Rapport n° 587 (2021-2022) de Mme Catherine DEROCHE , fait au nom de la CE Hôpital, déposé le 29 mars 2022

Disponible au format PDF (2,5 Moctets)


N° 587

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Rapport remis à M. le Président du Sénat le 29 mars 2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mars 2022

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission d'enquête (1) sur la situation de l' hôpital
et le
système de santé en France ,

Président
M. Bernard JOMIER,


Rapporteure
Mme Catherine DEROCHE,

Sénateur et Sénatrice

Tome II - Comptes rendus

(1) Cette commission est composée de : M. Bernard Jomier , président ; Mme Catherine Deroche, rapporteure ; Mme Marie Mercier, MM. Jean Sol, Jean-Marc Todeschini , Mmes Jocelyne Guidez, Sonia de La Provôté, M. Dominique Théophile, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Pierre Médevielle, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, Florence Lassarade, M. Alain Milon, Mmes Annick Petrus, Nadia Sollogoub, M. Laurent Somon.

TRAVAUX
DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

___________

I. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION CONSTITUTIVE

(jeudi 2 décembre 2021)

Mme Raymonde Poncet Monge , présidente . - En ma qualité de présidente d'âge, il me revient de présider la réunion constitutive de notre commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France.

Je vous rappelle que celle-ci a été créée à l'initiative du groupe Les Républicains, en application du droit de tirage reconnu aux groupes politiques par l'article 6 bis du Règlement du Sénat.

La Conférence des présidents a pris acte hier, mercredi 1 er décembre, de la création de cette commission d'enquête. Ses 19 membres ont été désignés lors de la séance publique du même jour, sur proposition des groupes.

Nous devons maintenant désigner le président de la commission d'enquête. J'ai reçu la candidature de notre collègue Bernard Jomier.

La commission d'enquête procède à la désignation de son président, M. Bernard Jomier.

Mme Raymonde Poncet Monge , présidente . - Notre collègue, souffrant, m'a fait savoir ce matin qu'il ne pouvait être présent ce matin. Nous lui souhaitons un bon rétablissement et je vais le suppléer jusqu'à la constitution définitive du bureau de la commission d'enquête.

Nous devons tout d'abord désigner le rapporteur.

En application de l'article 6 bis du Règlement du Sénat, le groupe à l'origine de la demande de création de la commission d'enquête obtient de droit, s'il le demande, que la fonction de rapporteur revienne à l'un de ses membres.

Le groupe Les Républicains a proposé le nom de Mme Catherine Deroche.

La commission procède à la désignation de sa rapporteure, Mme Catherine Deroche.

Mme Raymonde Poncet Monge , présidente . - Compte tenu du principe de représentation proportionnelle pour la composition du bureau et des désignations du président et de la rapporteure, j'ai reçu les candidatures suivantes pour les fonctions de vice-présidents : Mme Marie Mercier et M. Jean Sol, pour le groupe Les Républicains ; M. Jean-Marc Todeschini, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ; Mme Jocelyne Guidez et Mme Sonia de La Provôté, pour le groupe Union Centriste ; M. Dominique Théophile, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants ; Mme Laurence Cohen pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste; Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen ; M. Pierre Médevielle, pour le groupe Les Indépendants - République et territoires ; et Mme Raymonde Poncet Monge, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.

La commission procède à la désignation des autres membres de son bureau : Mme Marie Mercier, M. Jean Sol, M. Jean-Marc Todeschini, Mme Jocelyne Guidez, Mme Sonia de La Provôté, M. Dominique Théophile, Mme Laurence Cohen, Mme Véronique Guillotin, M. Pierre Médevielle, et Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge , présidente . - Notre Bureau étant maintenant constitué, je vais céder la place à Mme Marie Mercier, vice-présidente, pour la suite de notre réunion.

Mme Marie Mercier , présidente . - Avant de céder la parole à notre rapporteure, je dois vous rappeler les particularités juridiques régissant les travaux des commissions d'enquête. Le dépôt du rapport devra intervenir au plus tard à l'expiration d'un délai de six mois à compter du 1 er décembre, date de la prise d'acte de notre création par la Conférence des présidents.

Par ailleurs, les auditions des commissions d'enquête sont publiques, sauf si nous décidons du huis clos. Tous les travaux non publics sont, pour leur part, soumis à la règle du secret, le non-respect du caractère secret étant puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, le Règlement du Sénat prévoyant en outre la possibilité d'exclusion du membre concerné de la commission.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - La demande de création de cette commission d'enquête par le groupe Les Républicains trouve son origine dans la situation extrêmement critique de notre système hospitalier, accentuée par la pression de l'épidémie de covid-19 depuis un an et demi, mais dont les causes profondes sont à l'évidence bien antérieures.

Vous connaissez ces difficultés : engorgement de certains services, dégradation de la situation financière, effets pervers du mode de financement, organisation interne et management, perte d'attractivité des carrières...

Il nous semble que cette situation exige des réponses fortes sur l'organisation et le fonctionnement de l'hôpital, mais également une réflexion plus globale sur la place de l'hôpital dans l'organisation du système de soins. Car si l'hôpital concentre un certain nombre de difficultés, c'est aussi en raison de défaillances plus générales dans l'accès aux soins et la permanence des soins, ou encore dans l'articulation entre l'hospitalisation et la médecine de ville.

En ce sens, si notre commission d'enquête est centrée sur la situation de l'hôpital, elle sera amenée à s'intéresser aux autres acteurs du système de santé afin d'examiner comment une meilleure organisation permettrait d'éviter cette tension croissante sur le secteur hospitalier et de mieux utiliser les ressources importantes consacrées à notre système de santé.

Nous allons donc aborder un champ très vaste de questions : les unes liées à l'hospitalisation elle-même - capacités, répartition des moyens, financement, dette hospitalière, structuration de l'offre publique et privée, rôle des différents échelons, de l'hôpital de proximité jusqu'au centre hospitalo-universitaire (CHU) -, les autres relatives à la place du recours à l'hôpital dans l'organisation des soins au regard de la médecine de ville, avec les questions de la permanence des soins, de l'hospitalisation à domicile et des structures d'aval.

Ces sujets ne sont pas nouveaux. Beaucoup a déjà été dit ou écrit à leur propos. Notre commission d'enquête permettra de recueillir des données précises sur la situation de l'hôpital et la mise en oeuvre effective des mesures annoncées. Elle devra également recueillir l'appréciation des acteurs de la santé sur les conditions de réussite des différentes pistes d'évolution identifiées, les obstacles qu'elles rencontrent ou les risques qu'elles comportent.

Avec Bernard Jomier, nous avons échangé sur notre calendrier et notre méthode de travail. Compte tenu du calendrier électoral, nous souhaitons nous fixer un objectif plus rapproché que le délai de six mois pour le terme de nos travaux, afin que le rapport puisse être publié à la fin du mois de mars. C'est la raison pour laquelle nous avons préparé la tenue de réunions plénières dès la semaine prochaine, le jeudi 9 décembre après-midi, ainsi que le jeudi 16 décembre au matin.

En outre, nous avons également prévu, en complément des réunions plénières, que j'organiserai des auditions de travail non publiques auxquelles tous les membres de la commission seront conviés.

Nous avons pensé qu'il serait utile de démarrer nos travaux en dressant un premier état des lieux de la situation, avant la suspension de fin d'année. Nous recevrons donc au cours des deux prochaines semaines des représentants des praticiens et personnels soignants, les fédérations d'établissements de santé et des responsables de service des urgences.

Nous poursuivrons en début d'année prochaine avec d'autres représentants de la communauté hospitalière, d'autres acteurs du système de santé qui pourront nous indiquer comment ils conçoivent une articulation plus efficiente avec l'hôpital, des personnalités qualifiées et bien entendu, des représentants du Gouvernement et de la tutelle. Nous effectuerons également des déplacements dans des établissements hospitaliers.

Je vous invite à nous indiquer des acteurs qu'il vous paraîtrait intéressant de rencontrer ou d'auditionner, aussi bien dans les CHU que dans les hôpitaux de proximité, pour connaître les difficultés qu'ils rencontrent dans tous les territoires.

Mme Marie Mercier , présidente . - Votre intervention souligne la charge du travail qui est devant nous.

Mme Florence Lassarade . - Nos travaux porteront-ils aussi sur l'hôpital psychiatrique ?

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Cela mériterait une commission d'enquête ad hoc, mais nous aurons sans doute à aborder ce sujet. Nous pourrions faire des focus sur certains points.

Mme Florence Lassarade . - Je suggère alors que notre commission se rende à l'hôpital psychiatrique de Cadillac. Par ailleurs, étudierons-nous les logiciels utilisés par les hôpitaux ? Ceux-ci sont très divers...

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je souhaite que notre commission puisse parvenir à établir la réalité des chiffres : moyens, effectifs, nombres de lits, etc. Nous évoquerons aussi la nature du travail à l'hôpital : les praticiens passent un temps fou en procédures administratives, ce qui est chronophage. Je voudrais entendre des témoignages de médecins ou d'internes pour décrire une journée type à l'hôpital.

Mme Laurence Cohen . - Il faut parvenir à une cartographie de la situation. Il importe de rencontrer tous les professionnels : médecins, urgentistes, infirmiers, mais aussi les aides-soignantes, etc. Les problèmes existent à tous les niveaux, et chacun a son ressenti. Les difficultés sont d'ordre systémique, et il faut s'interroger sur l'organisation d'ensemble. Il est, en outre, toujours intéressant de confronter la vision des dirigeants avec celles du personnel, des syndicats ou des usagers. Il ne faudra pas oublier non plus les internes, qui jouent un rôle fondamental aux urgences. Enfin, peut-être pourrions-nous aussi consacrer une analyse spécifique à la situation des enfants et au manque de pédiatres.

M. Laurent Somon . - Est-il prévu d'ouvrir un espace participatif sur le site du Sénat pour recueillir des témoignages ? On pourrait aussi aller dans des établissements qui vont bien pour voir comment ils ont résolu les difficultés. Enfin, notre commission ne devra pas oublier d'étudier la situation dans les outre-mer.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Certaines mission d'information, je pense à celle sur les infractions sexuelles par des personnes en contact avec des mineurs, ont ouvert un espace participatif. C'est envisageable.

Mme Marie-Christine Chauvin . - Je suis très attachée, comme notre rapporteure, à ce que nous regardions comment les choses se passent concrètement sur le terrain. La logistique n'est pas un détail : certains blocages peuvent véritablement empoisonner la vie à l'hôpital.

Si nous en avons le temps, il serait souhaitable que nous sortions des milieux hospitaliers pour nous pencher sur l'organisation de l'offre de soins sur le terrain - je pense au lien avec les médecins libéraux. Nous devons réfléchir à une organisation qui permette une meilleure prise en charge des patients.

Mme Nadia Sollogoub . - Je me réjouis, Madame la rapporteure, que vous ayez évoqué l'hôpital de proximité, qui est un concept assez nouveau. En milieu rural, on a expliqué aux patients qu'il faudra s'éloigner pour accéder à certaines spécialités. Cela impacte tout l'écosystème médical. De fait, les jeunes médecins généralistes peinent à s'installer s'ils ne peuvent pas transférer leurs patients et si les urgences à proximité fonctionnent de manière aléatoire. Je souhaiterais que nous analysions le fonctionnement des hôpitaux de proximité.

Mme Raymonde Poncet Monge . - Il est important d'entendre toutes les catégories de personnels pour que nous puissions comparer l'organisation prescrite et l'organisation réelle. De ce point de vue, il faudra que nous procédions à une sorte d'audit sur la manière dont les hôpitaux ont su s'adapter et se réorganiser pour faire face à la crise sanitaire.

Le retour au mode de fonctionnement habituel a engendré une grande frustration parmi les équipes - au reste, la responsabilité n'en est pas seulement imputable à la composante gestionnaire des hôpitaux. Il importe que nous tirions les enseignements de la crise pour formuler des propositions d'organisation.

Mme Marie Mercier , présidente . - On a travaillé en circuit court, avant de revenir à une organisation verticale quand la crise s'est un peu calmée. Cela dit, la cinquième vague nous fera peut-être revenir au circuit court...

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je suis d'accord avec Raymonde Poncet Monge : il faut tirer les enseignements de la crise, même si l'on sait que beaucoup de difficultés sont antérieures à celle-ci.

Je souhaite que nous nous livrions à une évaluation sans tabou des textes. Qu'est-ce qui, par exemple, a bien marché dans la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) ? En quoi a-t-elle été défaillante ? Nous devons dresser la liste des avancées, des facteurs de blocage et des effets pervers pour chacun des textes qui ont amené à l'organisation des soins telle qu'elle existe actuellement.

M. Jean Sol . - Je souhaite que l'on examine la pression que les tutelles exercent aujourd'hui sur les directions d'établissement.

Nous avons six mois pour travailler. C'est court, mais il faudrait s'intéresser à la situation à l'étranger, car le benchmark peut être source d'inspiration pour nos propositions.

Nous devrons étudier ce qui se passe effectivement sur le terrain, au-delà des grand-messes avec les équipes de direction des grands hôpitaux universitaires. Je pense que ce sont les acteurs qui nous aideront à poser un diagnostic et à élaborer des propositions réalistes.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je souhaite que nous auditionnions des personnalités extérieures aux milieux hospitaliers, de manière à entendre tous les points de vue.

Mme Marie Mercier , présidente . - Le 9 décembre après-midi, nous organiserons deux tables rondes, qui réuniront respectivement des représentants des praticiens et personnels soignants et des représentants des fédérations d'établissements de santé.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Le 16 décembre au matin, nous aborderons la question des urgences.

II. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Audition commune de représentants des praticiens
et des personnels soignants

(jeudi 9 décembre 2021)

Présidence de Mme Marie Mercier, vice-présidente

Mme Marie Mercier , présidente . - Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser notre président, Bernard Jomier, qui est actuellement souffrant.

Nous commençons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France par l'audition de représentants des praticiens et personnels soignants.

Nous recevons pour cette table ronde le docteur Jean-François Cibien, président d'Avenir hospitalier, le docteur Carole Poupon, présidente de la Confédération des praticiens des hôpitaux, le professeur Patrick Goudot, vice-président de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers, le docteur Véronique Hentgen, représentante du collectif Inter-hôpitaux et M. Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers.

J'indique que cette audition est retransmise en direct sur le site du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Mesdames, messieurs, je vous remercie de vous être rendus à notre convocation.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, les docteurs Jean-François Cibien, Carole Poupon et Véronique Hentgen, le professeur Patrick Goudot et M. Thierry Amouroux prêtent successivement serment.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je remercie à mon tour les intervenants présents.

Nous avons souhaité consacrer la première réunion de notre commission d'enquête à un échange avec des représentants des praticiens et des personnels soignants. Il nous paraissait important d'entendre d'emblée un témoignage sur la situation présente des équipes hospitalières, même si nous aurons bien entendu l'occasion, durant les prochaines semaines, de rencontrer de nombreux autres acteurs de l'hôpital et d'approfondir les sujets qui seront abordés aujourd'hui. J'ajoute que des contributions écrites peuvent nous être transmises.

Nous souhaiterions que chacun d'entre vous, dans une brève présentation introductive, formule ses principaux constats sur la situation actuelle de l'hôpital et les facteurs de tension qui affectent la prise en charge des patients et le fonctionnement des établissements.

Nous pourrons ensuite, au travers des questions, évoquer plus précisément les aspects liés à la charge de travail, aux capacités des services, à l'organisation de l'hôpital et à l'attractivité des carrières.

Docteur Véronique Hentgen, représentante du collectif Inter-hôpitaux . - Je vous remercie de nous avoir invités pour parler de l'hôpital public et exprimer le point de vue des patients et des soignants sur la crise que traverse l'hôpital.

Je m'exprime en qualité de membre du collectif Inter-hôpitaux, un collectif interprofessionnel et d'usagers créé en 2019 pour la défense de l'hôpital public. Je suis moi-même pédiatre hospitalier, exerçant depuis 2004 dans un centre hospitalier général à Versailles. Je suis accompagnée de Mme Marie Citrini, représentante des usagers à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), et de Mme Anne Solet, infirmière au centre hospitalier de Versailles, toutes deux membres du collectif.

La situation actuelle de l'hôpital public n'est pas rose. Après des années d'alerte sur la dégradation de la qualité et de l'accès aux soins, nous sommes dans une situation catastrophique. Le point de rupture est atteint.

La sécurité des patients est quotidiennement mise à mal, et les exemples de pertes de chances sont très nombreux. Cette situation est liée à un manque de lits et de personnels sur l'ensemble du territoire, qui inquiète, à juste titre, les hôpitaux, les élus et les journalistes. Aujourd'hui, nous ne sommes plus en mesure d'assurer la prise en charge des situations médicales courantes.

La première cause est le couple mortel formé par la tarification à l'activité (T2A) et l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Cela se résume à mes yeux à l'injonction de faire toujours plus avec toujours moins. Pour les soignants de terrain, la tarification à l'activité, associée à l'enveloppe fermée de l'Ondam, est responsable de la situation actuelle.

Cette tarification n'est pas adaptée pour prendre en charge les patients atteints de maladies chroniques ou de polypathologies. Ainsi, la prise en charge des patients vieillissants est délaissée par le secteur privé lucratif. De même, la quasi-totalité de la pédiatrie hospitalière est assurée par le secteur public, parce qu'elle n'est pas rémunératrice.

Le financement de l'hôpital public n'est donc plus en rapport avec les besoins de santé réels d'un territoire et ses dépenses réelles. Il en résulte une nécessité de réaliser des économies. Or, les économies se font majoritairement sur le personnel soignant, qui reste la principale variable d'ajustement.

Alors que des études scientifiques ont démontré que la mortalité des patients augmente dès qu'une infirmière doit s'occuper de plus de 6 patients de jour ou de nuit dans un service d'hospitalisation standard, dans nos hôpitaux, il n'est pas rare qu'une infirmière doive s'occuper de 16 patients en journée, et jusqu'à 24 la nuit. Dans ces conditions, la sécurité des patients ne peut plus être assurée, et l'on assiste aujourd'hui à des départs massifs de soignants, écoeurés par leurs conditions d'exercice.

La deuxième difficulté est, à nos yeux, la prise de décision déconnectée des besoins du terrain. Le fonctionnement de l'hôpital est fondé sur une prise de décision exclusive par un non-soignant, le directeur, en lien direct avec l'État. Notre impression est que les considérations financières priment toujours sur la bonne prise en charge des malades.

Malgré ces conditions de travail difficiles, les soignants ont jusque-là tenu grâce à leur fierté de participer à la santé publique et la reconnaissance liée à celle-ci. Avec le message selon lequel les questions financières sont plus importantes que le bon soin, cette motivation disparaît, et le personnel part.

Les médecins s'installent en libéral, sans permanence de soins. Les paramédicaux partent aussi dans le secteur libéral, où ils sont maîtres de leur temps et de leur pratique, ou alors ils changent carrément de métier.

Les soignants partent aussi en raison d'un espoir déçu. Les difficultés de l'hôpital public sont antérieures à la crise covid. En revanche, la crise covid a créé l'illusion que les dysfonctionnements avaient été pris en compte. Nous avions l'espoir qu'enfin nous pourrions retrouver notre métier selon les principes et valeurs qui nous l'ont fait choisir. Or le Ségur n'a apporté qu'une réponse partielle, financière et insuffisante à un problème beaucoup plus général.

Quelles sont les solutions, à notre avis ?

L'urgence absolue est de maintenir les personnels soignants actuellement en poste. Il faut absolument tout faire pour qu'ils ne partent pas. Il faudra ensuite donner envie aux étudiants de rejoindre l'hôpital, puis reconquérir les démissionnaires.

Le seul moyen pour y arriver est de rassurer les professionnels par des actes forts : fonctionner uniquement avec des équipes en nombre ; reconnaître les compétences spécifiques des soignants, en les laissant travailler dans les équipes correspondant à leurs compétences ; définir absolument un ratio soignants-patients minimal ainsi qu'un planning stable et décent ; refuser les alternances d'horaires de jour et de nuit ; assurer la formation des soignants ; remplacer systématiquement et à 100 % les absences pour congés maternité, maladie ou formation, ce qui veut dire que les équipes devraient être dimensionnées à 120 % de l'effectif cible pour permettre ces remplacements ainsi que les congés payés ; assurer un salaire décent, prenant en compte la pénibilité, notamment pour les périodes de travail qui empiètent sur la vie personnelle - week-end et nuit ; garantir une meilleure valorisation salariale des personnels ayant de l'expérience, celle-ci étant précieuse pour garantir la prise en charge, la qualité et la sécurité des soins ainsi que des formations spécifiques.

Pour terminer, je souhaite attirer l'attention de la commission sur le fait que l'hôpital public est l'épine dorsale de notre système de santé, un système de santé qui nous est envié, ou qui l'a du moins été jusqu'à peu encore par le monde entier. Si l'hôpital public s'effondre, tout le système de santé s'effondre. Le sauver est donc simplement un acte républicain.

M. Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers . - Je vous remercie d'avoir invité des professionnels infirmiers, car, souvent, infirmiers et aides-soignants se sentent peu écoutés.

La communauté hospitalière a été particulièrement interpellée par ce qui vient de se passer à l'hôpital de Brive, dont la direction s'est permis d'embaucher des comédiens pour tester les soignants en plein pic de covid. Cette situation a perduré pendant dix jours dans six services. C'est une illustration de la maltraitance institutionnelle que nous vivons au quotidien et de la remise en cause de nos compétences.

Depuis des années, nous alertons sur la situation de l'hôpital. Les services d'urgences, de psychiatrie, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les usagers se sont notamment mobilisés. En vingt ans, 95 services d'urgences ont été fermés, ainsi que la moitié des maternités, alors même que le nombre de naissances est stable.

Puis est arrivée la première vague covid. Nous avons alors été confrontés à une situation terrible, liée au manque de lits, notamment de réanimation, ainsi qu'au manque de matériel. Cela a conduit à un tri des malades et à une souffrance du personnel, avec beaucoup d'épuisement et de burn out .

La première fracture entre la technostructure et les soignants est intervenue après cette première vague. En effet, nous pensions vraiment qu'il allait y avoir un monde d'après, du moins pour la santé. Or, dès le 11 mai, nos bureaucrates sont revenus avec leurs petits tableaux de bord pour reprendre les plans d'économies là où ils les avaient laissés. Selon les statistiques du ministère lui-même, 5 700 lits ont été fermés en 2020. Nous sommes le seul pays au monde à avoir fermé des lits en période d'épidémie pour des raisons économiques.

La deuxième fracture a été le refus de reconnaître le covid comme maladie professionnelle pour les soignants qui en ont été victimes. Alors que 85 000 professionnels ont contracté le covid à l'hôpital et 55 000 dans les Ehpad, seuls 1 690 étaient reconnus par les caisses primaires au 26 novembre 2021.

La troisième fracture a été le Ségur, à l'issue duquel un certain nombre de soignants ont obtenu 183 euros mensuels, très loin des attentes des professionnels et en total décalage avec le salaire infirmier moyen européen, tandis que les oubliés ont eu le sentiment que d'autres soignants étaient considérés comme plus investis et méritants.

Cela a débouché sur une première vague de départs de soignants. Nous sommes passés de 7 500 postes d'infirmiers vacants en juin 2020 à 34 000 postes d'infirmiers et 24 000 postes d'aides-soignants vacants en septembre.

La quatrième fracture est intervenue en octobre, lorsque l'on a obligé des soignants testés positifs au covid à venir travailler alors que l'on demandait à l'ensemble des salariés français dans le même cas d'observer 7 à 10 jours d'évitement. Il était absolument contraire à notre déontologie de travailler auprès des patients hospitalisés, donc forcément fragiles, alors que nous nous savions contaminants.

La cinquième fracture a été la loi de financement de la sécurité sociale votée en décembre 2020, avec 830 millions d'euros d'économies imposées aux hôpitaux pour la performance interne ainsi que 215 millions d'euros pour structurer les parcours de soins efficients. Nous verrons combien de lits auront été fermés pour des raisons économiques en 2021.

Cela a entraîné une deuxième vague de départs d'infirmiers et de soignants depuis le 1 er juin 2021. En effet, les lits qui ont été fermés l'été pour permettre aux agents de partir en vacances n'ont pas pu être rouverts en septembre, faute de personnel. À l'AP-HP, qui représente 10 % de la fonction publique hospitalière, il y a eu, sur 17 500 postes infirmiers, 3 100 départs et 1 835 recrutements, si bien que 1 300 postes restent vacants. On voit bien que le point de rupture est atteint.

La dégradation continue des conditions de travail fait fuir les soignants, et leur fuite dégrade encore les conditions de travail : c'est un cercle infernal. Le fait de déplacer les soignants d'un service à l'autre comme des pions sur le planning entraîne une insécurité professionnelle. Une infirmière de cardiologie que l'on va par exemple affecter en réanimation effectuera chaque geste avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Nous sommes des êtres humains, et l'erreur est humaine.

Nous exerçons une profession à haut risque, car nous portons la plus grande responsabilité qui soit : celle de la vie d'autrui. Or le manque de personnel, de moyens, de repos, l'absence d'un cadre de travail correct peuvent devenir autant de sources d'erreur de la part de n'importe quel soignant.

Une infirmière est sans cesse sur le qui-vive : à côté des soins à faire, il faut répondre au téléphone, aux patients, aux familles, prendre des rendez-vous, brancarder, commander du matériel, aller chercher des résultats d'examen ou des médicaments à la pharmacie, demander aux services techniques d'intervenir, envoyer du matériel en maintenance, etc . Les infirmières sont épuisées. Or, on leur demande de venir travailler sur leurs jours de repos pour remplacer des collègues en arrêt maladie et de modifier régulièrement leur planning. Le risque d'erreur en est accru.

L'un des problèmes de la profession d'infirmière est la distance entre ce que nous sommes et ce que l'on nous demande de faire au quotidien. L'infirmière a besoin de penser son action ; elle n'est pas une simple exécutante d'actes techniques. Une infirmière hospitalière n'est pas une technicienne spécialisée dans une usine à soins. Elle est là pour prendre soin, accompagner, faire de la relation d'aide, de l'éducation à la santé, de l'éducation thérapeutique, pour que le patient soit acteur du soin. Nous déplorons une vraie perte de sens.

L'absentéisme est important - autour de 10 % -, car beaucoup de soignants sont laminés, broyés par le système. Leurs conditions de travail sont de plus en plus difficiles, car à chaque pic de covid-19 succède une période de suractivité liée au rattrapage de soins de tous les patients chroniques.

L'encadrement est, pour sa part, coincé entre le marteau et l'enclume. Dans un contexte de pénurie de personnel et de restrictions budgétaires, source de tensions entre la gestion et la clinique, la responsabilité du cadre de santé est de rechercher les conditions de sécurité et de qualité pour les patients et pour l'équipe. Au carrefour de tous les dysfonctionnements, le cadre doit gérer des injonctions de plus en plus paradoxales, et ce malgré le manque de reconnaissance de la direction, qui considère l'encadrement comme une simple courroie de transmission, chargée de gérer les plannings.

Nous sommes confrontés à un problème de transmission des savoirs : la transmission des acquis de l'expérience, le compagnonnage entre anciens et nouveaux sont fragilisés par le manque d'effectifs et la faible ancienneté de l'équipe. De plus, beaucoup de jeunes diplômés ne restent que quelques années à l'hôpital, puis se reconvertissent pour avoir de meilleures conditions de travail. C'est un vrai gâchis humain.

Docteur Jean-François Cibien, président d'Avenir hospitalier . - Outre mes fonctions électives, je suis praticien hospitalier au centre hospitalier d'Agen-Nérac.

Dans la lettre que nous avons adressée le 19 novembre 2021, Action praticiens hôpital (APH) a demandé un audit parlementaire en urgence pour contrer la déliquescence de notre système de santé à la française. La réponse à la question « Que voulons-nous comme système de santé en 2021 ? » se trouve dans ce courrier. Vous y trouverez des éléments de notre feuille de route pour la rénovation du système de santé pour un juste soin en tout point du territoire, en incluant les déserts médicaux, mais également et surtout l'outre-mer.

Votre question est simple : il faudrait qu'en cinq minutes je vous résume le pourquoi de cette déliquescence qui se préfigure depuis plus de trente ans et que je vous livre les solutions que nous proposons. Vous disposez déjà de nombreux rapports, dont ceux de la Cour des comptes, qui mettent toujours la focale sur les coûts, mais n'analysent jamais l'impact médico-économique d'une vie sauvée, sans parler du bonheur et du moral des familles et des équipes dans ce type de situations.

Toutes les contributions du Ségur, même si certaines se sont volatilisées sur le site du ministère, sont également consultables. Je vais donner le meilleur de moi-même, mais nous aurons besoin de plus de temps pour analyser certains points fondamentaux tels que l'Ondam ou l'évolution de la valorisation des salaires des praticiens et des soignants.

L'Ondam hospitalier est notoirement insuffisant, et nous pensons que sa modélisation correspond à un transfert de dettes de l'État vers les hôpitaux pour satisfaire à la règle européenne des 3 %. Ce manque de financement chronique, couplé à la T2A, a organisé le délitement hospitalier dans tous les sens du terme. Il a également entraîné une perte de valeur, responsable de la fuite massive de soignants qui a été évoquée.

Le Ségur raté, tant sur le plan social et humain que sur celui de la méthode, n'a pas arrangé la situation.

Ajoutez à cela un pilotage à vue des équipes de direction hospitalière, avec un intérim florissant et des soignants qui ne se retrouvent plus dans leur métier : vous disposez d'une grande partie des causes profondes de ce malaise, qu'il nous faut traiter sans plus attendre.

L'hôpital public est entré dans une course effrénée à l'activité et aux indicateurs de qualité, mais les soins prodigués sont-ils de qualité ? Sont-ils sécurisés ?

Nous avons montré que si les soignants reprennent le pouvoir, ils peuvent organiser l'hôpital en vertu d'une nouvelle rationalité. Permettez-moi de rappeler que les soignants, les praticiens hospitaliers et de ville et les acteurs du médico-social ont mis en place des solutions effectives et efficaces en quelques heures, sans l'intervention de l'administration, si bien que la première vague de covid n'aurait pas entraîné de surcoût. Cette réalité est, hélas, partie aux oubliettes.

Dans les années 1970, il y avait plus de 9 000 étudiants en médecine. En 1983, après l'introduction du numerus clausus , ils étaient moins de 6 000, contre environ 8 500 aujourd'hui. Les universitaires indiquent que l'on manque de place pour former des soignants. Une administration dotée des pleins pouvoirs ou presque, puisque, depuis la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST), le principe qui prévaut est qu'il ne faut qu'un pilote à bord, la féminisation de la profession, l'évolution des mentalités, en particulier des jeunes : telles sont les causes expliquant la situation actuelle.

Le catalyseur essentiel de cette alchimie de l'échec est toutefois la suradministration qui verrouille le système actuel. À cet égard, je vous renvoie à la gestion de la première vague de covid.

Je n'aborderai pas les six semaines du Ségur, que je me permets de qualifier d'« esbroufe ».

Il y a des méthodes qui gagnent, lorsque l'État met les moyens et les bonnes personnes au bon endroit. Rappelez-vous du plan Urgences : Pierre Mardegan nous a quittés, mais c'était un homme engagé pour la santé, un homme engagé en politique. Au travers de M. Mattei et des autres ministres qui l'ont suivi, dont Xavier Bertrand, il fait partie de ceux qui ont suivi le type de méthode qu'il faudrait appliquer.

Si l'on veut respecter l'Ondam à la lettre, peut-être faudrait-il arrêter de rembourser les patients ou cesser de payer les soignants une fois que le plafond est dépassé ? Lorsqu'un indicateur de pilotage devient un dogme qui est appliqué uniquement sur le rationnement de l'hôpital public, cela interroge. En 2005, le différentiel entre les montants alloués aux soins de ville d'une part, aux établissements de santé publics et privés d'autre part, était de l'ordre de 1,3 milliard d'euros. Ce delta a bondi dans les années 2000, pour atteindre 11 milliards d'euros.

Il manque 150 milliards d'euros dans le budget hospitalier sur les quinze dernières années. L'hôpital public est devenu une usine à soins qui a perdu son âme dans le tout-T2A à la sauce HPST. Son déficit n'est à nos yeux qu'un transfert de dettes de l'État vers les établissements de soins insuffisamment financés pour remplir leur mission.

L'État doit prendre en charge cette dette. En tout état de cause, il devrait réévaluer le budget hospitalier a minima et immédiatement de 15 milliards d'euros par an.

Il faudrait aussi prendre en compte l'évolution des coûts de certaines prises en charge.

Vous auditionnerez tout à l'heure un élu responsable d'une fédération, qui, comme d'autres, prétendra vous expliquer le terrain sans jamais avoir mis la main à la pâte.

Continuons avec ce type de fonctionnement lobbyiste et passéiste ; continuons, dans un monde ultralibéralisé, à s'étonner des coûts d'une pénurie organisée ; continuons à opposer la ville et l'hôpital comme l'université au reste du monde ; ou alors changeons de paradigme, pour allier économie de santé et bienveillance et ouvrir les champs des possibles.

Je vous ai transmis les salaires des praticiens hospitaliers en fonction de leur ancienneté. N'oubliez pas que nous avons 48 heures d'obligation de service, avec un total déclaré sur nos fiches de paye de 151,61 heures alors que la plupart d'entre nous en faisons 186,59. Autrement dit, 20 % de notre temps de travail n'est pas valorisé.

Nos collègues soignants viennent travailler deux à trois week-ends par mois, pour un salaire horaire de 47,27 euros. Lorsqu'ils travaillent la nuit, ils n'ont qu'un euro de majoration de salaire. Leur coefficient de majoration des heures supplémentaires est de 1,26, sachant que, dans le privé, les soignants bénéficient d'une majoration de 25 % de 39 à 43 heures et de 50 % de 44 heures à 48 heures.

En France, on estime qu'environ 80 % des praticiens qui travaillent au-delà de 48 heures n'ont pas signé de contrat, alors que c'est la loi. Nous avons même un coefficient de minoration, en vertu duquel nous sommes payés de manière forfaitaire au-delà de 48 heures en dessous de notre salaire de base. C'est là le french hospital paradox.

Avant les années 2000, les libéraux participaient bénévolement à la permanence des soins. Depuis, la charge de cette permanence des soins incombe à l'hôpital seul.

En conclusion, le malaise des soignants et des praticiens explose du fait d'une gouvernance focalisée sur l'activité, mais à quel prix sur le plan humain et en termes de qualité et de sécurité des soins ? Nous n'avons jamais été aussi nombreux à être formés, mais beaucoup trop de soignants ne sont plus dans le soin. Les mentalités sont en train de changer, en particulier chez les plus jeunes, davantage soucieux de l'équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle.

Nous proposons une action forte et centrée sur une méthode nouvelle pour défendre un acquis régalien et construire un système de santé intégré et adapté aux besoins de nos concitoyens en tout point du territoire. Nous proposons un changement de paradigme et une coconstruction du projet, pour le bien-être de tous.

Je pense à nos étudiants et aux internes qui pourraient être formés en France, à mes collègues universitaires et chercheurs, à toutes celles et tous ceux, en ville, dans le médico-social comme à l'hôpital, qui méritent toute votre attention pour que nous passions des applaudissements ou des médailles aux actes pour un système de santé digne de la France et de ce pilier de la République qu'est la santé.

Docteur Carole Poupon, présidente de la Confédération des praticiens des hôpitaux . - Je vous remercie de nous donner l'occasion de nous exprimer sur la situation de l'hôpital.

Action praticiens hôpital chapeaute deux intersyndicales, Avenir hospitalier et la Confédération des praticiens des hôpitaux, qui rassemblent des syndicats de toutes les spécialités médicales. Nous avons bien entendu des revendications communes à tous ces syndicats constitutifs. Elles visent à restaurer une réelle attractivité de l'hôpital, car, comme cela a été expliqué, le personnel médical est en train de disparaître de l'hôpital.

Nous avons déposé les propositions que je vais vous présenter au cabinet du ministre le 23 novembre. Nous n'avons eu aucun retour.

Parmi les revendications communes figurent la remédicalisation de la gouvernance, la revalorisation de la permanence des soins à sa juste hauteur, la reconnaissance du temps de travail, la reprise des 4 ans d'ancienneté pour le reclassement dans la nouvelle grille de tous les praticiens hospitaliers nommés avant le 1 er octobre 2020 et le rétablissement d'un vrai dialogue social.

Il y a également des revendications spécifiques à chaque spécialité : je vais m'efforcer de les balayer rapidement.

Les pédiatres demandent un réel parcours et une prise en charge correcte des patients atteints de pathologies chroniques, un accueil des enfants présentant des problèmes psychologiques, un accueil des enfants en urgence et une attention particulière à la gestion des pathologies hivernales, qui est catastrophique.

Les gynécologues-obstétriciens alertent sur les départs importants de praticiens en raison de la pénibilité non reconnue des gardes et des astreintes et sur le découragement dû à la caricature systématique de la gynécologie obstétrique comme une pratique violente. Ils expriment leur refus de devenir des prestataires de services en salle de travail.

Les anesthésistes-réanimateurs insistent sur les difficultés liées à la permanence des soins et sur l'importance de la prise en compte de la pénibilité. Ils demandent une revalorisation des rémunérations, une mesure du temps de travail en continu de droit pour les services à permanence de soins, la définition du temps de travail d'un praticien hospitalier à 40 heures et la sanctuarisation de l'anesthésie-réanimation. Ils insistent sur l'importance de la formation continue et de la santé au travail.

Les psychiatres demandent que beaucoup d'argent soit réinjecté dans la psychiatrie de secteur, que les réorganisations d'hôpitaux qui aboutissent à la création d'unités par pathologie soient stoppées, de même que les fermetures de lits, avec ou sans covid. Ils sollicitent également une modification de la formation des infirmiers en psychiatrie et le retour des internes dans les centres hospitaliers spécialisés (CHS).

Les biologistes médicaux, dont je fais partie, souhaitent alerter sur le poids considérable que représente l'accréditation pour la biologie hospitalière. Les biologistes médicaux ne font plus leur métier depuis une dizaine d'années, car ils passent leur temps à répondre à cette obligation d'accréditation, dans un contexte où les moyens manquent, en termes de ressources humaines comme de matériel.

Les gériatres insistent sur la nécessité de revoir la gouvernance et de résoudre le problème de démographie médicale. Ils soulignent les problèmes liés aux fermetures de lits, à une vision centrée sur les finances, et non sur les soins, et à la non-reconnaissance de la souffrance au travail.

Les pharmaciens hospitaliers se sont vu confier des missions supplémentaires, mais pas les moyens correspondants. Ils disposent de moyens insuffisants pour développer la pharmacie clinique. Par ailleurs, de moins en moins de pharmaciens hospitaliers souhaitent siéger dans les instances des établissements, parce qu'ils sont épuisés.

Les hospitalo-universitaires demandent que les émoluments hospitaliers soient pris en compte dans le calcul de leur retraite. Les statuts sont certes en cours de révision, mais les choix retenus ne correspondent pas à ce qui était demandé. Enfin, il manque des enseignants pour encadrer les étudiants et on n'utilise pas assez les compétences des centres hospitaliers non universitaires.

S'agissant de nos collègues d'outre-mer, un travail a été engagé en février 2020 par le ministère des solidarités et de la santé et le ministère des outre-mer, mais il n'a pas du tout abouti.

Nous demandons une audition complémentaire de chacune des spécialités médicales, car je pense que chacune a quelque chose à apporter à la commission d'enquête.

Professeur Patrick Goudot, vice-président de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH) . - Je vous remercie d'avoir invité l'INPH à participer à cette commission. Je représente également le syndicat hospitalo-universitaire (SHU), composante de l'INPH.

Je voudrais vous lire deux courriels que j'ai reçus cette semaine.

Le premier a été rédigé par un praticien hospitalier qui travaille dans un bloc opératoire comportant trois salles : « Nous refaisons le point ce matin avec la cadre sur les ouvertures des salles en fonction des infirmiers de bloc opératoire (Ibode) disponibles. Pour aujourd'hui, la salle 3 doit fermer impérativement à 13 heures. Pour ne pas supprimer de patients dès ce matin et voir en fonction de l'évolution dans la journée des durées opératoires, nous passons M. Untel en salle 1, Mme Untel en salle 3 - sachant que, si les blocs sont plus longs que prévu, il nous faudra reporter dans la journée. Pour mardi et mercredi, a priori pas de problème. Pour jeudi, même scénario qu'aujourd'hui avec la salle 3, qui ne pourra peut-être pas ouvrir du tout. On refera le point demain. Pour vendredi, nous nous orientons vers une seule salle ouverte sur trois. Je propose donc que nous fassions un point demain soir, en staff, etc . L'intérim est de plus en plus difficile à obtenir et tout le monde voit bien que nos Ibode qui s'accrochent encore vont finir par lâcher prise. »

Le deuxième courriel provient d'un chef de service de pharmacie : « Nous sommes confrontés au niveau pharmacie à une crise sans précédent sur le plan des ressources humaines. Depuis le lundi 29 novembre 2021, nous avons réduit le périmètre de nos activités dans les services cliniques. Le Ségur de la santé, en ne donnant pas aux préparateurs les mêmes avantages que leurs homologues soignants, a contribué à un malaise croissant au sein de leur groupe professionnel. Même si, localement, nous nous sommes attachés à essayer par tous les moyens de valoriser et fidéliser ces professionnels de santé précieux, les recrutements se font rares, concurrencés par les propositions du privé sur lesquelles il nous est impossible de nous aligner tant sur les conditions de travail que sur les salaires. Ce phénomène se retrouve dans tous les hôpitaux publics, mais apparaît d'autant majoré que notre effectif de départ était réduit au regard de la mission assurée sur notre établissement. Depuis un certain nombre d'années, le déploiement des préparateurs dans les services a été réalisé en effet à moyens quasi constants malgré l'augmentation d'activité. »

Hier, un cadre de santé d'Île-de-France m'a appris que, dans son établissement, on envisageait de faire disparaître 100 postes de soignants, y compris en psychiatrie, officiellement en raison du financement des mesures du Ségur, ce qui est un peu bizarre.

Tout le monde a évoqué les démotivations des personnels, vague de covid-19 après vague de covid-19. Souvenez-vous combien la première vague avait suscité d'allant, de détermination et d'esprit de sacrifice chez chacun - y compris chez ceux qui avaient « quitté la boutique » -, ce qui nous valait des applaudissements. Cet enthousiasme, douché, a disparu.

J'ai démissionné de mes fonctions de chef de service le 31 décembre 2018, après dix-sept ans de chefferie de service et un an après la grande vague de démissions des responsables de structure, en raison du décalage entre ce qu'était le projet du service et la réponse que j'obtenais de l'administration. Vous avez peut-être également vu l'appel de 670 d'entre nous, médecins de l'AP-HP, paru aujourd'hui dans Le Monde et adressé au Président de la République.

Pourquoi cela, malgré le Ségur ? Nous espérions que le Ségur résoudrait tous les maux. En septembre 2020, notre présidente, Rachel Bocher, écrivait : « ce protocole d'accord avec le Gouvernement n'est qu'un point de départ et marque le début de la refondation des hôpitaux publics. » Naïve qu'elle était - mais nous la connaissons tous, elle est optimiste ! Nous avons cru que l'hôpital d'après ne serait pas comme l'hôpital d'avant. Non, il n'est pas comme avant : il est pire !

Nous sommes en réalité face aux conséquences d'une spirale négative, qui a été mise en exergue par le covid-19, après l'alerte des collectifs Inter-urgences et Inter-hôpitaux qui avait précédé la pandémie. Cette situation a conduit à la démission de nombreux praticiens, y compris dans nos rangs hospitalo-universitaires, avec toutes les conséquences que cela représente en matière de formation, de recherche, etc .

La question salariale est très importante, mais insuffisante si l'on se réfère au classement des salaires du personnel soignant au sein de l'Union européenne. Nous sommes passés des mauvais à la moyenne.

Il y a quelques années, le personnel n'était pas mieux payé, ce qui était déjà très déplorable, mais il ne partait pas. Même si la durée de l'exercice professionnel des infirmières a toujours été courte, de quatre à cinq ans, nous trouvions le personnel. Actuellement, des étudiants partent en cours de formation.

Qu'est-ce qui a changé ? Les effets délétères de la loi HPST ont été évoqués. S'y ajoute une gouvernance déséquilibrée, qui a instauré l'ère des chefs en tout genre : les chefs administratifs, mais aussi, parmi nous, les chefs de pôle. Les pôles ont constitué une catastrophe et un outil de dissension extraordinaire ! Citons aussi une logique économique inadaptée, appuyée sur la notion d'« hôpital entreprise ». Je ne suis pas sûr que les gens qui franchissent la porte de nos hôpitaux se considèrent comme des clients.

Tout cela a conduit à une réduction des équipes en personnels, en moyens, en lits, dans un environnement immobilier qui s'est beaucoup dégradé, malgré quelques magnifiques réalisations modernes ou quelques réfections de services - installations de cloisons pour isoler des boxes, par exemple - à la durée de vie limitée.

S'ajoute à cela la doxa de l'ambulatoire, qui a été très mal préparée. Les textes concevaient l'ambulatoire en cohérence avec le milieu médical habituel du patient et prévoyaient une préparation de la sortie par le médecin traitant. Or rien de tout cela n'existe. La création de l'ambulatoire a surtout permis de fermer des lits et des secteurs, en dehors de toute logique de parcours de soins.

Nous avons espéré que l'hôpital d'après serait différent de l'hôpital d'avant. Ce n'est pas vraiment ce qu'il s'est passé. De plus, l'hôpital n'est pas au coeur de notre système de santé. Le système de santé, c'est le médecin traitant. Sans lien entre le médecin généraliste et l'hôpital, nous n'y arriverons pas. Or l'époque où les généralistes venaient voir leurs patients à l'hôpital est désormais révolue. Ce lien n'existe plus.

Ces tuyaux d'orgue ne font pas du son en harmonie. Or l'on ne peut traiter de l'hôpital sans parler de prévention, donc de pollution, de médecine scolaire - complètement à l'abandon -, de médecine universitaire et de médecine du travail, à l'hôpital et ailleurs. La question des déserts médicaux constitue par ailleurs un sujet en soi.

Il faut une coordination entre les tuyaux d'orgue, notamment entre le public et le privé. La première vague du covid-19 a été une démonstration flagrante de l'absence de coordination entre hospitalisation publique et hospitalisation privée. Il a fallu des semaines pour s'apercevoir que les établissements privés avaient les moyens d'aider les établissements publics. Or les agences régionales de santé (ARS) avaient fermé des cliniques, leur interdisant d'opérer ! Les anesthésistes attendaient, le doigt sur la couture du pantalon, que l'on veuille bien leur confier des patients qu'ils étaient capables de prendre en charge. Nous avons tendance à oublier que tous ceux qui travaillent dans le privé ont été formés dans le public, et que certaines personnes travaillent dans les deux secteurs.

Une absence complète de coordination s'observe également entre le médical et le médico-social. L'hospitalisation est une rupture brutale dans le parcours de soins des patients. Comment passer d'un système à l'autre ? Comment éviter l'hospitalisation ? Comment faire passer l'information de l'état du malade avant son hospitalisation vers l'hôpital ? C'est toute la question que pose le dossier médical partagé (DMP).

Il faut aussi tenir compte des sorties qui ne se font pas du fait de l'absence de structures d'aval et de l'isolement des patients. Pour avoir exercé mes fonctions de professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) à Montpellier et à Paris, j'ai été frappé de constater que, si, à Montpellier, de nombreuses personnes hospitalisées, pourtant de condition modeste, bénéficiaient d'une solidarité locale tenant à une présence familiale importante, à Paris, les gens, notamment les personnes âgées, étaient très isolés.

Or, s'ils sont bien traités dans les hôpitaux, parce que chacun en fait plus qu'il ne peut en faire alors que nous sommes « à l'os », le retour à domicile est franchement impossible. Ils restent donc dans les lits hospitaliers, pour un coût très élevé. Rien n'est conçu pour leur permettre de trouver un hébergement d'aval digne de ce nom capable de les prendre en charge. C'est là toute la place des assistantes sociales et des aidants. Nous ne pouvons limiter notre réflexion aux seules personnes qui ont des diplômes. Les aidants jouent un rôle considérable dans la prise en charge des patients et le parcours hospitalier.

La question du financement du système reste posée. Finalement, c'est d'une politique de santé que nous avons besoin, non seulement d'une politique de soins.

Mme Marie Mercier , présidente . - Merci de vos témoignages. Nous avons tous un sentiment de tristesse, teinté d'amertume, doublé d'une sensation de gâchis.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Merci de vos présentations, qui nous aideront pour l'établissement de notre rapport.

Merci, Monsieur le professeur Goudot, d'avoir resitué l'objet de notre commission d'enquête : il s'agit d'étudier les difficultés intrinsèques de l'hôpital, au moyen notamment d'une évaluation indispensable de la loi HPST et de tout ce qui l'a suivie, mais aussi de placer l'hôpital dans ce qui devrait être ses missions essentielles. En effet, arrivent et restent à l'hôpital des patients qui devraient être pris en charge ailleurs, ce qui soulève également le problème de la permanence des soins en ville.

Les vacances de postes concernent-elles toutes les catégories de soignants, ou certaines sont-elles plus touchées que les autres par ce problème, selon les spécialités ?

Avez-vous des propositions pour réduire la part croissante, déplorée par beaucoup, du temps consacré aux tâches administratives au détriment du soin ?

Nous étudierons également l'impact du Ségur de la santé sur l'hôpital.

L'allègement des procédures décidé en urgence au plus fort de la crise pourrait-il perdurer, de façon à permettre un meilleur fonctionnement ?

Un anesthésiste disait il y a un an à la commission d'enquête consacrée à la gestion de la crise sanitaire, que présidait Alain Milon : « Au début, nous avons manqué de masques. Maintenant, nous manquons d'enthousiasme. » Or, depuis lors, l'enthousiasme est encore allé decrescendo.

Docteur Jean-François Cibien . - Lorsqu'il faut nous organiser pour sauver nos concitoyens, nous le faisons. Dans le Lot-et-Garonne, nous avons pu nous organiser immédiatement avec les médecins libéraux, qui sont venus renforcer la régulation dans la préfiguration du service d'accès aux soins (SAS).

Commençons à diluer les missions des uns et des autres. La France est le seul pays au monde dans lequel le transport sanitaire est géré par trois ministères. Les ambulanciers des structures mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR), qui ont proposé des organisations ayant permis de sauver des vies lors de l'attentat du Bataclan, sont toujours considérés comme relevant de la catégorie des parcs et jardins, non de celle des soignants !

Il faut faire attention également à l'effet domino des lois votées sur la stabilité des organisations qui ont été mises en place à partir des bonnes volontés, et avec bon sens, sans l'administration. Nous sommes là non pas pour gérer l'activité, mais pour gérer une mission. La question qui se pose est de savoir quelle mission nous voulons pour l'hôpital. Les soignants, les praticiens, les universitaires et les internes ainsi que des collectifs comme le collectif santé en danger (SED) fédèrent le soin - la vie de l'hôpital et du médico-social. Il faut un véritable projet de vie pour nos concitoyens et pour nous.

Si l'on travaille 80 à 90 heures par semaine et 2 900 heures sur une année pendant trois à quatre ans, on laisse ses proches et sa santé de côté. Or la médecine du travail est absente de plus de la moitié des établissements de santé. Nous avons demandé à la direction générale de l'offre de soins (DGOS) de traiter cet axe en priorité, mais rien n'a été fait.

On recense 30 % de postes de praticiens hospitaliers vacants, et ce pourcentage va jusqu'à 40 % dans certaines spécialités, dont l'anesthésie-réanimation. L'intérim flambe. La question se pose donc de savoir si trop de structures sont ouvertes. Il faut trouver un juste milieu, un équilibre, entre proximité, qualité et sécurité des soins. Mais il faudra aussi faire entendre à une certaine frange de la population que toutes les structures ne peuvent rester ouvertes 24 heures sur 24 avec une sécurité suffisante et sans risquer de perdre le sens de l'humain, qui est au coeur de notre métier. Nous ne sommes pas des machines.

Le système français, qui était solidaire autour de la santé, est désormais solidaire sur le côté social. Des aides pourraient nous être apportées dans la réalisation de nos tâches administratives, comme cela se fait dans certains pays. Cela représenterait un surcoût, mais nous pourrions ainsi nous concentrer sur nos coeurs de métier, et la Nation y gagnerait.

M. Thierry Amouroux . - La France comptabilise 5,9 lits pour 1 000 habitants, contre 8 en Allemagne. De trop nombreux lits ont donc été fermés, au détriment de la réponse aux besoins de santé de la population. De plus, la France compte 10 infirmières pour 1 000 habitants, contre 13 en Allemagne. Cette dernière recense, en outre, un tiers de personnels administratifs en moins.

Pendant la première vague, les soignants ont repris le pouvoir à l'hôpital, car les administratifs étaient en télétravail. Il faut remobiliser et utiliser l'encadrement infirmier. Les directions doivent laisser l'encadrement redonner du sens aux actions entreprises afin de s'affranchir du carcan administratif, mobiliser les compétences pour résoudre les problèmes, et donner plus de libertés aux soignants pour les responsabiliser. Nous avons besoin d'un encadrement qui soit force d'adaptation et d'anticipation, dans une dynamique collective basée sur les compétences des professionnels de santé.

Il est plus facile de combler les vacances de postes de soignants que celles des postes de médecins. En effet, si 60 000 postes infirmiers sont vacants, nous savons que 180 000 infirmières ayant cessé d'exercer ont encore l'âge de le faire. Il faut donc se demander comment faire revenir au moins un tiers d'entre elles. Pour y parvenir, il faut créer des postes présentant une charge de soins compatible avec la qualité des soins.

Les recommandations internationales font état d'un ratio soignant-soigné de 6 à 8 patients par infirmière, selon les pathologies. En France, on en est très loin ! Il n'est pas surprenant que les infirmières ne posent pas leur candidature pour un poste impliquant une infirmière pour 15 à 20 patients. Nos professions ont des valeurs. Nous n'irons pas n'importe où, faire n'importe quoi, au risque de mettre les patients en danger.

Une étude menée sur 300 hôpitaux de neuf pays européens montre que chaque patient ajouté à la charge de travail quotidienne d'une infirmière en chirurgie augmente les décès de 7 %. Une autre analyse conduite en Angleterre souligne que, lorsque le nombre de patients dont une infirmière a la charge passe de 10 à 6, la mortalité diminue de 20 %. Des études portant sur certaines régions d'Australie et de Californie montrent enfin qu'une augmentation de la dotation infirmière est rentabilisée en quatre ans par la diminution de la durée de séjour, des réadmissions, de la morbidité, des erreurs médicales et du roulement du personnel infirmier.

Il ne s'agit donc pas d'opposer, d'un côté, les bons gestionnaires et, de l'autre, ceux qui demandent de la qualité. Si l'on fait de la qualité, le coût de la pathologie pour l'assurance maladie diminue. C'est comme cela que nous pourrons faire revenir des soignants.

Se pose aussi le problème du salaire. Avant le Ségur de la santé, le salaire des infirmières était inférieur de 20 % au salaire infirmier européen. L'augmentation de 183 euros nets par mois issue du Ségur a réduit cet écart à 10 %. Le Gouvernement dit qu'il fait un effort, mais ce que voient les soignants, c'est qu'ils continuent à être exploités et sous-payés ! S'ils vont en Suisse ou au Luxembourg, leur salaire est doublé.

Il faut également reconnaître la pénibilité du métier d'infirmier. La loi Fillon portant réforme des retraites de 2003 prévoyait une bonification d'un an, tous les dix ans, pour les professionnels infirmiers. Mais la réforme présentée par Mme Bachelot en 2010 ne comportait pas de reconnaissance de la pénibilité de leur métier. Or les études de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) montrent que l'espérance de vie d'une infirmière pensionnée par la CNRACL est de 78 ans, contre 85 ans pour une femme en France - soit sept années de vie en moins ! De plus, 20 % des infirmières et 30 % des aides-soignantes présentent un taux d'invalidité une fois parvenues à la retraite. La communauté nationale doit donc prendre en compte la pénibilité des métiers d'infirmière et d'aide-soignante, du public comme du privé, d'autant que la cassure entraînée par l'âge provoque des arrêts de travail en fin de carrière, qui augmentent les problèmes de planning.

Professeur Patrick Goudot . - La gestion à court terme effectuée par ceux qui tiennent la bourse de nos établissements - et qui font parfois leur carrière sur leur capacité à diminuer leur dette éventuelle - coûte en réalité très cher, notamment en raison du glissement de tâches qui fait que l'on voit, par exemple, des cadres pousser des chariots de dossiers.

Qu'est-ce qui explique que des praticiens bien installés ou que les plus jeunes se tournent vers le privé plutôt que de rester dans nos hôpitaux publics ? Il ne s'agit pas tant d'une question de rémunération. La question est de savoir si les soignants disposent, ou non, de personnes autour d'eux pour les aider - secrétaires, infirmières au bloc opératoire - et leur permettre de se consacrer à leur métier. Les conditions de travail constituent en effet la première raison du mal-être des soignants.

Un deuxième sujet, dont on parle peu, est essentiel : la fonction de formation de nos hôpitaux. Toutes les structures hospitalières ont désormais un rôle de formation. Or comment peut-on former les plus jeunes quand on n'a pas de temps à leur consacrer ? C'est impossible ! Les personnes qui partent dans le privé tirent donc un trait sur ce qu'elles ont vécu comme une souffrance, et souhaitent bénéficier d'un environnement plus favorable, où le travail d'équipe est possible. Or comment travailler en équipe quand chacun est débordé par des tâches qui ne sont pas de sa compétence ?

La taille de nos équipes constitue également l'un des défauts de notre système hospitalier. Trop de services comportent seulement un chef de service, deux médecins, éventuellement un interne, un cadre et une équipe d'infirmières et d'aides-soignantes dont la dimension est tellement petite que tout le système tombe à la première absence.

Une organisation plus large est donc nécessaire, mais qui ne soit pas polaire. Le pôle, composé de choux et de carottes, n'a aucun sens - sauf les pôles uniques, comme en radiologie, où les gens se soutiennent naturellement mutuellement, car ils font le même métier.

Le problème est que plusieurs projections s'opposent. Nous travaillons sur des projets qui courent sur cinq à dix ans. Or nous avons face à nous quelqu'un qui s'est donné pour objectif de rattraper ce qui avait été fait par son prédécesseur et doit « serrer encore davantage la vis », car on le lui demande et son avancement en dépend. Nous voudrions oeuvrer à la promotion des plus jeunes pour les inciter à rester, faire en sorte qu'ils progressent et mieux les former, mais nous ne remplissons pas notre tâche d'une façon optimale.

Docteur Véronique Hentgen . - Je souhaite revenir sur le rôle et les missions de l'hôpital public. L'hôpital public est le seul endroit où tout le monde peut être accueilli. C'est un bien commun, fondateur d'égalité. C'est pour cette raison qu'il faut le sauver.

Les problèmes d'organisation avec la médecine de ville varient d'un territoire à l'autre. Dans la grande couronne parisienne, où je travaille, nous avons organisé des filières de soins avec la médecine de ville, notamment avec les pédiatres. Or ils nous disent que l'hôpital n'existe plus, qu'ils sont orphelins, et qu'ils ne savent plus prendre en charge les enfants faute de pouvoir les envoyer, en cas de nécessité, vers des structures spécialisées. Ces enfants restent donc, comme partout en France, sur des brancards aux urgences.

Je suis également médecin responsable d'un centre de références maladies rares (CRMR). L'organisation des maladies rares en filières a très bien fonctionné. Nous avons appris à utiliser les justes ressources à l'endroit où elles se trouvaient. Chaque malade peut donc être suivi en proximité et ne vient que ponctuellement au centre de références. Or même cette mission de référence n'est plus tenable. En effet, dans mon service de pédiatrie générale de Versailles, nous allons au feu pour essayer d'absorber le problème des urgences entraîné par les fermetures des lits.

Le nombre de lits d'hospitalisation de mon service - 32 lits pour tout le territoire des Yvelines Sud - n'a pas changé depuis mon arrivée. Or, si nous ne faisions initialement que de l'aval des urgences, nous avons développé depuis lors de la médecine spécialisée - diabétologie pour l'enfant, neurologie pédiatrique, maladies rares auto-inflammatoires. Pourtant, aucun lit n'a été ouvert.

La pédopsychiatrie, en grande souffrance, a ouvert 4 lits sur les lits de pédiatrie. Malgré cela, on nous demande de faire toujours plus avec toujours moins. Or nous n'y arrivons plus. Nous ne répondons plus au téléphone ni à nos correspondants de ville, faute de temps. C'est cela, le problème principal. La sécurité des soins est vraiment en jeu, pour toute la filière, parce que l'hôpital public ne peut plus répondre aux besoins.

Mme Nadia Sollogoub . - Pouvons-nous espérer faire revenir quelques-uns des infirmiers ayant cessé d'exercer ?

Formons-nous vraiment assez de jeunes médecins pour que le manque de médecins soit comblé dans dix ans ?

Est-il vrai que nous manquons de professeurs de médecine ? Ce problème est-il traité ?

Le contrat de clinicien hospitalier est-il satisfaisant ? Doit-il perdurer ?

Que pensez-vous du principe de l'hôpital de proximité ? A-t-il fait ses preuves ?

Mme Laurence Cohen . - J'éprouve un sentiment de colère en voyant que vos revendications ne sont toujours pas entendues dans nos hémicycles, car nous votons les budgets et leur insuffisance donne à réfléchir.

La logique de la primauté de l'administratif sur le médical dans la gouvernance des hôpitaux, qui découle de choix politiques - on a décidé que les administratifs dirigeraient l'hôpital pour répondre aux injonctions des gouvernements et faire des économies - ne mériterait-elle pas d'être mise à mal ?

Par ailleurs, une amélioration des conditions de travail favoriserait la réalisation du tutorat et de la formation continue dont les personnels de l'hôpital public bénéficiaient auparavant, ce qui encouragerait d'éventuelles candidatures.

Les établissements manquent en outre de budget pour répondre aux demandes de formation interne des aides-soignantes désireuses de devenir infirmières. Or il serait plus facile, et plus efficace, de former ces personnels que d'en recruter de nouveaux.

Pensez-vous qu'il serait utile de revenir sur la suppression de l'obligation de garde pour la médecine de ville, induite par la « réforme Mattei », pour débloquer la situation ?

Enfin, l'hôpital de proximité a toujours été important dans les territoires, mais il a été « cassé ». Les grands centres hospitaliers, censés fédérer les moyens, aspirent en réalité les énergies et ne règlent pas le problème des déserts médicaux. Il faut à nouveau redonner des moyens à l'hôpital pour être au plus près des patients.

Mme Sonia de La Provôté . - Le constat est lourd, et la situation tellement complexe que l'on ne sait pas par quel bout prendre les choses.

L'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) est, pour nous, la principale occasion de discuter de santé en séance publique. Cette priorité budgétaire crée un biais dans les politiques publiques de santé en France, lequel s'est traduit dans la gestion hospitalière.

Le contrôle et la suradministration, en entraînant tout un tas de process qualité et de référentiels, ont conduit à rogner sur le temps médical. On voit bien que, ces trente dernières années, la disponibilité des médecins à l'hôpital a diminué. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

On a justifié le virage ambulatoire par la volonté de lutter contre les maladies nosocomiales et par le souci de garder les patients le moins longtemps à l'hôpital. Or, compte tenu des fermetures de lits qu'il a engendrés, on se demande si le virage ambulatoire n'était pas un faux-nez de décisions budgétaires. Il aurait peut-être mieux valu que l'on se pose la question de la démographie médicale en aval... De fait, la prise en charge sanitaire est moins bonne pour le patient rentré à son domicile, alors que le risque de complications liées à l'intervention hospitalière est le même. Quel regard portez-vous sur cette question de l'ambulatoire ?

Enfin, je veux évoquer le statut et les rigidités de la fonction publique, mais aussi des métiers de la santé. Les infirmiers de bloc opératoire ne sont toujours pas reconnus comme ils le devraient. Il en va de même pour les infirmiers en pratique avancée, les infirmiers en psychiatrie, dont on a cruellement besoin, ou encore les infirmiers anesthésistes. Les rigidités empêchent de mettre en place les compétences là où elles seraient utiles.

Mme Raymonde Poncet Monge . - On a évoqué le couple infernal que constituent l'Ondam et la tarification à l'activité.

La T2A est-elle un outil adapté à la pandémie des maladies chroniques ? De fait, l'hôpital, en France, n'a pas seulement vocation à prendre en charge les soins aigus, pour lesquels il est très efficient.

Cela rejoint ce que vous avez dit, Monsieur le professeur Goudot, sur la place de la prévention et sur le périmètre de la politique de santé, qui doit également inclure la prise en charge des maladies chroniques, et non seulement le soin.

M. Alain Milon . - L'ensemble des propositions qui ont été faites me semblent logiques et admissibles. Je vais tout de même poser une question qui risque de hérisser le poil.

