B. S'APPUYER SUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'OMNICANALITÉ POUR SOUTENIR LES COMMERÇANTS, EN PARTICULIER EN ZONES RURALES

1. Le commerce en ligne élargit la zone de chalandise du commerçant

Si le commerce en ligne reste encore parfois dénoncé comme participant au déclin du commerce de proximité, notamment en zone rurale, une forme de consensus émerge désormais pour, au contraire, considérer que « tant les grands acteurs du numérique que l'ensemble des commerçants physiques ne pourront envisager de croissance pérenne, voire de survie, sans combiner les avantages du numérique et du physique 77 ( * ) ».

La complémentarité entre commerce physique et commerce en ligne, qui prend notamment la forme de l'omnicanalité 78 ( * ) , gagne en évidence 79 ( * ) , et dessine l'avenir du commerce, aussi bien en zone urbaine qu'en zone rurale. Cette nouvelle forme de commerce permet aux commerçants d'élargir leur zone de chalandise, et de répondre aux nouvelles aspirations des consommateurs (en termes de profondeur de gamme, de facilité d'achat, de consultation des avis des autres clients, etc.).

D'après des données de la Fédération des entreprises de la vente à distance (Fevad), 61 % des commerçants constatent ainsi que la coexistence des canaux a permis d'augmenter leur chiffre d'affaires réalisé en magasin physique ; du reste, pour 43 % des commerçants en ligne, ce mode de vente est nécessaire à l'équilibre financier de leur entreprise. En effet, avec ou sans raison d'achat initial, le déplacement du consommateur en magasin induit une probabilité plus forte d'achat de sa part . La coexistence des canaux permet donc d'augmenter la fréquentation de ces commerces. Toujours selon la Fevad, près de 40 % des consommateurs effectuent leurs commandes en ligne, mais les retirent en magasins (à travers le « click and collect » ou cliqué-retiré) et un tiers de ces consommateurs réaliserait des achats sur place en magasins lors du retrait de leur colis 80 ( * ) .

C'est dans cet état d'esprit que le réseau consulaire a par exemple développé des plateformes locales de commerce en ligne (comme Achatville.com ou, à une échelle plus réduite, « Mes commerçants du Grand Hainaut » dans les Hauts-de-France, par exemple) qui incitent au retrait en magasin pour augmenter la fréquentation des coeurs de ville.

Autre exemple : sous l'impulsion de la CCI Hauts-de-Seine, la ville de Sceaux a travaillé avec La Poste à la création d'une plateforme numérique mutualisée de vente en ligne, qui propose aux clients soit le click & collect , soit de récupérer le produit dans une consigne automatisée à la sortie de la gare RER.

Plus largement, au-delà du seul commerce en ligne, la numérisation du commerce présente de nombreux avantages : automatisation de tâches autrefois gérées manuellement, meilleure connaissance par le commerçant de l'état de ses stocks, de l'état d'avancement des commandes, des flux de clientèle, meilleure traçabilité des produits.

En ce qui concerne les zones rurales, et ainsi que l'a souligné la Confédération générale de l'alimentation de détail, les dispositifs omnicanaux (comme le point relai, le retrait-commande, les « casiers », etc.) « peuvent permettre de répondre à l'évolution de la demande de la clientèle (horaires de vente...) et proposer une offre dans des territoires ne permettant pas à des commerces d'avoir le niveau de vente suffisant pour l'installation d'un commerce traditionnel ». De même, l'Alliance du commerce note que « le e-commerce permet aux réseaux commerciaux de toucher plus facilement des populations rurales . C'est particulièrement intéressant pour des marques ou les enseignes qui, pour des raisons diverses (contraintes financières, positionnement marketing), limitaient leurs réseaux aux zones les plus peuplées. Grâce à internet, la frontière entre le consommateur rural et urbain s'efface encore un peu plus. Les consommateurs, quelle que soit leur localisation, disposent de la même offre - mondiale - de produits et services ». L'Alliance du commerce remarque par ailleurs que « ceci représente donc une nouvelle concurrence pour les magasins physiques existants » .

Selon les statistiques fournies aux rapporteurs par la Fevad, un quart des e-commerçants sont d'ailleurs aujourd'hui implantés dans une commune de moins de 5 000 habitants 81 ( * ) .

2. Activer puissamment le levier de la digitalisation pour redonner du souffle aux commerces en zones rurales

La numérisation du commerce représente une attente forte des consommateurs : 75 % des cyberacheteurs attendent en effet de leurs commerces de proximité un service de livraison (60 % en livraison à domicile et 40 % en retrait en magasin) 82 ( * ) . Dans les territoires caractérisés par une faible présence de commerces physiques, comme dans les communes de moins de 2 500 habitants, le commerce en ligne permet donc d'accéder à une offre plus importante et de pallier un manque. Pour les entreprises de proximité, « en zone rurale, le numérique est le principal moyen de développer leur zone de chalandise », ainsi que l'a souligné CMA France en audition.

