N° 556

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er mars 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur l' Union européenne et le patrimoine ,

Par Mme Catherine MORIN-DESAILLY et M. Louis-Jean de NICOLAŸ,

Sénatrice et Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin , président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Henri Cabanel, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique , vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Jérémy Bacchi, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Philippe Bonnecarrère, Pierre Cuypers, Laurent Duplomb, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Véronique Guillotin, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Louis-Jean de Nicolaÿ, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger .

L'ESSENTIEL

Nouveaux défis, nouveaux enjeux :
une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine

La commission des affaires européennes a adopté à l'unanimité, le mardi 1 er mars 2022, la proposition de résolution européenne n° 555 (2021-2022) et le rapport d'information n° 556 (2021-2022) de Catherine Morin-Desailly et Louis-Jean de Nicolaÿ sur l'Union européenne et le patrimoine.

I. La présidence française de l'Union européenne est une chance pour porter au niveau européen les nouveaux enjeux du patrimoine

Notre patrimoine est un précieux héritage . Il n'est pas fait que de vieilles pierres : il parle au coeur des Européens, comme en témoigne l'engouement suscité par les Journées européennes du patrimoine (environ 30 000 évènements et 30 millions de visiteurs dans toute l'Europe pour la dernière édition en septembre 2021). Il n'est pas l'expression d'une nostalgie, mais d'un enracinement, source de fierté et d'une identité européenne, facteur d'attractivité et de rayonnement pour notre continent .

La France, qui est à l'origine de plusieurs initiatives européennes dans le domaine de la politique du patrimoine, comme le Label du patrimoine européen, et qui a fortement participé à l'Année européenne du patrimoine 2018, avec plus de 1 500 événements officiellement labellisés sur 23 000 dans toute l'Europe, doit saisir la chance de sa présidence du Conseil pour relancer la politique européenne du patrimoine.

La crise sanitaire a considérablement freiné la fréquentation des sites. Mais la passion des Européens pour leur patrimoine n'a pas été brisée, elle doit être stimulée de nouveau, avec une force redoublée. D'autant que la demande de qualité et de proximité augmente . En effet, la crise sanitaire a nourri un mouvement de retour vers les territoires et d'attention au patrimoine, à tous les patrimoines, y compris le patrimoine paysager, et le patrimoine que l'on dit vernaculaire, pour ne pas le qualifier de « petit » ou « de proximité ».

Les aspirations des Européens en matière de qualité du cadre de vie se sont accrues avec la pandémie qui a accentué un mouvement, observé auparavant, vers les villes petites et moyennes, ou les espaces ruraux. Pour certains chercheurs, c'est une véritable transition sociétale qui est en cours. Le patrimoine, culturel, mais aussi naturel et paysager, est un facteur clé de cette évolution.

Cet enjeu de la qualité et de la proximité concerne au premier chef le tourisme, alors que 68 % des Européens interrogés avant la pandémie reconnaissaient que le patrimoine pouvait influer sur le choix de leur destination. C'est à un tourisme plus durable, plus qualitatif qu'ils aspirent également. L'accueil de ces « nouveaux touristes » est un enjeu européen.

Le développement des territoires, en particulier dans les espaces ruraux, est un autre enjeu et l'action menée par le réseau de l'association des petites Cités de caractère de France est à cet égard très inspirant.

II. De nouveaux défis pour l'action de l'Union européenne

A. Elle doit relever le défi de sa compétence

Pour répondre à ces nouveaux enjeux, l'Union européenne doit affirmer sa compétence.

L'article 6 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne place son action en matière culturelle parmi les « compétences d'appui » de l'Union européenne. À ce titre, elle « dispose d'une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l'action des États membres ».

Et, en vertu de l'article 167 du TFUE, l'Union européenne est pleinement fondée à agir en vertu de cette compétence d'appui, en particulier dans le domaine de « la conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel d'importance européenne ». Or le patrimoine s'inscrit aujourd'hui dans son environnement, son paysage, dans une dimension écologique durable.

Cette compétence s'étend donc bien au-delà du champ culturel. Pour autant, cette compétence d'appui ne remet nullement en cause, conformément au principe de subsidiarité, les compétences de chaque État membre.

B. Elle doit relever le défi de la lisibilité et de la coordination

Sa politique patrimoniale, construite par touches successives, est pointilliste. Il convient de la rassembler en une nouvelle stratégie.

1. Affirmer le rôle des collectivités territoriales, reconnaître le rôle des associations et fédérer leurs réseaux

Pour échanger les bonnes pratiques et accompagner les initiatives territoriales il est proposé de fédérer les élus et les associations en faveur du patrimoine et de créer un réseau européen des cités et territoires de caractère , qui s'appuie notamment sur l'expérience des associations Sites et Cités remarquables de France et Petites Cités de caractère de France.

2. Créer une Liste du patrimoine européen

Aujourd'hui, l'octroi du label du patrimoine européen n'implique en soi aucune aide financière.

L'Unesco et la Liste du patrimoine mondial, très ouverte au patrimoine immatériel, offrent des points de comparaisons. Le Conseil de l'Europe, aussi, avec le rôle fédérateur de l'institut des itinéraires culturels européens, qui accompagne et aide les projets labellisés.

Il y a, entre ces différents labels, des complémentarités et des spécificités qui nécessitent de les relier davantage, de voir plus grand, d'élargir les perspectives : c'est pourquoi le Sénat propose la création d'une Liste du patrimoine européen , articulée avec les différents labels existants.

