N° 546

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 février 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale ,

Par M. Philippe FOLLIOT, Mmes Annick PETRUS
et Marie-Laure PHINERA-HORTH,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : Stéphane Artano, président ; Maurice Antiste, Éliane Assassi, Nassimah Dindar, Pierre Frogier, Guillaume Gontard, Micheline Jacques, Victoire Jasmin, Jean-Louis Lagourgue, Viviane Malet, Annick Petrus, Teva Rohfritsch, Dominique Théophile, vice-présidents ; Mathieu Darnaud, Vivette Lopez, Marie-Laure Phinera-Horth, Gérard Poadja, secrétaires ; Viviane Artigalas, Philippe Bas, Agnès Canayer, Guillaume Chevrollier, Catherine Conconne, Michel Dennemont, Jacqueline Eustache-Brinio, Philippe Folliot, Bernard Fournier, Daniel Gremillet, Jocelyne Guidez, Abdallah Hassani, Gisèle Jourda, Mikaele Kulimoetoke, Dominique De Legge, Jean-François Longeot, Victorin Lurel, Marie Mercier, Serge Mérillou, Thani Mohamed Soilihi, Georges Patient, Sophie Primas, Jean-François Rapin, Michel Savin, Lana Tetuanui.

L'ESSENTIEL

Alors que la France, deuxième espace maritime mondial, s'est dotée en 2017 d'une stratégie censée donner un cadre et un cap à son ambition maritime, notre pays peine à valoriser son immense potentiel situé à 97 % dans ses outre-mer.

Compte tenu du bilan décevant de cette stratégie, la priorité est aujourd'hui d'inverser notre regard , en replaçant les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale , en crédibilisant notre souveraineté mise à mal sur ses zones économiques exclusives et en accompagnant la transition économique des outre-mer.

Carte des océans depuis l'hémisphère sud

1. ENGAGER UNE RÉVOLUTION CULTURELLE AUTOUR DE L'OCÉAN

Les Français n'ont pas assez pris conscience de la nature archipélagique de leur pays.

Dans la perspective de la prochaine stratégie maritime (2023-2029), il convient de prévoir en amont une plus large association des élus de chaque territoire ultramarin à son processus d'élaboration. Selon la formule du président du CESER de La Réunion, Dominique Vienne, la France doit résolument passer « du pacte jacobin au pacte océanien ».

Au regard des enjeux cruciaux pour notre avenir (sécuritaires, économiques, énergétiques, environnementaux, climatiques...), cette stratégie devrait en outre être relevée au niveau législatif , au terme d' un grand débat démocratique devant le Parlement sur ses orientations , plutôt que de faire l'objet d'un simple décret.

Au niveau des populations, il faut encourager massivement l'acculturation au « fait maritime », et donner toute sa place à la gouvernance territoriale afin d'incarner, au plus près des territoires, cette « France maritime ». Pour y parvenir, deux leviers sont indispensables, l'éducation et la formation, insuffisamment mobilisées jusqu'à présent.

L'année 2022 offre un contexte exceptionnellement favorable pour mener « cette véritable révolution culturelle ». La présidence du Conseil de l'Union européenne en particulier est l'opportunité de promouvoir une vision française au sein de l'Union européenne et dans les négociations internationales. La présidence de la Conférence des présidents des régions ultrapériphériques (RUP) est assurée jusqu'en novembre 2022 par la Martinique et, en mai 2022, la Commission européenne proposera sa nouvelle stratégie à l'égard des RUP , occasion de promouvoir un nouveau Blue deal au coeur du programme et des investissements de l'Europe.

2.  CONSOLIDER LA SOUVERAINETÉ MARITIME POUR CRÉDIBILISER LES AMBITIONS FRANÇAISES

Face aux menaces croissantes en mer (pêche illégale de plus en plus violente, narcotrafics, réarmement naval dans l'Indopacifique, développement du cyberwarfare à proximité des câbles sous-marins par lesquels transitent 95 % des données mondiales...), les moyens français de surveillance et de protection ne sont pas à la hauteur des enjeux :

• Grâce à ses outre-mer, la France fait partie des rares puissances disposant d'une présence militaire permanente globale (5 forces de souveraineté : FAA, FAG, FASZOI, FAPF et FANC). Mais si ces forces de souveraineté rassemblaient 8 700 hommes et femmes en 2008 , elles ne sont plus que 7 150 en 2022 .

• Des ruptures de capacité sont à prévoir jusqu'en 2025 : les six patrouilleurs outre-mer (POM) qui doivent remplacer les P400 ne seront mis en service qu'entre 2022 et 2025. Par ailleurs, les capacités amphibies ont été perdues avec le remplacement des BATRAL par les BSAOM , alors même que ces capacités sont indispensables pour mener des opérations en cas de catastrophes naturelles.

• La France prend aujourd'hui du retard en matière de course technologique . Si des États tels que la Turquie maîtrisent parfaitement l'emploi de drones marins , la France en est encore loin.

Le nombre de patrouilleurs destinés à la surveillance de la ZEE française est équivalent à deux voitures de police pour surveiller
le territoire hexagonal

Taillés au plus juste , les moyens de la Marine nationale outre-mer doivent donc être rehaussés, d'autant que le contexte géopolitique va accroître les menaces d'ici 2050 . Il convient notamment, à l'horizon 2030, de doter chacune des forces outre-mer d'un patrouilleur supplémentaire , de coupler la livraison des POM avec la mise en service de drones de surface , de rétablir des capacités amphibies pour les forces navales outre-mer et d'accélérer le déploiement du programme European Patrol Corvette qui pourrait assurer le remplacement des frégates de surveillance.

