CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES

Contribution du groupe communiste
républicain citoyen et écologiste (CRCE)

« La santé n'a pas de prix » Emmanuel Macron, le 12 mars 2020

La crise du Covid-19, révélateur des difficultés rencontrées depuis des années par notre système de santé et nos hôpitaux

A l'initiative du groupe Les Républicains du Sénat , le Sénat a lancé le 1 er décembre 2021, une commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France. Le but était d'enquêter sur « les politiques publiques menées en matière d'organisation et de financement du système de santé, de conditions d'accès aux soins sur l'ensemble du territoire, ainsi que sur le fonctionnement et le rôle de l'hôpital public et son articulation avec le secteur privé ».

Les travaux et les auditions menées par la Commission d'enquête, à laquelle participait Mme Laurence Cohen pour notre groupe, ont permis d'étayer notre analyse sur les origines des dysfonctionnements de notre système de santé. En cause, les politiques publiques des vingt dernières années, qui ont privilégié les restrictions budgétaires au détriment de la qualité des soins, des conditions de travail des personnels, des investissements dans le matériel, du maintien des établissements de santé de proximité, des capacités d'accueil des hôpitaux et plus globalement de la démocratie sanitaire.

Le quinquennat d'Emmanuel Macron a poursuivi méthodiquement cette politique d'affaiblissement de la santé et de l'hôpital public avec l'amplification du virage ambulatoire entrainant des suppressions de lits, le maintien de la T2A qui asphyxie financièrement les établissements, la fermeture d'hôpitaux de proximité et de maternités, ou encore les fusions d'établissements au sein des Groupements Hospitaliers de Territoires (GHT) qui assèchent l'offre de soins au plus près des populations. Depuis 2017, le gouvernement d'Emmanuel Macron a ainsi imposé un plan d'économies de 18 milliards d'euros à la santé.

Si nous partageons le constat de la rapporteure qui reprend, pour une part, les critiques et le ressenti des professionnels auditionnés, nous regrettons que les recommandations soient restées au milieu du gué . La situation est tellement dégradée, qu'il aurait fallu une remise en cause profonde des logiques de financement, du mécanisme même de l'ONDAM (Objectif national des dépenses d'assurance maladie), ainsi que des lois Bachelot, Touraine, Buzyn et Rist !

Une cure d'austérité depuis des années... mais aucune leçon tirée.

Les gouvernements successifs ont imposé des budgets d'austérité au service public de santé entrainant selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), la disparition de 100 000 lits hospitaliers entre la fin des années 1990 et la fin des années 2010. Considérant, selon le type de soins, qu'il y a entre 3,2 et 4,5 équivalent temps plein pour 1 lit d'hôpital, ce sont 350 000 emplois qui ont été ainsi supprimés.

Rappelons, ici, qu'en 2020, en pleine pandémie, plus de 5 000 lits supplémentaires ont été fermés.

Alors que les soignants et les soignantes expliquent qu'ils et elles perdent leur temps à chercher des lits pour les patient•es qui, de fait, restent des heures sur des brancards, dans des couloirs, notre groupe regrette que la commission d'enquête n'ait pas proposé un moratoire sur les suppressions de lits. La mise en place de cellules de gestion des lits dans les hôpitaux, comme proposé ne saurait être efficace, si dans le même temps, la politique de fermetures continue.

Les auditions menées par la Commission d'enquête ont également pointé les critiques contre la dérive d'une gouvernance technocrate et gestionnaire des établissements de santé. Ainsi, le professeur Velut, neurochirurgien au CHU de Tours, a confirmé que la T2A a augmenté « le nombre d'actes et de séjours, sans aucune évaluation de la pertinence des soins », la loi Hôpital Patients, Santé et Territoires (HPST) a donné « tous pouvoirs aux directeurs d'établissements et à l'administration » et que désormais la seule variable d'ajustement des établissements est devenue « le personnel » qui représente « à peu près 60% du budget des hôpitaux ».

