation, pour apporter les éclairages que nos concitoyens attendent du Gouvernement sur les moyens mis en oeuvre pour lutter contre la vague actuelle et ceux pour prévenir des risques à venir. Comme vous, face à cette crise, nous sommes soucieux d'en déterminer les causes et de dégager des préconisations pour éviter sa réitération et mieux accompagner nos territoires. Je vous donne rendez-vous donc très vite et vous remercie pour ces échanges.

M. Bernard Jomier, président . - Je vous remercie. Cette table ronde est en effet générale ; nous travaillerons ensuite sur chaque territoire de manière spécifique.

Mmes Brigitte Chane-Hime, présidente de la Conférence régionale de santé et de l'autonomie (CRSA) de La Réunion et membre de la commission permanente de la Conférence nationale de santé (CNS). - La Conférence nationale de santé a adopté, fin août 2021, un communiqué de soutien aux populations d'outre-mer et aux professionnels engagés dans la lutte contre cette quatrième vague épidémique, qui touche les territoires ultramarins de plein fouet. Chaque île a sa particularité. Nous demandons au Gouvernement de chercher à comprendre pourquoi les effets de cette crise sanitaire sont différents selon les lieux, et comment nous en sommes arrivés à vivre ce cauchemar, loin de tout... On note des inégalités au niveau des équipements sanitaires ou médico-sociaux. Le peuple est ébranlé face à cette crise qui fragilise le sens même de la démocratie.

La CNS, dans son deuxième avis sur la campagne de vaccination contre la covid-19, en date du 17 mars 2021, intitulé Stratégie vaccinale et réduction des inégalités de santé, avait déjà souligné l'importance d'« adapter la stratégie de vaccination aux territoires et aux populations ». Au vu de la gravité de la situation outre-mer, elle considère comme essentiel qu'un retour d'expériences avec l'ensemble des parties prenantes - les populations concernées notamment - soit organisé. Il s'agit de déterminer les facteurs qui ont conduit à une telle situation : les facteurs professionnels, techniques et organisationnels, comme les facteurs humains et socioculturels.

À La Réunion, nous vivons depuis plusieurs années une épidémie de dengue sévère, même durant l'hiver austral. La relative inefficacité des moyens mis en oeuvre pour juguler cette pandémie suscite doute et fatalisme dans la population. Durant la première vague de covid, les décès liés à la dengue étaient d'ailleurs plus nombreux que ceux liés au coronavirus.

La Martinique et La Réunion ont été fortement touchées par la crise. De même, la Guyane a été assaillie par le variant delta et Cayenne est classée en zone rouge. Le taux de vaccination y est inférieur à celui de la Martinique et de La Réunion. Un effort de pédagogie doit être réalisé. Partout, il serait pertinent d'agir avant que les territoires n'entrent en zone rouge. Mayotte a été fortement frappée par la première vague. La situation sanitaire s'est dégradée depuis l'apparition du variant delta, alors que la campagne de vaccination contre la grippe a débuté.

Nous ne partons pas du même niveau que les autres départements de France : les moyens dans les outre-mer sont éloignés de la moyenne métropolitaine. De ce fait, lorsqu'une épidémie comme la covid apparaît, cela tourne à la catastrophe. Ces dernières années, des réductions des moyens humains et financiers dans les hôpitaux publics ont eu lieu, alors que nous étions déjà sous-dotés. La crise n'a fait que révéler les inégalités entre les territoires. Le taux d'équipement des îles est toujours au-dessous de la moyenne en métropole en hôpitaux ou en équipements sanitaires et médico-sociaux, notamment pour les adultes en situation de handicap lourd et les personnes âgées. Le taux de chômage des jeunes est élevé, avec une forte précarité. Le pouvoir d'achat est très faible ; tout est cher, même les produits de première nécessité ; malgré un effort ces dernières années, beaucoup de familles ne peuvent accéder à des produits essentiels.

Le Ségur de la santé a apporté un peu d'oxygène à la fin de la troisième vague, mais la revalorisation des salaires ne concerne pas tous les personnels et cela a créé des divisions, alors qu'au moment du confinement une nouvelle solidarité avait pris forme. On déplore aussi le manque de professionnels qualifiés, ce qui a amené la réserve sanitaire nationale à intervenir très tôt, dès le début de la période de tension dans les hôpitaux. Heureusement qu'elle est intervenue !

L'éloignement de la métropole ne permet pas de garantir l'égalité des chances dans les soins. Il convient de renforcer les moyens pour les personnes vulnérables, âgées, avec ou sans handicap, qui vivent à domicile. Nous souhaitons accompagner les virages inclusif et numérique, mais il faut que les moyens soient à la hauteur, afin de permettre aux personnes qui veulent rester chez elles de pouvoir être soignées à domicile. En définitive, il faut accroître les moyens et assurer un vrai suivi pour les Français qui vivent loin de la France, mais qui sont des citoyens français à part entière. Au regard de la violence de cette quatrième vague qui a touché les outre-mer, alors que la Guadeloupe essaie de s'en sortir dans la douleur, et que la Guyane est en difficulté, nous appelons à l'aide !

Je veux aussi souligner l'importance de la démocratie en santé et le rôle des conseils territoriaux de santé, du CRSA, de la CNS, autant de lieux d'un dialogue constructif et transversal entre les acteurs de santé, essentiels pour échanger et trouver des solutions. La Réunion a connu une phase de tourmente, mais la pédagogie sur la vaccination a fonctionné après un temps d'hésitation. Mais tout n'est pas gagné. Les décisions du pouvoir national sont parfois lentes. Les particularités des îles, avec leurs spécificités et leur faible taux d'équipement, ne peuvent que faire des victimes lors d'une crise comme celle-ci. Il importe donc de réfléchir à une vraie politique d'accompagnement de la santé pour les Français des outre-mer. Si les moyens humains et les équipements étaient suffisants, nous n'en serions pas là aujourd'hui.

Dr Francis Fellinger, conseiller médical à l'Agence nationale d'appui à la performance (ANAP), ancien conseiller général des établissements de santé à l'Inspection générale des affaires sociales. - Ancien médecin hospitalier, j'ai intégré l'IGAS en 2012, puis l'ANAP après la première vague. Pendant cette première vague, j'avais coordonné les réanimations en Alsace. Aux Antilles et en Guyane, j'avais déjà coordonné la lutte contre l'épidémie de Zika en 2016 et 2017. C'est pourquoi on m'a demandé de partir aux Antilles en urgence le 30 juillet ; j'y suis resté deux semaines. Ma mission était d'intervenir en appui de l'agence régionale de santé, de faciliter la coopération entre les acteurs et de contribuer à faire remonter les informations.

Lorsque je suis arrivé là-bas, la situation était très délicate, notamment en Martinique. Les capacités hospitalières étaient saturées. La vague épidémique est arrivée plus tardivement en Guadeloupe : tous les lits de réanimation n'étaient pas occupés.

La première question a été celle des évacuations sanitaires, mais cette solution a vite trouvé ses limites, vu l'ampleur de la vague et les difficultés techniques pour organiser les évacuations dans la mesure où l'état des patients n'était pas stabilisé. Il a aussi fallu modifier les critères, en relevant, par exemple, la limite de poids, car beaucoup de patients la dépassaient, pour la porter de 110 à 130 kilogrammes.

Je veux revenir sur la différence entre la Guadeloupe et la Martinique : l'une est un archipel, ce qui pose des problématiques, notamment de logistique, différentes. Le système sanitaire est plus équilibré en Guadeloupe : l'incendie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre a obligé à développer des coopérations entre le public et le privé et à associer les cliniques, ce qui a facilité les prises en charge pendant la crise sanitaire, tandis que le centre hospitalier de la Basse-Terre était aussi mobilisé. En revanche, en Martinique, le CHU est le principal établissement ; une seule clinique peut accueillir des patients de MCO - médecine, chirurgie ou obstétrique.

Nous avons vite identifié certains problèmes. D'abord, le problème capacitaire de prise en charge des soins critiques, mais les capacités des outre-mer sont équivalentes à celles des départements de métropole de population comparable. Le vrai problème est celui de l'éloignement : 7000 kilomètres avec la métropole. Nous avions envisagé des transferts vers les États-Unis, mais la distance - 2500 kilomètres - reste importante et la volonté de coopérer n'était pas évidente... On peut aussi évoquer la question de la disponibilité d'oxygène et celle de la vaccination. Quand je suis arrivé, le taux de vaccination de la population était de 15 %, à peine plus chez les soignants non-médecins, à l'exception de certains services comme le service de maladies infectieuses de Basse-Terre. Si les médecins sont vaccinés à hauteur de 90 %, le taux est très faible parmi le personnel non médical. Je dois aussi évoquer le climat social. Le centre de vaccination de Fort-de-France a été incendié, comme une pharmacie qui fournissait des vaccins. Les résistances syndicales, notamment au sein du milieu hospitalier, étaient vives pour développer des unités covid. Les négociations se déroulaient dans un climat très tendu, avec des menaces envers les médecins et les directeurs hospitaliers.

Mme Cécile Courrèges, inspectrice générale des affaires sociales (IGAS). - Je suis arrivée aux Antilles après M. Fellinger, pour une mission du 21 août au 11 septembre. Mes constats concernant l'offre de soins sont identiques. Le pic était passé en Martinique, mais la situation épidémique se maintenait sur un plateau, à un niveau élevé. La Guadeloupe était en retard de 15 jours et on s'attendait à ce qu'elle subisse une vague de même ampleur que la Martinique ; ce n'est pas tout à fait ce qui s'est passé, ce qui nous incite à une grande humilité vis-à-vis de cette pandémie.

Les renforts nationaux étaient très importants : à partir du 10 août, des rotations de professionnels de santé venant en renfort de métropole vers les Antilles ont été organisées - environ 200 à 300 professionnels de santé de métropole étaient présents sur place chaque semaine, ce qui posait un problème de coordination entre les niveaux métropolitain et local. Une partie de ma mission consistait ainsi à assurer la coordination. Je travaillais avec une équipe pluridisciplinaire, dont un logisticien des armées, par exemple, car les armées étaient très mobilisées.

J'avais participé aux opérations de la première vague : la situation qu'ont connue les Antilles est plus aiguë que celle qu'ont connue les départements de métropole, pire que celles qu'avaient connues le Grand Est ou l'Île-de-France. En outre-mer, on a été débordé. L'accès aux soins critiques a été très difficile, à tel point qu'il a fallu recourir à des stratégies de priorisation des soins. Quand je suis arrivée, la situation était un peu moins tendue, mais il y avait encore des tentes devant le CHU de Martinique pour accueillir les urgences, et une centaine de patients étaient dans des lits de médecine et attendaient une place en soins critiques.

En Guadeloupe, le taux d'incidence était deux fois plus élevé qu'en Martinique. Nous nous attendions à une crise beaucoup plus violente, mais cela n'a pas été le cas, le décalage de 15 jours ayant permis de mieux se préparer. Le 10 septembre, la décrue a été rapide : quand je suis partie, des lits étaient vacants en soins critiques en Guadeloupe, alors qu'en Martinique la situation restait sur un plateau élevé et que des patients attendaient encore des places en soins critiques.

Je tiens à saluer la capacité de mobilisation et de réactivité des équipes hospitalières sur place. Certains établissements étaient devenus des établissements de soins covid. Les couloirs des hôpitaux accueillaient uniquement des lits de patients atteints de cette maladie. Des lits de réanimation ont été montés en 48 heures ex nihilo . Je souligne aussi le soutien de la métropole. L'effort de solidarité a été important. On peut mentionner à cet égard les évacuations sanitaires : dans le cadre de l'opération Hippocampe, un véritable pont aérien a été organisé fin août, avec deux rotations hebdomadaires de deux avions pouvant évacuer chacun 12 patients pour chaque territoire : 48 patients ont ainsi été évacués chaque semaine, alors qu'en juillet et en août seuls 45 patients avaient été évacués au total. La crise a rendu possible ce qui semblait impossible quelques semaines auparavant.

Pour autant, ces territoires connaissent de vraies fragilités structurelles. L'insularité, l'éloignement de la métropole sont de vraies contraintes. De nombreuses solutions auxquelles on avait pu recourir dans l'Hexagone lors des vagues précédentes ne sont pas activables sur ces territoires. Il faut utiliser les prochaines semaines pour se préparer nationalement et localement à une possible cinquième vague, qui, hélas, adviendra probablement.

D'un point de vue sanitaire, le taux de vaccination sur ces territoires constitue un élément d'inquiétude extrêmement fort. Lorsque je me suis rendue en Martinique, le taux de vaccination devait être d'environ 33 %, très loin, donc, de toute logique d'immunité collective. Tous mes interlocuteurs locaux apparaissaient convaincus de la survenance d'une nouvelle vague d'ici deux à trois mois. Cela signifie qu'il faut un infléchissement majeur en matière de vaccination. Chacun a la responsabilité de s'y préparer. J'insiste sur le fait que ces territoires ne peuvent pas et ne pourront jamais s'en sortir seuls, compte tenu de toutes les limites existantes.

