C. UNE LEVÉE DU PASSE VACCINAL QUI DOIT DÉSORMAIS S'ENGAGER AVEC PRÉCAUTION ET DE MANIÈRE TRANSPARENTE

1. Engager sans délai, mais avec prudence, la levée du passe vaccinal

Au regard de l'évolution de l'épidémie, les rapporteurs considèrent qu'il convient désormais d'engager une levée du passe vaccinal . Selon le dernier point épidémiologique de Santé publique France publié le 17 février en effet :

- le taux d'incidence en semaine 6 atteint 1 367 cas pour 100 000 habitants (soit 917 313 nouveaux cas confirmés) et un taux de positivité de 28,1 % en baisse dans toutes les classes d'âge ;

- la diminution des nouvelles hospitalisations se poursuit dans l'ensemble des régions, avec 11 699 nouvelles hospitalisations ;

- avec 1 415 nouvelles admissions en soins critiques, la baisse atteint près de 30 % sur une semaine et se constate dans toutes les régions. Le 15 février 2022, 31 160 patients covid étaient hospitalisés en France dont 3 248 en services de soins critiques, contre 3 568 le 8 février, soit une diminution de 9 %, ce qui ramène cet indicateur au niveau de la fin novembre.

La levée du passe vaccinal doit cependant être envisagée avec prudence , car l'épidémie reste imprévisible, ainsi que le rappelle ironiquement l'intitulé de l'avis du conseil scientifique du 5 octobre 2021 : « une situation apaisée : quand et comment alléger ? ».

Les rapporteurs insistent en particulier sur les points suivants :

- les conditions de la réversibilité de la décision devront être établies , en cas par exemple d'apparition d'un nouveau variant dangereux ;

- la levée du passe vaccinal n'est pas synonyme de levée du passe sanitaire dans les hôpitaux ni de l'obligation vaccinale pour les soignants , qui par hypothèse sont les personnes le plus souvent en contact avec des personnes fragiles et doivent se prémunir contre tout risque de transmettre le virus ;

- la territorialisation d'un tel outil doit pouvoir être envisagée , le Conseil constitutionnel ayant jugé nécessaire que le passe soit « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ».

La détermination des indicateurs justifiant la levée ou le rétablissement du passe vaccinal reste un problème épineux. À la question de savoir sur quels critères recommander la levée des restrictions, le président du conseil scientifique a d'abord répondu « Je ne vous répondrai pas, car je ne sais pas » 47 ( * ) , avant de hasarder :

- d'abord, « la situation hospitalière et les chiffres qui la décrivent seront le nerf de la guerre [...] : taux d'occupation des lits en soins intensifs et en réanimation, évolution des hospitalisations classiques » ;

- ensuite, « les déprogrammations sont un bon critère [...] mais comment les mesurer ? Pour l'instant, je ne sais pas » ;

- mais aussi le « nombre de contaminations . Bien sûr, à 300 000 ou 400 000 contaminations par jour, ce dernier ne veut pas dire grand-chose. Mais s'il redescend autour de 50 000 ou 100 000, ce qui nous permettra de reprendre une stratégie « tester, tracer, protéger », et qu'on voit brutalement repartir la cinétique de contamination, cela voudra dire quelque chose » ;

- enfin, « un autre critère, bien sûr, sera l'acceptabilité des mesures par nos concitoyens, qui est fondamentale depuis le début de la crise. Pour l'instant, les Français ont accepté des choses extraordinaires. Jusqu'à quel point ? À cet égard, l'explication vis-à-vis de nos concitoyens est vitale ».

2. Impliquer le Parlement et veiller au formalisme de la décision

Réintroduire dans le circuit de décision le Parlement, épicentre de la vie démocratique du pays, semble d'abord à la commission de nature à mieux prendre en compte ce dernier critère d'acceptabilité des décisions , autrement dit de la proportionnalité des mesures prises à la gravité de la situation.