La pandémie de Covid-19 a été une exception dans cette tendance en 2021 et 2022 mais le gouvernement prévoit dès 2023 un retour à de nouvelles mesures de redressement sur la sphère sociale.

Le chef du service d'urologie à l'hôpital Cochin, le Pr Michaël Peyromaure a dressé un constat similaire devant la commission en dénonçant les injonctions contradictoires où « en haut, on leur demande d'industrialiser les soins, de tout recenser avec l'informatique, de tout coder, de faire des actes » mais dans le même temps « les moyens dont ils disposent fondent comme neige au soleil. Et surtout ils n'ont plus voix au chapitre ».

Gérald Kierzek, médecin urgentiste a résumé la perte de sens des hospitaliers « on est passé de l'autonomie des mandarins à l'autocratie des manageurs » . Il est urgent de remettre de l'humanité dans un hôpital où « les gens sont devenus des numéros ». A ce titre, le nouveau forfait patient urgences « continue à culpabiliser les gens en les faisant payer aux urgences » avec le risque que « beaucoup restent chez eux » et que leur état de santé se dégrade.

Caroline Brémaud, cheffe de service des urgences du centre hospitalier de Laval est allée dans le même sens en insistant sur la présence des personnels au chevet des malades, « le meilleur médicament étant l'humain. »

Face à la crise sanitaire révélant l'état de paupérisation de l'hôpital public, et en même temps l'engagement sans faille des personnels , le Gouvernement a été rattrapé par le réel, concédant avec le Ségur de la santé une revalorisation salariale qui correspond uniquement à un rattrapage de l'inflation sur le montant des salaires. Trop tardif, trop insuffisant, le Ségur n'a pas permis de mettre fin au malaise hospitalier.

Notre hôpital public reste aujourd'hui sous tension avec d'un côté, l'afflux de patient•es et de l'autre, la dégradation des conditions de travail des personnels qui subissent les manques de moyens faute d'investissements dans le matériel innovant et la pénurie de personnels médicaux et paramédicaux. On assiste à un mal être et un épuisement professionnel dont la crise n'a été que le simple catalyseur.

Les personnels hospitaliers ont subi le gel du point d'indice, la baisse de l'effort d'investissement des établissements, la mise en place des 35 heures sans embauches supplémentaires. Cette dégradation des conditions de travail se traduit par près de 40% de postes vacants à l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris.

Les conséquences sont graves et touchent tous les territoires dans l'Hexagone comme en Outre-Mer : les fermetures de services, des réductions d'amplitude d'ouverture des urgences se multiplient, mettant en danger la qualité des soins.

La nécessité de sortir du numerus apertus (ancien numérus clausus) et d'augmenter les capacités de formation des universités , pour former un nombre suffisant de professionnels de santé, sociaux et médico-sociaux pour garantir l'accès aux soins de proximité, est impérieuse. Malheureusement, la commission d'enquête n'émet aucune proposition en ce sens. Elle propose toutefois d'augmenter significativement les effectifs d'infirmiers et d'aides-soignants, ce que nous soutenons. La pénurie de personnels touche également les personnels non-soignants, administratifs et techniques, c'est l'ensemble des catégories professionnelles qui interviennent dans le service public hospitalier qui sont en tension.

Le désinvestissement dans le service public hospitalier s'est également traduit durant la crise sanitaire par un manque de matériels et de médicaments (Curare).

Une politique alternative de santé au service de l'hôpital public

L'hôpital a été tout à la fois le thermomètre, le remède, le laboratoire et le symbole de la crise sanitaire. Alors que l'Unesco a alerté sur les risques de pandémies mondiales plus nombreuses et plus intenses, les dirigeants doivent anticiper l'avenir et se doter d'une stratégie de santé qui anticipe le vieillissement de la population, qui tienne compte de l'augmentation des déserts médicaux dans les zones rurales et dans les zones urbaines.

Les sénatrices et sénateurs du groupe Communiste Républicain Citoyen et Ecologiste n'ont pas attendu la pandémie pour aller à la rencontre des personnels de santé et du médico-social.