Nous avons pu travailler avec le CHU de la Martinique notamment. Le même travail a été fait en Guadeloupe. L'enseignement que l'on peut tirer des travaux réalisés sur ces deux territoires est qu'il ne faut pas revenir au même niveau de soins critiques qu'avant la crise et qu'il faut un niveau plancher supérieur pour avoir une capacité de rebond un peu meilleure qu'avant la quatrième vague et être en capacité d'activer extrêmement tôt tous les leviers nationaux - pour pouvoir monter en capacité, ces territoires ont absolument besoin de renforts humains nationaux, car ce n'est pas localement qu'une ressource humaine aussi spécialisée pourra être trouvée dans les délais requis.

Il faut pouvoir activer, dès que le besoin s'en fait sentir, l'ensemble des moyens d'évacuation sanitaire, y compris l'élément militaire de réanimation (EMR), qui est un outil extrêmement bien adapté pour les outre-mer. Or il y a toujours un délai de trois à quatre semaines entre la décision de mobiliser l'EMR et son installation effective.

Un certain nombre d'outils doivent donc être prépositionnés et activables au niveau national extrêmement rapidement si les prémices d'une cinquième vague devaient malheureusement se dessiner.

M. Bernard Jomier, président . - Je vous remercie tous trois de vos exposés sur la dimension sanitaire. Je vais passer maintenant la parole à Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, pour évoquer la partie économique.

Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directrice générale de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM) . - Merci, monsieur le président, de me donner l'occasion de présenter l'analyse économique de l'IEDOM, pour ce qui concerne les départements et collectivités de la zone euro, et de l'IEOM pour ce qui concerne les collectivités françaises du Pacifique.

J'ai quatre messages à vous délivrer aujourd'hui. Premièrement, ce sont paradoxalement les faiblesses structurelles de l'outre-mer qui ont permis, en 2020, d'amortir le choc conjoncturel, grâce à un soutien puissant de l'État. Deuxièmement, je veux vous faire part de notre analyse de la reprise économique qui s'est amorcée au deuxième trimestre 2021. Troisièmement, je veux évoquer les incidences de la résurgence très forte de la pandémie que nous venons d'évoquer. Quatrièmement, enfin, je veux apporter une note positive sur les apports, à moyen terme, de la crise de la covid sur l'accélération de certaines mutations structurelles.

Tout d'abord, les faiblesses structurelles ont en quelque sorte permis de sauver l'année 2020.

Passé la mesure brutale de confinement applicable à l'ensemble des territoires, quelle que soit leur situation sanitaire, les mesures ciblées par territoire qui ont été adoptées ensuite ont permis une incidence beaucoup plus légère au plan économique, du fait de l'insularité et de l'isolement. Ensuite, le poids des administrations et des services non marchands a amorti le choc de la crise. Enfin, la dépendance au prix de l'énergie a contribué à ce que l'inflation globale reste modérée.

Tout cela a permis d'amortir la baisse du PIB, qui, en dépit des estimations très élevées du début d'année, s'est établi, à la fin de l'année 2020, entre moins 3 % et moins 6 %, à comparer à la diminution de 7,9 % enregistrée dans l'Hexagone, sauf en Polynésie française, où la régression du PIB a été de 7,6 %.

L'année 2020 a également été sauvée par le soutien public, qui a été massif. Je pense en particulier à l'intensité du recours au prêt garanti par l'État (PGE). Les dix premières régions françaises bénéficiaires de PGE comptent six territoires ultramarins. À la fin du mois de septembre, l'encours de crédit dont les entreprises ultramarines ont bénéficié s'est élevé à 3,4 milliards d'euros, à savoir 2,5 % de l'encours pour la France entière, soit le poids exact du PIB des outre-mer dans le PIB de notre pays. Pour avoir suivi cet indicateur tout au long de l'année, en liaison avec la direction générale des outre-mer et la direction générale du travail, j'ai pu constater que, en dépit du tissu entrepreneurial des départements d'outre-mer, qui est plutôt un tissu de PME, la diffusion et le bénéfice des PGE à ces petites entreprises ont été réels.

L'intensité du recours au dispositif d'activité partielle a également été massive lors du premier confinement. Les cinq DOM ont bénéficié de 629 millions d'euros d'indemnisation. S'y sont ajoutés le fonds de solidarité dont elles étaient bénéficiaires et les reports de charges fiscales et sociales. Dans les collectivités du Pacifique, en Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie française, des dispositifs ad hoc ont permis de sauver une partie de l'activité.

Par ailleurs, le refinancement apporté par l'IEOM, qui est la Banque centrale des collectivités du Pacifique, aux établissements de crédit de cette zone a été multiplié par 12 entre la fin de l'année 2019 et septembre 2021. Il représente aujourd'hui 150 milliards de francs Pacifique, avec des maturités longues, allant jusqu'à trente-six mois, et des taux nuls, voire négatifs.

Pour ce qui est de l'année 2021, la reprise a été visible jusqu'au deuxième trimestre, même si l'on voyait qu'elle pouvait finalement être entravée par les vulnérabilités structurelles qui avaient sauvé l'année 2020.

Je veux vous présenter l'indicateur du climat des affaires, qui est une enquête de conjoncture menée auprès des chefs d'entreprise de l'ensemble des territoires sur lesquels nous sommes présents, c'est-à-dire les six départements et collectivités de l'océan Atlantique et de l'océan Indien. Nous avons également trois agences dans l'océan Pacifique. L'enquête de conjoncture que nous avons réalisée sur ces neuf points, en interrogeant les chefs d'entreprise, montre clairement la violence du choc au premier trimestre 2020. La remontée est assez spectaculaire puisque, au deuxième trimestre 2021, on est quasiment sur la moyenne de longue période pour la Guadeloupe, la Nouvelle-Calédonie, tout comme l'Hexagone. La situation conjoncturelle est même meilleure que la moyenne de longue période dans l'océan Indien et en Polynésie française. Partout, c'est la composante passée, c'est-à-dire l'opinion des chefs d'entreprise sur le trimestre écoulé, qui explique cette bonne situation.

La situation s'est également améliorée en ce qui concerne l'emploi. Le nombre de demandeurs d'emploi, en glissement annuel, a régressé entre 4 % - pour la Guyane - et 10 % - pour la Martinique -, à comparer à la baisse de 14 % dans l'Hexagone. Il convient toutefois d'y apporter deux nuances : un effet de base, le deuxième trimestre 2020 ayant été assez bon, et l'impact des restrictions d'activité et de déplacement sur l'enregistrement des chômeurs. Sous ces réserves, la situation de l'emploi a été plutôt bonne.

Quels sont les possibles freins structurels à la reprise ? D'une part, une récente étude que nous venons de réaliser montre clairement que les besoins en fonds de roulement des entreprises ultramarines sont plus élevés que ceux des entreprises hexagonales : 47 jours de chiffre d'affaires dans les DCOM, contre 33 jours dans l'Hexagone. Cela correspond à la nécessité, pour les entreprises ultramarines, de constituer davantage de stock. Joue également sur ce besoin en fonds de roulement le poids de la fiscalité indirecte, en particulier de l'octroi de mer.

Autre point de vulnérabilité structurelle que nous mettons en évidence dans nos rapports annuels : les délais de paiement en outre-mer, qui connaissent une situation assez différenciée, même au niveau du secteur public. Ainsi, si le secteur public d'État en outre-mer respecte strictement les délais réglementaires, qui sont de trente jours, les collectivités territoriales et les établissements publics de santé ne respectent pas les délais légaux, à savoir trente jours pour les premières et cinquante jours pour les seconds. Cela a un effet en cascade important sur les délais de paiement interentreprises, donc sur les besoins de trésorerie des entreprises, avec un écart très significatif par rapport à la métropole, puisqu'ils sont supérieurs de vingt jours à la moyenne nationale.

Une troisième étude de l'IEDOM s'attache à la structure bilancielle. On estime que, au-delà de vingt jours de chiffre d'affaires, le besoin est supérieur à la moyenne nationale et les analystes financiers considèrent que, si les entreprises ne disposent pas de plus de trente jours de trésorerie, elles connaissent une certaine vulnérabilité.

Les bulles représentées sur le graphique correspondent au niveau d'endettement des entreprises : plus la bulle est grosse, plus l'endettement est élevé, ce qui fait apparaître que les secteurs clés sur lesquels doit reposer la reprise en outre-mer - construction, industrie, commerce, mais aussi agriculture, sylviculture et pêche - sont clairement aujourd'hui dans une situation financière compliquée par rapport au défi que représente la reprise économique compte tenu de l'environnement sanitaire.

J'en viens à la brusque résurgence de la pandémie à l'été 2021.

Au 19 septembre dernier, le pic pandémique se situe en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, ainsi que, dans une moindre mesure, en Martinique et en Guadeloupe, le taux d'incidence en France hexagonale s'élevant à 72 pour 100 000 habitants. En Polynésie française, ce taux d'incidence est de 120 pour 100 000 habitants. L'énorme vague pandémique de la fin du mois d'août, qui se situait à 3 500 occurrences pour 100 000 habitants, est passée. Actuellement, le pic est plutôt en Nouvelle-Calédonie, avec 1 000 cas pour 100 000 habitants - je rappelle que, au début du mois, il était de 2 800 cas pour 100 000 habitants. Nous regardons ces curseurs avec beaucoup d'attention.

Parallèlement, les progrès de la vaccination sont aussi très importants : dans les quatre DOM que sont la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et Mayotte, 22 à 28 % de la population disposent d'un schéma vaccinal complet. La Polynésie française connaissait un taux similaire au moment de la vague de la fin du mois d'août, contre 49 % aujourd'hui. Le taux à La Réunion est de 51 %. Il n'y a que Saint-Pierre-et-Miquelon qui fasse mieux que la métropole, avec un taux qui s'élève à 77 %. Comme l'ont dit mes confrères représentant le secteur de la santé, ces marqueurs sont inquiétants : on voit bien que les territoires qui ont un taux autour de 20 % sont loin du seuil d'immunité collective, ce qui constitue une menace de nouvelle vague potentielle. Il est clair qu'aujourd'hui le seul outil pour lutter contre la pandémie est la vaccination. Or ce message ne semble pas véritablement être passé.

Par exemple, le taux de vaccination en Martinique et en Guadeloupe est passé de 18 % avant le pic, à 28 % après, soit une différence de 10 %. Cela signifie que les esprits de nos concitoyens ultramarins ne sont pas encore mûrs pour la vaccination, malgré les décès et la situation d'urgence absolue dans les hôpitaux. À Wallis-et-Futuna, malgré le volontarisme du ministre, le taux de couverture vaccinale est toujours autour de 37 %, donc loin encore de celle que l'on connaît, par exemple, à Saint-Pierre-et-Miquelon.

J'y insiste, face à la quatrième vague qui touche les outre-mer, le plateau que l'on observe aujourd'hui dans la vaccination est inquiétant.

Autre source de préoccupation : contrairement à l'ensemble des autres secteurs, le secteur touristique a raté son redémarrage au deuxième trimestre 2021. Il n'a pas repris du fait de la situation sanitaire, notamment de son impact sur le trafic aérien. Il se trouve dans une situation d'extrême difficulté. Le chiffre d'affaires du secteur était en recul de 4 % au premier trimestre par rapport au trimestre précédent. La situation ne s'est pas améliorée au deuxième trimestre, avec un chiffre d'affaires en recul de 14 %.

De fait, les chefs d'entreprise sont très inquiets, comme ils l'ont exprimé à l'occasion de notre enquête de conjoncture : 28 % craignent de devoir cesser leur activité dans un délai de douze mois - ce taux est de 25 % dans le secteur de la construction.

Un autre élément d'inquiétude réside dans le coût du fret. Le redémarrage industriel de la Chine et des États-Unis a créé un besoin très important de capacité de transport au départ de la Chine. Nous connaissons aujourd'hui des pénuries de conteneurs et des lenteurs d'approvisionnement. Le prix des conteneurs a été multiplié par quatre entre septembre 2020 et août 2021. Par conséquent, les outre-mer subissent aujourd'hui, de façon générale, une hausse des prix des matières premières, des coûts du fret, du prix de l'énergie et, au-delà, de nombreux intrants.

En conséquence, l'inflation rebondit. Elle le fait nettement au deuxième trimestre 2021. Ces anticipations se poursuivent sur le troisième trimestre, notamment en Guadeloupe, à Mayotte et, dans une moindre mesure, à La Réunion et en Polynésie française. Les analystes économiques considèrent à ce jour que ce phénomène est transitoire, mais on peut s'interroger sur la durée de cette hausse des prix.

La crise de la covid a aussi eu un effet important - positif, cette fois - en termes d'accélération des mutations structurelles pour le développement des outre-mer.

Nous avons analysé les plans de relance nationaux et territoriaux. Trois secteurs phares figurent dans ces plans : le verdissement, la résilience et la transition numérique.

La transition numérique est une évidence : compte tenu de l'éloignement dont souffrent les territoires d'outre-mer, il était important de passer à cette transition numérique, dans un contexte où de nombreuses entreprises ultramarines accusaient un retard en ce domaine. Aujourd'hui, les chefs d'entreprise estiment que la digitalisation de leurs relations commerciales est l'un des changements majeurs de 2020 sur le plan économique : elle va leur permettre de dépasser, dans un certain nombre de secteurs, les difficultés liées à l'éloignement.