Je veux revenir sur l'histoire de la sécurité sociale. En 1945, les lois sur les différentes branches ont été mises en place. Elles n'ont pas trop mal marché, tout au moins jusque dans les années 70, où l'on s'est aperçu qu'il y avait un « trou » dans le budget de la sécurité sociale. Le Premier ministre de l'époque, Raymond Barre, a alors mis en place la politique conventionnelle, tout au moins avec la médecine de ville. Cela a permis de rétablir les comptes.

L'Ondam, que l'on critique tant actuellement, est apparu dans la loi de 1995. Je rappelle qu'il s'agissait, au départ, d'un objectif, et non d'une obligation. Or, progressivement, les gouvernements successifs en ont fait une obligation dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale - vous savez que le Parlement ne peut pas modifier l'Ondam décidé par le Gouvernement.

Je veux rappeler à Mme Poncet Monge que la T2A a été créée à la demande des hôpitaux et des praticiens, parce que les dotations globales étaient insatisfaisantes : elles constituaient une rente pour certains hôpitaux et un problème majeur pour d'autres. Il fallait donc essayer de trouver une solution. La solution qui a été trouvée, c'est la T2A. Or, en France, et contrairement à ce qui s'est passé aux États-Unis, la T2A a elle aussi été dévoyée.

J'ai fait, en 2009, un rapport sur la T2A. Entre la création de celle-ci, en 2004, et 2009, la France avait mis en place 259 tarifs différents. Entre 1984 et 2009, les États-Unis avaient mis en place 180 tarifs différents. Notre pays a donc très vite essayé de réduire les dépenses en touchant aux tarifications, ce qui, du reste, est un problème important. Puis ont été votées les lois HPST, Touraine, Buzyn, avec leurs qualités et leurs défauts.

Je ne vous ai pas entendu parler des 35 heures... Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet ?

La France dépense, pour la sécurité sociale, l'assurance maladie et les mutuelles, aux alentours de 250 milliards d'euros. C'est une somme assez considérable, et il n'est pas certain qu'elle soit bien utilisée. Je suis d'accord avec vous pour améliorer les choses, mais comment faire sans toucher à la dette ?

Mme Florence Lassarade . - Premièrement, pour avoir, jusqu'à récemment, été médecin praticien à temps partiel à l'hôpital, j'ai vu le stress que l'accréditation pouvait occasionner dans un service. L'accréditation met tout le monde en effervescence : on travaille plus... mais on s'occupe moins des patients ! Faut-il poursuivre ces procédures d'accréditation, qui ont malgré tout quelques avantages ?

Deuxièmement, que pensez-vous du temps partagé entre centres hospitaliers universitaires (CHU) et centres hospitaliers, qui rend un certain nombre de services mais qui est assez difficile à mettre en place ?

Troisièmement, comment persuader les doyens d'université que l'on peut former les jeunes médecins en dehors du CHU ? Cette pratique a été abandonnée. Pour ma part, en tant que pédiatre de maternité, je ne demandais pas mieux que de recevoir des étudiants pour leur apprendre ce qu'est un nouveau-né.

Un tiers des sages-femmes ont démissionné en même temps de ma maternité pour protester contre la charge de travail trop lourde, liée à la fois à des logiciels informatiques mal adaptés et aux exigences du public. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

M. Jean Sol . - Que préconisez-vous face au constat d'une charge de travail administratif exponentielle, opposable aux soignants et souvent corrélée au poids des normes, des référentiels, des protocoles et de la traçabilité ?

Vous avez parlé d'un rétablissement d'un dialogue social. Pouvez-vous être un peu plus précis ?

Enfin, ne pensez-vous pas, en particulier s'agissant des soignants, et notamment des infirmières et des aides-soignants, que la formation est devenue quelque peu obsolète ? Répond-elle aux attentes des soignants et aux évolutions inéluctables de la qualité et de la sécurité des soins ? N'est-il pas temps de la revoir de fond en comble ?

Docteur Véronique Hentgen . - Je pense effectivement que nous manquons de formateurs.

À cet égard, qu'un professeur doive absolument faire de la recherche, manager une équipe et donner cours à des étudiants ne me paraît pas une bonne idée. Les gens doivent pouvoir faire ce dont ils ont envie.

Le contrat de clinicien me permettra d'évoquer la T2A, parce qu'il s'inscrit exactement dans la logique de la tarification à l'acte. Cependant, cela ne réglera pas le problème de la sécurité et de la qualité de soins. Le problème qui se pose aujourd'hui concerne, en majorité, des patients chroniques polypathologiques, qui nécessitent un soutien et des soins qui ne sont pas codifiables.

Pour reprendre mon exemple personnel de pédiatre qui s'occupe de maladies génétiques rares, je passe la moitié de mon temps au téléphone avec des patients. Comment coder ce temps passé ? Je coûte extrêmement cher à l'hôpital sans rien lui rapporter. Je pense donc que le contrat clinicien est une mauvaise idée : on ne va pas réussir à répondre à la question du besoin de la population.

Le virage ambulatoire a certainement permis une amélioration du point de vue des maladies nosocomiales. Il a probablement permis de diminuer un certain nombre de coûts. Il est adapté pour des actes standardisés, mais nécessite du temps humain. On ne peut pas se permettre de mettre un patient hors de l'hôpital, en lui disant de se débrouiller !

Oui, nous croulons sous les charges administratives. Par exemple, nous tapons nous-mêmes les lettres de liaison. On nous vend aujourd'hui la dictée numérique, mais celle-ci implique que l'on corrige nous-mêmes nos lettres, que l'on doive les imprimer, les remettre aux patients... C'est une aberration. Il faut faire en sorte que les soignants puissent rester au centre du soin.

On pourrait passer beaucoup de temps à discuter de la certification. Cela aussi est une aberration. On vérifie que le patient qui est venu à l'hôpital a bien reçu l'information, mais on ne s'occupe pas de celui qui n'a pas réussi à y entrer, qui a été « déprogrammé » et qui finira par représenter un coût pour la société parce qu'il y reviendra avec des complications.

J'y insiste, la santé n'est pas un coût ; c'est un bien commun. Si une population n'est pas en bonne santé, elle va coûter extrêmement cher, parce qu'elle ne sera pas productive et qu'elle aura besoin d'autres aides plus tard.

Il faut investir dans la prévention. Il faut investir dans l'hôpital public pour pouvoir remonter le système de santé, qui, jusque-là, ne fonctionnait pas trop mal.

S'agissant des 35 heures, on les a mises en place à l'hôpital sans embaucher. C'était le début des économies...

Docteur Jean-François Cibien . - Les 35 heures font partie des mesures sociales non compensées que j'ai évoquées plus tôt. En parler dans ce pays hérisse forcément. Cependant, nous sommes déjà certainement des has been et les jeunes, dans les territoires, ont une autre conception de la qualité de vie que la nôtre, plus équilibrée entre le travail, la vie personnelle et les loisirs.

Le statut de praticien clinicien n'est rien d'autre que de l'intérim interne déguisé, avec toutes les variables dont ma collègue a parlé. C'est un moyen de faire entrer des praticiens à un coût qui devrait en réalité être le même que pour les autres. Cela crée forcément des déséquilibres dans les équipes où se côtoient cliniciens et non cliniciens - j'ai même vu un clinicien exercer en libéral !

L'ascenseur social ne fonctionne plus dans ce pays, alors qu'il permettait à un aide-soignant de devenir infirmier. C'est d'une telle évidence ! Le déroulement des formations a été bloqué en 2020 et 2021. Nous devrions donc avoir beaucoup d'argent pour la formation, mais nous avons dû faire face à une telle pénurie de personnel que, dans mon hôpital, par exemple, deux brancardiers qui souhaitaient se former pour devenir aides-soignants n'ont pas pu le faire et ont fini par perdre le bénéfice de leur concours.

La France a un modèle économique et social et l'argent est là. Il faut utiliser cet argent coûte que coûte, et pas « quoi qu'il en coûte ».

Nous ne sommes plus en T2A dans ce pays, mais en T4A, car il faut ajouter le tout-ambulatoire et la couche administrative. Un ingénieur qualiticien peut venir m'expliquer que j'ai mal fait mon travail, mais comment faire autrement quand on manque d'infirmiers ou d'ambulanciers au SMUR ? Certes, les gens doivent justifier leurs fonctions, mais, en dehors de l'hôpital public, dans n'importe quelle autre entreprise, l'intervention d'un ingénieur qualiticien va toujours de pair avec un budget, de façon à ne pas grever celui qui est réservé à la production. Si ce n'est pas le cas, les dysfonctionnements s'empilent.

Nous devons donc tous ensemble déconstruire ce système pour bâtir quelque chose de neuf. Aujourd'hui, nous avons besoin d'un choc. Le Ségur de la santé devait en produire un ; le résultat est que tout le monde s'en va. On retrouve en ville les mêmes difficultés qu'à l'hôpital. Des gens qui ont fait médecine changent de profession. Par un phénomène nouveau, de nombreux jeunes en institut de formation en soins infirmiers (IFSI) et des internes quittent la profession avant même d'avoir fait leur premier stage.

Il faut également favoriser le décloisonnement. Monsieur Milon, vous avez dit à juste titre que nous étions « au pays de l'enveloppe ». On a créé la T2A car l'État fonctionne comme un parrain : celui qui crie le plus fort obtient le plus d'argent, comme vous pouvez le constater dans les territoires. Chacun veut garder son hôpital de proximité, sa caserne ou sa gendarmerie. L'éducation nationale et la justice sont également en crise. On nous dit que la dette pèsera sur nos enfants, mais, s'ils peuvent être pris en charge pour un bon et juste soin et qu'ils peuvent profiter de leurs grands-parents et de leurs arrière-grands-parents, faut-il en chiffrer le coût ?

Professeur Patrick Goudot . - Il y a suffisamment de jeunes médecins en formation et le problème est surtout un problème de décalage. Dans l'absolu, le nombre de médecins n'est pas insuffisant ; il s'agit juste de bien les répartir. La question est donc de savoir pourquoi ils ne sont pas là où on en a besoin ? La réponse ne peut pas être de coercition. Autrefois, la ville s'organisait autour de l'instituteur, du curé, du notaire et du médecin. Désormais, il n'y a plus personne. Pourquoi un jeune médecin irait-il s'installer là où son conjoint ne pourra pas travailler et où ses enfants ne pourront pas suivre leurs études ? Telles sont les questions qu'il faudrait que nous nous posions avant de dénoncer les déserts médicaux.

Au sein du syndicat des hospitalo-universitaires, nous ne sommes pas d'accord avec le démantèlement des fonctions. Quand j'opère un patient, j'enseigne aussi à l'interne qui m'aide et, pour peu que ce patient souffre d'une pathologie particulière, il entre dans une cohorte et l'on fait le dossier de recherche. L'enseignement doit être un contrat d'équipe, et pas une question individuelle.

L'équipe a pour mission d'enseigner la spécialité, de traiter les gens et d'avancer dans la recherche. Ce n'est pas en détricotant les statuts que l'on fera évoluer la situation.

L'hôpital de proximité peut être une chance extraordinaire. Nous parlions de l'étanchéité entre le privé et le public. Les praticiens locaux et les structures hospitalières aiguës pourraient y transférer leurs patients en toute tranquillité, avant un retour au domicile. J'ai été « élevé », pour ainsi dire, dans un hôpital de proximité, et je considère que c'était une opportunité. Il n'y aurait pas eu forcément de sens à y maintenir des services de chirurgie où il ne se faisait jamais rien. Cependant, il peut constituer un lieu de rapprochement entre l'hôpital et la médecine de ville.

Je ne suis pas certain qu'il soit très confortable de se faire traiter en ambulatoire pour une chirurgie un peu lourde qui mérite que l'on reste un peu plus longtemps à l'hôpital. Récemment, un article décrivait la situation d'un chirurgien qui envoyait ses patients faire leur prothèse de genou en ambulatoire, jusqu'au jour où il a expérimenté la nécessité de monter les marches sans aide après s'être fait lui-même poser une prothèse... Que signifie le concept d'ambulatoire à Paris, où la moitié des ménages sont monoparentaux ? Le dogme est un peu vain. L'ambulatoire, nous le pratiquons déjà depuis vingt-cinq ans, quand nous pouvons le faire.

Concernant les recettes, il faudra sans doute que l'État se décide à investir quelques milliards d'euros pour mettre à niveau notre système hospitalier. Les dépenses augmentent, mais qu'en est-il des recettes ? À l'évidence, elles ne progressent pas. La déficience de notre système de santé coûte bien plus cher que les milliards d'euros supplémentaires qu'il faudrait pour le financer.

Nos doyens commencent à comprendre que le CHU devient trop petit. Nous défendons donc le concept du CHU hors les murs. La chirurgie de la main, de la cataracte, ou encore la chirurgie esthétique ne s'apprennent pas au CHU. Des établissements privés ont développé des compétences extraordinaires dans certains domaines. Des praticiens qui sont d'anciens hospitalo-universitaires ont gardé cette fibre. D'anciens chefs de clinique aimeraient faire partie de la boucle. La notion de CHU hors les murs commence à faire son chemin.

M. Thierry Amouroux . - Concernant la formation des soignants, l'un des problèmes porte sur les aides-soignants qui ont réussi le concours, mais que l'employeur ne veut pas prendre en promotion professionnelle. À l'AP-HP, 120 d'entre eux n'ont pas été promus, alors même que le besoin est de 1 300 infirmiers.

Pour les infirmières de bloc opératoire, les infirmières puéricultrices et les cadres de santé, une réingénierie du métier est bloquée depuis 2009. Quant au tutorat prévu par la réforme de 2009 de la formation infirmière, il manque un financement de temps dédié pour les tuteurs de stage.

Enfin, il faudrait rétablir l'entretien pour l'accès en IFSI via Parcoursup, si l'on veut éviter des erreurs de casting. Certains développent, en effet, une vision fantasmée du métier.

Docteur Carole Poupon . - Il est nécessaire que les internes se forment hors des CHU, mais encore faut-il que les services, où les praticiens sont déjà débordés, puissent assurer cet accueil correctement. Il faudrait prévoir un temps dédié et reconnu pour cela. Pour l'instant, nous le faisons en plus du reste, comme nous pouvons.

Je connais bien le sujet de la certification et de l'accréditation, car les biologistes ont été les premiers à en avoir subi les inconvénients. Je peux dire que depuis 2010, pour cette raison, je ne me consacre plus vraiment mon métier de biologiste. Pendant la crise, on nous a laissés faire notre métier comme nous l'entendions, mais les contraintes sont très vite revenues. Certains auditeurs viennent dans les services de biologie pour nous faire grief de ne pas avoir écrit la procédure d'urgence sur tel ou tel point en 2020 : c'est criminel. La qualité ne doit pas être aux dépens du soin. Or nous avons montré que nous savions très bien faire le soin.

Mme Marie Mercier , présidente . - Je vous remercie pour vos contributions aux travaux de notre commission d'enquête.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition commune de fédérations d'établissements de santé

(jeudi 9 décembre 2021)

Présidence de Mme Marie Mercier, vice-présidente

Mme Marie Mercier , présidente . - Nous poursuivons nos travaux par l'audition commune des fédérations d'établissements de santé.

Nous recevons pour cette table ronde M. Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France, M. Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée, Mme Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne, et Mme Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et j'invite chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

MM. Frédéric Valletoux, Lamine Gharbi, Mmes Marie-Sophie Desaulle et Sophie Beaupère prêtent serment.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je vous remercie de participer à cette commission d'enquête sur la situation de l'hôpital, dont nous voulons aborder les difficultés sans idée préconçue ni tabou. Nous souhaitons également observer le fonctionnement de l'hôpital au coeur et au centre de notre système de santé.

Les problématiques peuvent être très différentes selon la nature des établissements. Certaines sont propres à l'hôpital public, qui représente la part dominante de l'activité hospitalière.

Nous avons néanmoins souhaité cette audition commune des représentants des différents types d'établissements, car une partie des difficultés actuelles touche au fonctionnement global de notre système de santé, qu'il s'agisse de l'accès aux soins ou des modalités de prise en charge des soins non programmés. Notre préoccupation consiste, bien entendu, à faciliter l'accès du patient aux soins les plus adaptés que justifie sa situation, qu'ils relèvent de structures publiques ou privées, hospitalières ou non.

Nous souhaiterions que chacun d'entre vous, dans une brève présentation introductive, formule ses principaux constats sur la situation actuelle du système hospitalier et les facteurs de tension qui affectent la prise en charge des patients et le fonctionnement des établissements.

Nous pourrons ensuite aborder plus particulièrement les aspects liés à l'organisation, la gouvernance des établissements et leurs relations avec la tutelle, à leur situation financière et leur mode de financement, aux enjeux de recrutement et de fidélisation des personnels, à la structuration territoriale de l'offre hospitalière publique et privée et à son articulation avec la médecine de ville. Bien entendu, il sera possible de nous adresser des contributions écrites.

Je signale que, lors de l'audition précédente, un sujet important a émergé, celui de la formation au-delà de l'hôpital public.

M. Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France . - Je vous remercie de nous avoir invités pour évoquer la situation et l'avenir de l'hôpital et du système de santé en général. Je salue l'intitulé de cette commission d'enquête, qui s'est fixé à juste titre pour objectif de s'intéresser à l'ensemble du système de santé, à ses insuffisances, défauts et dysfonctionnements, et pas seulement à l'hôpital.

La Fédération hospitalière de France représente les 1 100 hôpitaux français et les 3 800 établissements médico-sociaux, c'est-à-dire toute l'offre de santé publique sanitaire et médico-sociale.

La crise actuelle a montré la situation paradoxale de l'hôpital. D'un côté, il se caractérise par sa force, sa souplesse, sa réactivité au service de la population et sa capacité de mobilisation. C'est un lieu d'excellence, de recherche et d'innovation, très peu bureaucratisé, car il ne compte que 10 % de personnel administratif, soit un peu moins que dans le secteur privé, secrétaires médicales incluses. L'hôpital représente 57 % des séjours d'hospitalisation hors crise. Pendant la crise, il a accueilli 83 % des patients covid qui devaient être hospitalisés en établissement, partout en France. Il a montré sa capacité à déployer du jour au lendemain la campagne de vaccination.

D'un autre côté, cet engagement sans compter a accentué les fragilités bien connues de l'hôpital. Celles-ci sont d'ordre humain, puisque l'on comptait 30 % de postes de praticiens vacants avant la crise, alors que l'on constatait dans le même temps une tension des effectifs au sein des autres catégories de personnels hospitaliers, infirmiers, aides-soignants...

Elles sont aussi d'ordre économique, car l'investissement de l'hôpital public est au plus bas depuis vingt ans : 80 % des hôpitaux investissent moins de 3 % de leur chiffre d'affaires, ce qui est largement insuffisant pour opérer le renouvellement de leurs équipements courants. Le Ségur de la santé apporte une réponse à cet état de fait, mais il faut rappeler que l'effort demandé aux hôpitaux durant les quinze dernières années représentait 10 milliards d'euros.

Les difficultés sont également liées à une organisation défaillante du système de santé, qui fait jouer à l'hôpital le rôle de variable d'ajustement et d'angle mort, notamment dans la permanence des soins.

La médecine de ville connaît une crise profonde, même si les difficultés de l'hôpital restent les plus visibles. La crise des vocations est réelle, avec 12 000 médecins généralistes en moins entre 2010 et 2025, soit une diminution de 13 %. Il n'est pas besoin de grands discours pour savoir que les déserts médicaux sont le quotidien des Français, qu'ils soient ruraux ou urbains. L'Ordre des médecins a publié de nombreuses analyses, statistiques et perspectives sur le sujet. Certains territoires sont plus avantagés que d'autres. Les écarts sont spectaculaires dans certaines spécialités, pouvant aller de 1 à 40 médecins psychiatres libéraux et salariés pour 100 000 habitants selon les territoires. Ces déséquilibres mettent à mal le principe d'égalité de nos concitoyens devant le système de santé.

Le système souffre aussi d'un défaut de prévention. En effet, la population vieillit, augmente et les maladies chroniques se multiplient. Or, dans la mesure où notre système de santé ne rétribue pas la prévention, on échoue à prévenir des hospitalisations évitables.

Une autre difficulté tient à l'insuffisance historique du nombre de professionnels formés, médecins comme paramédicaux.

Enfin, on constate une défaillance de régulation du système de santé dans les territoires. Nous avons besoin de plus d'équité entre tous les acteurs et que chacun prenne sa part. La question est particulièrement prégnante dans le contexte de la crise du covid, avec la permanence des soins et le poids des déprogrammations sur les établissements. Une union sanitaire s'est créée au moment de la première vague, qui s'est largement délitée depuis. Au moment de la cinquième vague, certaines situations difficiles rappellent que l'hôpital ne peut pas faire face seul à la poussée nouvelle de l'épidémie. Tous les acteurs du système de santé doivent prendre part à l'effort, comme le montrent notamment les chiffres de l'activité chirurgicale.

Nous avons besoin d'un arbitre et l'État régulateur doit jouer son rôle en pesant non seulement sur l'hôpital, mais aussi sur l'ensemble du système de santé, puisque celui-ci est financé par une banque unique, en l'occurrence l'assurance maladie. Peut-être faut-il reposer la question des droits et des devoirs de chaque acteur ; cette commission d'enquête pourra nous en donner l'occasion. Nous devons repenser l'organisation de la santé dans les territoires, ainsi que celle de son financement, pour valoriser la recherche, l'investissement et les dépenses pertinentes, et pour lutter contre les 30 % de dépenses qui ne le sont pas.

Il faut également régler les problèmes de carrière et de métiers à l'hôpital, où il manque 25 000 personnes rien que pour occuper les postes non pourvus.

Enfin, reste la question de la prévention et du grand âge, dont la réforme n'a cessé d'être repoussée, alors que le sujet recouvre des défis immenses, qui pèsent sur le système de santé.

M. Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée . - Je salue aussi l'esprit qui préside à cette commission d'enquête : la volonté d'une réflexion globale sur l'articulation des acteurs de santé entre eux. La présence de représentants des quatre fédérations illustre cette volonté de trouver ensemble les solutions pour faire progresser notre système de santé au service de tous.

Il est impossible de s'exprimer en apesanteur sur une crise sanitaire qui n'est pas derrière nous. La pandémie a en effet démontré d'une manière impérieuse que, sans coopération, il n'y avait point de salut. Le privé y a pris toute sa part, en prenant en charge 25 % des patients en réanimation, même si les patients covid ne représentent que 3 % des patients pris en charge au quotidien. Cela suppose que l'équité devienne une réalité effective, autour de deux principes clés. Le premier peut être formulé ainsi : un même patient, un même soin, un même tarif ; or il subsiste des écarts tarifaires non justifiés entre le public et le privé. L'autre principe clé est la revalorisation salariale identique pour les professionnels du privé qui soignent les mêmes malades ; le Ségur 2 ne l'a pourtant pas fait.

Il nous faut collectivement dépasser les cloisonnements et les rigidités par trois changements majeurs de paradigme.

Le premier revient à modifier la vision de l'action territoriale afin que celle-ci associe l'ensemble des acteurs de santé autour de missions partagées au sein d'un service public hospitalier profondément refondé. Pendant la crise sanitaire, des dynamiques vertueuses de coopération ont émergé, qu'il faut sanctuariser. Après chaque jour de bataille contre le virus, la conception actuelle d'un service public hospitalier qui exclut le privé devient un peu plus obsolète et contre-productive. Il serait désespérant qu'une situation exceptionnelle ne puisse être dupliquée dans un contexte classique ; il faut donc coopérer. Cela exige un service public hospitalier refondé et des agences régionales de santé (ARS) recentrées sur leurs missions, ce qui suppose de les délester de la gestion de l'hôpital public. En l'expérimentant sur un ou deux territoires, on constatera que cette démocratie territoriale de santé vivante est la seule bonne manière de répondre aux attentes des patients et aux enjeux d'accès aux soins.

Le deuxième changement consistera à faire évoluer notre rapport à la confiance et à la responsabilité. Notre gouvernance est encore corsetée, descendante, cloisonnée entre statuts. Les deux protocoles signés entre l'État et les fédérations hospitalières amorcent une nouvelle forme de dialogue, plus mature, sur la contractualisation, avec des engagements réciproques et l'évaluation a posteriori de leur respect.

Pourtant, pour mettre un terme aux maux qui rongent le système, il faut impulser une gouvernance plus moderne, fondée sur le partage de la transparence des données et sur une vision prospective des enjeux.

Nous avons reçu, en pleine cinquième vague, une demande d'économies de l'ordre de 100 millions d'euros, liée à la non-restitution de la mise en réserve prudentielle, alors même que 20 milliards d'euros ont été ou vont être attribués aux seuls hôpitaux publics. Le découragement nous saisit ! La donne doit changer. Vous êtes nombreux ici à défendre la pluriannualité de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) au nom de cette visibilité, qui est le socle de la confiance.

Troisième et dernier changement : apprenons à oeuvrer ensemble sur des questions qui nous rassemblent, comme la pénurie de professionnels de santé. Sur ce sujet, il est navrant que chacun se renvoie la balle. La situation est complexe : il faut remédier aux pénuries, amplifier l'effort de formation, renforcer l'attractivité des métiers de santé, proposer des évolutions de carrière indépendamment des statuts des lieux d'exercice.

Aujourd'hui, 10 % des effectifs paramédicaux ne sont pas pourvus et certaines activités sont impactées ; nous sonnons l'alerte depuis près de trois ans, mais les choses ne vont pas assez vite. Notre système de santé a besoin d'évoluer en diversifiant les profils et les viviers de recrutement des personnels qui composent sa gouvernance, afin de relever les défis colossaux qui nous attendent.

Tous ces dépassements sont à notre portée. Aujourd'hui, l'heure est à l'union contre le virus et le privé est pleinement et inconditionnellement mobilisé, mais notre inquiétude est grande de voir le principe d'équité se déliter. Les acteurs rudement éprouvés ont besoin de considération et l'avenir du système passe par la reconnaissance de tous. Je veux croire en cette intelligence collective.

Mme Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne . - Il est intéressant d'assister à la confrontation des idées entre les représentants des deux fédérations ; je me retrouve quant à moi dans une partie des propos de l'un comme de l'autre. Merci de cette initiative.

Les hôpitaux sont sous tension. L'hôpital, ce n'est pas forcément l'hôpital public, mais plus simplement un établissement de santé qui exerce des missions de médecine, de chirurgie et d'obstétrique (MCO). Si les hôpitaux sont sous tension, c'est aussi parce que l'hospitalocentrisme du système de santé est un facteur de risque, pour l'hôpital également. L'ensemble du système de santé a conduit à cette situation, et c'est aujourd'hui un cercle vicieux dont on ne sait pas comment sortir. Notre fédération était favorable, au départ, à la stratégie Ma santé 2022, qui visait alors à répondre aux besoins sur les territoires en sortant des dynamiques d'établissements et de statuts.

Se posent également des problèmes de ressources humaines, pour fidéliser nos professionnels, les recruter et les former jusqu'au bout. Nous rencontrons une vraie difficulté à disposer de professionnels compétents et qualifiés en nombre suffisant pour répondre aux besoins des patients.

Une autre explication est sans doute plus propre à notre fédération, laquelle assume des missions de service public : le ministère raisonne beaucoup par statuts, et non par réponse apportée. Or la bonne manière de réfléchir serait de considérer d'abord qui apporte la réponse pour envisager la rémunération et les logiques de tarification. Le système est administré, la décision descend du national et la logique de contrat est insuffisamment mise en oeuvre.

Je ne vais pas parler longtemps de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne (Fehap), mais, en temps de crise, au vu du fonctionnement du système de santé, nous considérons que notre modèle est performant. Sa gouvernance est basée sur l'engagement de personnes qualifiées et sur une gestion désintéressée, grâce à laquelle nous exerçons des missions de service public sans reste à charge pour les patients et sans dépassement d'honoraires. Nous assurons également des missions de recherche et d'innovation, au même titre que les autres types d'établissements. La force de ce modèle est le contrat entre le directeur et son conseil d'administration, incluant des objectifs ; de même, il y a un contrat entre médecins et dirigeants d'établissement, quels que soient leurs profils. Le contrat est réciproque. Cette logique est également collective et inclut les équipes. C'est un modèle que l'on retrouve dans d'autres pays européens, où il est parfois dominant, comme au Danemark.

Il est vrai que nous faisons face à une difficulté s'agissant de l'approche du ministère sur la tarification et la rémunération. De manière lapidaire, on nous dit : « vous êtes plus souples et réactifs que l'hôpital public, donc vous avez besoin de moins d'argent ». C'est un peu contre-intuitif, et il ne nous semble pas que cela soit la bonne manière de poser le problème. Lors du Ségur 2, par exemple, nous avons reçu une enveloppe inférieure de 30 %. Il en est allé de même lors du Ségur « investissements » : ces investissements ne sont pas à la hauteur de ce que nous représentons. Il ne s'agit ici que de l'hôpital, mais le constat est le même pour les secteurs social et médico-social.

Quelles sont les solutions ? Je rejoins M. Lamine Gharbi sur la nécessité de faire confiance aux acteurs du territoire : donnons-leur une responsabilité populationnelle de réponse. Il faut qu'ils coopèrent sans tenir compte du statut des uns et des autres et que l'on trouve la réponse pertinente. Cela partira donc du territoire, dans une dynamique de co-construction avec les acteurs, et non du national ou du régional.

Les effets de levier proviennent souvent des financements ; or, aujourd'hui, nous avons subi un décrochage des grilles de rémunération par rapport au service public, alors que nous assurons des missions de service public. En outre, les revalorisations actuelles ne se font pas sur les tarifs, mais privilégient le statut. Enfin, s'agissant des réformes du financement, elles sont centrées sur les établissements, et nous avons du mal à obtenir des réponses en termes de logiques de parcours, donc de forfait, sur la manière de rémunérer les acteurs qui ont mis en oeuvre la réponse. Le modèle financier pourrait modifier l'organisation de notre système de santé, mais il faudrait pour cela mettre tous les acteurs autour de la table. Il existe un chemin et la crise a fait bouger les lignes, parce que nous y avons répondu unis. Nous pourrions également nous unir dans le quotidien.

Mme Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer . - L'union a été fondamentale dans le cadre de la crise, notamment pour assurer la continuité des soins en cancérologie.

Unicancer, qui représente les 18 centres de lutte contre le cancer (CLCC), connaît l'importance du combat pour éviter les retards de diagnostic. Les centres de lutte contre le cancer ont joué le jeu de la coopération : en 2021, leur activité est supérieure de 13 % par rapport à 2020 et de 10 % par rapport à 2019, alors que nous subissons, comme les autres établissements, des tensions inédites, surtout en Île-de-France, sur les effectifs médicaux et paramédicaux. Le Ségur a suscité un espoir : des mesures fondamentales ont été prises, des réflexions ont été engagées sur un meilleur ancrage de la stratégie de santé sur les territoires. Pourtant, aujourd'hui, le bilan que nous en tirons est contrasté.

Les centres de lutte contre le cancer exercent également des missions de service public. Pour autant, une partie des mesures concernant les ressources humaines issues du Ségur n'ont pas été intégralement financées. Le reste à financer est important pour les dispositions concernant les médecins, qui exercent à 100 % en service public, et pour les paramédicaux. Cela pèse sur la situation financière des centres, alors que nous connaissons des tensions majeures sur les effectifs. Il est impératif de travailler sur la création de parcours attractifs, sur l'adaptation des professions aux évolutions techniques et scientifiques et sur la visibilité à donner à nos professionnels.

Sur le plan financier, il est indispensable que les établissements innovants, comme les centres de lutte contre le cancer, bénéficient d'investissements, de visibilité et d'un accompagnement significatif. Nous sommes pourtant inquiets : dans le cadre du Ségur, les montants affectés au soutien aux investissements structurants nous semblent insuffisants. Les centres de lutte contre le cancer réalisent ainsi 2,9 % des activités de MCO, mais ne perçoivent que 0,4 % de l'enveloppe « investissements structurants ». Il nous est difficile de continuer à faire de la recherche alors que le soutien financier est insuffisant.

S'agissant des financements, c'est la logique pluriannuelle qui est importante, nous en sommes tous d'accord ; elle permet d'adapter nos modèles de financement aux évolutions de prise en charge et aux parcours. Nous souhaitons, à ce titre, développer les financements aux parcours pour favoriser les liens entre ville et hôpital.

Je partage ce qui a été dit sur le modèle de gouvernance des établissements non lucratifs. Notre modèle se retrouve à l'international, et pas seulement en cancérologie, avec un directeur général médecin, et un adjoint directeur d'hôpital, avec des établissements de taille importante, mais humaine, et avec une longue expérience de délégation de gestion et d'intéressement, dont on peut s'inspirer avec profit.

Nous souhaitons également un soutien à la recherche et à l'innovation. Les orientations prises sont très importantes, mais il faut continuer dans ce domaine, avec la création d'une Agence de l'innovation en santé, avec, aussi, le financement de la biologie moléculaire, fondamental pour l'accès aux traitements en cancérologie. L'innovation doit bénéficier à tous sur l'ensemble du territoire.

Le Ségur a été porteur d'espoirs, mais il faut poursuivre le soutien aux établissements, dont les CLCC, sources d'innovation scientifique et organisationnelle.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Vous convergez sur la nécessité de partir du territoire. Pouvez-vous nous indiquer l'état des fermetures de lits dans vos établissements, en les expliquant ? S'agit-il d'un phénomène conjoncturel ou durable ? Dans cette seconde hypothèse, comment y remédier ?

Une coopération s'est établie, mais les soignants nous ont dit également qu'ils ont vu revenir les mauvaises habitudes au galop. Vous relevez d'ailleurs que vous avez bien travaillé tous ensemble, mais que cela se délite. Comment y remédier pour que les enseignements de la crise apportent des solutions qui perdurent ?

Peut-on résoudre certaines difficultés par des mesures d'organisation ou d'aménagement du temps de travail ?

On a beaucoup parlé aujourd'hui des effets pervers de la tarification à l'activité (T2A), qui sont établis. Comment mieux adapter le financement au système actuel ?

Qu'en est-il de l'ambulatoire, avec les difficultés que ce fonctionnement rencontre en aval ? Que faire des patients opérés ainsi, en l'absence de lieux d'accueil ?

Sur le Ségur, nous avons en effet souvent entendu évoquer les disparités entre le public et le privé et les CLCC.

La notion d'organisation territoriale aura, en tout état de cause, une place importante dans notre rapport : elle conduit quasiment à une remise à plat du système.

M. Frédéric Valletoux . - S'agissant des fermetures de lits, nous subissons un effet conjoncturel lié aux tensions sur les recrutements. Elles dépassent les 6 % en moyenne. C'est énorme, et cela monte bien au-delà dans certains établissements. Ces difficultés de recrutement sont liées aux tensions, à la fatigue, à un absentéisme plus important, mais aussi à des problématiques de fond d'attractivité des métiers. Les écarts de rémunération de plus en plus importants entre professionnels déclenchent des tensions dans un tel système de pénurie. La loi a prévu qu'un rapport soit publié sur le sujet. Ce dernier tarde à sortir, alors qu'il doit jouer le rôle de juge de paix en la matière.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - C'est le cas de bien des rapports !

M. Frédéric Valletoux . - Sur le financement, il est vrai que l'on gagnerait à avoir une loi pluriannuelle, comme il en existe pour la défense. Ensuite, il faut une remise à plat des modes de distribution des enveloppes de l'Ondam, un système défini dans les années 1990 et qui doit évoluer pour mieux prendre en compte la prévention et les statuts des intervenants. La Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques plaident pour une telle remise à plat. C'est un chantier lourd, mais qu'il est important de mener à bien.

M. Lamine Gharbi . - Sur les fermetures de lits, d'abord, en réalité, depuis que nous sommes passés à la T2A, le décompte de lits n'est pas le bon critère, car ce qui compte, c'est que tous les patients qui se présentent soient soignés : c'est le cas cette année, où nous avons eu plus d'activité qu'en 2019. Il est donc faux de dire que nous aurions mis un frein. Nous constatons aussi une tension sur les postes d'infirmières, d'environ 10 %, ce qui nous oblige à être inventifs ou à travailler en mode dit « dégradé ».

Sur la coopération, je dirais qu'elle se fait naturellement de personne à personne. Des chemins se sont trouvés et, s'il peut y avoir des tensions entre des personnes, ce qui est le lot de la vie, il n'y a pas de tension en fonction des statuts. En revanche, je vis de plus en plus mal la coopération de nos tutelles. Quand elles ont eu besoin de nous, nous étions sollicités sans arrêt, mais on en revient maintenant à des économies de bouts de chandelles, malgré les milliards mis sur la table. Je déplore que, à l'échelle nationale, on ne tienne pas suffisamment compte de la coopération qui s'établit sur le terrain. Je mets de côté les guerres de chapelle. Elles ont lieu partout et elles ne sont pas intéressantes. Ce qui compte, c'est que nous avons soigné tous les patients qui se sont présentés.

Mme Marie-Sophie Desaulle . - Il y a aussi des réductions d'activité en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et en services de soins infirmiers à domicile (SSIAD). Si moins de patients sont suivis à domicile, cela a un impact sur les hospitalisations. Le secteur hospitalier va devoir accueillir des personnes qui bénéficiaient d'un autre accompagnement. Les tensions de ressources humaines sont donc à considérer dans un ensemble plus large que le seul hôpital. La crise a provoqué une bascule d'activité du conventionnel vers l'ambulatoire, et ce mouvement me paraît durable : des personnes qui envisageaient déjà de quitter l'hôpital l'ont fait, d'autres se sont organisées différemment, et cette bascule aura un impact sur le modèle de recettes. Il faudra accompagner ce mouvement.

Quant aux tensions de ressources humaines, nous devons prendre en compte ce que j'appelle la « dépression collective post-covid » - je ne sais pas comment on traite un tel phénomène. Je ne crois guère que les professionnels passeront du public au privé. J'en vois plutôt qui s'établissent en auto-entrepreneur, en libéral, ou qui quittent la profession. Certes, des jeunes arrivent en formation, mais, d'une manière plus large, je ne comprends pas pourquoi, dans la période que nous traversons, il n'y a pas de grande campagne de communication positive sur les métiers de la santé, alors qu'il y en a sur les métiers de la défense et de la sécurité. On pourrait valoriser que c'est beau de travailler dans le secteur de la santé.

A-t-on des marges de progrès dans l'aménagement du temps de travail ? Je pense qu'elles sont surtout dans le fonctionnement des équipes. Les jeunes, en particulier, attendent plus de responsabilisation, de co-construction, ce qui interpelle sur le fonctionnement en équipe, sur le rôle du management intermédiaire.

Sur le financement, oui, la pluriannualité serait un atout, mais il faut regarder aussi du côté de la forfaitisation et poser la question de la dotation populationnelle aux côtés de la T2A, pour prendre en compte le suivi de la population sur un territoire, en considérant les caractéristiques de cette population.

Mme Sophie Beaupère . - Nous sommes tous concernés par les tensions sur les effectifs. C'est le cas aussi dans les centres de lutte contre cancer. En Île-de-France, nous devons recourir à l'intérim, en particulier la nuit, au prix d'une baisse de qualité et de surcoûts. C'est pourquoi nous appelons à un plan ambitieux sur les professions médicales et paramédicales en général, quel que soit le statut, avec une valorisation des acquis et une campagne de promotion de ces métiers.

Des infirmiers en pratique avancée sont formés. C'est une formation longue et coûteuse, mais les établissements ne peuvent tarifer ces pratiques avancées, faute d'un décret le leur permettant. Résultat, si des centres de lutte contre le cancer ont pu négocier avec leur caisse primaire d'assurance maladie la possibilité de tarifer ces prestations, d'autres ne peuvent pas le faire.

Il y a une dimension symbolique : on ne peut pas demander aux établissements de former leurs professionnels, mais ensuite leur interdire de tarifer les prestations de ces professionnels ainsi formés. Il est donc possible de prendre des mesures immédiates qui amélioreraient la situation.

Sur l'ambulatoire, le développement de la coopération entre médecine de ville et établissements de santé doit être accompagné par des mesures financières ad hoc incitatives. Je pense en particulier à l'article 51, qui est complexe à mettre en oeuvre, mais qui est très intéressant, par exemple pour des chimiothérapies orales ou des immunothérapies à domicile, en lien avec les pharmaciens de ville, les infirmières et les médecins libéraux.

La pluriannualité serait un atout. Nous avons aussi besoin de transparence et de stabilité. Nous nous inquiétons dans l'immédiat de ce que l'absence de dégel tarifaire avant la fin de l'année va pénaliser, par exemple, des établissements comme les nôtres, qui ont une activité forte et, en même temps, des difficultés de financement liées au contexte.

Mme Sonia de La Provôté . - Je voudrais revenir sur la question des coopérations, qui est le noeud du système, l'autre étant la question du financement, avec une confusion trop fréquente entre le financement de la sécurité sociale et celui de la politique de santé. La question des coopérations a des incidences très concrètes ; on l'a vu dans le Ségur, mais on le voit aussi sur les territoires, quand des lignes de prise en charge sont retirées dans les cliniques privées, parce qu'il a été décidé de les prendre en charge seulement, sur tel ou tel territoire, dans les établissements publics. Or on devrait partir du patient, en recherchant la meilleure prise en charge en fonction du contexte, du territoire. Et, pour cela, il y a les groupements hospitaliers de territoire (GHT), censés inclure l'offre publique et l'offre privée, et sur lesquels il semble que nous ayons fait ce que nous pouvions faire et dont on ne peut guère en attendre davantage. Est-ce votre avis ? Pensez-vous que l'on puisse aller plus loin, ou vaudrait-il mieux changer d'outil ?

S'agissant des 30 % de personnels « administratifs », je précise qu'il s'agit en fait de non-soignants. La différence est de taille, puisque l'on y inclut les personnels techniques, qui sont indispensables. Cependant, en regardant la situation sur plusieurs années, on voit que le rôle de l'administratif a évolué vers plus de contrôle et de présence au sein même des services, ce qui peut être vécu comme un élément bloquant le fonctionnement naturel de la médecine, qui est avant tout humain.

M. Alain Milon . - Le statut hospitalier vous paraît-il un blocage pour l'évolution des soins à l'hôpital ?

La permanence des soins peut-elle être acceptée par le public comme un argument pour l'ouverture vers le privé ?

Présidence de M. Jean Sol, vice-président

M. Jean Sol , président . - Vous mentionnez, Monsieur Valletoux, le peu de bureaucratie. Je n'ai pas ce sentiment : faites-vous référence à une organisation pyramidale ?

Vous parlez de crise des vocations : que préconisez-vous ?

Enfin, Madame Desaulle, que proposez-vous pour dépasser l'hospitalocentrisme que vous déplorez ?

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Il nous a été dit que la notion de pôle avait cassé le fonctionnement des services en équipes : qu'en pensez-vous ?

Des internes ont également déploré le temps passé à faire de l'administratif, les fiches qualité, la traçabilité. Ils nous ont dit passer parfois la moitié du temps à appeler le médecin traitant, à régler des problèmes de wi-fi... C'est autant de soins qui ne sont pas faits. Comment pallier ces problèmes ?

M. Jean Sol , président . - J'ajoute une question sur la place du dossier médical partagé (DMP) : vous paraît-il un bon outil pour la coordination des soignants, mais aussi pour la qualité et la sécurité des soins ?

Mme Jocelyne Guidez . - Un retour d'expérience : sur mon territoire, deux hôpitaux ont fusionné ; on nous parlait alors d'économies. Or des problèmes se sont posés entre médecins, chacun voulant rester sur le territoire où il exerçait. Dix ans plus tard, c'est toujours compliqué. La fusion s'est accompagnée de la fermeture d'une maternité, les deux maternités étant regroupées dans l'un des deux hôpitaux. Résultat : des mères sont allées accoucher ailleurs et la maternité restante n'est pas tellement plus occupée. En tout cas, le résultat n'est pas celui qui était attendu : qu'en pensez-vous ?

M. Frédéric Valletoux . - Sur les coopérations, les GHT ont été faits pour donner des stratégies et des perspectives de territoires aux hôpitaux, de même que les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour les libéraux, ou encore les stratégies des groupes privés qui ont coordonné leur action à l'échelon territorial.

Dans un système pensé sur une feuille blanche, l'État serait stratège et définirait des stratégies par territoire, tout en évaluant les outils, avec comme objectif la meilleure performance des soins, que l'on en passe par l'hospitalisation ou le maintien à domicile, par des structures publiques ou privées.

C'est cette approche populationnelle que la FHF expérimente dans cinq territoires pour le diabète et les maladies cardiovasculaires, avec la définition d'objectifs et l'évaluation des outils, pour adapter ensuite la réponse de soins aux territoires.

Certes, la coopération est l'avenir, mais encore faut-il qu'il y ait des acteurs pour coopérer. Cela nous ramène aux droits et aux devoirs de chacun, qui sont liés au mode de financement de l'ensemble du système - lequel est particulier pour nous, qui dépendons principalement de la solidarité nationale, avec des obligations différentes pour les différents acteurs.

Quand on parle de « suradministration », il ne faut pas confondre ce qui se passe à l'hôpital et dans le système de santé plus largement. Je crois que le poids de l'administration s'est accru dans la gouvernance du système de santé, et la création des ARS n'a pas fait maigrir le ministère. Ces couches successives ont ajouté des injonctions qui ne sont pas toujours cohérentes entre elles ; cela crée un sentiment de bureaucratisme. Les médecins libéraux nous disent qu'ils passeraient 20 % de leur temps à ces formalités - cette suradministration concerne le système de santé, bien plus que l'hôpital en lui-même.

Les 30 % de non-soignants comprennent effectivement les techniciens, qui sont indispensables aux chaînes logistiques, ainsi que nous l'avons encore vu quand il s'est agi de mettre en place une campagne de vaccination du jour au lendemain. Il faut donc prendre les chiffres avec des pincettes et les analyser dans leur contexte.

Sur le fonctionnement en équipes, je crois que notre système souffre de son uniformisation et que nous devrions faire davantage confiance aux acteurs. Dès lors que l'État fixe les objectifs, qu'il évalue les outils et les résultats, les modalités concrètes devraient relever du terrain, des équipes médicales - qu'elles décident de se constituer en pôles ou en services importe peu et il n'y a guère besoin que ce soit la même organisation à Brest ou à Beaucaire.

Le statut hospitalier est-il un frein ? Mon rêve est que l'obligation de la permanence des soins soit attachée aux médecins en général, plutôt qu'aux seuls établissements publics, car les missions de service public forment un tout. On ne devrait pas pouvoir en prendre un bout seulement, à la découpe, selon ses préférences. Nous sommes partants pour participer à un grand débat sur le sujet.

Sur la fusion des hôpitaux, je peux citer l'exemple de ma ville, où, à la suite de la fermeture d'une clinique, qui a disparu en six mois, c'est l'hôpital qui a fait une place en son sein à la douzaine de chirurgiens privés, qui ne voulaient pas perdre leur patientèle et qui ont été heureux de pouvoir passer contrat avec l'hôpital public pour continuer à exercer sur le territoire.

Je peux également parler de la fusion des trois hôpitaux de Fontainebleau, Nemours et Montereau, fruit d'un long travail à l'issue duquel nous avons, avec un projet de territoire, su convaincre les professionnels médicaux de travailler dans tel lieu plutôt que dans tel autre, ce qui nous a permis, au final, de garantir et pérenniser notre offre de soins de qualité.

M. Alain Milon . - Vous parlez de plus de liberté pour les hôpitaux ou de plus d'autonomie ?

M. Frédéric Valletoux . - Je parle de plus d'autonomie, de liberté de choix.

M. Lamine Gharbi . - Quand un établissement public est en déficit, il peut se tourner vers l'État, mais, pour nous, dès lors que toute aide d'État est refusée, il est clair que l'établissement privé n'a guère le choix que de fermer s'il ne parvient pas à se financer.

Sur la coopération, je ferai remarquer que nous n'avions, au début de la crise sanitaire, que 500 lits en réanimation dans des établissements privés. Pourquoi ? Parce que, depuis vingt ans, les autorisations nouvelles allaient quasiment toujours vers le public. On l'a vu aussi pour les IRM et les scanners, où des autorisations deviennent caduques parce que l'établissement public n'a pas procédé à l'installation après trois ans, alors que nous étions prêts à le faire sur nos deniers... Au début de la crise, nous avons rapidement mis sur pied une centaine de services de réanimation - nous espérons qu'ils seront pérennisés.

La coopération est biaisée, parce que nous ne pouvons pas répondre avec les mêmes moyens que le public. Nous sommes preneurs de la permanence des soins, mais on la refuse à nos établissements dans la plupart des cas. C'est bien pourquoi nous contestons que l'on nous demande des astreintes de permanence des soins après nous l'avoir refusée.

Il faut comparer les salaires. Nous sommes peut-être le seul secteur où le public paie mieux que le privé : une aide-soignante est payée 13 % de plus dans le public, une infirmière 8 % de plus - c'est différent pour les médecins, qui sont payés à l'acte, mais il faut alors considérer l'ensemble. Aussi, je me demande pourquoi, alors que nous payons moins, nous continuons de recruter plus facilement. Il y a le rythme, les conditions, mais je pense que cela ne va pas toujours être ainsi. Il faut arrêter de raisonner sur des fantasmes. Si l'on veut plus d'attractivité, il faut que les jeunes, filles et garçons, se projettent dans ces métiers, qu'ils s'imaginent aides-soignants ou infirmiers.

Mme Marie-Sophie Desaulle . - Le GHT a été créé pour faire coopérer les hôpitaux publics. C'est pourquoi nous n'avions guère apprécié que le terme de « territoire » y figure, puisque cela revenait à faire comme si tout partait de l'hôpital public.

Pour sortir de l'hospitalocentrisme, il faut se poser la question de l'élaboration du projet de santé à l'échelle du territoire. Ce projet ne se réduit pas à celui du GHT, et il faut le construire avec tout le monde. Il faut aussi parler des usagers, partir des besoins, élaborer les priorités avec un niveau de spécialisation croissant en fonction des besoins de la population.

Nous n'avons pas été contents du Ségur, parce que l'on n'y a pas pris en compte ceux qui s'occupent des patients à domicile, alors qu'on en a un grand besoin et que, si nous ne le faisons pas, les personnes mal prises en charge plus tôt se retrouvent plus vite à l'hôpital. C'est une clé de raisonnement, mais notre système hyper administré rend difficile de raisonner sur la co-construction à l'échelle du territoire, alors que c'est ce qu'il faudrait faire et que nous y sommes prêts.

Le DMP est un sujet complexe, repris dans l'idée de « Mon espace santé », pour que les patients s'approprient les choses. Est-ce une solution ? Il faut investir sur ce sujet. C'est un levier, une clé pour la coopération, pour partager des données et aller plus vite.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Oui, à la condition que le patient, ou son professionnel de santé, note tout.

Mme Marie-Sophie Desaulle . - Dans les faits, très peu de personnes refusent.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Nous ferons une mission sur les données de santé...

Mme Sophie Beaupère . - Le bilan des GHT est positif, parce qu'il a permis à l'hôpital public de se structurer.

Bien d'autres sujets doivent progresser, en premier lieu la gradation des soins entre centres de référence et établissements de proximité - c'est une clé en cancérologie pour éviter les pertes de chances. Il serait aussi très favorable de faire évoluer le financement pour encourager la coopération entre médecine de ville et établissements, ne serait-ce que pour faire face aux enjeux de la démographie médicale.

La numérisation des parcours de soins fera gagner du temps aux professionnels. La situation est cependant contrastée dans les territoires : certains ont l'interopérabilité, d'autres pas. C'est un facteur important pour la fiabilité des données et le suivi.

Comment faire confiance aux acteurs ? Le Centre Oscar Lambret, à Lille, a mis en place, en plus de l'intéressement classique, un intéressement par projet qui permet à chaque équipe médicale, en fonction d'objectifs de qualité et de délais, d'obtenir un intéressement supplémentaire : c'est une voie pour reconnaître et valoriser les professionnels tout en tenant compte de leurs réalités quotidiennes.

M. Jean Sol , président . - Merci pour toutes ces précisions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de responsables de services d'urgence
Professeur Louis Soulat, Centre hospitalier universitaire de Rennes,
docteur Benoît Doumenc, hôpital Cochin (Paris),
docteur Caroline Brémaud, Centre hospitalier de Laval,
docteur Tarik Boubia, Centre hospitalier de Clamecy,
et docteur François Escat, médecin urgentiste libéral à Muret

(jeudi 16 décembre 2021)

M. Bernard Jomier , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par une audition commune de responsables de services des urgences.

Je suis heureux d'accueillir le professeur Louis Soulat, chef du service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes et du service d'aide médicale urgente (SAMU) d'Ille-et-Vilaine ; le docteur Benoît Doumenc, chef du service des urgences médico-chirurgicales de l'hôpital Cochin à Paris ; le docteur Caroline Brémaud, cheffe du service des urgences du centre hospitalier de Laval ; le docteur Tarik Boubia, chef du service des urgences du centre hospitalier de Clamecy ; et le docteur François Escat, médecin urgentiste libéral à la clinique d'Occitanie de Muret.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Il est pour nous très important d'entendre les responsables de services des urgences. Ces services illustrent de manière emblématique les tensions que connaît notre système hospitalier et les répercussions sur l'hôpital de certains dysfonctionnements dans l'organisation des soins. Il nous paraissait nécessaire d'entendre des acteurs de terrain représentant toute la gamme des établissements, y compris privés, situés aussi bien dans des métropoles que dans des villes moyennes ou des territoires ruraux.

Je remercie donc les médecins présents aujourd'hui de s'être rendus à notre convocation, en venant parfois de loin.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Mme Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. J'invite donc chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Louis Soulat, M. Benoît Doumenc, Mme Caroline Brémaud, M. Tarik Boubia et M. François Escat prêtent successivement serment.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je voudrais à mon tour remercier l'ensemble des intervenants de leur disponibilité.

Comme l'a indiqué M. le président, lorsque l'on parle des difficultés de l'hôpital, ce sont souvent les urgences que l'on cite en premier. Leur activité a doublé en vingt ans et les tensions dans les services d'aval conduisent à leur engorgement. La crise sanitaire a accentué ces phénomènes.

Mais, à travers les urgences, c'est aussi la question du recours à l'hôpital, de sa place dans notre système de santé et de sa vocation à offrir un accès permanent aux soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre tous les jours de l'année qui est posée.

Nous souhaiterions que vous nous présentiez tout d'abord un point de la situation de vos services, notamment en matière d'évolution de l'activité, d'effectifs et de conditions de prise en charge des patients.

Nous pourrons ensuite évoquer plus particulièrement les aspects liés aux ressources humaines, à la gestion de l'amont des urgences - la permanence des soins, la prise en charge des soins non programmés - et aux difficultés d'hospitalisation en aval.

Professeur Louis Soulat, chef du service des urgences du centre hospitalier universitaire de Rennes et du SAMU d'Ille-et-Vilaine . - La médecine d'urgence est une jeune spécialité. La première promotion de ces nouveaux internes est arrivée au mois de novembre 2021. Nous aimerions leur donner une vision différente de la médecine d'urgence, ainsi que l'envie et la possibilité de vieillir comme urgentistes. La spécialité a trois composantes : une activité de régulation médicale SAMU très importante, une activité pré-hospitalière de soins d'urgence avec les services mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR) et une activité dans les urgences hospitalières, qui est souvent celle dont on parle de manière très négative.

En parallèle, notre coeur de métier - beaucoup de collègues, en médecine de ville comme dans l'hospitalier, l'ont oublié - est de qualifier, d'évaluer, de trier et d'orienter un besoin de soins. La grande force de notre système français, qui est assez exceptionnel, est d'organiser des parcours très spécialisés pour des soins aigus : infarctus, accident vasculaire cérébral.

Le problème est que notre coeur de métier est censé être centré sur ces notions d'évaluation, de tri et d'orientation, c'est-à-dire sur la prise en charge initiale du parcours de soins. Mais l'activité est très forte, en amont du fait de à la venue de patients qui pourraient selon nous être gérés par des structures de soins non programmés, et en aval, principalement pour des patients âgés, aux pathologies multiples, plus difficiles à orienter vers des services ultraspécialisés dans lesquels les lits, réduits à la suite du virage ambulatoire, sont en outre en nombre insuffisant. Les patients relevant, selon nous, de soins non programmés viennent parce qu'ils n'ont plus accès à leur médecin traitant - c'est ce que l'on appelle l'offre ambulatoire -, avec un virage qui a été très net en 2002 : la réorganisation nécessaire de la médecine de ville s'est en partie traduite par le réaménagement de la permanence des soins sur la base du volontariat.

La situation est aujourd'hui extrêmement compliquée. La mise en place de la tarification à l'activité dans les hôpitaux, avec l'argument selon lequel les services des urgences voyant leur activité augmenter recevraient plus de financements, a été une manière de nous duper.

Notre coeur de métier est performant. Il nous permet d'apporter un bénéfice important pour les patients. Sur le papier, il est attractif pour les urgentistes. En plus, et c'est pour cette raison que je suis en hôpital public depuis trente-cinq ans, il repose sur un principe d'équité et d'accès aux soins pour tous.

Mais le report sur les urgences d'activités n'en relevant normalement pas a des conséquences : inadéquation entre les moyens et l'évolution de notre activité, épuisement des équipes, insatisfaction, sentiment de travail inachevé. Cela conduit à des départs et à des réorientations. Il y a une vraie inquiétude pour les fêtes de fin d'année. Un tiers des services sont en énorme difficulté, avec l'impossibilité de tenir toutes les lignes de garde, et un tiers sont saturés faute de lits d'aval disponibles, et pas seulement en raison des hospitalisations liées au covid, plutôt inférieures à ce que nous avons pu connaître. Notre problématique concerne donc l'attractivité. Comment donner envie aux urgentistes de travailler à l'hôpital pendant des années ?

Le système hospitalier est trop complexe. Nous avons besoin d'adaptabilité dans nos services d'urgence. Nous avons su le faire pendant la crise covid, mais il y a eu un retour en arrière complet après le Ségur de la santé. Cela creuse encore le fossé entre direction et soignants. On ne peut pas avoir une gestion purement comptable. Il faut pouvoir adapter les moyens selon l'activité. Que l'on nous permette au moins de mettre en place des organisations pour le tiers des services qui sont en difficulté à cause de problèmes de suractivité.

Il faut également valoriser les métiers des soignants, qui sont en souffrance. Si le Ségur a eu des effets en termes de salaires, je pense qu'il faut humaniser les métiers et, surtout, arrêter d'opposer les catégories de soignants entre elles. On remplace trop souvent des aides-soignants par des infirmiers. Or ce ne sont pas les mêmes métiers. Les ambulanciers qui sont en grève depuis des mois dans certains hôpitaux ont besoin d'une reconnaissance. Selon les directions hospitalières, il n'est pas possible de leur accorder le statut de soignants du fait des différences de grilles salariales. Cela démotive des professionnels pourtant très engagés.

Surtout, il y a une déqualification de la médecine d'urgence, avec une confusion entretenue par certains entre secours et soins urgents. La médecine d'urgence, ce sont des soins d'urgence ; le secours, c'est autre chose. Notre métier, c'est la médecine d'urgence hospitalière et extra-hospitalière. Les SMUR sont non pas des secours, mais des soins d'urgence et de réanimation. Nous sommes très opposés à la loi instituant un numéro unique pour les secours. Si nous voulons maîtriser l'aval, il faut mettre en place le service d'accès aux soins (SAS).

Ce qui nous dérange le plus, c'est l'image qui est donnée des urgences dans les médias : patients sans brancard, maltraitance, délais d'attente, services saturés, perte de chance, pénibilité du travail. Pourtant, le pacte de refondation des urgences prévoyait d'inverser la tendance.

De même, il est surprenant d'entendre parfois que les patients reçus aux urgences - « nos » patients - viendraient perturber l'organisation des services d'aval. On a beaucoup trop orienté ces services sur les soins programmés, pour réduire le nombre de lits. Aujourd'hui, nous sommes dans une impasse. On oppose trop souvent le programmé et le non-programmé alors que les flux de patients aux urgences sont prévisibles et peuvent être anticipés pour les périodes épidémiques.

J'insiste sur la confusion entre secours et urgences : pour nous, il est très difficile d'imaginer d'être sous la coupe d'un ministère autre que la santé.

Le ressenti des urgentistes aujourd'hui est qu'il y a une désaffection. Je me qualifie de professeur low cost, ayant passé trente ans dans un service d'hôpital rural à devoir face à toutes les problématiques de désertification médicale. Aujourd'hui, les urgentistes ont l'impression d'une désaffection des collègues de la médecine de ville pour la permanence des soins ambulatoires, qui relève pourtant de leur compétence. On constate des déséquilibres très forts, notamment en termes de pénibilité et de charge de travail. Nous sommes l'une des rares spécialités à assurer une permanence des soins. On constate aussi des différences de rémunération, par exemple entre des praticiens qui font à peu près le même métier dans un centre de régulation médicale mais interviennent sous des statuts complètement différents. C'est parfois blessant, à tel point que certains font le choix de quitter l'hôpital.

L'hôpital a aussi souffert du recours à l'intérim, que la loi Rist vient encadrer. Cela a créé un déséquilibre important.

La réalité est que les urgences sont la seule lumière allumée. Il est nécessaire que le flux des urgences soit contrôlé, il faut que l'accès passe par un numéro d'urgence. Il faut donner de l'attractivité au métier d'urgentiste, ce qui implique une diversification de l'activité. Il faut décider d'organisations adaptées en « double gouvernance », entre direction et responsables de service. Il faut harmoniser et simplifier les statuts, notamment pour les ambulanciers. Il faut aussi être capable d'organiser nos équipes avec une évolution de l'activité : il n'est pas normal qu'à soixante ans, je fasse encore huit à dix gardes par mois. La pénibilité de la permanence des soins a été la grande oubliée du Ségur.

Il faut organiser l'aval des urgences, avec des cellules de gestion des lits structurées à l'échelon territorial, fonctionnant 24 heures sur 24. On peut définir le besoin journalier minimum en lits (BJML). Nous savons qu'il y a des périodes de tensions reproductibles, donc prévisibles chaque année.

Malheureusement, nous avons du mal à mettre en place une telle organisation dans les hôpitaux, car la priorité a été donnée aux soins programmés sur les soins non programmés, alors que ceux-ci relèvent de toutes les spécialités.

Il n'y a pas que les services hospitaliers qui doivent prendre en charge les patients à la sortie des urgences. C'est aussi le rôle des structures permettant le retour à domicile dans de bonnes conditions, « l'aval de l'aval ».

Je suis intimement convaincu que l'expérimentation du service d'accès aux soins (SAS) est la priorité. Il faut développer ces systèmes, qui vont nous permettre d'organiser de véritables parcours de soins adaptés aux besoins de santé et, surtout, de diminuer le passage aux urgences. Cela passe par un numéro d'urgence santé.

La réorganisation de la permanence des soins ambulatoires (PDSA) est également importante. Il va falloir s'interroger sur la participation aux gardes de l'ensemble des collègues.

Enfin, actuellement, il y a plus de 600 structures d'urgence en France. Faut-il toutes les maintenir ouvertes en nuit profonde ? Le régime des autorisations des structures d'urgence est en cours de modification et il sera possible d'avoir des services ouverts sur une amplitude limitée. Peut-être faut-il accepter le principe de fermer la nuit celles qui ont une faible activité pour maintenir les SMUR qui assurent les soins d'urgence et renforcer en parallèle les services qui accueillent les patients réorientés en nuit profonde. C'est un vrai débat, qui nécessitera une grande pédagogie auprès des élus. À Vitré, les urgences ferment la nuit depuis un an. Cela a été précédé d'un travail avec les élus et les responsables hospitaliers pour trouver une solution adaptée aux besoins des patients.

Docteur Benoît Doumenc, chef du service des urgences médico-chirurgicales de l'hôpital Cochin à Paris . - Ayant exercé comme médecin généraliste en banlieue pendant plusieurs années, j'ai choisi de regagner l'hôpital. D'une part, en médecine générale, je me sentais un peu isolé ; dans un service d'urgence, on travaille plus en équipe. D'autre part, il n'y a aucune limite horaire pour un médecin généraliste.

J'ai participé à la restructuration de plusieurs services d'urgence en Île-de-France : l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), hôpital du Kremlin-Bicêtre, Bichat. J'ai ensuite pris la responsabilité des urgences de l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis ; nous avons restructuré ce service, qui était en perdition totale.

Depuis six ou sept ans, je dirige le service des urgences de l'hôpital Cochin et de l'Hôtel-Dieu, qui était dans une grande difficulté à l'époque. Avec mon adjointe, le professeur Florence Dumas, une pure urgentiste, nous en avons mis en place une structure avec un effectif médical quasiment complet.

J'ai eu la chance, tant en Seine-Saint-Denis qu'à Paris, d'avoir une direction avec laquelle je pouvais discuter ; nous étions parfaitement conscients, les uns et les autres, de nos difficultés et de nos obligations respectives. Mais la direction a su prendre en compte les besoins, par exemple pour mettre en place une ligne de garde lorsque cela était justifié. Cela permet d'avoir un service qui fonctionne plutôt bien.