Dès 2018, lors de la mobilisation du personnel hospitalier contre la dégradation de leurs conditions de travail et en faveur d'une revalorisation de leurs métiers, les parlementaires du groupe Communiste du Sénat et de l'Assemblée ont organisé un Tour de France des hôpitaux et des Ehpads, en allant à la rencontre des personnels, des élu•es locaux, des usagers, dans plus de 200 établissements.

Ces échanges ont donné lieu à la rédaction et au dépôt le 16 octobre 2019, d'une proposition de loi de 43 articles portant mesures d'urgence pour la santé et les hôpitaux.

Ce dont nous avons besoin, c'est d'une politique de santé publique qui repose sur 4 leviers :

un plan de financement à la hauteur des besoins avec une reprise intégrale de la dette des établissements,

un plan de recrutement et de formation de personnels,

un plan d'accès aux soins avec une prise en charge à 100% des dépenses de santé par la Sécurité sociale,

le rétablissement de la démocratie sociale et sanitaire.

1. Un plan de financement à la hauteur des besoins avec une reprise intégrale de la dette des établissements

Un plan de financement de l'hôpital public à la hauteur des besoins pour ouvrir des lits et embaucher du personnel est possible en revenant sur les multiples exonérations de cotisations sociales, en créant une contribution sur les revenus financiers, et en garantissant l'égalité des salaires entre les femmes et les hommes. Rétablir l'autonomie financière de la Sécurité sociale, choisir de moduler les cotisations sociales selon la politique sociale, fiscale, environnementale des entreprises, renouer avec les élections des assuré•es sociaux pour la gouvernance et la gestion de la Sécurité sociale, afin que les salarié•es puissent maîtriser les réponses à apporter aux besoins sanitaires et sociaux des populations, tels sont les leviers que notre groupe choisit.

Cette refondation nécessite également un investissement massif pour la construction d'hôpitaux et de maternités de proximité, de centres de santé pluridisciplinaires où les professionnels pourraient exercer sous le statut de salarié•e afin de garantir des conditions de travail tenant compte de la vie familiale de chacune et chacun mais aussi l'accès aux soins la nuit, les weekends et les jours fériés.

Comme l'a démontré le professeur de sciences économiques Jean-Paul Domin, « la tarification à l'activité accélère la sélection des patient.es, peut favoriser la baisse de la qualité des soins par une réduction de la durée des séjours, et peut inciter les établissements à se spécialiser sur des activités plus rentables, et renforce la pression sur les personnels hospitaliers », pour toutes ces raisons nous remplacerons ce mode de financement par une dotation populationnelle et un budget de fonctionnement qui couvrira l'ensemble des charges et obligations des établissements, sur la base de l'obligation de moyens et non de résultats.

Les dépenses immobilières des établissements de santé seront séparées du budget des hôpitaux et pris en charge par l'Etat dans la mission « Santé » du projet de loi de finances.

Un plan de prise en charge intégrale de la dette des hôpitaux par l'Etat afin de sortir les établissements de l'asphyxie financière suite au désinvestissement des politiques publiques de santé.

La crise sanitaire a révélé l'inadéquation des modes de financement ultramarins par rapport aux besoins et à l'éloignement. Il est indispensable de relever le coefficient géographique appliqué aux tarifs des séjours hospitaliers censé compenser les surcoûts des établissements ultramarins.

2. Un plan de recrutement et de formation de personnels suffisants

Les personnels hospitaliers, dont le dévouement est mis à rude épreuve, ont besoin d'un soutien et d'une reconnaissance au-delà des mots et des postures. Il faut une rupture avec les politiques d'austérité qui ont considérablement affaibli le service public hospitalier.

Nous proposons la mise en place d'un plan de recrutement de 100 000 personnels dans les hôpitaux dès 2022. Mais pour embaucher, il faut redonner de l'attractivité aux carrières du soin et de l'accompagnement, ce qui passe aussi par une revalorisation des salaires et des carrières des personnels de la fonction publique hospitalière.