Le deuxième axe est le verdissement. On constate que des initiatives nouvelles ont émergé durant la pandémie et continuent de s'affirmer. Je peux citer, par exemple, la signature, en février 2021, de la charte de valorisation des produits locaux par les producteurs de la grande distribution à La Réunion. On voit aussi, en Nouvelle-Calédonie, des initiatives de culture locale - « Produits d'ici ». Si beaucoup reste à faire, beaucoup a déjà été fait... En tout état de cause, la crise sanitaire a été l'occasion d'une prise de conscience de l'apport des circuits courts. Culturellement, le secteur agricole a désormais peut-être désormais les moyens de répondre présent, mais sa situation financière est tout de même assez complexe.

Le dernier indicateur concerne les énergies renouvelables, qui figurent elles aussi dans les plans de relance. On assiste aujourd'hui à un véritable verdissement. En Guyane, l'hydraulique mais aussi le photovoltaïque, enregistrent une avancée très importante - la centrale de Mana, à l'ouest de la Guyane, sera l'un des plus grands projets de stockage d'énergie photovoltaïque au monde. La Réunion ambitionne de devenir d'ici trois ans la première région française pour la production de l'électricité renouvelable, sur une base associant bagasse et biogaz, même si elle est en en grande partie importée. On pourrait multiplier les exemples.

La transition énergétique est bien en marche. Je veux vous signaler que l'IEDOM et l'IEOM ont diffusé très récemment des cartes économiques de chaque territoire où l'on retrouve l'ensemble de ces données - vous les retrouvez sur leur site internet.

M. Bernard Jomier, président . - Je vous remercie pour ce tableau très complet et très intéressant des données économiques et des perspectives, qui sont prometteuses.

M. Éric Leung, président de la délégation aux outre-mer du Conseil économique, social et environnemental . - Je m'entretiens avec vous depuis l'île de La Réunion. Je suis désolé de n'avoir pu me rendre au Sénat. Je concentrerai mon propos sur les conséquences des mesures économiques.

Premièrement, les mesures économiques qui ont été rendues éligibles dans nos onze territoires ne sont pas toutes identiques : par exemple, Saint-Pierre-et-Miquelon était éligible aux mesures d'activité partielle et de PGE, alors que la Polynésie française n'était pas éligible à l'activité partielle telle qu'organisée au plan national - un dispositif d'activité partielle a été mis en place par le gouvernement local.

Deuxièmement, les mesures massives qu'a apportées l'État depuis le premier confinement en mars 2020 ont répondu aux attentes du monde économique de façon générale. Si l'intensité de la mise en oeuvre de ces aides a été différenciée, nous pouvons considérer que les fonds de solidarité, l'articulation des prêts garantis par l'État, l'activité partielle ont permis de sauvegarder nos entreprises dans la très grande majorité de nos onze territoires.

Au-delà de la sauvegarde, il s'agit désormais de préserver nos outils industriels et nos outils économiques de façon plus générale.

Je ferai plusieurs constats. Il est certain que la sortie de la crise sanitaire ne doit pas déboucher sur une crise économique, voire une crise sociale, ce que tout le monde redoute. Cela étant, je développerai mes constats sous trois angles.

Le premier angle concerne les aides massives qui ont été apportées à nos 150 000 entreprises en outre-mer. Nous avons procédé à un rapide calcul sur les Antilles, La Réunion et Mayotte, qui sont des départements et régions d'outre-mer relativement importants : sur les quelques 4,4 milliards ou 4,5 milliards d'euros qui ont été injectés dans notre économie, entre 3,3 milliards et 3,4 milliards d'euros sont des dettes - 2,6 milliards d'euros de prêts garantis par l'État et à peu près 700 millions d'euros de reports de dettes fiscales et sociales.

Les aides directes se montent à un peu plus d'un milliard d'euros : 600 millions au titre du fonds de solidarité et 500 millions au titre de l'activité partielle. Ces aides directes, notamment l'activité partielle, ont permis de résorber les licenciements éventuels, notamment suite au confinement de mars-mai 2020.

Quoique bienvenue, l'aide au titre de l'activité partielle n'était pas directement fléchée. Par exemple, sur les 180 000 salariés du secteur privé de l'île de la Réunion, 75 % étaient en activité partielle, ce qui est important. Le fonds de solidarité de 600 millions d'euros était constitué des aides directes à destination de nos entreprises. Sur les Antilles, La Réunion et Mayotte, nos entreprises ont ainsi accumulé environ 75 % de dettes ainsi que 25 % d'aides ciblées directes.

S'agissant de l'aspect économique, nous avons besoin de visibilité et de stabilité et, pour tout vous dire, nous ne sommes pas très sereins. En effet, pour rembourser les prêts garantis par l'État, nos territoires respectifs ont sollicité une année supplémentaire, au-delà de la première année de différé, ce qui fera 24 mois de différé. Le délai total d'amortissement de ce prêt reste de six ans, ce qui signifie qu'à partir de mars 2022, nous en serons à quatre mois de remboursement. Nous faisons donc face à un mur de dettes.

Par ailleurs, les confinements successifs - ils ont été différenciés par rapport au territoire métropolitain - ont directement affecté certaines de nos industries et de nos filières, notamment le tourisme. Il apparaît évident pour tout le monde que l'activité touristique est encore dans une situation très problématique, notamment parce que nos compagnies aériennes comme Corsair ou Air Austral sont encore en difficulté. La filière touristique de l'île de La Réunion, dont le chiffre d'affaires annuel s'établit normalement à 1,7 milliard d'euros, a perdu l'année dernière plus de 770 millions d'euros, soit 50 %. Et je rappelle que le tourisme représente 9 % du PIB de notre territoire.

Un autre problème abordé par Mme Poussin-Delmas - il est encore conjoncturel, mais pourrait devenir structurel pour 10 de nos territoires - est celui de notre situation insulaire et de la problématique du fret maritime. Alors que le fret aérien ne subit que quelques baisses de trafic, le fret maritime connaît, depuis la fin de l'année dernière, des problèmes d'approvisionnement et de matières premières qui affectent directement la grande distribution et nos outils industriels. Dans le même temps, nous connaissons une forte croissance des prix, notamment pour le fret Asie et océan Indien, où les tarifs ont été multipliés par quatre, tandis qu'ils ont été multipliés par deux pour le fret Europe. Cette hausse des prix est en partie due à la raréfaction des navires sur la ligne Europe-océan Indien-Asie, peu prisée des compagnies maritimes. Nous nous activons donc pour assurer notre approvisionnement, mais celui-ci résulte d'un fret onéreux avec des prix des matières premières qui augmentent beaucoup.

Le Président de la République a dit que nous étions des îles résilientes. Nous avons effectivement réussi à mettre en place dans certains secteurs, notamment le secteur de la viande, des chambres de compensation qui réunissent les entreprises de bétail, les éleveurs, les transformateurs ou la grande distribution. Nous nous sommes entendus sur l'impérieuse nécessité de ne pas augmenter de façon vertigineuse les prix de vente à la consommation et sur le fait que chaque acteur de nos territoires puisse interagir sur le sujet.

S'agissant du plan de relance - il nous obsède quelque peu en ce moment -, il avait fait l'objet d'un avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) en janvier 2021 sur ses déclinaisons territoriales dans les outre-mer. J'ai proposé aux membres de la délégation des outre-mer du CESE de faire un avis de suite. De fait, entre janvier et septembre 2021, les préconisations n'ont pas été suivies de beaucoup d'effets.

Ce plan de relance interagit avec la partie santé via le volet outre-mer du Ségur de la santé. Toujours est-il que nos entreprises ultramarines n'ont pas eu un grand accès à ce plan de relance : par exemple, l'autonomie alimentaire, priorité nationale pour nos territoires, passe normalement par une réindustrialisation de la transformation agroalimentaire. Le plan de relance précise effectivement des montants relativement conséquents, que ce soit pour la métropole ou les outre-mer. Bien que nous fassions l'objet d'appels à projets (AP) ou d'appels à manifestation d'intérêt (AMI), les critères d'éligibilité ou de recevabilité des candidatures conduisent à sélectionner des entreprises de plus d'un million d'euros de chiffre d'affaires annuel. Or, sur les 45 000 entreprises que compte l'île de La Réunion, seules 2 050 font plus de 750 000 euros de chiffres d'affaires. Le spectre est donc très réduit.

Dans cette phase de préservation et de relance de notre économie, il est important que nos territoires soient entendus par les administrations et les différents ministères. D'aides massives en 2020, nous devons impérativement passer à des mesures chirurgicales. Je suis conscient de la complexité du travail que cela représente, mais il n'y a pas d'autres moyens pour sauvegarder, préserver et relancer notre économie.

Nous connaissons actuellement un phénomène extrêmement compliqué. Comme toutes les entreprises, notre tissu économique a besoin de trois éléments : de l'activité, de la compétence et de la trésorerie. L'activité reste réduite à l'heure actuelle, même si certains secteurs s'en sortent mieux. En ce qui concerne la compétence, nous connaissons des fuites, non pas simplement de cerveaux, mais de compétences et d'expertises. Enfin, en matière de trésorerie, au-delà du mur de dettes, des besoins en fonds de roulement et des délais de règlement qui sont hors norme chez nous, il faut ajouter le fait que, depuis 2018 et la crise des « gilets jaunes », les territoires ultramarins sont considérés par certains établissements bancaires ou certains assureurs-crédits comme des « pays » à haut risque. Comme les comptes à la fin de l'année 2020 ont été clôturés avec des taux d'endettement ou des résultats d'exploitation médiocres, il s'ensuit que beaucoup de nos entreprises connaissent des relations très difficiles avec nos partenaires bancaires. Sans trésorerie et sans accompagnement de nos entreprises, ce sera extrêmement compliqué.

M. Bernard Jomier, président. - Je vous remercie pour vos propos qui montrent l'étendue de la tâche qui nous attend et la gravité des questions auxquelles nous tenterons d'apporter quelques réponses.

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur . - Je serai très bref et préfère laisser la parole à nos collègues des territoires ultramarins. Comment agir pour débloquer l'accès à un chemin vaccinal complet et tendre à l'immunité collective ? N'y a-t-il pas des choses à faire en matière de communication ? Sur qui s'appuyer ?

M. Philippe Folliot . - La situation économique en outre-mer était fragile, avant même la crise. Les effets du plan de relance n'ont pas été aussi importants en outre-mer que dans l'Hexagone. Comment analysez-vous les conséquences à moyen terme de cette pandémie sur les économies ultramarines, notamment s'agissant des enjeux d'autonomie alimentaire ? Que faudrait-il faire pour rebondir ?

Mme Victoire Jasmin . - Je voudrais tout d'abord aborder les problèmes économiques. J'ai eu l'occasion, au mois de juin dernier, d'interpeller le ministre de l'économie au sujet des surcoûts qui frappent tous les produits qui proviennent principalement de l'Hexagone ainsi que, parfois, de la concurrence déloyale. Ces surcoûts sont générés, outre l'octroi de mer, par le fait qu'il y a quatorze intervenants différents entre l'usine et le lieu de vente, contre trois seulement sur le territoire métropolitain.

J'ai travaillé dans le milieu hospitalier dans lequel les surcoûts sont également considérables, tant pour les équipements que pour la maintenance. Au sein de la commission des affaires sociales, j'ai eu l'occasion d'évoquer la conséquence des achats de matériel via des contrats d'exclusivité du constructeur, qui permettent à ce dernier d'avoir le monopole des consommables, de la maintenance, etc., et donc la capacité de fixer les prix. Ainsi, la maintenance de services médicaux implique de prendre en charge le billet d'avion, l'hôtel et la voiture de fonction pour toute la durée du séjour de la personne chargée d'effectuer la maintenance des microscopes ou des équipements des blocs opératoires, par exemple. La gestion d'un centre hospitalier universitaire d'un nombre de lits équivalent dans l'Hexagone et en outre-mer n'est donc pas la même chose, parce que les surcoûts sont considérables. Ces données sont vérifiables.

Un autre problème économique est celui du rebond et des risques assurantiels. Certaines entreprises, déjà dans une situation délicate avant la crise, sont devenues encore plus fragiles. Il faut savoir que certaines entreprises ont dû différer les délais de remboursement du prêt garanti par l'État (PGE).

Concernant, ensuite, le volet sanitaire, il y a eu beaucoup de problèmes au niveau de la communication. Il me semble que c'est là un sujet essentiel. Les propos culpabilisants ou moralisateurs et les jugements de valeur sont autant de choses choquantes - encore aujourd'hui, je viens d'entendre l'un d'entre vous dire que les esprits ne sont toujours pas mûrs pour la vaccination. L'État, à travers ses services locaux et ses représentants, a fait descendre un certain nombre d'informations depuis le premier confinement, sans tenir compte des réalités spécifiques de chacun des territoires. Certes, des efforts sont faits lors de cette table ronde en parlant de façon différenciée.

On voit ce qui s'est passé en Guyane, qui se situe sur un grand continent, et à Saint-Martin, dont l'île a une partie hollandaise, lorsqu'on a pris des mesures centralisées sans limiter en parallèle la circulation des personnes. Je salue, sur mon territoire, le courage de la présidente de la communauté de communes de Marie-Galante, qui a fermé très vite ses frontières et a interdit l'accès de son île aux navires. Elle a été critiquée, mais les chiffres montrent qu'elle a ainsi maîtrisé la situation sanitaire.