Je partage l'analyse globale du professeur Louis Soulat sur la France. Mais il n'y a pas un service d'urgence qui ressemble à un autre service d'urgence.

À Cochin, nous avons peu de malades très graves qui arrivent dans nos urgences grâce à la régulation en amont. Je pense qu'il n'y a pas un problème des urgences. Il y a de grandes difficultés que nous rencontrons tous, mais qui varient selon les endroits où nous exerçons. En moyenne, à Cochin, nous avons entre 160 et 190 passages par jour. Ce taux a évidemment diminué pendant la crise sanitaire. Notre activité est aujourd'hui supérieure à ce qu'elle était avant la pandémie.

Quand on est en effectif médical ou paramédical suffisant et complet, le nombre de passages importe peu. Nous notons actuellement une augmentation du taux d'hospitalisation. Avant la covid, dans ma structure, nous étions environ à 14 % d'hospitalisation. Actuellement, nous sommes plus près de 20 %. Toutefois, il y a une baisse du nombre de lits ouverts.

À mon sens, il faut arrêter de dire que nous n'avons pas assez de lits. Mais les différentes spécialités dans l'hôpital doivent prendre conscience de la nécessité de réorganiser leurs services, en tenant évidemment compte de toutes les complexités, afin que les patients admis aux urgences puissent rapidement être pris en charge dans les autres services.

Pour ma part, j'ai très peu de problèmes de lits en aval, mais l'accessibilité est très complexe : par exemple, la décision d'accepter un patient dans le service de médecine interne sera prise à dix heures du matin, mais l'admission effective n'interviendra qu'à seize heures, soit la perte de près d'une journée pour la prise en charge du patient, avec des conséquences sur l'efficacité de celle-ci.

J'ai la chance de n'avoir pratiquement jamais de lits brancards. Le fait d'être à effectifs constants permet de fluidifier et de mieux prendre en charge les patients. Les décisions sont prises plus rapidement, plus facilement. Les conditions de travail sont indispensables.

Je rejoins ce que disent mes collègues : dans beaucoup de services d'urgence, les conditions de travail sont inacceptables. Mais il faut aussi que tout l'hôpital travaille dans le même sens.

Si nous avons moins de difficultés pour trouver des lits d'aval, c'est que nous avons une « machine de guerre » : une cellule de gestion des lits, qui ne relève pas des urgences, travaille chaque jour de la semaine pour trouver des lits. Et mes collègues des autres services ont compris que cette cellule leur permettra de trouver des lits dans d'autres services plutôt que de renvoyer les malades vers les urgences quand ils n'ont pas de lit dans leur propre service. Cette cellule nous aide beaucoup.

Nous avons également la chance d'avoir une équipe mobile de gériatrie, vers laquelle nous pouvons orienter certains de nos patients.

Vous devez vous dire que vous entendez enfin un urgentiste qui a l'air heureux. Certes, mais il y a des limites. Avec la fermeture des lits, liée au manque de personnels, toute organisation, aussi bonne soit-elle - nous sommes l'un des services les plus fréquemment choisis par les internes de spécialité à Paris - ne fonctionne pas. Selon moi, l'hôpital est arrivé au bout d'un système.

Docteur François Escat, médecin urgentiste libéral à la clinique d'Occitanie de Muret . - Comme mes confrères, je suis médecin généraliste. J'exerce la médecine d'urgence depuis un peu plus de vingt-quatre ans dans un service d'urgences privé. Je suis également régulateur au sein du centre 15, en permanence de soins ambulatoires, et du service d'accès aux soins. En outre, je suis officier de réserve du service de santé des armées depuis vingt ans.

Je vous remercie de m'avoir convié pour porter la voix de mes confrères urgentistes libéraux, qui exercent dans les 120 structures d'urgences privées de notre pays. Les urgences privées représentent à peu près 15 % des presque 24 millions de passages annuels aux urgences, soit environ 3,5 millions de passages, avec de fortes disparités selon les départements. En effet, 15 %, cela reste conséquent, mais pas énorme ; en revanche, dans une ville comme Toulouse, par exemple, les urgences privées représentent 50 % du total des passages annuels, à l'instar de nombreuses grandes agglomérations de ce pays.

Les services d'urgences privés fonctionnent exactement comme les autres : les médecins ont reçu la même formation, dans les mêmes CHU et les mêmes hôpitaux périphériques. Nous ne faisons aucune sélection de patients. Seuls des critères de capacité en termes d'effectifs et de plateaux techniques peuvent intervenir pour récuser certains patients proposés par la régulation.

Je suis venu vous lancer un appel au secours. Pour en avoir discuté avec les infirmières et les aides-soignantes, les agents de régulation médicale du SAMU 31, mes confrères urgentistes de l'hôpital public et du privé, mes confrères médecins généralistes de ville et mes collègues spécialistes, nous sommes tous épuisés physiquement et nerveusement. Je n'ai pas de solution miracle, mais il est certain que la situation actuelle ne peut plus continuer.

Un médecin généraliste débordé : les urgences. Une consultation de spécialité débordée : les urgences. Un désert médical : les urgences. Un cabinet fermé : les urgences. Des délais de rendez-vous allongés : les urgences. Un centre 15 débordé : les urgences. Et les urgences font ce qu'elles font depuis des années, ce que j'appelle les 3T : tout, tout le temps, tout de suite.

Pour faire de la médecine, il faut des médecins, des infirmières, des aides-soignants, des agents des services hospitaliers (ASH). Comme à l'hôpital public, nous faisons face à des vagues de démissions. Pour en avoir longuement discuté avec elles, je peux vous dire que les infirmières craquent. Faire toujours plus avec toujours moins, ce n'est plus possible. J'exerce dans une petite ville, au sud de Toulouse, dans une petite clinique avec 200 lits d'hospitalisation. Notre service des urgences accueille 36 000 personnes par an ! Quand nous l'avons ouvert, voilà vingt-trois ans, on dénombrait 6 000 passages par an. La progression est significative.

Nous sommes six médecins équivalents temps plein (ETP) : deux pendant la journée et un seul la nuit. De la médecine d'urgence, nous sommes passés à la médecine de catastrophe, avec un afflux massif de blessés. Mais c'est une catastrophe permanente : le flux ne s'arrête jamais ; il peut ralentir un petit peu la nuit, mais il ne s'arrête jamais. Nos équipes sont épuisées, et pourtant Dieu sait que nous les aimons et que nous essayons d'en prendre soin.

Comme l'ont déjà souligné mes confrères, nous sommes, nous aussi, confrontés au poids d'une administration folle, faite de formulaires, de protocoles, de réunionite, de référentiels, de normes chronophages sans intérêt réel pour le coeur de notre métier, à savoir le patient et le soin.

Depuis des années, le système essaye désespérément de faire rentrer la médecine dans des cases. Et comme cela est impossible, on tape fort ; mais un carré n'est jamais rentré dans un rond. Cela fait des années que nous tirons la sonnette d'alarme et, chaque année, nous arrivons à passer la période hivernale, classiquement la plus rude. En 2017, l'épidémie de grippe fut plus importante que d'habitude. Je me rappelle partir travailler la boule au ventre : un service plein, des ambulances qui arrivent continuellement, sans aucun lit brancard pour accueillir les patients. Cette année, nous risquons d'avoir la grippe et le covid et je crains que nous ne nous passions pas. Nous sommes débordés, submergés même, à tous les niveaux. Le SAMU, dans sa partie régulation, fait face à des volumes d'appel ingérables. Dimanche dernier, nous avons fini la journée avec plus de 1 700 dossiers. Les temps d'attente, après décroché et avant régulation, sont montés à 1 h 40 : c'est long. Et quand il y a trop d'appels, trop de temps d'attente, on régule un peu moins bien, on envoie vers les urgences.

Les demandes faites par le président de la Fédération hospitalière de France (FHF) aux médecins libéraux de reporter leurs congés de fin d'année ou par le directeur de l'AP-HP de racheter les périodes de congés pour quelques milliers d'euros ressemblent à une manoeuvre de cavalerie. Cela peut fonctionner pour quelques semaines, mais guère plus.

Comme je le disais, pour faire de la médecine, il faut des médecins et des soignants. Une étude récente montre que 50 % des médecins sont au bord du burn out . Beaucoup de mes confrères se désengagent et cherchent des activités moins intenses psychologiquement.

Je dis souvent en plaisantant que je suis l'énième rejeton d'une vieille dynastie médicale toulousaine. J'entends parler de médecine depuis ma naissance, avec un père professeur d'université, un oncle professeur d'université, un grand-oncle, un grand-père, un arrière-grand-père médecins. J'ai vu évoluer la médecine et les médecins : le système mis en place depuis quelques années a réussi à faire disparaître la sérénité. Or il est essentiel d'être serein lorsque vous remettez en jeu votre diplôme et votre vie à chaque patient. Lorsque le risque médico-légal devient fou, cela nous amène, et c'est humain, à penser par moments plus à nous qu'à nos patients.

L'heure est grave : notre système de soins est au bord de l'implosion, et ce n'est plus une figure de style. Nous sommes tous en train d'y laisser notre peau. Lorsque je prends ma garde et que je récupère des confrères en larmes et des infirmières en pleurs, ce n'est pas normal. C'est indigne d'un pays comme le nôtre. Je n'accable personne, mais c'est le résultat de quarante ans de politiques de santé basées sur une gestion industrielle de la médecine. Il n'y a pas d'économies d'échelle en médecine : les gros groupes, les grands hôpitaux ne réalisent que très peu d'économies d'échelle, sinon à la marge. Et on ne gère pas un hôpital comme une usine de petits pois !

Il faut des humains pour soigner des humains. Et maintenant, il va falloir s'occuper des soignants. C'est une priorité absolue : sans soignants, il n'y a plus de médecine et des drames sont à venir. Voilà quelques mois, je discutais avec le directeur du SAMU 31 à la suite d'une récrimination des pompiers sur le fait que certains médecins urgentistes n'avaient pas été aimables. À la question de savoir combien de fois cela était arrivé, la réponse a été : une fois par mois. Soit douze fois par an sur 36 000 passages... C'est comme le pourcentage d'erreur du SAMU 31, qui doit être équivalent à celui de tous les SAMU de France, à savoir 4 pour 1 000, c'est-à-dire 99,6 % de succès. Plutôt que de saluer ce succès, on regarde les 4 pour 1 000...

Regardons ce qui fonctionne, prenons soin des médecins, favorisons les passerelles entre le public et le privé, décloisonnons, simplifions et redonnons le pouvoir à ceux qui savent.

Le diplôme d'études spécialisées de médecine d'urgence, le fameux Desmu, avec un exercice exclusif en service d'urgences des médecins formés à l'urgence absolue, les CCMU 4 et 5, qui représentent un peu moins de 2 % des passages, est un exemple de la fausse bonne idée : qui va réorienter les 98 % restants ? Qui va faire des sutures, des plâtres ? Qui va s'occuper de ces gens ? Il n'y a plus que nous, à partir de minuit : ni permanence de soins ambulatoires ni médecin généraliste de garde... Seules les urgences sont ouvertes.

Les urgentistes font tout : du rhume à l'infarctus, en passant par l'embolie pulmonaire ou l'AVC. Nous allons avoir besoin de toutes les bonnes volontés. La formation des internes doit également se faire dans le privé. Un stage, ce n'est pas énorme, mais cela permettra de rendre les discussions public-privé plus fluides et de faire disparaître les inimitiés dues à une méconnaissance du travail de l'autre. Nous faisons le même métier, nous prêtons le même serment, nous soignons les mêmes patients.

Utilisons au mieux les compétences, optimisons les ressources disponibles ; il y en a encore un tout petit peu... Une direction totalement administrative, comme l'a décrété la loi Hôpital, patients, santé et territoire (HPST), ne fonctionnera jamais : l'administration doit être au service des médecins et des soignants, pas l'inverse.

Pour conclure, je réitère mon appel au secours pour l'ensemble des médecins et personnels soignants de ce pays. Nous sommes à bout, en train de craquer. Toute forme de contrainte supplémentaire ne fera qu'augmenter l'hémorragie de compétences qui, comme vous le savez, sont longues à remplacer. Remettons du bon sens, de l'humanité et de la gentillesse. Arrêtez de nous transformer en machines à soigner, cela ne marche pas. Aidez-nous à continuer à être fidèles à notre serment.

M. Bernard Jomier , président . - Il était plus que nécessaire d'entendre votre témoignage, qui illustre l'unité des problèmes auxquels font face secteur privé et secteur public.

Docteur Caroline Brémaud, cheffe du service des urgences du centre hospitalier de Laval . - Le centre hospitalier de Laval, qui fait partie des villes moyennes, draine un bassin de population de 100 000 habitants. Nous avons 35 000 passages par an. Nous sommes l'hôpital support du département. Nous sommes trois médecins durant la journée et deux la nuit. Nous accueillons des internes, des externes et des docteurs juniors. Nous avons un beau plateau technique : une réanimation polyvalente, une salle de coronarographie, une pédiatrie, des chirurgies de diverses spécialités, une maternité de niveau 2B...

Nous connaissons une augmentation de notre activité depuis dix ans d'environ 20 %. Nous sommes cinq équivalents temps plein pour une cible comprise entre 16 et 18 ETP pour fonctionner correctement. Nous sommes un peu moins de trois équivalents temps plein à avoir le droit d'exercer la nuit. Voilà dix ans, nous n'étions pas beaucoup plus : nous étions 6,5, mais le recours à l'intérim était plus facile. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus difficile, en raison d'une perte d'attractivité due à la grande pénibilité de notre métier. À salaire équivalent, les intérimaires préfèrent se rendre dans des structures plus petites, où la charge de travail est moins importante. Le recours à l'intérim est donc quasi inexistant.

Notre temps additionnel est colossal : entre 400 et 500 heures par an. Nous souffrons d'un manque d'effectifs de paramédicaux : il nous manque 37 infirmières. En dix-huit mois, nous sommes passés de 340 lits à 280.

En ce qui concerne la prise en charge des patients, je crois que le mot « indigne » est le qualificatif le plus simple et le plus parlant.

On peut attendre plusieurs heures avant d'être pris en charge. Cette semaine, une dame de quatre-vingt-quinze ans est restée trente-six heures dans le couloir des urgences. On ne souhaite ça à aucun membre de sa propre famille. C'est juste intolérable. Chaque nuit, plusieurs personnes dorment dans le couloir des urgences. Avant la crise covid, on affichait sur les murs le nombre de personnes qui dormaient dans les couloirs. Pour des raisons sanitaires, on a arrêté de mettre des feuilles sur les murs, mais les personnes sont toujours là. Certains patients doivent uriner derrière un petit paravent. Parfois, on n'a pas assez de brancards. On met alors les gens sur des fauteuils. D'autres fois, on manque de couvertures et les patients ont froid. En fait, on n'a pas assez de place. Il y a une mise en danger des patients, il y a des défauts de surveillance... Notre hôpital est sous-dimensionné par rapport à notre activité.

Je vous ai dressé un tableau rapide de mon quotidien aux urgences, de ce que je vis tous les jours. Mais comprendre les urgences, c'est aussi comprendre l'amont et l'aval. Comme vous l'avez très bien expliqué, les urgences souffrent d'un effet domino qui leur retombe toujours dessus. Quand la médecine générale est débordée ou plus disponible : allez aux urgences. De même pour les spécialités de ville ou les spécialités d'hôpital : allez aux urgences. Le centre de soins non programmés est fermé pendant les fêtes de fin d'année : allez aux urgences. Mais moi, je ne suis pas sûre que les urgences soient ouvertes pour la fin d'année. Il y aura peut-être des nuits fermées. Et nous sommes en train de nous battre pour qu'il n'y ait pas de jours fermés. Je vous rappelle que nous sommes l'hôpital support du département.

Voilà quelques années, comme l'a très bien dit Louis Soulat, on orientait, on triait, on faisait des soins urgents. Maintenant, on prend en charge tout cet effet domino parce que la lumière est allumée. On est là tout le temps, parce qu'on est les urgences. On est à la fois et le premier et le dernier recours des gens. Quand on ne sait plus quoi faire ni où aller, on va aux urgences.

Mon département est le cinquième désert médical de France : il y a 6,3 médecins pour 10 000 habitants ; 10 % des plus de seize ans n'ont pas de médecin traitant. Dire aux gens d'aller voir leur médecin traitant, c'est une façon très polie de leur dire de se débrouiller. Ce n'est pas entendable.

Comment ouvrir des lits quand il n'y a pas de paramédicaux ? Mon agence régionale de santé ne demande qu'à en ouvrir, mais les paramédicaux sont dégoûtés. Un soignant, ce n'est pas un technicien. Il faut revoir les ratios soignants-patients. Un soignant doit être en forme et en bonne santé pour prendre en charge un patient qui, par définition, est en détresse. Nos soignants sont usés, paramédicaux et médecins, en raison de leur charge de travail, de leurs conditions de travail... Tout est difficile. Quand tout va mal, on regarde dans le détail ce qui ne va pas : pourquoi les ambulanciers ne sont-ils pas reconnus comme des soignants ?

On cherche à trouver ce qui nous motive, ce qui nous donne envie de nous lever le matin, ce qui fait qu'on a, ou pas, la boule au ventre pour aller au travail.

Le Ségur a oublié le médico-social. La rentabilité ne doit pas être l'objectif du soin. Le premier médicament, c'est l'humain. Quand vous arrivez aux urgences, vous avez envie qu'on vous accueille avec douceur et gentillesse, qu'on prenne en compte votre problème et qu'on soit humainement disponible à recevoir votre détresse. Aujourd'hui, nous n'en sommes plus capables.

Lundi dernier, j'ai fait plus de 25 heures de garde. Je suis rentrée chez moi, je me suis reposée, je me suis levée, j'ai mangé et puis j'ai fait mon travail de cheffe de service : j'ai fait une réunion avec mon équipe pour préparer la certification et puis je suis allée à la commission médicale d'établissement (CME), j'ai fait d'autres réunions... En définitive, je n'ai pas dormi une minute sur mon repos de garde. Le flux est constant. Nous n'avons plus de temps off. Et c'est aussi pour cela qu'on a du mal à enchaîner : aujourd'hui, je mets au défi n'importe qui de travailler 48 ou 72 heures. C'est juste impossible.

Je souhaite poser des congés à la fin de l'année. Depuis que je travaille, je n'ai jamais eu de congés en entier. J'ai décalé mes congés de deux jours : au lieu d'être en congés vendredi soir, je le serai dimanche, et je reviendrai mercredi soir, au milieu de mes congés, pour faire une garde. Autrement, les urgences seront fermées. Vous rendez-vous compte de cette pression ? Je suis une maman de quatre enfants et je vais leur dire, en plein milieu des vacances : « Dormez bien, mes chéris, maman part travailler. » Ils m'ont demandé une fois si le préfet était au courant qu'on était dimanche ou que j'étais en vacances. Je leur ai répondu qu'il y avait des choses plus importantes. Ces paroles d'enfant font mal.

Je vous livre mon témoignage avec tout mon coeur et ma sincérité. J'ai reçu les mêmes d'autres chefs de service, dans d'autres établissements de villes moyennes, qui vivent la même chose.

Nous ne sommes pas systématiquement dans la dénonciation : il y a des solutions. D'abord, nous sommes en très fort décalage avec l'administratif : pour un urgentiste, attendre une heure, c'est déjà beaucoup... Nous ne demandons qu'à avancer, mais les contraintes administratives nous bloquent.

Il faudrait également envisager une régulation de l'installation : il n'est peut-être pas drôle d'exercer dans un désert médical, mais y vivre sans médecin traitant, cela l'est encore moins...

Autre proposition, revoir les projets architecturaux, les dimensionner pour mieux accueillir les patients et être attractif. Il est important d'avoir un beau cadre de travail, mais surtout un cadre adapté aux capacités qui sont demandées à l'établissement en termes de passages de patients.

Enfin, il faut valoriser nos soignants. Le Ségur a prévu des mesures en faveur des infirmières de fin de carrière. Mais il n'y a plus d'infirmières de fin de carrière : elles arrêtent avant. Il faut favoriser précocement les soignants, dès le début de carrière. Il faut également favoriser tout ce qui est innovant : les infirmiers en pratique avancée (IPA), les délégations de tâches, les services d'accès aux soins, le lien ville-hôpital. La personne qui devait prendre en charge la cellule ville-hôpital dans mon hôpital est partie, écoeurée par les conditions de travail.

Nous avons beaucoup d'idées et de projets, mais il y a de moins en moins de monde pour les mener. Je fais le plus beau métier du monde et je crois en l'hôpital public ; c'est pourquoi je continue à me battre. Trop longtemps, on a considéré la santé comme l'affaire des soignants, alors que c'est l'affaire de tous les citoyens. Il faut redonner ses lettres de noblesse à la santé.

Docteur Tarik Boubia, chef du service des urgences du centre hospitalier de Clamecy . - Je suis chef de service des urgences du centre hospitalier de Clamecy, praticien hospitalier en médecine d'urgence, diplômé de la faculté de médecine de Dijon. Médecin généraliste, j'ai suivi une formation complémentaire, la capacité de médecine d'urgence et de médecine de catastrophe. C'est une lourde erreur d'avoir supprimé cette capacité : 80 à 90 % des urgentistes en France ont suivi ce cursus. Les nouveaux urgentistes, même s'ils ont une meilleure formation, sont beaucoup moins nombreux. Si nous n'y changeons rien, nous programmons à court terme la pénurie.

De plus, cette formation permettait la polyvalence, puisque l'on pouvait poursuivre sa carrière dans la médecine d'urgence ou dans d'autres branches. Les jeunes médecins sont attirés par l'activité partagée, qui consiste par exemple à ouvrir un cabinet dans une maison médicale de garde tout en exerçant aux urgences.

Or le nouveau système a certes amélioré la formation des urgentistes, en créant des praticiens formés au même titre que les cardiologues, pneumologues ou autres, mais il a aussi réduit les effectifs et emprisonné ces médecins dans la médecine d'urgence. Cela ne répond pas à la demande sociale.

Le centre hospitalier de Clamecy dessert un bassin de santé de 25 000 habitants dans un territoire hyper-rural, constitué de petites communes dispersées dans un diamètre de 50 kilomètres. Comme nous sommes à l'écart des grands axes de transport, les temps de déplacement sont plus longs : il faut compter 50 minutes de Clamecy à l'hôpital de référence d'Auxerre et 1 heure 10 jusqu'à celui de Nevers. Il convient de noter que les transports sanitaires primaires vers Clamecy sont assurés par les pompiers volontaires. La population, enfin, compte une proportion importante de retraités et de personnes socialement défavorisées.

C'est un hôpital de proximité ayant le statut d'hôpital isolé, avec 40 lits de médecine polyvalente à dominante gériatrique. Nous n'avons plus de lits d'hospitalisation spécialisée. Deux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) se trouvent dans l'enceinte de l'hôpital.

En 2008, la fermeture de la maternité a été vécue comme un traumatisme. En 2012, c'était le tour du service de chirurgie générale, qui assurait la chirurgie orthopédique et viscérale, dont le plateau technique a été transféré vers le centre pivot le plus proche, à Auxerre, où se trouve la direction générale du groupement hospitalier de territoire (GHT) dont nous faisons partie. En compensation de ces fermetures, un SMUR a été créé, ainsi qu'une unité de surveillance continue (USC) de quatre lits sous la responsabilité des urgentistes, et un centre périnatal de proximité.

Enfin, en 2018 a été présenté un projet de fermeture des urgences la nuit. Compte tenu de l'historique récent, le territoire s'est mobilisé, avec une forte médiatisation. Les élus ont menacé de démissionner, comme les pompiers volontaires ; les entreprises ont fait part de leurs craintes pour la pérennité de leur implantation - la ville de Clamecy a sur son territoire une entreprise chimique classée Seveso.

Le service des urgences comporte un service d'accueil avec cinq boxes dont deux de déchocage, deux lits de courte durée, un SMUR et une USC de quatre lits pour les patients instables. Nous assurons également la permanence des soins nocturnes en semaine pour les patients hospitalisés en médecine.

Depuis deux ans, nous sommes dotés d'une aire d'atterrissage nocturne d'hélicoptères. Nous avons un système de télémédecine depuis cinq ans, qui permet de traiter les AVC en phase précoce sans pertes de chances, en collaboration immédiate avec le CHU de Dijon et l'unité neuro-vasculaire (UNV) : le taux d'AVC est plus important dans notre bassin de population. Nous avons une biologie performante délocalisée, disponible en moins de quinze minutes, qui nous permet de balayer tout ce qui relève de l'urgence vitale. Enfin, nous sommes équipés d'un scanner opérationnel 24 heures sur 24.

Les effectifs s'élèvent à 3,3 ETP sur un effectif théorique de 8 ETP : deux praticiens hospitaliers (PH) à temps plein et deux contractuels à temps partiel. Pour assurer le planning, nous effectuons des heures supplémentaires et faisons appel à des vacataires pour limiter l'intérim. Nous enregistrons 10 000 à 11 000 passages par an, dont 450 sorties SMUR.

Nous sommes confrontés à trois problématiques spécifiques. D'abord, l'absence d'attractivité de l'établissement pour les praticiens urgentistes, que nous constatons depuis le début 2020. La modernisation de l'USC et des « lits portes » est reportée depuis 2007.

Ensuite, ce sont les pompiers volontaires qui assurent la majorité des transports primaires ; ils n'ont pas vocation à assurer le transport vers les hôpitaux référents d'Auxerre et de Nevers. Ils ont annoncé qu'ils démissionneraient s'il leur était demandé de le faire.

Enfin, nous sommes confrontés à la fragilisation des filières d'urgence chirurgicale, surtout depuis la fermeture, il y a deux ans, de la clinique de Cosne-sur-Loire. Cette clinique, en contrat de service public, était ouverte 24 heures sur 24 et opérait la nuit. C'était un établissement de recours, à 50 kilomètres de Clamecy, lorsque l'hôpital pivot d'Auxerre ne pouvait absorber les urgences. Un exemple de cette fragilité : un homme de plus de 90 ans victime d'une fracture du col fémoral est resté quatre jours dans nos lits-portes, cet été, avant d'être transféré vers un hôpital éloigné. Il faut raisonner en termes de filières de soins : c'est le coeur de métier de la médecine d'urgence.

Clamecy, c'est donc un petit service d'urgences, adossé à un petit hôpital, mais un service vital pour une population rurale isolée.

M. Bernard Jomier , président . - Merci à tous. Vos propos sont parfois durs à entendre, mais nous connaissons ces réalités que vous vivez au quotidien. En tant que parlementaires, nous essayons de comprendre les raisons de cette situation, et surtout de trouver les bons outils pour y répondre rapidement.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Les interventions du docteur Brémaud et du docteur Boubia mettent en évidence les disparités territoriales qui ne réclament peut-être pas les solutions uniques que l'on cherche à imposer depuis longtemps.

Il faudra réfléchir à des solutions adaptées aux territoires, aux bassins de vie, à l'organisation des soins. Ainsi, comment les professionnels des autres territoires réagissent-ils aux propos du docteur Boubia sur la formation ? La perception n'est pas nécessairement la même à Cochin.

Le Ségur a été présenté comme une avancée, avec une revalorisation indéniable des salaires. Mais les disparités de traitement ont créé des frustrations, ce qui a en partie annihilé ses effets bénéfices.

Docteur Doumenc, vous avez obtenu une cellule de gestion des lits, une équipe mobile de gériatrie. Ces propos nous donnent du baume au coeur ; rencontrez-vous des obstacles venus de votre administration ? Nos auditions font ressortir une empreinte forte de l'administration sur le médical, qui est une conséquence de la loi HPST que nous allons évaluer. Dans le cas contraire, qu'est-ce qui fonctionne bien ?

Vos propos mettent aussi en évidence l'équilibre difficile à trouver entre la sécurité et la proximité : des établissements qui réalisent trop peu d'actes peuvent mettre en péril la sécurité des patients. Avez-vous des solutions ?

Y a-t-il beaucoup de patients qui viennent directement aux urgences sans y être orientés ?

La coopération public-privé est une piste à explorer : les cliniques assurent un huitième des urgences.

Des textes récents ont apporté des modifications à la tarification des urgences. Ont-elles été positives ou négatives ? Nous avons besoin de solutions à long terme, mais aussi à court terme : nous ne pouvons pas laisser perdurer des situations comme celles que vous décrivez à l'hôpital de Laval. Former des médecins est une partie de la solution, mais comment faire revenir ceux qui sont partis de l'hôpital ?

Docteur Tarik Boubia . - L'abandon de la capacité de médecine d'urgence est une perte quantitative : 70 % des effectifs de futurs médecins urgentistes environ. Il est indispensable de rétablir la double filière de formation, et de permettre une activité partagée, par exemple entre maison de santé et hôpital. Cela fluidifierait et renforcerait le lien entre la médecine de ville et l'hôpital. Il faut, à mon sens, rétablir la capacité de médecine d'urgence et rendre aux médecins la possibilité de faire de la médecine d'urgence, de la médecine libérale ou les deux simultanément. Nous avons perdu un outil remarquablement efficace.

Nous connaissons tous les tracasseries administratives avec les directions d'hôpitaux. Nous avons le savoir-faire et l'expertise des soignants, mais nous n'avons pas la main sur la gouvernance. Même des professeurs des universités de l'AP-HP, considérés comme l'aristocratie du système hospitalier français, ont démissionné. C'est du jamais-vu ! C'est le signe d'un véritable malaise.

Tout cela devrait permettre à nos représentants élus de faire évoluer les choses, en tenant compte de notre expérience de terrain : nous prenons en charge les patients, nous constatons les carences, et nous connaissons la différence entre la prise en charge d'une urgence à Cochin, au CHU de Rennes, dans le secteur libéral à Toulouse et en zone rurale. C'est le mérite de la médecine d'urgence que de s'adapter à ces configurations. Dans les urgences, il est impossible de fixer un quota de patients à traiter par jour. À Cochin, pour la prise en charge d'un infarctus, la salle de coronarographie est à côté des urgences. À Clamecy, je dois attendre une heure avant de transférer le patient vers l'hôpital pivot d'Auxerre, où se trouve la salle de coronarographie.

Il est indispensable de raisonner en termes de filières de soins, faute de quoi nous passerons toujours à côté du sujet.

Docteur Caroline Brémaud . - Il faut commencer par assumer les difficultés du système de santé, car on ne traite pas un problème qui n'existe pas. Nous avons toujours peur de réduire l'attractivité de notre établissement en mettant en avant ce qui ne va pas. Or il faut dire ce qui ne va pas, pour faire un état des lieux et penser l'amélioration. C'est ce qui est en train de se produire, de manière inédite. Les langues se délient, ce qui nous permettra de mettre les choses à plat. Voilà la première difficulté avec nos ARS : elles ont peur de dire ce qui ne va pas.

Comment faire revenir les soignants ? Une part croissante d'entre eux ne finissent pas leurs études - jusqu'à 30 % pour les écoles d'infirmières. Lisser les différences de statut enverrait un message politique très fort.

Il faut également traiter le travail supplémentaire de façon homogène : en fonction des directions des ressources humaines (DRH), il est versé sur un compte épargne temps ou traité en heures supplémentaires. Parfois il est choisi, parfois non. Dans mon hôpital, les heures supplémentaires sont majorées de 50 % ou non, selon le service où elles sont effectuées : d'où ce système aberrant où des soignants de réanimation préfèrent aller faire les heures supplémentaires en unité covid, où elles sont mieux payées ! Ce sont des aberrations profondément toxiques pour l'hôpital. Il faut assainir cela et retravailler les statuts des ambulanciers, des soignants, pour rétablir de la confiance.

Nous faisons un métier de passion : le mot de médecin, ou d'infirmière, fait rêver les enfants. Normalement, nous devrions recruter sans difficulté, mais nous cassons les vocations.

Concernant le recours aux urgences, notre ARS Pays de la Loire a conçu une campagne d'affichage pour inciter à appeler le médecin traitant, le 15 ou le 116-117 avant de se rendre aux urgences. Cela donne des résultats, mais il faudrait un message répétitif, fort et national.

Originaire de Tours, je suis venue travailler en Mayenne parce que la permanence des soins fonctionne dans ce département. Un généraliste peut fermer sa porte le soir et le week-end sans avoir l'impression d'abandonner ses patients. Le SAS offrira une solution à court terme aux patients.

Il faut aussi créer des structures de médecins salariés. La lourdeur administrative peut dissuader les jeunes médecins de s'installer. Il faut diversifier les propositions, car un désert médical ne nécessite pas les mêmes mesures que Paris, les grandes villes ou les villes moyennes.

Docteur François Escat . - Je partage l'avis du docteur Boubia sur l'effet contre-productif de la spécialité de médecine d'urgence, qui enferme ses titulaires dans un exercice dont ils ne peuvent sortir. En voici un exemple : médecin généraliste, titulaire de la capacité de médecine d'urgence (CAMU), j'essaie depuis quelques mois de créer un centre de consultations non programmées dans une cité-dortoir proche de Toulouse, Colomiers. La mairie nous a très bien accueillis. Mais le président du conseil départemental de l'Ordre des médecins, que je connais très bien, m'a dit que, puisque je n'exerçais plus la médecine générale depuis plus de trois ans, je devais faire un stage de trente jours chez un médecin généraliste ! Nous essayons de prendre des initiatives, mais c'est épuisant...

Concernant la tarification, la nomenclature CCAM avait totalement oublié la médecine d'urgence. C'était une cote mal taillée, mais nous nous y étions habitués, avec quelques aberrations : l'extraction d'un corps étranger dans l'oeil était mieux rémunérée qu'un infarctus du myocarde... Au 1 er janvier 2022, elle sera remplacée par un système de forfaits en fonction de l'âge et d'autres critères, qui fera varier la rémunération annuelle de 15 % à la hausse ou à la baisse. Pour ceux qui seront défavorisés, ce n'est pas tenable. Nous discutons depuis plusieurs mois avec la direction générale de l'offre de soins (DGOS). La Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Seine-Saint-Denis annonce que, le système n'étant pas prêt, les urgentistes libéraux ne seront pas rémunérés en janvier ni en février, peut-être en mars... La Caisse nationale dément, mais il y a une Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) et une centaine de caisses primaires. Nous revenons aux travers administratifs. Nous ne comprenons rien, et des drames s'annoncent : des services vont fermer.

Je crois savoir que le stage obligatoire est spécifique à la Haute-Garonne : le conseil départemental de l'Ordre a appliqué un texte qui visait les praticiens n'ayant pas exercé depuis trois ans en raison d'une longue maladie ou d'un congé maternité.

M. Bernard Jomier , président . - Preuve que l'approche bureaucratique n'est pas le propre de l'État !

Docteur Benoît Doumenc . - Mes propos seront quelque peu à contre-courant de ceux de mes collègues. La spécialité de médecine d'urgence est à mes yeux la meilleure chose qui nous soit arrivée. Auparavant, les urgentistes n'étaient pas considérés.

Quand j'étais externe, les services d'urgence étaient soient sous la responsabilité du réanimateur médical, soit sous celle de la médecine interne. On y envoyait les médecins qui n'avaient aucun avenir hospitalier, qui n'avaient pas de place en spécialité ou en chirurgie. Beaucoup sont donc venus à contrecoeur, et on a également recruté des médecins étrangers. Avec cette capacité, nous avons enfin une reconnaissance administrative, qui nous place au même rang que les autres spécialités. Naturellement, il faut prévoir des passerelles, mais nous sommes enfin une spécialité à part entière. C'est fondamental dans nos discussions avec nos collègues de l'hôpital.

Mon confrère a fait référence aux démissions de professeurs des universités de l'AP-HP ; pour ma part, j'en ai assez que des médecins qui n'exercent pas dans notre spécialité prennent la parole pour dire ce qui ne va pas aux urgences. Cela nous dessert.

L'ennemi n'est pas l'administration en tant que telle, mais, parfois, les personnes qui la représentent, comme ce président de conseil départemental de l'ordre qui demande au docteur Escat de faire un stage. Ce n'est pas une question administrative, mais de confraternité.

Pour ma part, je suis peut-être né sous une bonne étoile, mais j'ai la chance d'avoir au sein de l'AP-HP une administration qui m'écoute, qui est capable, lorsqu'elle me dit non, d'en expliquer les raisons. Nous n'obtenons pas tout, mais la discussion est possible. Cessons de stigmatiser des hôpitaux entiers sur la foi d'une mauvaise expérience avec un individu ; arrêtons aussi de stigmatiser au sein de l'hôpital en opposant le professeur à l'administration, ou le praticien hospitalier au professeur : cela nous fait beaucoup de mal.

Cela fait des années que les urgences vont mal - depuis que je suis externe. Elles ont été un avant-coureur de ce qu'est devenu l'hôpital. Vous, les politiques, en êtes responsables, parce que vous n'avez pas entendu les messages. On a laissé la situation se dégrader, et les urgences ont eu un effet domino sur l'hôpital.

Monsieur Boubia, l'urgentiste doit être capable de dire : « non ». Nous avons des missions sur le plan réglementaire ; nous n'avons pas vocation à pallier tous les dysfonctionnements de l'hôpital. Dire non, ce n'est pas laisser les autres services se débrouiller, mais leur demander de s'organiser. Il faut une discussion générale : si nous n'abordons le problème que sous l'angle des difficultés aux urgences, nous obtiendrons ici un brancard, là 100 euros de plus pour la journée, mais les choses ne changeront pas. Il faut considérer les difficultés de l'hôpital dans leur ensemble.

Dans mon hôpital, le plan Zéro brancard a été mis en oeuvre pour réduire le nombre de brancards ; il ne concerne pas exclusivement l'activité des urgences. Une assistante sociale a également été embauchée, le tout dans un dialogue avec l'administration et avec des collègues de l'hôpital.

Le numerus clausus a diminué de manière catastrophique depuis des années, mais notre spécialité n'est pas la seule que cela plonge dans les difficultés. Ainsi la psychiatrie est dans un état catastrophique : à Cochin, la demi-garde va être arrêtée, par manque d'effectifs de psychiatrie dans l'ensemble du groupement hospitalier. Il n'y aura pas de solution miracle, le temps que les nouveaux étudiants soient formés.

Pour retrouver de l'attractivité, il faut s'organiser différemment au sein de l'hôpital, en mettant tous les services autour de la table.

M. Bernard Jomier , président . - La rapporteure vous a interrogés sur les textes récemment adoptés. Vous avez interpellé le monde politique, en soulignant que la situation n'est pas récente.

Depuis quatre ans que je suis parlementaire, nous avons voté quatre dispositions principales touchant les urgences : le forfait réorientation, le forfait patient urgences, une modification du financement qui introduit une dotation populationnelle et des critères de qualité, et le 85SAS. Quel est votre avis sur ces dispositions ?

Docteur François Escat . - Pour réorienter quelqu'un, il faut l'examiner. Auparavant, l'examen et le diagnostic ou l'ordonnance étaient faits par la même personne. Avec le nouveau système du forfait réorientation, il faut deux, voire trois personnes pour gérer le problème. Cela suscite, en plus, l'incompréhension des généralistes : l'hôpital touchera 60 euros pour examiner le patient - il y a les coûts de structure, mais le généraliste ne les perçoit pas - et l'orienter vers le médecin de ville, qui ne recevra que 25 euros. Cela ne passe pas.

M. Bernard Jomier , président . - Ce forfait n'entrera en vigueur qu'au 1 er janvier 2022.

Docteur Benoît Doumenc . - Je ne partage pas cet avis. La réorientation est effectuée par l'infirmier d'accueil et d'orientation (IAO). Pour ma part, je trouvais aberrant que nous perdions de l'argent sur cet acte, alors qu'il impliquait une prise de constantes et une décision d'un personnel de santé.

Il y a aussi un enjeu de valorisation de l'acte infirmier. L'infirmier d'accueil et d'orientation est un poste clé dans les services d'urgences, car il opère un tri. Il est inadmissible qu'on ne le trouve pas dans toutes les urgences, car son absence induit une perte de chances pour les malades. L'administration locale a un rôle fondamental dans ce domaine.

La réorientation aux urgences ne me pose pas de problème. En deux minutes, on peut établir un diagnostic et faire sortir le patient. Tout le monde s'y retrouve, en particulier les structures de médecine d'urgence ou de soins non programmés qui s'installent à côté des hôpitaux. Ces structures sont prêtes à recevoir les patients. Encore faut-il trouver vers qui réorienter les patients.

Une seule chose me gêne : le fait que la tarification va à l'encontre de ce que l'on nous apprend dans la médecine d'urgence, à savoir faire le bon examen pour le bon patient. La réforme va nous inciter à réaliser davantage d'examens complémentaires, qui feront rester nos patients plus longtemps. Or nos ressources de biologie et d'imagerie s'épuisent.

Professeur Louis Soulat . - Je suis un fervent défenseur de la réorientation, même s'il y a des difficultés à trouver un médecin effecteur. On ne peut pas la rejeter tout en se plaignant de ne pas pouvoir maîtriser l'amont ni limiter l'accès aux urgences. Cette question est liée à celle du SAS. L'objectif est d'éduquer la population à appeler un numéro santé avant de se rendre aux urgences. Il y a une certaine logique à ce dispositif, qui est analogue à celui du SAMU.

Je rappelle que l'examen par les infirmiers est validé par un médecin référent. Certes, c'est peut-être aussi lourd que de voir directement le patient. Mais depuis 2002, avec l'extension de l'activité des 15 et des SAMU, il nous a été reproché de capter des patients de médecine générale, avec l'incitation que représentait la tarification à l'activité. Cette réforme est donc bienvenue.

La réforme du financement repose sur un critère populationnel, avec deux types de patients pris en charge, et un critère de qualité. Il y aura des gagnants et des perdants, mais cela reflètera plus honnêtement ce qui est réellement fait dans les urgences. Cette réforme nous semble nécessaire et cohérente. Au niveau de la région Bretagne, nous pourrions espérer 2,6 millions d'euros en plus.

Il y a des services d'urgences de l'Est parisien où les hospitalisations après passage aux urgences ne dépassent pas 15 %, alors qu'elles atteignent 30 à 40 % à Laval et Rennes. La modulation de tarification est intéressante pour répondre à ces différences.

Le SAS, c'est ce qui doit nous permettre de contrôler l'accès aux soins des urgences. Il s'agit de replacer le médecin traitant au coeur du parcours du patient, et pas, pour l'hôpital, de récupérer des appels à travers son SAMU.

Il ne faut pas confondre formation des urgentistes et organisation des services d'urgence. La médecine d'urgence est désormais une spécialité reconnue et choisie par les jeunes médecins, parce qu'elle est devenue très complète : on fait des échographies aux urgences. Cela réclame un certain niveau.

Mais dans la pratique, le premier principe incontournable à respecter est celui de la proximité. Les patients les plus graves que nous voyons aux urgences, les consultations cardiologiques d'urgence (CCU) sont les mêmes sur tout le territoire, mais la périodicité est différente : on voit davantage d'infarctus à Laval qu'à Clamecy. Il faut donc la même technicité partout, et par conséquent un niveau de formation élevé. Évitons les combats d'arrière-garde : nous avons tous été formés sur le terrain, mais cette époque est terminée.

En revanche, l'organisation des services doit être intelligente : un service d'urgence peut tout à fait associer des généralistes, des urgentistes et des gériatres.

Pour répondre au besoin de proximité, il faut s'interroger sur le nombre de services d'urgence qui seront ouverts en permanence. C'est l'objet de la réforme du régime des autorisations. Peut-être faudrait-il organiser les soins d'urgence de proximité en maintenant en priorité les SMUR. Deux lignes de garde ne se justifient pas pour une activité limitée. On a aujourd'hui vraiment intérêt à partager la pénibilité des services et à maintenir un bon niveau de technicité. Il faut que les urgentistes tournent sur les sites, en priorisant les choses. À titre personnel, je ne suis pas sûr qu'il faille s'évertuer à maintenir ouvertes toutes les structures d'urgence, même si cela pose des problèmes de transport. J'ai audité l'hôpital de Laval : on ferme les urgences dans le chef-lieu alors qu'il y a deux lignes de gardes complètes dans chacune des deux structures d'urgence périphériques. Pourquoi en est-on là ? La pénibilité n'est certainement pas la même ; nous n'avons pas réussi à mettre en place l'uniformité de prise en charge sur un territoire.

Docteur Caroline Brémaud . - Je partage le propos mais il faut rester vigilant. L'hôpital qui reste ouvert doit être dimensionné pour accueillir la population. Les deux services d'urgence voisins de Laval enregistrent 24 000 passages par an. Ce n'est pas négligeable. C'est pourquoi il faut bien prendre en compte les partenariats possibles et la complexité d'un territoire sur lequel il y a déjà beaucoup de médecins partageant leur temps sur plusieurs établissements. Il y a une question de distance, s'il s'agit d'aller la nuit dans un autre service lorsque le leur est fermé, et donc de qualité de vie et d'attractivité. Le changement sera complexe et politiquement très difficile ; il nécessiterait du temps et de la préparation sur le terrain. Il paraît certes assez incompréhensible qu'un chef-lieu de département ferme les urgences alors qu'elles restent ouvertes dans de plus petits hôpitaux. Pour autant, le centre hospitalier de Mayenne draine beaucoup de passages. C'est une zone en désertification médicale et les urgences ont fermé à Vitré et Fougères. En outre, il se trouve au carrefour de trois régions : Bretagne, Normandie et pays de la Loire. Ne simplifions pas trop la cartographie médicale.

Mme Laurence Cohen . - Je salue tous les intervenants, et notamment le docteur Brémaud que j'ai eu la chance de rencontrer à Laval et dont je connais la passion pour son métier.

Il y a, certes, la diversité des territoires, mais surtout une organisation de notre système de santé autour des GHT qui a bouleversé le paysage, avec la fermeture d'hôpitaux de proximité. On a d'abord fermé des lits au nom de l'ambulatoire, alors que l'ambulatoire devrait intervenir de manière complémentaire. Aujourd'hui, on ferme des lits par manque de personnel. Le desserrement du numerus clausus reporte la responsabilité sur les universités, mais elles n'ont pas de moyens... Nous ne verrons pas un afflux immédiat de professionnels.

Deuxième enjeu, celui de l'attractivité : les témoignages abondent sur l'épuisement du personnel, les conditions de travail. Pour faire revenir des personnels à l'hôpital, il faut modifier le statut. Mais il y a également un enjeu de formation interne. J'ai été frappé de voir que les aides-soignants qui souhaitent faire une formation pour devenir infirmiers devront parfois attendre deux ou trois ans parce que l'enveloppe de formation ne le permet pas. Il faut abonder ces enveloppes dès maintenant.

Beaucoup d'infirmières ont quitté l'hôpital parce qu'elles n'en pouvaient plus. Certaines d'entre elles ne pourraient-elles pas revenir si nous travaillions sur le salaire, les conditions de travail et le statut ?

Enfin, docteur Doumenc, l'individu entre en ligne de compte, comme partout, mais nous entendons régulièrement parler des pesanteurs de cette administration, avec ses protocoles figés qui contraignent les soignants à passer plus de temps devant l'ordinateur qu'au chevet des patients. Il faut modifier cette organisation, mais pas en traitant l'hôpital comme une entreprise.

Mme Véronique Guillotin . - Merci pour ces témoignages, dont certains étaient assez émouvants et témoignent de vos difficultés dans vos métiers.

Quel rôle jouez-vous dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ? Vous estimez-vous assez intégrés et moteurs ? Je crois en une approche plus large associant l'hôpital et la ville. Certaines maisons d'accueil ou maisons de santé pluridisciplinaires jouent le jeu en réalisant des soins programmés jusqu'à 22 heures ou 23 heures, d'autres non. Dans certains endroits, les médecins traitants ne font plus de gardes. Pour décharger l'hôpital et les urgences, ne devriez-vous pas prendre plus de place au sein des CPTS et autres organisations populationnelles ?

Mme Marie Mercier . - Exercer à Cochin, à Clamecy ou à Laval implique un rapport de forces différent avec l'ARS. Dans mon département, l'hôpital de Chalon-sur-Saône, qui est de taille importante, n'a pas les mêmes facilités que les hôpitaux parisiens pour s'adresser à son agence régionale.

Les nouveaux praticiens ont déjà assimilé la culture administrative. Ils veulent faire ce métier, mais dans des horaires encadrés. Désormais, il n'est pas rare de voir des internes arrêter le travail pour partir déjeuner, ce qui n'était pas imaginable lorsque j'étais étudiante. Ce n'est pas critiquable : n'offrons pas un visage triste de la médecine si nous voulons la rendre attractive.

On voit maintenant, dans les couloirs des hôpitaux, des gens courir d'une réunion à l'autre avec des dossiers sous le bras. La maltraitance administrative est une réalité, et elle fait beaucoup de dégâts. Nous avons perdu le contact avec la réalité.

Le covid a replacé les médecins au coeur des décisions. Votre voix porte, même si elle ne porte pas partout. J'estime néanmoins que l'idée que l'hôpital devrait être rentable et la tarification à l'activité ont fait du tort. Il n'est pas tolérable, en 2021, qu'une personne souffrant d'une fracture du col du fémur attende quatre jours d'être opérée, ou que des patients puissent laisser des avis sur Google. Cela donne une mauvaise image de notre métier, le plus beau du monde. Nous avons un potentiel humain, mais il est dégradé par une suradministration pathologique.

Docteur François Escat . - Je suis membre de deux CPTS, et je ne comprends pas à quoi elles servent. Elles sont supposées nous faire travailler ensemble, mais c'est ce que nous faisons tous les jours. Nous avons déjà des correspondants que nous appelons en cas de besoin, pour placer un patient par exemple.

Docteur Benoît Doumenc . - Les couloirs d'hôpitaux que je parcours ne sont pas différents de ceux de mes confrères... Stigmatiser Pierre, Paul ou Jacques ne fera pas avancer les choses. Je ne suis jamais invité aux réunions de l'ARS, ce qui ne me dérange pas outre mesure... Quand je parle de l'administration, je fais avant tout référence à l'administration locale.

J'ai entendu dire que l'on ne pouvait pas gérer un hôpital comme une entreprise - comme si le mot « entreprise » était synonyme de maltraitance. Beaucoup d'entreprises traitent très bien leurs salariés et les personnes qu'elles accueillent. Nous pouvons nous inspirer de ce monde.

Pendant très longtemps, pour être nommé chef de service aux urgences, il fallait être professeur. Médecin généraliste, praticien hospitalier, j'ai été placé à la tête d'un service avec un adjoint professeur des universités. J'ose espérer que nous le devons à nos compétences... Il faut, à la tête des services d'urgences, des personnes capables de manager, de discuter avec l'administration.

Professeur Louis Soulat . - Par rapport au temps de travail, le changement générationnel n'est pas propre aux professions de santé. Je suis l'un de ceux qui font le plus d'heures postées dans mon service, mais je constate que cela ne constitue plus un exemple. Il faut faire avec ce changement. Je suis fils de boulanger ; eux non plus n'ont pas les mêmes conditions de travail qu'il y a cinquante ans, et c'est heureux.

Pour ma part, je crois aux CPTS, qui fédèrent les métiers de la santé à l'extérieur de l'hôpital. C'est une dynamique très intéressante. Nous avons quatre CPTS constituées, quatre autres en projet en Ille-et-Vilaine. Le SAS ne fonctionnera que si la CPTS fonctionne, en regroupant des réseaux en partie existants de médecins, de soignants, de pharmaciens, de cabinets de radiologie. Les CPTS mutualisent une offre de soins et la mettent à disposition des patients, notamment ceux qui n'ont pas de médecin traitant.

Cela permet un dialogue, même si pour les hospitaliers, il faut se contraindre à aller au-devant des collègues en charge de la permanence des soins. Il est trop tôt pour faire un bilan, d'autant que la dynamique des SAS n'est pas encore généralisée.

Les fermetures de lits par manque de soignants sont un problème grave. Nous payons les réorganisations de lits au profit de l'hôpital de jour, alors que nous sommes confrontés au vieillissement de la population. On manque de souplesse sur l'ouverture des lits. Les organisations sont rigides, avec des ratios de soignants. Elles devraient être beaucoup plus agiles pour répondre aux pics saisonniers d'hospitalisation. Ce sont surtout des lits de médecine polyvalente qu'il faut créer, et non dans des services hyperspécialisés, peut-être en revoyant notre organisation : aux États-Unis, les lits ne sont pas affectés à un service, mais attribués aux spécialités en fonction des besoins.

Quant aux fractures du col du fémur à plus de quatre-vingt-dix ans, il faut surtout se demander pourquoi le patient ne peut plus rester à son domicile dans les mêmes conditions qu'avant sa chute. Le manque de personnel est un cercle vicieux : faute de lits, les patients restent aux urgences, les personnels s'épuisent et s'en vont et il faut essayer de les faire revenir.

Il n'est pas normal qu'il soit aussi compliqué de stagiairiser une infirmière qui donne satisfaction. À Vitré, trois infirmières vont changer d'orientation pour cette raison. Le système est trop rigide. J'ai, dans mon hôpital, un médecin dont le dossier est présenté pour la deuxième année consécutive au Centre national de gestion des praticiens hospitaliers (CNG) pour la procédure d'autorisation d'exercice (PAE) : on lui demande de faire six mois de médecine polyvalente, alors qu'il exerce depuis trois ans dans ce domaine...

Il faut favoriser les promotions internes. Je tiens particulièrement à la reconnaissance des ambulanciers SMUR. Il y a trop de grilles salariales, qui conduisent à opposer les catégories les unes aux autres.

Docteur Tarik Boubia . - Sur le principe des CPTS, je suis tout à fait d'accord. Cela permettrait de fluidifier les relations avec la médecine de ville. Le problème, c'est que les médecins sont concentrés à Clamecy et éparpillés en nombre insuffisant sur tout le territoire. Il faudra réévaluer ce dispositif pour les zones rurales.

On ne réévalue pas suffisamment en France. Pourquoi s'entêter dans un système qui ne marche pas ? Quand un traitement ne fonctionne pas, un médecin passe à un autre. Pourquoi en va-t-il autrement pour les projets ?

La CPTS de Clamecy, qui couvre le nord de la Nièvre, touche un territoire très vaste, rural. On y trouve aucun établissement avec de la chirurgie ou des spécialités. Il faut donc établir des relations allant au-delà du territoire de la CPTS, ce qui complique encore les choses. À Cochin, par exemple, vous n'avez pas de difficulté à trouver des spécialistes, même s'ils sont débordés. Nous, nous n'en avons pas ! Et les délais sont incommensurables. Mes collègues qui ont toujours vécu dans le système hospitalo-universitaire ont beaucoup de mal à le comprendre. Je sais que M. Soulat a fait l'essentiel de sa carrière dans un hôpital pivot, où il a développé de très belles choses, notamment en cardiologie.

Je suis pour le décloisonnement et les pratiques partagées. Ce n'est pas un combat d'arrière-garde. J'y insiste, la formation du certificat d'aptitude à la médecine d'urgence dure deux ans, mais les gens sont opérationnels avec une obligation de formation continue. Un médecin ayant une capacité de médecine d'urgence, une capacité de médecine de catastrophe et qui a l'obligation d'avoir un diplôme universitaire (DU) en échographie ou en polytraumatologie a l'expérience nécessaire pour prendre en charge les urgences dans des territoires dont les zones périphériques ne seront pas pourvues en jeunes médecins.

Docteur Caroline Brémaud . - En ce qui concerne l'organisation des lits et la formation, je partage entièrement les propos de Louis Soulat.

Sans communication, les dispositifs ne servent à rien. Il faut travailler sur la communication en interne, sur la lourdeur administrative et communiquer vers l'extérieur, entre soignants, vers la population et vers le médico-social.

On ne nous apprend pas, à l'école de médecine, à communiquer. Je suis cette année un diplôme d'établissement de médecin manager à l'École des hautes études de santé publique. J'y apprends le langage des administratifs, qui est différent du nôtre. Il faut rentrer dans leurs locaux et il faut qu'ils viennent nous voir pour que nous apprenions à nous comprendre. J'ai rencontré des directeurs formidables, qui maîtrisaient le langage médical. Ces interactions sont essentielles.

M. Bernard Jomier , président . - Je vous remercie tous d'être venus témoigner devant notre commission d'enquête. Soyez assurés que vos contributions sont essentielles pour nos travaux. Nous avons entendu votre unité de médecins urgentistes, attachés à leur travail ; nous avons aussi entendu une grande diversité de points de vue, tout à fait légitimes.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition commune de médecins - Professeurs Michaël Peyromaure,
chef du service d'urologie à l'hôpital Cochin (Paris), Stéphane Velut, neurochirurgien au CHU de Tours, et docteur Gérald Kierzek,
médecin urgentiste, directeur médical de Doctissimo

(mardi 4 janvier 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Nous entamons cette après-midi de travaux par une audition commune de trois praticiens qui, sous des formes diverses, se sont exprimés ces derniers mois sur la situation de l'hôpital.

Je suis heureux d'accueillir le professeur Stéphane Velut, chef du service de neurochirurgie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Tours, qui a notamment publié il y a deux ans un essai intitulé L'hôpital, une nouvelle industrie ; le professeur Michaël Peyromaure, chef du service d'urologie à l'hôpital Cochin à Paris, qui a publié un ouvrage intitulé Hôpital, ce qu'on ne vous a jamais dit ... ; enfin, le docteur Gérald Kierzek, médecin urgentiste, directeur médical de Doctissimo et chroniqueur médical, notamment sur la situation de l'hôpital.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Mme Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. J'invite donc chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Stéphane Velut, M. Michaël Peyromaure et M. Gérald Kierzek prêtent successivement serment.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je vous souhaite à tous une excellente année 2022 ! Je remercie à mon tour les intervenants aujourd'hui présents devant notre commission. Comme l'a indiqué le président, vous avez tous trois analysé les difficultés du système hospitalier, et cela indépendamment de la crise sanitaire qui les accentue très fortement. Vous avez notamment relayé le sentiment des équipes soignantes d'un écart croissant entre les logiques de fonctionnement et de gestion et les exigences d'une bonne organisation des soins.

Nous souhaiterions que vous nous présentiez tout d'abord vos principaux constats s'agissant des facteurs de tension sur les établissements et sur les conditions de prise en charge des patients.

Nous pourrons ensuite évoquer plus particulièrement les aspects liés aux ressources humaines, à l'organisation et au fonctionnement des établissements, ainsi que les moyens de mieux concilier les problématiques de financement et l'organisation des soins. Cette commission d'enquête a été initiée par le groupe Les Républicains en vue de formuler des propositions et de dresser un constat sans tabous ni idées préconçues. Nous devons rendre des conclusions dans des délais assez brefs eu égard à la situation qui perdure depuis des années, l'objectif étant d'y remédier sur le long terme.

Professeur Stéphane Velut, neurochirurgien au centre hospitalier universitaire de Tours . - Je vous remercie de cette invitation, qui me permet de faire une sorte d'état des lieux. Quelques mots sur mon cursus : j'ai passé l'internat en 1981, j'ai été nommé professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) en 1993 ; n'ayant jamais exercé d'activité libérale au sein du CHU, j'ai donc embrassé la carrière hospitalo-universitaire très tôt et ne l'ai pas quittée depuis. J'ai vu apparaître en 2007 la tarification à l'activité (T2A), en 2009 la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), et en 2012 le plan Copermo. On n'a pas vu tout de suite les conséquences immédiates de ces différentes étapes importantes, même si l'on s'est aperçu progressivement que la T2A entraînait l'augmentation des actes des séjours, et ce sans aucune évaluation de la pertinence des soins.

La loi HPST a donné tous pouvoirs au directeur de l'hôpital, donc à l'administration, avec l'apparition de pôles remplaçant les petits comités médicaux consultatifs qui donnaient pourtant satisfaction. L'intérêt de ces pôles n'est pas évident et leur fonctionnement manque de souplesse du fait de l'empilement des échelons administratifs et décisionnels.

Le plan Copermo a été le signal d'alerte, qui a conduit à la restructuration de plusieurs hôpitaux incluant une diminution du nombre de lits. On a bien compris que la seule variable d'ajustement pour opérer des économies au sein des CHU était le personnel - 60 % du budget. La réduction du nombre de lits équivaut pour le praticien à un management par délégation de responsabilités. Le but a toujours été le même, à savoir soigner tous les malades, mais avec des moyens en personnels et en lits réduits, ce qui passe par la diminution de la durée moyenne de séjour et l'augmentation du rythme de nos actes. La réduction du nombre de lits est antérieure à 2012 et concernerait 100 000 lits dans les vingt années précédentes. Un lit n'est pas un meuble ; c'est, selon le type de soins, entre 3,2 et 4,5 équivalents temps plein (ETP). Cette diminution correspond donc à la suppression de 350 000 emplois.

Je me suis rendu compte de cette mutation à l'occasion d'une anecdote importante : en 2017, à la faveur de la construction d'un nouvel hôpital à Tours et d'une réduction importante du nombre de lits, des consultants du secteur privé sont venus nous expliquer que notre pratique était inappropriée, comme s'ils s'adressaient à des enfants.

Se retrouver considéré comme un agent de soin indifférencié a provoqué un certain malaise chez les chefs de service que nous sommes, même si, j'en conviens, nos pratiques ne sont évidemment pas toujours parfaites.

Que s'est-il réellement passé ces quinze dernières années ? En 2017, j'ai constaté que la mise en oeuvre du plan Copermo donnait lieu à une multiplication des réunions et des tableaux Excel. Comme nombre de mes collègues d'autres hôpitaux, j'ai eu l'impression que, dans l'hôpital public, la réalisation du bénéfice était non plus le résultat de notre travail, mais son but exclusif. La performance financière devenait l'indicateur dominant.

L'institution, qu'elle soit publique ou privée, est un lieu, un organisme au sein duquel les agents qui travaillent sont mus par une oeuvre commune. Or on a confondu la performance avec cette oeuvre, de telle sorte qu'on a abouti à une gouvernance par les nombres. C'est là que réside le vice de la conception du New Public Management , qui vise à un renversement radical des fins et des moyens. Or une institution, qu'elle soit privée ou publique, n'a pas forcément une mission purement financière. C'est ce qu'a affirmé Alain Supiot, juriste et professeur au Collège de France. Nous assistons actuellement à une véritable conversion à la doctrine de la mise en concurrence pour combler le déficit, et in fine , à une désinstitutionnalisation de l'hôpital. Toute entreprise qui se plie à cette conception finit par décliner. J'espère que tel ne sera pas le cas de l'hôpital...

Que perçoivent les soignants aujourd'hui ? Leur perception a toute son importance, car l'abnégation n'est pas élastique.

Avant l'an 2000, on savait que les dirigeants de l'hôpital étaient au service de l'intérêt général et comptable d'une mission de soins. Désormais, les soignants ont l'impression que les dirigeants des hôpitaux sont au service de leur comptabilité. Conséquence, la mission de soins, véritable service public, ne peut pas être affectée par la subordination, tout simplement, car les supérieurs ont le même but que les personnels. Du fait de la désinstitutionnalisation de l'hôpital, les soignants sont confrontés à une double contrainte : la subordination prégnante et la perte de sens de leur travail. Pour preuve, au printemps 2020, les soignants se sont tout d'un coup réapproprié leur institution, leur outil de travail. On a vu des infirmières, des aides-soignantes et des médecins, fatigués, particulièrement dans les services de pneumologie, mais pleins de ferveur. Ils s'étaient réapproprié l'hôpital, car le renversement dont j'ai parlé s'inversait, de même que la délégation de responsabilités. Les soignants ont interpellé les directions, qui ont elles-mêmes demandé au ministère d'obtenir plus de moyens. Nous nous retrouvions alors dans une véritable institution de santé.

En conclusion, si le Ségur a cru pouvoir régler tous ces problèmes, il l'a fait avec des chiffres ; cela ne remplace pas ce que souhaitent les soignants : s'émanciper dans un lieu de travail où ils peuvent tous réaliser les soins qu'ils estiment devoir prodiguer à leurs malades.

Professeur Michaël Peyromaure, chef du service d'urologie à l'hôpital Cochin (Paris) . - Je dresse les mêmes constats. Pour moi, la plus grande évolution de l'hôpital public ces vingt dernières années a été la montée en puissance du pouvoir administratif, sur les plans à la fois quantitatif et qualitatif. J'ai connu l'époque où les soignants étaient entièrement dédiés aux patients, et les gestionnaires de l'hôpital les assistaient et les soutenaient dans leur mission. En vingt ans, c'est exactement l'inverse qui s'est produit : les soignants sont désormais à la merci des gestionnaires, qui imposent toutes les règles jusqu'à s'immiscer dans les types de soins. Aujourd'hui, ce sont les soignants qui font ce que les directeurs d'hôpitaux leur demandent. La loi HPST a considérablement aggravé cette tendance.