Nous proposons d'augmenter les places d'étudiant•es en médecine actuellement de 8 000 pour atteindre 12 000 en revalorisant les dotations financières et humaines des universités afin d'augmenter leurs capacités d'accueil et de formation.

Les internes de médecine ont également été mis fortement à contribution durant la pandémie, il est indispensable d'améliorer et revaloriser leurs conditions d'internat avec notamment le respect de l'obligation de repos de sécurité après une garde ou une astreinte et de veiller à lutter contre les comportements sexistes.

Pour aider au maintien en poste des personnels ou faciliter les recrutements nécessaires, les équipes soignantes doivent être reconstituées, avec des conditions de travail améliorées, le respect de l'éthique professionnelle, une collaboration au sein des services qui s'appuie sur le rétablissement de l'organisation et le fonctionnement des services hospitaliers et passe par la suppression des pôles maintenus par la loi Rist. Il est également indispensable de renforcer les instances représentatives du personnel en les dotant d'un pouvoir de décision et d'un droit de véto sur le recrutement et lors de l'adoption du budget de l'établissement.

3. Un plan d'accès aux soins avec une prise en charge à 100% des dépenses de santé par la Sécurité sociale

La pandémie de Covid-19 a montré l'impuissance des gouvernements à réduire les inégalités sociales de santé qui continuent de se creuser depuis 30 ans : les plus pauvres vivent treize années de moins que les plus riches. Afin de lutter véritablement contre les inégalités sociales de santé il est nécessaire de mener une politique ambitieuse de prévention et l'accès de toutes et tous aux soins.

Nous proposons de mettre en place une prise en charge à 100% par la Sécurité sociale des soins prescrits et la suppression des barrières financières dans l'accès aux soins (franchises médicales, participations forfaitaires, forfaits patients urgence, dépassements d'honoraires), ce que n'aborde absolument pas la commission d'enquête, alors que ces dispositifs constituent des restes à charge importants pour les populations.

L'accès aux soins doit être garanti sur l'ensemble du territoire, face à la progression des déserts médicaux en zone rurale, mais également urbaine, il est indispensable de mettre en place un conventionnement sélectif des médecins dans les zones denses, de développer les centres de santé, supprimer les quotas des formations médicales et paramédicales, tout en renforçant les moyens des universités et l'ouverture des pré-recrutements aux jeunes pendant leur formation.

La permanence des soins doit être garantie avec le rétablissement des gardes le soir et le weekend en revalorisant les indemnités des personnels, ce qui permettra de réduire le recours aux urgences. Le développement des centres de santé pluridisciplinaires qui appliquent le tiers payant, l'absence de dépassements d'honoraires, et un exercice salariat adapté aux contraintes des personnels de santé, doit être accompagné et soutenu financièrement par l'Etat.

Les hôpitaux de proximité doivent être développés et reconstruits, en les inscrivant dans une politique globale d'aménagement du territoire et d'amélioration de l'accès aux soins. Leur rôle doit être redéfini afin qu'ils soient des établissements disposant d'un service d'urgence, d'une maternité de niveau 1, de services de médecine et de chirurgie, et qu'ils bénéficient de services de soins de suite ou de structures pour les personnes âgées, s'adossant à un réseau de centres de santé et à la psychiatrie de secteur.

La commission d'enquête n'a pas pu aborder les secteurs de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie, mais pour notre groupe, la santé mentale doit être une priorité de l'action publique. Le secteur psychiatrique doit être conforté comme l'échelle de proximité de prise en charge mais également comme modèle d'organisation pour la santé. Un moratoire sur la fermeture des centres médico-psychologiques, des centres médico-psycho-pédagogiques ainsi que sur le regroupement au sein de groupements hospitaliers du territoire doit être décrété.

L'investissement public dans la psychiatrie doit permettre l'ouverture de lits nouveaux et de structures ouvertes pour prendre en charge les patient•es, mais également permettre le recrutement et la formation de personnel qualifié. Le rétablissement de la spécialité d'infirmières et d'infirmiers psychiatriques doit y participer. L'individualisation des parcours de soins doit être garantie, afin de permettre une meilleure efficacité thérapeutique.