J'ai alerté, à la fin du mois de février 2020, M. Jérôme Salomon lors d'une audition de la commission des affaires sociales : je lui ai appris qu'en Martinique des navires de croisières arrivaient toujours. Il m'a répondu qu'il n'avait pas encore pensé aux Caraïbes et qu'il allait interpeller l'OMS...

Il est vrai que, dans ces territoires, les gens sont moins vaccinés. Vous connaissez l'histoire récente de la directrice d'agence régionale de santé (ARS) qui, lors d'une conférence de presse après une réunion avec les élus, s'est vue recadrée par le préfet qui l'a mise en garde contre des propos moralisateurs. Il y a une quinzaine de jours, cette même directrice d'ARS a répondu à un journaliste que sa question était bête : dans l'Hexagone, une telle phrase aurait provoqué un tollé.

Cela n'excuse pas le fait que les gens ne soient pas suffisamment vaccinés : c'est une réalité. Il faut trouver les voies et moyens pour faire de la pédagogie pour inciter les gens à se faire vacciner, mais certaines paroles ne sont pas à dire. Quand un artiste international, Jacob Desvarieux, qui incite à se faire vacciner en Guadeloupe et fait des émissions radio dans ce sens, meurt peu après sa troisième dose, une bonne communication voudrait qu'on explique que c'est la conséquence des autres pathologies dont il était atteint.

Nous ne sommes pas là pour donner des leçons aux gens, mais pour les inciter à se faire vacciner. Ceux qui savent doivent faire passer les messages à ceux qui ne savent pas. Les jugements de valeur, les jugements culpabilisants et les jugements de mépris ne permettent pas d'aller loin.

Les instances de la « démocratie de la santé » n'ont pas été mobilisées outre-mer comme dans l'Hexagone. Par exemple, c'est seulement il y a quinze jours que la conférence régionale de la santé et de l'autonomie de la Guyane (CRSA) s'est réunie pour évoquer ces problématiques. Faisons donc attention à dire les choses de manière positive pour impulser une dynamique et non pas pour faire se replier les gens qui sont déjà assez pessimistes sur le sujet.

M. Michel Dennemont . - Concernant le taux de vaccination, on peut raisonnablement imaginer que les gens qui ont fait une première injection feront bientôt la seconde. On peut donc prendre cela en compte dans le taux de couverture. Quels seront les chiffres quand le schéma vaccinal sera complet pour ces gens-là ?

Mme Jocelyne Guidez . - Sénatrice de l'Essonne et de père martiniquais, je vis également au Diamant où j'étais cet été. Je dirais que les Antillais se soignent surtout par les plantes. Ils ont une certaine méfiance à l'égard du Gouvernement, notamment du fait de l'épisode du chlordécone. Cet été, 16 % de la population avait reçu une dose de vaccin et 21 % la deuxième.

Les réseaux sociaux font beaucoup de mal là-bas. Les Antillais, qui en sont très friands, écoutent parfois un peu trop tout ce qui peut se dire, pour le meilleur comme pour le pire.

Le fait que les touristes aient continué à débarquer par avions entiers m'a choquée, alors que le préfet venait d'annoncer la fermeture des plages et des restrictions de mouvements. On demandait aux touristes de rembarquer, mais les compagnies aériennes leur demandaient un surplus tarifaire. Il faut faire preuve de sérieux et j'avoue n'avoir toujours pas compris les positions, aussi bien des compagnies aériennes que du préfet.

Je salue les équipes venues en aide aux Antilles : nous en avions un grand besoin au vu de la situation réellement catastrophique et du grand nombre de décès, parfois dans des conditions inadmissibles. Je tenais à apporter mon témoignage, car ce que j'ai vu m'a choquée. J'espère qu'il n'y aura pas de cinquième vague, tant pour la population que pour le retour des touristes, importants pour l'économie locale.

M. Victorin Lurel . - Je veux remercier le président et le rapporteur de cette table ronde. J'ai beaucoup appris ce matin. Je suis heureux qu'il y ait des évolutions positives, mais il faut encore maintenir les efforts. J'appréhende une éventuelle cinquième vague.

Je veux insister sur la qualité de l'information. Tous les partenaires, et l'État en particulier, doivent y réfléchir.

Comme notre collègue Jocelyne Guidez vient de le dire, la croyance dans la médecine à base de plantes, dans la médecine « rimèd razié », comme on l'appelle en Guadeloupe, est importante. Les gens ne comprennent pas que ce sont des traitements complémentaires. De l'eau tiède avec du citron ou le zèb à pic ne sont pas des traitements alternatifs... On n'a pas pris conscience de la résistance intellectuelle, psychologique et peut-être religieuse au vaccin. Cette résistance est exceptionnelle. L'un de mes cousins m'a dit ne pas vouloir « polluer le temple de son corps avec un vaccin »...

La pédagogie aurait dû être massive. Mme Guidez a raison : il y a un quasi-monopole des réseaux sociaux en matière d'information. Chacun prétend être médecin. On n'a pas fait entrer dans la tête des gens, surtout dans nos territoires, que l'on va vivre longtemps avec ce virus et qu'il faudra tôt ou tard un deuxième vaccin obligatoire. On n'a pas encore réussi à répandre dans les outre-mer l'idée que le vaccin n'est pas provisoire, qu'il n'est pas expérimental, qu'il ne change pas le génome, que la pharmacovigilance fonctionne. Les gens ont peur du vaccin et privilégient notre pharmacopée locale.

Il faut reprendre totalement la communication, comme je ne cesse de le répéter depuis mars 2020. Le problème est culturel. Cela paraît un détail, mais l'aiguille qui plonge dans l'épaule effraie les gens ! Il faut en tenir compte.

Le pire est qu'une partie de l'élite a politisé la question : on s'est servi de la vaccination pour lutter contre le Gouvernement, contre l'État ou contre le colonialisme.

La classe politique continue à écrire qu'elle est de la génération des « rimèd razié ». Lorsque des scientifiques ont déclaré, à l'occasion d'un grand forum politique, avoir découvert un traitement préventif, les gens ont couru l'acheter en pharmacie...

Dans France-Antilles est paru le témoignage poignant d'un patient ayant pris 7 kilos d'herbe à pic. Il a vu la mort de près et implore les gens d'aller se faire vacciner. Certains cherchent à se soigner avec du jus de carotte, comme Steve Jobs l'a fait pour son cancer du pancréas... sauf qu'il en est mort.

En face, la communication est faible, pour ne pas dire inexistante. Au niveau national, on appelle à se faire vacciner, mais on ne donne pas d'explication pour rassurer. De nombreux facteurs expliquent la résistance au vaccin. C'est un fait sociologique qui n'a pas été appréhendé et qu'il faut aujourd'hui traiter en extrême urgence.

L'ouverture des frontières développe une forme de sentiment contre le tourisme, qui fait pourtant vivre nos territoires. Le Gouvernement ne l'a pas compris, et nous n'avons pas eu le courage de le dire clairement. Je regrette l'absence de leadership en la matière.

Il est compliqué d'instaurer une obligation vaccinale, mais, comme pour le vaccin de la grippe saisonnière, on aura peut-être demain à faire cette piqûre. Au lieu de parler de nouvelle injection, il faudra peut-être simplement parler de rappels...

J'insiste sur l'importance de reprendre la communication.

M. Éric Leung . - La territorialisation du plan de relance est profitable pour les réseaux d'eau et d'assainissement, les rénovations thermiques des bâtiments de l'État ou encore la protection de l'environnement. Ce plan est donc indéniablement utile.

Concernant l'autonomie alimentaire, nous demandons que les prises de décisions sur l'éligibilité de certains budgets ne se fassent pas uniquement au niveau parisien ou dans les administrations centrales, mais que les préfets disposent d'un budget à leur main. En somme qu'ils puissent actionner, en toute conscience et connaissance de nos territoires, telle ou telle éligibilité au plan de relance.

Certains de nos territoires disposent de cette fiscalité locale qu'est l'octroi de mer. Le calcul de ce dernier est basé sur le coût du fret, qui augmente. Il serait judicieux de regarder de quelle façon cette augmentation de la fiscalité locale peut être redistribuée auprès des producteurs ou des industriels pour amortir les inflations de prix.

Mme Marie-Anne Poussin-Delmas . - Jean-Michel Arnaud a posé la vraie question : comment faire pour atteindre un schéma vaccinal complet ? On le voit, c'est le seul moyen de lutte efficace contre le virus avec lequel nous allons vivre longtemps. On peut parler autant que l'on veut de plan de relance, tant que la question sanitaire n'est pas réglée, la reprise économique ne peut pas suivre.

S'agissant des conséquences à moyen terme de la pandémie, il faut tout d'abord prendre en compte l'incertitude sur la sortie de cette crise sanitaire. Le mérite premier des plans de relance est de donner des caps stratégiques. On le sait, ce qui est important en matière économique, c'est de donner de la visibilité aux entreprises, c'est d'indiquer aux jeunes les filières qui, demain, recruteront et leur donner des raisons de rester sur ces territoires.

Apparaît ensuite de nouveau la question de la communication quant à l'avenir des territoires, aux perspectives des jeunes, au futur du tourisme, etc. Tout cela repose sur notre capacité à attirer les touristes. Or on sait que cette attirance vers nos territoires résulte de la sécurité physique et sanitaire. Il est vrai que le chlordécone et un certain nombre d'autres difficultés liées à des choix des gouvernements font qu'il peut y avoir une crainte sur ce nouveau vaccin conçu, il faut bien le dire, dans des délais extrêmement rapides par rapport à ce qui se fait d'habitude. Je peux comprendre les réticences culturelles et nous nous trouvons, là, face à un défi de communication.

Deux pistes m'apparaissent pour relever ce défi. D'une part, donner des chiffres factuels via les médias et, d'autre part, trouver des influenceurs qui aideraient à passer des messages sur nos territoires ultramarins.

Mme Cécile Courrèges. - Il y a une différence de 12 à 13 % entre ceux qui ont reçu une première dose et ceux qui ont reçu la deuxième dose. On reste très loin de l'immunité collective : en Guadeloupe, par exemple, 42 % de la population a reçu sa première dose. En outre, on observe dans ces territoires que ceux qui ont reçu leur première dose ne vont pas toujours recevoir la deuxième.

Le sujet principal est effectivement la vaccination : le système de soins et les hôpitaux ne sont que le réceptacle de ce qui, en amont, n'a pas pu être fait contre la diffusion virale. Nous devons rester modestes, ce n'est pas en trois semaines de présence sur ces territoires qu'on peut savoir ce qui est bon ou pas, à la différence de la population concernée. On peut néanmoins constater le nombre extrêmement important de décès, et le faible impact que ce nombre a néanmoins eu sur le taux de vaccination. Les relais d'opinion doivent donc jouer leur rôle.

Dr Francis Fellinger . - Je tiens rapidement à rappeler la violence de la vague épidémique, avec des décès de jeunes de 30 ou 40 ans. L'obligation vaccinale ne fonctionne pas, on l'a vu avec les soignants. Le problème est donc de l'ordre du délai et de la temporalité. Nous sommes dans une course de vitesse avec un virus qui risque de se rediffuser. C'est la question sur laquelle il faudra se pencher.

Mme Brigitte Chane-Hime. - Je voudrais aborder le sujet du très faible taux d'équipement, assorti de la précarité et de l'éloignement géographique. Il faut réellement évaluer les moyens techniques et organisationnels de chaque territoire, prendre en compte les facteurs humains et socioculturels des outre-mer, la spécificité et l'histoire de chacun. Bref, développer une véritable approche, une éducation à la santé afin de surmonter des résistances à la vaccination en en pointant l'efficacité. Les clefs en sont une bonne communication et une pédagogie adaptée.

M. Bernard Jomier, président. - Il me reste à vous remercier pour le panorama très complet que vous avez dressé. Nos rapporteurs vont maintenant s'atteler à un travail par territoire.

II. AUDITION DU 8 OCTOBRE 2021 DE M. SÉBASTIEN LECORNU, MINISTRE DES OUTRE-MER, RELATIVE À LA SITUATION SANITAIRE OUTRE-MER

M. Bernard Jomier, président . - Nous poursuivons nos travaux sur la situation des territoires ultra-marins après la quatrième vague épidémique outre-mer.

Je vous remercie vivement, monsieur le ministre, de vous être rendu disponible pour notre mission d'information à laquelle se joignent également les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Début septembre, à l'occasion de la discussion du projet de loi autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire dans les outre-mer, vous avez présenté en détail, devant le Parlement, la situation dans chacun des territoires concernés.

Depuis lors, cette situation a évolué. Les indicateurs s'améliorent dans la plupart des territoires, mais demeurent préoccupants dans plusieurs d'entre eux. Les mesures de confinement ont été ou vont être assouplies aux Antilles, à La Réunion et en Polynésie française. La campagne vaccinale se déploie, mais de manière très inégale - la Nouvelle-Calédonie voit son taux de vaccination fortement augmenter. L'exposition à une reprise épidémique reste forte là où le taux de vaccination est insuffisant, notamment dans les Antilles et en Guyane.

