N° 454

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 février 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) sur le Numérique, protection des populations et territoires ,

Par M. Antoine LEFÈVRE, Mme Anne-Catherine LOISIER et M. Jean-Yves ROUX,

Sénateurs et Sénatrice

(1) Cette délégation est composée de : Mme Françoise Gatel, présidente ; MM. Rémy Pointereau, Guy Benarroche, Jean-Pierre Corbisez, Bernard Delcros, Mmes Corinne Féret, Michelle Gréaume, MM. Charles Guené, Éric Kerrouche, Antoine Lefèvre, Mme Patricia Schillinger, M. Pierre-Jean Verzelen, vice-présidents ; M. François Bonhomme, Mme Agnès Canayer, M. Franck Montaugé, secrétaires ; Mmes Nadine Bellurot, Céline Brulin, MM. Bernard Buis, Laurent Burgoa, Thierry Cozic, Mmes Chantal Deseyne, Mme Catherine Di Folco, MM. Thomas Dossus, Jérôme Durain, Mme Dominique Estrosi Sassone, MM. Fabien Genet, Hervé Gillet, Jean-Michel Houllegatte, Mmes Muriel Jourda, Sonia de La Provôté, Christine Lavarde, Anne-Catherine Loisier, MM. Pascal Martin, Hervé Maurey, Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Philippe Mouiller, Olivier Paccaud, Philippe Pemezec, Didier Rambaud, Mme Sylvie Robert, MM. Jean-Yves Roux, Laurent Somon, Lucien Stanzione, Cédric Vial, Jean Pierre Vogel.

RECOMMANDATIONS DU RAPPORT

Recommandations

Nature de la recommandation

Destinataire

Échéance

1. Recourir aux nouvelles technologies de manière rigoureuse par un bilan coûts/avantages actualisé et public

Bonne pratique

Élus locaux

6 mois

2. Sensibiliser les élus et le personnel aux enjeux de la cybersécurité par la mise en place de procédures de continuité et de reprise d'activité et par la valorisation des fonctions de RSSI

Bonne pratique

Élus locaux et leurs services

6 mois

3. Développer les usages numériques en pleine conformité avec le principe de subsidiarité en déterminant l'échelon pertinent d'intervention

Bonne pratique

Élus locaux

6 mois

4. Donner une base légale à l'usage des drones par la police municipale

Législative

Parlement,
en lien avec l'Association des Maires de France

1 an

5. Renforcer la coopération entre les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l'État s'agissant de la protection des populations.

Bonne pratique

Élus locaux

6 mois

AVANT-PROPOS

En 2017, notre délégation rendait public un rapport intitulé « les nouvelles technologies au service de la modernisation des territoires » 1 ( * ) .

« Dans le cadre de leurs compétences locales, que ce soit en matière d'aménagement numérique, d'énergie, de transport et de mobilité, de gestion des déchets, de santé ou encore de sécurité, les collectivités peuvent tirer un grand bénéfice des nouvelles technologies » faisaient alors valoir les rapporteurs MM. Jacques Mézard et Philippe Mouiller. Ces derniers soulignaient, exemples concrets à l'appui, les nombreux apports du digital : efficacité de l'action publique, meilleur service aux usagers, économies budgétaires, développement durable, attractivité des territoires...

Notre délégation a souhaité, cinq ans plus tard, porter son attention sur cette même thématique mais en circonscrivant son périmètre à la protection des populations. Vos rapporteurs sont en effet convaincus que le numérique apporte en ces domaines une plus-value très significative et que les potentiels de développement y sont très élevés au sein des collectivités.

Deux axes ont donc été étudiés : la protection de l' ordre public ainsi que la sécurité civile .

Deux objectifs ont présidé à cette mission « flash » :

- identifier et analyser les bonnes pratiques locales dans ces deux champs de l'action publique locale, à la fois en milieu rural et dans les zones urbaines ;

- formuler des recommandations visant, d'une part, à encourager et sécuriser ces initiatives numériques locales, d'autre part, à supprimer ou limiter d'éventuelles entraves à leur réalisation.

I. I. LES BONNES PRATIQUES LOCALES

Comme le relève régulièrement notre délégation, les élus locaux agissent, en permanence, comme des « inventeurs de solutions ». Ils mènent ainsi, dans le cadre de leurs attributions, diverses initiatives pragmatiques pour apporter à leurs administrés, jusqu'au dernier kilomètre , le meilleur service au meilleur coût, y compris dans les zones les plus isolées .