En outre, le critère de l'accès à un vaste ensemble de magasins commerciaux devenant progressivement moins déterminant grâce à ce nouveau mode de vente, le commerce en ligne contribue à l'attractivité des zones rurales , sur fond des évolutions sociodémographiques décrites supra .

Les rapporteurs ont acquis la conviction qu'une des clefs de la pérennité du commerce dans les petites communes rurales réside dans le développement des points de retrait des colis (soit en magasin, soit dans des consignes automatisées, soit éventuellement dans certains bâtiments publics comme l'école ou la mairie).

Bien sûr, compte tenu des coûts élevés de la livraison à domicile en zones peu denses, le magasin physique conserve un intérêt économique fort en tant, par exemple, que prolongement du site marchand et peut être un lieu de service pour la clientèle (retrait de commande, e-réservation, retours de commande, réparation des produits dans une perspective RSE, etc.), ainsi que l'a souligné l'Alliance du commerce aux rapporteurs.

Or, le constat est désormais multi-documenté 83 ( * ) : les commerçants français, a fortiori les « commerces de proximité » entendus comme ceux du quotidien, restent insuffisamment engagés dans la transition numérique , bien que les confinements de 2020-2021 semblent avoir donné une forte impulsion à ces évolutions nécessaires. Plusieurs facteurs l'expliquent : manque de compétence informatique, manque de moyens financiers pour réaliser les investissements nécessaires, manque de temps pour gérer les commandes en ligne, voire faible perception de la nécessité de se numériser.

Ce retard est particulièrement préjudiciable aux commerces de proximité, dès lors qu'il laisse s'ancrer l'habitude, pour les consommateurs, de n'avoir recours qu'aux grandes plateformes de commerces en ligne, dont une part importante des produits ne provient pas de PME françaises mais directement de l'étranger.

Des plateformes locales de commerces en ligne ont bien été créées, afin de permettre aux commerçants d'afficher leur catalogue de produits, leurs horaires d'ouverture, ou de réaliser des commandes en ligne. Mais de l'avis général des professionnels entendus par les rapporteurs, le potentiel exploitable de ces plateformes reste faible , notamment en raison d'une insuffisante actualisation des produits disponibles par les commerçants, de l'absence fréquente de photos, ou encore de la faible proportion du catalogue qui y est proposée. Il pourrait dès lors être envisageable que l'État confie le développement d'un petit nombre de plateformes (une par région, ou par département) par appel d'offres , afin de disposer des compétences numériques les plus idoines pour créer des structures efficaces, attractives, fluides.

Proposition n° 6 - Soutenir massivement les commerçants dans la transition numérique en :

- mettant en place un dispositif de suramortissement (IS et IR) pour les dépenses d'investissements réalisées dans les équipements de numérisation des commerces [État] ;

- créant un crédit d'impôt pour aider les commerçants dans la prise en charge de leurs dépenses de formation dans ce domaine [État] ;

- étudiant l'opportunité de lancer un appel d'offres de l'État pour le déploiement de plateformes locales de commerce en ligne [État].


* 77 Équité et souplesse, pour un commerce en pleine mutation, Rapport d'information n° 358 (2020-2021) de M. Serge BABARY, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 10 février 2021.

* 78 L'omnicanalité peut se définir de la façon suivante : « La gestion des nombreux canaux et points de contact avec les clients, l'objectif étant de bénéficier de synergie et d'optimiser l'expérience des clients au travers des canaux ainsi que de la performance de l'ensemble des canaux. Les stratégies omnicanales les plus abouties sont les stratégies de distribution dites "phygitales", c'est-à-dire celles qui combinent les composantes physiques et digitales. », d'après Verhoef et al., 2015, cité dans O. Badot, J-F Lemoine, A. Ochs, « Distribution 4.0 », Pearson, 2018 .

* 79 Il est intéressant de constater à cet égard que, durant le confinement, les ventes en ligne des commerces physiques ont progressé trois fois plus vite que celles des « pure-players » , avec des pics à + 100 %, d'après la Fevad.

* 80 Selon la Fédération des commerces spécialistes de jouets et produits de l'enfant (FCJPE), ce sont plutôt entre 20 et 30 % des clients récupérant un colis qui fréquenteraient ensuite le commerce ayant servi de point relai.

* 81 Ces communes regroupent 37 % de la population française.

* 82 Statistiques fournies par la Fevad.

* 83 « Accompagnement de la transition numérique des PME : comment la France peut-elle rattraper son retard ? », Rapport d'information de Mme Pascale Gruny, fait au nom de la délégation aux entreprises, n° 635 (2018-2019) - 4 juillet 2019.

Page mise à jour le

Partager cette page