Nous souhaitons faire le point avec vous sur les mesures prises face à cette crise, tant sur le plan sanitaire qu'en termes de soutien économique, car les perspectives de reprise sont obérées par des fragilités propres aux outre-mer.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer . - La délégation sénatoriale aux outre-mer est très heureuse de participer à cette deuxième audition sur les outre-mer de la mission commune d'information.

Mardi soir, nous avons débattu en séance publique de la situation sanitaire outre-mer. Cela nous a permis de dresser un point d'étape, un mois après la prorogation de l'état d'urgence sanitaire dans la plupart des territoires ultramarins, de souligner les spécificités de chaque territoire et d'interroger le Gouvernement sur les moyens mobilisés pour anticiper et lutter contre les vagues successives. Nous avons aussi abordé de nombreux autres sujets comme les conséquences de l'épidémie sur l'éducation, les évacuations sanitaires, la lutte contre les fausses informations, le maintien ou non du référendum du 12 décembre en Nouvelle-Calédonie.

Nous devrons tirer les leçons de la gestion de la crise, et surtout préparer l'après. Les conséquences économiques seront lourdes pour ces territoires, comme l'a rappelé Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM), le 28 septembre dernier. La vulnérabilité structurelle de ces territoires fragilise leur reprise.

Le rapport de notre délégation sur l'urgence économique outre-mer en juillet 2020 alertait déjà sur ce sujet et recommandait de faire de la sortie de crise une opportunité pour un modèle de développement plus résilient dans nos territoires.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer . - Merci de m'avoir permis de participer à vos travaux, alors que je suis en septaine en Nouvelle-Calédonie, un an après une quatorzaine...

J'ai une pensée pour les personnes décédées et leur famille. La situation sanitaire est préoccupante dans de nombreux territoires. Les soignants sont mobilisés aux Antilles, en Guyane, dans le Pacifique.

Je remercie le Sénat pour ses travaux de qualité, notamment lors de l'examen du dernier projet de loi de prorogation de l'état d'urgence sanitaire et dans le cadre de cette mission d'information.

Le coronavirus intéresse moins nos concitoyens dans l'Hexagone, où il semble se conjuguer au passé ; mais il se vit au présent pour nos concitoyens d'outre-mer.

Je rappellerai d'abord les mesures de freinage qui ont été prises depuis mars 2020.

À cette époque, elles ont été uniformes sur tout le territoire de la République, y compris dans certains, comme la Guyane, où le virus n'était pas présent. Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et Saint-Pierre-et-Miquelon étaient ainsi covid free . Cette coupure brutale a eu des effets importants dans ces territoires notamment insulaires, difficilement connectés.

Les difficultés, dans la gestion de cette crise, sont liées à plusieurs facteurs : les cycles épidémiques en outre-mer n'ont pas été les mêmes que dans l'Hexagone, la géographie, les climats, les saisons étant différents. Dans certains territoires - je pense à Mayotte, cet été en Martinique et en Guadeloupe, désormais en Guyane et en Nouvelle-Calédonie -, la covid a explosé. Cet accordéon a rendu la gestion difficile, y compris pour la connexion avec l'Hexagone. Il y a des flux touristiques affinitaires à gérer, comme les vacances familiales, mais aussi les rentrées scolaires, les arrivées de fonctionnaires... La continuité territoriale est un principe constitutionnel. Au-delà des mesures de freinage interne, des motifs impérieux ont été exigés pour les déplacements, avec tests obligatoires.

Les mesures de freinage ont eu des effets rapides, d'autant que nous étions souvent en avance de phase. Les tests et le traçage ont été importants pour documenter en temps réel la reprise de l'épidémie. Des confinements très stricts ont été mis en place dans certains cas pour casser l'épidémie, dans d'autres pour éviter le démarrage de l'épidémie. Nous avons préfiguré des mesures prises dans l'Hexagone ensuite : en Guyane, nous avons testé le couvre-feu et des mesures différenciées selon les territoires - par exemple entre les zones du Maroni, de l'Oyapock et Cayenne.

Nous sommes partis du terrain - les préfets, les agences régionales de santé (ARS), les élus locaux, la communauté hospitalière. La tension hospitalière a été forte et dans une île, on ne fait pas de miracles. Les renforts hospitaliers ont été sollicités.

Concernant la situation hospitalière, c'est l'offre de soins qui permettra de redonner confiance et garantir la reprise. Jamais, dans l'histoire de la République, autant de renforts sanitaires n'avaient été dédiés à l'outre-mer, et je vous remercie de l'avoir rappelé lors de la discussion du projet de loi sur l'état d'urgence sanitaire : quasiment 8 000 professionnels sont venus - 4 700 réservistes sanitaires de Santé publique France et 3 200 professionnels du ministère de la santé. Actuellement, ils sont surtout présents en Guadeloupe, qui compte 2 000 soignants à elle seule, en Martinique et en Polynésie française. À ceux-ci s'ajoutent l'armée et les forces de sécurité civile. Le service de santé des armées et les services logistiques de la défense sont mobilisés, notamment pour les évacuations sanitaires, particulièrement délicates en outre-mer. Ce n'est pas la même chose que d'en réaliser entre Toulouse et Paris ! Outre-mer, 145 patients ont été évacués, pour un coût de 6,5 millions d'euros. Il y a eu 74 évacuations de Martinique, 63  de Guadeloupe, 8 de Polynésie française - des évacuations sanitaires hors normes et très délicates.

Cette crise a mis en évidence les grandes fragilités du système hospitalier et le retard dans l'organisation de l'offre de soins publique outre-mer. Le Ségur de la santé produira ses effets à terme, mais d'ici là, la covid demeure.

Par exemple, la reconstruction du centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre n'est toujours pas terminée, car la covid a ralenti les travaux. Les services ont dû gérer la crise dans l'ancien bâtiment. De même, la transformation du centre hospitalier en centre hospitalo-universitaire à Cayenne ne sera effective qu'en 2024 ou 2025. Une remontada importante est engagée outre-mer, mais la temporalité de ces mesures et celle de la gestion de cette crise sont différentes. Le Ségur de la santé outre-mer, c'est 1 milliard d'euros, avec des investissements importants et une revalorisation des salaires des soignants.

Par ailleurs, la vaccination est le point sensible outre-mer, comme je l'indiquais au président Larcher au mois de septembre. Ce n'est pas un problème de moyens. Les outre-mer sont les premiers territoires de la République à avoir reçu dès le 11 janvier des doses importantes de vaccins, notamment Pfizer. C'était un enjeu logistique important avec les supercongélateurs déployés par l'armée. C'était notamment nécessaire en Nouvelle-Calédonie et dans le Pacifique, pour éviter la tentation de recourir aux vaccins russes et chinois, alors que l'État n'est plus compétent dans le domaine sanitaire dans ces deux collectivités autonomes.

La vaccination dans ces territoires dépend de l'acceptabilité du vaccin, de la pédagogie et de l'éducation. Vous avez déjà évoqué les fake news et les débats politiques. Je suis ouvert à toutes les bonnes recommandations. L'État s'est-il trompé dans son approche sociale ? Ceux qui le disent ne précisent pas pour autant ce que serait la bonne approche. Là où les élites ou les organismes de médiation ont fait leur travail, la vaccination progresse. Ainsi, le Congrès de Nouvelle-Calédonie a décidé de l'obligation vaccinale. Ailleurs, la vaccination a été portée par de nombreuses élites culturelles, sociales, économiques, sportives, politiques, religieuses. Dans d'autres territoires, c'est malheureusement moins le cas et les préfets et l'ARS sont en première ligne, avec parfois des menaces de mort inacceptables ; je condamne ces violences, en particulier contre des personnels soignants ayant encouragé la vaccination.

Réussir la vaccination est un enjeu majeur. Elle progresse. C'est une préoccupation majeure en Guyane, où nous avons une épidémie de concitoyens non vaccinés. C'est la même chose en Nouvelle-Calédonie. Les chiffres sont têtus. Nous devons progresser dans « l'aller vers ». Les forces armées sont mises à contribution. Il reste beaucoup à faire. Des vaccinobus sillonnent les routes de La Réunion et les collectivités locales sont également mobilisées.

Le passe sanitaire s'applique sans difficulté à Mayotte, à La Réunion et Saint-Barthélemy. Les gouvernements de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie réfléchissent à sa mise mettre en place. En Guyane et aux Antilles, les confinements sont encore en cours. Saint-Pierre-et-Miquelon est le territoire où la population est la plus vaccinée.

Enfin, l'Insee et les services de l'État mesurent les impacts économiques et sociaux des mesures de confinement.

Les effets de la crise, à court terme, ont été moins importants en outre-mer que dans l'Hexagone, pour différentes raisons, notamment en raison de la surreprésentation de la dépense publique outre-mer, qui constitue une fragilité mais a relativement protégé ces territoires.

La résilience a été plus forte outre-mer en matière agricole. Le premier confinement a montré la dépendance alimentaire. Cet électrochoc a accéléré les transformations, et plusieurs secteurs économiques se sont autoportés pour faire face. Le PIB a reculé de 8 % dans l'Hexagone, mais de 3 à 6 % outre-mer.

Certes, le « quoi qu'il en coûte » a permis d'allouer 6 milliards d'euros à ces territoires : 3,5 milliards d'euros de prêts garantis par l'État (PGE), 1 milliard d'euros pour le fonds de solidarité, 830 millions d'euros de report de charges, et 650 millions d'euros pour l'activité partielle.

Ces aides n'ont pas suivi la même temporalité que dans l'Hexagone. Le fonds de solidarité, qui s'est éteint dans l'Hexagone, se poursuit outre-mer. Certains dispositifs qui ont disparu dans l'Hexagone font l'objet d'accompagnement et sont adaptés tant à la persistance de mesures de restriction qu'à la réalité économique ultramarine : doublement du plafond du fonds de solidarité en Guyane, modification des critères, des seuils, des périodes de référence, notamment car les saisons touristiques ne sont pas les mêmes que dans l'Hexagone...

Les compagnies aériennes ont fait l'objet d'un soutien particulier, et ont bénéficié de prêts et d'aides, notamment du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) qui a pu les recapitaliser, que ce soit Air France ou toutes les compagnies régionales - Air Tahiti Nui, Corsair, Air Austral...

Ma véritable inquiétude ne porte pas sur la manière dont les économies ont tenu, mais sur la manière dont elles vont se remettre de la crise à court, moyen et long terme. C'est tout l'enjeu du plan de relance.

Il y a des différences entre territoires : nous ne devons pas nous lancer dans une usine à gaz, mais accélérer ce qui était nécessaire et qui était déjà prêt. Par exemple, nous nous appuyons sur le BTP en Guyane pour construire les routes dont le territoire a besoin, nous poursuivons la modernisation sanitaire en Guadeloupe avec le CHU, nous aidons la transformation agricole à La Réunion. Nous renforçons aussi la construction de logements, puisque la filière BTP est structurante. Elle dépend souvent du secteur public, que ce soit l'État ou les collectivités.

La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et les collectivités d'outre-mer ont reçu des dotations particulières, même si l'État n'est en théorie plus compétent. Nous avons aussi intégré Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna dans le plan de relance. Les ministres Alain Griset et Jean-Baptiste Lemoyne annonceront prochainement des mesures pour le tourisme en outre-mer.

Les relations avec les collectivités sont encore plus importantes dans la gestion de la crise en outre-mer. La décentralisation y est plus sensible et plus complexe que dans l'Hexagone, en raison de l'éloignement, de la spécificité des ressources fiscales et de compétences différentes. Tantôt région et département cohabitent, tantôt la collectivité est unique. Les collectivités ont un rôle majeur à jouer dans la relance. En 2020-2021, les mesures de soutien que vous aviez votées pour les collectivités se sont appliquées en outre-mer. L'octroi de mer a également été mobilisé. Il est nécessaire d'assainir les finances ultramarines. C'est pourquoi nous avons augmenté la dotation globale de fonctionnement, les aides à l'ingénierie, et amélioré les délais de paiement - ils constituent un énorme enjeu pour les entreprises ultramarines.

Je ne suis pas optimiste sur l'évolution de l'épidémie dans certains territoires où la vaccination est faible. L'épidémie s'éloigne de l'Hexagone, mais nous aurons de longs moments de tension outre-mer avec des stop and go. La vaccination sera un véritable cadenas pour le plan de relance : les investisseurs privés attendent de voir la progression de la vaccination avant d'investir. Nous devons rester vigilants, avec des équipes de soignants qui sont fatigués, tant physiquement que moralement, en raison de l'ambiance et de la question vaccinale.

On ne peut pas déconnecter un territoire ultramarin de son environnement régional, par exemple Saint-Pierre-et-Miquelon du Canada, ou la Guyane du Suriname et du Brésil, que ce soit pour la situation épidémique ou pour l'ouverture des frontières. Cela nous conduit aussi à nous interroger sur notre capacité à entretenir des voies commerciales avec ces territoires, notamment dans le Pacifique.