Il en découle d'énormes dysfonctionnements, des coupes massives dans les effectifs, dans le nombre de lits, dans les moyens attribués aux équipes soignantes, et un désespoir des soignants, qui ont perdu tout le sens de leur métier en étant soumis à des injonctions contradictoires. En haut, on leur demande d'industrialiser les soins, de tout recenser et coder par l'informatique, de faire des actes ; dans le même temps, les moyens dont ils disposent fondent comme neige au soleil, et surtout, ils n'ont plus voix au chapitre. J'ai souvent alerté ma hiérarchie administrative ces cinq dernières années sur des dysfonctionnements qui pourraient être évités ou facilement réglés, parfois sans engager de frais, mais je n'ai jamais été entendu.

À ce stade, nous ne sommes plus considérés par notre hiérarchie administrative, ni même écoutés. Les directives tombent, tantôt par un simple mail ou par un courrier, tantôt au cours d'une réunion collective sans que l'on ait été prévenu. Et lorsqu'on tente d'opposer une résistance à ce que l'on considère comme un projet néfaste pour les patients, l'administration sait comment s'y prendre : elle s'entoure très souvent de collègues - c'est une faille du système - qui, hélas ! prennent le parti des dirigeants pour vous forcer à l'obéissance. Notre système est totalement déshumanisé, caporalisé, soviétisé ! De surcroît, la fuite de personnels et la démission des médecins sont liées davantage à ce problème qualitatif de perte de sens qu'à la difficulté quantitative de perte des moyens. Nous avons l'habitude de travailler avec peu de moyens, mais nous ne pouvons plus supporter d'être traités de cette manière.

Docteur Gérald Kierzek, médecin urgentiste, directeur médical de Doctissimo. - Merci de votre invitation. Je ne peux que souscrire aux propos de mes deux collègues. J'exerce dans le même groupe hospitalier que Michaël Peyromaure, car je suis praticien hospitalier à mi-temps à l'Hôtel-Dieu - certains d'entre vous l'ont visité -, qui est un peu le symbole de cette descente aux enfers, de cette décrépitude et de cette gestion aberrante et très coûteuse de l'hôpital public. C'est un hôpital de proximité comprenant un service d'urgence qui avait été rénové récemment, car les besoins en la matière sont réels.

La crise actuelle du covid est de nature structurelle avant d'être liée à un virus qui tuerait 30 % des malades - on sait maintenant que ce n'est pas du tout le cas, car les chiffres du covid sont connus. On paie l'insuffisance de services d'urgence de proximité, de lits d'hospitalisation et, éventuellement, de lits de réanimation. Ces places existaient à l'Hôtel-Dieu et ont finalement été fermées ces dernières années par des décisions arbitraires.

Le constat de la perte de sens, nous le partageons tous. Un commissaire au Plan disait : après l'autonomie des mandarins, nous sommes passés à l'autocratie des managers, selon laquelle les blouses blanches sont soit soumises soit démises, avec des jeux de concurrence entre les services. Vous avez auditionné un certain nombre de nos collègues, qui ont affirmé que tout allait bien dans les hôpitaux ! Il faut aussi examiner les processus de nomination. L'un des gros problèmes de la loi HPST, c'est que les chefs de service sont nommés par les directeurs d'hôpitaux. Cela soulève le problème de la liberté d'expression, y compris déontologique, des blouses blanches. Nombre de sénateurs et de sénatrices sont médecins ; vous savez que l'indépendance des soignants est importante, qui a finalement été aliénée par la nomination de collègues aux postes clés. Certains managers dirigent même une technostructure médico-administrative. Cela joue contre l'hôpital et, surtout, va à l'encontre de la santé des malades.

J'évoquerai trois points concernant le traitement à mettre en oeuvre autour de l'humanité, de la proximité et de la gouvernance.

La gouvernance est la première réforme à effectuer dans tout le système de santé, au-delà de l'hôpital. La loi HPST a été le point d'orgue, mais ce glissement perdure depuis des années. On s'est trompé d'objectif : on a mis à la première place les économies au lieu des soins, et donc les gestionnaires avant les soignants. Il faut renverser le paradigme en soignant mieux par une meilleure rationalisation des moyens. Cela suppose de mettre des soignants aux manettes. Il est intolérable qu'un chef de service reçoive des ordres d'un jeune directeur, frais émoulu de Sciences Po et de l'école de Rennes, qui lui explique que, par souci d'économies, il devra choisir un seul type d'instrument pour ses opérations. Ce sont les malades qui en pâtissent, d'autant que les coûts pour la collectivité seront supérieurs à long terme.

La gouvernance est un vrai problème, pas seulement à l'hôpital, mais également dans les agences régionales de santé (ARS). Il faut à tout prix remédicaliser cette gouvernance, ce qui présenterait aussi l'avantage de favoriser une évolution intéressante dans la carrière des soignants. Un chirurgien, un urgentiste ou un anesthésiste-réanimateur pourrait devenir directeur médical à l'hôpital au lieu - pardonnez-moi ces propos un peu crus - de devenir alcoolique, dépressif ou de démissionner ! La gestion des hôpitaux mériterait d'être bicéphale, avec des directeurs médicaux qui effectueraient des fonctions administratives à mi-temps, tout en continuant d'exercer leur spécialité.

Le président de la commission médicale d'établissement (CME), élu, n'est pas libre, car il doit rendre des comptes. De plus, il est souvent déconnecté de la réalité médicale. Cette option de remédicalisation de la gouvernance serait possible à tous les échelons : hôpital, ARS.

Deuxième axe intéressant : la proximité.

Cette crise sanitaire a montré le démantèlement du tissu hospitalier de proximité. Il faut revenir à des choses simples : niveau 1, la médecine générale, ambulatoire ; niveau 2, l'hôpital de proximité ; niveau 3, le CHU. Or ce dernier fait l'objet de toute la concentration par ceux qui y ont intérêt. Les hôpitaux de proximité disparaissent les uns après les autres, alors qu'ils représentent un échelon intéressant, notamment pour les généralistes qui ne veulent plus s'installer dans un endroit dépourvu de tout recours hospitalier. Nous rêvons tous d'un système où le médecin de premier recours peut être en contact avec l'urgentiste de l'hôpital de proximité, qui peut lui-même coopérer, par télétransmission, avec le radiologue de garde dans un centre hospitalier (CH). De l'ordre de 5 % des malades se rendant aux urgences constituent des cas graves ; ils pourraient être exfiltrés directement sur le niveau 3 si leur état le nécessite. Or les hôpitaux de proximité disparaissent, en dépit du Ségur et de la stratégie « Ma santé 2022 ».

M. Bernard Jomier , président . - Il y a eu la loi de 2019.

Docteur Gérald Kierzek . - Ce sont plutôt des dispensaires ou des structures de soins de longue durée. Notre impression est que les services d'urgence et les hôpitaux de proximité disparaissent tous en faveur d'hôpitaux Potemkine, vitrines vides de soins. Actuellement, une douleur thoracique requiert un scanner, un plateau de biologie délocalisé, ce qui ne se traite ni en cabinet de médecine générale ni en dispensaire, et ne justifie pas plus l'envoi dans un CHU. La gradation et la proximité sont fondamentales. Il serait aussi possible de prévoir une diversité d'exercice des soignants, par exemple successivement dans une maternité de proximité puis un CHU. Cela favoriserait la diversité des pratiques et le développement professionnel continu.

Troisième mot clé : l'humanité. On a déshumanisé l'hôpital, avec des consultants qui sont en train de chronométrer les soignants. Les patients et les soignants s'en plaignent, et je parle ici en tant que directeur médical de Doctissimo. Il y a une perte de sens. C'est un sujet de cohésion sociale. Les gens ont besoin de leur hôpital de proximité ; ils ont besoin de temps, et ne veulent pas devenir des numéros. Cette humanité ne se quantifie pas. On en revient au problème du financement et de la T2A.

Désormais, il y a un « forfait patient urgence » : on continue de culpabiliser les patients comme s'ils venaient aux urgences sans justification. Alors qu'on avait réalisé de nets progrès pour la prévention de certaines pathologies comme les AVC, la prise en charge de douleurs thoraciques, d'artères bouchées, nous risquons de perdre les gains réalisés.

Les gens n'oseront plus venir aux urgences, de peur de déranger ou de venir pour rien, en devant de surcroît payer. Ils resteront chez eux et nous perdrons des vies humaines. Pour gagner quelques euros, il y aura un fort coût médical et humain. Cela aggravera la crise de l'hôpital public.

C'est un sujet de cohésion sociale et de consentement à l'impôt. Lors de la crise des « gilets jaunes » et du Grand débat, la santé était l'un des thèmes prioritaires. Les Français veulent à proximité des services d'urgence, une maternité, un médecin traitant, qu'ils n'ont plus. Cela va au-delà de l'hôpital.

Je vous remercie de vous être saisis du sujet.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Merci de votre regard et de vos propositions.

Vous mettez tous en cause un fonctionnement hospitalier insuffisamment tourné vers les soins. Disposez-vous de comparaisons internationales ? Sommes-nous suradministrés par rapport aux pays voisins ? Accumulez-vous des tâches administratives, au détriment du soin ?

Parlementaires, nous avons aussi une responsabilité : nous demandons des certificats de qualité, des données pour justifier la qualité des soins ou leur efficience... Peut-on revenir sur ces tendances normatives et qualitatives du soin à l'hôpital ? Quelles sont les solutions ? Souvent, nous voulons le risque zéro et nous avons tendance à tout codifier...

Depuis des mois, nous entendons unanimement qu'il faut remédicaliser le pouvoir de décision à l'hôpital. On nous dit aussi qu'auparavant, il y avait un sentiment d'appartenance au sein d'un service. Peut-on supprimer les pôles, ou comment mettre en adéquation les pôles et les services pour donner plus de souplesse et de sens au travail réalisé ?

Vous avez évoqué la gradation et la proximité. D'après les premières auditions, il semble que nous devons trouver un système souple et laissant suffisamment de liberté aux soignants à l'intérieur d'un territoire pour s'organiser, en faisant tomber les barrières entre secteurs public et privé, entre types d'établissements, et en incluant l'hospitalisation à domicile... Est-il possible d'envisager une telle gestion, assez souple, avec des organisations différentes selon les territoires ? Nous avons tendance, en France, à établir des règles uniques. Les services d'urgence ont des difficultés à organiser les soins : on ne peut pas comparer l'hôpital Cochin à celui de Clamecy. Il faut redonner du sens au travail, donner plus d'importance au soin, et de l'autonomie de gestion aux soignants. Avez-vous des pistes en ce sens à nous proposer ?

Docteur Gérald Kierzek . - Il faut vraiment régionaliser la santé, plutôt qu'elle n'émane des ARS technocratiques qui dépendent du ministère. Il faudrait quasiment un parlement sanitaire. Chaque Land allemand dispose d'un véritable ministre régional de la santé : après avoir fermé une maternité, il est soit sanctionné, soit plébiscité lors des élections suivantes. Il faut repolitiser la santé et avoir une vraie vision territoriale. Les choix doivent être réalisés en fonction des territoires, qui ne font pas face aux mêmes problèmes. Il faut des gens de terrain qui ont à la fois les mains dans le cambouis et qui décident, que ce soit en ville ou à l'hôpital.

Le sujet de l'évolution des carrières est capital. Il faut pouvoir travailler en ville et à l'hôpital. La réforme de 1958 qui a créé les CHU était une bonne idée au départ, mais soixante ans après, nous avons de nouveau les mêmes problèmes : nous n'arrivons plus à recruter, et certains font des carrières à vie. Certains collègues sont plus du côté de l'administration que du côté des soins. Il faut réfléchir à des évolutions de carrière intéressantes, éventuellement à des contrats d'objectifs et de moyens, mais sur des critères médicaux, et évalués par les pairs.

Avec les pôles, nous sommes arrivés à une situation abracadabrantesque. Or un malade qui a un problème d'urologie doit pouvoir être reçu par une infirmière du service d'urologie, qui le renvoie vers l'urologue chef de service. Revenons à des choses basiques.

Professeur Michaël Peyromaure . - La réforme la plus efficace serait de créer des services autonomes comme dans certains pays européens et anglo-saxons, où le chef de service, secondé par un cadre administratif, disposerait d'un budget propre. Actuellement, l'administration gère seule tous les budgets, en toute opacité. Pour responsabiliser les équipes soignantes, avoir un budget propre - comme c'est le cas à l'hôpital de Valenciennes - permettrait à un service de recruter et de s'équiper, en autonomie. Ce ne serait pas signer un chèque en blanc : tous les ans ou tous les deux ans, le chef de service présenterait son bilan, ses objectifs et ses résultats devant la CME.

Actuellement, il y a trop de strates et de commissions, tandis que seul le directeur décide. Il faut restaurer de la transparence, y compris sur les budgets, et de la démocratie avec des services autonomes, qui auraient une autonomie de budget et de fonctionnement.

En contrepartie, les chefs de service mauvais gestionnaires se verraient retirer leur budget ou seraient démis de leur chefferie. Cette solution, qui existe dans certains pays, règlerait de nombreux problèmes.

Professeur Stéphane Velut . - Pour moi, deux réformes sont nécessaires.

Il faut effectivement une autonomie des services, au plan budgétaire, à condition que le chef de service soit secondé par des personnes spécialisées dans la gestion budgétaire, mais surtout en termes de soins. Voici un bon exemple. Un de mes élèves, excellent chirurgien de 38 ans, en fin d'internat, qui a une thèse d'État, excellent chercheur et enseignant et qui pouvait être agrégé dans deux ans, a décidé de partir pour une clinique privée du sud de la France. Ce n'est pas pour le climat, un peu pour l'argent, mais surtout, car il n'en peut plus. Son seul regret, m'a-t-il dit, ce sera la bonne ambiance du service, l'esprit de « famille ». Je suis très affecté par ce départ.

Chaque mois, on voit partir de très bons praticiens hospitaliers dans tous les CHU. Il est important que vous le sachiez : entre secteur public et secteur privé, les émoluments et la souplesse de fonctionnement n'ont rien à voir.

Nous formons un chirurgien en quinze ans, dans un CHU payé par le contribuable, puis ensuite il s'en ira, il gagnera deux à quatre fois plus que moi en exerçant en libéral grâce à des dépassements d'honoraires - même si je n'ai rien contre le secteur libéral. Le système public est en train d'alimenter le système libéral, qui tue, in fine , sa matrice de formation. Ce jeune praticien devait me succéder. Je n'ai plus de successeur. Qui formera mes étudiants dans trois ans ?

En 1958, Robert Debré avait eu une idée de génie : créer des CHU regroupant toutes les spécialités, des services autonomes, des centres de recherche et l'université. Cet esprit de la faculté de médecine est en train de disparaître. Ce n'est pas nous, mais nos petits-enfants qui en verront les conséquences pour leur formation. Tant qu'il y aura autant de différences et qu'on alimentera la concurrence entre public et privé, on n'y arrivera pas. Le problème se pose non pas sur le plan hospitalier, mais sur le plan académique.

Bien sûr, les instituts privés sont prêts à former des internes. Mais un CHU peut comprendre 45 services et 20 laboratoires de recherche ; c'est différent d'un institut de la hanche près de Lyon ou d'une clinique du coeur près de Bordeaux, que ce soit en termes académiques ou d'état d'esprit. Nous devons être inquiets pour les générations futures.

M. Bernard Jomier , président . - L'équilibre des intérêts est-il en train d'être rompu ?

Professeur Stéphane Velut . - Le chirurgien me dit que dans la clinique qu'il a visitée, il y a neuf neurochirurgiens, six salles d'opération, une soixantaine de lits. S'il veut opérer une névralgie faciale demain - ou au pire après-demain - il peut le faire. Actuellement, dans mon service, j'ai sept chirurgiens, mais seulement une salle d'opération et demie, tout simplement, car nous manquons de personnel. Je ne peux pas donner de rendez-vous avant mi-février.

Je suis incapable de donner des pistes politiques, car l'on touche au secteur libéral, puissant. Il faudrait peut-être réformer sur quinze à vingt ans pour revenir à une situation cohérente. Une réforme brutale n'est pas possible.

Mme Florence Lassarade . - Merci de vos interventions, diverses, mais qui nous prouvent que la médecine hospitalière est mal partie...

J'exerce à la fois comme pédiatre libéral et en maternité, mais rien n'est fait pour favoriser cet exercice mixte, ni par le Conseil de l'ordre, ni par la faculté, qui pensent que c'est au CHU qu'on forme le mieux.

Or les petits hôpitaux de proximité doivent pouvoir participer à la formation. Les doyens d'université n'ont pas assez de personnel. J'exerce dans la région bordelaise. Lorsque nous étions externes ou internes, nous étions aussi formés en dehors des CHU, lors de stages. Il ne faut pas séparer autant les choses. Ne faudrait-il pas réhabiliter cet exercice mixte ?

De quels moyens informatiques disposez-vous ? Je travaille dans une maternité avec des logiciels bricolés qui viennent de Bretagne, qui ne sont pas adaptés, et d'autres services ont d'autres logiciels. Ce n'est pas homogène sur tout le pays. Dans ma maternité, un tiers des sages-femmes ont démissionné, regrettant passer plus de temps sur l'informatique et les exigences des patients. Quelle disponibilité peut-on avoir quand on est débordé de travail ? Ce phénomène s'est-il accentué avec le temps ? Quel est le poids de la menace médico-légale pour les médecins et chirurgiens que vous êtes ?

M. Pierre Médevielle . - Tout le monde est d'accord sur la suradministration. Vous avez parlé de régionalisation. On pense qu'on va arriver à régler le problème avec les ARS, et auparavant avec les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) et les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS). La vraie régionalisation serait un premier pas vers une cohérence géographique, et non d'administrer depuis Paris - je pense notamment aux maternités.

L'autonomie est une idée très intéressante, mais qui va faire hurler : on va faire des économies dans l'administratif ou le comptable, mais je ne suis pas sûr que les chefs de service soient de très bons gestionnaires. Chacun son métier ! Je préfère l'idée de rééquilibrage.

La déshumanisation n'est pas due qu'à l'administration de l'hôpital. C'est une erreur partagée. Nous sommes passés à une médecine de protocole, à une médecine où nous sommes des numéros. De plus en plus de patients s'en plaignent. Il y a une pression juridique et des réseaux sociaux. Les médecins font signer des lettres de décharge pour être couverts. Il n'est pas bon d'exercer dans cette crainte.

Pour les urgences, il y a une responsabilité partagée des généralistes qui n'assurent plus les gardes. Ils ont fait exploser les services d'urgence. Dans le département de la Haute-Garonne, la plus faible densité de généralistes est dans la ville de Toulouse. Est-ce dû à la proximité de l'hôpital ? Mais surtout, les jeunes ne veulent plus s'installer là. Ils profitent des niches offertes par des collectivités leur faisant des « ponts d'or » : prise en charge d'un cabinet, d'une secrétaire, voiture de fonction, salaire « royal » pour 30 heures, travail quatre jours par semaine jusqu'à 17 heures, sans garde durant les jours fériés ni les week-ends. Tout est à repenser régionalement et localement.

Mme Laurence Cohen . - Merci de vos propos qui montrent la gravité de la situation. Nous sommes nombreux à partager votre constat. Merci de vos propositions. Il y a urgence à modifier les politiques.

Monsieur Kierzek, l'Hôtel-Dieu est un gâchis terrible. Des projets alternatifs ont été proposés par le personnel, qui n'ont pas été pris en compte. De même pour la fusion entre les hôpitaux Bichat et Beaujon. Il faut s'interroger sur la gouvernance et l'écoute du personnel médical et paramédical. Il faut redonner du pouvoir à tous les soignants, et pas seulement aux mandarins. Ce pouvoir doit être partagé. Comment envisager ce partage des pouvoirs et l'écoute des acteurs ?

Le Gouvernement nous dit que des lits sont fermés faute de personnel. Auparavant, c'était à cause de l'ambulatoire... Je ne suis pas dupe !

Oui, on manque de personnel, mais en raison des conditions de travail : de plus en plus de personnel médical ou paramédical s'en va ; ils n'en peuvent plus. La profession manque d'attractivité ; des infirmières interrompent leur formation. Quelles propositions faire pour inverser la tendance en matière d'embauche ? J'ai deux pistes : redonner de l'attractivité pour redonner aux infirmières l'envie de venir à l'hôpital ; et développer les concours internes. Actuellement, les budgets des hôpitaux sont tellement insuffisants que lorsqu'il y a trop de postulants, les formations internes sont reportées aux années suivantes.

Mme Sonia de La Provôté . - Vous avez évoqué l'articulation entre médecine de ville, les hôpitaux de proximité et les CHU. Qu'en est-il des dispensaires, des pôles de santé libéraux en ambulatoire, des cliniques privées, de l'hospitalisation à domicile, des soins de suite ? Ne serait-il pas intéressant de prévoir un va-et-vient avec des structures tampons évitant l'hospitalisation ? Ne faudrait-il pas réfléchir en réseau, plus largement que par le passé ?

Pour justifier l'évaluation et la qualité des soins, on prend prétexte des risques nosocomiaux et du développement de l'ambulatoire à outrance. Or il y a des mesures comptables : on ferme des lits faute d'un nombre d'accouchements suffisant...

Est-il encore possible de mettre en place des évaluations plus qualitatives que quantitatives, en fonction des besoins du territoire, et selon les compétences des équipes sur place ?

Peut-on encore se payer le luxe d'avoir des praticiens faisant aussi de la recherche ? C'est le temps médical auprès du patient, pour les soins, qui a été la variable d'ajustement.

S'agissant de la T2A, ou de l'ambulatoire qui visait notamment à réduire les maladies nosocomiales, ne peut-on porter un regard plus positif ? La T2A a été instaurée pour éviter une course à la consommation des enveloppes budgétaires, sans considération pour la qualité des soins. Il s'agissait d'assurer une meilleure répartition. L'objectif a été dévoyé. Mais ne faut-il pas conserver la T2A en la faisant évoluer ?

Mme Marie Mercier . - Merci de vos témoignages qui nous vont droit au coeur.

Je voudrais partager une anecdote, rapportée de source sûre : un lundi matin, un chirurgien arrive pour opérer, et voit que son opération a été déprogrammée. L'administrateur de garde a fait le programme tout seul, sans en référer au praticien. Ce genre de mésaventure vous est-il arrivé ?

Je suis triste de votre tristesse. Je vous vois désabusés, alors que vous faites le plus beau des métiers. Nous avons supprimé le circuit court médical au profit d'une logique administrative.

Estimez-vous que vos conditions de travail sont différentes ? On a l'impression d'une logique infernale, allant de pire en pire.

Observez-vous un changement de culture chez vos jeunes élèves internes ? Auparavant, nous travaillions sans regarder les heures, et nous retournions faire nos gardes en nous en vantant. Cet état d'esprit a-t-il disparu ? Certes, améliorer la qualité de vie des jeunes internes pourrait être une très bonne chose. Ils ne peuvent plus admettre d'être de garde un jour sur deux, un week-end sur deux, tout le temps...

M. Jean Sol . - Merci de votre éclairage et de l'aide que vous apportez à notre commission d'enquête.

Dans les pôles, il était prévu une délégation de gestion, certes limitée à la formation et aux commandes logistiques. Elle devait être accompagnée de moyens supplémentaires, mais en pratique, ces moyens n'ont que peu suivi. Certains hôpitaux se sont inscrits dans ce projet de gestion en pôle. Je regrette l'absence d'évaluation objective pour en tirer un avis précis.

La charge administrative des soignants représente entre deux et trois heures par jour, sans compter la codification des actes. Je suppose qu'il en est de même pour vous ? Que proposez-vous pour réduire cette charge, et permettre aux soignants de soigner ? Avec le régime des 35 heures hebdomadaires, il reste peu de temps pour les soins. Quel avis portez-vous sur les 35 heures ?

Nous évaluons à 30 % les actes redondants. Quelles seraient vos pistes d'amélioration ?

Les normes et la réglementation découragent les soignants
- médecins et infirmiers. Dans quelle case placez-vous les cadres de santé ? Sont-ils des cadres administratifs ou des soignants, sur lesquels vous pouvez vous adosser ?

Mme Marie-Christine Chauvin . - Vous avez opposé hôpital public et privé. Mais existent aussi des établissements privés participant au service public hospitalier (PSPH)

Au lieu d'opposer, comment coordonner et imaginer une complémentarité entre les uns et les autres - établissements publics, privés, PSPH ? Comment organiser chaque maillon du système de santé avec les médecins libéraux, les paramédicaux... Il faut réfléchir sur la santé au complet, y compris le médico-social.

Il faut une revalorisation des métiers hospitaliers pas seulement financière, mais aussi plus de reconnaissance.

Les infections nosocomiales sont fort heureusement en baisse, grâce notamment aux agents de services hospitaliers (ASH). Comment donner plus d'attractivité à ce métier ? Beaucoup d'entre eux souhaitent suivre une formation pour être aide-soignant. Cela permettrait de disposer de davantage de soignants à l'hôpital.

M. Bernard Jomier , président . - Nos collègues vous ont posé de très nombreuses questions, aussi n'hésitez pas à nous adresser tout document complémentaire qui serait nécessaire à notre réflexion.

Professeur Michaël Peyromaure . - Les 35 heures ont été dramatiques pour l'hôpital, car elles n'ont pas été accompagnées d'embauches. C'est plutôt l'inverse : elles ont créé de la pénurie. Il y en aurait peut-être eu sans les 35 heures, mais beaucoup moins qu'actuellement : nous sommes obligés de rappeler 20 à 30 % d'infirmières sur leur week-end... Selon moi, les 35 heures sont une faute grave pour l'hôpital.

Il faut supprimer les pôles, qui n'apportent rien, et repartir du patient. Les pôles ont alimenté les querelles d' ego , certains médecins sont devenus les « collaborateurs » de l'administration. C'est un avis personnel.

Comment débureaucratiser l'hôpital ? Il faut débureaucratiser toute la chaîne, et dégraisser le mammouth dans son ensemble, que ce soit la Haute Autorité de santé (HAS) qui nous pond une norme par semaine ou les ARS qui nous en pondent deux, ou bien les directions d'hôpitaux. Nous ne pourrons débureaucratiser l'hôpital si nous ne supprimons pas quantitativement les gens qui font les normes. Ayons le courage d'instaurer un moratoire sur les normes à l'hôpital, pendant les quelques années qu'il va nous falloir pour récupérer du personnel et pour envisager une réforme structurelle de l'hôpital. Ne pourrions-nous pas simplement dire non à toutes les normes qui nous tombent dessus ?

Je n'ai pas subi de déprogrammation à la dernière minute ainsi, pas à ce point. Il est arrivé que le directeur de l'hôpital intervienne lors de réunions de programmation. L'insuffisance du nombre de salles d'opération conduisait à programmer beaucoup de malades et provoquait des débordements horaires dont le personnel se plaignait. Le directeur a décidé de retirer certains malades du programme, sur des critères totalement arbitraires. Cela a fait l'objet de controverses à l'hôpital. Vous vous en doutez, je ne me suis pas laissé faire. Mais il ne m'est jamais arrivé d'arriver un lundi pour découvrir une opération déprogrammée.

En revanche, il m'arrive presque tous les jours d'arriver au bloc et de découvrir qu'il manque un intérimaire ou une infirmière anesthésiste, et donc de devoir déprogrammer des patients.

Pour qu'un groupe fonctionne, mieux vaut avoir trop de personnel que pas assez. Si vous n'avez pas assez de personnel, une personne manque et le château de cartes s'effondre.

J'ai connu la fin d'une époque où nous avions effectivement un peu trop de personnel et un peu trop de lits. Nous avions de la marge sur le personnel, et c'est la raison pour laquelle cela fonctionnait bien. Mieux vaut avoir trop de personnel. Actuellement, les gestionnaires versent des larmes de crocodile en regrettant le départ du personnel, et disent qu'ils ne savent plus quoi faire. Mais ce sont les mêmes qui ont appliqué cette politique de réduction du personnel. Ce sont les directeurs d'hôpitaux qui ont réduit le personnel. Et comment le réduire ? En fermant des lits. Sachez que les directeurs d'hôpitaux établissent des contrats avec les ARS. Ils sont bénéficiaires de primes de fonction et de résultat, qui dépendent de certains critères. Dans les primes de résultat, il y a systématiquement le critère d'équilibre budgétaire de l'hôpital. Or comment l'obtenir, sinon en jouant sur la masse salariale ? Et comment réduire le nombre d'infirmières ? En supprimant des lits.

Cela fait des années que nous demandons un moratoire sur les fermetures des lits, mais cela continue. Le professeur Varenne, à l'hôpital Cochin, est en train de faire des travaux dans son service de cardiologie, vétuste, qui comptait vingt lits d'hospitalisation conventionnelle, toujours occupés. L'obtention des travaux a été conditionnée à la réduction de vingt à douze lits. Pourquoi douze ? Car c'est la norme qu'il faut pour avoir une seule infirmière, plutôt que deux actuellement. Le professeur va donc devoir réduire les temps de séjour et augmenter le turn-over . Il a beau dire que ce n'est pas possible, on lui a dit que sinon il ne pourra pas faire les travaux...

Malgré toutes nos alertes et nos revendications, cela continue. C'est extraordinaire ! Sans parler de l'hôpital Nord, qui fusionnera les hôpitaux Beaujon et Bichat, où l'on supprimera au passage 30 % des lits.

Nous avons beau alerter, il y a beau avoir des articles dans la presse, des reportages à la télévision, la même politique continue.

Docteur Gérald Kierzek . - Il faut insuffler de la bienveillance et de la bientraitance dans le management, et cela fera revenir spontanément le personnel. Si vous avez de la bientraitance, une bonne évolution des carrières, une aide-soignante qui peut passer infirmière, qui a plaisir à travailler, au sein d'un esprit de famille, les soignants ne vont plus partir, mais revenir. À l'inverse, actuellement, nous sommes dans de la maltraitance institutionnelle. Quand nous alertons, Michaël Peyromaure et moi, publiquement, dans notre hôpital, nous sommes « les deux à sortir », selon les termes mêmes de la directrice hospitalière. Non seulement on ne nous écoute pas, mais il faut nous sortir. Ce système maltraite à tous les échelons.

Les cadres infirmiers font un travail difficile. Ils sont censés être des soignants, une courroie de transmission entre l'administration et les équipes de soignants. En fait, ils se trouvent dans des situations intenables. Avant-hier, j'ai encore reçu un mail d'un cadre infirmier de l'AP-HP qui m'annonce qu'il démissionne, car il n'en peut plus en raison des injonctions paradoxales. Les cadres infirmiers sont devenus de simples collaborateurs de l'administration, faisant appliquer les décisions de l'administration, alors qu'ils devraient faire remonter les besoins du terrain et du soin. On leur demande de faire descendre des normes et décisions complètement aberrantes. Certains craquent et démissionnent, d'autres se résignent, et malheureusement certains jouent le jeu. On leur demande de choisir un camp.

Sur les 35 heures et les RTT, je suis plus modéré. Elles sont une soupape de sécurité. Sans elles, davantage de personnes partiraient. Le personnel est tellement maltraité qu'au moins, il a un peu moins de temps de travail, ce qui lui permet de souffler. Les 35 heures ont peut-être été le péché originel, mais y toucher actuellement, dans le cadre d'une maltraitance organisée et généralisée, ne ferait qu'aggraver les choses.

Peut-on tout faire - recherche, enseignement, soin ? Non, on ne peut pas tout faire au même moment. En revanche, un généraliste peut enseigner à la faculté, un chercheur faire des recherches pendant cinq ou dix ans avant de revenir faire des soins. Cette flexibilité est indispensable. J'ai fait un post-doc au Canada. Ma patronne, chercheuse spécialisée - scientist - sur l'arrêt cardiaque, était une ancienne généraliste qui, à 40 ans, avait décidé de se former. Elle est devenue une leader sur ce sujet. Un tel type de parcours est impossible en France.

M. Bernard Jomier , président . - Pourtant, le chef de service des urgences de l'hôpital Cochin est à l'origine un généraliste, et non un PU-PH. Il a un parcours atypique.

Docteur Gérald Kierzek . - Oui, mais on ne peut pas, sauf à faire une carrière administrative, être chercheur, chirurgien, puis partir dans le libéral avant de revenir enseigner. L'élève du professeur Velut part définitivement ; il ne pourra plus revenir. Ces allers-retours ne sont pas possibles, alors qu'ils seraient extrêmement bénéfiques, tant pour la personne que pour le système. Je vous rappelle que les nominations des chefferies de service sont faites par les directeurs d'hôpitaux.

Professeur Stéphane Velut . - Je n'ai pas vécu ce cauchemar de déprogrammation le lundi.

Les internes choisissent désormais des spécialités faciles à recycler en libéral, comme la gynécologie médicale, l'ORL, la chirurgie plastique... Elles sont très différentes de celles choisies dans les années 1990 comme la chirurgie cardiaque, la neurochirurgie, la réanimation médicale ou la médecine interne.

Je remercie les internes, qui travaillent 65 à 70 heures par semaine, sans rechigner. Sans eux, le service se casserait la figure.

Je ne veux pas faire des CHU un sanctuaire académique. On peut très bien former ailleurs des internes, et cela se fait, à l'hôpital général d'Orléans, de Saint-Malo ou d'Annecy. Il n'y a pas de problème sur ce point.

Sur les systèmes informatiques, j'ai été ahuri d'apprendre que, dans le CHU où je travaille, il y avait 17 ou 27 logiciels différents concernant les programmations, l'alimentation, le linge, l'imagerie... L'informatique nous rend beaucoup de services, mais si l'on pouvait harmoniser à l'échelon français, ou du moins métropolitain, la transmission des dossiers et l'imagerie, ce serait un grand progrès. Nous gagnerions beaucoup de temps. Je n'évoquerai pas tous les tableaux Excel que nous avons à remplir comme chefs de service...

Concernant le temps de travail administratif, je ne souhaitais pas renouveler ma chefferie de service pour mes dernières années - je pars à la retraite dans un peu plus de deux ans. J'ai proposé à un collègue de prendre ma suite, mais il a refusé, me rétorquant que le lieu où il est le plus tranquille, c'est sa salle d'opération, là où il exerce son métier.

L'évaluation de la qualité des soins est extrêmement difficile et devrait passer en second plan après la pertinence des soins. Évaluer qu'untel opère plus ou moins bien pour installer une prothèse est très difficile, mais évaluer la pertinence d'installer une prothèse est important en termes d'économie de la santé.

Sur le pouvoir administratif, j'estime que le principe de subsidiarité a disparu. On pense que les gens de terrain pensent mal et qu'ils s'organisent mal. Revenons au service. Je suis d'accord avec le professeur Peyromaure sur la disparition des pôles.

Je suis plus nuancé sur les 35 heures. Au-delà du secteur hospitalier, les 35 heures ont changé le rapport au travail, et ont entraîné un manque de souplesse en termes de choix de congés. Cela a été une très mauvaise chose à hôpital.

Nous avons trois missions, mais chacun sait qu'un hospitalo-universitaire ne peut assumer ces trois missions en même temps. C'est bien de montrer, le jour du concours, des publications, une activité clinique et de l'enseignement. Mais les très grands chercheurs ne font qu'un peu d'enseignement, les très bons chirurgiens opèrent beaucoup, enseignent peu, et ne font pas de recherches. Faire deux missions sur trois est déjà pas mal. Et qu'on ne nous ajoute pas la mission de manager, comme j'ai pu l'entendre lors des débats du Ségur de la santé...

Dans un hôpital de 2 000 lits, rassemblant médecine, obstétrique, chirurgie, psychiatrie et gériatrie, qui compte environ 1 200 à 1 300 lits aigus, dans une ville de taille moyenne, il suffit de 25 malades covid en réanimation, 15 en pneumologie et 5 en médecine pour que toute la chaîne soit affectée - alors que cela ne représente que 2 % des lits occupés ! C'est un problème. On veut un taux d'occupation des lits de 97 %, un taux important d'occupation des salles, mais pour pouvoir accueillir en temps et en heure des patients, un hôpital doit avoir des lits vides avec une infirmière auprès de ces lits en temps normal. Le système est extrêmement affecté en termes de programmation puisque les réanimateurs doivent aider leurs collègues, les infirmières aussi. On reprogramme, on déplace des infirmières, pour 2 % des lits ! C'est incroyable.

Cela concerne aussi l'attractivité des métiers : il faut redonner du sens, et non estimer qu'au prétexte qu'un soignant est dans une position subordonnée, il serait interchangeable. Un infirmier de réanimation cardiaque aime son métier. Si un jour il veut changer pour découvrir l'obstétrique, c'est très bien, mais ne le déplaçons pas comme cela. Or actuellement, les flux sont tellement tendus qu'ils sont déplacés comme des pions. Voilà une autre raison pour comprendre que leur métier perd de son sens. C'est vrai pour tous les métiers : aide-soignant, brancardier...

M. Bernard Jomier , président . - Merci pour toutes ces interventions.

Il est rassurant que des médecins fassent un diagnostic commun, mais le problème est que cela ne débouche pas sur les bonnes décisions de traitement. J'espère que l'avenir démentira vos craintes. Les pistes que vous portez sont largement partagées, malgré quelques nuances. J'espère que les bonnes décisions seront prises.

Professeur Stéphane Velut . - Notre tristesse est tempérée par votre écoute.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition commune des conférences de présidents
de commissions médicales d'établissement

(mardi 4 janvier 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition commune des conférences de présidents des commissions médicales d'établissement.

Je suis heureux d'accueillir le professeur François-René Pruvot, président de la conférence des commissions médicales d'établissement (CME) des centres hospitaliers universitaires (CHU) ; le docteur Thierry Godeau, président de la conférence des CME des centres hospitaliers ; le docteur Laurence Luquel, présidente de la conférence nationale des présidents de conférences médicales d'établissement des établissements de santé privés à but non lucratif ; enfin, le docteur Marie-Paule Chariot, présidente de la conférence nationale des présidents de conférences médicales d'établissement de l'hospitalisation privée.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et j'invite chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. François-René Pruvot, Thierry Godeau, Mmes Laurence Luquel et Marie-Paule Chariot prêtent successivement serment.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je remercie également les représentants des commissions médicales d'établissement de leur présence.

Nous vous recevons à un moment où nos établissements de santé se trouvent de nouveau sous la pression très forte de la crise sanitaire. Par sa durée, celle-ci aggrave incontestablement les difficultés auxquelles était confronté le système hospitalier, en particulier en termes de ressources humaines.

Au-delà de cette situation critique, mais conjoncturelle - du moins peut-on l'espérer - nous souhaitons évoquer avec vous les aspects plus structurels de ces difficultés : le recrutement et la fidélisation des personnels ; l'organisation et le fonctionnement des établissements, et notamment la place et le rôle des soignants ; le financement et le mode de régulation de la dépense prise en charge par la collectivité ; les conditions actuelles du recours à l'hôpital dans notre système de santé, ce qui soulève la question de l'organisation territoriale des soins et de l'articulation avec le secteur privé, hospitalier ou libéral.

Nous voudrions également connaître votre appréciation sur les effets à attendre des mesures prises au cours des deux dernières années, que ce soit au plan financier avec le Ségur ou au plan législatif, en dernier lieu avec la loi Rist d'avril 2021.

Professeur François-René Pruvot, président de la conférence des commissions médicales d'établissement (CME) des centres hospitaliers universitaires (CHU) . - Les présidents de conférence partagent des valeurs et objectifs semblables. Mais à la lueur des événements des deux dernières années, nous appelons solennellement, à l'aube des élections présidentielles, à un rééquilibrage des deux grands systèmes d'exercice de la médecine en France : le service public et le service privé. Cette recommandation fera partie des éléments forts de notre plateforme présidentielle, qui sera publiée par une tribune dans Le Monde, puis diffusée par une conférence de presse dans quelques jours, présentant cinq axes stratégiques, huit propositions thématiques et 38 actions pour les candidats à l'élection.

Nous identifions trois ressorts dans la situation actuelle. Le premier est la pandémie avec une lassitude extrême des équipes, ainsi que la carence de soins des malades non-covid, qui sont autant d'anticipations de soucis pour les années qui viennent, en particulier en oncologie. Il est impossible aujourd'hui de tirer un bilan du déficit de prise en charge pendant la crise.

Le deuxième réside dans les manquements du Ségur, à deux titres. On doit évoquer les manquements intrinsèques : la démarche était systémique, mais comportant des insuffisances, en particulier concernant la permanence des soins, le travail de nuit et certaines rémunérations. D'autre part, une réforme d'une telle ampleur ne peut pas entraîner un impact immédiat, donc on n'en mesure pas aujourd'hui tous les bénéfices. C'est la raison pour laquelle il y a encore de la grogne et des difficultés dans les hôpitaux.

Le troisième point est le plus problématique, et fera la transition avec les sujets que vous nous avez demandé de parcourir : c'est une vague de fond, sur laquelle des signaux faibles sont à l'oeuvre depuis une dizaine d'années sans qu'ils soient suffisamment pris en compte, qui traduit un changement de paradigme dans l'imaginaire des métiers de soins et leur exercice dans la population des futurs soignants en formation, médecins ou pas. Cette évolution dans la vision presque ancestrale des métiers de soin est aussi pour beaucoup dans les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui. On les partage probablement avec d'autres professions.

M. Bernard Jomier , président . - Pouvez-vous préciser ?

Professeur François-René Pruvot . - S'il y a aujourd'hui incontestablement un haut niveau de conscience professionnelle chez les professionnels de santé, le travail est conçu comme un métier indépendant de la vie personnelle et familiale. Le décompte en temps de travail est très répandu dans la population des soignants.

Je dirais aussi que l'empathie vers son prochain est paramétrée et concurrencée par des objectifs personnels plus nets qu'auparavant.

Il y a une forme d'abandon partiel de l'État, et en tout cas une difficulté à gérer la crise systémique du public.

Je débute par le sujet de la gouvernance. Il fallait faire évoluer la loi « Hôpital, Patients, Santé et Territoire » (HPST), qui a fortement infléchi l'équilibre décisionnel vers les métiers et les compétences administratives. Il y a été répondu par le pilier 3 du Ségur. Je pense que tout est contenu, désormais, dans le rapport de juin 2020 de la mission Claris et la circulaire d'application d'août 2021 qui devrait se trouver exprimée au travers d'une charte de gouvernance entre les directeurs d'hôpitaux et les médecins
- en particulier les présidents de commission médicale d'établissement. L'enjeu sera de l'appliquer. Par exemple, la loi HPST de 2009 contenait déjà des éléments de délégation de prérogatives aux pôles, qui n'ont jamais été appliqués.

Cette gouvernance s'étend au retour de la notion de service, qui avait disparu réglementairement. Nous verrons comment cela sera appliqué. Il est toutefois certain que la plupart des soignants et non-soignants ont toujours su, malgré les changements de sémantique, ce qu'était une équipe, et ont pu identifier très clairement ce qu'était un service.

S'agissant des relations avec la tutelle, je vous renvoie à notre audition à l'Assemblée nationale le 12 avril 2021. Il y a une énorme hétérogénéité de relations des établissements publics avec les agences régionales de santé (ARS), avec la tutelle centrale. Je pense que la crise covid, en donnant l'impression d'une déconcentration de l'exercice de la gouvernance, est l'arbre qui cache la forêt, la réalité étant plutôt celle d'une forte centralisation. On devra en tirer les conséquences dans quelques mois.

En ce qui concerne la situation financière, je ne peux évoquer que les CHU. Je vous renvoie au rapport de la Cour des comptes de 2018 et au pilier 2 du Ségur de la santé. Aussi bien les directeurs généraux que nous-mêmes avons contesté les conditions dans lesquelles était prise en compte l'activité de recours des CHU. Ceci reste un énorme problème. L'exemple en a encore été donné dans la mise en oeuvre de la garantie de financement lors de la crise covid. On a caractérisé de manière uniforme, homogène, et classé dans une même catégorie des actes pour des malades totalement différents, ce qui a pénalisé les CHU.

Sur le mode de financement, je ne veux pas empiéter sur l'énorme rapport préparé par le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie (HCAAM). On sait qu'on ne reviendra pas au budget global et qu'on n'ira pas dans le sens d'une tarification à l'activité excessive. C'est un portefeuille de modalités de financement qui est important. En tant que président du conseil scientifique des investissements en santé, je suis bien placé pour en parler.

12 milliards d'euros pour relancer la finance des hôpitaux constituent une chance qui s'est tendue à nous. L'enjeu essentiel est d'échapper à la doctrine Copermo (Comité interministériel de performance et de modernisation de l'offre de soins), axée sur la performance, et de mettre en avant les activités médicales, la cohérence des schémas architecturaux et de reconstruction et l'insertion territoriale des projets des établissements.

Le sujet du recrutement et de la fidélisation est traité par les piliers 1 et 3 du Ségur, c'est-à-dire à la fois le niveau de salaire et d'intéressement des soignants mais également leur mode de reconnaissance, de valorisation et leurs rapports à l'intérieur de l'hôpital. S'agissant du personnel hospitalo-universitaire, mis de côté de façon volontaire par le Ségur, le groupe de travail sur l'attractivité des carrières hospitalo-universitaires a remarquablement rempli sa fonction, avec 24 propositions qui vont être égrenées de fin décembre 2021 à 2023. Nous verrons quels effets elles produiront.

La structuration territoriale est l'un des plus beaux enjeux, qui dépasse le domaine de la santé. Les maîtres-mots sont la gradation et la coordination des soins, ce qui va de pair avec la réforme des autorisations engagée par l'État en 2016. En CHU, nous y accordons beaucoup d'importance, car il faut définir ce qu'est la centralisation. La centralisation et l'organisation des soins sur un territoire reposent souvent sur la mise en avant de l'excellence, mais on oublie toujours que celui qui est excellent a, en proportion, autant de devoirs. Nous souhaitons que cette réforme de la gradation et des autorisations de soins, en vue d'une juste répartition cohérente des soins sur un territoire, s'adosse à ce que nous avions proposé dans le cadre de notre rapport sur « le CHU de demain », c'est-à-dire une segmentation en proximité / référence / recours / complexité, et qu'elle fasse la part belle aux paramètres de pertinence.

Docteur Laurence Luquel, présidente de la conférence nationale des présidents de conférences médicales d'établissement des établissements de santé privés à but non lucratif . - Je représente mes collègues médecins des établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic), qui renvoient à un mode de fonctionnement peu visible par la population ou le corps médical, et peut-être par vous.

En effet, nous avons une mode de fonctionnement de droit privé avec des missions de service public. Même si nos établissements possèdent des services de réanimation, les services d'aide médicale urgente (SAMU) nous ont placés en deuxième intention lors de la crise sanitaire. Nous souffrons de problèmes de visibilité au niveau de nos concitoyens. Les Espic regroupent les établissements relevant de la fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires (Fehap) et qui ont signé la convention collective de 1951, mais aussi les établissements de lutte contre le cancer, de l'assurance-maladie (Ugecam) et de la Croix-Rouge.

Je représente plutôt les établissements du privé solidaire, dont 700 disposent d'une offre dans le champ du sanitaire - d'autres relèvent du champ du médico-social, des personnes en situation de handicap, des services à domicile, de la petite enfance, etc .

Nos modalités de fonctionnement sont différentes car nous sommes nommés par le directeur de l'hôpital, à l'inverse du public. Par ailleurs, bien que l'institution de la CME dans les établissements privés à but non lucratif ait été inscrite dans la loi de 2016, le décret d'application n'est jamais intervenu. Cela donne une certaine souplesse dans les modes de fonctionnement et une absence d'homogénéité dans l'organisation des CME de nos établissements.

Comme nos collègues du public et très certainement aussi du secteur lucratif, nous faisons face à une diminution des ressources médicales, avec un fort enjeu de recrutement. Une enquête dans les établissements relevant de la Fehap a montré que dans certaines spécialités médicales, on compte une proportion élevée de postes vacants : 55 % en médecine générale, 25 % en gériatrie et en médecine d'urgence, 30 % en psychiatrie.

Comme l'a rappelé le professeur Pruvot, la médecine évolue. Elle évolue en matière de reconnaissance sociétale car cela devient un bien de consommation. Il n'y a plus de confiance, à laquelle était associée notre fonction de sachant. Les jeunes ne se sentent pas aussi investis pour se lancer dans la médecine, en raison de transformations - qui ne sont pas à blâmer - associées à la d'une meilleure qualité de vie au travail. Nous sommes confrontés à des problématiques dans la permanence médicale, avec des médecins qui refusent de faire des gardes en raison de leur statut personnel. Cela ne touche pas que la population féminine, et cela n'est pas du tout dû à la féminisation de la profession médicale. On constate cet état de fait dans l'ensemble de la société.

Nous sommes, par ailleurs, confrontés aux enjeux du vieillissement démographique et de l'avancée des maladies chroniques, qui demanderont une prise en charge médicale au long cours. La crise sanitaire a montré qu'il était difficile d'y faire face en situation de tension hospitalière.

Dans un premier temps, nous n'avions pas été inclus dans les revalorisations des praticiens salariés prévues par le Ségur. Nos demandes ont été prises en compte, mais nous inquiétons de la pérennisation de ces mesures pour nos médecins salariés. J'attire votre attention sur ce point, en raison de la difficulté des recrutements médicaux à laquelle nous sommes tous confrontés.

Lors de la crise sanitaire, nos établissements ont été présents, tant au niveau des soins critiques que des filières d'aval. Mais nous n'avons pas anticipé qu'il s'agirait d'une crise de longue durée. On constate une forte lassitude des personnels médicaux face à une organisation où il faut faire coexister des soins liés ou non au covid.

Nous sommes aussi confrontés à la problématique des soins non programmés - notamment hors covid - et du recours aux urgences. Cette question conduit forcément à une désorganisation et à des déprogrammations plus ou moins longues et anticipées. C'est très difficile à vivre car, lorsque nous allons à l'hôpital, nous ne savons jamais ce que nous allons trouver le jour-même. En dépit de l'organisation prévue par les tutelles, le cloisonnement entre le privé lucratif, les Espic, les hôpitaux publics est une réalité : nous ne nous connaissons pas forcément et nous ne travaillons pas nécessairement ensemble. La crise a permis d'améliorer les liens, mais le cloisonnement perdure. Nous avons pourtant besoin de confiance les uns dans les autres, notre objectif commun en tant que médecin étant le service rendu au patient. Tout le monde a sa place dans le système hospitalier actuel.

Que nous a-t-il manqué ? Que nous manque-t-il ? En dehors du fait que, sur un territoire, nous puissions travailler ensemble, aussi bien à l'hôpital que pour les soins primaires et les structures médico-sociales, et même si les ARS ont joué leur rôle dans la crise, peut-être aurait-il fallu instaurer une instance régionale, voire départementale, pour mieux faire travailler ensemble les personnes avec un objectif commun. Avec la prolongation de la crise, nous devrions penser à le développer.

On doit toutefois mettre en avant deux points positifs, au cours de cette crise. Même si nous commençons à être essoufflés, nous avons tous répondu présents. Des expériences ont montré leur utilité, comme l'astreinte gériatrique auprès des Ehpad, déployée sur tout le territoire et qui a permis d'éviter des passages inappropriés aux urgences. Cela a servi car au départ la crise touchait beaucoup les populations vulnérables. La médicalisation de la décision a été renforcée : avec les directeurs, nous avons participé à l'organisation au sein de l'hôpital et sur l'aval. Nous avons pu copiloter les déprogrammations.

La crise devient progressivement de plus en plus administrative. La problématique de la gouvernance et du copilotage par les directeurs et les présidents de CME, est très dépendante de l'humain et de la taille des structures. Cela peut aller de trois médecins à plus de 400 selon les établissements. Ce point mérite d'être souligné d'autant que les médecins considèrent qu'ils ne sont plus entendus. La relation médecin-malade n'occupe plus la majeure partie de leur temps de travail en raison de toutes les contraintes administratives, liées à la tarification à l'activité en particulier, et au fait que l'hôpital évolue comme une entreprise et doit avoir des objectifs. Ce n'est pas une critique, mais un constat. Il faut accompagner les médecins face à cette réalité mais aussi les écouter et entendre leur malaise, si l'on qu'ils soient un jour remplacés par de jeunes médecins. La situation est en effet préoccupante en raison de la pyramide des âges de l'activité médicale quel que soit le contexte d'exercice.

Docteur Thierry Godeau, président de la conférence des CME des centres hospitaliers . - Je vais essayer, dans ces propos liminaires, de faire le constat que porte notre conférence non seulement sur l'hôpital mais aussi sur le système de santé, car je pense que les deux sont liés. L'hôpital est en crise, mais la vraie crise sanitaire actuelle n'est pas celle du covid ; c'est la crise structurelle de l'hôpital, et à travers lui, probablement, la crise de l'ensemble de l'organisation de notre système de santé. La pandémie n'a été qu'un accélérateur de cette crise hospitalière, et personne ne peut nier ce sur quoi tous les professionnels de santé ont alerté depuis plusieurs années.

La conférence que je représente, qui n'a peut-être pas un rôle médiatique important parce que le rôle des présidents de CME est assez mal connu dans le grand public, a dénoncé depuis longtemps cette situation. Certes, l'hôpital public, qui a pris en charge 80 % des patients covid, a tenu le coup, et il tient toujours le coup. Oui, mais à quel prix : des déprogrammations massives régulières depuis deux ans, des retards de prise en charge dans de nombreuses pathologies, des lits fermés maintenant faute de soignants, qui ont aujourd'hui le sentiment que l'après-covid risque d'être, au sein de nos établissements, pire que l'avant.

On sait que l'on n'a pas suffisamment formé de professionnels, et pas que des médecins, depuis de nombreuses années. Ce nombre reste toujours insuffisant, et il y a des facteurs d'inquiétudes, notamment sur les infirmières, les sorties de formation n'étant pas en rapport avec l'augmentation du nombre de places en école.

La contrainte financière est très ancienne. La tarification à l'activité (T2A) a été un peu pervertie par le « travaillez plus pour gagner moins ». Des fermetures de lits ont été imposées, le personnel étant la principale dépense de l'hôpital, et donc la variable d'ajustement. Tout cela a conduit à des hôpitaux engorgés de manière quasi permanente, une perte de sens des professionnels. Et concernant plus particulièrement les personnels médicaux, le sujet des écarts de contraintes et de rémunération ne peut plus être éludé.

La problématique de la permanence des soins est également devenue un sujet majeur de départ des praticiens, ce d'autant plus que la charge ne relève pas toujours d'une prise en charge spécifiquement hospitalière. Ce sujet ne pourra pas être réglé que par de nouvelles rémunérations, qui sont certes nécessaires, mais il nécessitera une reconnaissance réelle de la pénibilité, et un partage de cette contrainte dans de nombreux secteurs.

L'hôpital est un lieu d'exercice formidable. On y vient pour y travailler en équipe, faire de l'enseignement, de la recherche, de l'innovation et développer de nouvelles techniques. Mais quand le quotidien ne correspond plus à vos attentes, comment pouvez-vous espérer y attirer et garder un praticien hospitalier, sachant que sa rémunération est assez souvent de deux à trois fois supérieure en libéral, qu'il ne serait pour la plupart du temps pas soumis à une obligation de garde, qu'à l'hôpital on lui parle beaucoup de déficit, de réduction de moyens, de déprogrammation, qu'il a vu son service, ou plutôt son équipe, se déliter, qu'il n'a aucune, ou très peu d'emprise sur les décisions, et que son temps, sa charge de travail et tout simplement son travail et sa pénibilité sont mal reconnus. Qu'il joue sans cesse à « Tétris » pour trouver des places et des solutions pour des situations sociales parfois insolubles, et que l'avenir qu'on lui propose actuellement est de plus en plus souvent de se transformer en médecin « sac à dos » pour aller combler les trous dans les autres hôpitaux publics ?

On peut saluer les efforts financiers du Ségur de la santé, mais il n'a été qu'un rattrapage partiel de tout ce qui n'avait pas été fait antérieurement. Je voudrais insister sur les praticiens de milieu de carrière, souvent très courtisés par le milieu libéral, dont l'augmentation n'aura été actuellement que de trois cent euros par mois, c'est-à-dire moins que de très nombreux soignants. Il est donc indispensable de les fidéliser notamment par l'application des nouvelles grilles indiciaires à tous les praticiens hospitaliers et non seulement aux nouveaux nommés. D'une manière générale, et malgré le Ségur, les médecins hospitaliers ont perdu en salaire de base en moyenne l'équivalent d'un Smic par mois en vingt ans.

Un mot sur les groupements hospitaliers de territoire (GHT). Ne refaisons pas entre les GHT et les établissements de santé ce qui a été fait entre les pôles et les services. Oui les GHT sont un levier pour les hôpitaux publics, mais pour ce qu'ils partagent, pour leur stratégie commune, la gradation des soins. Le principe de subsidiarité doit rester la règle. Par exemple, les relations ville-hôpital, qui sont primordiales, relèvent avant tout des établissements.

Alors oui l'hôpital tient encore le coup. Il tient le coup parce que ses professionnels sont formidables, impliqués, qu'ils aiment leur métier et leurs patients ; mais les troupes s'épuisent, se démoralisent et ne voient guère de perspectives positives dans un avenir de court terme. Alors, jusqu'à quand va-t-il tenir ?

Mais la crise de l'hôpital est aussi un symptôme d'un système qui dysfonctionne de plus en plus. En effet, les besoins de santé ont profondément évolué. Nous sommes passés d'une médecine des soins aigus à une médecine des maladies chroniques, d'une prise en charge hospitalière ponctuelle pour un problème de santé épisodique, à la nécessité d'une prise en charge le plus souvent coordonnée et pluri-professionnelle, et où l'hôpital se situe, tout comme d'autres secteurs, dans un continuum de prises en charge. Notre système de santé n'est plus adapté à cette coordination des soins. Il est cloisonné entre deux mondes : les établissements de santé qui, déjà ont du mal à travailler ensemble, et la ville. Il l'est aussi dans sa gouvernance entre les agences régionales de santé (ARS) et la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), dans son organisation, dans son financement, avec un objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) consacré aux soins de ville et un autre à l'hôpital.

Ce système doit être repensé, car malheureusement aujourd'hui rien n'incite vraiment les acteurs à travailler ensemble. Les nouveaux besoins de santé et les carences démographiques imposent de se donner les moyens, que les acteurs de santé travaillent véritablement ensemble au quotidien, de façon coordonnée, complémentaire, mais autant entre équipes de soins qu'entre la ville et l'hôpital. Le rôle et la place du médecin dans les prises en charge doivent être revisités. Mais attention à ne pas céder à tous les corporatismes par de nouveaux accès aux soins non-régulés, qui pourraient aggraver le manque de coordination tant préjudiciable au patient.

Les coopérations public-privé sont nécessaires. Nous n'avons plus les moyens actuellement d'une concurrence souvent trop frontale, qui est liée aussi au financement à l'activité. Tout ceci ne sera qu'un voeu pieux sans une réforme du financement des établissements, et une réduction, justement, de ces écarts de rémunération et de contraintes, notamment sur la permanence des soins.

Le projet territorial de santé devrait être un levier, pour nous, obligatoire. Ce n'est pas aux seuls acteurs d'un GHT, mais à tous les acteurs d'un territoire de se coordonner et de répondre ensemble aux besoins de santé d'un territoire sous la forme d'une responsabilité populationnelle partagée. Les modalités de réponse pourront varier selon les ressources disponibles de chaque secteur. Ce projet territorial doit définir un projet de santé avec de réelles priorités, adapté aux besoins du territoire et contractualisé financièrement avec les ARS.

Concernant la démographie, il faut s'interroger sur le fait que les spécialités dont actuellement nous avons peut-être le plus besoin, à savoir la médecine générale, la pédiatrie, la gériatrie, la santé mentale, mais aussi la médecine polyvalente et la médecine interne à l'hôpital, sont parmi les moins attractives et les moins rémunératrices. Ce sont aussi des spécialités pour lesquelles la relation humaine est capitale. Or cette relation n'est pas financée à sa juste valeur. Il est capital de revaloriser l'acte intellectuel. C'est urgent car la médecine est en train de perdre ce qui en fait l'une de ses noblesses, c'est à dire la relation médecin-malade, qui est son humanité.

Ces carences ont inéluctablement un impact sur le fonctionnement de nombreux hôpitaux. Le manque de coordination des professionnels est probablement l'une des principales causes de gabegie financière et de mauvaise qualité des soins, avec des redondances d'examens, des hospitalisations évitables mais également prolongées, ce qui souligne également le retard colossal que la santé a pris dans le domaine du numérique, retard préjudiciable aussi pour la coordination des acteurs.

Concernant les hospitalisations : si tous les patients sortaient le jour où le médecin le décide, nous aurions beaucoup moins de problèmes de lits à l'hôpital public, qui est souvent engorgé par des problèmes de sortie.

Et c'est là qu'il faut vraiment un plan d'action pour le secteur médico-social, la médicalisation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), et la permanence de soins, qui est aussi un élément crucial dont l'amélioration limiterait de nombreux recours, évitables, à l'hôpital.

Toute réforme systémique est longue à mettre en place, mais nous n'avons plus le temps d'attendre. Les professionnels de santé savent que la route sera longue et qu'il n'y aura pas de grand soir. Ils ont besoin de perspectives, d'espoirs et de projets. Il est urgent au sein de l'hôpital de redonner du sens au travail et aux équipes. La notion de charge de travail, de reconnaissance du temps médical dans toutes ses composantes, mais aussi de sa pénibilité, est un impératif. La démographie des professionnels ne peut faire passer toujours au second plan la qualité de vie au travail. Ce sont des attentes fortes de nos jeunes professionnels et c'est aussi pour cela que, lorsqu'elle est dégradée, ils quittent l'hôpital. Il est urgent de prendre enfin soin de ceux qui prennent soin.

Le nouveau texte sur la gouvernance et la liberté d'organisation des hôpitaux s'applique au premier janvier. Il sera capital d'en vérifier l'application réelle sur le terrain. De trop nombreuses fois, les lois ne sont pas appliquées sur le terrain. Il faudra vérifier que cela est bien mis en place, que nous aurons véritablement un projet de management et de gouvernance qui sera participatif, que toutes les équipes auront contribué à sa réalisation. La remédicalisation effective de la gouvernance de l'établissement mais aussi la rénovation de celle de proximité, celles des services, sont des enjeux majeurs. Redonnons plus d'autonomie et de souplesse aux équipes, qui ont besoin d'identité et d'appartenir à un collectif. Les équipes veulent reprendre la main sur de nombreuses décisions du quotidien.

Il faut remettre le projet au coeur des préoccupations, se donner des objectifs précis, adaptés aux besoins et assumés, quitte à reconnaître, vu les difficultés à prioriser l'essentiel, que l'on ne peut pas tout faire dans le contexte démographique actuel. Mettons enfin en place la simplification administrative. Simplifions le nombre de reporting, de benchmark, de tableaux d'Excel, d'interlocuteurs et qu'on laisse respirer les acteurs qui doivent retrouver de l'initiative. Hélas, tout cela sera peine perdue si les moyens financiers ne sont pas à la hauteur des missions que l'on exigera de l'hôpital. Interrogeons-nous plus globalement sur ce que doit être aussi la performance en santé, qui aujourd'hui n'est portée que par la vision réductrice des économies de santé. La santé est aussi créatrice de richesse et de sérénité au sein de la population. Portons un vrai projet de santé publique, grande carence de notre système.

Enfin actuellement, tous les secteurs sont en difficulté. Tous les professionnels, quels que soient leur mode d'exercice, expriment une grande souffrance.

Certes, les professionnels ne sont pas responsables de tous les maux actuels, et je pense - je fais un appel pour cela - que nous ne devons plus nous retrancher sans cesse derrière ce fait, mais que nous devons sortir de nos corporatismes pour essayer ensemble de proposer des solutions coordonnées. Il en va aussi de notre responsabilité. L'hôpital est mal en point, le mal est systémique, et l'hôpital ne se sauvera probablement pas tout seul. La crise a démontré que l'hôpital public restait le pilier du système de santé. En de très nombreux endroits, personne ne peut se substituer à l'hôpital. Et si dans ces territoires l'hôpital s'écroule, alors tout s'écroulera. Ce serait à mon sens, et le professeur Pruvot en a parlé, une erreur grave sur le plan politique de ne pas mettre la santé au coeur des priorités du débat présidentiel. Et il se pourrait que le statut quo soit le chaos.

Je vous remercie.

Docteur Marie-Paule Chariot, présidente de la conférence des présidents de conférences médicales d'établissement de l'hospitalisation privée . - Je vous remercie de prendre le temps de nous écouter. Vous entendez maintenant certainement la seule bénévole de toute la salle. Un médecin libéral, et je crois que le président de la commission ne l'ignore pas, est payé à l'acte. Donc quand il travaille il gagne sa vie, et quand il ne travaille pas il ne gagne rien. Les présidents de CME ce sont des médecins élus par leurs confrères dans un établissement de santé, qui ont un rôle d'organisation des soins et un rôle d'apaisement des conflits. Dans le secteur privé, ils ne disposent d'aucun moyen, pas même pour un président des présidents de CME. Donc vous entendez là la seule bénévole. La puissante fédération de l'hospitalisation privée et les directeurs d'établissements gèrent tout.