La pandémie de Covid-19 a démontré la nécessité de recouvrer notre souveraineté sanitaire et notamment en matière de politique du médicament. Il est indispensable de mettre en place un pôle public du médicament qui produise et distribue en France les médicaments et les vaccins essentiels.

Enfin s'agissant de l'autonomie de nos ainé•es, nous proposons de créer sur trois ans, 300 000 emplois en Ehpad et 100 000 aides à domicile. Nous soutenons la revendication de ces dernières qui demandent à avoir un nouveau statut « d'auxiliaires de soins » unique quel que soit leur employeur.

Un ratio d'encadrement d'un•e soignant•e pour un•e résident•e doit être mis en place accompagné d'une revalorisation des salaires des personnels selon une grille à définir avec les organisations syndicales. Un véritable statut des proches aidant•es doit être élaboré, avec une augmentation de l'indemnité et de la durée du congé.

Un plan d'investissement doit être mené pour la réalisation et la modernisation des Ehpad, de concert avec les résident•es, les personnels, leurs représentant•es, les familles, ainsi que le renforcement des unités de soin de longue durée (USLD).

La création d'un service public du grand âge et la mise sous tutelle des Ehpads privés, à but lucratif, s'imposent.

Un service national et territorialisé de l'aide à l'autonomie doit garantir, pour les personnes vieillissantes ou en perte d'autonomie, l'égalité d'accès à une prise en charge à domicile de leur dépendance, ainsi qu'une aide à l' autonomie par des personnels qualifiés, formés et correctement rémunérés.

4. Le rétablissement de la démocratie sociale et sanitaire.

Si la commission d'enquête pointe la volonté, dans les territoires, d'impliquer davantage les acteurs pour mieux répondre aux besoins, nous considérons qu'il faut aller plus loin pour revivifier la démocratie sanitaire avec de nouveaux pouvoirs donnés aux personnels, aux élu•es locaux et aux usagers. Améliorer la démocratie sanitaire dans les établissements de santé avec une direction collective administrative et médicale s'appuyant notamment sur un Conseil d'administration composé de représentant•es des personnels soignants (avec un droit de veto), administratifs, techniques, des usager•es, et des élu•es locaux.

Les Agences régionales de santé doivent être remplacées par des services régionaux démocratiques de l'État composés de trois collèges (usager•es, professionnel•les de santé et élu•es du territoire) et ayant en charge trois missions : permettre l'expression des besoins de manière diversifiée, être le lieu de réponse à ces besoins, exercer un contrôle démocratique des réponses apportées aux besoins exprimés.

En conclusion, sans révéler des maux ignorés, le rapport de la commission d'enquête permet une nouvelle fois de pointer les dysfonctionnements de l'hôpital et de notre système de santé. Mais les recommandations très nombreuses, près de 80, sont inégales.

Nous en partageons un certain nombre notamment celles qui tendent à améliorer les conditions de travail des personnels en tenant compte des impératifs de logement et de garde d'enfant. Mais, outre la timidité des mesures concernant les financements, nous regrettons le maintien des GHT et sommes totalement opposés à l'idée de faire entrer le privé au sein des GHT pour mieux répondre à la demande d'offre de service public !

On pouvait attendre de cette commission d'enquête qu'elle propose une véritable politique alternative de santé en faveur de l'hôpital public. Il suffit d'en avoir la volonté politique et d'y mettre les moyens. Les 400 milliards d'euros d'aide aux entreprises, débloqués, à juste titre par le gouvernement, durant les deux années de crise sanitaire, en sont la démonstration !

Les sénatrices et sénateurs du groupe Communiste Républicain Citoyen et Ecologiste ne soutiendront pas ce rapport largement insuffisant et prônent une véritable politique de rupture avec les choix antérieurs et ouvrent des pistes de nouveaux financements permettant de renflouer les caisses de la sécurité sociale pour une prise en charge à 100% des soins prescrits.

La santé n'est pas un coût mais un investissement qui contribue à la création de richesse dans notre pays et de millions d'emplois non délocalisables.