C. Elle doit relever le défi du financement

1. Mieux communiquer sur les programmes existants

De nombreux outils existent, qui sont dispersés, peu lisibles.

Le programme « Europe Créative » est doté d'un budget en très forte progression : 2,442 milliards d'euros pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027, soit 63 % de plus que le programme 2014-2020.

L'UE soutient également la recherche sur le patrimoine par l'intermédiaire du programme-cadre pour la recherche et l'innovation Horizon Europe .

Le guide interactif de financement, dénommé CulturEU, qui vient d'être mis en ligne doit être traduit intégralement en français pendant la présidence française.

2. La valorisation du patrimoine doit faire partie intégrante des objectifs des fonds de cohésion

Les fonds régionaux apportent une contribution très importante mais dispersée.

Le FEDER (Fonds européen de développement régional) dont fait à présent partie le programme de coopération transfrontalière INTERREG , est le fonds le plus important. Il est doté, pour la période 2021-2027 de quelque 300 milliards d'euros au total, dont 9 milliards pour INTERREG. Le FEDER a aidé à la restauration de la baie du Mont Saint-Michel, par exemple.

Les dépenses en faveur de la culture représentaient, pour la période de programmation 2014-2020, environ 4,7 milliards d'euros, soit 2,3 % du total du FEDER. Le Sénat rejoint le constat de la Cour des comptes européenne : « les investissements de l'UE dans les sites culturels gagneraient à être mieux ciblés et coordonnés ». Au cours de la période 2010-2017, les montants investis au titre du FEDER dans les sites culturels représentaient plus de 25 % de tous les investissements publics culturels dans environ un tiers des États membres et plus de 50 % au Portugal et en Grèce. Qu'en sera-t-il de la présente période de programmation 2021-2027 ?

Les investissements patrimoniaux doivent être considérés comme une priorité du FEDER car la cohésion sociale, économique et territoriale, objectif principal du fonds, est favorisée par ces investissements.

3. Mobiliser de nouvelles sources de financement en faveur du patrimoine européen

Il est proposé d'étudier la création d'un Loto du patrimoine européen . Les exemples français, anglais, néerlandais et italiens en la matière sont des succès.

La Commission européenne n'étant pas habilitée à recevoir de tels fonds, la transposition d'un tel modèle aux pays volontaires voire à l'ensemble des États membres nécessite de créer une Fondation européenne du patrimoine .

Par ailleurs, une tarification différenciée est proposée pour qu'en complément des contribuables européens, les visiteurs extra-européens participent à la restauration et à l'entretien des sites et monuments qu'ils fréquentent en grand nombre.

III. Les chantiers d'avenir du patrimoine à ouvrir dès cette année

A. Le « nouveau Bauhaus européen » est une chance pour mettre en valeur le rôle écologique du patrimoine

Lancé par la présidente de la Commission européenne, ce nouveau programme qui invite à la création apporte une dimension culturelle au pacte vert pour l'Europe . Conception, durabilité, accessibilité, et esthétisme sont les maîtres mots de ce nouveau projet.

Le Sénat invite les collectivités territoriales à faire remonter leurs projets dans ce cadre. Outre son effet de levier souhaitable sur le regroupement des financements, ce nouveau programme offre une chance pour l'intégration du patrimoine et de l'architecture , y compris paysagère et de proximité. C'est une belle occasion à saisir pour un rôle plus actif des architectes.

B. Mieux communiquer sur le patrimoine au niveau européen

Pour rendre le patrimoine plus visible, plus accessible, il convient d'utiliser toutes les ressources possibles, notamment Europe Créative, pour inciter à la création de plateformes numériques locales et au développement d'applications mobiles pour mieux faire connaître les sites : le numérique n'est pas tant une fin en soi qu'un moyen d'ouvrir le plus largement l'accès au patrimoine.

La création de contenus, sur tous supports, multilingues , doit être encouragée, pour forger un « grand récit » européen du patrimoine, fait d'une multitude d'histoires. Ainsi, le patrimoine européen doit être inscrit au cahier des charges des médias de service public , grâce à l'Union européenne de radiodiffusion (UER). Le développement européen d'Arte , chaine multilingue, doit être conforté.

Par ailleurs, des effigies des hauts lieux du patrimoine européen labellisé ou des personnages emblématiques de l'histoire européenne devraient figurer sur les nouveaux billets de banque en euros , et non plus des images symboliques.

C. Favoriser la résilience du patrimoine

La stratégie européenne préconisée par le Sénat doit accroître la résilience du patrimoine face aux périls qui le menacent. Pour anticiper les bouleversements climatiques et faire face aux catastrophes, la création d'un Fonds de sauvegarde du patrimoine en péril pourrait s'étendre aux phénomènes naturels prévisibles et inéluctables, telle l'érosion du trait de côte ou le risque sismique.

Ce fonds doit être aussi ouvert au patrimoine menacé ou abîmé par les actes de guerre , y compris dans les pays du partenariat oriental, comme l'Ukraine.

D. L'atout de l'Année européenne de la jeunesse

L'année 2022 ayant été déclarée Année européenne de la jeunesse, cet atout doit être utilisé au service de la connaissance et de la transmission du patrimoine.

Quant à Erasmus +, un volet dédié au patrimoine devrait être prévu à l'occasion de cette année, avec un circuit des chantiers de jeunes bénévoles européens du patrimoine .

Enfin, il est proposé d'utiliser les programmes et projets mis en oeuvre par la Commission européenne, pour créer une Académie européenne du patrimoine , et rendre les métiers et savoirs du patrimoine attractifs, en associant les écoles d'architecture.

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