Le mot gouvernance, dans un établissement de santé privé, n'existe pas. Si j'ai entendu mes confrères parler de la souffrance au travail, et de la gouvernance, je ne retiens moi, dans le privé, que le mot de souffrance. Il n'y a pas de gouvernance chez nous puisqu'il n'y a aucun moyen. Quand il y a des réunions il faut arrêter d'exercer, faire attendre les patients, ou annuler ses consultations, ou annuler ses actes opératoires pour pouvoir s'occuper de la collectivité. Je souhaiterais donc qu'il puisse y avoir un peu d'équité pour le secteur privé et une rémunération qui permette au moins une demi-journée par semaine, voire une journée par mois, de pouvoir s'occuper des autres sans le faire aux dépens de son activité professionnelle. Donc ça, c'est ma demande.

Mais dans le privé, qui représente à peu près la moitié de la chirurgie et un quart de la médecine en France, nous avons la chance de faire des journées de douze heures et treize heures. Même si aujourd'hui les jeunes vous semblent quitter l'hôpital, ils ne viennent pas forcément chez nous. Parmi mes confrères anesthésistes - puisque je suis anesthésiste - il y en a un aujourd'hui qui élève des moutons et un autre qui est gardien de château. C'est récent : cela date de moins d'un an.

La souffrance des professionnels, des médecins en secteur libéral, est importante. Parce qu'il n'y a pas cette aide que vous avez avec la médecine du travail dans les hôpitaux et cette écoute. Bien sûr l'ordre des médecins a créé des associations : l'association Mots pour parler de la souffrance des médecins ; mais c'est assez difficile de décrocher un téléphone et de dire qu'au quotidien « je souffre ».

Je voudrais dire aussi que si nous avons des difficultés organisationnelles, nous avons la chance d'avoir les usagers au quotidien avec nous. Et je pense qu'il est indispensable de laisser aux usagers du système de santé un choix. Je regrette qu'on définisse mon établissement ou mes établissements comme privés à but lucratif. Le but lucratif ne saurait pas pour moi parler avec la santé. La santé n'a pas de but lucratif ; la santé à un but de santé. La maladie doit être combattue et la santé doit gagner. Je regrette très sincèrement cette formulation, et si on pouvait définir les établissements de santé autrement que par leurs moyens de financement, je trouverais ça très bien. Ma priorité c'est de soigner, ce n'est pas de savoir si mon directeur va gagner de l'argent. Et tous les jours je me bats contre ça.

Je voudrais vous dire aussi que nous sommes dans un système très normé ; c'est-à-dire que nous avons des autorisations d'activités définies par les ARS pour les hôpitaux et les cliniques. L'ARS, donc l'administration, définit ce que nous pouvons faire ou ce que nous ne pouvons pas faire. C'est certainement très bien pour la sécurité des soins. Ça laisse des pans entiers de patients à la porte de nos cabinets médicaux qui ne peuvent pas être soignés. Aujourd'hui avec le covid c'est un petit peu plus parlant, mais j'ai vu malheureusement dans mon activité professionnelle, des cancers arriver généralisés parce qu'il n'y avait pas eu d'imagerie. Les gens ayant peur du covid sont restés à la porte et les gens qui ne peuvent pas avoir d'imagerie, qui ne peuvent pas avoir de soins, ne savent pas si ils doivent insister ou ne pas insister, n'osent pas aller déranger leur médecin. Ils ont tous conscience de la difficulté et c'est vrai qu'il y a une crise sanitaire importante ; une crise de défaut de soins que les gens vont payer parce que ce n'est pas à eux de savoir choisir, mais à nous de pouvoir les guider.

Au-delà de ça, j'ai entendu le Ségur. Bon, je vous remercie, le Ségur est très loin pour moi. Le Ségur, en médecine libérale, c'est les informations. C'est ce que j'ai entendu. Rien d'autre. Dans mes équipes, les infirmières sont aussi parties. 20 % des infirmières sont parties. Les infirmières sont parties parce que « ras-le-bol » : le burn out , l'épuisement professionnel, on le partage dans tous les secteurs. Le mot rivalité ne vient pas à ma bouche parce qu'il n'a pas lieu d'être. C'est tellement ridicule que je ne veux pas l'aborder. Je voudrais vous remercier d'avoir pris conscience de la difficulté qu'on a tous à exercer. Faute de collaborateurs, on ne peut pas soigner. On ne fait pas une appendicite s'il n'y a pas une aide opératoire. Avec les difficultés que l'on a de trouver du personnel, l'appendicite attend. Et elle devient une péritonite.

Puisqu'on n'a pas d'infirmière pour opérer, on n'opère pas et donc on n'a pas de rémunération, ce qui cause une souffrance financière en plus de l'incompréhension des directions, car les directions d'établissements ont des garanties de financement et qu'avec cette garantie de financement, en ayant moins de personnel et un chiffre d'affaires garanti, ils sont sûrs de faire des bénéfices.

Cela s'ajoute à l'épuisement et au détournement des personnels qui ne veulent plus être taillables et corvéables à merci tous les jours. Cela concerne les médecins, les aides-soignants, qui je vous le rappelle sont payés au Smic pour un weekend sur deux de garde.

Dans notre société actuelle, il y a plus de profit que de service. On explique aux gens ce que la société doit leur donner, mais on ne leur explique pas forcément ce qu'ils doivent donner à la société. Et dans les jeunes que l'on voit aujourd'hui, ils attendent tous quelque chose, mais ils ne sont pas tous prêts à offrir. Nous avons perdus à peu près 20 % d'infirmières. Nous avons perdus à peu près autant d'aides-soignants et de médecins épuisés qui ne voient pas la fin de la crise. Les astreintes et les gardes s'enchaînent. Moi, entre 2017 et 2021, j'ai été de garde tous les jours. J'étais la seule à pratiquer la chirurgie thoracique ; donc l'astreinte c'était tous les jours. Cela signifie : pas de cinéma ou de théâtre, puisqu'il faut couper les téléphones. Tous les jours d'astreinte. La direction l'a accepté ; elle a trouvé ça normal. Mes confrères l'ont accepté ; ils ont trouvé ça normal. Ça n'a choqué que moi. Ne pensez donc pas que dans le privé ce soit simple.

Pourquoi les médecins vont dans le privé ? Les médecins vont dans le privé pour garder la maîtrise, car ils ne dépendent pas d'une administration. Il y a des quotas qui ont été établis : il y a une infirmière pour deux lits de réa, une infirmière pour trois lits de surveillance continue. Mais il n'y en a pas pour les administratifs. Donc on peut avoir une inflation administrative, avec des personnes qui reçoivent d'avantage d'ordres de tout le monde. Tout le monde leur demande quelque chose. Et les soignants à la fin sont épuisés, baissent les épaules et n'en peuvent plus. Ce qu'on voudrait c'est des soignants ; pas des administratifs. Je suis désolé de vous le dire.

Cela, c'est la souffrance des médecins du privé. Elle est au moins aussi importante que celle de mes confrères des hôpitaux. Elle est parallèle. Sauf qu'en plus les médecins ne représentent qu'une petite communauté médicale, et les organisations n'ont aucun moyen pour les défendre, n'ayant pas de personnalité morale. Je vous rappelle que dans le privé, la CME c'est la conférence médicale d'établissement, et non la commission, comme dans le public. L'acronyme est le même, mais ce ne sont pas les mêmes choses, ni les mêmes règles.

Je vous remercie de nous défendre, tous. Je vous remercie de nous aider, de prendre conscience de notre souffrance. Mais la personne importante, c'est l'usager, c'est le malade qui va être en face de moi, c'est lui qui a besoin de soins. D'où les douze heures ou treize heures de travail régulier tous les jours parce que quand il est à la porte et qu'il a besoin de soins, on ne va pas le laisser là. Il est notre priorité, il est notre coeur de métier, c'est ce que nous avons voulu faire.

Je suis au conseil d'administration de la société française d'anesthésie et réanimation. Nous avons adopté un texte intitulé « Soigner sans discriminer ». Je ne vais pas passer sous silence les non-vaccinés ; nous en pensons probablement tous la même chose. Néanmoins ce sont des hommes et des femmes comme vous et moi, et notre rôle c'est de les soigner, quoi qu'on en pense. Donc on met un mouchoir dessus et on va soigner ; on va soigner en prenant des risques. Quand on a accueilli les premiers patients covid, on avait une visière, j'avais une paire de lunette, deux tenues chirurgicales, deux paires de gants et on mettait une housse sur l'échographie. Pour mettre une voie veineuse sous échographie, pour repérer la veine, je mettais trois quarts d'heure au lieu de quelques minutes. N'oubliez pas qu'en mars 2020, nous avions tous très peur, même si la peur est aujourd'hui retombée. Donc nous sommes tous partis au front.

M. Bernard Jomier , président . - Merci pour vos explications à tous les quatre. Je vais passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, qui va vous questionner

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - L'enquête « flash » du professeur Delfraissy annonçant 20 % de lits fermés de fait, faute de personnels, avait beaucoup fait réagir. La conférence des CME de CHU avait d'ailleurs publié un communiqué qui relativisait ces chiffres. La Direction générale de l'offre de soins (DGOS) a présenté avant Noël les résultats de son enquête menée sur les fermetures de lits et les départs de personnels. En moyenne, le nombre de lits disponibles ne serait inférieur que de 2 % à celui constaté il y a deux ans à la même époque et l'absentéisme serait un peu plus élevé (+ 1 %). Le déficit des recrutements par rapport aux départs concernerait surtout les infirmiers et les sages-femmes. Est-ce ce que vous constatez dans vos domaines respectifs ?

Dans la tension exceptionnelle provoquée par la crise sanitaire, qui a peut-être expliqué les difficultés à pourvoir les postes, on sent une désaffection durable vis-à-vis de l'hôpital. Vous nous dites que ces départs ne se font pas tous en direction du secteur privé, même si nous avons eu dans une audition précédente des éclairages sur les écarts de rémunération constituant parfois un « appel d'air », d'où la demande de revalorisation des métiers.

Quelles sont selon vous les pistes ? Il y a les mesures du Ségur, en cours, sur les rémunérations. Cela va prendre du temps. En termes de statut, de liberté des équipes soignantes - qui s'est accrue lors de la crise sanitaire avec un esprit d'équipe et de service public - que doit-on pérenniser lorsque la crise sera terminée ? Et quelles sont les solutions immédiates pour faire rester les personnels ou faire revenir des personnels ceux qui auraient quitté la profession ?

En tant que présidents de commissions médicales, je souhaite que vous nous donniez votre sentiment sur la gouvernance de l'hôpital aujourd'hui. On entend beaucoup de critiques sur les pôles, par rapport à ce qu'étaient les services.

Partagez-vous ces critiques ? Souhaitez-vous le retour de ces services, et un accroissement de leur autonomie ? Certains sont allés jusqu'à proposer une forme d'autonomie budgétaire. Que pensez-vous de cette solution ?

Enfin, en ce qui concerne la place des hôpitaux dans le système de santé, comment faire en sorte qu'ils ne soient pas le réceptacle de tous les patients ? Comment travailler l'organisation territoriale des soins, sachant que chaque territoire est différent et qu'il faut de la souplesse ? Comment faire en sorte que l'hôpital ne soit qu'un échelon strictement nécessaire du parcours de soins, dans un équilibre avec les soins en ville ou à domicile ?

Docteur Marie-Paule Chariot . - La médecine de ville est, pour moi, capitale. C'est le premier filtre. Les médecins traitants voient les patients, et orientent de manière adaptée les patients en fonction des niveaux de gravité. Bien sûr, le CHU est un recours. Les établissements que je représente sont là pour l'appendicite et le CHU est là pour la greffe de foie, ce qui est différent. Le CHU a donc une fonction de recours que je reconnais volontiers, mais aussi de formation et de recherche : nous sommes tous sortis du CHU.

Il faut donc hiérarchiser.

Nous avons des équipes de médecins généralistes, de médecins traitants, remarquables. Ils ont des connaissances très étendues - même si elles sont évidemment moins approfondies que celles des spécialistes - qui permettent des fonctions de tri et de soin. C'est une organisation à trois niveaux qu'il faut favoriser : premièrement, le médecin de ville ou le médecin traitant qui est le pilier des soins, deuxièmement, les hôpitaux et les cliniques, et enfin les CHU qui sont un recours, celui de la science.

En ce qui concerne la rémunération, les médecins libéraux assurent eux-mêmes le paiement de leurs collaborateurs dans établissements privés. Quand on regarde le chiffre d'affaires d'un cabinet médical, il faut retirer le salaire des collaborateurs : celui des infirmiers anesthésistes ou des aides opératoires pour les chirurgiens, celui des secrétaires ou des manipulateurs radio. Le rapport entre chiffre d'affaires et les bénéfices est de 1 à 6. La rémunération d'un médecin libéral est certes plus élevée que celle d'un médecin salarié mais pas plus que d'un facteur 1,5 à 2, sauf dépassement d'honoraire que, à titre personnel, je ne cautionne pas.

Docteur Thierry Godeau . - Concernant l'étude de la DGOS sur les lits fermés, dans les contacts que nous avons avec les établissements de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO), il apparaît qu'ils ont globalement tous un peu de lits fermés. Je suis à La Rochelle. Jusqu'à maintenant, l'hôpital ne rencontrait pas de problème d'attractivité - il y a très peu de postes médicaux vacants - mais pour la première fois on a des problèmes d'infirmières, de soignants, et on a quelques lits de médecine fermés, ce que nous n'avions jamais eu jusqu'alors.

Il ne faut pas oublier non plus qu'en hiver, comme nous avons plus de patients, nous ouvrons des unités hivernales temporaires. Cette année, dans la plupart des établissements, nous ne pouvons pas le faire. C'est un gros point de vigilance.

Concernant les infirmiers et infirmières, il y a plusieurs sujets. On a trop fait de contrats à durée déterminée. Elles restent trop longtemps en attente de statut plus stable et stable, et si vous voulez acheter une maison c'est plus compliqué. On note aussi un problème de ratio de personnel dans les unités de soins : combien de lits sont affectés à un infirmier ou une infirmière ? Du fait du virage ambulatoire, les patients en hospitalisation ont changé.

M. Bernard Jomier , président . - Faut-il revoir ces règles de ratio, selon vous ?

Docteur Thierry Godeau . - Oui. Les patients plus légers sont moins nombreux, et donc les malades sont plus lourds. Mon vice-président exerce dans un gros établissement à Colmar, et on compte une infirmière pour 15 malades. À La Rochelle, nous sommes à 1 pour 10, et cela convient, mais 1 pour 15, ce n'est plus possible avec les patients d'aujourd'hui. Il faut revoir ça.

Il faut évidemment les financements qui vont avec. Ce ne sera pas non plus le grand soir, puisque l'on manque de personnels. Mais si vous fixez une cible, un objectif, cela donne des perspectives.

La question du statut et du contrat se pose aussi. Vous avez parlé de la gouvernance : des textes s'appliquent déjà sur ce sujet.

Je mets un bémol sur la gestion de la crise. Les soignants et médecins ont travaillé main dans la main, et aussi avec la direction, mais nous ne pensions qu'au covid en permanence. Or le monde hospitalier, le monde des soins, suppose aussi de ne pas pouvoir tout faire, de prioriser et d'avoir une stratégie et faire des arbitrages. À ce moment-là cela devient compliqué, des équilibres doivent être trouvés.

Cela dit, il faut redonner sa place au service. La loi permet aux établissements de choisir leur organisation en interne : si des établissements veulent supprimer des pôles, ils pourront le faire ; si d'autres souhaitent supprimer des services - dans un petit établissement par exemple - ils le peuvent.

La loi exige un projet de management et de gouvernance participatif. Cela signifie qu'il faut vraiment organiser une concertation dans les établissements et qu'une réflexion soit menée par le collectif de l'établissement sur l'articulation des services et des pôles, mais aussi sur les délégations de gestion. Je rappelle que la délégation de gestion est dans la loi depuis dix ans, mais elle n'a été mise en place quasiment nulle part.

On cite toujours Valenciennes, mais c'est l'exception qui confirme la règle. Les délégations de gestion supposent toutefois aussi de la formation.

Dans l'hospitalisation privée, il n'y a pas de compensation du temps non passé aux soins, et dans l'hôpital public, qu'on soit en réunion ou pas, on a le même salaire - c'est une différence. Mais nous n'avons pas de temps reconnu. La conférence des présidents de CME, associée avec celle des CHU, avait remis à Agnès Buzyn une enquête montrant que les présidents de CME ne disposent, dans de très nombreux établissements, ni de temps dédié, ni de remplacement de temps médical dans leur unité, ni de moyens en termes de secrétariat et d'organisation. Il en va de même pour les chefs de pôle et les chefs de service. Il faut absolument mettre en place une formation managériale, portant sur la gestion des conflits, le pilotage des projets, le pilotage médico-économique et la qualité des soins.

Je cite toujours cet exemple : être chef de service à l'hôpital, c'est comme si l'on demandait à un infirmier de devenir cadre de santé lorsqu'il a terminé son temps de travail d'infirmier. C'est un souci, car les chefs de service ont de plus en plus de mal à s'investir, et on a de plus en plus de mal, dans les centres hospitaliers, à trouver des volontaires pour exercer cette mission.

Pour résumer, lorsqu'on pense à la gouvernance, il faut mener une réflexion sur la formation managériale, le temps dédié, ce qui concerne tous les échelons : chef de service, chef de pôle et président de CME.

On a besoin d'appartenir à un collectif. L'esprit d'équipe est très important. On soigne les patients ensemble et on a besoin d'être soudés, dans un esprit de cohérence.

La sur-administration est partout. Nous souffrons de demandes de rapports. La simplification administrative n'existe pas. Les ARS ne sont pas là où on les attend : davantage sur les demandes de tableaux de bords plutôt anticipatoires que sur la gradation des soins et la réorganisation de l'offre. Je pense qu'il faut faire confiance aux gens et venir, a posteriori, contrôler, en cas de dysfonctionnement, ce qui a été fait et ce qui n'a pas été fait. Aujourd'hui les choses se font plutôt a priori et nous en souffrons.

La médecine générale doit être le pilier de notre système. Là où elle est très présente, cela dysfonctionne beaucoup moins, que dans les déserts médicaux où l'on rencontre un problème de permanence des soins. La médecine libérale ne fait pas, partout, de la permanence des soins, mais c'est aussi parfois un problème d'effectifs plus que de bonne ou mauvaise volonté.

Je pense qu'à court terme, il faut très rapidement mettre en oeuvre le service d'accès aux soins (SAS), qui est actuellement déployé à titre expérimental. Il faut le porter, aller plus vite et plus fort. Si on avait au moins une vraie prise en charge des soins non programmés la journée et la soirée, on aurait réglé beaucoup de difficultés, comme le problème des urgences et de la pédiatrie. Je souligne en effet ici que la pédiatrie est une spécialité qui souffre de plus en plus à l'hôpital public, en tout cas dans les centres hospitaliers généraux.

C'est un sujet d'importance. On recrute des pédiatres à l'hôpital pour se spécialiser en réanimation ou néo-natalogie, et ils se retrouvent de plus en plus à faire du soin non programmé de médecine générale ou de pédiatrie, ce qui entraîne de la pénibilité dans la réalisation de leur exercice professionnel.

L'organisation des soins au sein des Ehpad pose également fortement question : nous avons trop de patients dont la seule solution est l'hôpital le soir et la nuit. Il faut donc renforcer la médicalisation des Ehpad.

J'insiste sur l'importance du projet territorial de santé, mais aussi sur celle de l'hospitalisation à domicile. Il faut la « booster », y compris dans la possibilité d'inclure les patients dans le financement. C'est un levier pour soulager l'hôpital.

S'agissant des salaires, sans chercher à polémiquer, nos observations sur le bénéfice déclaré à la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf), qui est un chiffre objectif, témoignent d'écarts de rémunération dans certaines spécialités sont non négligeables.

Concernant les structures privées, leur activité dans les grandes villes ressemble globalement beaucoup celle de l'hôpital. En revanche, dans de nombreux départements, elles ne font que de la chirurgie. Nous l'avons vu lors de la crise sanitaire. C'est là où il y a une grande difficulté : malgré toute la bonne volonté du monde, ces structures ne peuvent pas aider l'hôpital. C'est la même chose pour la permanence des soins et les urgences. Cette métropolisation des structures pose souci.

Docteur Laurence Luquel . - Je partage le point de vue de mes collègues.

Pour les Espic, il y a certes des lits fermés, avec la grosse problématique de l'ouverture des lits liée à la période hivernale à laquelle nous ne pouvons pas procéder. Ce phénomène a été empiré dans le contexte de la crise covid. Rappelons que même à personnel constant, on compte moins lits disponibles en raison de l'impossibilité d'utiliser des chambres doubles.

J'attire votre attention sur la psychiatrie, dont on parle insuffisamment. L'accès aux soins en psychiatrie - en phase de crise et dans la prise en charge en continu - pose de grosses difficultés. Il faudra proposer des réponses.

Nous manquons aussi d'infirmières. Les études ont montré que la durée en poste d'une infirmière est globalement autour de trois à quatre ans, le plus souvent. Avant, elles commençaient leur carrière par être aides-soignantes, puis infirmières, puis continuaient leur carrière. Certaines devenaient cadres de santé, infirmières de bloc opératoire diplômée d'État (Ibode). Elles avaient des perspectives, comme la puériculture et le retour en crèche. Ces parcours sont désormais moins fréquents, ce qui crée de grandes disparités selon les établissements et les territoires.

Concernant les pôles, nos établissements sont peu concernés par cette organisation - même si de grands établissements en MCO sont structurés en pôles. La crise actuelle nous demande de réfléchir sur le cap que nous voulons nous fixer, et de redonner du sens. Il faut donner de la reconnaissance à chacun. Il faut arrêter les décisions qui partent du haut, mais faire confiance aux équipes. Ce sont elles qui auront les solutions. Le management doit être avant tout participatif. Je suis donc favorable au fait recréer des services, avec des objectifs propres, ce qui peut créer une émulation entre ces services. Ils sont tous indispensables : il faut arrêter de penser que la cardiologie interventionnelle est plus noble que la gériatrie. Demain, on aura au moins autant besoin de l'une que de l'autre. Tous nos concitoyens ont droit à avoir des soins de qualité quels que soient leur âge, leur pathologie et leur lieu de résidence.

En Île-de-France, en matière d'accès aux soins, la situation est très différente entre la petite et la grande couronne. En Essonne, où je travaille, on constate une désertification médicale. Il n'y aura bientôt plus de médecins. Il va donc falloir essayer de réimplanter la gradation des soins, séduisante sur le papier, mais dont nous sommes éloignés en pratique, ce qu'a exacerbé la crise.

Pourquoi en sommes-nous éloignés ? C'est essentiellement en raison du cloisonnement. Nous ne nous connaissons pas et nous n'avons pas le temps d'échanger. Pendant longtemps la France a considéré la médecine générale comme le parent pauvre de la médecine : tout était centré sur l'hôpital, et a fortiori l'hôpital public, même si la majorité des médecins qui exercent en Espic viennent du public et sont d'anciens praticiens hospitaliers.

Je n'ai pas de solution.

On vient de créer les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui doivent s'organiser pour répondre à la problématique des médecins traitants et de la permanence des soins. Il est trop tôt pour savoir si ce nouveau dispositif a eu les effets escomptés. J'ai une petite crainte qu'il soit très concurrentiel avec l'hôpital. Il va en tout cas falloir apprendre à travailler ensemble.

Dans la prise en charge des maladies chroniques, chaque acteur de santé a son propre dossier sur le patient. Nous avons évoqué le sujet d'avenir du déploiement des outils numériques, mais nous n'avons aucun dossier médical partagé à ce jour ! En plus du Ségur du numérique, les ARS ont mis en place dans toutes les régions un outil numérique de coordination et de partage d'information entre les médecins traitants, les hôpitaux et éventuellement le médico-social, mais on voit que ce pilotage demande un fort investissement humain pour embarquer les équipes. Il faut que nous sachions, ensemble, quelles sont les informations pertinentes à transmettre entre nous. Lorsque le patient change de secteur, on recommence souvent tout à zéro, ce qui est insupportable. Cela représente une gabegie, y compris pour le patient.

Concernant les Ehpad, je suis plus optimiste que le Dr Godeau car une réflexion a été engagée sur la médicalisation des Ehpad. À ce jour, il est question que tous les Ehpad soient couverts par une équipe mobile extra-hospitalière. Ce n'est encore que sur le papier, mais c'est un progrès. Des choses ont été faites, une grande réflexion de la communauté gériatrique a été menée et portée par les ARS sur les objectifs « zéro brancard » aux urgences, d'admission directe à l'hôpital, et de favorisation des sorties.

Je suis davantage préoccupée pour les personnes en situation de handicap et en suivi psychiatrique. Mes collègues psychiatres - en tout cas dans les Espic - tirent la sonnette d'alarme concernant l'accès aux soins de cette population.

En ce qui concerne l'accompagnement, le vieillissement démographique et les maladies chroniques, il faut que notre système de santé s'adapte et trouve des zones de transition entre les différents segments, parce qu'on sait à quel point ces zones de rupture peuvent être sources de décompensation. Je ne sais pas comment faire pour désengorger les services d'accueil des urgences. Mais nous sommes vigilants et nous faisons tout pour faire des liens avec la ville et favoriser les hospitalisations directes sans passage par les urgences quand cela est possible.

Professeur François-René Pruvot . - J'attire votre attention sur l'utilisation des chiffres de manière désordonnée, notamment depuis deux ans. On a parlé de 25 % de lits fermés, mais en réalité, c'était au plus 19 %, et encore dans seulement certains hôpitaux de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP).

D'autres chiffres m'intéressent plus. Aujourd'hui, 50 % des départs du personnel médical ne sont pas faits pour aller ailleurs, mais pour arrêter le métier de soin.

Le second point est la différence entre les infirmières, qui s'en vont, et les aides-soignantes, qui tendent à rester - alors que leur situation a été problématique en début de crise. Elles ont peut-être un plus grand problème de polyvalence. Cela relance la question de la formation en polyvalence partielle de nos métiers de soins.

La gestion des lits, c'est aussi la gestion de l'incertitude, c'est-à-dire l'adaptation à la saisonnalité, aux afflux d'activité, etc . Nous ne sommes peut-être pas assez souples pour nous adapter. Au travers du Conseil scientifique, nous avons commis un retour d'expérience sur le covid dont le but n'était pas tant de préparer la prochaine crise, mais surtout de savoir comment adapter non seulement les ressources, mais aussi les dimensionnements des secteurs d'hospitalisation et leur réversibilité face à un afflux de patients non anticipé.

Nous avons une commande sur les ratios. Nous avons demandé au ministère des solidarités et de la santé d'attendre, car c'est un dossier très lourd. L'agence nationale d'appui à la performance (ANAP) avait mis huit ans à créer des ratios. Il nous faudra probablement une bonne année pour parcourir ce point.

J'attire aussi votre attention sur la dénomination des lits, à laquelle il faut prendre garde, notamment sur les soins critiques.

Vous avez dit que l'hôpital ne devrait pas être un réceptacle. C'est pourquoi j'en appelais solennellement aux candidats à l'élection présidentielle pour redessiner les missions de l'hôpital. Il s'agit de redonner les moyens au service public, avec un service privé complémentaire, qui a ses charges, comme nous l'avons entendu, mais qui ne sont pas de même nature que celles du public.

Par exemple, pendant la crise sanitaire, l'ambulatoire de l'hôpital public a fait un bond en avant de 8 %. Il y a donc une adaptabilité.

Le dossier patient est bien sûr très important. Les outils sont en place, nous pouvons avoir le dossier partagé par tous : il faut maintenant l'appliquer.

Les territoires, depuis la décentralisation, constituent une notion protéiforme : on compte un territoire populationnel, un territoire géographique, un territoire d'exercice... En matière de planification sanitaire territoriale, c'est une notion très complexe. On s'y attaque aussi.

En matière de pôles, je faisais hier une visio-conférence avec quelques présidents de CME. Je pense que l'on partage l'opinion du Dr Godeau. Il faut un peu plus de prérogatives de gestion dans les mains des médecins, mais pas trop. C'est parfois un autre métier. Cela peut être un autre métier dans un hôpital thématique, qui a beaucoup moins de contraintes. Un centre de lutte contre le cancer, pour un médecin, est plus facile à gérer qu'un gros centre hospitalier comme La Rochelle ou qu'un CHU. Donc il faut plus de délégation de gestion, de pouvoir de nomination et d'organisation, mais cela doit être limité pour préserver l'action médicale.

Un des membres de la commission qui a créé le service d'accès aux soins (SAS), est Patrick Goldstein, notre directeur du SAMU à Lille. J'ai vu dans quelles conditions il a été mis en place. Je suis tout à fait d'accord avec le Dr Godeau : il faut pousser en ce sens car c'est la véritable solution, une réponse aux questions démographiques et au lien entre la médecine de premier recours et les patients plus complexes.

Je ne suis pas pour les CHU d'hyper-recours. Partout en Europe, c'est un échec, que ce soit en Suède avec le Karolinska, en Suisse ou en Allemagne. Lorsqu'on a essayé de mettre en place des hôpitaux universitaires dits d'« hyper-recours », cela finit par poser des problèmes de recrutement, de patients et de financement. On a besoin d'une fonction de proximité dans les CHU situés dans les métropoles, car il y a aux portes de ces hôpitaux des gens qui en ont besoin.

Sur le sujet de la gériatrie, deux notions me frappent. D'une part, nous nous sommes adaptés au vieillissement de la population de manière capacitaire intrinsèque : il y a moins de malades d'âge moyen et plus de vieux, on s'y adapte. Mais, d'autre part, on ne s'adapte pas quand, dans un territoire ou une région, le vieillissement de la population est anormal par rapport au vieillissement général de la population nationale. C'est là que les structures de soin doivent chercher des manières de s'adapter particulières.

Au sujet des Ehpad, on commencera à parler dans les années à venir d'Ehpad à domicile. On ne va pas bâtir des milliers d'Ehpad alors qu'on reviendra à une prise en charge personnalisée et à domicile.

Je terminerai par la psychiatrie : en tant que défenseur des GHT, j'estime qu'une partie des problèmes de la psychiatrie seraient résolus si on avait abandonné la sectorisation. Par ailleurs, il y a un vrai déficit démographique, qui est relatif : les jeunes psychiatres - dont le nombre augmente d'année en année dans les promotions - veulent s'installer dans les métropoles et en secteur non public.

Mme Nadia Sollogoub . - On a évoqué très souvent le problème des diplômés qui n'exercent pas, que ce soit les médecins qui vont s'occuper des moutons ou les infirmiers. Pensez-vous, vous qui les fréquentez au quotidien, que « l'élastique » a définitivement cassé ? Ou bien y a-t-il une possibilité pour que ces gens retournent aux soins ? On s'intéresse au nombre de médecins et de soignants qu'on forme, mais moins à l'évolution de ce gisement de médecins et d'infirmiers qui n'exercent pas. Ce serait intéressant d'avoir des chiffres s'ils existent.

M. Jean Sol . - La question du DMP a l'air bien avancée, et j'en suis ravi. Il reste maintenant à le mettre en oeuvre effectivement, car cela fait des décennies que nous en parlons. Cela pourrait permettre une amélioration considérable.

Sur la question du virage ambulatoire : il me semble qu'il n'a pas atteint les objectifs qui lui ont été globalement assignés. Qu'en pensez-vous ? Doit-il être repensé ? Doit-il rester figé sur la chirurgie ou aller plus loin sur la médecine ?

Concernant ensuite les carences démographiques, notamment en matière médicale, ne pensez-vous pas qu'il faille aller plus loin ? Sachant que même si des avancées ont été faites sur le numerus clausus , on sait très bien les médecins qui entrent aujourd'hui en formation n'exerceront pas avant 10 ou 12 ans. Ne pensez-vous pas qu'il faille aller plus loin sur le recrutement de médecins étrangers, dont certains ont fait des études dans nos hôpitaux, et du moins y ont acquis des diplômes universitaires ?

Sur la formation des infirmiers : pensez-vous qu'elle est aujourd'hui adaptée au contexte ? Moi personnellement je ne le pense pas, notamment au niveau de la sélection par Parcoursup. Est-ce que le contenu de la formation aujourd'hui est vraiment adapté à ce que ce que vous attendez aujourd'hui, et ce qu'attendent les futurs infirmiers de leur travail au quotidien dans nos établissements de santé public mais aussi privé ?

J'ai cru entendre aussi qu'il y avait des améliorations attendues au niveau la gouvernance ARS/CNAM. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Merci.

Professeur François-René Pruvot . - Je vais m'en tirer par une pirouette pour la question des médecins qui s'en vont. J'ai été le président de dizaines de thèses, et depuis environ 20 ans je terminais toujours, quand je remettais le diplôme, par cette phrase : « à partir de cette seconde, tu es et tu resteras un médecin jusqu'à ta mort ». Je pense que si on a fait son parcours complet, si on a exercé un peu, on restera dans son âme médecin jusqu'à sa mort. Donc ces collègues-là sont récupérables.

Concernant l'ambulatoire, c'est difficile de vous répondre. Oui, on peut sûrement faire un plus grand effort en médecine. Oui, la chirurgie a bien progressé. Cela continue, et il y a encore des marges de progression. On a presque fait 10 % en une année à cause de la crise, donc on peut le faire.

Sur la formation des infirmiers, je ne suis pas compétent. Toutefois, je me pose la question des infirmiers en pratique avancée (IPA) et des surcompétences. Il y a le problème des infirmières en réanimation et celles de bloc opératoire. Je trouve qu'on est allé trop loin dans la volonté d'universitarisation. Il y a des infirmières aujourd'hui qui sont obligées de faire deux ans de « surformation ». Déjà les infirmières françaises ont l'une des plus belles formations qui soit. Donc on veut leur imposer, parce que l'on veut l'étiquette « diplôme universitaire », deux ans d'une formation qui traîne. Je pense qu'on peut contracter.

Pour les ARS, c'est extrêmement variable : c'est presque un mal nécessaire.

Docteur Laurence Luquel . - En ce qui concerne le DMP, nous attendons. La problématique n'est pas tant le DMP lui-même, qui sera mis en place à partir du 16 janvier avec l'espace numérique en santé, que de savoir comment on va embarquer les professionnels, qui sont un peu réticents à utiliser ce DMP. Il va falloir beaucoup compter sur les usagers. Le virage numérique ne pourra pas se faire sans les usagers.

En matière de virage ambulatoire, on peut faire mieux. Avec la T2A, fermer des lits, les transformer en « virage ambulatoire » ce n'est pas toujours, en termes d'activité et de financement, tout à fait bénéfique pour les établissements à ce jour.

Concernant les infirmières, outre la question de l'intérêt d'un diplôme universitaire se pose celle des effets de la loi de 1991, qui les a placées sous la responsabilité des directeurs de soins, et non plus des médecins. Cela a créé un travail en silo. Par ailleurs, l'empathie, l'humanité, sont nécessaires à des soins de qualité et avec les contraintes actuelles, les infirmières, et les soignants en général, se plaignent de manquer de temps pour les soins relationnels. La formation n'est peut-être pas très adaptée.

Les infirmières de pratique avancée ont des prérogatives que nous, les médecins, ne comprenons pas toujours pas très bien. Il nous faut vraiment des assistants, peut-être infirmiers, pas forcément des IPA, mais qui nous aident dans toutes les procédures administratives, dans les outils numériques. Pourquoi va-t-on passer du temps à relire des comptes rendus médicaux ? C'est du temps gâché par rapport au temps avec le patient. Donc plus que d'infirmières de pratique avancée, c'est ce besoin d'assistance que nous ressentons. Le métier de secrétaire médicale pourrait évoluer.

Les ARS sont compétentes pour l'organisation, l'assurance maladie pour la tarification et les remboursements. Chacun est à sa place.

Docteur Thierry Godeau . - Vous avez raison sur les attentes des jeunes professionnels. Ont-ils tort ? Je ne sais pas. J'ai deux filles qui ont fait médecine, qui sont actuellement à l'hôpital, et qui vont probablement quitter l'hôpital, en me disant « on ne veut pas vivre la vie que tu as eue ».

Si les médecins se sentent un peu dépossédés de la gestion de la santé, qu'ils ne peuvent pas porter les projets et la politique de santé elle-même, je ne sais pas si on pourra faire revenir ceux qui sont partis. Il y a un problème de charge de travail et le fait que l'on ne gère que des « urgences », que du quotidien, etc .

Le DMP est un peu le serpent de mer. Attention à la façon dont il va être construit. Il ne faut pas qu'il soit une compilation de documents. Avec les outils actuels, il faudra que ce soit vraiment adapté, car les patients sont de plus en plus polypathologiques et pris en charge par de plus en plus de médecins. Il faut vraiment le penser de manière ergonomique.

Pour le virage ambulatoire, on a fait beaucoup de progrès en médecine pendant la crise ; par nécessité aussi. La garantie de financement dont ont bénéficié les établissements a joué un rôle également. C'est vrai que le financement T2A de l'ambulatoire, même si on a fait des progrès, n'est pas peut-être pas encore optimal, car il faut de la coordination, et il faut des liens avec les soins de ville. Il faut faire le bilan, et ce serait dommage de ne pas poursuivre ce virage ambulatoire. Il faudra le consolider.

Je ne suis pas défavorable au recours aux médecins étrangers. Il faudra du temps pour poursuivre la formation médicale. On peut encore former plus de médecins, trouver des terrains de stage dans les centres hospitaliers, chez les médecins libéraux.

Diabétologue, j'ai au deux IPA dans mon service depuis de nombreuses années. Je suis d'accord avec le professeur Pruvot : on a mis en place, pour la formation, une « usine à gaz » qui n'est pas adaptée à nos besoins. Ces infirmières, en tout cas dans nos établissements de santé, sont déjà bien formées. Il suffirait d'une formation complémentaire. Ce sont en outre souvent des femmes avec des enfants jeunes, et lorsque l'on ne réside pas dans une ville universitaire, partir est un problème. C'est un frein à la formation, alors que la formule est une vraie réponse aux difficultés actuelles. Il faut revoir la validation des acquis.

Je partage aussi l'idée des assistants. Une étude est parue dans une revue médicale sur le burn out des médecins face à l'informatique. Le recours à des assistants pour remplir les dossiers a permis une très nette amélioration du ressenti des praticiens.

Malgré une augmentation du nombre d'entrées dans les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI), les sorties ne sont pas supérieures. Est-ce lié au changement du mode de sélection avec Parcoursup ? Je ne sais pas.

Dans les centres hospitaliers se pose également une question de formation médicale. Nous avons des médecins peut-être un peu trop spécialisés, alors que nous avons besoin de médecine interne, de médecine polyvalente. Il y a formations spécialisées transversales complémentaires, mais la médecine polyvalente n'est pas concernée.

Si on veut préserver les hôpitaux de proximité, il faudra dé-généraliser la médecine de ville, mais aussi disposer, dans des établissements importants, de médecine polyvalente, avec des spécialistes soit de ville soit à l'hôpital.

Concernant les rôles respectifs des ARS et de l'assurance maladie, il me paraît de moins en moins pertinent, avec le parcours de soin, d'avoir des Ondam complètement dissociés entre ville et hôpital. L'important est que dans les territoires, on soit soigné au juste coût, et s'il manque de la médecine générale ou des spécialiste en ville, peu importe si c'est l'hôpital qui « dépense ».

Pour en revenir à l'adaptabilité des établissements, elle se joue sur les moyens humains. Un médecin ne se trouve pas d'un coup de baguette magique pour venir trois mois à l'hôpital.

Un dernier mot sur la gouvernance : oui il y a des changements de gouvernance. Le président de CME maintenant est dans un rôle de co-décision avec le directeur. C'est un rôle de stratégie qui n'est pas le plus important à l'hôpital. Le plus important est la gouvernance de proximité. Il faut redonner la possibilité de porter des projets, d'avoir des initiatives, de la souplesse. Au niveau du « top management », il faut définir une ligne de conduite, une stratégie, savoir où l'on va ensemble, et après que l'on donne des objectifs assez simples, avec de la souplesse pour la réalisation de ces objectifs.

Docteur Marie-Paule Chariot . - 60 % des médecins qui ont fini leurs études soignent. Donc ne faisons pas de statistiques sur les médecins, faisons des statistiques sur les médecins qui soignent ; c'est leur rôle.

Le DMP est un truisme.

Sur le virage ambulatoire, je porte un grand coup de chapeau au chirurgien. En 20 ans, ou 15 ans, la chirurgie a fait des progrès colossaux.

La différence entre les médecins européens et les médecins non européens est que les premiers ont une formation commune. Ce serait trop long d'expliquer pourquoi par lettre recommandée on peut être qualifié quand on vient d'Espagne.

Sur les IPA, c'est une délégation de tâche. Ce ne sont pas des pratiques autonomes. Cela assure la sécurité. La sinistralité est de un sur dix puissance moins 6. Elle est quasiment celle du nucléaire ; pas tout à fait car la sinistralité du nucléaire est de un sur dix puissance moins 7 ; mais c'est une grande sécurité. Une délégation de tâches, mais pas une pratique autonome.

M. Bernard Jomier , président . - Je vous remercie tous les quatre pour la contribution à nos travaux. Je vous invite, si vous le souhaitez, à nous faire parvenir des documents écrits. Soyez assurés qu'ils seront étudiés avec beaucoup d'attention, et que ces écrits serviront à la rapporteure pour établir son rapport.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition du professeur Rémi Salomon,
président de la commission médicale d'établissement
de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris

(mardi 4 janvier 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Nous terminons notre cycle d'auditions par l'audition du professeur Rémi Salomon, président de la commission médicale d'établissement (CME) de l'Assistance publique -Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Monsieur le professeur, nous vous remercions d'avoir bien voulu vous adapter aux changements du calendrier d'examen du projet de loi sur le passe vaccinal par l'Assemblée nationale.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Rémi Salomon prête serment.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Monsieur le professeur, merci de venir témoigner devant notre commission d'enquête.

L'AP-HP occupe une place de premier plan dans notre système hospitalier, non seulement pour ce qui est des activités de soins, de formation et de recherche, mais aussi en matière de personnel et de budget.

Parmi les très fortes tensions que connaît ce système, certaines sont particulièrement accentuées au sein de l'AP-HP. Je pense, bien entendu, à celles qui ont trait au personnel. Le rapport entre la rémunération et les contraintes liées au coût du logement et au transport joue défavorablement sur l'attractivité des carrières, notamment pour les soignants. Les difficultés de recrutement, le manque d'effectifs et les réductions de capacités qui en résultent semblent ainsi plus prononcés à l'AP-HP qu'ailleurs en France. Vous nous direz si ce sentiment est exact.

L'AP-HP obéit également à une organisation spécifique, puisqu'elle compte une trentaine d'établissements répartis en six groupes hospitalo-universitaires et des services regroupés au sein de départements hospitalo-universitaires, et non de pôles. Elle bénéficie, en outre, d'un régime du temps de travail qui a été aménagé il y a quelques années.

Pour l'AP-HP, les questions relatives à l'organisation et au fonctionnement de l'hôpital, à la centralisation des modes de décision et au rôle des équipes soignantes, ainsi qu'aux relations de l'hôpital avec son environnement, qu'il s'agisse des autres structures de soins ou de la médecine de ville, se posent en des termes particuliers.

Je vous propose tout d'abord d'effectuer un point de situation et de présenter vos principaux constats.

Professeur Rémi Salomon, président de la commission médicale d'établissement de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris . - Je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler de l'hôpital et de l'établissement particulier qu'est l'AP-HP.

On ne peut pas parler de l'hôpital sans faire référence au contexte actuel de la crise du covid. Au printemps 2020, l'Île-de-France et le Grand Est ont été les deux régions frappées de plein fouet et de manière extraordinaire par l'ampleur de la première vague de l'épidémie. Je tiens à saluer de nouveau les efforts considérables dont a su faire preuve l'ensemble des équipes de l'AP-HP pour s'adapter. Grâce à elles, nous avons pu faire face, alors que la deuxième quinzaine du mois de mars 2020 était redoutable et que nous étions menacés de débordement. L'aide des autres régions a également été essentielle.

Nous vivons actuellement une double vague due aux variants Delta et Omicron. Le Gouvernement tempère et se veut rassurant sur le variant Omicron. Si la maladie est effectivement moins grave, le nombre de patients qui arriveront dans les services d'urgence risque d'être considérable, ce qui exigera de dégager des moyens logistiques importants. Nous devrons de nouveau savoir faire preuve d'adaptation et nous mobiliser. Nous ne pourrons pas compter cette fois-ci sur le renfort des autres régions, car, après l'Île-de-France, toute la France risque à l'évidence d'être également frappée. Les renforts viendront donc de la région elle-même et tous les acteurs devront prendre leur part, qu'il s'agisse de la médecine de ville, déjà très mobilisée, ou des établissements hospitaliers publics et privés qui pourront accueillir des patients et mobiliser du personnel pour venir nous aider.

La pandémie a montré l'importance du rôle de l'hôpital, puisque le risque de son engorgement a déterminé toutes les mesures de restriction sociale, confinement ou couvre-feu, dont on connaît les conséquences sur la vie économique et sociale du pays. L'hôpital nous dit, en quelque sorte, si l'on peut tenir ou pas.

Je suis donc pour le moins étonné que trois mois avant l'élection présidentielle, la situation de l'hôpital ne constitue pas un sujet plus prégnant. Les propositions des différents candidats ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. Certes, il y a eu le Ségur de la santé, mais les milliards d'euros qui ont été dégagés, de manière inédite depuis très longtemps, ne suffisent pas à régler tous les problèmes.

En effet, on ne peut pas isoler la situation de l'hôpital de celle du système de santé dans son intégralité. Il faut donc non seulement des moyens supplémentaires, mais aussi une réforme en profondeur de l'ensemble du système. Si l'hôpital s'effondre parce que nous n'arrivons pas à redresser la situation, si les équipes continuent de se fragiliser dans le paramédical, et aussi parmi les médecins, de sorte que nous finirons par ne plus être capables de soigner la population, cela aura forcément des conséquences économiques fortes.

Le covid a été l'amplificateur des dysfonctionnements de notre système de santé. Ceux-ci existaient déjà avant la crise, puisque plus de 1 000 chefs de service ont démissionné au mois de janvier 2020 pour dénoncer la situation à l'hôpital. En novembre 2019, on était obligé de transférer des nourrissons atteints de bronchiolite à plus de 200 kilomètres de Paris, faute de pouvoir les prendre en charge.

Les déterminants de cette crise sont nombreux. Au niveau économique, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) est déterminé de manière comptable plutôt qu'en fonction des besoins réels de la population. La ministre Agnès Buzyn avait pris à bras-le-corps le problème du mode de financement de l'hôpital, avant que la crise du covid ne vienne frapper, de sorte que l'on ne sait plus très bien actuellement où l'on en est de la réforme.

Le problème d'attractivité des carrières paramédicales et médicales se pose partout en France. Une des difficultés spécifiques à l'AP-HP tient à celle de se loger à Paris lorsque l'on touche 1 800 euros par mois. Pas moins de 30 % du personnel infirmier doit donc faire plus de deux heures de trajet pour venir travailler, alors que les horaires peuvent aller jusqu'à vingt et une heures. La prime spécifique à la région parisienne est dérisoire par rapport au coût de la vie. Le problème de recrutement existe depuis des années.

L'autre problème est la fidélisation. En effet, l'AP-HP, connue pour la qualité de son centre hospitalier universitaire (CHU), de ses équipes et de ses activités de recherche, attire les jeunes médecins et infirmiers, mais ceux-ci partent de plus en plus tôt. Il y a vingt ans, les infirmiers avaient facilement jusqu'à dix ou quinze ans d'ancienneté. Désormais, les équipes sont considérablement rajeunies. Dans certaines équipes dont la spécialisation très pointue nécessiterait des professionnels expérimentés, on trouve de jeunes infirmiers qui n'ont plus qu'un ou deux ans d'ancienneté. Les conséquences sont considérables sur la qualité et la sûreté des soins. En plus de ne plus avoir de temps pour exercer leur métier, les infirmiers ont aussi l'impression de ne plus pouvoir garantir la sécurité des patients, à cause d'une charge de travail trop importante.

Les horaires, les transports, les effectifs insuffisants, telles sont les conditions de travail qui rendent le recrutement difficile. À force de gérer la pénurie, nous sommes entrés dans une sorte de cercle vicieux qui nous conduit à traiter le même nombre de patients avec moins d'effectifs. Le ratio, c'est-à-dire le nombre de patients qu'un soignant a en charge, a tendance à augmenter, ce qui ne peut que nous inquiéter.

En outre, la crise du covid oblige à déprogrammer certains soins, ce qui cause une perte de chances pour les patients, avec les problèmes éthiques que cela soulève pour les soignants. Nous prenons en charge sans rechigner les patients atteints de covid qui sont non vaccinés, conformément au serment d'Hippocrate. Cependant, cela a pour conséquence que d'autres patients ne peuvent pas bénéficier du dépistage du cancer dont ils auraient besoin, que certaines tumeurs ne sont pas opérées ou que certains infarctus du myocarde ou accidents vasculaires cérébraux prennent des formes plus graves que s'ils avaient pu être traités immédiatement. Cela pèse sur les soignants.

Par conséquent, un certain nombre d'entre eux quittent l'hôpital ou s'apprêtent à le faire si le plan blanc les en a jusque-là empêchés. De plus, cette année, les élèves infirmiers diplômés au mois de juillet sont très peu nombreux à avoir pris leur poste au mois de septembre dernier. Il s'agit là d'une marche descendante terrible qui nous a mis en difficulté et qui a causé des fermetures de lits importantes. Ces élèves infirmiers ont été appelés en renfort pour ouvrir des lits de réanimation supplémentaires. Leur formation a été brutalement arrêtée et ils se sont retrouvés dans des services où le travail était d'une violence extrême, avec beaucoup de gens qui mouraient et des équipes débordées. À l'issue de cette expérience, ils ont été nombreux à se dire qu'ils n'étaient sans doute pas faits pour travailler à l'hôpital.

Le coût de la vie représente aussi une difficulté pour les jeunes médecins ou chefs de clinique. En effet, comment faire un emprunt immobilier quand on commence sa carrière à 30 ou 32 ans avec une rémunération de 2 500 euros par mois ?

Il existe en France un problème de démographie médicale qui tient moins au numerus clausus - même si celui-ci a diminué - qu'au temps médical. La question est générationnelle. Les jeunes d'aujourd'hui privilégient la qualité de vie de sorte qu'ils ne sont pas prêts à travailler jusqu'à 70 ou 80 heures par semaine, comme on le faisait autrefois. Ils préfèrent se mettre à 80 %, voire à mi-temps. Or cela a pour effet de réduire considérablement le temps médical disponible. Comment faire tourner les équipes dans ces conditions ?

Certaines spécialités sont en tension, comme la gériatrie, la pédiatrie, la psychiatrie et la pédopsychiatrie. Des postes qui pourraient être financés restent vacants. Il faut réussir à attirer les jeunes vers ces spécialités.

En gériatrie, la demande ne fait que croître avec des patients de plus en plus âgés et polypathologiques qui requièrent des prises en charge médico-sociales exigeantes, particulièrement en temps de covid.

La concurrence entre l'hôpital public et le privé est également un enjeu important, notamment dans le cadre de la mobilisation générale dont nous aurons besoin au cours des semaines à venir. De manière plus générale, les différentiels de salaires sont tels que nous peinons à garder nos professionnels talentueux, dès lors que les conditions de travail deviennent plus difficiles. Il faudrait que les agences régionales de santé (ARS) travaillent sur la régulation de l'offre de soins entre le public et le privé. Ce dernier secteur fait partie du service public dans la mesure où il est rémunéré par la sécurité sociale, mais ses missions ne sont pas les mêmes. Nous aurions intérêt à définir un meilleur partage des tâches, notamment pour ce qui est de la permanence de soins après dix-huit heures, pour l'instant presque exclusivement assurée par l'hôpital.

Cela vaut sans doute davantage dans d'autres régions de France que la région parisienne. Néanmoins, il y a aussi des déserts médicaux aux portes de Paris. La disparité de l'offre de soins est également importante au sein de la région d'Île-de-France. À l'intérieur de l'AP-HP, certains hôpitaux n'ont pas forcément les mêmes moyens que d'autres. Dans le projet médical que nous avons rédigé pour l'AP-HP, nous avons inscrit la question de la place du CHU dans le territoire. Le sujet mérite une réflexion prospective. L'attractivité est un enjeu qui concerne aussi l'université. Or celle-ci reste très centralisée.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Selon le professeur Delfraissy, 20 % de lits ont été fermés faute de personnel et cette annonce a suscité de nombreuses réactions. La direction générale de l'offre de soins (DGOS) a présenté avant Noël les résultats de son enquête menée sur les fermetures de lits et les départs de personnel. L'AP-HP se retrouve-t-elle dans les chiffres qui ont été donnés ?

Vous avez évoqué le malaise profond du personnel hospitalier. Comment serait-il possible de mobiliser rapidement et durablement un nouveau vivier de soignants ? Les réformes de fond prendront du temps. Une fois la crise de covid passée, d'autres épidémies pourraient surgir. Il faudra également gérer tous les retards de programmation et les patients qui auront besoin de soins. Comment redonner confiance aux soignants pour qu'ils restent à l'hôpital ou qu'ils y reviennent ? Comment raviver l'esprit d'équipe qui existait autrefois ?

On parle beaucoup de débureaucratiser l'hôpital. L'opposition souvent décrite entre médecins et administratifs est-elle une réalité à l'AP-HP ? Comment arrivez-vous à faire exister la commission médicale vis-à-vis du directeur général et de l'agence régionale de santé ? Quelles sont les marges de manoeuvre pour fluidifier la gestion de l'hôpital, de manière que les médecins aient moins le sentiment d'être sous la coupe d'une direction purement gestionnaire ?

Enfin, pour les Parisiens et les Franciliens, l'hôpital est toujours un établissement « à proximité » sans être nécessairement un établissement « de proximité », alors que certains d'entre eux sont parfois des hôpitaux de pointe sur différentes spécialités. En outre, la densité médicale que connaît Paris ne conduit pas nécessairement à ce que l'accès à un médecin, notamment conventionné, soit toujours aisé.

M. Bernard Jomier , président . - Vous avez dit être soumis à un Ondam plus comptable que sanitaire. L'AP-HP représente peu ou prou 10 % de l'hôpital public en France. Êtes-vous à un moment partie prenante de la constitution de cet Ondam ?

Professeur Rémi Salomon . - Monsieur Jomier, la réponse à votre question est non. Il faudrait que les soignants et les usagers participent au débat démocratique qui a lieu chaque année au Parlement sur l'Ondam.

M. Bernard Jomier , président . - Il faut rappeler comment se déroule ce débat. L'Ondam est préparé et les parlementaires n'en prennent connaissance que quelques jours avant que le débat ait lieu.

Professeur Rémi Salomon . - Certes, le débat démocratique a ses limites, si j'entends votre remarque. Quoi qu'il en soit, il faudrait que les soignants et les usagers soient associés pour exprimer les besoins qu'il y a dans les territoires.

L'annonce par Jean-François Delfraissy de la fermeture de 20 % de lits a fait le buzz . Elle était sans doute légèrement surestimée. Olivier Véran a très rapidement dit qu'il fallait mener une enquête sur le sujet, ce qui n'était pas forcément la meilleure manière de réagir. La fermeture de lits pose inévitablement des difficultés quand on n'a déjà pas la faculté d'accueillir tous les patients à l'hôpital, d'autant que les capacités avaient déjà été réduites auparavant.

Certains services sont plus concernés que d'autres, notamment le neurovasculaire, qui représente quatre services en région parisienne. En cas d'accident vasculaire cérébral, si l'on intervient rapidement, avec une équipe multidisciplinaire, le pronostic cérébral est préservé, ce qui signifie que l'on peut sauver une vie ou éviter une paralysie définitive. Or 30 % de lits ont fermé en neurovasculaire à Paris. Certains services ont plus de 50 % de leurs lits fermés. Chaque minute qui passe est pourtant une perte de chances pour la personne victime d'accident. Plus que le pourcentage de lits fermés, c'est la question du fonctionnement des services qui se pose.

Certes, à l'AP-HP, on a sans doute plus souffert de la fermeture des lits que dans d'autres CHU. Toutefois, certains services ont été très touchés aussi ailleurs, notamment les urgences en province qui doivent parfois fermer la nuit ou le week-end.

Il n'y a pas si longtemps, les urgences pédiatriques du centre hospitalier Sud Francilien ont dû fermer le dimanche ; à Longjumeau, elles sont fermées le samedi. Or le service d'urgence de l'hôpital Antoine-Béclère qui dépend de l'AP-HP n'a pas la capacité de prendre le relais.

Comment mobiliser les soignants et leur redonner confiance ? C'est la question que nous nous posons tous. L'esprit d'équipe existe toujours, selon moi. Quand on vient travailler à l'hôpital public, c'est que l'on a envie de travailler en équipe. Même en libéral, les jeunes sont intéressés par le travail en équipe.

Les conditions de travail, les difficultés de transport, l'insuffisance des effectifs sont autant de facteurs à prendre en compte. Prévoir plus de logements aux abords des hôpitaux irait dans le bon sens. La direction de l'AP-HP et l'administration y travaillent d'arrache-pied.

Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu'il y aurait trop d'administration. Nous avons besoin d'une administration solide, car les soignants ne sont pas des gestionnaires. En revanche, la complexité de certaines procédures peut poser problème. Les cadres de soins qui encadrent les paramédicaux sont parfois pris dans des procédures administratives dont on ne voit pas forcément l'utilité. Ils jouent pourtant un rôle important auprès de leur équipe - j'avais d'ailleurs déploré, à l'époque du Ségur de la santé, qu'on n'ait pas revalorisé leur salaire, ce qui a été corrigé dans un second temps. Leur position est difficile, car la direction leur enjoint de faire avec moins de masse salariale, alors qu'ils constatent que cela ne correspond pas aux besoins sur le terrain.

Pour redonner confiance aux soignants, il faudrait rétablir un dialogue de gestion fondé sur l'idée que ceux qui font le travail en ont la meilleure connaissance. Le cadre de soins et le chef de service pourraient oeuvrer en binôme pour définir les besoins. Le gestionnaire pourra ensuite faire des arbitrages. L'essentiel est d'instaurer un dialogue qui s'exercera tant au niveau national pour le financement qu'au niveau local pour la gestion des ressources et des besoins. Aujourd'hui, bien souvent, il n'y a même plus de dialogue et les décisions sont trop souvent prises par des personnes qui ne connaissent pas bien les besoins.

Il faut aussi réévaluer les rémunérations, notamment pour les gardes de nuit. Aujourd'hui, un infirmier qui travaille la nuit ne gagne qu'un euro de plus, soit 10 euros pour une nuit de dix heures, ce qui est dérisoire. Il faut aussi mieux payer le week-end, car le dimanche n'est payé que 45 euros.

Enfin, il faut fixer les ratios. La CME se bat depuis longtemps sur ce sujet. Pour bien travailler, il faut être en nombre suffisant. Les conséquences peuvent être sévères quand on n'a pas le temps de bien faire.

Nous devons fixer un cap, car les effets prendront du temps à se concrétiser. Toutefois, beaucoup de soignants ont quitté l'hôpital la mort dans l'âme, car ils avaient le sentiment d'exercer un beau métier. Je suis convaincu qu'ils reviendront dès lors que nous nous serons donné l'objectif de leur offrir de meilleures conditions de travail.

Les hôpitaux de l'AP-HP comptent beaucoup de services très spécialisés de « recours », avec des patients qui dépassent le périmètre de la capitale et même de la région. Ils remplissent aussi une mission de proximité avec des services d'urgence.

La crise du covid nous a donné l'espoir de pouvoir travailler en meilleure coordination avec la médecine de ville. C'est un point qui mériterait d'être pris en compte dans le cadre d'une grande réforme de notre système de santé. Nous pourrions développer des partenariats et des exercices mixtes, à condition de ne pas déshabiller l'hôpital et d'y conserver des équipes stables. Les professionnels peuvent être intéressés par une pratique diversifiée entre la ville et l'hôpital. Le parcours du patient doit être précisé. Nous gagnerions à développer un travail collaboratif entre les différents acteurs. Certes, chacun veut défendre sa chapelle, mais la situation est telle que nous n'avons plus le choix : les médecins hospitaliers et les médecins de ville doivent réussir à s'entendre.

Mme Laurence Cohen . - On a entendu depuis le début des auditions qu'il faudrait privilégier une gouvernance bicéphale avec un personnel médical assisté d'un administratif et pas l'inverse, ce qui revient à dénoncer la pression exercée par un pouvoir administratif gestionnaire sur le médical. Est-ce une solution possible ?

Vous avez signé une tribune dans le journal Le Monde qui appelait à la mise en oeuvre d'une autre politique de santé. Or vous êtes président de la CME de l'AP-HP et vous appliquez les choix de Martin Hirsch qui suivent les directives gouvernementales. Pendant longtemps, les personnels qui choisissaient l'AP-HP y voyaient l'avantage d'un tutorat qui compensait une rémunération moindre. Désormais, compte tenu de la pénurie de personnel, le tutorat n'existe plus, car ceux qui pourraient l'exercer n'ont plus le temps de le faire.

Une des solutions pourrait-elle être de mettre en oeuvre un plan massif d'embauches à l'AP-HP qui prévoirait des formations en interne plus solides et mieux accompagnées ?

La rapporteure a mentionné la question des hôpitaux de proximité. Vous avez parlé à juste titre des dysfonctionnements de l'hôpital avant la crise covid. Pourquoi s'obstiner dans les mêmes choix et continuer de procéder à des regroupements d'hôpitaux ? On envisage de fermer Bichat-Beaujon pour construire un hôpital Grand Paris-Nord alors que l'on sait pertinemment que le secteur a besoin d'hôpitaux de proximité. Pourquoi ne pas plutôt moderniser les établissements qui existent ?

Mme Nadia Sollogoub . - Vous avez décrit le désespoir des soignants qui passent un temps fou à essayer de trouver des places pour accueillir les patients. On a même vu les images de camions de pompiers qui arrivaient puis repartaient sans avoir pu déposer les malades. Ma question est sans doute provocante, mais la crise covid a montré les capacités technologiques que nous avions pour produire des applications fournissant des données très précises. Comment se fait-il que la technique ne soit d'aucun secours pour les soignants qui passent leur journée au téléphone pour trouver des lits ? Est-ce une question de coût ?

Professeur Rémi Salomon . - J'aimerais citer une phrase de la tribune publiée dans le journal Le Monde : « Il faut remettre l'hôpital sur ses pieds. Les patients obligent les soignants et les soignants obligent les gestionnaires, et non l'inverse. »

M. Bernard Jomier , président . - Vous voulez dire que c'est l'inverse aujourd'hui ?

Professeur Rémi Salomon . - Oui, en quelque sorte, depuis dix ou vingt ans.

L'administration ne fait qu'appliquer une politique. C'est ce que fait Martin Hirsch, même s'il a quand même quelques marges de manoeuvre sur l'organisation des hôpitaux. Le regroupement des hôpitaux procède de décisions très structurantes. C'est un sujet dont je discute souvent avec Martin Hirsch. Je vous ai dit que le premier chapitre de notre projet médical était consacré au CHU dans la région. La répartition de l'offre de soins est effectivement très inégale et il y a des déserts médicaux dans le nord de Paris.

Je ne me prononcerai pas sur l'hôpital Paris-Nord, en particulier. Ce type de projet nécessite que l'on prenne en compte l'environnement dans lequel il s'inscrit. On nous dit qu'on peut diminuer de 30 % le capacitaire de l'hôpital Paris-Nord par rapport à celui de Bichat-Beaujon. C'est sans doute possible. En France, le nombre de lits d'hospitalisation est supérieur à celui que l'on constate en Hollande ou en Espagne. Cependant, l'organisation de la médecine de ville est différente de la nôtre dans ces deux pays. Par conséquent, si nous organisons mieux le parcours du patient en nous appuyant sur les cabinets de ville, peut-être pourrons-nous faire plus d'ambulatoire.

La question du tutorat et de la formation des infirmiers et des jeunes médecins me tient particulièrement à coeur. L'expérience de l'infirmier qui, ayant dix ans ou quinze ans d'ancienneté, disposait à la fois de savoir-faire et d'une capacité d'encadrement a été perdue dans beaucoup d'endroits. Et, dans des services hospitaliers de très haute technicité - dans le mien, on pratique des dialyses chez l'enfant -, il est désespérant pour un jeune infirmier de ne pas parvenir à pratiquer l'acte, alors que les professionnels plus expérimentés pouvaient autrefois montrer le geste technique à leurs jeunes collègues. Il en découle une perte de chance pour le patient et une perte de la qualité des soins.

Les jeunes infirmiers qui sont diplômés aujourd'hui sont moins bien formés qu'auparavant. Il faut se saisir à bras-le-corps du sujet, car tout se cumule : les jeunes, qui sont moins bien formés, se sentent moins prêts, la sélection, où il n'y a plus d'entretien, n'est pas adaptée, les stages en pédiatrie ont été supprimés et les stages pratiques sont problématiques.

Il y a aussi des problèmes d'encadrement dans certaines disciplines médicales. On manque par exemple de jeunes praticiens en pédopsychiatrie. Pour en attirer, il faut en former, ce qui suppose d'avoir des personnels qualifiés.