La France doit également valoriser l'atout majeur que représente sa présence dans une dizaine d'organisations régionales grâce à ses territoires ultramarins , pour agir en faveur d'une meilleure protection et gouvernance des océans . Cependant, bien qu'affichée comme une priorité depuis 20 ans, l'intégration régionale des outre-mer reste encore trop inégale . Il est nécessaire de mettre en place au sein du ministère des outre-mer une cellule dédiée à la réflexion stratégique , à laquelle les officiers supérieurs seraient de nouveau associés. En plus des trois ambassadeurs à la coopération régionale, un conseiller diplomatique pourrait être affecté auprès de chaque préfet. Par ailleurs, sur le modèle des accords FRANZ dans le Pacifique, des partenariats régionaux dans la Caraïbe doivent être développés pour mener des opérations d'assistance aux populations, face aux risques naturels.

Les outre-mer, un levier de puissance pour la stratégie indopacifique française

L'Indopacifique apparaît comme le centre de gravité du monde : il concentre 60 % de la population mondiale, un tiers du commerce international et contribuera d'ici 2030 pour environ 60 % du PIB mondial. Grâce à ses 6 territoires du Pacifique et de l'océan Indien, la France est une nation souveraine de l'Indopacifique qui abrite 1,6 million de citoyens français .

Initiée en 2018, la stratégie indopacifique de la France s'est traduite par des discours ambitieux pour placer notre pays comme troisième voie face à la rivalité sino-américaine et promouvoir le multilatéralisme . Cependant, ses concrétisations restent limitées et sont essentiellement circonscrites aux aspects militaires , via la vente de matériels à des partenaires stratégiques.

Source : Ministère des armées

Surtout cette stratégie reste très « Étato-centrée » , sans réelle association des collectivités territoriales et ne permet pas de donner véritablement corps à la stratégie indopacifique :

• Les outre-mer doivent en devenir des acteurs grâce notamment à leur relai dans les organisations de coopération régionale. Cette implication plus marquée des collectivités permettrait de ne pas limiter la stratégie indopacifique à sa dimension militaire . Le développement de liens économiques entre les collectivités françaises et les États de la zone répondrait à la stratégie d'influence de la Chine , qui développe une « diplomatie douce », soft power économique voire sanitaire.

• L'implication de l'Union européenne dans l'Indopacifique reste encore trop limitée. Si l'UE s'est dotée d'une stratégie pour la zone en septembre 2021 sous l'impulsion de la France, les territoires ultramarins n'y sont que brièvement mentionnés, alors que la France reste le seul pays de l'UE présent dans la région.

• Après la rupture de confiance avec l'Australie et l'accord Aukus, il convient de promouvoir l'engagement européen dans cette zone et de diversifier les partenariats en renforçant les liens avec l'Indonésie ou l'ASEAN. Cependant, pour ne pas être un « junior partner », la France doit y renforcer ses moyens d'action pour regagner une crédibilité politico-militaire .

3.  FAIRE DE LA STRATÉGIE MARITIME LE MOTEUR DE LA TRANSITION ÉCONOMIQUE EN OUTRE-MER

La stratégie maritime doit être le vecteur de l'insertion des outre-mer dans l'économie mondiale. Situés au carrefour des routes maritimes mondiales , les ports ultramarins peuvent devenir des hubs régionaux .

Si Port-Réunion, Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et Nouméa se classent déjà parmi les 10 premiers ports français en termes de trafic de conteneurs, les infrastructures de plusieurs ports ultramarins sont inadaptées face à l'explosion du trafic par porte-conteneurs , qui devrait tripler d'ici 2035 et face à la forte augmentation de la taille des navires . Des travaux importants de modernisation doivent être effectués pour augmenter les tirants d'eau , disposer de longueur de quais plus importante et bénéficier de portiques suffisamment nombreux pour les opérations de chargement et de déchargement. En Guyane, pour remédier au faible tirant d'eau du port de Dégrad des Cannes, la faisabilité d'un port flottant extérieur doit être évaluée. Au-delà de ces adaptations, le développement de services de réparation navale et l'augmentation des réserves foncières des ports devront également permettre d'attirer davantage de trafic et de constituer de véritables hubs régionaux .

À Mayotte, la gestion actuelle par un concessionnaire du Port de Longoni ne paraît pas satisfaisante alors même que les opportunités de développement sont nombreuses grâce à une situation privilégiée dans le Canal du Mozambique, nouvelle « Mer du Nord ». Pour relever ces défis, l'évolution du statut en Grand Port maritime (GPM) paraît aujourd'hui indispensable.

Les câbles sous-marins , trop peu souvent associés à l'économie bleue des territoires ultramarins, constituent des infrastructures stratégiques pour la connectivité des territoires . Leur vulnérabilité impose de développer la redondance des câbles et d'améliorer leur résilience , alors que les territoires français du Pacifique et Saint-Pierre-et-Miquelon ne sont reliés que par un seul câble .

Parallèlement, il faut accompagner le secteur traditionnel de la pêche , frappé par un vieillissement des effectifs, une dégradation de l'état de la flotte et un manque de structuration des filières. La Commission européenne doit d'urgence autoriser les aides d'État pour le financement du renouvellement de la flotte . En Guyane, l'État doit renforcer et adapter ses moyens d'action face à l'explosion de la pêche illégale .

Enfin, il convient de promouvoir les filières très prometteuses de l'aquaculture et de l'algoculture , riche de potentialités pour le secteur médical et la cosmétique. Le développement des énergies marines doit être encouragé en s'inspirant de réussites comme le SWAC ( Sea Water Air conditionning ) à La Réunion et en Polynésie française .

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