Contribution de Mme Raymonde Poncet Monge
au nom du groupe écologiste - solidarité et territoires (GEST)

La pandémie, plutôt la syndémie , a percuté un système de santé affaibli et inadapté, par la conjonction d'une épidémie infectieuse, (« nous sommes entrés dans l'ère des pandémies » notamment des zoonoses) sur fond d'épidémie de maladies chroniques (obésité, diabète...) aux forts gradients sociaux-économiques, de transition démographique et de (grande) pauvreté. La prochaine réforme du système de santé devra être systémique.

20 ans d'affaiblissement de l'hôpital public : retour sur les facteurs ayant fait système provoquant la crise de l'hôpital et du service public de santé, favorisant la privatisation commerciale de la santé et aggravant les inégalités sociales et territoriales de santé ;

Pour l'hôpital : un ONDAM basé sur un niveau très insuffisant des ressources financières, contraintes par le respect des critères européens des dépenses et des déficits publics. Dès lors, l'écart avec l'évolution spontanée et mécanique des besoins de santé fera l'objet d'une injonction de réaliser des milliards d'économies dits d'efficience, qui se traduiront in fine par des pressions sur le personnel (déflation salariale, baisse des ratios soignants) et des fermetures de services et de lits au-delà de l'effet du virage ambulatoire.

Se cumulant à cet objectif ex ante de dépenses publiques des établissements de santé en net retrait des besoins, la dépense hospitalière ces dernières années fera l'objet ex post d'une sous-exécution de l'enveloppe prévue par des mises en réserves « prudentielles » afin de compenser le surcroît des dépenses des soins de ville , insuffisamment régulée. Et ce, par la baisse des tarifs de la T2A (baisse déconnectée de l'évolution des coûts qu'elle est censée traduire) s'ajoutant à l'ajustement prix-volume. Par le mécanisme de points flottants pilotant la baisse des tarifs de la T2A, la T2A a constitué le bras armé de la rigueur , bien loin de l'outil technique pertinent pour un certain nombre d'actes techniques, programmables et standardisés.

Les ONDAM hospitaliers constamment sous-évalués et de plus compensant les dépassements de l'ONDAM de ville, ont nourri les déficits structurels, qui ont fait chuter les taux d'investissements tant courants que structurants (manque d'équipements, vétusté des hôpitaux) et tripler la dette des hôpitaux en 10 ans qui devra être reprise pour recouvrer des marges de manoeuvre de modernisation (notamment pour la digitalisation de la santé).

La baisse des tarifs a obligé à accroître de plusieurs points l'activité (15 % en dix ans et quelquefois par des actes non pertinents ou par surcodage) pour maintenir les budgets à effectifs quasi constants (+ 2 %), dégradant les conditions de travail et altérant le sens du travail . L'augmentation de l'activité entrainant une baisse de tarifs, le cercle vicieux était enclenché. Il faut rompre avec cette logique infernale .

Cet étouffement par les rigueurs budgétaires à court terme a pesé plus fortement sur l'offre publique , le privé lucratif délaissant les activités « non rentables » (médecine, obstétrique, soins de suite...) voire déficitaires et se concentrant sur les activités rentables (chirurgie notamment ambulatoire) plus adaptées à l'outil T2A et grâce aux dépassements d'honoraires qui lui permettent de proposer de meilleures rémunérations et conditions de travail (notamment aux chirurgiens).

L'hôpital public est de plus le réceptacle des multiples crises du système : ses services d'urgence sont débordés puisqu'assurant quasiment seuls (hors quelques MMG, centres de santé, MMS) la permanence des soins (une partie des soins primaires devrait être traitée à l'amont), et la gestion chronophage de la gestion de l'aval (car manque de lits et de solutions de retour à domicile). Là encore, l'hôpital public hérite des cas complexes (poly-pathologies instables, malades chroniques , âgés, en détresse sociale, PUMA, AME...) et oriente les patients dits « clinicables » vers les cliniques privées : hospitalisations nécessitant une intervention chirurgicale sans complexité sociale.

