II. LE PROJET NEXSIS : UN ENJEU FONDAMENTAL POUR LES SERVICES D'INCENDIE ET DE SECOURS NÉCESSITANT UN SOUTIEN PLUS FORT DE L'ÉTAT

1. NexSIS : une solution d'avenir pour la modernisation des SGA-SGO des SDIS

Initié en 2016, le projet « NexSIS 18-112 » est porté par l'Agence nationale de la sécurité civile (ANSC), en application de l'article R. 732-11-2. du code de la sécurité intérieure. Il a pour objet d'offrir aux SDIS qui le souhaitent une solution permettant le remplacement de leurs systèmes de gestion des alertes - systèmes de gestion opérationnels (SGA-SGO). Les SGA-SGO sont des systèmes d'information principalement utilisés par les centres de traitement des appels - centres opérationnels départementaux d'incendie et de secours (CTA-CODIS) des SIS. Ils permettent, en temps réel, d'identifier et de localiser les moyens humains et matériels dont dispose le SIS pour répondre à une alerte donnée. La structuration des moyens humains (sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires), la diversité des moyens matériels et leur répartition au sein des centres de secours du département font du SGA-SGO la moelle épinière des SIS et de leur capacité opérationnelle .

En 2019, l'ANSC a désigné le SDIS de Seine-et-Marne comme SDIS préfigurateur pour la mise en place du système NexSIS et a établi une liste des SDIS primo-accédant pour le déploiement de ce système. Ainsi, sept SIS devaient initialement voir leurs SGA-SGO actuels remplacés par le système NexSIS en 2021, puis quatorze SIS supplémentaires ainsi que la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris en 2022. Or, le conseil d'administration de l'ANSC du 7 juillet 2021 a révélé que le calendrier initial ne pourrait être tenu du fait de certaines contraintes induites par la crise sanitaire ainsi que par un manque de personnels qualifiés.

2. Un retard inquiétant à plusieurs titres

Le principal risque induit par le retard de livraison concerne la remise en cause des capacités opérationnelles des SIS concernés . Certains SGA-SGO, devenus particulièrement obsolètes, ne sont plus mis à jour par leurs éditeurs et certains systèmes anciens ne proposent pas les fonctionnalités récentes mises à disposition par la DGSCGC ou l'ANSC telles que la géolocalisation des appels d'urgence.

En outre, la maintenance des systèmes devient de moins en moins facile pour les SIS puisque les sociétés historiquement en charge ne disposent parfois plus des compétences pour intervenir sur des systèmes dont le remplacement a, en tout état de cause, été annoncé. La maintenance des matériels informatiques est également problématique puisque les SGA-SGO les plus anciens fonctionnent avec du matériel datant parfois des années 1990 et dont le remplacement total ou partiel peut être difficile. De plus, certains SDIS ont anticipé le lancement de NexSIS en ne renouvelant pas leur contrat de maintenance. C'est notamment le cas pour celui du Var, dont le contrat prendra fin l'année prochaine.

Il résulte de ces différents facteurs un risque croissant de pannes lourdes pouvant, le cas échéant, aboutir à une perte totale du système qui impliquerait un passage en mode « ultra-dégradé » pour la gestion des appels d'urgence depuis la prise d'appel jusqu'au déclenchement des sapeurs-pompiers dans les casernes (méthode « téléphone - papier - crayon ») alors que les SDIS ont reçu près de 16 millions d'appels en 2020 14 ( * ) et que certains d'entre eux, comme ceux du Var ou de la Gironde, procèdent à plus de 100 000 interventions par an.

Une panne lourde de SGO-SGA aurait donc des conséquences dramatiques dans les départements concernés , sans aucune commune mesure avec la panne des numéros d'appels d'urgence connue le 2 juin dernier sur le réseau de l'opérateur Orange.