L'OMS alerte en effet depuis octobre 2020 sur le risque de « fatigue pandémique » 48 ( * ) , « réponse naturelle et attendue face à une crise de santé publique prolongée », marquée par un sentiment de « détresse » fondé sur la peur de la maladie, la perte des repères sociaux, les craintes pour son emploi, l'absence de visibilité sur la sortie de crise et donc de projet pour l'avenir. Les signaux d'alerte sur l'état de santé général de la population sont désormais bien trop nombreux pour que les pouvoirs publics puissent feindre de les ignorer 49 ( * ) .

D'autres experts auditionnés par la commission ont également abondé dans ce sens, telle la Dre Desbiolles : « il importe de mettre dans la balance, à la fois, des indicateurs spécifiques « covid » et des indicateurs « non-covid » relatifs à la santé physique, mentale et sociale, ainsi que, pour les enfants, des indicateurs pédagogiques », rappelant à juste titre que « selon l'OMS, la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne se résume pas à l'absence de maladie ou d'infirmités. On ne peut pas réduire la santé aux seuls indicateurs covid, ou à la seule absence de covid ».

La dernière édition de l'enquête Coviprev de Santé publique France fait à cet égard apparaître d'inquiétants éléments de continuité depuis le début de la crise sanitaire : les indicateurs de troubles du sommeil, de pensées suicidaires, d'états anxieux et dépressif restent élevés , et ces derniers demeurent plus nombreux chez les 18-24 ans, les personnes seules, les étudiants, les inactifs, et les personnes pauvres.

Évolution des indicateurs de santé mentale pendant l'épidémie de covid-19

Source : Santé publique France, enquête Coviprev, mise à jour le 3 février 2022

Les indicateurs de santé mentale chez les plus jeunes restent en janvier 2022 à des niveaux préoccupants : 43,4 % des 18-24 ans déclarent un trouble anxieux, 22,5 % un trouble dépressif, et 19,6 des pensées suicidaires, pour des moyennes dans la population générale entre 4 et 20 points inférieures.

Dans un contexte où, comme l'a rappelé le Pr Fischer, « on peut affirmer sans risque d'erreur, à mon avis, qu'on ne peut pas éradiquer ce virus. Le seul virus jamais éradiqué à ce jour est celui de la variole, grâce à la vaccination, mais pour les virus respiratoires, il est vraiment illusoire d'y songer » 50 ( * ) , il importe de normaliser la gestion de l'épidémie, et de lui redonner toutes ses dimensions, afin de doser la proportionnalité des mesures mises en place.

L'association du Parlement à la décision pourrait prendre plusieurs formes. Un débat suivi d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution , semble le minimum pour préciser les indicateurs de suivi de l'épidémie, les conditions sous-tendant la décision de lever le passe, de le rétablir, de revenir à un passe sanitaire, ou encore, plus généralement, les outils de politique sanitaire concevables à l'avenir. En période de suspension des travaux, une audition du ministre en commission, ouverte à l'ensemble des sénateurs, est parfaitement envisageable.

La transmission de l'information utile au Parlement est encore perfectible . L'article L. 3131-19 du code de la santé publique prévoit que les avis du conseil scientifique sont rendus publics « sans délai », ce qui est rarement le cas. Les commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat pourraient être rendues destinataires des conclusions de cet organe de conseil central dans le dispositif de gestion de crise.

3. Concentrer les efforts sur les populations les plus fragiles

Il apparaît enfin primordial de concentrer les efforts sur les populations les plus fragiles, donc les plus exposées à la maladie.

L e rapport de la commission d'enquête du Sénat sur l'évaluation de la gestion de la crise sanitaire en 2020 51 ( * ) pointait déjà l'insuffisance de l'approche populationnelle dans la politique sanitaire. Que le covid ne touche pas tous les individus de la même façon dit la limite des politiques uniformes. Des vulnérabilités désormais bien identifiés, dont l'âge, les comorbidités, ou d'autres facteurs de risque comme le gradient social, la pauvreté et la précarité sont à considérer.