Et pourtant, en 2020, les structures les plus mobilisées lors du choc sanitaire en 2020 ( avant la campagne de vaccination qui a inclut les professionnels de ville) ont été les hôpitaux publics (85 % des patients hospitalisés en 2020 pour la COVID) et les Espic, et dans une moindre mesure les autres acteurs de santé dont les CPTS assurant la coordination en équipe pluri-professionnelle comme les collectivités territoriales.

Les écologistes promeuvent l'économie sociale et solidaire, mais le modèle de l'Espic n'a pas toujours pu résister aux logiques gestionnaires délétères (ils souffrent de plus d'un différentiel de charges sociales par rapport à l'hôpital public alors qu'ils participent au service public hospitalier). Devant les difficultés, certains Espic transfèrent leurs autorisations « au plus offrant », de fait le secteur lucratif, abandonnant les activités « rentables » voire des établissements entiers. Aussi, le modèle de santé doit permettre de réaffirmer et de garantir à l'avenir que la santé reste un « bien commun » assurant à tous un large panier de soin et de prévention . Les autorités de tutelle doivent garder la main sur les transferts d'autorisations .

Si la T2A a du sens concernant les actes techniques standards programmables, son lien univoque avec l'activité n'est pas pertinent pour le suivi des parcours de santé des malades chroniques . Et encore moins pour les missions de santé publique, de la prévention et de promotion de la santé : d'où la nécessité de passer à une responsabilité et dotation populationnelle pour l'engagement autour d'objectifs de santé publique et de réduction des inégalités de santé .

Car la crise du système de santé est profonde, elle provient de l'incapacité à se décentrer du curatif et du soin (et d'une certaine façon de l'hôpital), car s'il faut améliorer l'accès aux offres de soins, il faut urgemment maintenir la population en bonne santé, en prévenant et intervenant avant la survenue de la maladie et son traitement, là gisent désormais l'efficacité du système de santé et la maîtrise future des dépenses (son efficience). Pour cela, il faut agir sur les déterminants sociaux, environnementaux et comportementaux de santé dont l'impact est prédominant notamment sur l'épidémie de maladies chroniques et ne pas se limiter aux déterminants médicaux.

La France s'enorgueillit de la progression de son espérance de vie mais ignore que pendant une décennie l'espérance de vie en bonne santé a stagné pour les hommes à 62,6 ans (soit dix ans de moins que la Suède !) rompant avec un temps où l'espérance de vie sans incapacité croissait plus vite que l'espérance de vie. Le temps vécu avec incapacités (16 ans) tend à augmenter ce qui démultiplie les effets de la transition démographique et explique les taux bas d'activité en fin de vie professionnelle. Avec près de dix ans d'écart d'espérance de vie en bonne santé entre un ouvrier et un cadre, les conditions de travail et de vie jouent un rôle majeur. A cela, s'ajoute les disparités régionales à même statut professionnel .

L'explosion des comorbidités est corrélée à la pauvreté et l'extrême pauvreté. La distribution de l'état de santé suit celle de l'échelle des revenus , chaque décile supérieur en revenu est supérieur en état de santé. Réduire les inégalités de revenus ou les accroître n'est pas neutre quant à la réduction ou l'augmentation des inégalités face à la maladie et à la mort.

Le système de santé doit donc faire une plus grande place aux objectifs de réductions des gradients sociaux de santé notamment des maladies chroniques et des comorbidités (dont l'obésité à prendre en charge en ALD) par un effort inédit et constant, y compris financier, de promotion et de prévention individuelle et collective . C'est à l'Etat à définir les objectifs nationaux prioritaires de santé publique et de réduction des inégalités sociales et territoriales de santé qui devront être déclinés et adaptés en partant des besoins de santé des territoires par les collectivités territoriales, en lien et en cohérence avec la redéfinition et le renforcement de leurs compétences en matière de santé.

Aussi, la stratégie nationale de santé publique définie par l'état (compétence régalienne) et validée par le parlement , exige des services suffisamment déconcentrés (DT des ARS via les PRS) et une approche très décentralisée via des délégations et l'appui sur les collectivités territoriales (via les projets territoriaux de santé et les projets - contrats - locaux de santé).