Convaincus que le concept de « smart city » (ou « ville intelligente ») ne doit pas être exclusivement réservé aux espaces urbains, vos rapporteurs ont souhaité, à travers cette mission, recenser les bonnes pratiques locales en matière de numérique, sans distinction de seuil démographique .

Parce que l'exigence de protection des populations n'est évidemment pas l'apanage des agglomérations, il convenait d'analyser le niveau d'appropriation de diverses solutions numériques par les élus de petites villes, voire de communes rurales.

Il appartient en effet à toutes les collectivités, quelle que soit leur taille, d'envisager, en lien avec les acteurs privés et, le cas échéant, d'autres collectivités, des solutions nouvelles adaptées à leurs territoires et fondées sur le numérique . C'est pourquoi vos rapporteurs ont souhaité privilégier, dans le présent rapport, le concept de « territoire connecté », plus large que celui de « smart city » qui renvoie exclusivement à des espaces urbains .

Vos rapporteurs ont souhaité étudier les apports du numérique dans deux champs essentiels de l'action publique locale : la protection de l'ordre public (A) et la sécurité civile (B).

A. EN MATIÈRE DE PROTECTION DE L'ORDRE PUBLIC

Comme l'a souligné un récent rapport de la délégation 2 ( * ) , les maires, pivots de la sécurité dans leur commune , sont au coeur du « continuum de sécurité ». Leur tâche est cruciale dans un contexte marqué à la fois par une défiance entre forces de sécurité et population et par la montée des risques terroriste et sanitaire.

Pour accomplir leurs missions de protection de l'ordre public et de prévention de la délinquance, les maires peuvent utilement s'appuyer sur les outils numériques au travers, notamment, des centres de supervision urbain (1) et du recours aux drones (2). Par ailleurs, de nombreuses communes sont partenaires du dispositif « voisins vigilants » , dont l'efficacité est avérée (3).

1. Les centres de supervision urbain

Un centre de supervision urbain (CSU) est une salle équipée d'écrans affichant en direct les images filmées par des caméras de vidéo-protection, qui peuvent parfois être manipulées à distance.

La vidéo-protection permet de surveiller en temps réel la voie publique et de déclencher l'intervention des services de police ou de secours. Elle permet également une « surveillance a posteriori » de la voie publique, par le biais de la relecture et l'extraction d'images sur réquisition d'un magistrat ou d'un enquêteur de la Police ou Gendarmerie Nationale.

L'objectif est de prévenir les atteintes aux biens et aux personnes, identifier les auteurs, réguler la circulation urbaine, sécuriser les bâtiments et les sites communaux.

Les CSU constituent ainsi une illustration particulièrement intéressante de l'intérêt du numérique pour la protection de l'ordre public. Vos rapporteurs ont souhaité saluer diverses initiatives menées sur ce sujet.

a) l'exemple d'une ville moyenne investie dans la vidéo-surveillance : Charleville-Mézières

Face aux difficultés de l'État pour déployer des effectifs suffisants de policiers nationaux dans les villes moyennes , de nombreux maires décident d'installer des centres de supervision urbains.

Tel est le cas de la ville de Charleville-Mézières , qui compte près de 50.000 habitants. La commune a voulu répondre aux exigences de sécurité sur la voie publique en installant en 2016 un centre de supervision urbain fonctionnant pendant les heures de présence de la police municipale et comportant une fonctionnalité de transfert des images à la police nationale le reste du temps.

Ce centre est aujourd'hui composé de deux entités : d'une part, une unité vidéo regroupant quatre opérateurs équipés chacun d'un mur de huit écrans, d'autre part, un poste de commandement réunissant trois policiers chargés de coordonner les agents sur le terrain, rédiger des mains-courantes, assurer le lien entre les équipes et la hiérarchie et avertir les services de secours ou de police nationale en cas de besoin.

Chaque année, la commune consacre environ 150.000 € à des dépenses d'acquisition de caméras, ce qui place la commune en dessous de la moyenne. En effet, d'après l'association « Villes de France », interrogée par vos rapporteurs, une ville moyenne consacre environ 215.000 € chaque année à des investissements dans le domaine de la sécurité, que ces investissements concernent le numérique ou non.

b) l'exemple du département des Yvelines : un CSU intelligent et interconnecté

Le conseil départemental des Yvelines a lancé, début 2019, un dispositif de vidéo-protection. Ce dernier centralise les images de collèges, d'une caserne de pompiers et d'un bâtiment départemental. Le département a fait installer des caméras innovantes de très haute définition dont certaines sont des caméras thermiques permettant de détecter de jour comme de nuit le passage de personnes. Il ne s'agit pas d'une surveillance constante où les agents employés par le Département contrôlent en permanence les images des caméras. Dans les faits, les agents regroupés dans ce centre de surveillance sont la plupart du temps face à des écrans noirs, qui ne s'allument que lorsque les algorithmes détectent une situation anormale dans l'un des lieux surveillés .