Offrons des perspectives aux jeunes infirmiers et médecins. Il peut s'agir de préciser lors du recrutement, dans la fiche du poste, le travail du futur praticien, mais également la formation dont il pourra bénéficier pour se forger une ou plusieurs expertises, ainsi que les missions et responsabilités qui seront les siennes au sein de l'équipe, avec à la clé une valorisation des compétences théoriques et pratiques acquises, voire une reconnaissance financière. Aujourd'hui, pour gagner plus d'argent, un infirmier doit changer de métier et devenir cadre, avec tous les inconvénients que cela implique.

On passe effectivement beaucoup de temps au téléphone aux urgences, ce qui est à la fois éprouvant et agaçant. Mais ce n'est pas vraiment un problème de technique. C'est simplement que nous n'avons pas suffisamment de place et de lits disponibles. Les métiers du soin sont des métiers de l'humain. Nous devons en permanence gérer des problématiques humaines, par exemple les cas de personnes qui continuent d'occuper des lits parce qu'elles ne peuvent pas aller ailleurs.

Nous avons aussi des applications, et la plupart des hôpitaux ont un dossier informatisé aujourd'hui. Même si je me méfie un peu de la technophilie - certains attendent sans doute trop de la technique -, je pense que l'on n'investit pas suffisamment dans le système d'information. L'attractivité passe aussi par l'investissement, que ce soit dans le bâtiment ou dans le matériel. Au cours de ces dernières années, les investissements dans les hôpitaux ont été insuffisants, et le taux de vétusté s'est accentué.

À l'AP-HP, l'investissement dans les systèmes d'information et le numérique représente 2 % à 2,5 % du budget, contre 6 % en Amérique du Nord ou dans certains pays d'Europe du Nord. Or le système d'information est un élément tout à fait important pour structurer le parcours de soins. Même si les évolutions technologiques récentes nous aident beaucoup, l'ensemble reste insuffisant. Il faut que les médecins et les soignants soient associés à la réflexion autour des techniques ; ils en sont les premiers utilisateurs.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je vous entends sur la nécessité du tutorat. Mais cela implique de nouvelles embauches. Et qui dit nouvelles embauches dit aussi charges financières plus importantes. Selon vous, où y aurait-il des marges de manoeuvre budgétaires ?

Avez-vous une analyse simple sur ces patients qui embolisent des lits alors qu'ils pourraient être ailleurs ? Quelles sont les soupapes de respiration pour l'hôpital ?

Professeur Rémi Salomon . - Si la santé publique n'a pas de prix, elle a un coût, et nous devons effectivement être attentifs à la manière dont nous dépensons les deniers publics. Pendant la crise, nous avons très bien travaillé avec les administratifs, mais il est vrai qu'avec le « quoi qu'il en coûte », la pression budgétaire avait disparu. Cela étant, je crois possible de mieux travailler avec les administratifs même avec une pression budgétaire ou une régulation. À mon sens, plutôt que d'un seul « patron », l'hôpital a besoin d'une gouvernance reposant sur la coréflexion, la coconstruction et la confiance, à tous les niveaux, y compris celui du service où le rôle du cadre doit être moins administratif et plus orienté sur le soin, en liaison avec le chef de service.

Nous pouvons, me semble-t-il, réaliser des économies.

Le débat sur le coût de coexistence entre la sécurité sociale et les mutuelles montre qu'il pourrait y avoir plusieurs milliards d'euros à récupérer.

Ensuite, il faudrait travailler sur le médicament, dont la fixation du prix n'est pas toujours très transparente. Il y a des écarts de prix importants d'un pays à l'autre. Lors de la première vague, je m'étais beaucoup intéressé à la question de l'indépendance sanitaire ; nous avons failli manquer de médicaments. Je pense que nous ne pouvons pas rester aussi dépendants. Il faut relocaliser la production.

Enfin, le système d'information peut nous aider à faire des économies sur les prescriptions d'examens supplémentaires. Mme Buzyn avait parlé de 20 % d'examens inutiles.

Pour autant, les besoins augmentent. La population française vieillit, et est plus sujette aux polypathologies, ce qui nécessite des soins plus techniques, donc un peu plus coûteux.

L'horrible terme de bed blockers est utilisé pour qualifier les patients qui embolisent des lits alors qu'ils n'ont plus rien à faire à l'hôpital. Le phénomène est lié à l'insuffisance des capacités dans le secteur médico-social. Le métier d'assistant social est extrêmement important à l'hôpital pour mieux préparer les sorties. Nous en manquons, car la profession n'est pas assez attractive ; les assistantes sociales sont mal payées.

Je pense même que l'on devrait faire un bilan systématique d'autonomie pour les personnes de soixante ans ou soixante-cinq ans, afin de savoir comment les choses pourraient se passer en cas de dégradation de la santé. Cela permettrait d'anticiper l'organisation en cas de perte d'autonomie.

En outre, il faut tenir compte du cas des patients en situation de précarité. La région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) et l'Île-de-France sont les deux régions les plus concernées. Parmi ma patientèle, beaucoup de familles relèvent du 115. La prise en charge est tout de même plus compliquée pour ces publics.

M. Bernard Jomier , président . - Ce n'est pas un hasard si, dans ces deux régions, les groupes hospitaliers s'appellent l'Assistance publique.

Professeur Rémi Salomon . - Tout à fait.

M. Bernard Jomier , président . - Nous vous remercions de votre disponibilité et de vos réponses à nos questions. Si vous avez des documents ou des éléments à nous communiquer par écrit, notre commission d'enquête les recevra volontiers.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition commune de représentants des internes et des jeunes médecins

(jeudi 13 janvier 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Mes chers collègues, nous recevons cet après-midi en audition commune les représentants de quatre organisations d'internes et de jeunes médecins.

Je suis heureux d'accueillir M. Gaëtan Casanova, président de l'intersyndicale des internes (ISNI), Mme Mathilde Renker, présidente de l'intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG), le docteur Thiên-Nga Chamaraux Tran, vice-présidente en charge de la médecine hospitalière de Jeunes Médecins et le docteur Agathe Lechevalier, présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR), en lien avec nous par téléconférence, en remplacement de son confrère le docteur Pinto, qui a eu un empêchement de dernière minute.

Vos organisations représentent à la fois des médecins en formation et des médecins diplômés en début d'exercice, tant à l'hôpital qu'en exercice de ville.

L'hôpital est pour vous un lieu de formation important, mais vous en êtes aussi des acteurs incontournables et indispensables : que serait l'hôpital sans les internes et les jeunes médecins ?

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

J'invite chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Casanova, Mmes Renker, Chamaraux Tran et Lechevalier prêtent serment.

Madame la rapporteure, vous avez la parole

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je vous remercie tous les quatre de votre présence.

Si nous avons souhaité réunir aujourd'hui des organisations représentant les jeunes médecins, qu'ils soient au stade de l'internat ou en début d'activité, dans les premières années suivant leur diplôme, c'est que, depuis le début de nos auditions, on a beaucoup insisté sur l'attractivité de l'exercice médical, que ce soit à l'hôpital ou en ville.

Beaucoup de nos interlocuteurs y ont vu à la fois une cause d'une partie des difficultés actuelles et un enjeu essentiel pour l'avenir de notre système de santé.

Notre commission d'enquête s'intéresse prioritairement à la situation de l'hôpital, mais il est évident que celle-ci est tributaire des conditions de prise en charge des patients en ville.

Nous connaissons les conséquences du numerus clausus . Son relèvement, avec le numerus apertus , ne produira des effets que dans plusieurs années.

Dans l'immédiat, la question qui se pose est bien celle de l'engagement et de la continuation dans la carrière médicale. Cela suppose des conditions d'exercice satisfaisantes, avec le sentiment de contribuer à la bonne prise en charge des patients.

Cela touche aux conditions de travail, à la rémunération, mais également à la satisfaction au travail dans toutes ses dimensions. Nous souhaitons aborder les questions liées à l'organisation et au fonctionnement de l'hôpital, mais également les moyens de concilier les aspirations des nouvelles générations de médecins et la couverture des besoins de santé de nos concitoyens sur les territoires.

M. Bernard Jomier , président . - Vous avez la parole.

M. Gaëtan Casanova, président de l'intersyndicale des internes (ISNI) . - L'Intersyndicale nationale des internes (ISNI) représente en France 10 000 adhérents sur 30 000 internes. Les internes constituent 40 % du personnel médical des hôpitaux, selon les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), et connaissent un dépassement du temps de travail chronique et généralisé de 57 heures en moyenne, avec plus de 80 heures dans les disciplines chirurgicales, constat confirmé très récemment par une enquête du ministère de la santé.

Les internes représentent l'hôpital d'aujourd'hui et celui de demain, et constituent une sorte de thermomètre. Celui-ci est cassé car, selon une étude terrible à paraître, 23 % seulement des internes considèrent l'activité à l'hôpital public comme attractive.

J'insisterai sur trois points essentiels qui reviennent souvent, que le Ségur de la santé n'a fait qu'aborder.

Il s'agit tout d'abord de ce que j'appelle l'« hydre managériale hospitalière ». L'ISNI le répète depuis des années : le péché originel vient de l'absence de séparation du grade et de la fonction, dont le coût est extrêmement élevé.

On trouve, d'un côté, les « mandarins », des professeurs d'université praticiens hospitaliers, qui forment l'aristocratie médicale. Celle-ci cumule quatre fonctions, l'enseignement, la recherche, la clinique et le management. C'est doublement problématique : il est en effet très difficile, dans une journée de 24 heures, de cumuler ces quatre fonctions de manière satisfaisante. Par ailleurs, ce sont des personnes qui, malgré leur bonne volonté, n'ont aucune formation. Enfin, lorsque la possibilité de s'investir est trustée par un corps en particulier et que vous ne trouvez pas votre place, vous partez !

La deuxième tête de l'hydre est constituée par les directeurs d'hôpitaux, qui rencontrent les mêmes écueils que les personnes issues de l'ENA, qui a été très largement réformée et qui a même changé de nom. Même s'ils ont toute l'efficacité et la bonne volonté du monde, ils développent une forme de pensée unique, dans le cadre d'une école unique, avec un système d'avancement et de promotion unique géré par le Centre national de gestion, lui-même piloté par des directeurs d'hôpitaux.

Cette hydre connaît aussi un problème dû à une imperméabilité totale entre ses différentes têtes. L'aristocratie médicale - les professeurs, les chefs de service - et la direction hospitalière se parlent très peu et se détestent, souvent pour des guerres d' ego enfantines. Cette incompréhension coûte cher, et ce sont les médecins comme les administrateurs qui en sont responsables.

Cela fait des années que le financement des hôpitaux est basé sur l'activité. Il y a là un problème majeur : on s'est peut-être trompé sur ce que devait être la tarification à l'activité. Elle devient une gesticulation médicale et une gesticulation de santé, alors qu'elle doit porter sur le service rendu et la pertinence des soins, ce qui n'élude pas la question économique. La pertinence des soins, c'est le jute soin au bon moment.

Enfin, la France a imaginé le système de santé comme un agglomérat d'établissements et de professionnels, alors que la seule façon utile de le penser est de mettre le patient au centre du problème. C'est très démagogique, mais pensez au parcours d'un patient : il consulte un médecin libéral en ville, puis va éventuellement dans un hôpital ou une clinique. Or le meilleur moyen de communiquer est de parler la même langue. Cependant, les systèmes d'information sont différents, et il est impossible de transférer immédiatement les dossiers des patients.

On voit alors un patient arriver sur un brancard avec une pile de dossiers. On sait qu'il a réalisé des imageries, mais on attend parfois 48 heures avant de les recevoir, et l'on refait donc des examens qui ont déjà été réalisés. Ceci devrait constituer une priorité d'action.

Les internes sont un thermomètre, mais celui-ci est grippé car ils sont « séquestrés » dans les centres hospitaliers universitaires (CHU). Vous pouvez interroger tout le monde : on veut absolument qu'ils y restent et n'aillent pas se former dans le privé ni dans les hôpitaux périphériques, qui déplorent eux-mêmes cette situation.

La conséquence de tout ceci, c'est l'épuisement et le burn out . Il y a quelques mois, nous avons organisé un colloque à l'Assemblée nationale sur la santé mentale des internes : on a dénombré 25 % de dépressions chez les internes et étudiants en médecine en 2020.

M. Bernard Jomier , président . - Merci pour le caractère très direct de vos propos !

Dr Thiên-Nga Chamaraux Tran, vice-présidente en charge de la médecine hospitalière de Jeunes médecins . - Je vous remercie d'avoir invité Jeunes médecins pour témoigner devant votre commission. Je remercie également mes collègues qui ont dû se réorganiser pour que je puisse venir devant vous aujourd'hui.

Je suis médecin anesthésiste-réanimatrice et j'exerce en tant que praticien hospitalier en réanimation chirurgicale aux hôpitaux universitaires de Strasbourg.

Je fais également partie des médecins à l'origine de la minute de silence qui a actuellement lieu tous les vendredis à 14 heures sur le parvis des hôpitaux, qui prend actuellement de l'ampleur.

Je témoigne en tant que vice-présidente de Jeunes médecins en charge de la médecine hospitalière.

Jeunes médecins est un syndicat professionnel représentant près de 5 000 adhérents de toutes les spécialités, tous modes d'exercice confondus. Son but est de défendre les jeunes médecins, sans parti pris pour une spécialité ou un mode d'exercice.

Comme beaucoup de soignants, les jeunes médecins mettent l'intérêt général au centre de leur exercice et s'attachent à défendre leurs missions auprès du public.

L'intérêt de votre commission est majeur : l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a en effet récemment alerté sur le risque d'effondrement de notre système de santé, notamment à cause de la pandémie de covid. Cet effondrement aura notamment lieu du fait de la souffrance des soignants. Celle-ci atteint son paroxysme, alors que les moyens pour soutenir les soignants sont si pauvres que les experts de l'Observatoire national de la qualité de vie au travail ont récemment démissionné.

Or cette souffrance a un retentissement sur le système de santé, car elle aboutit à la fermeture de lits faute de soignants, épuisés, parfois en arrêt maladie ou qui quittent leurs fonctions, dégoûtés par un Ségur qui n'a pas été à la hauteur et qui s'est même avéré cynique.

La revalorisation n'a concerné que les praticiens hospitaliers nommés depuis 2020. Pire, des mesures ont été prises pour déclasser les praticiens hospitaliers plus anciens qui étaient sur le front du covid. J'ai ainsi été déclassée de l'échelon 4 à l'échelon 1 en janvier 2021. D'anciens internes que j'ai encadrés pour leur mémoire de thèse ou de diplôme d'études spécialisées (DES) ont été nommés échelon 2. J'en suis heureuse pour eux, mais je ne comprends pas cette iniquité.

Jeunes médecins a d'ailleurs déposé un recours auprès du Conseil d'État, et plus de 8 000 praticiens hospitaliers ont saisi le tribunal administratif pour contester ce reclassement.

Le Ségur, qui concerne également les paramédicaux, n'a pas été suffisant à leur niveau et n'a pas permis de juguler l'hémorragie de soignants.

Dans mon CHU, on estime que 200 à 260 lits ont été fermés par manque de personnel paramédical. Les chiffres restent toutefois opaques.

Tout cela se passe dans un système de santé hospitalo-centré en termes de formation et de prise en charge. En effet, il faudrait profiter de ce contexte d'ouverture et du numerus apertus pour former plus de médecins généralistes, quitte à ce que ceux-ci se spécialisent dans une discipline ambulatoire supplémentaire, comme la pédiatrie, la gynécologie médicale ou les urgences.

Il faudrait également permettre aux internes d'accéder à davantage de stages ambulatoires et les former à la gestion des cabinets. Cette formation logistique est trop parcellaire au cours de leur internat. Cela aiderait à créer des maisons de garde pluriprofessionnelles de premier recours, permettant ainsi de désengorger les urgences, un des seuls remparts face à une désertification médicale galopante.

Quant à l'interconnexion ville-hôpital, elle est insuffisamment exploitée du fait de logiciels médicaux pluriels. Les professionnels sont insuffisamment formés au logiciel unique, comme l'espace numérique de santé (ENS), qui a succédé en début d'année au dossier médical partagé (DMP). La convergence de ces logiciels permettrait de faciliter les échanges et surtout d'améliorer la prise en charge des patients.

Un nouveau statut unique de praticien hospitalier doit prochainement voir le jour concernant l'exercice mixte. Or il ne répond pas aux besoins actuels concernant le resserrement du lien entre ville et hôpital à cause d'une clause de non-concurrence, qui empêchera les praticiens hospitaliers d'exercer dans un rayon de dix kilomètres, en contradiction avec l'objectif initial de ce nouveau statut.

Quant aux mesures prises en faveur de l'attractivité hospitalo-universitaire, elles sont insuffisantes. Il serait nécessaire de revaloriser les salaires de ceux qui s'engagent dans cette voie tout au long de leur carrière, et d'intégrer leur temps de travail hospitalier dans le calcul de la retraite, ce qui n'est pas encore fait.

Il faudrait également plus de transparence et de visibilité pour ceux qui veulent s'engager pleinement dans cette carrière, qui en déçoit plus d'un.

Enfin, du fait des changements sociétaux, il faut porter une attention particulière à l'équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle.

Voici un panorama des difficultés actuelles et quelques solutions proposées par Jeunes médecins. Nous vous avons également remis, en début de séance, notre Livre blanc, qui comporte des propositions portant sur d'autres champs d'action.

Mme Mathilde Renker, présidente de l'intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG) . - De très nombreux internes sont en ce moment même en extrême souffrance du fait de la situation de l'hôpital. J'aimerais donc profiter de cette intervention pour vous apporter quelques éléments de contexte et faire le lien avec la situation de la médecine de ville.

La pandémie actuelle n'a fait que mettre en lumière un mal-être déjà présent depuis de nombreuses années. Nos organisations en font le constat régulièrement à travers les enquêtes sur la santé mentale, dont les résultats sont toujours plus catastrophiques. L'enquête de 2021 a montré qu'un étudiant en médecine sur quatre a présenté un épisode dépressif caractérisé sur les douze derniers mois. Ce qui est à la base une vocation devient de plus en plus un fardeau.

Depuis plusieurs années, nous assistons à une lente agonie de l'hôpital public. Une réforme d'envergure doit être mise en oeuvre. Les jeunes médecins sont porteurs de solutions et d'initiatives pour améliorer cette situation.

L'attractivité de l'hôpital public doit être une des priorités des établissements. Les jeunes aspirent à une meilleure qualité de vie leur permettant de concilier vie professionnelle et personnelle. Actuellement, 70 % des internes déclarent travailler au-delà des 48 heures hebdomadaires légales, et ce en toute impunité.

Une remise en question globale des conditions de travail des internes doit voir le jour, avec une généralisation des tableaux de service permettant de suivre le temps de travail, mais cela doit aller plus loin : nous réclamons des sanctions à destination des établissements, la prise en compte du temps de travail et de la qualité de vie dans la délivrance des agréments de stage, et la possibilité de retirer ou de suspendre les agréments de stage en cas de violences.

De manière générale, il faut revoir la culture du monde hospitalier, qui normalise voire encourage les violences, les humiliations, les agressions. Les chiffres sont effarants : un étudiant en médecine sur quatre déclare avoir subi une forme de harcèlement. La même proportion rapporte des humiliations, et on dénombre jusqu'à 3 % d'agressions sexuelles.

Les annonces gouvernementales nous laissent espérer des améliorations en ce sens. Cependant, la maltraitance quasi institutionnalisée de nos services hospitaliers demande un investissement constant et des changements systémiques. Il est temps de remettre la bienveillance et la solidarité au coeur de notre système de soins.

Cette problématique du temps de travail touche durement les internes, qui sont pressurisés pour maintenir à flot un hôpital presque submergé. Le manque de moyens matériels, de moyens humains, la vétusté de certains locaux, l'épuisement des personnels aboutissent à une perte de sens de nos métiers, qui ne présentent plus d'attrait pour les jeunes générations pleines d'espoirs.

J'ai bien conscience que ces problématiques aggravent les difficultés de recrutement et de fidélisation du personnel médical déjà présentes. J'aimerais insister sur l'impact négatif de ce problème sur les internes, et tout particulièrement ceux de médecine générale, qui réalisent des stages dans les petits centres hospitaliers, encore plus durement touchés par la pénurie de médecins.

En effet, comment espérer obtenir une formation de qualité quand les médecins seniors, supposés nous épauler et enseigner, sont eux-mêmes bien trop débordés ou changent tous les mois ?

Une réorganisation de notre système de santé doit voir le jour pour permettre de libérer du temps médical en diminuant les charges administratives et en augmentant le temps passé auprès des malades.

Toutefois, le manque de temps et de moyens n'est pas l'apanage de notre hôpital.

Le milieu ambulatoire est également en souffrance. Les médecins généralistes, pierre angulaire du système, sont en tension et ne sont pas à même de répondre à la demande de soins. Le nombre de médecins généralistes a diminué au profit d'une augmentation du nombre total des autres spécialistes. Le constat est là : nous ne sommes pas assez nombreux.

En parallèle, l'augmentation et le vieillissement de la population ont créé un besoin de soins plus important, avec une augmentation des pathologies chroniques, des problématiques de maintien à domicile et des prises en charge toujours plus complexes et chronophages.

Les problématiques liées au vieillissement sont plus prégnantes que jamais et nécessitent de revoir l'organisation du système de soins afin de permettre une prise en charge coordonnée entre les différents professionnels, avec des moyens de communication adaptés.

Pour autant, les jeunes ont toujours l'envie de soigner et d'aider au mieux les populations. 80 % des internes de médecine générale envisagent un exercice en milieu rural ou semi-rural.

Qu'est-ce qui pourrait aider ces jeunes médecins qui souhaitent s'installer ?

La création de guichets uniques, facilitateurs d'installation pour les jeunes générations, permettrait de simplifier les démarches et supprimerait un frein important. Les aides financières seules ne peuvent suffire à résoudre ces problématiques. Elles doivent permettre d'engager un accompagnement du jeune médecin dans son installation.

La présence de services publics, de transports, d'un emploi pour le conjoint ou la conjointe sont autant de leviers permettant de rendre les territoires attractifs. Pour les internes, et selon l'enquête sur les déterminants à l'installation du Conseil national de l'ordre des médecins, le premier facteur déterminant l'installation est la proximité familiale et le second la présence de services publics.

L'aspect financier, bien que n'étant pas majoritaire, reste un des leviers possibles. En ce sens, le nouveau contrat de début d'exercice, lancé en février dernier, permet non seulement une aide financière, mais également une couverture sociale majorée. Il doit être développé et proposé le plus largement possible aux jeunes générations.

Autre levier d'action pour valoriser les territoires et encourager l'installation : le développement des stages en milieu ambulatoire. Pour permettre la découverte des territoires, les étudiants doivent pouvoir y être accueillis dans de bonnes conditions, notamment via le développement des hébergements territoriaux d'étudiants en santé, l'augmentation de l'indemnité de transport, actuellement à 130 euros par mois, figée depuis 2014.

La formation doit cependant rester qualitative et ne pas dégoûter préalablement les étudiants déjà éprouvés par un système maltraitant. Actuellement encore trop centrée sur le CHU, la formation doit s'ouvrir à la multitude des exercices possibles en médecine.

Si je devais choisir un mot sur ce qui manque aujourd'hui à notre système de santé, j'utiliserai celui de bienveillance.

Remettre la bienveillance au coeur de notre système de soin, c'est permettre à chaque étudiant de découvrir les multiples facettes de la médecine et de s'épanouir dans cette merveilleuse profession qu'ils ont choisie. C'est permettre à chacun d'exercer librement, sans contraintes à l'installation, et remettre la confiance aux mains des professionnels, garants d'un système de santé pour lequel ils s'échinent déjà.

La bienveillance, c'est garantir à tous les soignants un épanouissement professionnel permettant un équilibre entre vie privée et vie professionnelle, propice à la pérennité de notre système de soins,

Enfin, la bienveillance, c'est redonner à tous les soignants les moyens d'apporter des soins dignes et de qualité à l'intégralité de la population française.

La bienveillance pour les soignants, aujourd'hui, c'est permettre de construire un système de soins qui sera plus tard bénéfique à chacun de nos patients.

Dr Agathe Lechevalier , présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReaGJIR) . - Ma vision est celle des jeunes médecins généralistes qui ont un exercice majoritairement ambulatoire, mais on ne peut parler d'hôpital sans parler d'ambulatoire.

Comme l'a dit le docteur Renker, on constate une augmentation de la charge en ambulatoire liée à plusieurs facteurs, comme l'augmentation et le vieillissement de la population, avec ses pathologies chroniques, ainsi qu'une diminution du temps médical, les médecins généralistes n'ayant pas d'aspiration à avoir la même charge de travail que leurs aînés.

On assiste aussi globalement à une surmédicalisation de la société française, avec un recours à la consultation pour des motifs administratifs - certificats, arrêts de travail pour des pathologies bénignes ou qui pourraient être gérées à la maison, éventuellement avec l'aide des autres professionnels de santé, qu'il s'agisse des pharmaciens, des infirmières, etc .

Globalement, il existe assez peu d'éducation à la santé en France, d'où une demande de soins importante en ambulatoire, qui se répercute inévitablement vers les services d'urgence pour ce qui est des soins non programmés.

Ceux-ci sont saturés par des pathologies qui pourraient être traitées par la médecine de ville et qui ne le sont pas, faute de réponse du fait d'une surcharge de travail.

Les urgences constituent la porte d'entrée de l'hôpital. Pour un médecin généraliste, il est compliqué d'adresser directement un patient dans le service concerné par sa pathologie. On demande en effet aux médecins d'adresser les patients aux urgences, ce qui entraîne une charge de travail non justifiée pour ces dernières, le patient y étant réorienté vers le service hospitalier qui le concerne.

On observe en matière d'hospitalisation des prises en charge de plus en plus rapides, avec des objectifs de durée de séjour sans anticipation de la suite de la prise en charge en ambulatoire, une communication insuffisante entre médecins et une absence d'anticipation de certaines problématiques médicales et sociales.

Concrètement, les patients qui manquent d'autonomie sont renvoyés à la maison faute de possibilité de les garder à l'hôpital du fait des objectifs de durée de séjour. Ils se retrouvent dès lors avec des problématiques d'autonomie ou des problématiques médicales qui n'ont pu être gérées à l'hôpital par manque de temps et qu'on traite en ambulatoire, avec des moyens souvent insuffisants.

De façon plus générale, on déplore un manque de communication entre les hospitaliers et les libéraux. Il est très compliqué, en ville, d'avoir des avis de la part des hospitaliers, et on attend un dossier médical en ligne qu'on nous promet depuis plusieurs années.

Ma consoeur a décrit la vision que l'on peut avoir du système hospitalier, avec un manque de modernisation du système informatique, un manque d'homogénéité des systèmes en place, qui sont parfois obsolètes. On voit d'ailleurs que les hôpitaux sont régulièrement victimes de malwares , le système ne permettant malheureusement pas une protection optimale.

En matière de santé mentale, les places en hospitalisation et les ressources hospitalières ou celles des centres médico-psychologiques sont largement insuffisantes, que ce soit pour les adultes ou en pédopsychiatrie, où la situation dépasse le champ de la médecine générale, les patients en souffrance ne pouvant recevoir de réponse.

On constate, s'agissant plus spécifiquement de l'attractivité, vu de l'hôpital et même de l'extérieur, des conditions financières insatisfaisantes, avec des échelons bloqués pendant plusieurs années, et un recours au CDI pour les paramédicaux plutôt qu'à la titularisation, avec des avantages inférieurs.

Mes consoeurs et mon confrère en ont parlé : les internes étudiants sont utilisés comme main-d'oeuvre bon marché, avec un encadrement lacunaire qui les dégoûte du travail hospitalier. On constate aussi une externalisation des prestations à l'hôpital, avec des recours à certaines entreprises plutôt qu'à des embauches. Je pense ici à l'entretien des locaux et aux facturations supplémentaires des patients - chambres seules, coûts de stationnement et dépassements d'honoraires, de plus en plus pratiqués dans l'hôpital public.

Enfin, les conditions de travail à l'hôpital sont déplorables : charge de travail importante pour les personnels médicaux ou paramédicaux, horaires longs, manque de reconnaissance du travail fourni, impression de courir après le temps sans possibilité de réaliser un travail de qualité, manque de matériel, personnels ballottés dans les services et, surtout, manque d'accompagnement psychologique, particulièrement pour les services concernés par l'épidémie de covid, toujours en cours.

Or les soignants qui s'engagent dans l'hôpital public le font avec le goût du service public et l'envie d'aider les autres, sans question de rentabilité. Un espoir est né durant la crise du covid, avec le « quoi qu'il en coûte », celui de se focaliser à nouveau sur le soin et d'abandonner la logique de rentabilité - mais je crains qu'on soit revenu sur cette question.

M. Bernard Jomier , président . - Merci à vous quatre de nous avoir exposé toutes ces problématiques en un temps restreint.

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Merci à tous les quatre d'avoir synthétisé les problématiques qu'on sentait poindre et qu'on avait pour certains déjà identifiées au fil de nos travaux parlementaires, mais dont on a eu confirmation depuis le début de cette commission d'enquête.

Notre commission d'enquête a voulu se concentrer sur l'hôpital, mais aussi sur l'exercice à la sortie des études.

On constate un recul de l'attractivité de l'hôpital. Ce que vous dites à propos des échelons et de la progression de carrière est ubuesque. Nous l'avions signalé, après le Ségur, à Olivier Véran, qui nous avait affirmé que ce n'était pas le cas - mais les chiffres sont là.

Quelles seraient, selon vous, les mesures susceptibles d'avoir un effet rapide sur l'hôpital ? Comment mobiliser rapidement et durablement un nouveau vivier de praticiens ? On pourra avoir la même question au sujet des autres professionnels, mais nous resterons sur les médecins.

Vous avez abordé les conditions actuelles de formation lors de l'internat. C'est notamment vrai pour la médecine générale, qui a désormais une volonté de s'ouvrir sur l'extérieur.

Par ailleurs, on l'a dit, les tâches administratives plombent une partie de vos journées. Quelles sont les pistes d'amélioration que l'on pourrait suivre ?

On dit que l'hôpital est suradministré. C'est un lieu commun. Si l'on veut en décharger les soignants, il faudra que quelqu'un assume ces tâches, sauf à penser qu'on peut les rationaliser. Si c'est à enveloppe constante, quelqu'un d'autre devra les accomplir, et l'on va renchérir l'administratif.

L'informatisation constitue une piste substantielle pour améliorer le temps consacré à la charge administrative, mais en existe-t-il d'autres ?

Vous avez par ailleurs abordé l'exercice mixte et la permanence des soins.

Je voudrais revenir sur la dimension territoriale, car si l'on veut que l'hôpital retrouve un souffle, il faut aussi, en amont ou en aval, développer une organisation pertinente du soin à l'échelle d'une population.

Qu'est-ce qui pousse un médecin à s'installer sur un territoire ? La présence des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) peut-elle y contribuer ? Quels obstacles entrevoyez-vous ? Qu'est-ce qui attire le plus un jeune médecin qui termine ses études ?

M. Bernard Jomier , président . - J'ai été frappé par ce que vous avez dit à propos de la culture du monde hospitalier, qui encourage la violence et les agressions. Si les Français entendent cela, ils vont tomber de leur chaise car, pour tout le monde, la culture du monde hospitalier repose sur la bienveillance et l'empathie !

Est-ce la dégradation qui en est responsable, ou existe-t-il d'autres causes structurelles à ces agressions ?

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - La commission des affaires sociales recevra, le 26 janvier, l'association des étudiants qui a publié un Livre blanc sur la maltraitance. Elle entendra par ailleurs ce matin-là la Conférence des doyens.

Dr Agathe Lechevalier . - Mes collègues l'ont dit et les études le montrent, les étudiants, les internes en médecine et les professionnels paramédicaux sont en souffrance. Quand on est en souffrance, on ne peut être ouvert à la souffrance de l'autre ni en prendre soin. Quand on est maltraité dans son travail, on n'a pas envie de bien traiter l'autre. Quand on n'a pas de temps pour bien s'occuper de l'autre, on est maltraitant.

Un patient est, par définition, une personne en situation de vulnérabilité. Les patients sont alors bien plus sensibles à la façon dont on les traite - et je ne parle pas seulement d'un point de vue physique, mais aussi psychique.

On ne peut attendre d'un professionnel en souffrance qu'il s'occupe bien d'un patient. On parle de l'hôpital, mais c'est pareil en ambulatoire, pour le médico-social ou les Ehpad. Si on ne règle pas ce problème, on ne peut régler la question de la maltraitance des patients.

Je reviens sur les questions se rapportant aux jeunes généralistes. Qu'est-ce qui les pousse à s'installer dans tel endroit plus que dans tel autre ? La question est mal formulée : le problème vient de ce que l'on manque de temps médical pour répondre aux besoins de santé de la population.

Vous pouvez tenter de pousser tous les médecins remplaçant à s'installer : vous n'arriverez pas à résoudre le problème de l'accès au médecin traitant. La consommation de soins de la population croît pour des raisons de vieillissement, d'augmentation des maladies chroniques. Je l'ai dit, pour des pathologies bénignes, une éducation à la santé pourrait suffire. Malheureusement, certaines consultations ont un but administratif
- certificats médicaux, arrêts de travail, enfants malades, etc . On demande là l'expertise d'un médecin, alors qu'elle n'est pas nécessaire. Cette paperasse ne sert à rien et fait perdre du temps à tout le monde !

Comment gagner du temps administratif ? Comment faire en sorte que le médecin fasse de la médecine et moins de papiers ? Je l'ai dit pour ce qui est des consultations, mais la simplification de l'entreprise libérale reste un des facteurs déterminants. Cela a notamment été fait avec les assistants médicaux...

M. Bernard Jomier , président . - Les questions de Mme la rapporteure portent sur l'hôpital...

Dr Agathe Lechevalier . - Dernier point : les CPTS sont-elles attractives ? Pas directement, mais les maisons de santé pluri-professionnelles le sont. Comme Mme Renker l'a expliqué, l'enquête sur les déterminants à l'installation a démontré qu'avoir des attaches familiales sur un territoire, y trouver des services publics ou y avoir fait ses études constituent des facteurs attractifs.

Mme Mathilde Renker . - Nous avons tous, concernant les mesures immédiates en faveur de l'hôpital, insisté sur la qualité de vie. C'est sur ce point qu'il faut faire porter les efforts.

Il est très important d'attirer les soignants vers l'hôpital. Or cela ne pourra se faire si les soignants pensent avoir une mauvaise qualité de vie en travaillant dans l'hôpital public. Ce sont des questions qui peuvent se résoudre, notamment en matière d'horaires de travail et de tâches administratives.

Aujourd'hui encore, une des tâches courantes des externes consiste à faxer des documents dans les différents services !

M. Bernard Jomier , président . - Un certain nombre d'hôpitaux sont cependant bien équipés de systèmes informatiques ! On y trouve encore des fax ?

Mme Mathilde Renker . - C'est ce que j'ai vécu, et mes collègues pourront en témoigner certainement également.

Cette problématique pourrait facilement se résoudre grâce à l'outil numérique. Les externes sont censés apprendre leur métier. Commencer ses études dans un milieu hospitalier dans lequel la tâche principale consiste à passer des fax ne donne pas envie d'y retourner par la suite, ce qui est compréhensible.

Je ne reviendrai pas sur les déterminants à l'installation, sujet que j'ai déjà abordé. L'enquête du Conseil de l'ordre a démontré l'importance de la proximité familiale dans ce domaine, ainsi que le fait de disposer de services publics - transports, gares, etc .

Enfin, s'agissant de la maltraitance hospitalière, la grande enquête sur la santé mentale a démontré que 76 % des violences déclarées ont été subies à l'hôpital.

Dr Thiên-Nga Chamaraux Tran . - Comment juguler l'hémorragie, voire inciter les praticiens hospitaliers à retourner vers l'hôpital ? Il faudrait reprendre leur ancienneté. Actuellement, beaucoup de médecins aimeraient revenir à l'hôpital avec leur ancienneté, mais celle-ci n'est pas prise en compte. Ils seraient alors classés à des échelons assez bas.

Une note stipule même que les praticiens hospitaliers qui démissionneraient pour repasser le concours ne bénéficieront pas de la nouvelle grille salariale. Ils seront reclassés à un échelon correspondant à la rémunération qui était la leur avant la démission.

La correction salariale pourrait immédiatement stopper cette hémorragie, de même qu'une revalorisation de la permanence des soins. Une nuit de garde n'est pas chère payée et guère prise en considération, alors que l'hôpital est le dernier recours des patients. On se retrouve, la nuit, dans des situations catastrophiques et épuisantes.

On enregistre une surcharge de travail même sur les secteurs où tous les postes sont occupés, mais où la nécessité de création d'emplois n'a pas été réévaluée. Beaucoup d'hôpitaux ne veulent pas créer de nouveaux postes dans certains services.

Il existe beaucoup de tâches administratives à l'hôpital qui pourraient être accomplies par des secrétaires médicales. Malheureusement, il n'y en a pas beaucoup sur le marché. Tous les hôpitaux enregistrent un réel déficit de secrétaires, et nous sommes amenés à prendre rendez-vous nous-mêmes pour nos patients lorsqu'on a besoin d'un avis spécialisé.

M. Bernard Jomier , président . - A-t-on supprimé des postes de secrétaires médicales ?

Dr Thiên-Nga Chamaraux Tran . - Je sais que cela ne suit pas. De toute façon, il n'y en a pas assez sur le marché, que ce soit en libéral ou dans le public.

Il existe toutefois des pistes : on pourrait recruter des aides-soignantes en arrêt maladie pour des problèmes de lombalgie et les former, car leur culture médicale pourrait faciliter leur réaffectation. Il semble toutefois qu'il soit plus facile de les maintenir en arrêt maladie plutôt que de les former à des tâches administratives. Il y a cependant là une piste à explorer.

On pourrait également faciliter le concours de praticien hospitalier pour conserver les chefs de clinique et les assistants dans le giron de l'hôpital. L'hôpital pourrait aider à envoyer le dossier au Centre national de gestion (CNG), alors que c'est celui qui veut devenir praticien hospitalier qui doit monter son dossier. Or il est parfois difficile d'obtenir la preuve de son engagement dans les différents centres que l'on a fréquentés.

On a déjà parlé de la rationalisation grâce à l'informatisation. On perd en effet beaucoup de temps à récupérer les examens. Il est donc parfois plus facile de demander un nouvel examen que d'essayer de récupérer les résultats dans un cabinet ou un autre hôpital.

L'organisation régionale de la santé est une piste intéressante. Les Allemands ont par exemple un ministre de la santé dans chaque Land . C'est sûrement une voie à explorer en matière d'optimisation des besoins de santé régionaux.

Les facilités de garde d'enfants sont attractives pour les jeunes médecins et personnels paramédicaux en âge de procréer. Il y avait autrefois beaucoup de places en crèche dans mon hôpital. Il y en a aujourd'hui de moins en moins. Les centres aérés ont même été supprimés. Cela peut ôter une charge mentale à tous les soignants, qu'il s'agisse des femmes ou des hommes, du fait des changements sociétaux.

Quant à la culture de la violence, même si j'ai la chance de travailler dans une équipe qui reste emphatique et qui se serre les coudes, j'ai déjà entendu, au cours de ma formation des phrases comme : « La gentillesse n'a jamais sauvé de vie ». On a d'autre part une culture de la performance jusqu'au-boutiste. Les gardes de 24 heures étaient à l'origine destinées à forger le caractère des médecins, alors que les décisions sont vraiment difficiles à prendre au bout de 24 heures. Je ne pense pas qu'il soit intéressant de maintenir une garde aussi longtemps.

M. Gaëtan Casanova . - Imaginer qu'on pourrait, en un coup de baguette magique, changer ce qui a mis quinze ans à être construit - ou déconstruit - serait pure folie. Je n'ai donc aucune réponse immédiate à apporter à la question de savoir comment sauver l'hôpital.

En revanche, je crois en l'espérance et au fait qu'on puisse apercevoir le bout du tunnel. Aujourd'hui, la perspective de l'évolution de l'hôpital est plus à l'affaissement total qu'à l'amélioration, en tout cas dans la vision des soignants - et j'ai l'impression que personne ici ne me contredira.

Amorcer un mouvement pour essayer de sortir de cette situation donnerait de l'espoir aux soignants et serait porteur d'engagements. Aujourd'hui, la lassitude est immense. Il existe une grande différence entre les moyens extraordinairement élevés qui ont été engagés, ce qui est incontestable, et la capacité à les visualiser de façon concrète. Cette dichotomie est infernale et décourageante.

Lorsque j'ai entendu le ministre dire qu'on n'aurait plus besoin de réformer l'hôpital pendant dix ans après le Ségur de la santé, j'ai eu un serrement de gorge. Je me suis demandé comment il pouvait parler ainsi. Soit il en est convaincu, et c'est excessivement inquiétant, soit il ne l'est pas, et cela l'est tout autant. Voilà des propos qui vont encore valoir une grande célébrité au ministère de la santé !

Tous les soignants ont ressenti les choses de cette façon. Encore une fois, énormément de bonnes choses ont été réalisées, notamment en matière numérique. Comment esquisser ce mouvement ? Il convient de communiquer pour ne pas retrouver l'exemple de ce patient sur le brancard avec sa pile de dossiers dont j'ai parlé. Il ne suffit pas de passer un appel téléphonique pour obtenir les documents !

En second lieu, il faut définitivement séparer le grade de la fonction. Si voulez une mesure choc, il suffit de supprimer l'école de Rennes des directeurs d'hôpitaux et de recruter les personnels sur les compétences et le projet et non en fonction d'une école ! Il en va de même des médecins.

Pour ce qui est des tâches administratives, je l'ai dit : le numérique, le numérique, le numérique !

Je sais qu'au Sénat, comme à l'Assemblée nationale, la question de l'accès aux soins fait parler, tout comme dans les médias. Pour nous, jeunes médecins, c'est toujours inquiétant, notamment parce que les propositions des deux assemblées sont probablement inefficaces !

Un rapport de la Drees sorti en décembre analyse les mesures efficaces ou non pour favoriser l'installation dans les zones sous-denses. Il relève que l'on s'installe plus facilement là où sont ses proches. C'est d'une évidence folle !

Peut-être devrait-on réfléchir à établir une certaine mixité sociale dans les études de médecine, car elles sont de celles où le taux de boursiers est le moins élevé. Il faudrait que des jeunes médecins viennent de quartiers défavorisés, qui constituent aussi des zones sous-denses, ou de zones rurales. Dès lors, le problème s'améliorera durablement, même s'il ne va pas se résoudre tout de suite.

Enfin, cela fait un an que l'INSI se bat contre les violences, qui constituent un problème gravissime. Il ne s'agit pas de dire que les médecins et les soignants sont plus violents que les autres, mais le monde médical et l'hôpital en particulier permettent aux violences de prospérer. Lorsque vous êtes interne, vous êtes « séquestré » durant trois, quatre ou cinq ans dans un établissement. Plus l'établissement est petit et plus vous êtes sûr de vivre un amour plus ou moins contrarié avec votre chef de service. Il faut être sage et conciliant pour ne pas vivre un véritable enfer.

En médecine, un interne ne peut changer de ville. On est affecté à un établissement jusqu'au bout. On est donc totalement à la merci du chef de service...

M. Bernard Jomier , président . - Vous changez bien tous les semestres ?

M. Gaëtan Casanova . - Oui, mais imaginons que vous soyez dans un centre hospitalier de taille modeste. Vous allez passer le plus clair de vos semestres dans un service où le chef de service et le coordonnateur sont souvent la même personne, qui jouera de tout son poids sur votre cursus universitaire et votre évolution hospitalière. On y est pour un temps suffisamment significatif pour que cela puisse être dangereux. C'est ce contexte qui permet à tout ceci de prospérer.

L'exemple le plus marquant est l'affaire de Poitiers. Il y a quelques années, à Paris, la directrice de l'hôpital Georges Pompidou, Anne Costa, a été mise en examen pour homicide involontaire, dans un contexte de harcèlement. Certains internes ont pu écrire que tous les matins, lorsqu'ils allaient travailler, ils attendaient de se prendre un mur pour pouvoir en finir ! J'ai vu certaines personnes en larmes, des années après, alors même qu'elles avaient changé de spécialité, quitter la ville pour éviter d'évoquer ce qui s'était passé là-bas. On en a évidemment parlé à la directrice, les personnes concernées étant le chef de service et le chef de pôle. Elle a répondu : « Ces personnes sont de bons praticiens. » C'est la bonne vieille formule qui veut qu'il faut séparer l'homme de l'artiste. C'est excessivement inquiétant, et c'est pourquoi tout le monde quitte l'hôpital de Poitiers pour La Rochelle. Personne ne veut plus y rester. Je viens d'apprendre que la seule personne qui voulait occuper un poste universitaire à Poitiers dans le service de gynécologie-obstétrique est partie.

La directrice est toujours en poste, le chef de service et le chef de pôle ont perdu leurs fonctions administratives, mais demeurent en place. C'est ce qui fait que les choses sont très difficilement vécues.

M. Bernard Jomier , président . - Je ne ferai pas de commentaire. La parole est aux commissaires.

Mme Florence Lassarade . - Merci d'être venus devant nous dire tout ce que nous pressentions. Le dossier numérisé me paraît une priorité, mais le plus prégnant dans vos témoignages concerne la maltraitance.

Celle-ci semble le fait de professeurs de CHU, où vous êtes tous formés. Pourquoi ne pas délocaliser votre formation dans des centres plus modestes, ce qui vous permettrait de respirer dans votre cursus, les médecins et les praticiens hospitaliers, dont j'ai fait partie, étant prêts à former des étudiants externes ou même internes ?

Dans les établissements périphériques, comme à Langon, on souffre de ne pas avoir d'internes pour aider au fonctionnement des services, alors que ceux-ci peuvent être relativement épanouissants.

En second lieu, les patients sont aujourd'hui avides d'informations. Ils sont plus ou moins bien informés, mais ont besoin qu'on passe auprès d'eux plus de temps qu'avant. La maltraitance peut-elle venir de l'usager ?

Mme Laurence Cohen . -Vos propos liminaires corroborent ceux déjà recueillis par la commission d'enquête ainsi que les remontées du terrain.

Le problème que vous avez souligné porte sur la gouvernance de l'hôpital. Il me semble qu'il s'agit de redonner du pouvoir au personnel et aux usagers d'une manière générale, et de faire en sorte que les gestionnaires accompagnent sans diriger, alors qu'aujourd'hui on leur demande de réduire les dépenses en exerçant une certaine toute puissance sur les choix budgétaires de l'établissement.

Cette maltraitance, pour une part, me parait liée à la gouvernance et à cette forme de toute puissance. À Poitiers, les choses sont claires : on a préféré garder des professionnels qui auraient dû être renvoyés - cela n'engage que moi - pour conserver les compétences. C'est une question de gouvernance. Qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, dès lors que les conditions de travail sont dégradées et qu'il manque du personnel, on n'a plus cet accompagnement qui constituait les lettres de noblesse de l'hôpital. Le salaire était peut-être moins élevé, mais le tutorat était de qualité. Modifier les conditions de travail pourrait donc permettre de redresser la barre.

En mai 2020, sur ma proposition, Catherine Deroche avait organisé une audition d'Emmanuel Durand, président du Syndicat national des médecins hospitaliers, qui avait dénoncé les rétrogradations de praticiens hospitaliers. Nous avions posé la question à Olivier Véran, qui n'avait pas voulu répondre. Peut-on avoir plus d'éléments concernant les revendications et la façon dont elles sont accueillies ?

Enfin, vous avez évoqué le lien avec l'ambulatoire. L'ambulatoire ne fonctionne correctement qu'à partir du moment où il est très encadré et qu'il y a des personnels en nombre suffisant, notamment paramédicaux, métiers où l'on enregistre une très forte pénurie.

Pensez-vous que les jeunes médecins puissent être attirés par la création dans tous les territoires de centres de santé, qui correspondraient à ce que beaucoup souhaitent, à savoir une réduction des horaires de travail, un statut salarié et un travail en équipe, en lien avec l'hôpital ?

Mme Nadia Sollogoub . - On sait que 90 % des étudiants en médecine viennent de la ville. Il ne faut donc pas s'étonner qu'ils n'aillent pas ensuite s'installer en milieu rural.

Disposez-vous de la typologie des étudiants ? Peut-être faut-il établir des passerelles pour que les jeunes ruraux aient accès aux études de médecine...

Mme Florence Lassarade . - Il y en a en première année...

Mme Nadia Sollogoub . - Je voudrais enfin vous livrer un témoignage. Je me suis rendu compte, lorsque j'ai rencontré Mme Renker à Arleuf, dans le Morvan, lors d'un congrès d'internes en médecine, que le coeur du problème repose sur l'attractivité. J'étais favorable à l'amendement obligeant les internes à suivre une année supplémentaire dans les territoires ruraux. Or Mme Renker m'a expliqué que si on les obligeait à venir sans vérifier la qualité ni les conditions d'encadrement des stages, ils partiraient en courant. Elle a insisté sur le fait de mieux organiser les choses, en affirmant que les internes viendraient alors avec plaisir.

Je tenais à livrer ce témoignage, car il faut être constamment en lien avec vous, sous peine de faire fausse route !

M. Jean Sol . - Ma première question concerne le mal-être. Est-il corrélé à vos conditions de travail ou à la représentation que vous vous faisiez de votre médecin avant vos études et à la réalité de nos établissements de santé, publics ou privés, ou de nos cabinets ?

Par ailleurs, avez-vous, au sein des institutions dans lesquelles vous travaillez, des espaces d'écoute, de dialogue et de partage qui peuvent peut-être vous permettre de décompresser ?

Enfin, pourriez-vous nous rappeler en quelques mots en quoi consiste la charge administrative que vous avez évoquée les uns et les autres ?

Mme Sonia de La Provôté . - Ce que j'entends m'attriste beaucoup. J'ai quant à moi un souvenir formidable de mes études de médecine. J'ai fait du périphérique. À l'époque, on était pris en charge, et on apprenait plein de choses en dehors du CHU. On était respecté, même si on était peu payé, et on était récompensé par la formation et par ce qu'on nous transmettait.

Les choses ont-elles changé à ce point ? Certes, on était de temps en temps un peu « martyrisés », mais on était nombreux à se défendre. J'ai le sentiment que la situation s'est terriblement dégradée. Tout ce que vous signalez existait, mais pas dans les mêmes proportions, et on arrivait à lutter. Comment les choses ont-elles pu changer à ce point ? Y a-t-il un manque de convivialité entre les étudiants ? On disposait de soupapes. Cette dimension a-t-elle complément disparu ? Cela reste néanmoins des études fantastiques et des métiers formidables.

Par ailleurs, je peux témoigner du fait que des postes de secrétaire ont disparu au profit de plateformes de prise de rendez-vous. C'est le cas à l'AP-HP. On a renforcé l'administration à l'hôpital et diminué le travail de terrain, qui était utile et qui participait du collectif de soins dans les services. Le secrétariat et les soignants travaillaient ensemble. Peut-être est-ce cette proximité qu'il est nécessaire de rétablir.

L'exercice mixte ville-hôpital se pratiquait beaucoup autrefois. On échangeait énormément. Les médecins venaient effectuer des vacations. Vous l'avez proposé. Pensez-vous que ce serait un élément moteur pour permettre l'installation en ville et dans des hôpitaux généraux moins dotés, dans les secteurs ou l'on enregistre une forme de désertification médicale ? C'est ce qui a été supprimé en premier dans les hôpitaux pour des raisons budgétaires.

Enfin, la spécialisation dans d'autres exercices médicaux - pédiatrie, gynécologie, etc . - relevait des certificats d'études supérieures (CES) avant que tout passe en DES. Je fais partie de ceux qui ont connu cette époque. On arrive à la fin des CES en ville. Tout le monde part, qu'il s'agisse de la cardiologie, de l'ophtalmologie, de la gynécologie ou de la pédiatrie. Cela crée une carence supplémentaire de spécialistes qui n'étaient pas des DES, mais qui réalisaient une grosse partie de la prise en charge ambulatoire. Ce sont ceux-là mêmes qui réalisaient des vacations hospitalières et qui créaient le lien entre la ville et l'hôpital. Pensez-vous qu'il faille favoriser cette spécialisation des exercices médicaux de façon à développer les liens avec l'hôpital ?

M. Gaëtan Casanova . - Il existe un moyen de régler la maltraitance en général et l'absence de formation. La formation médicale n'est pas un caprice d'étudiant, mais la possibilité de prendre en charge des patients de la meilleure façon qui soit pour les années à venir.

Il existe dans les hôpitaux périphériques deux commissions pour accueillir des internes dans un établissement ou un service, la commission d'agrément et la commission de répartition des postes.

Des avancées majeures ont été réalisées à notre demande dans ce domaine par le ministère de la santé. Même si le règlement le prévoyait, il n'existait en effet en pratique aucune lisibilité. Les personnes n'étaient pas toutes convoquées. Il n'y avait ni procès-verbal ni signature. Le maître mot était le « copinage », qui a tendance à renvoyer vers le CHU.

C'est en train de se régler - du moins je l'espère. Des engagements ont été pris par le ministre, et je les salue. Cela va changer les choses, je le crois.

S'agissant de la gouvernance, peut-être faut-il se poser la question de la décentralisation des nominations des directeurs d'hôpitaux et du rôle des élus à l'échelon local. On a un système de santé excessivement centralisé. Est-ce une bonne chose ? De moins en moins de personnes le pensent. Peut-être faut-il revoir le poids des élus et des acteurs de terrain.

Il faut redonner aux territoires la main sur leurs hôpitaux. On sait l'importance que cela peut avoir en termes d'aménagement du territoire et en termes économiques. Il me semblerait donc logique que les territoires puissent se saisir à nouveau de ce problème.

Vous avez parlé de centres de santé. Avec notre réseau de médecine générale, nous avons travaillé sur la question des pépinières d'internes. L'idée est d'avoir de grands axes de communication dans des zones qui ne sont pas forcément bien dotées.

Partir seul dans un endroit qu'on ne connaît pas ne donne pas toujours envie. En revanche, le fait de pouvoir se former avec des maîtres de stage à trois, quatre ou cinq, pendant six mois, est probablement plus attractif. C'est ce genre de perspectives qu'il faut développer.

Connaître un territoire est un facteur qui favorise également l'installation.

Les choses ont-elles tant changé ? En effet, et le monde hospitalier n'est plus du tout le même. C'est un problème que l'on a avec les générations les plus anciennes, qui voient la réalité à travers le filtre de leur vision d'autrefois. Le monde a changé, et pas seulement à l'hôpital.

Vous parliez des DES. À une certaine époque, il existait une vraie flexibilité. On commençait à suivre une spécialité, puis on s'orientait finalement vers une autre. Aujourd'hui, on passe le concours, puis on doit préparer une spécialité sans pouvoir en changer, sauf rares exceptions.

Il existe de plus en plus de spécialités qui sont étriquées, enfermées, et vous avez intérêt à bien travailler, parce que c'est ce qui va déterminer la suite de votre vie. Cela donne des personnes dures, déprimées, souvent peu solidaires. Comment voulez-vous éprouver la moindre once d'empathie ? Cette machine qui vous broie produit des personnalités dont les valeurs humaines sont très discutables.

Dr Thiên-Nga Chamaraux Tran . - Les choses allaient déjà mal en matière de conditions de travail avant le covid, mais elles sont désormais insupportables.

En effet, le Président de la République, à Mulhouse, le 25 mars 2020, alors qu'on avait dû monter un hôpital militaire sur un parking, avait dit : « Beaucoup a été fait, sans doute pas suffisamment vite, pas suffisamment fort. L'engagement que je prends ce soir pour eux et pour la Nation tout entière, c'est qu'à l'issue de cette crise, un plan massif d'investissement et de revalorisation de l'ensemble des carrières sera conduit pour notre hôpital. C'est ce que nous leur devons. C'est ce que nous devons à la Nation. Cette réponse sera profonde et dans la durée. »

Vous m'avez par ailleurs posé la question de savoir quelles étaient les charges administratives que nous rencontrons en plus des tâches inhérentes à notre activité médicale. Lorsque j'ai besoin d'un nouvel appareil de monitorage hémodynamique dans mon service de réanimation, il nous faut, après que plusieurs industriels nous aient présenté les différents appareillages, monter un dossier qui va passer devant une commission.

Or nous n'obtenons jamais de réponse. On nous explique au bout d'un moment qu'on ne renouvellera que le matériel nécessaire, faute de possibilité d'investissements supplémentaires.

On a perdu du temps à monter un dossier pour justifier notre demande, en expliquant ce que cet appareillage pourrait changer dans notre pratique, et cela ne sert finalement à rien. Ce sont ces charges administratives qui nous empêchent de faire notre travail correctement.

Il y a également tout ce qui a trait aux certificats totalement stupides que nous devons remplir pour attester qu'un enfant a le droit de faire de la danse, etc . ou, en réanimation, pour les assurances des personnes accidentées.

On a évoqué la nécessité d'un lien entre ville et hôpital. Le statut unique de praticien hospitalier prévoyait de définir pour chacun un pourcentage d'exercice à l'hôpital et en ville. Ceci pourrait effectivement favoriser un exercice mixte, qui a disparu avec la suppression, pour raisons budgétaires, des postes de praticiens attachés.

Cette dichotomie ville-hôpital serait selon moi plus saine qu'une activité privée dans l'hôpital public, qui engendre des dépassements. Sanctuariser l'hôpital public serait plus utile, notamment en termes de relations interpersonnelles.

On a évoqué le virage ambulatoire nécessaire pour désengorger l'hôpital. Cela ne peut se faire qu'en augmentant le nombre de médecins généralistes. Des ratios 50-50 seraient au minimum nécessaires pour pouvoir réinvestir la ville. La restauration des CES pourrait ajuster les besoins en pédiatrie, en gynécologie médicale.

Qu'en est-il de la grille des praticiens hospitaliers ? Jeunes médecins a déposé un recours devant le Conseil d'État. Nous n'avons pas de nouvelles pour l'instant. 8 000 praticiens hospitaliers ont par ailleurs exercé un recours auprès des tribunaux administratifs. Ils n'ont pour le moment pas non plus de nouvelles à propos de leur déclassement.

Mme Mathilde Renker . - Le numérique est évidemment un outil à développer au plus vite, nous sommes tous d'accord.

En ce qui concerne la maltraitance, 60 % des violences sont commises par des supérieurs, entraînant une omerta extrêmement importante à l'hôpital. On a peur de perdre un poste, de voir son stage invalidé. Évoquer ces situations, c'est faire preuve de faiblesse, et on ne veut pas paraître faible devant ses collègues.

Il faut que les agresseurs ne restent pas impunis. C'est ce qui empêche les victimes de parler. Pourquoi parler si cela ne change rien ? C'est souvent le discours d'internes qui nous rapportent les faits.

Je n'ai pas de chiffres concernant la répartition des internes entre CHU et CH. Je ne suis pas persuadée qu'il existe une différence. Les internes de médecine générale se retrouvent très souvent dans les centres hospitaliers périphériques, les CHU prenant plutôt des internes d'autres spécialités.

Étendre la possibilité de stage aux centres hospitaliers de périphérie permet une autre pratique de la médecine et de découvrir un autre monde, les CH n'ayant pas les mêmes moyens que les CHU. Le lien entre la ville et l'hôpital n'y est pas le même. Le développement de ces stages hospitaliers va devenir une nécessité pour les externes en médecine avec l'augmentation du numerus clausus .

La médecine générale a la chance de se voir proposer des stages en milieu ambulatoire. Il faudrait les ouvrir à d'autres maîtres de stage, comme les sages-femmes, les pédiatres ou de gynécologues par exemple, ce qui n'est pas le cas actuellement. Il existe des stages en pédiatrie ou en gynécologie, mais majoritairement dans des centres hospitaliers, alors qu'il pourrait être intéressant de le faire en ambulatoire, puisque c'est l'exercice qui va le mieux nous convenir par la suite. C'est une demande que nous portons.

L'exercice partagé, cela a été dit, peut créer un lien assez fort et permettrait de faire en sorte que le maillage territorial se fasse entre la ville et l'hôpital.

Il existe cependant un souci concernant les stages en périphérie par rapport aux étudiants qui n'ont pas les moyens d'y aller. Il faut bien évidemment les développer, mais dans des conditions adéquates, avec des hébergements et des moyens de transport. Les internes peuvent être amenés à déménager tous les six mois. Cela peut être très compliqué de trouver un logement en deux semaines. Nous recevons parfois nos affectations trois semaines avant. En l'absence d'hébergements territoriaux - les anciens internats ruraux - il peut être très difficile de trouver à se loger dans ces territoires, ce qui explique que les candidats demeurent dans la ville où ils habitaient initialement.

On retrouve les mêmes problématiques avec les formations initiales, celles-ci étant réalisées dans les villes où se trouvent les centres hospitaliers. Par exemple, en Auvergne-Rhône-Alpes, on compte quatre facultés, alors qu'il n'y en a qu'une en Centre-Val-de-Loire.

Enfin, les centres de santé constituent une pratique qui peut être intéressante pour les jeunes médecins installés. Cependant, il faut que ces centres soient construits avec les professionnels. Souvent, une collectivité territoriale ou une collectivité locale construisent des bâtiments inadaptés, sans pharmacie ni laboratoire de biologie à côté, et alors que l'hôpital le plus proche se trouve à 70 kilomètres. Il faut développer ces centres avec les professionnels qui vont s'y installer. Ils seront à même de déterminer leurs besoins.

Dr Agathe Lechevalier . - L'attractivité passe-t-elle par la création de centres de santé ? Je suis d'accord avec Mme Renker sur la philosophie des centres de santé, qui doit s'élaborer avec les médecins. Le salariat peut être attractif pour les jeunes professionnels, que ce soit en centre de santé ou dans des structures hospitalières, mais il faut un nombre suffisant.

J'aimerais connaître votre regard sur la problématique concernant les médecins généralistes. Que pensez-vous que font les jeunes médecins généralistes à la fin de leurs études ? Ils travaillent ! Soit ils s'installent, soit ils effectuent des remplacements, mais c'est une minorité. Ils contribuent donc déjà au système de santé.

Notre vision est certainement très différente, et je vous avoue que j'ai du mal à comprendre certaines propositions...

M. Bernard Jomier , président . - Je crois que votre organisation échange avec les uns et les autres. Si vous souhaitez nous rencontrer, vous obtiendrez beaucoup de réponses positives pour dialoguer autour de la question que vous soulevez.

Vous avez raison d'appeler à poursuivre le dialogue entre les élus et les organisations de jeunes médecins et d'internes - comme avec tous les champs professionnels. C'est pour cela que vous êtes là aujourd'hui.

Cette audition restera marquée par votre discours sur les violences et les agressions que vous décrivez, même si nous disposions déjà de remontées en ce sens. Vous êtes la jeune génération. C'est entre vos mains que se trouve l'avenir de notre système de soins et de notre système hospitalier.

Ne désespérons pas. Nous entendons ce que vous dites. Cela ne restera pas lettre morte. Ceci fera l'objet d'un rapport, assorti de propositions. Nous avons tous à coeur de faire progresser les choses.

Merci à chacun.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition commune des associations d'élus

(mardi 18 janvier 2022)

M. Bernard Jomier , président . -Nous recevons cet après-midi en audition commune les représentants des trois grandes associations d'élus.

Je suis heureux d'accueillir M. Frédéric Chéreau, maire de Douai, représentant de l'association des maires de France, M. Philippe Gouet, président du conseil départemental du Loir-et-Cher, représentant de l'Assemblée des départements de France et Mme Françoise Tenenbaum, conseillère régionale de Bourgogne-Franche-Comté, représentant Régions de France.

Il existe une dimension territoriale dans les difficultés actuelles du système hospitalier comme dans les réponses qui peuvent être envisagées. Lors de précédents projets de loi, le Sénat a beaucoup discuté de la place et du rôle des élus. Je crois qu'il existe un consensus sur une évolution nécessaire s'agissant du lien entre les élus et le système hospitalier.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. J'invite donc chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Chéreau, M. Gouet et Mme Tenenbaum prêtent serment.

M. Bernard Jomier , président . - Madame la rapporteure, vous avez la parole.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je remercie également nos trois intervenants pour leur présence. L'hôpital et, plus généralement, l'offre de soins relèvent de la responsabilité de l'État. Néanmoins, la situation actuelle des établissements hospitaliers, les tensions auxquelles ils sont confrontés et les difficultés qui peuvent en résulter pour la prise en charge des patients sont bien entendu une préoccupation majeure pour les élus et les différents niveaux de collectivité.

C'est pourquoi nous avons souhaité entendre les représentants des communes, des départements et des régions. Vos trois organisations avaient d'ailleurs élaboré une contribution commune dans le cadre du Ségur de la santé.

Vos propositions s'articulaient autour d'une meilleure organisation territoriale des soins, en s'attaquant au cloisonnement entre la médecine de ville et l'hôpital, ainsi qu'entre l'hôpital et le secteur médico-social, mais également d'une implication accrue des collectivités, la gouvernance actuelle vous paraissant trop centralisée.