M. Roger Karoutchi, rapporteur . - Monsieur le ministre, qu'en est-il de l'après, notamment en matière d'installations sanitaires ? La crise que nous vivons, y compris dans l'Hexagone, a mis en lumière le sous-investissement sanitaire dans l'ensemble des territoires ultramarins. Certes, vous avez rappelé les efforts réalisés à Pointe-à-Pitre et à Cayenne.

Avec le ministère de la santé, avez-vous envisagé un plan d'urgence sanitaire comprenant des investissements pour équiper l'ensemble de ces territoires, afin qu'ils puissent gérer la suite ? D'autres problèmes peuvent survenir, et il faudrait éviter de nouveaux transferts, que ce soit de patients ou de soignants.

Vous avez parlé d'économie de soutien et de filets de sécurité liés aux interventions publiques, voire de puissance de la fonction publique dans ces territoires. Mais le tourisme est aussi un élément clé. Les années 2020 et 2021 ont été calamiteuses. Compte tenu du niveau de vaccination aux Antilles et en Guyane, l'année 2022 ne se présente pas bien. Certains territoires demandent à rouvrir, mais les tour-opérateurs sont inquiets. Quelles sont vos perspectives pour 2022 ? Il faudrait que ce secteur essentiel puisse retrouver un peu d'espoir et de dynamisme.

M. Sébastien Lecornu, ministre . - La vaccination représente le meilleur outil de protection sanitaire et de relance économique. Son amélioration participe de la confiance. De fait, les soignants venus de métropole, dont le renfort se poursuit, sont parfois saisis de doutes au regard du faible taux de vaccination dans certains territoires ultramarins.

Oui, monsieur Karoutchi, il faut rehausser, en outre-mer, l'équipement sanitaire. Il convient déjà d'absorber les crédits du Ségur de la santé, et en premier lieu ceux qui visent à restaurer les capacités financières des hôpitaux qui, parfois, ne peuvent pas faire face aux échéances de paiement. Cette situation a des conséquences très concrètes : conscientes de ce risque de défaut, les entreprises de travaux en viennent à gonfler excessivement leurs devis. Il apparait donc indispensable de restaurer la confiance dans la capacité des hôpitaux ultramarins à honorer leurs factures, afin de réaliser les travaux, parfois simples, permettant d'améliorer l'offre de soins et les conditions de travail des soignants. Ainsi, 276 millions d'euros seront consacrés à la restauration de la situation financière des hôpitaux et de leur capacité d'investissement.

Les bâtiments représentent une deuxième priorité. Je veux ici souligner, loin de l'outre-mer bashing auquel nous avons parfois assisté, la qualité des personnels soignants. Si des renforts venus de métropole se sont avérés nécessaires, cela est dû uniquement au trop grand nombre de patients à traiter. Les travaux immobiliers, indispensables, seront financés par une enveloppe de 709 millions d'euros, dont l'utilisation sera prochainement déclinée en liaison avec le ministère de la santé. Seront enfin renforcés les investissements courants, dont le détail sera donné au Parlement.

S'agissant du tourisme, l'application du passe sanitaire et la levée des motifs impérieux de déplacement pour les personnes vaccinées permettent d'envisager une reprise. Les quinze derniers jours de décembre représentent une période cruciale, notamment aux Antilles et à La Réunion. Nous avions déjà réussi à la sauver en 2020 grâce à des campagnes de tests massives. À ce jour, le taux de réservation apparait encourageant. Il faudra cependant maintenir les mécanismes d'aide et de soutien aux entreprises.

Jean-Baptiste Lemoyne travaille à la définition de mécanismes de relance, qui pourraient prendre la forme d'outils de défiscalisation. Nous souhaitons, en particulier, soutenir le développement d'un tourisme durable, autour de la nature et de la gastronomie. La mobilisation des collectivités territoriales et des acteurs du tourisme ainsi qu'une enveloppe de 50 millions d'euros permettront le développement de tels projets. Pour autant, demeure posée la question du coût élevé des billets d'avion.

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur . - Vous avez, avec raison, évoqué le sujet primordial de la vaccination, des difficultés de sa mise en oeuvre en outre-mer et de leurs conséquences sur le plan de relance. Menez-vous une réflexion pour comprendre les blocages à la vaccination dans certains territoires ? Des méthodes se sont-elles avérées efficaces pour les lever ? Comment se déroule la campagne en Nouvelle-Calédonie, où la vaccination a été rendue obligatoire ?

Je vous remercie de vos explications sur le tourisme et sur la question des compagnies aériennes. Dans certains territoires ultramarins, le poids de l'économie informelle demeure élevé. Prenez-vous en compte ce phénomène dans la politique de soutien aux entreprises ? Le Gouvernement a-t-il la volonté d'accompagner la relance par des aides aux ménages les plus précaires ?

M. Bernard Jomier, président . - Je lisais hier un entretien du président de l'Association des maires de France (AMF) qui appelait de ses voeux une loi de décentralisation de la santé pour tirer les conséquences de la crise sanitaire. Ses propos concernent, certes, surtout la métropole, mais ils sont évidemment applicables à l'outre-mer compte tenu des particularités sanitaires de ces territoires. Ainsi, la Nouvelle-Calédonie a-t-elle apporté à la pandémie des réponses différentes de celles qui sont appliquées en métropole. Comment aborderez-vous à l'avenir l'exercice de la compétence santé en outre-mer ?

M. Sébastien Lecornu, ministre . - Cette question est au coeur de notre réflexion collective.

Monsieur Arnaud, la vaccination en outre-mer constitue en partie un échec, dont nos concitoyens sont les premières victimes. Pourtant, des moyens suffisants ont été déployés et des campagnes de communication lancées. À mon sens, cela s'explique par une prise de conscience plus tardive, dans ces territoires, de la gravité de l'épidémie. De fait, en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française, par exemple, la première vague a été vécue très différemment qu'en métropole et la population s'est trouvée sidérée lorsque, cet été, le taux d'incidence a atteint un niveau invraisemblable. En outre, les fake news circulent largement sur les réseaux sociaux, parfois avec une certaine complicité des journalistes locaux. Ce phénomène irrationnel déstabilise nombre de soignants.

Certains ont voulu opposer la pharmacopée locale au vaccin, comme s'il y avait d'un côté les vaccins venus de Paris - alors qu'ils sont mondiaux - et de l'autre cette pharmacopée : cette opposition est une erreur, il faut en sortir. Enfin, des élites culturelles et spirituelles ont pu avoir tendance à se placer en retrait sur la vaccination, à ne pas s'engager, voire à manifester de la réticence ou du rejet ; ce n'est pas sans danger et nous sommes allés à leur rencontre. Nous le constatons en Nouvelle-Calédonie, le travail des autorités coutumières est décisif, leur présence aux côtés des équipes médicales fait que la campagne vaccinale fonctionne bien mieux.

Il faut comprendre qu'une partie de la population vit dans l'économie informelle, nous en avons tenu compte en faisant preuve de discernement : nous avons adapté nos référentiels, l'important étant de distinguer l'entrepreneur qui fraude de celui qui ne sait pas comment boucler son budget. Les chambres consulaires ont signalé les situations individuelles. Si l'on paie des impôts et des cotisations, c'est pour bénéficier d'une assurance lorsque cela va mal, c'est l'esprit qui sous-tend le principe de la sécurité sociale - nous avons répété ce catéchisme républicain et je remercie les représentants des filières économiques de nous avoir prêté main-forte.

Sur les aides aux ménages, le premier confinement a montré l'importance de l'aide alimentaire, car, avec la fermeture des flux, certains foyers se sont trouvés en grande difficulté d'approvisionnement, nous avons alors débloqué des moyens importants - plusieurs millions d'euros - en matière d'aide alimentaire. L'action du service public de l'emploi, avec les parcours emploi compétence (PEC), a également été très importante pour permettre aux jeunes ultramarins, et aussi aux moins jeunes, de retrouver de l'emploi et donc un niveau de ressources suffisant. Je remercie les collectivités territoriales de s'être engagées dans ce sens, en particulier Cyrille Melchior, le président du conseil départemental de La Réunion.

Faut-il décentraliser davantage les compétences sanitaires ? Comme élu local, je dirais plutôt oui, pour qu'il soit mieux tenu compte de la diversité des situations, mais, en tant que ministre, je crois qu'il faut faire très attention, car nos concitoyens considèrent que la santé est une question quasi-régalienne. L'enjeu est d'ordre national et relève des grands débats que nous devons avoir dans notre pays, en particulier lors des grandes échéances électorales comme celle que nous allons connaitre l'an prochain. Je remarque aussi que les territoires qui bénéficient d'un régime d'autonomie n'ont pas pu faire face seuls à cette pandémie mondiale, pour la simple raison que leur système de soins n'a pas été calibré pour un tel défi. Des questions juridiques se posent pour l'articulation entre les compétences : le sanitaire relève du pays, et donc la décision d'isolement en septaine ou en quatorzaine, mais l'arrêté qui restreint effectivement la liberté de circulation relève du Haut-Commissaire car cela touche aux libertés - cela me conduit à être favorable à un régime de compétences qui s'adapterait à la crise. Une clarification des compétences est donc utile, tout en tenant compte de l'attente de nos concitoyens en matière de santé au titre d'un domaine régalien et de la sensibilité aux questions d'égalité - je reçois des courriers contestant l'obligation vaccinale en Nouvelle-Calédonie au nom de l'égalité dans la République, alors que le principe même de l'autonomie emporte une rupture d'égalité. La Nouvelle-Calédonie vient de décider son déconfinement, les restaurants rouvrent, mais pas certains cultes, nous avons fait le contraire dans l'Hexagone - c'est possible avec le droit actuel.

Mme Nassimah Dindar . - Je salue votre intervention depuis la Nouvelle-Calédonie, ainsi que tous ceux qui défendent la place de la Nouvelle-Calédonie dans la République. Vous avez raison d'aller sur le terrain à l'approche d'échéances très importantes, non seulement pour la Nouvelle-Calédonie, mais pour tous les ultramarins. Je saisis cette occasion pour réitérer ce que je demande depuis trois ans au moins : peut-on réviser le coefficient géographique pour les hôpitaux ? Cela n'a pas été fait depuis dix ans à La Réunion, une révision modifierait les fonds à disposition de l'ARS et permettrait de mieux payer des professionnels qui se sentent abandonner : qu'en pensez-vous ?

La poursuite du plan de déconfinement est liée à la bonne pratique de la vaccination, je salue les Réunionnais qui ont largement participé. Cependant, alors que l'ARS se focalisait sur le covid-19, elle a négligé la dengue, qui tue pourtant sur notre territoire : il y a quatre souches de dengue, dont la dengue hémorragique, qui provoque des morts - il faudrait à tout le moins que l'ARS et les autorités communiquent davantage sur le sujet ; le covid-19 ne doit pas faire oublier les autres risques.

Mme Victoire Jasmin . - Je comprends, monsieur le ministre, que vous êtes sensible à la diversité des situations dans les outre-mer, et je vous en remercie. En Guadeloupe, les réalités n'ont pas toujours été prises en compte par les autorités, je l'ai constaté à maintes reprises, alors que cela est nécessaire pour mieux faire ensemble et aller de l'avant. Je regrette que la contribution que j'ai pu apporter, tant dans le cadre de la commission d'enquête qu'au plan local, n'ait pas toujours été comprise. Maintenant que les élus sont impliqués, que les professionnels sont mobilisés, le moment n'est-il pas venu de développer les contrats locaux de santé (CLS), avec un contenu plus large et plus fort ?

Il faut faire attention à ce que l'on dit de la situation dans les outre-mer. Je peux vous citer l'exemple d'un journal où des infirmières venues en renfort présentent la situation en Guadeloupe à leur retour en métropole : les termes qu'elles utilisent sont très forts, je crois qu'il faudrait mieux préparer les personnels qui viennent au titre de la réserve sanitaire. Oui, il y a beaucoup à faire sur notre territoire, mais on ne peut pas dire ou laisser dire n'importe quoi - je le dis pour avoir été accusée d'être contre le vaccin, alors que je suis vaccinée... La situation est grave et par certains côtés inédite, des médecins sont menacés parce que les autorités disent s'ils sont vaccinés ou pas, ce qui me paraît tout à fait inutile et dangereux, non seulement pour leur personne, mais aussi pour l'exercice de la médecine dans l'archipel, parce qu'il faut savoir que, dans certaines parties de la Guadeloupe, la fermeture d'un seul cabinet médical peut signifier l'impossibilité d'accéder à un médecin pour tout un territoire.

Enfin, il y a les surcoûts, qui sont liés aux réseaux d'approvisionnement, aux sous-traitants, aux intermédiaires. On pointe les difficultés de gestion, le manque d'efficience de l'hôpital. Certes, mais il faut voir aussi le poids de ces surcoûts, en particulier quand les normes changent très fréquemment, ainsi que les matériels et les nécessités de la maintenance. Tout cela est très concret et ne se règle pas de la même façon en métropole ou dans nos territoires. Il importe de prendre en compte ces spécificités, ces problèmes particuliers, sur lesquels nous alertons depuis des années et que la crise sanitaire a mis au grand jour. Il faut maintenant que vous le compreniez et que vous agissiez en conséquence : des CLS larges et ambitieux sont plus que jamais d'actualité ; nous sommes mobilisés, j'espère que nous serons entendus !