En outre, ce retard pourrait porter préjudice à l'expérimentation des plateformes communes de réception des appels d'urgence prévue à l'article 31 de la proposition de loi « Matras » définitivement adoptée par le Parlement le 16 novembre dernier 15 ( * ) . Il semble difficilement envisageable de procéder au regroupement des CTA-CODIS et des centres de réception des appels des services d'aide médicale urgente (SAMU) sans utiliser le système NexSIS, alors qu'il a vocation à être adopté par une part significative des SIS et qu'il a justement été conçu pour rendre possible un tel regroupement.

Enfin ce retard est particulièrement préjudiciable pour les SIS qui, en application de l'article R. 732-11-17 du code de la sécurité intérieure, ont d'ores et déjà versé des subventions d'investissement à l'ANSC en vue de se doter du système NexSIS en application de conventions concluent « entre l'agence et les services utilisateurs concernés pour préciser les modalités financières et comptables de ces rémunérations et subventions » .

Ces subventions représentent un montant cumulé de plus de 12,5 millions d'euros pour les années 2019 et 2020, soit un effort significatif pour les SIS et les collectivités qui contribuent à leur financement. Ces dernières sont donc particulièrement inquiètes à la vue du retard que prend le projet.

3. Des manques de moyens difficilement acceptables

Le retard de déploiement de NexSIS est difficilement acceptable pour les collectivités contributrices puisque les dotations de l'État à destination de l'agence sont constituées d'une subvention pour charges de service public d'un montant de 5 millions d'euros en AE et en CP et d'une dotation en fonds propres de 2 millions d'euros en AE et en CP au titre de la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS 16 ( * ) .

Pour rappel, cette dotation avait été créée en 2016 pour redéployer les économies permises par la réforme de la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR) versée aux sapeurs-pompiers volontaires 17 ( * ) , qui s'était traduite par une diminution significative du montant de la participation versée à ce titre par l'État aux départements , passée de 32 millions d'euros en 2015 à 3 millions d'euros en 2017.

Concomitamment, il avait donc été décidé qu'une large partie de cette économie viendrait abonder un fonds de soutien aux SDIS , appelé « dotation de soutien aux investissements structurants des services d'incendie et de secours » , et destiné à financer des projets « présentant un caractère structurant, innovant ou d'intérêt national » 18 ( * ) .

En 2017, l'engagement de l'État avait été respecté avec une dotation aux investissements structurants atteignant 25 millions d'euros 19 ( * ) . Mais, depuis lors, l'écart cumulé entre les économies réalisées au titre de la NPFR et les montants redistribués via la dotation aux investissements structurants n'a cessé de croitre et était évalué, en 2020, par Catherine Troendlé, alors rapporteure pour avis de la commission des lois, à plus de 62 millions d'euros 20 ( * ) .

À l'heure actuelle, la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS se limitant à la seule dotation à destination de l'ANSC, il est donc regrettable que celle-ci se limite à un montant de 2 millions d'euros.

Ainsi, au regard du caractère vital du programme NexSIS, du retard déjà enregistré pour son déploiement, des engagements financiers significatifs portés par les SIS et de la baisse récurrente de la dotation aux investissements structurants des SDIS depuis 2017, la rapporteure de la commission des lois appelle à un effort financier conséquent de l'État pour le financement de l'ANSC.


* 14 Les statistiques des services d'incendie et de secours, édition 2021, page 31.

* 15 Article 31 de la proposition de loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels.

* 16 Source : projet annuel de performance annexé au PLF pour 2022.

* 17 Loi n° 2007-1867 du 27 décembre 2016 relative aux sapeurs-pompiers professionnels et aux sapeurs-pompiers volontaires.

* 18 Article L. 1424-36-2.-I du code général des collectivités territoriales issu de l'article 17 de la loi du 27 décembre 2016 précitée.

* 19 Voir l'avis budgétaire de la commission des lois sur le programme 161 de la mission « sécurités » du PLF 2020, page 19.

* 20 Ibidem , page 20.

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