L'hôpital est un acteur de santé majeur au sein du territoire. Nous voulons évoquer aujourd'hui avec vous les propositions de vos collectivités pour améliorer l'organisation des soins à l'échelle des territoires. Il s'agit à la fois de réduire certaines de ses difficultés et de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens.

M. Bernard Jomier , président . -Je donne la parole à nos intervenants pour un propos introductif de l'ordre de cinq à sept minutes.

M. Frédéric Chéreau, maire de Douai, représentant de l'Association des maires de France . -Merci d'abord de l'intérêt que vous portez aux collectivités locales dans les circonstances actuelles. Je commencerai par poser un triple constat de manière rapide, à court terme, à moyen terme et à plus long terme.

Le premier constat à court terme, issu de deux années de crise sanitaire, est que jusqu'alors, les élus se préoccupaient de santé sans toutefois en faire une priorité par rapport à l'emploi, au logement ou à l'économie. La santé a désormais pris une place beaucoup plus importante dans l'agenda politique des élus locaux. Ceux-ci, les maires au premier chef, ont découvert à quel point ils avaient été indispensables dans la gestion de la crise, notamment sur « le dernier kilomètre », c'est-à-dire dans la mise en oeuvre concrète au plus près des habitants du cadre fixé par l'état et retranscrit par les agences régionales de santé (ARS) et les préfets. Il s'agissait, en l'occurrence, d'informer, d'organiser, d'accueillir, de financer, parfois de trouver, au début de la crise, des solutions d'urgence. Je me souviens avoir moi-même mobilisé des stocks de masques FFP1 de la mairie pour l'hôpital, pour les infirmiers et infirmières de ville. Ces situations ont marqué les élus. L'importance qu'ils accordent à la santé ne cessera pas avec la crise. Les élus locaux ont aujourd'hui la volonté de s'impliquer fortement et durablement sur les thématiques de santé.

Le deuxième constat à moyen terme que dressent tous les maires est celui d'une désertification particulièrement inquiétante. Les habitants de ma ville moyenne de Douai me parlent de ce sujet chaque jour. Ils viennent me voir à ma permanence, parfois les larmes aux yeux, pour m'indiquer qu'ils n'ont plus de médecin traitant. Des pharmaciens témoignent être les seuls soignants auxquels certaines personnes du quartier rendent visite ne sachant pas où aller. Je lisais dans la presse que même une ville comme Lille commence à se poser la question de la désertification médicale. Dans des zones plus rurales du Nord, le sujet est déjà nécessairement beaucoup plus avancé. En contrepartie, je constate, en tant que président du conseil de surveillance du centre hospitalier, que le recours aux urgences explose.

Dans mon hôpital, les urgences ont été conçues au début de ce siècle pour pouvoir accueillir 40 000 entrées annuelles, ce qui paraissait large à une époque où elles en totalisaient 24 000. Mais la permanence des soins en ville était alors assurée. Aujourd'hui, nous comptons 70 000 entrées annuelles aux urgences, dont, en réalité, 70 % ne font l'objet d'aucune hospitalisation dans les services, tandis que 90 % sont hors régulation : il s'agit de personnes venant spontanément, sans être amenées aux urgences par le SAMU ou par les pompiers. Il existe aujourd'hui en France une vraie préoccupation autour de la permanence des soins, organisée en dépit du bon sens, avec une solution qui coûte cher et qui est stressante pour les soignants et pour les patients.

Le troisième constat est un constat de long terme et m'amènera à évoquer dans un instant la responsabilité populationnelle. Que devons-nous soigner et à quels besoins notre système de santé doit-il répondre aujourd'hui et demain. Les enjeux sont le vieillissement et les maladies métaboliques chroniques - diabète, insuffisance cardiaque, maladies liées à l'obésité - plus que les maladies microbiennes ou virales. Ils demandent un suivi sur le long terme prenant en compte la vie du patient. La prise en charge critique de ces maladies constitue, en l'occurrence, un aveu d'échec du suivi de la pathologie.

Face à ces constats, l'AMF porte trois propositions dont la philosophie repose sur un système de santé d'abord fondé sur le principe du maintien en bonne santé. Il s'agit de faire en sorte que les personnes ne tombent pas malades et aient le moins possible besoin de soins critiques. À cet égard, je rappelle que notre santé, en réalité, dépend minoritairement du système de santé (hôpitaux et médecins). En effet, environ 60 % de notre santé dépend de déterminants non sanitaires (le logement, l'alimentation, l'accès à une vie sociale, l'accès à la nature, etc .). L'objectif serait par conséquent de repenser notre système de santé sur une approche globale de la santé et de la vie de la personne. Il s'agira de mettre davantage l'accent sur la prévention et sur l'éducation à la santé, plutôt que d'investir toujours davantage d'argent dans les urgences, les soins lourds, l'hôpital. Certes, des moyens sont nécessaires pour les hôpitaux. Ils sont néanmoins nécessaires en repensant le système.

Sur la base de cette philosophie, la question de la gouvernance se pose. L'AMF la souhaite au plus près du terrain. Nous avons constaté en effet l'importance du dernier kilomètre de prise en charge dans l'organisation de la crise sanitaire. La gouvernance doit donc impliquer les élus à tous les niveaux, au niveau national en dialogue avec le ministère, au niveau régional en dialogue avec les ARS et au niveau départemental parce que les élus sont attachés à cette échelle et à la relation avec le préfet. La gouvernance doit inclure le préfet, cet ensemblier de l'État très précieux pour les élus locaux, qui ne laisserait pas l'ARS seule à la manoeuvre. Dans la crise sanitaire, les maires ont pu s'apercevoir en effet que la présence des préfets aux côtés des ARS était précieuse.

La gouvernance nous semble devoir être repensée notamment au niveau local, autour du maire, qui a la main sur les déterminants de santé non sanitaires. Le maire peut en effet souvent assumer un rôle de catalyseur entre la médecine de ville et la médecine hospitalière. Ces deux médecines, qui ne viennent pas de la même culture, peinent parfois effectivement à se parler. Elles ont même des interlocuteurs différents, l'Assurance maladie et l'ARS. Le maire peut assumer un rôle de catalyseur parce qu'il est souvent vu comme neutre. Le maire, de surcroît, a la connaissance de son territoire et des populations qui y résident. Dans la nouvelle gouvernance à penser, l'échelon local de gouvernance est donc peut-être celui sur lequel il est nécessaire de se pencher davantage, parce que les outils aujourd'hui n'existent pas ou sont imparfaits. La gouvernance doit probablement croiser l'hôpital et la médecine de ville au même endroit, en présence des élus locaux et des maires. Elle doit également croiser le sanitaire et le social.

Examinons par exemple les groupements hospitaliers de territoire (GHT). Dans leur état actuel, ils sont strictement hospitaliers et n'intègrent ni l'hospitalisation privée, ni la médecine de ville. Ils ont peut-être des tailles trop importante. Je crois que, sur un millier d'hôpitaux en France, il existe 135 GHT, dont certains sont des mastodontes à l'échelle d'un département, avec parfois une douzaine d'hôpitaux rattachés et une centralisation un peu forte. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) peuvent-elles être l'outil adapté ? Les CPTS sont intéressantes car elles permettent de réunir des médecins jusqu'alors dispersés, chacun dans leur cabinet. En revanche, l'hôpital n'est pas représenté dans les CPTS. Les soins de suite, le sanitaire et le social n'y sont pas davantage présents. Un outil local est par conséquent peut-être à créer. Il pourrait s'agir peut-être des contrats locaux de santé. Les contrats locaux de santé restent cependant aujourd'hui des dispositifs de petite taille. Ils n'atteignent pas la taille critique.

Je conclus avec quelques propositions pratiques. Je reviens sur le sujet de la responsabilité populationnelle, sur lequel travaille l'hôpital de Douai. Il s'agit, pour certaines maladies comme l'insuffisance cardiaque ou le diabète, d'identifier sur les territoires les personnes à risque, d'éviter qu'elles tombent malades ou que leur pathologie s'aggrave, en les accompagnant dans leur vie quotidienne. L'hôpital ne peut pas fonctionner en vase clos ; il est obligé de travailler avec la médecine de ville. La médecine de ville retrouve un rôle central dans la responsabilité populationnelle parce que le médecin de ville est l'interlocuteur de son patient. La réflexion, en outre, s'appuie nécessairement sur les nouveaux outils numériques, notamment les mégadonnées qui permettent de repérer plus facilement les personnes à risque sur une vaste population.

La deuxième proposition consiste à rendre la permanence des soins à la ville. Certes, il s'agit de revenir sur un choix qui a été réalisé au début du 21 ème siècle. Sur certains sujets, de surcroît, l'AMF n'est pas unanime. L'AMF est unanime sur les moyens à donner à la ville. Elle l'est moins sur les contraintes fixées à la médecine de ville. La question est néanmoins à se poser, tout comme la question de s'appuyer davantage sur les infirmiers et infirmières, notamment les infirmiers et infirmières en pratique avancée. Ils peuvent peut-être suppléer les médecins sur quelques tâches. Pourquoi ne pas également croiser la présence d'infirmiers et infirmières en physique face aux patients avec la présence d'un médecin en télémédecine, notamment le soir ou le week-end aux horaires de garde. Nous ne manquons pas d'infirmiers et d'infirmières sur mon territoire, où la désertification médicale est une réalité. Nous disposons d'un nombre suffisant d'infirmiers et d'infirmières qui se déplacent à domicile, même le week-end, y compris le dimanche.

La proposition suivante consiste à revoir le financement de l'hôpital en sortant au moins en partie de la tarification à l'activité (T2A), qui favorise une course à l'activité et parfois une activité autosuscitée. Les financements, en l'occurrence, seraient liés aux indicateurs de santé du territoire, avec la possibilité de garder le bénéfice de certaines économies comme celles liée à la réduction de l'activité hospitalière, notamment le moindre recours aux urgences.

Le sujet suivant est sensible à l'AMF. Il s'agit de la possibilité de mieux répartir contraintes et moyens entre hospitalisation privée et hospitalisation publique. À mon sens, ce sujet doit être abordé. L'hôpital public a porté l'essentiel de la charge durant la crise sanitaire. Aujourd'hui, il est « récompensé » par un différentiel de plus en plus élevé de salaires entre secteur privé et secteur public et par la fuite de ses professionnels et de ses patients.

M. Bernard Jomier , président . -Vous avez commencé en indiquant que les élus et les maires s'étaient récemment approprié la problématique de santé ; l'appropriation a été rapide. Vous avez proposé en effet un programme de santé publique extrêmement complet.

M. Philippe Gouet, président du conseil départemental de Loir-et-Cher, représentant de l'Assemblée des départements de France . - Merci, Monsieur le président, Madame la rapporteure, pour ce temps d'échange avec nos collectivités territoriales. J'ai proposé un titre à mon introduction : l'hôpital en danger.

Trois réformes ont déstabilisé l'hôpital, les 35 heures qui n'ont pas été suffisamment compensées par des embauches, l'introduction d'une logique de rentabilité en 2004 avec la tarification à l'activité, qui révèle beaucoup d'effets pervers, et la réforme de 2009, avec la loi HPST, qui a déresponsabilisé les médecins dans la gestion des établissements.

Les réformes récentes n'ont par ailleurs pas tenu suffisamment compte d'éléments sociétaux, comme l'allongement de la durée de vie, la progression des maladies chroniques, la persistance des inégalités de santé, que la modernisation du système de santé n'a toujours pas réglés. Les hôpitaux français ont, de surcroît, fait le choix de conserver en interne de nombreux emplois (personnels de ménage, administratifs, restauration, agents techniques), quand la plupart des pays du monde recourt à des sous-traitants privés. En conséquence, un tiers des effectifs des hôpitaux sont des personnels non-soignants, contre un quart en Allemagne, en Italie ou en Espagne.

Au-delà des polémiques sur le nombre de lits fermés, médecins et responsables hospitaliers sont nombreux à s'alarmer de voir les soignants « quitter le navire ». Selon une enquête réalisée l'été dernier par la Fédération hospitalière de France, 25 000 postes d'infirmières et d'aides-soignants seraient vacants, auxquels il convient d'ajouter un tiers des postes de praticiens hospitaliers, sans compter un absentéisme de 11,5 %, au lieu des 9 % habituels. L'ensemble des régions sont touchées à des degrés divers (urgences fermées la nuit, unités de soins qui ferment, opérations reportées, avec toujours ces mêmes images de brancards dans les couloirs).

L'hôpital de Valenciennes expérimente depuis 10 ans une gestion décentralisée et compte seulement 5 % de personnel non médical, déléguant 80 % du budget aux chefs de pôle, qui peuvent ainsi recruter des personnels et acheter des équipements rapidement en fonction de leurs besoins. Cette autonomie laissée aux médecins libère l'esprit d'initiative. Les résultats sont éloquents. Le taux d'absentéisme est inférieur à 8 %. Ce type d'établissement est excédentaire depuis 7 ans.

Le département est un acteur de santé publique à part entière. Il constitue l'échelon essentiel du dispositif relatif à l'action sociale et médico-sociale. Il dispose en effet de la compétence en matière de protection maternelle et infantile (PMI). Il contribue à la résolution des difficultés médico-sociales liées à la périnatalité et à la petite enfance. Les compétences des départements en matière de santé publique se retrouvent également dans la prévention et le dépistage de la tuberculose, des maladies sexuellement transmissibles ou du cancer.

Par ailleurs, le département exerce sa compétence dans le domaine du handicap (insertion sociale et aide financière aux personnes handicapées, gestion des maisons départementales des personnes handicapées), ainsi que dans celui de la dépendance par la création et la gestion des maisons de retraite notamment. Citons de surcroît la politique de maintien des personnes âgées à domicile.

Se pose également la question du transfert de la médecine scolaire au département. Cette question a été posée avec le projet de loi 3DS via l'adoption d'un amendement demandant au Gouvernement un rapport retraçant les perspectives du transfert de la médecine scolaire au département, son coût, les modalités de recrutement et de gestion des personnels envisagés. Ce transfert de la médecine scolaire au département doit préparer l'avènement d'un service médical de PMI et de santé scolaire pour les 0 à 16 ans.

Enfin, les départements gèrent les SDIS (services de secours de sapeurs-pompiers). D'abord confrontés à la carence ambulancière, les SDIS sont aujourd'hui mis en présence de la réforme de la garde ambulancière. Pilotés par le ministère de la santé depuis 2019, les travaux préparatoires n'ont pas inclus les collectivités territoriales avant le début de l'été 2021. La réforme du transport sanitaire urgent prévoit de mettre en oeuvre la garde ambulancière en continu et l'organisation selon les découpages géographiques et horaires. Elle prévoit de ne pas couvrir les secteurs et plages horaires qui justifient moins de deux interventions, ce qui nuit aux zones rurales. En conséquence, le seul recours hors couverture de la garde ambulancière sera les sapeurs-pompiers et les SDIS. Les inégalités entre territoires risquent de se creuser. Les plus pénalisés sont souvent les plus modestes. Ces derniers pourraient connaître des ruptures capacitaires.

Il s'agit de mieux intégrer l'hôpital dans les politiques d'aménagement du territoire. Face aux déserts médicaux qui affectent les territoires, les Français veulent consolider l'offre de soins, afin de la rendre plus accessible dans la proximité. Les collectivités territoriales, en particulier les départements, ont oeuvré pour la mise en place des maisons de santé, la mise en circulation de bus santé prévention dans les territoires les plus fragiles, l'octroi de bourses aux étudiants de médecine, le recrutement direct de médecins par des départements dont les moyens budgétaires le permettent. Malgré ces initiatives, il convient d'aller plus loin et d'inscrire ces initiatives en lien avec l'acteur hospitalier. Les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET) doivent être renforcés dans leur chapitre d'accès aux soins, d'où la nécessité d'une étroite concertation avec les départements du territoire. Cette proposition a été avancée par l'ADF lors des négociations sur le projet de loi 3DS adoptée au Sénat en première lecture.

Il s'agit en outre de mettre en place les nouvelles dispositions de la loi 3DS clarifiant la possibilité pour les départements de créer des centres de santé. Selon l'étude d'impact jointe au projet de loi, cette évolution se justifie par la volonté de certains départements de contribuer à remédier à la désertification médicale en articulation avec les compétences déjà développées par les départements sur leur territoire, notamment via le service public de protection maternelle et infantile.

Cette même étude d'impact précise que cette mesure vise à consolider la situation juridique des centres de santé qui ont déjà été ouverts à l'initiative des départements et, par voie de conséquence, à pérenniser leur existence. Le corollaire est de permettre aux communes, aux EPCI et aux départements qui créent des centres de santé de recruter les personnels qui y travailleront.

Je vous donne un exemple. Les centres de santé du département de Saône-et-Loire, créés en septembre 2017, ont bénéficié de cofinancements des communes d'intercommunalités, de l'ARS et de la caisse primaire d'assurance maladie. Le département s'est appuyé sur l'expertise de la Fédération nationale des centres de santé. Il a proposé des conditions d'exercice attractives pour les médecins à la fois en prenant en charge les fonctions support et en leur versant une rémunération adossée à la grille des praticiens hospitaliers avec un temps de travail de 35 heures annualisées. Cette initiative du département a permis, entre 2017 et 2019, de recruter 55 médecins généralistes et d'ouvrir 24 lieux de consultation, 5 centres et 19 antennes. Ce concept a inspiré d'autres projets dans les départements de l'Orne et de la Corrèze. De même, le département de l'Ain a créé en 2020 un centre de santé départemental. Le département du Gers vient également de prendre cette initiative.

Il s'agit en outre de mieux associer les élus départementaux aux politiques de santé. Les départements ont réitéré leur proposition de siéger au sein des ARS, afin de faire connaître les besoins de santé de leur territoire. À cet égard, lors de leur contribution au Ségur de la santé, le 8 juillet 2020, les trois associations d'élus de Territoires unis ont estimé qu'au fil des années, notre système de soins s'était éloigné des réalités territoriales et que les ARS apparaissaient comme des bras armés du ministère de la santé, éloignées des réalités locales et de la vie quotidienne de nos concitoyens. Les départements regrettent par ailleurs la faible place donnée, dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), aux partenariats avec les conseils départementaux et les établissements des secteurs médico-sociaux. La porte doit leur être ouverte car elle permet d'éviter les ruptures dans les parcours de soins et de prendre en compte des difficultés sociales persistantes, de logement en particulier, produisant des conséquences sur la santé. Des formations dédiées à la coordination des soins et de l'accompagnement social doivent également être encouragées, d'où un rapprochement des collectivités territoriales avec des facultés de médecine.

Dans le secteur du transport sanitaire effectué par les sapeurs-pompiers, les départements plaident pour la mise en place d'un numéro d'urgence unique, la présentation d'une étude d'impact sur la réforme de la garde ambulancière pour les 102 départements, l'assurance de toute absence de transfert de coûts par une tarification spécifique des heures de gardes assurées par les SDIS, en lieu et place des transporteurs privés, venant s'ajouter à la facturation des carences.

Cette position est partagée par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. Enfin, citons la préparation de conventions SAMU - SDIS opérantes qui sécurisent le paiement de toutes les facturations que le SDIS adresse à l'hôpital.

Je vous remercie, Monsieur le président, pour votre écoute.

M. Bernard Jomier , président . - Je vous remercie pour votre contribution très riche.

Mme Françoise Tenenbaum, conseillère régionale de Bourgogne-Franche-Comté, représentante de Régions de France . - Je vous remercie de nous inviter à nous exprimer sur la problématique de l'hôpital public et du système de santé en France. Je ne reviendrai pas sur l'implication des régions dans les déterminants de santé. Les régions sont en effet fortement impliquées dans l'agriculture non polluante, dans la qualité de l'eau, dans la qualité de l'air par les transports, dans l'aide qu'elles apportent au logement et également sur la formation. Il existe en effet un lien fort entre le niveau d'études et la santé de la population.

Mon propos se centrera sur l'hôpital puisque l'hôpital se meurt. Services d'urgence, maternités, nombre de lits et services ferment faute de disposer de personnel et de moyens suffisants. Cette situation devient intenable pour notre pays. Un électrochoc est donc nécessaire pour sortir notre système de santé de l'agonie dans laquelle il est plongé. Si le Ségur de la santé a permis un rattrapage au niveau bâtimentaire et apporté une revalorisation des salaires, ces dispositions restent encore très insuffisantes et ne permettront pas de mettre fin à l'hémorragie de personnels hospitaliers.

Les régions alertent donc sur l'abandon progressif de notre système de santé et appellent à une prise de conscience forte du péril de la situation actuelle. Elles refusent cette fatalité et demandent à l'État de prendre des mesures radicales rapidement, sans quoi l'ensemble de notre système de santé publique s'éteindra à court terme. Tandis que les soignants quittent l'hôpital public, l'État demande aux régions de former de plus en plus de personnels. Les régions interpellent l'État pour qu'il améliore leurs conditions de travail, augmente leur rémunération et réforme le management.

Les régions alertent également l'État sur un autre sujet majeur, les inégalités d'accès aux soins. La question de la démographie médicale est plus que préoccupante, à l'heure où les distances à parcourir pour trouver un médecin sont de plus en plus importantes, où les délais s'allongent et où certains patients font face à des refus d'être pris en charge par des médecins débordés. Dans de nombreux territoires, nos concitoyens renoncent à se faire soigner non seulement par manque de médecins généralistes et spécialistes, mais également par manque de personnel médico-social notamment à domicile. La situation est dramatique d'autant plus que la population française vieillit et qu'en conséquence, les besoins continueront à augmenter.

Il est par conséquent primordial de traiter de manière urgente du maintien en poste des professionnels de santé. Nous constatons une diminution de la durée des carrières, notamment chez les infirmières. Quand, après 3 années de formation, les infirmières restaient 15 ans en poste, la durée des carrières a été réduite de 50 % pour passer à présent à 7 ans. Il est donc nécessaire de former deux fois plus d'infirmières pour maintenir un volume constant. Le manque de sens du métier ajouté à une absence d'évolution de carrière affaiblit encore un peu plus l'attractivité du métier. J'ai pu auditionner, à la Conférence nationale de santé à laquelle j'appartiens, une infirmière qui nous a indiqué « Je n'ai plus le temps de m'occuper des patients. Le temps administratif, le temps informatique est beaucoup trop grand et nous empêche d'accompagner les patients. Nous faisons des actes, mais nous n'accompagnons plus nos patients. » Les professionnels considère que leur travail perd de son sens.

J'en appelle par conséquent à la création de nouveaux métiers et d'accompagnements administratifs pour nos équipes de soins, afin de les libérer de cette emprise informatique. Nous avons certes besoin de pouvoir flécher et suivre les actes réalisés pour éventuellement des poursuites juridiques. Cette tâche pourrait néanmoins être déléguée à d'autres personnes qui accompagneraient les équipes de soins et les infirmiers.

La manière dont sont fixés les quotas d'entrée en formation et la vétusté des bâtiments de formation sont également questionnées. Une plus grande souplesse dans l'évolution des carrières des aides-soignants, en rendant plus simples les passerelles avec le métier d'infirmière, serait perçue comme un signal positif. Il convient d'étudier en particulier la possibilité d'entrer dans le métier d'infirmière par l'apprentissage. En outre, un effet paradoxal du Ségur de la santé rend difficile le recrutement d'infirmières dans le secteur privé non lucratif compte tenu de l'absence de revalorisation salariale.

Toute la gestion des ressources humaines au sein de l'hôpital doit être revue. Il est nécessaire que le corps médical soit davantage impliqué dans la gouvernance et dans la structuration de l'hôpital public. La transformation progressive du métier de médecin est en outre à prendre en compte. La baisse des temps de travail couplée à une féminisation toujours plus forte de la profession est également à prendre en compte. La féministe que je suis observe que les femmes subissent des pressions extérieures dans leur vie personnelle qui les empêchent de donner davantage de temps qu'elles n'en donnent à l'hôpital. Cette situation a grandement modifié le mode d'exercice de la profession.

Le manque de médecins, notamment dans les hôpitaux publics, et les conditions d'accueil des étudiants en médecine doivent être améliorés. Les régions sont fortement impliquées dans le logement, le lieu de formation, la réhabilitation des internats.

Il est nécessaire de mettre en place des groupements de médecins et d'autres professionnels sur le type des maisons de santé pluriprofessionnelles. La première d'entre elle a été créée en Bourgogne il y a 17 ans. Il est indispensable de renforcer ses structures avec d'autres professionnels et d'autres matériels.

L'engorgement des hôpitaux, dont mes collègues ont fait état, dépend du défaut de permanence des soins du secteur libéral. Nous devons revenir sur le code de déontologie qui n'impose plus depuis quelques années aux médecins de réaliser des gardes. Le Ségur de la santé doit tenir ses promesses en matière d'investissement. L'hôpital public doit s'engager dans une réflexion sur l'impact écologique de ce mode de travail. Citons également la situation extrêmement préoccupante des hôpitaux psychiatriques et de la sectorisation, qui n'accompagne plus des malades dont les comportements peuvent être violents, avec des conséquences extrêmement graves sur la sécurité civile.

Je vous donne quelques exemples de l'intervention des régions. Citons en premier lieu le financement de petits matériels et d'équipements, le financement de locaux via les fonds européens et les contrats de plan État-région pour plusieurs millions d'euros, le financement de centres hospitaliers, notamment en Normandie, en complément des crédits Ségur, l'amélioration des conditions de stages avec la rénovation des internats en médecine, la participation au financement des maisons de santé et des transports vers les médecins, le recrutement de professionnels de santé (médecins salariés par la région Centre-Val de Loire et bientôt la création de centres de santé par l'Occitanie), le développement de politiques d'incitation à l'implantation professionnelle de santé, le développement des politiques de prévention (nous avons notamment participé à la mission de refondation de la santé publique du professeur Chauvin), le développement de la téléconsultation, le développement de l'innovation.

Nous proposons en piste d'amélioration le développement d'hôpitaux de proximité afin de réguler les inégalités territoriales d'accès aux soins et la création de postes de chefs de clinique assistants territoriaux partagés à partir des CHU. Les régions plaident également pour une nouvelle gouvernance de la santé. Ces propositions ont été portées lors de débats au projet de loi 3DS. Les régions préconisent une coprésidence effective des ARS par les présidents de région aux côtés des préfets de région, une transformation du conseil de surveillance de l'ARS en conseil d'administration, avec une réaffirmation de la place des élus locaux. Les régions, en lien avec les universités et les ARS, codécideraient de la répartition des internes sur le territoire. Avec l'idée qu'il est nécessaire de rapprocher les politiques publiques de santé des réalités du terrain, enfin, les régions plaident pour faire des bassins de vie et de la confiance dans les élus locaux le pivot des contrats locaux de santé (CLS), véritables outils de proximité de la politique sanitaire sociale et médico-sociale en région.

Évoquons également les CLS nouvelle formule et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Autour de l'organisation des professionnels d'un projet de santé, les CLS deviendraient les supports de référence traduisant l'engagement des porteurs de la politique de santé à donner les moyens aux acteurs de terrain pour la mettre en oeuvre. De même, les CLS et les CPTS seraient un levier de négociation contractuelle pour adapter les dispositifs aux besoins. Les CLS constitueraient également une organisation de santé efficace à l'échelle du bassin de vie.

En ce qui concerne les nouveaux métiers, il convient de permettre le déploiement des infirmiers en pratique avancée (IPA) en créant des exercices mixtes. En effet, actuellement, les IPA exercent dans les hôpitaux, sans parvenir à s'installer en médecine de ville, en l'absence de convention avec les médecins généralistes. Il est par conséquent indispensable de créer des exercices mixtes.

Il est nécessaire également d'aller au terme de la décentralisation concernant les formations sanitaires et médico-sociales. En effet, les régions financent actuellement des formations sans en maîtriser les quotas. Une coprésidence avec l'ARS permettrait de fixer ces quotas en fonction des besoins.

S'agissant de l'universitarisation des formations sanitaires et sociales, les enseignants qui passent d'un statut hospitalier au statut universitaire demandent un complément de salaire aux régions. Il est également nécessaire de créer des incubateurs de cabinets médicaux pour aider les jeunes médecins à s'installer, parce qu'ils n'ont pas reçu de formation en management d'équipe ou en gestion d'entreprise.

M. Bernard Jomier , président . - Je vous remercie. Vous pouvez évidemment nous transmettre par écrit les documents complets. La parole est à la rapporteure.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . -Vous avez évoqué les outils existants, dont le GHT, qui concerne exclusivement l'hôpital public, et le contrat local de santé. Lors de nos auditions, nous avons retrouvé une forme de consensus quant à la nécessité d'une meilleure organisation territoriale des soins, avec un maillage territorial à l'échelle du bassin de vie, auquel se rattacherait l'ensemble des acteurs de santé (hospitaliers, libéraux), et au sein duquel le patient serait situé au coeur du dispositif. Il s'agirait nécessairement d'une organisation distincte des GHT, qui ne concernent que l'hôpital public, et des CPTS, qui regroupent essentiellement des acteurs de ville. Nous disposerions d'un niveau spécifique. Pour ma part, je ne crois pas que le contrat local de santé soit l'outil adapté à cet échelon. Le contrat local de santé s'établit à l'échelon communal, voire intercommunal. En revanche, il possède une véritable utilité en matière de prévention et de santé publique. Avez-vous réfléchi, dans vos associations, à cette organisation territoriale plus large que l'existant en silos ?

Vous avez évoqué la permanence des soins. Avez-vous, sur vos territoires, expérimenté le service d'accès aux soins (SAS) ? Si tel est le cas, quel regard portez-vous sur ce dispositif qui permet de décharger les urgences ?

Concernant les investissements hospitaliers, outre le Ségur de la santé, le projet de loi 3DS prévoit une participation des collectivités locales. Quelle est votre appréciation sur ce point ?

Lors de nos auditions, nous avons constaté le rôle de la formation initiale et de la formation continue, qui permettent des passerelles. La région est en charge de la formation. Avez-vous en tête des solutions, en termes de formation, qui permettraient de fidéliser les soignants en établissement public ou privé, voire de faire revenir des soignants qui sont partis.

Mme Françoise Tenenbaum . - La permanence des soins est un problème. Un médecin doit pouvoir travailler de 8 h 30 du matin à 18 heures, s'arrêter le soir et ne pas avoir de garde le week-end. À cette fin, le médecin ne doit pas travailler seul, mais en groupe, avec une véritable permanence des soins. SOS Médecins intervient dans certaines villes, mais n'est pas présent dans les territoires ruraux. Surtout, SOS Médecins n'assure pas de suivi du patient. La qualité des soins n'est donc pas au rendez-vous. Nous devons revenir au médecin traitant qui connaissait le malade, avec plusieurs médecins travaillant entre eux, avec un accès au dossier du malade, y compris le week-end et la nuit.

M. Bernard Jomier , président . - Vous demandez aux médecins qui travaillent beaucoup dans la journée de prendre, de surcroît, des gardes. Vous avez parlé de solutions collectives. Des expériences de maisons médicales de garde ont notamment été menées. Il s'agirait d'aller dans ce sens. Par ailleurs, l'affirmation selon laquelle SOS Médecins n'apporte pas une réponse de qualité sur la question de l'urgence me paraît brutale.

Mme Françoise Tenenbaum . - Ce type de médecin ne connaît pas le vécu ou le dossier de santé du patient. Il ne soigne que la pathologie qui se présente à lui en urgence. Il ne peut pas connaître le reste.

Mme Marie-Christine Chauvin . - C'est de l'urgence.

M. Bernard Jomier , président . - Poursuivez. Comment voyez-vous l'organisation territoriale que vous appelez de vos voeux ?

Mme Françoise Tenenbaum . - En Allemagne, il existe des regroupements de professionnels (des médecins, des infirmiers, des personnels paramédicaux, des ergothérapeutes, des psychologues, des kinésithérapeutes, etc .). Ils travaillent ensemble. Ils se partagent une population. Nous revenons ainsi au thème de la responsabilité populationnelle. J'imagine qu'ainsi, l'ensemble du dossier médical et le vécu du malade sont pris en compte, même pour un appel en urgence.

Le malade n'est pas seulement un corps ou une psyché. Il est également un vécu, avec une influence sur son état de santé. La responsabilité populationnelle est par conséquent essentielle. Elle pourrait être partagée dans des maisons de santé pluriprofessionnelle élargies. Un coordinateur serait évidemment nécessaire, ainsi que des assistants, médecins et infirmiers perdant beaucoup de temps à enregistrer les données sur informatique. J'appelle à la création de ces nouveaux métiers pour accompagner les soignants.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Vous parlez d'assistants médicaux.

Mme Françoise Tenenbaum . - Oui.

Concernant les formations, il est certain qu'un dialogue plus rapproché entre les ARS et les régions permettrait de définir ensemble les quotas de chaque profession à former puis de les suivre. Il serait également possible de se donner des objectifs de formation à moyen et long terme et d'examiner ensuite la manière de les assumer, les moyens à octroyer, les évaluations à mettre en oeuvre et le déploiement sur le territoire. Souvent, dans les régions, les professionnels formés partent. Nous devons tenter de les garder. Cette mission n'est pas simple.

M. Philippe Gouet . - M'accordez-vous quelques instants pour vous communiquer quelques chiffres sur l'hôpital ? Concernant le taux de mortalité à la suite d'un AVC, sur 100 admissions à l'hôpital, la France se trouve en situation de recul par rapport à l'Espagne, le Royaume-Uni, la Belgique et l'ensemble des pays de l'OCDE. Nous sommes à peine mieux placés que les Italiens. Pour des soins classiques tels qu'une pose de prothèse totale de genou ou de hanche, concernant les complications opératoires par manque de personnel pour suivre les patients, nous enregistrons un des taux de mortalité les plus importants en Europe. Il est supérieur à celui des États-Unis. La situation est relativement inquiétante. S'agissant des conditions de travail dégradées, 72 % des sages-femmes, infirmiers et infirmières estiment travailler souvent en se dépêchant. 65 % estiment travailler sous pression. 65 % estiment avoir une quantité de travail excessive, 59 % estiment ne pas disposer d'un matériel adapté suffisant. Ces chiffres montrent que la situation dans nos hôpitaux est relativement critique.

Au niveau des paramètres financiers, la France occupe l'avant-dernier rang en Europe. Les infirmières du Royaume-Uni sont simplement un peu plus mal rémunérées que les infirmières françaises. Une infirmière qui travaille la nuit gagne au taux horaire 1,15 euro supplémentaire. Une infirmière de l'Assistance publique de la ville de Paris est moins rémunérée qu'un éboueur de la ville de Paris. Je ne critique pas la rémunération des éboueurs de la ville de Paris...

M. Alain Milon . - Les infirmières ne travaillent pas pour la ville de Paris.

M. Philippe Gouet . - J'établis une comparaison salariale. Les infirmières de l'Assistance publique de la ville de Paris sont globalement moins rémunérées que les éboueurs.

M. Bernard Jomier , président . - Il s'agit de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP).

M. Philippe Gouet . - Je me suis mal exprimé. Excusez-moi.

M. Bernard Jomier , président . - La ville de Paris n'est pas concernée. Ne donnons pas le sentiment qu'une collectivité territoriale sous-paie les infirmières par rapport aux éboueurs.

M. Philippe Gouet . - Les statuts sont différents. L'exemple est cependant parlant.

Concernant la permanence des soins, je ne partage pas votre avis, Madame Tenenbaum, sur SOS Médecins. Dans notre département rural du Loir-et-Cher, la démographie médicale est extrêmement préoccupante. La moyenne d'âge de nos médecins généralistes est la plus élevée de de France. Des praticiens de SOS Médecins ont été intégrés à maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). Ils assurent des soins non programmés, des consultations que ne peuvent pas réaliser les médecins traitants. Ils permettent de désengorger les services d'urgence hospitaliers. Pour une bronchite, par exemple, il n'y a pas une grande nécessité de disposer d'un historique complet de l'état de santé du patient. Il ne s'agit certes pas d'une solution miracle. Néanmoins, elle est appréciée par nos habitants dans nos territoires ruraux, qui obtiennent une réponse rapide à une demande de consultation.

Concernant les investissements hospitaliers, nous sommes un des pays d'Europe où le taux d'investissement dans les hôpitaux est le plus faible depuis plusieurs années.

S'agissant de la suppression du numerus clausus , je comprends que les doyens de faculté soient mis en difficulté, faute de capacités à accueillir les étudiants. Par exemple, la faculté de Tours a dû recevoir une vingtaine d'étudiants supplémentaires, mais ne pouvait en accueillir que onze. Des cours sont donnés dans des salles de spectacles. Dans les amphithéâtres, les étudiants envahissent les escaliers pour noter les cours sur leurs genoux. Je pense par conséquent que les moyens nécessaires doivent être donnés à nos facultés pour leur permettre d'assurer dans des conditions acceptables la formation des étudiants en médecine. Il s'agit d'un paramètre important.

M. Bernard Jomier , président . - Alain Milon se souvient certainement qu'au moment du vote de la loi d'Agnès Buzyn, le doyen de la faculté de Tours avait indiqué souhaiter une baisse du nombre de ses étudiants par manque de moyens de formation dans des conditions convenables. Vous avez tout-à-fait raison.

M. Frédéric Chéreau . - Vous avez posé la question de l'outil transversal nécessaire au système de santé à l'échelon local. Je reconnais qu'en l'état actuel, les contrats locaux de santé ne sont pas suffisamment outillés en ingénierie. L'hôpital et la médecine de ville n'y ont pas suffisamment leur place en termes de pilotage. Le problème des GHT et des CPTS vient du fait que la ville juge le GHT trop hospitalier jusqu'à s'en méfier et inversement pour les CPTS.

Les maires, aujourd'hui, président le conseil de surveillance de leur hôpital. Ils occupent un strapontin dans les GHT. Nous pourrions imaginer que le conseil des élus du GHT puisse être ouvert à la médecine de ville, au secteur sanitaire et social, etc . Cependant, le conseil des élus d'un GHT n'est pas un lieu décisionnel. Un lieu est par conséquent probablement à créer. Je crois qu'en tout cas, il est nécessaire non seulement de croiser médecine de ville et médecine hospitalière, mais, également d'associer les élus locaux, à l'échelle de l'agglomération ou de la commune, la notion de bassin de vie étant de toute façon importante, les techniciens des unités territoriales de prévention et d'action sociale (UTPAS) et peut-être un élu départemental référent.

Concernant la permanence des soins, je n'ai pas expérimenté le SAS sur mon territoire. Nous possédons une maison médicale de garde.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - La maison médicale de garde est-elle adossée à l'hôpital ?

M. Frédéric Chéreau . - Elle est effectivement située sur le site de l'hôpital. Elle s'occupe essentiellement de pédiatrie. Nous nous étions interrogés sur la possibilité de la positionner devant l'entrée des urgences. En effet, des personnes se rendent directement aux urgences. Sur un territoire pauvre comme le nôtre, il existe un vrai sujet, celui du tiers payant. À la maison médicale de garde, comme chez les médecins de ville, le tiers payant s'applique, au contraire des urgences. Les urgences coûtent pour autant plus cher au contribuable. En effet, un passage aux urgences, avec les examens biologiques réalisés sur la personne, coûte 200 euros. Chez le médecin, le coût est de 27 euros.

S'agissant de la question de la participation des collectivités aux investissements hospitaliers, les élus locaux sont certes favorables à l'association de leurs collectivités à l'ensemble des échelons de décision du système de santé. En revanche, ils restent convaincus que la santé est une compétence régalienne. Le même niveau de santé doit être proposé d'une vallée des Alpes à la région parisienne ou de la côte à l'intérieur du pays. Le risque est de créer des inégalités d'un territoire à l'autre. J'ai fait partie d'une majorité régionale qui finançait parmi les premières les scanners et les IRM. En revanche, le passage de la possibilité à l'obligation interroge, en termes d'égalité d'accès aux soins sur tout le territoire français.

J'ajoute un mot sur la formation et sur la répartition des internes sur un territoire. La région a certainement un rôle à assumer en termes de cartographie médicale (cartographie des spécialités à l'échelle de la région, cartographie de la répartition des internes). Aujourd'hui, les internes suivent majoritairement leurs stages dans les CHRU. Nous en avons besoin dans nos hôpitaux (hôpitaux de proximité ou hôpitaux non universitaires), voire en médecine de ville. Les internes se découvriraient peut-être une vocation. Pour ma part, je déploie actuellement des solutions pour loger les internes en ville et leur expliquer ce que la ville a à leur offrir en termes d'attractivité. Le fait d'encourager les internes à sortir du cadre hospitalo-universitaire voire du cadre hospitalier est un enjeu important

M. Bernard Jomier , président . - Merci. Passons aux questions de nos collègues.

Mme Nadia Sollogoub . -J'ai été saisie par l'Association des maires ruraux de France, qui s'inquiète du forfait patient urgences mis en place depuis janvier 2022. Qu'en pensez-vous ? Il me semble que le passage aux urgences impose de payer 19 euros s'il n'y a pas d'hospitalisation ensuite. Je suis élue de la Nièvre. Certains patients n'y ont plus de médecin traitant. Ils se rendent aux urgences parce qu'ils ne savent pas où aller.

Par ailleurs, concernant la possibilité pour les urgences de mettre en place un numéro unique, le 15 relève déjà d'un regroupement régional dans la Nièvre. Certains départements fonctionnent déjà en regroupement régional.

Mme Sonia de La Provôté . - Je souhaite remettre en perspective la question de la permanence des soins et les horaires pratiqués par les médecins généralistes. Dans la dernière promotion de l'internat, l'ultime choix concernait la médecine générale. Sept spécialités n'ont pas été complètes, dont la médecine générale. Celle-ci représente la portion congrue des promotions et en son sein, beaucoup choisissent ensuite un exercice salarié et d'autres, pour des raisons pratiques et financières, d'exercer autrement qu'en soins de premier recours, dans des exercices spécialisés.

Finalement, parmi cette portion congrue ayant choisi la médecine générale, ceux qui souhaitent se rendre dans les territoires pour soigner en premier recours s'entendent dire qu'ils ne travaillent pas suffisamment et doivent assumer les gardes. Ce discours est difficile à tenir. Le discours vis-à-vis des libéraux « coeurs vaillants » prêts à effectuer l'accès aux soins et à prendre en charge les patients doit être revu. Il doit devenir plus encourageant que celui qui consiste à affirmer que ces médecins ne travaillent pas suffisamment. Une réflexion doit être menée pour émettre de nouvelles propositions.

Nous nous félicitons en outre des interventions de SOS Médecins. Certes, il ne s'agit pas de soins classiques, mais d'une médecine d'urgence, dont nous avons cependant besoin. De son côté, l'élargissement du secteur d'activité de SOS Médecins au-delà des villes dans lesquelles il était installé a rendu de grands services aux médecins généralistes « coeurs vaillants » qui travaillent dans les territoires.

M. Alain Milon . - Certains sujets me perturbent. Le représentant des départements a critiqué la semaine des 35 heures, la T2A et la loi HPST. La semaine des 35 heures relève d'une loi sociale qui s'est imposée à tous, y compris aux hôpitaux, sans concertation avec eux. La T2A a été mise en place en 2004 car les budgets globaux n'étaient pas satisfaisants pour les hôpitaux. Une évolution était nécessaire. La solution trouvée était la T2A, avec un effet inflationniste extrêmement important, et surtout le fait qu'ensuite, le tarificateur a joué sur les tarifs, en les réduisant régulièrement, entraînant la situation que vous avez dénoncée. La loi HPST a été votée à une époque où le déficit de la sécurité sociale avoisinait les 28 milliards d'euros. Une solution était indispensable pour mieux réguler l'ensemble des dépenses. Nous pourrions en discuter longuement. Je connais les défauts et les qualités de chaque loi. J'ai eu des discussions sur le sujet avec les différents ministres.

Vous avez également évoqué le fait que, dans les hôpitaux français, un tiers du personnel n'était pas du personnel médical, contre un quart dans les autres pays européens. La comparaison vaudrait sur l'ensemble des budgets consacrés au fonctionnement de l'hôpital. En effet, une réduction du personnel technique, par exemple, entraînerait le recours à des sous-traitants payés sur le budget de l'hôpital. Ces sous-traitants ne sont pas comptabilisés dans les personnels non médicaux des autres pays. À mon sens, le total de l'ensemble des lignes budgétaires rapprocherait la situation des autres pays européens de la situation française. Je ne suis pas certain, par conséquent, que les difficultés actuelles soient dues au fait qu'un tiers des personnels des hôpitaux ne soient pas des personnels médicaux. J'étais dans le Nord vendredi dernier. J'ai vu l'expérience extrêmement intéressante et passionnante de l'hôpital de Valenciennes. Je crois que nous devrions davantage nous y référer pour étendre l'expérimentation.

Je reviens à ma question. La France consacre, par la sécurité sociale et les mutuelles, près de 250 milliards d'euros à la santé de ses concitoyens. Le pourcentage du PIB consacré à la santé est probablement en France le plus fort d'Europe. La question n'est donc pas une question de finances, mais d'organisation. Préconisez-vous un système de grande sécurité sociale, un système à l'anglaise, un système à l'américaine ? Avez-vous d'autres solutions ?

M. Laurent Somon . -Les collectivités n'ont-elles pas une responsabilité dans la situation actuelle ? Par exemple, pour la construction de l'offre de soins de proximité, les maisons médicales sont souvent issues des programmes municipaux. Une concertation entre les collectivités ne serait-elle pas nécessaire ? Les collectivités sont toujours prêtes à aider, sans pour autant qu'il existe un véritable schéma d'organisation. Les maisons médicales issues d'un projet communal trouvent souvent un écho favorable tant au niveau du département qu'à celui de la région, indépendamment de la répartition géographique nécessaire pour la bonne couverture de l'offre de soins de proximité.

M. Bernard Jomier , président . -Il est marquant de constater que le débat sur l'hôpital dérive toujours sur l'environnement de l'hôpital et l'ensemble du système de santé.

M. Frédéric Chéreau . - S'agissant du forfait patient urgences, je réagirai en tant qu'élu du bassin minier. Si un paiement aux urgences est demandé, la réponse sera le non-recours aux soins. Les personnes ne se soigneront pas. Cette question du non-recours doit d'ailleurs être abordée en associant à la réflexion des structures qui n'ont pas une vocation sanitaire ou sanitaire et sociale. Les structures de proximité sont en effet parfois les seules à pouvoir toucher des personnes qui ne viennent pas chez le médecin ou à l'hôpital pour communiquer de l'information sur la santé. De notre côté, nous travaillons avec des structures de quartier dans le cadre des relations entre ville et hôpital et de la responsabilité populationnelle. Elles sont en effet capables de faire venir des personnes que l'hôpital ne saurait pas toucher.

Vous avez évoqué la question des spécialités médicales à la sortie de l'université. La spécialité santé publique est mal considérée. Or nous avons besoin de bons médecins en santé publique.

La question des généralistes a été abordée sous tous les angles. La place dans les universités pour former suffisamment de médecins n'est pas disponible. La plupart des médecins, de surcroît, ne souhaitent pas devenir généralistes. Nous subirons donc encore pendant de longues années des pénuries de généralistes. Les solutions ne doivent pas par conséquent concerner uniquement les généralistes. Dans le cas contraire, les territoires « se voleront » les uns les autres les rares généralistes. C'est pourquoi les solutions qui s'appuient sur le corps des infirmiers et infirmières me paraissent intéressantes à explorer. La télémédecine m'inquiète s'il est question d'un patient seul dans une cabine face à un médecin à distance ; en revanche, un patient à côté d'une infirmière à domicile, dans un cabinet ou dans une maison médicale de garde, avec un médecin à distance, me semble être la solution.

Je ne suis pas apte à répondre à la question sur la grande sécurité sociale. Ma position personnelle ne serait pas nécessairement le reflet de celle de l'AMF. Volontairement, je m'abstiendrai donc de répondre.

M. Alain Milon . - C'est dommage. C'est la seule question.

M. Bernard Jomier , président . - Vous avez le droit de ne pas répondre aux questions, qui sont très vastes.

M. Philippe Gouet . -J'ai été interpellé sur les 35 heures. Je n'ai pas critiqué la réforme des 35 heures. J'ai simplement indiqué qu'elle n'avait pas été suffisamment compensée par des embauches.

De son côté, l'expérimentation de l'hôpital de Valenciennes mériterait effectivement d'être développée sur d'autres territoires. Elle semble en effet extrêmement intéressante et positive.

Concernant les financements, je vous renvoie à un article de L'Express du 18 novembre 2021. Les chiffres nous placent, en termes de dépenses de l'hôpital, derrière la Suisse, les États-Unis, l'Allemagne et la Belgique.

M. Alain Milon . - Les régimes de protection sociale ne sont pas identiques.

M. Philippe Gouet . - Le sujet des spécialités, par ailleurs, est extrêmement préoccupant, particulièrement pour la pédopsychiatre. En effet, 14 départements en France n'accueillent pas de pédopsychiatre. En outre, la densité des pédopsychiatres est de 14 ou 15 professionnels pour 100 000 habitants. Cette spécialité mériterait d'être dynamisée.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Que pensez-vous, par ailleurs, de la grande sécurité sociale ?

M. Philippe Gouet . - Nous sommes le seul pays au monde à disposer d'autant de mutuelles. Il s'agit d'une vraie difficulté. Sans envisager une grande sécurité sociale, nous pourrions peut-être mettre en place un système de mutuelles simplifié, peut-être par un travail de rapprochement et une étude avec l'assurance maladie. Y compris pour nos concitoyens, il n'est pas toujours facile de choisir une mutuelle. Le sujet doit être débattu. Il est effectivement important.

Mme Françoise Tenenbaum . - Les maisons de santé pluriprofessionnelles font l'objet d'un avis du directeur général de l'ARS après consultation de la commission santé et organisation des soins de la Conférence régionale de santé. Dans cette commission, siègent également les conseils régionaux. Il existe donc effectivement une cartographie des maisons de santé pluriprofessionnelles. En général, l'ARS n'autorise pas les maisons de santé qui ne sont pas fondées sur un programme médical réalisé par des médecins.

La problématique que nous rencontrons actuellement dans les maisons de santé, notamment celles qui ont 15 ou 17 ans d'existence, est que les médecins qui les ont créées partent en retraite. Il est difficile de trouver de nouveaux médecins. Nous retrouvons ainsi la problématique des généralistes. Il s'agit de redonner du sens au métier, et non pas seulement au métier de généraliste. Le sens redonné au métier consiste, en l'occurrence, à voir le patient dans son environnement. L'entrée dans le parcours de soins ne doit pas s'effectuer de façon normale par les urgences. Le médecin traitant doit suivre la vie des citoyens. Puisque le médecin traitant ne peut pas être constamment de garde, un groupe de médecins doit se partager une population. De la sorte, nous redonnerons du sens à la médecine.

Pour répondre à Mme la sénatrice de la Nièvre que je salue particulièrement, la question est celle d'un numéro unique qui regrouperait médecins et pompiers. En Bourgogne, nous avons un numéro unique décroché au CHU de Dijon pour la Côte-d'Or, la Nièvre et l'Yonne. En revanche, le numéro ne fonctionne pas pour la Saône-et-Loire. En Franche-Comté, depuis très longtemps, il existe un numéro unique pour les quatre départements qui fonctionne efficacement.

L'hôpital psychiatrique pose une vraie difficulté. À la métropole de Dijon, nous avons mis en place une équipe mobile qui se rend dans les immeubles où des malades psychiatriques qui ne sont pas soignés, qui ne sont pas pris en charge par la sectorisation parce qu'ils sont en situation de déni, ont des comportements perturbants pour les voisins, pouvant conduire à des violences.

Concernant la grande sécurité sociale, enfin, il me semble que la réponse dépend du panier de soins. J'ajoute également que les mutuelles ont une action en prévention extrêmement importante, par exemple sur la qualité de l'air. Elles gèrent également des centres de santé, des centres dentaires, etc . La question doit par conséquent s'étudier.

M. Bernard Jomier , président . - M. Frédéric Chéreau souhaite ajouter un mot.

M. Frédéric Chéreau . - Vous vous êtes étonné que nous n'ayons pas parlé que de l'hôpital.

M. Bernard Jomier , président . - Je n'en suis pas étonné.

M. Frédéric Chéreau . - L'hôpital est un moment du parcours de soins. La question du parcours de soins est importante. La question de la responsabilité populationnelle, de son côté, serait de nature à redonner du sens à l'action des médecins de ville et à redorer le blason de la médecine généraliste.

M. Bernard Jomier , président . - Je vous remercie. Je ne m'étonnais pas. J'avais une pensée pour notre rapporteure qui, après s'être attaquée à un lourd travail sur l'hôpital dans notre pays, doit à présent réécrire tout le système de santé. Vos propos étaient extrêmement intéressants. Ils sont simplement également très révélateurs. La santé est devenue un objet politique premier. La pandémie a certainement joué un rôle important dans l'appropriation par les élus de la problématique de la santé. Vous décrivez, tous les trois, un processus qui débute très en amont de l'hôpital et se poursuit après l'hôpital. Tout l'enjeu pour sortir l'hôpital public de la crise dans laquelle il se trouve consiste à la fois à régler les sujets internes à l'hôpital et les sujets ayant trait à son environnement.

Madame la rapporteure, vous aurez le mot de conclusion.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Merci. Nous parlons beaucoup de la pandémie. Si je me place du côté des collectivités locales, le travail sur les maisons de santé, sur les programmes de prévention auprès des jeunes, avait commencé avant la pandémie. Les départements, depuis longtemps, s'intéressent en effet à des sujets de santé ou des sujets médico-sociaux. En revanche, il est vrai que, manifestement, la crise sanitaire a exacerbé les difficultés de l'hôpital, qui préexistaient. Les solutions relèvent de mesures intrinsèques à l'hôpital, mais sont également tributaires d'éléments externes qui embolisent les hôpitaux.

M. Bernard Jomier , président . - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition commune des présidents
des conférences de directeurs d'établissements de santé

(mardi 18 janvier 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Nous recevons maintenant en audition commune les présidents des conférences de directeurs d'établissements de santé.

Je suis heureux d'accueillir Mme Marie-Noëlle Gérain-Breuzard, directrice générale du CHRU de Tours et présidente de la conférence des directeurs de CHU, M. Francis Saint-Hubert, directeur général du centre hospitalier départemental Vendée à La Roche-sur-Yon, président de la conférence des directeurs de centres hospitaliers et M. Jacques Léglise, directeur général de l'hôpital Foch à Suresnes et président de la conférence des directeurs d'établissements privés non lucratifs.

Nous avons jusqu'à présent entendu la parole des médecins et des soignants. Il était évidemment indispensable d'entendre celle des directeurs d'établissements, dont il a été beaucoup question, et d'examiner sur quels points elles peuvent se rejoindre ou se distinguer, tant dans le diagnostic que dans les solutions proposées.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et j'invite chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Gerain-Breuzard, M. Saint-Hubert et M. Léglise prêtent serment.

M. Bernard Jomier , président . -La parole est à notre rapporteure.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . -Merci aux intervenants pour leur présence.

Au-delà du contexte particulier lié à la crise sanitaire, qui malheureusement se prolonge, avec une situation de nouveau tendue, notre commission d'enquête souhaite évoquer avec vous, représentants des directeurs d'établissements, les difficultés structurelles auxquelles est confronté notre système hospitalier. Nous souhaitons en premier lieu évoquer les difficultés relatives aux ressources humaines, médicales et paramédicales. Nous aborderons l'organisation et le fonctionnement des établissements, sur lesquels nous avons entendu l'opinion des représentants des médecins alors que des évolutions sont attendues à la suite du rapport Claris et des textes qui ont suivi.

Nous souhaitons également évoquer avec vous le financement des établissements et le mode de régulation de la dépense prise en charge par la collectivité. Enfin, l'un des thèmes qui émergent de nos auditions est celui des insuffisances ou des dysfonctionnements dans l'organisation territoriale des soins, avec des répercussions sur l'hôpital et des questions sur son articulation avec le secteur privé, hospitalier ou libéral.

M. Bernard Jomier , président . - Madame Gérain-Breuzard, vous avez la parole.

Marie-Noëlle Gerain-Breuzard, présidente de la conférence des directeurs de CHU . - Je vous remercie, au nom des directeurs généraux de CHU que je représente aujourd'hui, de cette audition et du juste intérêt porté à l'hôpital et plus largement au système de santé de notre pays.

Chacun de nous trois travaille à l'hôpital depuis plus de 30 ans. Nous avons vu évoluer l'hôpital au rythme de la société. Nous avons, tous les trois, constaté des évolutions majeures, au nombre de quatre pour citer les principales. La plus importante d'entre elles impacte toute notre société. Elle a trait à l'évolution du rapport au travail. Les aspirations au temps libre, le rapport à la hiérarchie, l'expression plus assumée de la souffrance au travail, le besoin renforcé d'équité, la course à la meilleure rémunération, le zapping professionnel sont autant d'évolutions qui, sans les généraliser, interpellent les managers actuels, pour la plupart d'une autre génération, formés sur un modèle plus contraignant pour l'individu, qu'ils soient médecins, cadres ou directeurs. Ces aspirations sont a fortiori fortement ébranlées pour les jeunes hospitalo-universitaires, dont la construction de carrière est un « parcours du combattant ».

Si, dans la plupart des établissements, nous ne constatons pas l'hémorragie des départs largement décrite par les médias, le changement des mentalités se traduit par des difficultés réelles de recrutement et de fidélisation. Or l'hôpital public ne se bat pas à armes égales sur le marché du recrutement, compte tenu des niveaux de rémunération et de contraintes qu'il propose, a fortiori dans les villes où le coût de la vie est élevé ou, à l'autre extrémité, dans les zones les plus rurales. Il se traduit également pour les personnels non médicaux, notamment les moins diplômés, par une forte évolution de l'absentéisme.

Abaisser totalement le niveau des contraintes restera difficile dans une structure dont l'une des missions premières est la continuité. Il est en revanche de notre seule responsabilité de faire évoluer les relations de travail. L'organisation de l'hôpital est de tradition très hiérarchisée, reposant sur des rapports de domination parfois violents - curieux paradoxe pour une structure dont le maître-mot doit être de prendre soin avec humanité. Les internes et les externes ont illustré récemment devant vous ce que vivent certains juniors. La véhémence et le mépris des propos contre les administratifs aiguisés de nouveau par le débat politique en sont une autre illustration.

Le Ségur, le rapport Claris et loi Rist ont fixé un cadre réglementaire. Néanmoins, les relations humaines échappent au cadre réglementaire. L'évolution implique des prises de conscience encore trop lentes aujourd'hui à notre goût.

La seconde transformation majeure est celle de la désorganisation progressive de l'offre de soins. À cette évolution sociodémographique qui a impacté tout le système de santé en ville comme au sein des établissements, se conjuguent les effets de la réduction du numerus clausus des années 1990, ceux de la liberté d'installation et ceux de la liberté de choix des spécialités après l'internat. Finalement, elle induit des déserts médicaux et le repli sur un exercice à moins fortes contraintes qui font converger vers les urgences et les consultations de l'hôpital des patients en mal de réponses en ville, reportant pour certains un haut niveau d'exigence voire d'agressivité sur l'hôpital. Or l'hôpital, a fortiori les CHU, ne sont pas structurés pour être les généralistes de la population.

Le constat est amplifié par l'absence de vraie gradation de l'offre territoriale hospitalière que la réforme nécessaire mais incomplète des groupements hospitaliers de territoire n'a pas encore permis de faire aboutir pleinement.

La troisième évolution déterminante est celle du financement du système de santé et singulièrement de l'hôpital. Nous ne sommes pas nostalgiques du budget global. Nous l'avons connu. Nous avons pu en constater les dérives. La tarification à l'activité, qui ne finance que 50 % du budget d'un CHU, était considérée comme une opportunité quand elle constituait un outil de développement des moyens par le développement de l'activité et donc des recettes. Néanmoins, les recettes d'un hôpital sont également les dépenses de l'assurance maladie. L'évolution du coût des traitements médicaux, l'augmentation des besoins de soins du fait du vieillissement de la population, de la chronicisation des maladies, les créations d'emplois au fil des années, les évolutions de rémunération ont conduit à la progression du déficit de l'assurance maladie. Les lois de financement votées par le Parlement depuis 2010 ont fixé des Ondam plus rigoureux. Elles ont permis d'entamer le redressement de la branche maladie, mais se sont principalement traduites par des plans de rigueur pour les dépenses hospitalières fixant des objectifs devenus de plus en plus inatteignables. L'impact financier du covid-19 et du Ségur de la santé risque d'emporter mécaniquement de nouvelles mesures d'économies.

Les évolutions du mode de financement en cours - dotation populationnelle, financement à l'épisode de soins, réforme de la tarification des urgences, financement par la qualité - sont évidemment favorables.

Néanmoins, leur juxtaposition avec les systèmes actuels de financement engendre une complexité inégalée pour tous ceux qui les gèrent et incompréhensible pour les soignants. Sans rationalisation de l'organisation des soins dans les territoires et réelle analyse de la pertinence menée par et avec les soignants, nous risquons de connaître encore des coupes aveugles et brutales.

La quatrième évolution est comme une forme de réponse qui n'en serait pas une. Nous n'avons pu que constater et déplorer l'inflation normative et réglementaire et les contrôles qui l'ont suivie au cours des dernières années. La complexité fait intrinsèquement partie de la gestion d'un hôpital a fortiori de la taille d'un CHU. Il faut l'accepter. Un établissement de plus de 10 000 salariés, le plus souvent premier employeur et premier acteur économique de sa région, ne se gère ni comme un service, ni même comme une somme de services médicaux. La complexité découle néanmoins également de la réalité du corps réglementaire administratif français. Le code de la santé publique est de loin le plus disert de tous. Si le métier des directions et des équipes administratives, qui ne représentent que 5 % et non 30 % des effectifs de l'hôpital, est de rendre lisible cette inflation normative et de tenter d'en simplifier les effets pour ceux qui soignent, il est aussi et avant tout de coordonner les acteurs, de rendre possibles les projets, de défendre et représenter son établissement.

En 2020, la crise sanitaire a provisoirement lissé la plupart des effets délétères de ces évolutions. Se sentir soutenus par l'opinion publique, ne traiter principalement qu'une pathologie, bénéficier d'un soutien financier massif de l'État qui a fait primer l'efficacité sur l'efficience, pouvoir s'affranchir d'un cadre réglementaire a produit des effets éphémères. Cet épisode ne laisse en définitive que beaucoup de nostalgie et d'amertume, sans parvenir pleinement à en tirer les enseignements durables.

L'hôpital doit relever la tête avec ses hospitaliers. L'hôpital n'est pas à la dérive. Il a géré une crise sans précédent. Il a fait face, répondu présent à tous les défis inédits qui s'imposaient à lui. Ne rendons responsables ni l'hôpital, ni ceux qui le gèrent, qu'ils soient médecins, directeurs ou soignants, des effets considérables des évolutions profondes qui se sont installées au fil du temps ou de la désorganisation évidente que le covid a induite et qui exigera de nous tous une résilience très volontariste.

Nous avons d'abord et avant tout besoin de sortir de cette crise qui n'en finit pas. Il y a toutefois urgence à ce que les pouvoirs publics assument une juste réorganisation du système de santé mobilisant tous les acteurs autour des contraintes à partager. Il y a urgence à ce que les pouvoirs publics régulent le dumping salarial qui assèche les effectifs des hôpitaux publics. Il y a urgence à ce que les pouvoirs publics et les acteurs se donnent les moyens réels d'ouvrir la question de la pertinence des soins pour dégager les marges nécessaires à l'investissement pour l'avenir. Il y a urgence à avancer collectivement sur la mise en place des professions médicales intermédiaires et à faire évoluer la formation continue pour mieux préparer les professionnels aux défis actuels et à venir. Il y a urgence à ce que les pouvoirs publics arrêtent d'imposer un surcroît de contrôles et de remontées d'information et fassent confiance aux acteurs du terrain pour innover et créer en libérant les énergies. Il y a cependant également urgence à ce que les acteurs de terrain acceptent de revisiter réellement leurs organisations et fassent évoluer les relations de travail au sein des équipes pour retrouver le chemin de l'attractivité. Pour réussir, nous avons besoin avant tout de communautés apaisées. Nous avons tous une responsabilité sur ce sujet.

L'hôpital est par essence même le lieu de l'interdépendance. Plus d'une centaine de métiers interagissent. La connaissance et le respect du métier de l'autre sont essentiels. Dans cet orchestre, les solistes, quelles que soient leurs fonctions, qui souhaitent jouer seuls leurs partitions, conduisent les communautés à l'échec, tandis que le maintien d'une offre de santé publique et de recours est essentiel pour la population. Comme Le Guépard et son auteur, nous sommes convaincus qu'il faut que tout change pour que rien ne change.

M. Bernard Jomier , président . - Merci beaucoup. Madame. Je donne la parole à M. Francis Saint-Hubert.

M. Francis Saint-Hubert, président de la conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers (CNDCH) . - Je vous remercie pour votre invitation car la représentation nationale, tout comme les élus locaux, a toujours raison de se saisir des questions hospitalières. L'hôpital est un bien précieux de la nation, un pilier de la République.