M. Pierre Frogier . - Je remercie le Gouvernement et mes collègues parlementaires pour la solidarité nationale dont la Nouvelle-Calédonie bénéficie, une solidarité qui n'a pas été comptée alors qu'approche un rendez-vous déterminant pour les Néo-Calédoniens. Cette solidarité nationale me semble d'ailleurs la meilleure réponse à ceux qui se demandent s'ils répondront par « oui » ou par « non » au référendum. Des responsables du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) n'ont pas hésité tous ces derniers mois, pour convaincre « leur » population dans la perspective du référendum, qu'il ne fallait pas se vacciner - et ils insistaient avec ces termes : « d'où vient le vaccin ? » et « qu'est-ce qu'il y a dedans ? » Il ne faut pas s'étonner dès lors que l'épidémie ait explosé, en particulier sur la côte Est. Je constate qu'heureusement la courbe s'inverse et que la situation s'améliore - c'est une très bonne chose.

Mme Micheline Jacques . - L'hôpital de Bruyn, à Saint-Barthélemy, est le plus petit Hôtel-Dieu de France. Cette seule structure assure la permanence des soins en proximité, la médicalisation des évacuations sanitaires et la prise en charge de 17 lits d'hospitalisation. En temps normal, le nombre de séjours est important dans une zone peuplée de 10 000 résidents sur 21 kilomètres carrés et fréquentée par 300 000 touristes par an. Cet établissement qui relève de la catégorie des « petits » hôpitaux, ex hôpitaux locaux, doit être considéré non seulement comme un établissement de proximité, mais aussi comme un centre hospitalier de référence pour les consultations de deuxième intention, d'orientation et d'organisation des prises en charge spécialisées.

Le covid-19 lui a imposé de passer à « une troisième médecine » évoquant un travail étroit, mal coordonné entre la ville, l'hôpital, le médico-social et la sécurité civile. Cette épidémie a signé un changement majeur dans l'organisation de l'offre de soins, mettant en évidence des insuffisances administratives, des lacunes organisationnelles et des lenteurs opérationnelles au quotidien qui rendent nécessaires des mesures correctives.

Le déploiement du dossier médical partagé (DMP), une meilleure organisation des filières de prise en charge avec le développement de la télémédecine et des pratiques avancées en dehors de l'hôpital ont manqué dès le début de l'épidémie. L'ensemble des forces vives n'a pas été impliqué. Les activités d'urgence et de consultations externes ont été impactées par la gestion du covid-19. Le rôle de l'établissement en termes de recours aux soins s'est abîmé ; le nombre de séjours a baissé ; la dispersion de l'activité s'est réduite ; la lourdeur des soins a augmenté ; la part de l'activité consacrée aux urgences a augmenté ; la fonction de recours a diminué.

Le sentiment qui est né avec le covid-19 et qui persiste pour les soignants, c'est celui d'une gestion hospitalière approximative, loin des réalités locales avec l'idée d'être empêché de travailler, de progresser, de projeter et de s'améliorer. Il en résulte encore une forme de lassitude.

Après un an et demi, trois questions demeurent : quelle activité hospitalière assurer sur une île de 21 kilomètres carrés ? Quel est le périmètre de l'environnement technique et sanitaire qui permette l'organisation de filières efficaces en période épidémique ? Quel doit être le mode de gestion de l'établissement pour atteindre sécurité sanitaire et équilibre économique ?

Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - Je souscris aux propos de Victoire Jasmin, il en va en Guyane comme en Guadeloupe. Je me fais le porte-parole d'un groupe de citoyens engagés dans « La caravane de la liberté », qui m'ont demandé de vous poser quelques questions. Pourquoi les Guyanais n'ont-ils qu'un seul vaccin à disposition, le Pfizer, alors que partout ailleurs plusieurs vaccins sont proposés ? Pourquoi ne sont-ils pas inclus dans l'expérimentation des traitements à base de biothérapie, comme le sont nos voisins guadeloupéens ? Comment feront, ensuite, tous ceux qui ne pourront payer le test, qui ne sera plus remboursé pour les personnes non vaccinées à partir de vendredi prochain : ne craignez-vous pas d'encourager la reprise épidémique ?

Enfin, je vous suggère la mise en place d'un médiateur, entre les autorités et la population, tant la parole publique est mise en doute : qu'en pensez-vous ?

M. Victorin Lurel . - Il faut penser l'après-crise, se placer au-delà de l'urgence. Je souhaite le succès et reconnais l'effort du Gouvernement. Nous allons vivre longtemps avec le virus, des traitements pourraient arriver bientôt, mais un problème de sécurité se pose pour nos soignants. Un sentiment de colère étreint la population : j'ai été traité de nazi parce que j'appelais nos concitoyens à se faire vacciner - ces excès montrent qu'il ne faut pas s'y arrêter, qu'il faut aller au-delà de ces propos politiciens parce que la santé de nos concitoyens est en jeu. Oui, je souscris au plan d'urgence à long terme, on aurait peut-être dû profiter du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale pour modifier la gouvernance du secteur de la santé ; ce n'est pas simple, mais ce n'est pas impossible - j'espère que nous en débattrons plus avant. Je souhaite un plein succès de vos actions, je ne sais pas quels sont les chiffres précis en Guadeloupe, mais l'enjeu est de taille.

M. Sébastien Lecornu, ministre . - Madame Dindar, un travail a été engagé sur la révision des coefficients géographiques pour les hôpitaux, j'espère que nous en aurons le résultat l'an prochain. L'épidémie de dengue est un point majeur, j'ai oublié de le dire dans mon intervention liminaire : nous avons travaillé sur plusieurs épidémies en même temps, ce qui a rendu notre tâche plus difficile encore. Nous avons maintenu des moyens importants contre la dengue, je tiens les chiffres à votre disposition, notre effort est large et implique aussi, par exemple, la gestion des déchets, qui importe évidemment dans la lutte contre la propagation des virus.

Madame Jasmin, vous avez raison de vouloir mieux associer les parlementaires aux politiques publiques, même si certains demandent à participer, mais ne se rendent pas toujours disponibles ensuite, pour le travail concret - c'est pourquoi je suis favorable à l'idée de rendre publiques les participations aux commissions techniques. Sur les CLS, les choses avancent, des contrats sont signés.

Merci, monsieur Frogier, de vos mots sur la solidarité nationale : effectivement, l'État n'a pas la compétence juridique, mais nous sommes là, pour l'hôpital, pour les vaccins, mais également en soutien financier, par voie de prêt et de subvention. Quelque 4 000 injections ont eu lieu en Nouvelle-Calédonie, donc 3 000 sont des deuxièmes injections, il faut aller au contact de personnes plus éloignées. Les autorités coutumières jouent le jeu, c'est un engagement moral de protection de nos concitoyens.

Madame Jacques, je salue votre engagement pour l'équipement sanitaire de Saint-Barthélemy : j'avais émis un avis de sagesse favorable à votre amendement lors de la loi « 3DS », il faut effectivement travailler sur le périmètre de soins, mieux l'adapter aux situations locales. Ensuite, je salue la signature du CLS, c'est très encourageant. Je vous remercie également pour votre action en faveur de la vaccination, vous avez su donner confiance aux milieux économiques, c'est évidemment très important pour Saint-Barthélemy.

Madame Phinera-Horth, je vous annonce que des doses de vaccin Janssen ont été livrées à La Guyane ; votre demande de ne pas se limiter au Pfizer est donc satisfaite. L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a effectivement autorisé l'expérimentation du traitement par anticorps monoclonaux, il me semblait que La Guyane en faisait partie - je demanderai à mon cabinet de vous le confirmer. Faut-il un médiateur entre les autorités et la population ? S'il s'agit de convaincre ceux qui font de la politique sur le dos de la vaccination, un médiateur ne changera rien ; en revanche, pour les publics qui doutent, cela peut être utile, il faut des personnalités aux profils différents pour leur répondre, je suis à votre disposition pour voir comment faire.

Enfin, monsieur Lurel, je peux vous communiquer quelques chiffres concernant la population guadeloupéenne : 26 % ont un schéma vaccinal complet, 46,2 % des soignants en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), 68 % des soignants libéraux, je demanderai au cabinet d'Olivier Véran de vous communiquer les chiffres dont nous disposons.

M. Bernard Jomier, président . - Merci monsieur le ministre. Je précise à la mission que nous commencerons, la semaine prochaine, un travail par territoire ultramarin, sous la conduite de nos deux rapporteurs, et nous nous rendrons à la Martinique et en Guadeloupe du 17 au 22 octobre. Enfin, nous auditionnerons M. Véran.

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES
LORS DU DÉPLACEMENT
EN MARTINIQUE ET EN GUADELOUPE

Une délégation de la mission d'information composée de MM. Bernard Jomier, Jean-Michel Arnaud et Fabien Genet s'est rendue en Martinique et en Guadeloupe du 17 au 21 octobre 2021.

Se sont joints à la délégation :

- en Martinique, Mme Catherine Conconne, sénatrice de la Martinique ;

- en Guadeloupe, Mme Victoire Jasmin, MM. Victorin Lurel et Dominique Théophile, sénateurs de la Martinique, Mme Anick Petrus, sénatrice de Saint-Martin.

I. MARTINIQUE (17-19 OCTOBRE 2021)

- M. Stanislas Cazelles, préfet de la région Martinique, préfet de la Martinique ;

- Colonel Patrick Tyburn, directeur du service territorial d'incendie et de secours ;

- Dr Yolène Bellon-Tulle, Dr Etienne Briand, Dr Didier Flory, Dr Sandrine Tignac, Union régionale des médecins libéraux ;

- Dr Raymond Dorail, membre du Conseil national de l'ordre des médecins ;

- Mme Léa Donardim, présidente de l'Union régionale des professionnels de santé pharmaciens ;

- M. Claude Marie-Joseph, président départemental de l'ordre des pharmaciens ;

- Mme Anne Foll, chef du service interministériel de défense et de protection civiles ;

- Dr. Claude Lise, M e Danielle Marceline, MM. André Lucrèce et Marcus Cheviot, membres du comité citoyen de transparence ;

- Mme Claire Tessier, sous-préfète chargée de la cohésion sociale ;

- M. Dominique Halbwachs, Mme Karine Baillard, pôle solidarités de la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Deets) ;

- M. Joseph Angele, président du service intégré d'accueil et d'orientation (Siao) ;

- M. Fred Galva, directeur de l'Association laïque pour l'éducation, la formation, la prévention et l'autonomie (Alefpa) ;

- Pr Louis Jehel, Mme Karine Moussau, SOS Kriz ;

- Mme Régine Pognon, association Saint-Vincent de Paul ;

- M. Marcel Clodion, ancien président de la conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA), accompagné du Dr Jean-Luc Fanon ;

- M. Fred-Michel Thirault, maire du Saint-Esprit, vice-président de l'Association des maires de Martinique ;

- M. Christian Rapha, maire de Saint-Pierre, vice-président de l'Association des maires de Martinique ;

- M. Benjamin Garel, directeur général du centre hospitalier universitaire de Martinique ;

- Pr François Roques, président de la commission médicale d'établissement du centre hospitalier universitaire de Martinique ;

- Pr André Cabié, chef du service des maladies infectieuses du centre hospitalier universitaire de Martinique ;

- Dr Papa Gueye, directeur du Samu ;

- Dr Jérôme Viguier, directeur général, Dr Nathalie Duclovel-Pame, directrice déléguée à la veille et à la sécurité sanitaire, Mme Marie-Françoise Emonide, directrice déléguée à la santé environnementale et la prévention, Mme Laurence Deluge, directrice de cabinet, Agence régionale de santé (ARS) ;

- M. Serge Letchimy, président du conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Martinique ;

- Mme Dominique Savon, directrice de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités ( Deets ) ;

- M. Guillaume Vaille, directeur adjoint, direction régionale des finances publiques (Drfip) ;

- M. Philippe Jock, président de la chambre de commerce et d'industrie ;

- M. Henri Salomon, président de la chambre des métiers et de l'artisanat ;

- Mme Bénédicte Di Geronimo, présidente du Comité martiniquais du tourisme ;

- M. Bernard Édouard, président du Medef Martinique ;

- Mme Céline Rose, présidente de la Cpme Martinique

- Mme Elisabeth Adélaïde, directrice générale adjointe, AVS Voyages.