La vidéosurveillance conjuguée à l'intelligence artificielle : une voie prometteuse

Lors des auditions menées par vos rapporteurs, nombreux sont ceux qui ont loué les algorithmes d'intelligence artificielle utilisés dans le cadre de la vidéosurveillance intelligente (VSI), encore appelée « Video Analytics » ou « Détection automatique d'anormalités » (DAA). Ces technologies se fondent sur des logiciels qui exploitent les capacités de calcul embarquées dans les caméras ou dans les serveurs pour analyser, si possible en temps réel, les images qu'elles enregistrent. L'objectif est clair : identifier des situations, prévues à l'avance, considérées a priori comme anormales. Ensuite, des algorithmes complexes aident les opérateurs de sécurité, soit en temps réel, soit en temps différé (élucidation) en lui envoyant automatiquement les alertes les plus pertinentes possibles lorsque la VSI a détecté un événement anormal : intrusion, dépassement d'une ligne ou d'un mur virtuels, intrusion, objet abandonné, personnes en situation horizontale, bruit d'explosion, personne à terre, bris de vitre...)... L'analyse VSI va alors s'atteler à des tâches de reconnaissance automatique de critères spécifiques de couleurs, de formes, de direction...

Un des objectifs qui a présidé à la mise en place du dispositif par le Conseil départemental est la connexion aux images des communes qui le souhaitent. Cette possibilité de raccordement a été ouverte par la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 dite « sécurité globale » qui permet désormais aux communes, rurales comme urbaines, équipées de caméras de surveillance d'être reliées au centre de supervision départemental (articles L.132-14 et L.132-14-1 du code de la sécurité intérieure).

Ainsi le centre de supervision du syndicat mixte « Seine et Yvelines Numériques » 3 ( * ) qui comprend les départements voisins des Yvelines et des Hauts-de-Seine, en Ile-de-France, peut désormais être mutualisé au bénéfice des communes et intercommunalités de ces départements.

2. Istres : une commune pionnière dans le recours à des drones

La ville d'Istres (43.000 habitants) a acquis deux drones au début de l'été 2020 . Elle est la première commune de France à doter sa police municipale de tels outils . Ces drones, équipés de caméras haute définition, permettent à la police, d'une part, d'identifier les auteurs de méfaits en temps réel avec des informations précises, mais également, suite aux incendies de l'été 2017,  de surveiller plus efficacement les massifs forestiers .

Comme l'ont souligné les élus istréens entendus par vos rapporteurs, les images des drones sont non seulement visibles par l'agent-pilote mais également diffusées en streaming sur les écrans des quinze opérateurs du centre de supervision urbain (CSU) de la commune. Elles s'ajoutent donc aux caméras fixes installées sur la voie publique.

Plusieurs policiers municipaux suivent une formation théorique et pratique leur donnant l'habilitation pour faire voler ces drones.

« Nous sommes dans une ville relativement sereine, sans gros incident, mais tout cela est très fragile. Nous connaissons une délinquance importée et des trafics dirigés d'ailleurs qui n'existaient pas il y a dix ans » , ont expliqué les élus lors de leur audition, ajoutant que les drones avaient par exemple prouvé leur efficacité dans le repérage des dépôts sauvages.

Ils ont toutefois regretté certaines contraintes tenant, d'une part, à la proximité de la base aérienne d'Istres, d'autre part à l'impossibilité de faire décoller les drones lorsque le mistral souffle à plus de 50 km/h.

3. Numérique et participation citoyenne

Vos rapporteurs se sont également intéressés au rôle des communes dans le déploiement d'initiatives citoyennes utilisant les outils numériques dans le but de renforcer la protection des biens et personnes .

Rappelons, à cet égard, que le rapport précité sur l'ancrage territorial de la sécurité encourage les citoyens à devenir des acteurs à part entière de la sécurité (10 ème recommandation). Le rapport cite en particulier le dispositif innovant « Voisins vigilants et solidaires », directement inspiré du concept anglo-saxon « Neighbourhood watch » ou « Surveillance de quartier ».

Ce dispositif repose sur un site web communautaire permettant de mettre en relation les habitants d'un même quartier pour lutter ensemble contre les cambriolages de manière simple et gratuite.