Accompagnant ce tournant du système de santé, la spécialité de Santé Publique (recrutements, recherche, enseignement) doit être valorisée et reconnue comme pivot d'un système de santé refondé .

La santé dépend massivement de l'environnement y compris professionnel : bruit, qualité de l'air, de l'eau, pesticides, alimentation, perturbateurs endocriniens, substances CMR .... Et de la préservation de la biodiversité (une seule santé, santé intégrée ou santé planétaire sont désormais des concepts clefs), la santé environnementale, et son approche transversale, doit être une priorité .

La France doit réinvestir la santé scolaire, universitaire, au travail , la santé tout au long de la vie , booster la promotion et l'éducation à la santé (contraception, activité physique, diététique, règles d'hygiène...) comme l'information du citoyen acteur et responsable (Planet-Score pour les pesticides, Nutri-Score par exemple).

Pour faire face aux nouveaux enjeux de santé publique, il convient d'augmenter sensiblement la part des dépenses consacrée à la prévention pour prévenir les maladies chroniques (60 % des dépenses de santé, 11 millions de personnes), promouvoir les parcours coordonnés de santé pluri professionnels avec un mode de financement spécifique, former les professionnels à l'Education Thérapeutique du Patient .

Autre enseignement de la crise, il faut mettre fin à la gestion par les flux des lits de soins intensifs (dont les lits de réanimation), avec un taux d'occupation proche de 100 % des lits de l' hôpital-entreprise (comme des quasi-stocks zéros des médicaments et produits de santé) et accepter, à une échelle territoriale pertinente, des lits non occupés, disponibles et des marges de manoeuvres en termes de professionnels formés. Ce qui mettra fin à la carence chaque hiver lors des pics saisonniers de grippe ou de bronchiolites.

Les enseignements en termes d'efficacité de la gouvernance hospitalière en temps de crise doivent être tirés : remise en question des pôles, du primat financier et management bureaucratique associé, retours de la place des Services et de l'autonomie des équipes médicales et soignantes, prise en compte des missions spécifiques de l'hôpital public telles la continuité et la permanence des soins, l'accueil sans tri des patients et des publics, coordination avec tous les acteurs de santé....

Cependant, face à la fatigue des collectifs générée par le mille- feuille des réformes, il convient de marquer une pause tant qu'une nouvelle vision à moyen terme du système de santé n'aura pas fait l'objet d'un débat national. Cela suppose une évaluation approfondie des réformes depuis deux décennies, de leurs impuissances à répondre aux nouveaux enjeux de santé, au-delà de leurs rôles dans la « casse » de l'hôpital public par (et prétexte à) la marchandisation et la privatisation de la santé.

En attendant, il faut décréter un moratoire sur les restructurations avec fermetures d'hôpitaux, de lits et de services , en attente d'un plan pluriannuel de santé et réaffirmer la nécessité d'un service public hospitalier de proximité (hôpitaux de proximité maillant le territoire) en lien avec la médecine de ville de premier recours .

Pour basculer d'un système de soins à un système de santé, l'embauche de dizaines de milliers de professionnels de toutes disciplines sera nécessaire , par une politique ambitieuse d'attractivité des métiers du Prendre soin (rémunérations portées à la moyenne de l'OCDE, effort de formation continue pour accompagner des transferts de compétences, VAE, ...), supprimer Parcoursup, « libérer » les capacités d'accueil en faculté des étudiants de médecine en planifiant la démographie médicale nécessaire à moyen terme en partant des besoins de santé.

Enfin, la dette COVID doit être assumée par l'état, faute de quoi, cette dette sociale à rembourser d'ici 2030 et l'austérité induite, empêchera la définition d'objectifs pluriannuels de santé tenant compte de l'augmentation naturelles des besoins, de la transition démographique, des innovations thérapeutiques et des objectifs majeurs de santé publique. Il faut un nouveau souffle à notre système de santé.

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