II. GUADELOUPE (19 - 21 OCTOBRE 2021)

- M. Alexandre Rochatte, préfet de la région Guadeloupe, préfet de la Guadeloupe ;

- M. Régis Elbez, secrétaire général aux affaires régionales ;

- M. Patrick Oudin, commissaire à la vie des entreprises et au développement productif ;

- M. David Arnoux, président de la commission tourisme de la chambre de commerce des îles de Guadeloupe ;

- Mme Angèle Dormoy, président de la chambre de commerce interprofessionnelle de Saint-Martin ;

- M. Thomas Gréaux, président de la chambre économique multiprofessionnelle de Saint-Barthélemy ;

- M. Willy Rosier, président du comité du tourisme des îles de Guadeloupe ;

- M. Willy Ramsamy, directeur du développement économique de la chambre des métiers et de l'artisanat de Guadeloupe ;

- M. Bruno Blandin, président du Medef de Guadeloupe ;

- M. Jocelyn Sapotille, maire du Lamentin, président de l'Association des maires de Guadeloupe ;

- M. Héric André, maire de Vieux-Fort, premier vice-président de l'Association des maires de Guadeloupe ;

- M. André Atallah, maire de Basse-Terre ;

- M. Élie Califer, maire de Saint-Claude ;

- M. Thierry Abelli, maire de Bouillante ;

- Mme Rolande Nadille-Vala, maire de Terre-de-Bas ;

- Mme Liliane Gamiette, adjointe au maire de Deshaies ;

- Mme Jocelyne Mocka, adjointe au maire de Trois-Rivières ;

- M. Jean-Pierre Castanet, adjoint au maire de Capesterre-de-Marie-Galante ;

- M. Bruno Magras, président du conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélemy ;

- M. Daniel Gibbs, président du conseil territorial de la collectivité de Saint-Martin ;

- colonel Félix Anténor-Habazac, directeur, colonel Jean-Paul Levif, médecin-colonel Tony Jerpan, service départemental d'incendie et de secours ;

- Dr Florelle Bradamentis, responsable de la cellule « tester-alerter-protéger »-Riposte, Agence régionale de santé ;

- M. Camille Élisabeth, vice-président du conseil régional ;

- Mme Maryse Etzol, vice-présidente du conseil départemental ;

- Mme Valérie Denux, directrice générale, Agence régionale de santé ;

- Dr Bruno Jarrige, directeur médical de crise du CHU de Guadeloupe ;

- Mme Sylvie Mouton, directrice-adjointe du centre hospitalier de Basse-Terre ;

- Mme Marie-Antoinette Lampis directrice du centre hospitalier de Saint-Martin ;

- Dr Frédérique Dulorme, présidente, Dr Pascal Rhinan, Union régionale des médecins libéraux ;

- Dr Catherine Billot-Boulanger, Dr Jean-Claude Viellot ordre départemental des médecins ;

- Mme Pierrette Meury-Abraham, ordre interdépartemental des infirmiers Antilles Guyane ;

- Mme Virginie Sébastien, présidente de l'URPS infirmiers ;

- M. Gérard Cotellon, directeur général du CHU de Guadeloupe ;

- M. Badi Faddoul, président des commerçants de Grande-Terre ;

- M. Anthony Madi, président des commerçants de Basse-Terre ;

- M. Vicor Venutulo, président des commerçants du centre commercial Destreland ;

- M. Rudy Nainan, président des restaurateurs de la Martinique ;

- M. Christian-Georges Léo, président du Syndipros ;

- M. Jean-Yves Ramassamy, président, Mme Olivia Ramoutar, vice-présidente, fédération du tourisme de proximité ;

- M. Dominique Ascencio, directeur du casino du Gosier.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
LORS DES AUDITIONS

I. GUYANE (14 OCTOBRE 2021)

- M. Thierry Queffelec, préfet de la région Guyane ;

- M. Gabriel Serville, président de l'Assemblée de Guyane ;

- M. Alexandre de La Volpilière, directeur général adjoint de l'Agence régionale de santé (ARS);

- M. Cyril Rousseau, référent Santé Publique France en Guyane ;

- Pr. Félix Djossou, président de la commission médicale d'établissement du centre hospitalier de Cayenne ;

- Mme Carine Sinaï-Bossou, présidente de la chambre de commerce et d'industrie.

II. LA RÉUNION (21 OCTOBRE 2021)

- M. Étienne Billot, directeur général adjoint de l'Agence régionale de santé (ARS) ;

- Pr Peter Von Theobald, président de la commission médicale d'établissement du centre hospitalier universitaire de La Réunion ;

- Dr Christine Kowalczyk, présidente de l'Union régionale des professions de santé Océan indien ;

- M. Pascal Plante, premier vice-président de la chambre de commerce et d'industrie ;

- M. Dominique Vienne, président du Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser).

III. MAYOTTE (21 OCTOBRE 2021)

- Mme Stéphanie Fréchet, secrétaire générale de l'Agence régionale de santé (ARS) ;

- M. Bourahima Ali Ousseni, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (Cpme).

IV. NOUVELLE-CALÉDONIE (25 OCTOBRE 2021)

- M. Patrice Faure, haut-commissaire de la République ;

- M. Yannick Slamet, ministre en charge de la santé, porte-parole du gouvernement de Nouvelle-Calédonie ;

- Mme Séverine Métillon, directrice adjointe des affaires sanitaires et sociales ;

- Dr Thierry de Greslan, président de la commission médicale d'établissement, Dr Matthieu Série, vice-président, centre hospitalier territorial Gaston-Bourret ;

- M. David Guyenne, président de la chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle Calédonie,

- M. Xavier Benoist, président de la Fédération des industries de Nouvelle-Calédonie.

V. POLYNÉSIE FRANÇAISE (27 OCTOBRE 2021)

- M. Dominique Sorain, haut-commissaire de la République ;

- M. Jacques Raynal, ministre de la santé de la Polynésie française ;

- Dr Philippe Dupire, président de la commission médicale d'établissement du centre hospitalier de Polynésie française ;

- M. Stéphane Chin Loy, président de la chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers ;

- M. Frédéric Dock, président du Medef de Polynésie française.


* 1 Avis du Conseil scientifique Covid-19 du 5 octobre 2021.

* 2 Santé publique France précise que compte tenu de l'effectif des populations de Saint-Barthélemy et Saint-Martin (inférieur à 10 000 et 40 000 habitants respectivement), les taux d'incidence doivent être interprétés avec précaution.

* 3 Évolution du nombre de décès depuis le 1?? juin 2021 - Insee - 2 novembre 2021. L'Insee précise que ces données sont encore provisoires et seront révisées à la hausse dans les prochaines semaines.

* 4 Ministère de la santé de Polynésie française - Bulletin épidémiologique hebdomadaire covid 19 - 4 novembre 2021.

* 5 Institut de la statistique de la Polynésie française. Points études et bilans de la Polynésie française n os 1277 et 1285, septembre et octobre 2021.

* 6 Un tiers d'entre eux appartenaient à la réserve sanitaire et deux-tiers étaient des professionnels volontaires qui ont été employés dans le cadre du régime de réquisition prévu par l'article 48 du décret n° 2021-699 du 1 er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

* 7 Au CHU de Guadeloupe, 85 lits ont été ouverts en une semaine pour les patients covid.

* 8 Des patients non covid ont été acheminés par vols commerciaux. Les patients covid l'ont été par des vols dédiés.

* 9 Jusqu'en juillet 2021, à l'exception de 4 patients transférés de La Réunion vers l'hexagone, les évacuations sanitaires de patients atteints du covid s'étaient principalement opérées de Mayotte vers La Réunion (248 patients) et 13 patients avaient été évacués de Guyane vers la Guadeloupe ou la Martinique.

* 10 Y compris des tirs à balles réelles sur les forces de sécurité lors d'une manifestation à Fort-de-France le 18 juillet.

* 11 Loi n° 2021-1465 du 10 novembre 2021 portant diverses dispositions de vigilance sanitaire.

* 12 Il est composé des autorités coutumières, politiques, religieuses et administratives.

* 13 Retour à sa résidence principale, retour d'évacuation sanitaire, missions essentielles ou prises de postes.

* 14 Délibération n° 44/CP du 3 septembre 2021 instaurant une obligation vaccinale contre le virus SARS-CoV-2 en Nouvelle-Calédonie

* 15 Une enquête de séroprévalence de Santé publique France est en cours pour la Guadeloupe.

* 16 Enquête communiquée par l'agence régionale de santé de Martinique.

* 17 Médecine alternative ou traditionnelle, développement de nouveaux traitements, recours à des traitements existants mais non prescrits tels que l'ivermectine ou l'hydroxychloroquine.

* 18 www.cctransparencemartinique.info

* 19 Personnes exerçant une activité professionnelle dans les domaines suivants : transport aérien et maritime, secteur portuaire et aéroportuaire ; mise en oeuvre des mesures de quarantaine ; établissements de soins publics ou privés ; secteurs sensibles dont l'interruption entrainerait des conséquences néfastes sur le fonctionnement du pays ou affecterait la sécurité ou l'ordre public.

* 20 Personnes exerçant une activité professionnelle ou bénévole les exposant ou exposant les personnes dont elles ont la charge à des risques de contamination : professionnels de santé ; personnels des établissements de soins publics ou privés ou accueillant des personnes âgées, des enfants, des personnes handicapées ; personnes au contact du public dans les services publics, les commerces, les activités de prestation de service ; personnes de plus de 16 ans atteintes de certaines affections, personnes exerçant des activités essentielles au fonctionnement de la Polynésie française ; personnes exerçant des activités dans lesquelles les gestes barrières ne peuvent être respectés.

* 21 Déclaration du directeur général (Frances Antilles - 15 novembre 2021).

* 22 Les établissements de santé - édition 2021 - DREES

* 23 Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs (Cafat) en Nouvelle-Calédonie ; caisse de prévoyance sociale (CPS) en Polynésie française.

* 24 Maripasoula, Grand Santi et Saint-Georges de l'Oyapock

* 25 DREES Études et résultats - février 2020 n° 1144

* 26 Article 71 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé et décret n° 2020-377 du 31 mars 2020 pris pour son application.

* 27 L'ouragan Irma aux Antilles en 2017, qui selon l'institut allemand Cedim aurait engendré des coûts de reconstruction de 10 milliards de dollars pour la Caraïbe, dont 1,5 milliard de dollars pour Saint-Martin et 780 millions d'euros pour Saint-Barthélemy ; les conflits sociaux en Guyane ; la hausse de l'insécurité à Mayotte.

* 28 Selon Chérifa Linossier, présidente de la CGPME de Nouvelle-Calédonie et vice-présidente de la Représentation patronale du Pacifique Sud : « le tissu économique de ces pays est tel, qu'en Nouvelle-Calédonie, il a fallu redéfinir les critères de définition des entreprises. Ainsi, si les TPE restent les entreprises de moins de 10 salariés, les entreprises considérées comme PME sont, en Nouvelle-Calédonie, des entreprises salariant entre 10 et 99 personnes, alors qu'en France, la définition de PME inclut des entreprises jusqu'à 250 salariés. Ainsi, on notera qu'en Nouvelle-Calédonie, sur les 56 032 entreprises existantes au 1 er janvier 2014, 54 735 sont des TPE de moins de 10 salariés dont 49 425 d'entre elles sont des entreprises individuelles » (table-ronde au Sénat - 2014).

* 29 Selon Mme Carine Sinaï-Bossou, présidente de la chambre de commerce et d'industrie de la Guyane, entendue en audition par la mission d'information.

* 30 Table-ronde organisée par la mission d'information le 28 septembre 2021.

* 31 Insee, « De nombreuses entreprises informelles pour peu de richesse créée. Enquête sur les entreprises mahoraises en 2015 », février 2018.

* 32 IEDOM, Rapport annuel, « Délais de paiement pratiqués par les entreprises et les organismes publics des départements d'outre-mer », août 2019.

* 33 Dans les comptes nationaux, l'intégration du secteur non marchand s'effectue sur la base de la valorisation de ses coûts de production, principalement salariaux.

* 34 Les premières estimations conduites par l'IEOM/IEDOM en mai 2020 tablaient sur une baisse de 10 à 20 % du PIB pour les territoires d'outre-mer.

* 35 IEDOM-IEOM, « Conjoncture outre-mer 2020 et perspectives 2021 : après le choc de la crise covid », Publications économiques et financières n° 656, avril 2021.

* 36 La Polynésie française a par exemple perdu 2 050 emplois en 2020.

* 37 Mme Carine Sinaï-Bossou, présidente de la Chambre de commerce et d'industrie de la Guyane, a par ailleurs indiqué à la mission d'information que la fréquentation du zoo de Guyane avait chuté de 70 % suite à la mise en place du pass sanitaire.

* 38 Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directrice générale de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM), audition du 28 septembre 2021.

* 39 Ibid.

* 40 Insee, « Niveau de vie et pauvreté dans les DOM », juillet 2020.

* 41 Ministère de l'intérieur, « Insécurité et délinquance en 2020 : bilan statistique » Fiche thématique #7 Outre-mer.

* 42 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances du Sénat pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le système éducatif dans les académies ultramarines, par M. Gérard LONGUET (décembre 2020).

* 43 Il convient de noter que le dispositif d'activité partielle n'a pas été mis en place en Polynésie française.

* 44 Article 4 du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.

* 45 En Nouvelle-Calédonie, par exemple, l'organisme instructeur du chômage partiel est la direction du travail et de l'emploi (DTE), celui de l'aide au paiement des cotisations sociales est la Cafat, celui du report du paiement de l'impôt sur le revenu est la direction des services fiscaux (DSF), celui du plan d'urgence « Province Sud » est le centre administratif de la province Sud (CAPS), celui de la prise en charge des cotisations sociales est la direction du développement économique et de l'environnement (DDEE), et celui du fonds de solidarité est le Haut-commissariat.

* 46 Public Sénat, « France Relance : des élus ultramarins dénoncent « un fléchage » peu adapté aux spécificités de leurs territoires », 15 novembre 2021.

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