La première communauté de Voisins Vigilants est née en 2002 à St-Paul-de-Vence. Cette initiative citoyenne a ensuite essaimé progressivement dans la France entière. Initialement créé pour les particuliers, le concept intègre, en 2014, les mairies . Contacté par vos rapporteurs, Thierry Chicha, Président et co-fondateur du site « voisinsvigilants.org » a indiqué que ce dernier comptait aujourd'hui près de 700 mairies adhérentes. Il a également précisé qu'une nouvelle commune adhérait tous les deux jours en moyenne. Le coût d'adhésion est variable selon la taille des communes.

Répartition des communes adhérentes au dispositif « voisins vigilants »

Communes de moins de 2.000 habitants

Communes entre 2.000 et 20.000 habitants

Communes de plus de 20.000 habitants

Nombre de communes concernées

Environ 300 communes

Environ 300 communes

Environ 100 communes

Montant de l'adhésion 4 ( * )

Entre 250 et 800 € TTC

Entre 800 et 3.000 € TTC

Plus de 3.000 € TTC

Les communes ont deux rôles principaux : financer la signalétique et conduire des opérations de communication et de sensibilisation auprès des habitants, notamment dans les zones exposées au risque de cambriolage ou de violences.

Source : https://www.voisinsvigilants.org/voisin

Interrogé par vos rapporteurs, le Président du site « voisinsvigilants.org » a également souligné l'intérêt d'interconnecter l'outil avec le centre de supervision urbain de la commune, s'il existe. Il a ainsi cité l'exemple de la commune de Rognard, première commune en France à avoir procédé à une telle interconnexion, à l'initiative de notre collègue Stéphane Le Rudulier, conseiller municipal de cette commune des Bouches-du-Rhône qui compte près de 12.000 habitants. D'autres projets similaires sont en cours de déploiement , ce dont vos rapporteurs ne peuvent que se réjouir.

Ce dispositif parait présenter un bilan coût/avantages très intéressant.

D'une part, il repose sur un procédé simple et peu coûteux . Comme le souligne le site « voisinsvigilants.org », nul n'est besoin d'être expert en nouvelles technologies en ce sens que le système fonctionne essentiellement par une application intuitive et par l'envoi de SMS : « le système d'alertes Voisins Vigilants a été conçu pour être accessible à tous. Performant et innovant, il informe instantanément chaque Voisin Vigilant dès qu'un danger potentiel est signalé par un voisin ou par la police municipale. ».

D'autre part, le dispositif « voisins vigilant » semble avoir démontré son efficacité . En effet, alors qu'en France, un cambriolage se produit toutes les 90 secondes, le ministère de l'Intérieur constate une baisse des cambriolages de - 40% par an . C'est pourquoi a été signée le 2 février 2021 une convention de partenariat entre la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) et le site « voisinsvigilants.org ». Une note du 24 février 2021 adressée aux préfets expose l'objectif de ce partenariat : « améliorer la lutte contre les délits d'appropriation et de constituer un maillage territorial permettant de démultiplier les relais locaux ». Elle ajoute que cette convention « s'inscrit pleinement dans le cadre de la Sécurité du Quotidien et vise à assurer, sur tout le territoire national, une meilleure prise en compte des attentes de la population en favorisant le rapprochement police/population par l'inclusion des « coordinateurs de quartiers » du site « voisinsvigilants.org » et en « renforçant la visibilité des services de police et en leur permettant de disposer d'une source d'information élargie et de nature opérationnelle ».

Vos rapporteurs estiment que ce partenariat novateur répond opportunément à la philosophie du continuum de sécurité et aux besoins de sécurité de la population.


* 1 Rapport d'information de MM. Jacques Mézard et Philippe Mouiller, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, rapport n° 509 (2016-2017) en date du 19 avril 2017 : http://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-509-notice.html

* 2 « L'ancrage territorial de la sécurité intérieure » : Rapport d'information de M. Rémy POINTEREAU et Mme Corinne FÉRET, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales ; rapport n° 323 (2020-2021) - 29 janvier 2021

* 3 Il s'agit du premier opérateur interdépartemental dans le domaine du numérique à voir le jour.

* 4 Ce montant couvre les formations, la réalisation des plans de communication, le paramétrage des outils, l'inscription des personnes âgées, le contrôle de toutes les alertes, la vérification de tous les justificatifs de domicile, le support utilisateur, la maintenance technique, l'application mobile ainsi que l'envoi illimité de SMS et de messages vocaux sur téléphone fixe.

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