L'avis du Haut conseil de la santé publique de juillet 2020 52 ( * ) , actualisant ceux du 31 mars et du 20 avril de la même année, a dressé la liste des personnes à risque de forme grave de covid-19.

Personnes vulnérables au SARS-Cov-2

D'après l'avis du Haut conseil de la santé publique de juillet 2020 :

- les personnes âgées de 65 ans et plus ;

- les personnes avec comorbidités telles que : antécédents cardiovasculaires, diabète non équilibré ou présentant des complications, pathologie chronique respiratoire susceptible de décompenser lors d'une infection virale, insuffisance rénale chronique dialysée, cancer évolutif sous traitement, obésité, immunodépression, cirrhose, syndrome drépanocytaire majeur, femmes enceintes au 3 e trimestre, pathologie neuro-musculaire.

D'après les études de l'Insee, de l'Ined, de la Drees 53 ( * ) :

- les personnes en situation de précarité ;

- les habitants de communes denses et usagers des transports en commun ;

- les personnes nées à l'étranger (surtout hors d'Europe) surreprésentées dans les catégories précédentes.

Pour conduire une politique de santé publique davantage ciblée, « une myriade d'interventions sont envisageables : cibler la vaccination sur les plus fragiles, aller vers, se déplacer en zone rurale chez les personnes âgées et les personnes moins connectées. La mise en place du passe vaccinal a conduit à environ 800 000 primo-injections, mais elles n'ont pas concerné les personnes les plus fragiles. [...] Tout le monde ne peut pas se connecter facilement à des plateformes en ligne. Cette situation dénote en quelque sorte un échec de la politique du « aller vers » et la nécessité d'une approche plus proportionnée de la vaccination, tournée vers les personnes les plus à risque » 54 ( * ) .

Il appartient à l'assurance maladie d'effectuer un tel travail, ainsi qu'elle le fait déjà pour certaines vaccinations ou certaines mesures de prévention. C'est dans cette optique que la Haute autorité de santé recommande par exemple une stratégie dite de « cocooning » autour des personnes immunodéprimées, prenant la forme d'une dose de rappel chez les personnes adultes âgées de plus de 18 ans dans l'entourage des personnes immunodéprimées, soit « entre 350 000 et 400 000 personnes d'après les estimations du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale » 55 ( * ) . Cette population particulièrement vulnérable à l'égard du SARS-Cov-2 doit se voir proposer plus systématiquement des traitements préventifs, et justifie un soutien à la recherche plus déterminé.


* 47 Audition du 1er février 2022.

* 48 WHO, Pandemic fatigue - Reinvigorating the public to prevent COVID-19 , novembre 2020 (1e éd. 2 octobre 2020).

* 49 Santé publique France, Enquête Coviprev, mise à jour le 3 février 2022.

* 50 Audition du mercredi 9 février.

* 51 Santé publique : pour un nouveau départ - Leçons de l'épidémie de covid-19 - Rapport n° 199 (2020-2021) de Mme Catherine Deroche, M. Bernard Jomier et Mme Sylvie Vermeillet fait au nom de la CE Évaluation des politiques publiques face aux pandémies, déposé le 8 décembre 2020.

* 52 HCSP, avis relatif à l'opportunité de recommandations spécifiques pour certaines personnes pouvant être considérées comme particulièrement vulnérables parmi les personnes à risque de forme grave de covid-19, 23 juillet 2020.

* 53 Insee, Décès en 2020 et début 2021 : pas tous égaux face à la pandémie de covid-19 ; Ined, Surmortalité due à la covid-19 en Seine-Saint-Denis : l'invisibilité des minorités dans les chiffres, juin 2020 ; Drees, En mai 2020, 4,5 % de la population en France métropolitaine a développé des anticorps contre le SARS-CoV-2, Premiers résultats de l'enquête nationale EpiCov, octobre 2020.

* 54 Dre Alice Desbiolles, audition du 8 février 2022.

* 55 Haute autorité de santé, « Covid-19 : la HAS élargit le périmètre de la dose de rappel », communiqué de presse mis en ligne le 6 octobre 2021.

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