Je représente la conférence des directeurs de centres hospitaliers. Ce sont environ 900 établissements, de l'hôpital de proximité aux établissements supports des GHT, en passant par les hôpitaux spécialisés en santé mentale. Je suis extrêmement sensible à votre souhait d'auditionner notre conférence, le secteur hospitalier ne se réduisant pas aux seuls grands ensembles hospitaliers. En complément de l'intervention de ma collègue, je vous donne mon analyse.

En premier lieu, vous avez raison de considérer l'hôpital comme un des acteurs de la prise en charge des patients, la médecine générale devant rester le pivot des parcours de prise en charge. Malheureusement, quand un des maillons extérieurs de l'hôpital est défaillant, l'hôpital, de fait, se trouve à gérer la situation. Les patients se tournent vers l'hôpital. L'hôpital se voit reprocher éventuellement de ne pas agir suffisamment, pas suffisamment rapidement ou de façon inefficace. Quand un territoire manque de médecins traitants, la population se rend à l'hôpital, notamment aux urgences qui s'en trouvent déstructurées. Quand la permanence des soins n'est pas équitablement assurée, l'hôpital assume la situation avec des équipes surimpliquées et épuisées. Quand il existe un tel déséquilibre de rémunérations entre les hospitaliers et les autres professionnels de santé, notamment dans certaines spécialités médicales, l'hôpital est moins attractif. Quand la société est traversée par des phénomènes de violence qui s'en prennent à tous ceux qui représentent une certaine forme d'autorité ou de responsabilité, l'hôpital et tous ses responsables deviennent des boucs émissaires, les directions, mais également les présidents de commissions médicales d'établissement, les chefs de service, les chefs de pôle et les cadres de santé.

Dès lors, que retenir de la crise que j'ai vécue sur le terrain tout en étant en lien permanent avec la DGOS ? La crise n'a fait que rendre visibles les conséquences de politiques nationales suivies depuis des décennies. J'en tire six priorités.

La première d'entre elles consiste à clarifier le rôle et la place de chacun sans omettre le facteur humain toujours déterminant. Je pense à l'articulation et à la communication entre les différents services de l'État, les élus, mais également les usagers, qui doivent pouvoir assumer un rôle plus grand en lien avec les ARS. Pendant la crise, les relations entre les ARS et les établissements supports de GHT ont été essentielles, même si variables. Les établissements se sont sentis souvent isolés.

Le deuxième axe consiste à réformer en profondeur le secteur médico-social. Pendant la crise, il a été demandé aux hôpitaux d'assumer un rôle clé du fait de la sous médicalisation des Ehpad. La fragilité de ces secteurs et le système de financement montrent la nécessité de repenser complètement l'accompagnement de nos aînés, afin que celui-ci soit digne. Quant aux Ehpad hospitaliers, il s'agit souvent d'unités de soins de longue durée où la charge en soins est considérable avec des effectifs insuffisants.

Le troisième axe consiste à soutenir les personnels. Au-delà des rémunérations revalorisées avec le Ségur , pour être attractif, il est nécessaire d'améliorer les conditions de vie au travail en prenant en compte l'évolution sociétale. Les effectifs doivent être suffisants. Il convient de repenser les organisations avec des objectifs clairs, d'éviter que le personnel travaille plus de deux week-ends par mois, d'éviter les systèmes d'alternance aujourd'hui préjudiciables à la santé des personnels, comme les amplitudes de travail de 12 heures à 24 heures. Il s'agit également d'améliorer le climat social, car il ne peut exister de soins de qualité dans un contexte de tension ou de fragilité des équipes. La santé des équipes est un déterminant du bien-soigner.

Le quatrième axe consiste à repenser l'ingénierie des métiers de la santé. La création des IPA constitue un premier pas. Néanmoins, il est nécessaire d'aller plus loin. Pour mener cette réflexion innovante, il convient de se fonder sur les aspirations des jeunes générations, d'atténuer le cloisonnement entre médecins et autres professionnels de santé, mais également de prendre en compte les conséquences de l'hyperspécialisation des professions médicales. L'hyperspécialisation est gage de qualité ; toutefois, si elle ne s'accompagne pas d'une articulation avec des nouveaux métiers, elle peut contrevenir à l'accessibilité aux soins.

Le projet récent des professions médicales intermédiaires n'a pas été retenu. Il faut entendre les réticences et travailler avec les médecins pour imaginer de nouveaux métiers sous une autre approche. La CNDCH plaide pour la création de métiers médicaux soignants à bac plus 5 ou plus 6, niveau ingénieur, qui endosseraient certaines responsabilités cliniques et réaliseraient certains actes techniques.

Le point suivant consiste à considérer la formation comme un investissement. Le Ségur de la santé, à hauteur de 19 milliards d'euros, apportera un nouveau souffle en matière d'investissement. Comme pour l'immobilier et le numérique, il est indispensable d'investir dans la formation initiale et continue. Nous avons réellement besoin d'un plan d'urgence pour la formation avec des enveloppes dédiées au-delà des 2,1 % que nous consacrons aujourd'hui dans nos budgets à la formation continue.

Enfin, le dernier axe consiste à lutter contre les excès de l'administration de la santé : la multiplication d'instances qui se superposent sans réelles plus-values, comme les conférences territoriales de santé, les multiples remontées d'informations demandées, parfois très compliquées voire impossibles à produire, dont le sens n'apparaît pas toujours de façon évidente, la multiplication des procédures et des protocoles, les indicateurs chronophages dont nous pouvons parfois interroger le sens, dont le résultat conditionne pourtant pour partie le financement des établissements. Certains indicateurs peuvent même être contre-productifs.

La CNDCH souhaite que le processus de certification et d'accréditation du secteur sanitaire et médico-social soit ajusté, y compris le système des experts visiteurs. De la même façon, le dogme qui lie la qualité avec la quantité des actes réalisés n'est-il pas vecteur d'une concentration excessive de l'offre de soins, laissant certains territoires en grande fragilité sur les filières de soins essentiels ?

En synthèse, la crise a mis en lumière des facteurs qui, depuis plusieurs années, grignotaient la force des hôpitaux, malgré les alertes régulières émises notamment par la CNDCH. L'ensemble des professionnels hospitaliers, sans aucune dissonance, dénoncent : le numerus clausus qui a créé et organisé la pénurie médicale, aggravée par la liberté d'installation sans aucune régulation, rendant impossible l'égalité d'accès aux soins ; la faiblesse des investissements ; une contrainte financière forte ; une permanence des soins portant sur un nombre de plus en plus réduit d'acteurs ; la multiplication des normes et des contrôles ; une approche administrative de la qualité ; un rôle très insuffisant des représentants des usagers dans la gouvernance des hôpitaux ; des réformes souvent partielles, n'anticipant pas suffisamment leurs conséquences sans accompagnement des acteurs et se succédant sans laisser le temps à la précédente réforme de produire ses effets. Il en est ainsi notamment des GHT souvent mastodontes et, simultanément, pour partie « coquille vide », dans le sens où ils n'ont pas les moyens de leurs ambitions. Vient s'y ajouter une exigence accrue bien que légitime des patients et plus largement de la société.

Jamais les hôpitaux n'ont été aussi performants pour soigner, mais également pour mener des activités de recherche. Ce n'est pas un hasard si, pendant la crise, tous se sont tournés vers les hôpitaux, y compris pour qu'ils agissent au-delà de leur périmètre d'intervention : la vaccination, la gestion des tests, les masques, les Ehpad non hospitaliers, l'animation des territoires. Aucun autre acteur dans les territoires n'aurait pu se substituer aux hôpitaux. Le potentiel de force de frappe des hôpitaux est donc considérable. Il doit nous rendre confiants pour l'avenir, à condition que la solidarité nationale continue à s'exprimer envers les hospitaliers, de telle sorte que les contraintes ne portent plus essentiellement sur eux. Je vous remercie pour votre attention.

M. Bernard Jomier , président . - Je donne la parole à M. Léglise.

M. Jacques Léglise, président de la conférence des directeurs d'établissements privés non lucratifs . - Vous souhaitez que nous vous donnions notre diagnostic sur la situation actuelle de l'hôpital. Tout d'abord, bien évidemment, nous ne pouvons pas ne pas souligner l'impact de la crise sanitaire. Sa persistance dans la durée a créé incontestablement un effet de lassitude et de découragement dont nous avons commencé à payer le prix à la fin de la 4 ème vague. L'été dernier, nous avons tous constaté dans nos établissements, tout particulièrement en Île-de-France, des départs beaucoup plus importants qu'habituellement à la même période et surtout un effondrement des candidatures de jeunes professionnels infirmiers sortis des écoles, comme s'ils s'étaient dirigés immédiatement vers d'autres lieux ou d'autres modes d'exercice.

Dans cet effet de la crise, nous ne pouvons pas ne pas citer non plus les conséquences des négociations du Ségur. Paradoxalement, alors que jamais aucun gouvernement n'avait opéré d'un seul coup des revalorisations aussi massives et mis sur la table autant de milliards pour l'hôpital, un effet de déception à l'égard des mesures prises est apparu en comparaison des attentes qui étaient nées.

S'agissant du privé non lucratif, je tiens à souligner que cette déception a eu notamment pour cause, passé le Ségur 1, où l'ensemble des acteurs ont été traités à parité au sein du service public, un traitement ultérieur que nous avons ressenti comme discriminatoire. Plusieurs mois d'âpres négociations ont été nécessaires pour obtenir une revalorisation « au rabais » de nos médecins. Dans le Ségur 2, le ministère a immédiatement posé le principe que nous n'aurions que 70 % des enveloppes de revalorisations accordées à l'hôpital public. Les mesures du Ségur 3 nous ont purement et simplement oubliés. Quant au Ségur de l'investissement, de manière variable selon les régions, il est caractérisé par un fort tropisme vers l'hôpital public et une sous-représentation pour notre secteur par rapport à ce que nous représentons au sein de l'offre de soins de service public. Cet ensemble a conduit à un fort malaise actuel de notre secteur. Je souhaite le souligner avec force.

Toutefois, au-delà de ces facteurs récents de tension de l'hôpital, nous nous accordons tous pour dire que la crise sanitaire n'a fait qu'exacerber des facteurs latents et anciens. Je souhaite souligner cinq des facteurs multiples de la crise latente qui éclate à présent, qui sont selon moi parmi les plus importants : la pression financière portée depuis des années sur les établissements de soins ; la pression normative croissante sur les professionnels de soins ; l'effet taille qui ne peut pas être dissocié des questions de gouvernance ; le changement de paradigme notamment des jeunes professionnels de santé ; en lien direct avec ce changement de paradigme, la crise d'attractivité qui en résulte.

La pression financière portée sur les établissements de santé depuis au moins 10 ans est le facteur explicatif essentiel de l'entrée en crise de l'hôpital. Je ne fais pas partie de ceux qui prétendront que la faute en revient à la tarification à l'activité, car au contraire, après des décennies de pression portée par le budget global, l'arrivée de la tarification à l'activité a été vécue dans un premier temps comme une libération.

Il faut bien comprendre en effet que l'activité des hôpitaux a pour caractéristique principale d'être en perpétuelle mutation du fait du progrès technique, des découvertes médicales, des attentes croissantes des patients et des soignants et des opportunités organisationnelles comme actuellement le numérique. Cette dynamique de projet au service des valeurs d'amélioration du service rendu aux patients est ce qui rend passionnant et enthousiasmant le travail à l'hôpital et qui soude les équipes soignantes avec les équipes de gestionnaires dans une vision commune.

En régime de budget global, cette dynamique de projet s'était progressivement enrayée, car pour bâtir des projets nouveaux, il fallait sans arrêt donner des « coups de ciseaux » dans l'existant. Avec l'arrivée de la tarification à l'activité, nous avons retrouvé des marges de manoeuvre ; les premières années, les hôpitaux du service public - puisque les cliniques commerciales n'ont pour leur part jamais été soumises à cette logique de budget global - ont retrouvé un vrai dynamisme et ont repris des parts de marché sur tous les fronts.

Malheureusement, les pouvoirs publics ont rapidement imposé des évolutions de tarifs qui ne couvraient pas les évolutions de charges. Dans un premier temps, pendant quelques années, nous avons réussi, de concert avec les équipes médicales et avec les cadres des services, à résister à l'érosion des moyens que ces décisions auraient dû susciter, en compensant les baisses de tarifs par des augmentations de volumes acceptables.

À partir des années 2010, des efforts de plus en plus importants nous ont été demandés, avec l'exigence, notamment via le Copermo, de plans de rendus d'emplois, et, avec le plan triennal, des baisses de tarifs qui nous ont entraînés dans une course dépourvue de sens aux volumes d'activité pour « limiter la casse ».

Cette pression excessive a produit un climat de perte de sens, a profondément fracturé les communautés, et a notamment abîmé le rapport entre les soignants et les gestionnaires, lesquels portent injustement aujourd'hui la responsabilité de politiques décidées par l'État.

Pour autant, je voudrais terminer ce propos sur la pression financière par le constat que l'État ne s'est pas lancé sans raison dans des politiques de contrôle des coûts hospitaliers. Avec 11 points de PIB, la France est un des pays qui consacrent le plus d'argent à la santé. Néanmoins, le constat que cette situation coexiste avec des professionnels de l'hôpital parmi les moins rémunérés d'Europe alors que les dépenses de personnel constituent plus de 60 % des dépenses hospitalières aurait dû alerter sur le fait que le vrai problème est probablement ailleurs, notamment dans l'émiettement des structures de soins. Le choix d'appauvrir chacun plutôt que de mener, comme dans d'autres pays, des réformes structurelles en profondeur ou que travailler sur la pertinence des soins ne pouvait que conduire à l'impasse dans laquelle nous nous trouvons.

Le deuxième facteur explicatif des tensions dans l'hôpital est, de mon point de vue, la pression normative croissante sur les métiers de la santé, plus difficile à cerner mais très réelle. Je suis frappé, quand je discute avec mes amis médecins, avec ma fille qui est elle-même pédiatre hospitalière ou avec les cadres de santé, trop souvent oubliés dans les débats, mais qui sont pourtant la cheville ouvrière du fonctionnement quotidien de l'hôpital, par le leitmotiv qui revient au sujet du poids des tâches administratives. Cependant, au cours des discussions, nous comprenons rapidement qu'une grande partie de ce que les soignants appellent aujourd'hui tâches administratives sont les obligations nées des normes de qualité et de traçabilité, qui, il est vrai, sont montées en puissance ces dernières années, mais dont je ne vois pas comment les contester, et qui font désormais partie à part entière du métier de médecin ou d'infirmière. Nous sommes donc sans solution face à ce facteur, sauf peut-être à recruter massivement, comme dans le libéral, dans le cadre de « Ma santé 2022 », des assistantes médicales.

Je profite de cette incidence sur la qualité pour lancer une alerte sur le financement à la qualité, louable sur le papier mais dont les mécanismes sont très complexes à mettre en oeuvre et risquent un jour d'être encore plus rejetés par les soignants que la tarification à l'activité tant ils sont technocratiques et illisibles. Peut-être serait-il plus facile de travailler sur les questions de pertinence des soins plus consensuelles et davantage dans les mains des soignants.

Je voudrais en troisième lieu insister sur l'effet de taille, car je suis convaincu, après avoir dirigé, au sein de l'Assistance publique, la Pitié-Salpêtrière et ses 8 000 agents, puis le CHU de Toulouse et ses 12 000 agents, et avoir redécouvert ensuite à Foch le bonheur de diriger un hôpital à taille humaine, qu'il s'agit d'un des facteurs clés des débats sur la gouvernance que nous avons aujourd'hui.

La qualité de fonctionnement des structures hospitalières dépend directement de la qualité et de l'intensité du dialogue et de la coopération entre les gestionnaires et les communautés médicales et soignantes, avec au coeur du système le binôme du directeur général et du président de CME, sans oublier le rôle clé des directions des soins. Ce binôme fonctionne rarement de manière inefficace, mais reste insuffisant. Il faut également préserver un dialogue direct et constant avec les chefs de service et les cadres des services, qui sont la maille de base de l'hôpital, pour nourrir la dynamique de projets dont j'ai dit qu'elle était au coeur du fonctionnement de l'hôpital. Plus l'hôpital est à taille humaine, plus ce dialogue est quotidien, et plus les arbitrages peuvent être pris rapidement avec les explications qui doivent nécessairement les accompagner.

Dans les grandes structures, ce dialogue, complexifié par ailleurs par les pôles, est beaucoup plus difficile. Nos hôpitaux publics sont devenus de trop grande taille. Cette course à la taille, si elle se traduit avec les GHT par une couche supplémentaire de gouvernance, éloignera encore davantage les gestionnaires et les communautés médicales et soignantes.

Je voudrais rappeler également que ces GHT n'ont aucune dimension territoriale puisqu'ils ne regroupent que les hôpitaux publics, quand les autres acteurs hospitaliers, privés non lucratifs ou commerciaux, n'y participent pas.

Le quatrième facteur qui déstabilise l'hôpital que nous avons connu est le changement de paradigme que nous vivons ces dernières années, avec des professionnels qui aspirent comme le reste de la société à un meilleur équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle, quand leurs aînés, que ce soient les médecins, les cadres de santé ou les directeurs, ne comptaient pas leur temps. Ces aspirations légitimes entraînent une conséquence : avec davantage de professionnels, notamment médicaux, nous avons moins de temps de travail disponible.

Nous n'éviterons pas, dans ce domaine, une révision en profondeur, qui prendra du temps, de nos organisations, pour fluidifier au maximum les organisations internes, mettre l'accent sur la qualité du fonctionnement en équipe, qui est au coeur de la satisfaction ou de l'insatisfaction au travail des professionnels, et développer les facteurs de qualité de vie au travail.

Parmi les conditions de travail, je voudrais souligner la question de la qualité des locaux et des équipements, directement fonction des capacités d'investissement des hôpitaux. Il faut souligner l'effort réalisé par le Gouvernement avec le Ségur des investissements qui a constitué en quelque sorte, comme pour les salaires, un rattrapage bienvenu. Cependant, il reste à mettre en place un mécanisme pérenne de financement des investissements car le niveau des tarifs aujourd'hui ne permet pas de financer par lui-même les investissements nécessaires à la conservation au meilleur niveau de l'outil de travail hospitalier.

Enfin, il convient de souligner que ce changement joue à plein et explique majoritairement la désaffection de la catégorie des universitaires. Au moment en effet où les aspirations des plus jeunes se portaient vers davantage de temps libre, les exigences pour entrer dans la carrière universitaire se sont élevées pour hisser la recherche française aux meilleurs niveaux internationaux. Ce grand écart oblige probablement à présent à une révision en profondeur de la réforme Debré de 1958, la quadruple mission des hospitalo-universitaires - soins, enseignement, recherche, management - étant clairement aujourd'hui devenue irréaliste.

Ce changement de paradigme explique pour beaucoup le cinquième point que je voudrais souligner concernant la question d'attractivité des métiers médicaux et soignants à l'hôpital. Il l'explique pour beaucoup, mais pas entièrement ; un autre facteur joue un rôle de plus en plus important. Il s'agit de la compétition par les rémunérations, avec une incapacité, dans les établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic), comme pour nos amis des hôpitaux publics mais avec en supplément l'impossibilité pour nos praticiens d'exercer une activité libérale comme au sein de l'hôpital public, de suivre l'évolution des revenus auxquels les médecins peuvent accéder quand ils exercent en libéral dans une clinique commerciale, en particulier s'ils y exercent avec des dépassements d'honoraires. Ces revenus sont de deux à trois fois plus élevés que les salaires que nous pouvons leur offrir.

Je voudrais souligner à quel point cette divergence des opportunités est délétère. Déjà plus de la moitié des séjours de chirurgie sont réalisés dans les cliniques commerciales dans notre pays. Prenons garde que dans quelques années, il n'existe plus d'offre de service public dans certains domaines faute de combattant. Travaillons sur un exercice mixte qui est sans doute la solution à cette compétition délétère, pour peu toutefois que les règles soient simplifiées et appliquées d'une manière identique pour tous.

Nous voyons que l'hôpital, sous le poids des évolutions que je viens de décrire, est entré dans une période où le modèle que nous avons connu et qui a fonctionné pendant 40 ans est probablement à bout de souffle et doit être réinventé, sans oublier qu'une partie de cette réinvention dépend plus largement de la structuration du système de santé dans son ensemble, notamment pour la permanence des soins.

Nous n'y parviendrons pas en opposant les catégories d'acteurs qui le font fonctionner au quotidien, mais au contraire en créant les conditions d'un retour à un fonctionnement apaisé libéré de tous les facteurs de tension.

M. Bernard Jomier , président . - Je vous remercie. Je donne la parole à Mme la rapporteure.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je remercie nos trois intervenants. Je commence par un point technique. Avant Noël, la DGOS avait présenté les résultats de l'enquête sur les fermetures de lits et les départs des personnels. Elle avait conclu à des variations minimes par rapport à 2019, avec une réduction de 2 % du nombre de lits et une hausse de 1 % de l'absentéisme. La situation semble différente lorsque nous entendons le ressenti exprimé. Les résultats de l'enquête vous semblent-ils par conséquent cohérents avec les situations que vous avez constatées ?

Vous avez beaucoup parlé de l'attractivité des métiers, du changement par rapport au travail, des aspirations des jeunes soignants. Mme Gerain-Breuzard a rappelé que pendant la crise, la situation était « plus simple », puisqu'il fallait agir au plus vite. Les contraintes ont été libérées. Vous avez qualifié cette situation d'éphémère, mais ne pourrait-on pas néanmoins conserver certains éléments de flexibilité ?

Concernant les normes et les contrôles de qualité, des tâches dites administratives sont pointées comme nécessitant beaucoup de temps. Selon vous, elles pourraient être simplifiées. Je peine à voir clairement les éléments pouvant être simplifiés sans toucher aux fondamentaux dans ces domaines.

Je partage vos propos sur la formation continue et les nouveaux métiers.

M. Léglise dirige un Espic, après avoir dirigé un CHU. Quels sont les éléments de souplesse dans le fonctionnement des Espic et sont-ils transposables à l'hôpital public pour répondre à certaines de ses difficultés ?

Vous avez évoqué également la part de la composante médicale. Au-delà des questions de personnes, à la suite du rapport Claris, la loi Rist a permis de déroger à l'organisation en pôles qui avait été inscrite dans la loi HPST. Le recours à des délégations de gestion aux pôles ou aux services est également encouragé. Il est beaucoup question de l'hôpital de Valenciennes. Était-il possible d'aller plus loin à la suite du rapport Claris ?

M. Jacques Léglise . - Concernant votre première question sur l'Île-de-France, je ne possède pas une vision synthétique de la région. Je ne peux que rapporter des témoignages recueillis par sondage auprès de mes collègues, principalement mes collègues des Espic. Les taux avoisinent plutôt les 10 % de lits fermés et les 10 % de postes vacants, sinon davantage. Un de mes collègues, dans un Espic parisien de grande taille, annonçait la semaine dernière 20 % de postes vacants. La région parisienne est donc probablement plus touchée que les autres régions, dans des proportions qui sont peut-être diluées au niveau national.

M. Bernard Jomier , président . - Est-il exact que la région parisienne manque davantage d'infirmiers et d'infirmières, tandis que les autres régions manquent davantage de médecins ?

M. Jacques Léglise . - Les Espic ne constatent pas un manque de médecins. Ils remarquent en revanche un manque d'infirmiers et d'infirmières. La presque totalité de mes collègues des Espic, comme dans les hôpitaux publics, enregistrent aujourd'hui de nombreux lits fermés faute de personnel. Nous avons réellement observé, l'été dernier, un départ plus important de nos personnels vers la province ou pour changer d'orientation professionnelle. Il s'agit d'un phénomène nouveau. Nous avons en outre subi une pénurie de candidatures à la sortie des écoles.

La deuxième question portait sur les flexibilités nées de la crise qui pourraient être conservées. Je ne sais pas bien répondre à cette question, parce que la situation était hors des normes. Simplement, nous avons retrouvé une solidarité sur les objectifs. Nous ne subissions aucune pression financière. Nous obtenions tout ce que nous demandions. Nous retrouvions une complète communauté de vision et de projets.

Quelles tâches administratives pourraient être simplifiées ? Je ne crois pas qu'il s'agisse de tâches administratives. La difficulté tient à ce constat. Il s'agit d'une question de traçabilité. La charge de saisie des systèmes d'information pourrait par exemple être allégée en utilisant la dictée vocale ou d'autres outils techniques. Cela restera cependant plus lourd que par le passé, quand les prescriptions étaient données oralement, sans traçage des propos tenus auprès du patient. Je ne vois donc pas d'autre solution que celle, coûteuse, de multiplier les assistants dans les services.

S'agissant des différences de fonctionnement entre hôpitaux publics et Espic, le régime juridique est différent. Les Espic ne sont soumis qu'au droit privé et au droit du travail. Nous respectons également le code des marchés pour les commandes importantes. Le vrai sujet concerne la gestion des ressources humaines. Elle n'est pas nécessairement plus simple avec le code du travail qu'avec le statut. Il existe des avantages, mais également des inconvénients. Il y a des latitudes, mais les contraintes sont parfois plus fortes qu'en statut. La vraie différence, en réalité, vient de la taille. Il existe des hôpitaux à taille humaine dans lesquels la discussion est permanente.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - La notion de taille plaide-t-elle davantage pour le service que pour le pôle ?

M. Jacques Léglise . - J'ai supprimé les pôles dans mon établissement. Je pense qu'il n'existe pas de règle. La réelle avancée est de laisser les hôpitaux s'organiser comme ils le souhaitent. Dans certains endroits, les pôles ont du sens. Dans certaines activités, en revanche, ils n'ont pas de sens. Davantage de souplesse et davantage de flexibilité sont nécessaires.

Enfin, sur la délégation de gestion, je laisserai mes collègues répondre. Je ne suis pas concerné.

M. Francis Saint-Hubert . - Les chiffres de la DGOS résultent de remontées de nos établissements, qui ont été agrégées. Ces remontées ne sont pas nécessairement exhaustives. Nous constatons, au niveau de notre conférence, que la situation est relativement disparate. Dans certains endroits, notamment au niveau des soins de suite et du secteur médico-social, des lits ont été fermés par manque de personnel. Je vois essentiellement deux raisons. Nous n'avons pas constaté, comme c'est le cas dans mon département, de départs massifs et significatifs du personnel. J'ai repris les chiffres des trois dernières années. En 2021, je constate une légère augmentation du nombre des départs des aides-soignants et des infirmiers diplômés d'État, qui s'explique également en partie par l'obligation vaccinale. Les personnes sont parties car elles n'ont pas voulu se faire vacciner. En revanche, habituellement, pour gérer les absences, nous recourons régulièrement à du personnel intérimaire. Or les centres de vaccination, qui avaient besoin de professionnels de santé, ont absorbé ces personnels mobiles. Le « matelas » de personnels mobiles dont nous disposions pour gérer les pics d'activité n'existe plus dans nos territoires.

Par ailleurs, nous constatons, dans certaines écoles, que deux tiers seulement des élèves entrés en instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) sortent diplômés. Le recrutement par Parcoursup ne nous semble absolument pas adapté à cette profession. Il y a d'autres éléments. Par exemple, les jeunes demandent immédiatement s'ils auront à travailler les week-ends. Il s'agit d'un vrai phénomène, qui ne concerne pas que les personnels hospitaliers. Le désengagement est massif quand il est nécessaire de travailler les week-ends. L'hôpital n'y échappe pas. C'est pourquoi nous devons réfléchir à nos organisations.

Nous avons vécu plusieurs vagues au cours de la crise sanitaire. Les enseignements de chaque vague diffèrent. La première vague a été à l'origine d'une forme de sidération à tous les niveaux. Nous avons par exemple démonté les blocs opératoires pour installer des lits de réanimation. La mobilisation et la solidarité ont été extraordinaires. Les hôpitaux ont agi de façon autonome. Cette flexibilité est cependant venue principalement du personnel. Les administratifs et les directeurs ont parfois contourné le code des marchés publics. Les règles ont évolué très rapidement. Pouvons-nous fonctionner constamment avec ce modèle ? Nous nous interrogeons depuis plusieurs années sur un possible assouplissement du code des marchés publics. En revanche, pour garantir la bonne utilisation des deniers publics, il doit exister un minimum de règles.

Sur la question de l'assouplissement des règles, je tiens à préciser que les hôpitaux ont pour rôle de soigner les patients et d'accueillir les usagers et les familles. L'objectif est de s'inscrire dans une amélioration continue des soins. À cette fin, les professionnels ont des valeurs, des compétences et des expertises. Nous avons en outre besoin des moyens qui nous sont alloués. Par définition, ces moyens sont limités.

En revanche, le désir des soignants de bien faire et les attentes des patients ne le sont pas. Comment mettre en perspective les moyens et le désir des soignants ? Des règles sont nécessaires. La gestion d'un hôpital consiste à harmoniser les aspirations des usagers, les aspirations du personnel et les moyens octroyés. Il existe par conséquent nécessairement des règles. À cet égard, je considère que la loi HPST a commis une grave erreur lorsqu'elle a supprimé les services. Il était possible de mettre en place des pôles sans supprimer les services. Certes, des corrections ont été apportées. En 1996, cependant, l'objectif de suppression de 100 000 lits a été clairement annoncé. Les ARH ont été mises en place pour planifier ces suppressions.

S'agissant de l'Ondam, son évolution a été définie non en fonction des besoins de la population, mais sur d'autres critères. Si cette enveloppe n'est interrogée à aucun moment, comment mettre en adéquation les besoins de la population et les moyens alloués ? Cette équation n'a jamais été résolue. Les gestionnaires sur le terrain sont alors contraints de trouver des solutions. Les directeurs sont des serviteurs de l'État. Ils font le maximum. En revanche, ils n'ont pas été des comptables, comme ils en sont trop fréquemment accusés. Simplement, l'État a décidé de réduire les dépenses et le nombre de lits.

Quelles sont aujourd'hui les questions que nous devons nous poser ? S'agissant du financement, aussi longtemps que l'enveloppe globale au niveau national n'est pas en adéquation avec les besoins de la population, indépendamment des sous-enveloppes et des règles induites, il existera toujours des difficultés à répondre aux besoins. L'enjeu du financement ne concerne donc pas les règles ; l'enveloppe doit être suffisante.

Sur la gouvernance et le statut des Espic, on peut prendre exemple sur d'autres organisations ou d'autres pays, mais la gestion ne se résume pas à l'application des règles. L'environnement d'un Espic n'est pas celui du secteur public. On ne peut donc pas transposer les règles de gestion, les contextes juridiques étant différents. Les acteurs ne se positionnent pas de la même façon. L'important est de laisser la gouvernance se stabiliser et chacun s'approprier les évolutions intervenues depuis 2019.

La délégation de gestion est possible. La question est de savoir si chacun souhaite réellement gérer des enveloppes. Je ne vois pas de forte demande en ce sens. Ces mécanismes existent déjà. Par exemple, les choix d'investissement biomédical sont déterminés par les médecins, la direction n'apportant qu'un éclairage. Cela passe ensuite en commission médicale d'établissement avant approbation par le directoire. Autre exemple : en pratique, ils ne sont pas réalisés par le directeur, mais par le président de CME avec les chefs de pôle et la direction des affaires médicales. Peut-être, dans certains cas, le facteur humain fait-il que cela ne se passe pas ainsi. En tout état de cause, il ne me semble pas utile de changer la loi et les organisations. Le rapport Claris met l'accent sur le facteur humain. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de légiférer pour aller plus loin.

Enfin, je vous donne un exemple de normes. Si un collègue est victime de violences, pour déclarer l'agression à l'Observatoire national de la violence, 144 items sont à remplir. En cas d'erreur, l'Observatoire national nous renvoie le tout. Nous perdons du temps à cocher des cases, quand nous devrions plutôt accompagner la victime. Finalement, les formulaires ne sont pas remplis, faussant les statistiques au niveau national.

Mme Marie-Noëlle Gerain-Breuzard . - Concernant l'absentéisme et le taux de lits fermés, la période est complexe. Les chiffres évoluent chaque semaine. Lorsque l'article qui évoquait 20 % de lits fermés dans les hôpitaux a été publié, nous avons réalisé une enquête dans l'ensemble des CHU. 14 % de lits étaient alors fermés à l'AP-HP et 5 % en moyenne dans les autres CHU du territoire. Les chiffres sont donc à nuancer. Les CHU, en outre, enregistraient 8 à 9 % d'absentéisme en moyenne en 2019. En 2020, le taux a augmenté à 10 ou 11 %. Cette semaine, dans le CHU où je travaille, le taux atteint 15 %. 100 lits ont été fermés au CHU de Tours par manque de personnel. En tout état de cause, les réalités s'apprécient de manière variable selon les zones du territoire et selon les moments.

Sur les éléments à conserver après la crise, la situation a permis aux personnes de se connaître dans une institution de 10 000 salariés. Les personnes se sont rendu compte de l'utilité de chacun. Cet état d'esprit perdure. En revanche, la période ne doit pas être idéalisée, dans la mesure où de nombreuses interventions sur des patients non atteints par le covid sont déprogrammées. L'état de santé de la population se dégrade en conséquence. Le défi est devant les cardiologues, les cancérologues, les orthopédistes, etc . Il s'agit également de la réalité de la période de crise.

Je pense que nous avons besoin de normes de qualité. La vie de personnes est entre nos mains. Personne ne comprendrait que la santé s'affranchisse complètement de normes de qualité.

En revanche, malgré la violence de la cinquième vague dans le CHU que je dirige, la Haute Autorité de santé nous rendra visite dans deux mois quoi qu'il arrive. Or la préparation d'une visite de la HAS requiert une énergie incommensurable. Simultanément, le Cofrac viendra labelliser les laboratoires, tandis que l'Autorité de sûreté nucléaire viendra labelliser la radioprotection dans les services d'imagerie. Vous pouvez imaginer ce que la somme des normes qui sont édictées par ces trois institutions représente de travail, de détails et de préparation pour toutes les équipes sur le terrain, malgré la cinquième vague. Des normes de qualité sont nécessaires ; nous apprécierions en revanche davantage de souplesse compte tenu des éléments de contexte pour mettre en place les visites de certification.

S'agissant de la comparaison avec les Espic, la marge de manoeuvre dont dispose M. Léglise pour négocier les rémunérations avec le corps médical est devenue la réalité quotidienne d'une direction des affaires médicales d'un hôpital public. Nous devons déployer beaucoup d'habileté pour tenter d'être concurrentiels, sachant que nous ne le sommes finalement pas. Avant d'entrer dans la salle, je recevais un message du chef de service de biochimie qui donnait un exemple que je vous livre : « Dans mon service deux internes, un brillant que je vais garder comme assistant et qui sera rémunéré 3 500 euros, un un peu moins bon qui part dans le privé qui sera rémunéré 8 500 euros. » Cette réalité est notre quotidien.

Sur la gouvernance et l'organisation en pôles ou en services, en tant que directeur de CHU, je serais incapable de rencontrer régulièrement 65 chefs de service. L'organisation en pôles est par conséquent indispensable sur un certain nombre de points. Lors de l'instauration des pôles, on avait pensé qu'au sein de ceux-ci, les médecins parleraient plus facilement de gestion entre eux. Je ne suis pas certaine que ce soit le cas. Il reste que le chef de pôle doit coordonner un ensemble, parler et prioriser les choix au nom de cet ensemble. La question de l'harmonie au sein d'une gouvernance est plus complexe que la simple organisation en pôles ou en services. Le service est un noyau. Je ne vois pas l'intérêt de l'abolir.

La loi Rist n'évoque pas que les pôles et les services. Comme le rapport Claris, elle mentionne les relations humaines au sein d'une équipe. Or les relations humaines ne se décrètent pas. Elles se construisent. Certains responsables médicaux, certains responsables paramédicaux et certains directeurs ont à vivre de vrais changements de culture. L'état d'esprit est difficile à installer. Les réformes doivent à présent être mises en oeuvre. Chacun n'y est pas prêt, y compris chez les présidents de CME. Du temps sera nécessaire pour éviter une nouvelle réforme dans quelques mois.

M. Bernard Jomier , président . - Merci. Vous avez rappelé la complexité de la situation. Nous avons entendu beaucoup de soignants. Il existe une constance dans leurs propos : ils vivent mal la dégradation du ratio entre patients et soignants, avec une sensation de mal exécuter leurs tâches de soignants. Viennent s'ajouter de surcroît ces tâches, dont vous avez estimé qu'elles étaient incontournables, liées à la traçabilité, aux procédures de qualité et de sécurité des soins, qu'il leur est demandé de remplir. Nous pouvons constater ainsi que les personnels partent. Vous avez cité des chiffres qui peuvent être différents selon les établissements, selon leur taille. Il existe néanmoins un mouvement. L'important sera d'apporter des réponses à ces questions. Une réflexion commune doit nous animer pour rééquilibrer le temps soignant et le temps administratif et rendre au temps soignant sa qualité. Pour notre part, nous n'opposerons pas pour autant les uns aux autres.

Mme Sonia de La Provôté . - L'objectif n'est effectivement pas d'opposer les différents acteurs. Il s'agit de trouver un modus operandi pour l'hôpital rendant chacun indispensable, mais avec son rôle à tenir.

J'ai plusieurs questions à vous poser. La première d'entre elles concerne la taille des hôpitaux. Nous savons que le nombre d'actes pratiqués constitue une référence en matière de sécurité sanitaire ou de qualité sanitaire. Nous faisons face à des « monstres hospitaliers ». De son côté, l'hôpital de proximité est par définition de plus petite taille. Il offre une garantie d'accès aux soins plus facile dans les territoires. Comment imaginez-vous que l'on puisse concilier la réalisation d'un nombre suffisant d'actes et le maintien des hôpitaux à dimension humaine, tout en respectant les référentiels de qualité ?

Ma deuxième question porte sur les consignes essentiellement gestionnaires qui vous ont été données. Vous avez la volonté d'allier bonne gestion et qualité des soins. Vous avez cependant à gérer également des effectifs, des coûts de fonctionnement, les coûts du médicament, etc . Dans ce contexte, le temps passé auprès du patient est-il un élément sur lequel vous avez une visibilité ?

Ma dernière question concerne la tarification. Entre 2009 et 2016, l'activité à l'hôpital a augmenté de 16 %, quand la tarification se réduisait de 5 %. Comment évaluez-vous le besoin réel pour pallier cette difficulté ? La dissociation de ces deux courbes ne peut pas en effet se poursuivre indéfiniment.

M. Alain Milon . - Nous avons enregistré une augmentation de 16 % de l'activité et une baisse des tarifs, et non pas de la tarification. L'augmentation de l'activité a entraîné une augmentation des budgets.

Je souhaite revenir sur quelques points. Je vous rejoins quand vous affirmez qu'un trop-plein de lois tue la loi. Je considère comme vous que l'Ondam doit être déterminé en fonction des besoins de la population. Devons-nous dès lors mettre en place un Ondam national et des Ondam régionaux, des « Ordam », en fonction des besoins des populations régionales ? Dans ce cas, nous mettrions fin à l'égalité de soins sur l'ensemble du territoire national.

Par ailleurs, je souhaite que vous parliez de l'intérim. Les dépenses en la matière sont considérables. La solution pourrait peut-être être de limiter ces dépenses et d'utiliser l'argent pour mieux rémunérer l'ensemble de vos salariés. La FHF propose une plus grande autonomie des établissements de santé. Où en êtes-vous en tant que directeurs et présidents de conférence dans cette réflexion ?

Enfin, à ma connaissance, il existe des Espic au sein desquels les professionnels de santé sont salariés et d'autres où ils travaillent à l'acte. Durant la crise sanitaire, nous avons rencontré des difficultés à mobiliser les Espic pour qu'ils reçoivent les urgences en matière de covid. Je souhaite connaître votre sentiment sur le sujet.

M. Jean Sol . - J'ai des questions à vous poser sur l'amélioration des conditions de travail. La vraie difficulté vient de la répétition des tâches, sans période de relâchement au niveau des plannings. Pour faire face à l'absentéisme, par exemple, il est demandé à une personne disponible le week-end de venir travailler. Cette situation participe au mal-être des équipes soignantes et des équipes médicales. De même, concernant les congés annuels, il est parfois difficile d'octroyer aux personnels une quinzaine de jours suivis.

Vous avez évoqué, à plusieurs reprises, le thème de la formation. Je suis convaincu que la formation initiale n'est pas adaptée aujourd'hui aux contraintes hospitalières. Je souhaite obtenir votre avis sur le sujet.

Je souhaite connaître l'importance que vous attachez au système d'information mis à la disposition des équipes et aux tableaux de bord. Vous évoquiez précédemment la charge de travail administrative indéniable pesant sur les équipes soignantes. Quand vous avez à intervenir d'un logiciel à l'autre et que les applications ne fonctionnent pas toujours en en temps réel, la situation est parfois compliquée. Quel est votre point de vue ? Souhaitez-vous par exemple une simplification des tableaux de bord ?

Enfin, comment réduire l'absentéisme aujourd'hui ? Je suis convaincu que des actions peuvent être menées dans le domaine, par exemple en mettant en place des personnels capables de prendre en charge les tâches administratives.

M. Laurent Somon . - Vous avez évoqué l'attractivité de l'hôpital auprès des professionnels de santé et la difficulté que vous subissiez à recruter. Il ne s'agit pas d'une nouveauté. Quels sont les atouts de l'hôpital public pour attirer les professionnels de santé ? Quels sont les éléments qui peuvent être valorisés en termes de recherche ou d'enseignement ? Par exemple, les cadres infirmiers sont orientés vers des tâches administratives. Ils n'ont plus le temps d'animer les équipes. Quelles sont les solutions ? De leur côté, les hôpitaux de proximité pourraient également avoir un intérêt à disposer d'une zone de recrutement plus locale. N'est-ce pas une option, plutôt que de fermer des établissements ou de les consacrer à des soins de suite particuliers ?

M. Bernard Jomier , président . - Je vous redonne la parole pour répondre aux questions de mes collègues en quelques minutes et pour conclure.

Mme Marie-Noëlle Gerain-Breuzard . - Il faut distinguer les ratios de personnel quantifiés, y compris pour tenir compte d'un certain volume d'absentéisme et des congés annuels, et la situation actuelle, avec un absentéisme à l'impact beaucoup plus fort sur l'établissement. Les ratios ont toujours existé. Simplement, ils ont évolué avec le temps. Le pire des ratios est celui d'une infirmière pour quinze patients. Pour ma part, j'ai toujours refusé de le respecter. Aujourd'hui, le ratio, dans les hôpitaux, correspond à une infirmière pour douze patients.

Durant la crise sanitaire, il était d'une infirmière pour huit patients. Nous peinons aujourd'hui dans les services à revenir à un ratio d'une infirmière pour douze patients, car chacun a pris l'habitude de fonctionner avec une infirmière pour huit patients.

L'absentéisme est une catastrophe. Il est à la fois la cause et la conséquence de mauvaises conditions de travail. Aujourd'hui, l'essentiel du travail des cadres consiste à « jongler » avec les plannings. Les cadres sont épuisés de ce fait. De son côté, le travail infirmier a évolué parce qu'effectivement, il existe un dossier du patient informatisé. Nous nous en félicitons. Les infirmiers renseignent la partie relative au dossier infirmier. Il s'agit de l'essentiel des tâches administratives qui leur reviennent. J'ignore si un assistant administratif pourrait les remplacer. Je constate en revanche que mon établissement emploie 500 secrétaires médicales. Or nous avons numérisé les courriers, la gestion des rendez-vous, les formalités administratives. Je souhaiterais dès lors que le métier de secrétaire médicale s'oriente davantage vers l'accueil du patient, vers les formalités dans la chambre du patient et vers l'assistance sur certaines missions administratives auprès des médecins, voire auprès des soignants. Sur le terrain, nous en sommes cependant extrêmement éloignés.

Concernant l'intérim, nous avons beaucoup cru à l'application de l'article 33 de la loi Rist, mais certaines conséquences n'ont peut-être pas été suffisamment anticipées. Le retrait d'intérimaires refusant des tarifs inférieurs à ceux dont ils bénéficiaient antérieurement pouvait menacer le fonctionnement de services entiers, et pas seulement dans des établissements de petite taille. J'aurais fermé une dizaine de blocs opératoires si j'avais appliqué les tarifs prévus pour l'intérim.

Beaucoup d'établissements de petite taille, malgré le renfort d'autres personnels du GHT - environ 160 médecins de mon CHU travaillent aussi dans les établissements du GHT - ne pourraient pas fonctionner sans l'intérim. Mais l'intérim, comme d'autres formes de remplacement, n'est pas un gage de qualité. Il convient par conséquent de ne pas confondre continuité et sécurité, parce que pour bon nombre d'établissements de proximité, la sécurité n'y est plus. Certains hôpitaux ou services restent parfois ouverts au prix de la sécurité.

La période actuelle n'est certainement pas la meilleure pour appliquer les nouvelles dispositions sur l'intérim, mais nous souhaitions que l'on puisse y revenir le plus rapidement possible.

J'ajoute enfin que, dans mon département, les Espic se sont mobilisés contre la crise sanitaire, au contraire des cliniques privées. La réalité est donc différente selon les territoires et les acteurs présents.

M. Francis Saint-Hubert . - Le point essentiel concerne les conditions de travail offertes à nos professionnels. Nous ne doutons pas de l'engagement des professionnels. Excusez-moi de faire référence à une expérience personnelle. Avant d'être directeur, j'ai été soignant dans les années 1980. J'ai vu du personnel soignant en pleurs du fait de tensions avec les collègues. Il existe par conséquent une dimension personnelle et relationnelle, outre la notion que nous devons tenter d'objectiver relative à la charge de travail. La charge de travail dépend de quatre facteurs, les effectifs, les équipements et locaux, les organisations et le climat social. Les deux premiers facteurs dépendant de moyens budgétaires, donc d'une enveloppe globale qui doit être suffisante, la tarification de l'activité, même si elle a des vertus, ne devant pas être utilisée pour maîtriser la dépense de santé, avec une diminution régulière des tarifs. En termes d'organisation, il est important de connaître le niveau de satisfaction du soignant concernant ses activités auprès du patient. Nous devons nous assurer que les soins auprès du patient sont de qualité, tout en renseignant le dossier du patient, non pas uniquement pour des questions de traçabilité, mais pour partager les informations avec l'équipe. Il n'y a pas lieu à mon sens d'opposer le temps passé auprès du patient et le temps administratif. La question essentielle reste une question de moyens.

En outre, le parcours de formation et les métiers médico-soignants à créer sont à interroger. Les métiers dans nos hôpitaux sont trop cloisonnés, avec les équipes médicales et les équipes soignantes. De nouveaux métiers doivent être créés pour alléger les tâches des uns et des autres. C'est pourquoi j'insiste sur le chantier à ouvrir de la formation.

M. Jacques Léglise . - Sur la taille des hôpitaux, la réponse est simple : ils ne doivent être ni trop petits, donc dangereux, ni trop grands, avec des déséconomies d'échelle et de fonctionnement. Un rapport de l'Igas publié il y a quelques années considère qu'au-delà de 700 ou 800 lits, l'hôpital est clairement d'une trop grande taille. La question, pour les petits établissements, est celle du plateau technique. Il peut y avoir un besoins de lits de proximité en médecine, ne serait-ce que pour ne pas rompre le lien avec la famille. Les établissements de proximité, qui ne sont pas encore totalement déployés, peuvent y répondre et le modèle des hôpitaux locaux est peut-être à réinventer, en y impliquant la médecine de ville dans un certain nombre de soins. Aujourd'hui, les plateaux techniques demandent en revanche de telles compétences qu'il n'est pas possible pour chacun d'en avoir à une demi-heure de son domicile. Nous devrons réfléchir intelligemment en nous inspirant d'expériences menées à l'étranger ou en inventant notre propre modèle.

Six ou sept Espic fonctionnent aujourd'hui en France avec des praticiens libéraux payés à l'acte. Je ne sais pas de quels Espic il était question précédemment.

M. Alain Milon . - Nous en parlerons ensuite ensemble.

M. Jacques Léglise . - Selon les régions et les acteurs, les comportements ont été différenciés. En Île-de-France, les Espic et les cliniques se sont mobilisés, en tous cas lors de la première vague.

Par ailleurs, je crois profondément qu'il est nécessaire de rapprocher la manière d'organiser l'offre de soins à la population des élus du territoire. J'ignore si un « Ordam » serait adapté. La crise sanitaire a en revanche montré qu'il existe un besoin de repenser notre système de soins au niveau territorial. J'ai été frappé, dans mes fonctions au CHU de Toulouse, par l'importance des déserts médicaux, y compris dans des villes moyennes de la région. Le CHU fournissait 100 médecins à temps partagé pour des hôpitaux comme Auch, Albi ou Tarbes. Sans eux, ces hôpitaux ne pouvaient pas fonctionner. En dehors de ces villes, les déserts ne sont pas seulement médicaux, mais touchent aussi les services publics et l'activité économique. Il sera difficile d'attirer de jeunes médecins dans ces déserts médicaux. La solution sera difficile à trouver. Pour ma part, je ne la connais pas.

Les cadres de soins sont, selon moi, le pivot du fonctionnement de l'hôpital. Je ne connais pas d'endroit où ils ont été submergés de demandes de remontées administratives. En revanche, leur travail est devenu très compliqué du fait de la gestion des plannings, dans laquelle ils passent tout leur temps et toute leur énergie.

La formation est un enjeu majeur. Les infirmiers et infirmières ne sont pas suffisamment formés en sortant des écoles. Les infirmiers de bloc opératoire ou de réanimation ne sont plus recrutés en sortie d'école. Visiblement, la formation de base est devenue beaucoup moins technique. Les jeunes infirmiers et infirmières ont peur désormais des soins très techniques. Le système est par conséquent à réinventer. Avec Parcoursup, beaucoup de jeunes réalisent qu'ils se sont trompés de voie. Le système est moins performant que celui de la sélection sur dossier. Nous devons en outre aller plus loin en matière de formation en alternance, d'apprentissage et de valorisation des acquis de l'expérience.

Enfin, parmi les atouts de l'hôpital, figure la possibilité de proposer aux personnes de travailler en équipe. S'y ajoute également une dimension de recherche. Il s'agit de vrais facteurs d'attractivité. De son côté, la qualité de vie au travail sera un enjeu majeur des années à venir.

M. Bernard Jomier , président . - Merci à tous les trois pour vos contributions extrêmement intéressantes à nos travaux. Je remercie, à travers vous, l'ensemble des directeurs d'hôpitaux pour la tâche difficile qu'ils exercent au quotidien.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. François Crémieux, directeur général
de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille

(mardi 18 janvier 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Nous terminons notre après-midi d'auditions en recevant M. François Crémieux, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille.

Je suis heureux de vous accueillir. Après avoir exercé des responsabilités au sein de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, dont trois ans comme directeur général-adjoint, vous avez été nommé en juin dernier à la tête des hôpitaux de Marseille.

Ce CHU, le troisième de France après ceux de Paris et Lyon, recouvre un territoire marqué par de fortes inégalités de santé. Adossé à l'université d'Aix-Marseille, il est reconnu pour son expertise dans plusieurs disciplines et en matière de recherche. Il fait face en revanche à des besoins de rénovation et d'investissement très élevés, alors qu'il reste fortement endetté.

Votre audition nous permettra donc d'appréhender, à l'échelle d'un grand établissement, plusieurs des défis que doit relever notre système hospitalier.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Crémieux prête serment.

Je donne tout de suite la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Dans le cadre de notre commission d'enquête, nous souhaitons mieux comprendre les déterminants des profondes difficultés de notre système hospitalier, au-delà de la crise sanitaire qui les accentue depuis près de deux ans.

Le président a rappelé quelques-unes des caractéristiques des hôpitaux de Marseille. À ce titre, votre appréciation de la situation nous apportera des éléments très concrets, mais vos fonctions antérieures vous donnent également une vision plus globale des problématiques de l'hôpital.

Sous ce double éclairage, nous voudrions aborder avec vous la question du recrutement et de la fidélisation des personnels, qui pèse aujourd'hui fortement sur les capacités hospitalières.

À cette question de l'attractivité, nous pouvons relier celle de la gouvernance et du fonctionnement des établissements ; c'est un point qui est fortement revenu dans nos auditions ; beaucoup de médecins et soignants ont exprimé leur aspiration à des organisations plus centrées sur le soin.

Les hôpitaux de Marseille portent un lourd passif financier. Nous souhaitons connaître votre appréciation sur les effets du mode de financement et de la régulation des dépenses et les évolutions qui vous paraîtraient éventuellement souhaitables.

Enfin, une part des difficultés de l'hôpital tient à des insuffisances dans la prise en charge en amont et en aval. C'est l'enjeu d'une meilleure organisation territoriale des soins et de l'articulation entre l'hôpital et la médecine de ville. Là aussi, nous souhaitons connaître votre constat et vos pistes d'évolution. Je rappelle que dans une tribune que vous avez publiée au mois de novembre dernier, vous avez appelé à instaurer une « responsabilité populationnelle ».

M. François Crémieux, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) . - J'ai passé environ 20 ans dans les hôpitaux. J'ai commencé par être directeur-adjoint dans un hôpital de proximité dans l'Oise et aujourd'hui, je dirige l'AP-HM depuis six mois. Mes réponses seront parfois davantage puisées dans mon expérience antérieure que dans la situation marseillaise compte tenu de mon arrivée récente. Les propos que je tiendrai devant vous n'engagent que moi et sont le fruit de ma réflexion avec les équipes avec lesquelles j'ai travaillé, qu'elles soient de direction ou médicales.

Les difficultés de l'hôpital sont nombreuses, grandes et complexes. Je pense que ces difficultés sont souvent surjouées dans le débat public et politique. La dramaturgie assez récurrente sur la mort annoncée de l'hôpital public n'est pas récente. J'ai trouvé dans les archives du journal « Le Monde » des articles sur ce sujet depuis l'après-guerre ! Si cela est à l'origine de débats passionnants, cela peut également devenir un frein aux nécessaires réformes, en laissant penser que l'alternative se situe entre le statu quo et la défense d'un système qui serait en péril.

Ma seconde remarque introductive porte sur cette épidémie de covid dont nous espérons tous voir la fin. Je retiens de cette crise, vue de l'AP-HP puis de l'AP-HM, qu'en janvier 2020 l'hôpital était une administration ni sclérosée, ni pléthorique, ni une entreprise mue par le seul profit et la rentabilité. J'ai pu constater la même chose un mois plus tard en février 2020. Le pouvoir n'a pas basculé d'un tout administratif vers un tout médical. L'enseignement que je tire de la crise covid est que nous avons vécu une période exceptionnelle où l'ensemble des acteurs hospitaliers n'ont eu comme limite que l'impossible ! À aucun moment la gestion de la crise n'a été rendue difficile ou impossible par ce qu'auraient été les difficultés de l'hôpital antérieurement.

Avec cette crise, nous avons tous retrouvés collectivement des marges de manoeuvre. Nous avons retrouvé la possibilité de soulever des montagnes, transformer des organisations, modifier des fonctionnements, quel que soit l'échelon. On a fait preuve de créativité et de capacité à prendre des initiatives, que ce soit concernant les équipements ou les médicaments. C'est ce qui nous manque le plus en temps normal. Et la crainte que nous avons, après la crise, est de retrouver cette difficulté à agir et ces marges de manoeuvres que nous n'aurions plus, à la fois au niveau de l'établissement dans son fonctionnement quotidien et du personnel soignant et administratif. Nous avons tous la volonté de conserver un maximum de marges de manoeuvre, pas les uns contre les autres, mais pour affronter ensemble les défis de l'hôpital. D'ailleurs, je vous ferai des propositions dans ce sens.

J'en viens à la question du pouvoir à l'hôpital et de la gouvernance hospitalière. J'ai entendu vos débats sur le rôle respectif des médecins et des directeurs et la répartition du pouvoir entre les uns et les autres. Au cours de ma carrière, quelles qu'aient été mes fonctions, ce n'est pas le sujet principal auquel j'ai été confronté. Ce ne sont pas tant des désaccords entre les responsables de la communauté médicale, notamment les élus, et les responsables nommés, que j'ai rencontrés, mais plutôt des difficultés dans la mise en oeuvre de décisions pour lesquelles nous étions d'accord. Le débat public insiste trop sur des rapports de force tendus, qui peuvent toujours exister, et insuffisamment sur les difficultés de réaliser nos missions malgré des objectifs et des ambitions souvent partagés.

Nous avons également pour objectif le recrutement et l'attractivité des jeunes qui sortent des facultés de médecine. Je souhaite attirer votre attention sur le fait que 70 % sont des jeunes femmes qui sont désormais très majoritaires parmi les étudiants. Or, nous leur proposons de rejoindre des CHU dans lesquels plus on monte dans la hiérarchie, plus les femmes sont rares, voire absentes. Je considère cela comme un problème de principe. C'est également un sujet de ressources humaines de faire que ces structures soient attractives et représentatives pour les jeunes femmes.

Nos organisations, notamment hospitalo-universitaires, restent marquées par des hiérarchies fortes. Elles peuvent être nécessaires en raison de la nature même de l'organisation des soins, mais sont parfois trop importantes. Le résultat de ces hiérarchies fortes est que le pouvoir est souvent concentré sur un petit nombre de personnes que ce soit sur le plan médical ou administratif. Trop souvent nos fonctionnements internes dans les grands hôpitaux sont soumis aux dérives d'un tout petit nombre. Et nous sommes en très grande difficulté tant sur le plan administratif que médical, lorsque le comportement de certains s'écarte de ce qui serait attendu comme « de bonne gouvernance ». Cela a deux conséquences : le sentiment d'impunité au sein de nos structures que nous donnons à un trop grand nombre de jeunes et le départ de ceux qui ne supportent plus ces injustices. Au vu de mon expérience récente, je pense que cela est un des enjeux à venir. Les comportements défaillants sur le plan managérial sont peu fréquents mais difficiles à traiter. Du coup, on transforme ces sujets individuels en grands questionnements philosophiques généraux sur la gouvernance des hôpitaux et sur les relations entre médecins et directeurs.

Les directeurs d'hôpitaux ont d'autres défis à relever, notamment le fait d'être dans un entre-soi professionnel. J'ai toujours souhaité attirer dans les équipes des profils variés. Si nous voulons traiter la question de la gouvernance autrement que par des rapports de force un peu fictifs entre directeurs et médecins, il faut faire en sorte que ces équipes de direction s'ouvrent à d'autres compétences.

Je souhaite aborder aussi la question de la difficulté d'accueillir à l'hôpital des jeunes qui sortent parfois vers 21-22 ans de leurs études. Il se dit que bon nombre de jeunes rêvent de travailler dans une petite structure, avec un temps choisi, des relations horizontales, la perspective de changer de carrière, de métier, de région. Il me faut convaincre des jeunes de rejoindre l'AP-HM pour travailler avec 15 000 professionnels, en horaires définis le matin ou l'après-midi, prévoir son planning à 6 mois, alterner les week-ends et pour certains métiers de ne pouvoir évoluer que très difficilement. Ce lien entre l'aspiration des jeunes et la réalité de notre fonctionnement de grand CHU mérite réflexion. Si une partie de nos contraintes sont liées aux 365 jours sur 365, 24 heures sur 24, aux enjeux de la qualité des soins, d'autres contraintes pourraient être levées pour une meilleure proximité au sein de l'hôpital et une plus grande délégation de responsabilités et de marges de manoeuvre au sein des équipes.

En réponse à l'une de vos interrogations sur la place de l'hôpital dans le système de santé, je pense que les difficultés rencontrées depuis deux ans ne tiennent pas tant à l'hôpital public en général, qui a su assurer ses missions, qu'au fait d'avoir été une variable d'ajustement de dysfonctionnements externes à l'hôpital. L'hôpital est souvent la variable d'ajustement des difficultés d'organisation, notamment les soins urgents ou non programmés. Certains considèrent comme excessif le recours aux urgences, mais il est nécessaire dans le contexte dans lequel les patients se retrouvent. Par conséquent, soit nous organisons de façon plus volontariste l'offre de soins de ville, soit il faut assumer que les urgences hospitalières ne sont pas un problème mais une réponse à des difficultés qui leur sont exogènes.

Concernant la pénurie de professionnels et la difficulté de l'AP-HM à recruter des professionnels, il y a trop peu de gens sur le marché du travail et nous avons formé historiquement trop peu de monde. La difficulté du recrutement est également liée à un secteur privé qui offre des possibilités de rémunération différentes du secteur public. C'est une réalité. Les écarts entre les professionnels disponibles sur le marché du travail et les besoins du secteur de la santé conduisent à des dérèglements internes majeurs dans les hôpitaux.
Je le vois actuellement à Marseille où l'on a des difficultés à pourvoir entre 10 et 15 postes de manipulateurs radio, ce qui a des conséquences sur le fonctionnement de l'ensemble du secteur de l'imagerie et donc de l'hôpital. Il en est de même pour des infirmières de bloc opératoire, ce qui conduit à des fermetures de salles et à des difficultés majeures du secteur de la chirurgie. À une époque, il s'agissait des anesthésistes, à une autre, des infirmiers anesthésistes. Il suffit que nous connaissions des difficultés de recrutement sur certains métiers pendant une période allant de quelques mois à quelques années, pour que l'ensemble du fonctionnement de l'hôpital doive s'ajuster à ces contraintes.

Concernant l'idée de responsabilité populationnelle, je pense que Marseille est spécifiquement liée à cette question post crise sanitaire. L'enjeu, à Marseille, c'est une fracture territoriale ainsi qu'une fracture d'accès aux soins. Et dans le contexte du covid, il y a eu également une fracture dans l'accès aux tests de dépistage et à la vaccination. Quand on évoque la moyenne de 80 à 85 % de Français vaccinés, dans certains quartiers de Marseille c'est moins de 50 % ou autour de 50 %. C'est une raison pour laquelle l'épidémie risque de s'estomper moins rapidement. Derrière la moyenne de la population vaccinée, les écarts sont importants. À Marseille, il y a certainement des dysfonctionnements propres, une défaillance de la médecine de ville et de l'hôpital. Le problème est que personne n'est responsable de la santé des populations. À force de ne pas être responsable de la santé d'une population identifiée, et même s'il y a eu des incitations à la coopération entre les acteurs au cours des 10 à 15 dernières années, on ne sait plus, en temps de crise ou en temps normal, vers qui se tourner pour régler et assumer les problèmes. En ce moment, la vaccination et les tests covid, demain, la vaccination contre le papillomavirus pour les jeunes dans les quartiers Nord de Marseille ! Nul n'a aujourd'hui la responsabilité d'atteindre des taux de vaccination contre telle ou telle pathologie. Ce qui est vrai avec le covid l'est pour tout, du diabète aux maladies cardio-vasculaires. L'absence de responsabilité auprès d'une population identifiée est un des freins majeurs à la réduction des inégalités de santé.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je vous remercie pour vos propos très précis et très clairs. Vous avez évoqué la liberté d'agir. Au cours de précédentes auditions, il a été souligné que la crise avait permis que tous travaillent dans le même sens autour d'objectifs communs. On retrouve désormais toutes les contraintes, notamment celles issues du code des marchés publics. Or, vous évoquez des marges de manoeuvre. Pourriez-vous les développer ?

Par ailleurs, quelles sont les difficultés que vous évoquez pour mettre en oeuvre des décisions sur lesquelles il y a pourtant accord entre direction et communauté médicale ?

Enfin, comment renforcer l'attractivité des carrières hospitalières, notamment pour les femmes ? Comment peut-on pallier les comportements managériaux déficients ? Par des sanctions, par de la formation ? Comment diversifier les profils des équipes dirigeantes sachant qu'il existe aujourd'hui une seule école qui forme des directeurs d'hôpitaux ?

M. Bernard Jomier , président . - Pourriez-vous également préciser la notion de responsabilité populationnelle que vous évoquez ? Le Parlement vote le budget sans se prononcer sur des objectifs nationaux de santé. Je crois que certains médecins, généralistes et spécialistes, ont une part de rémunération sur objectif de santé publique.

M. François Crémieux . - Dans le champ de la médecine libérale, la rémunération sur objectifs de santé (Rosp) permet, lorsque l'on suit une cohorte de patients, d'être évalué sur le respect d'un parcours de soins des patients. Cela pourrait être étendu au secteur hospitalier. Il faudrait prendre le sujet dans l'autre sens, en commençant par considérer des populations identifiées. À Marseille, c'est facile compte tenu de la grande segmentation sociale. Il faudrait identifier quelques grandes causes de santé publique, en fonction des territoires, et se fixer quelques indicateurs à atteindre, comme par exemple le taux de vaccination, le suivi de maladies chroniques ou la prévention de la dépendance chez les personnes âgées. Il faudrait une contractualisation avec une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) ou un hôpital, pour atteindre ces objectifs. On peut même lancer un appel à manifestation d'intérêt ou à concurrence pour savoir qui souhaite s'engager sur cet objectif. Puis on rémunère la structure retenue sous condition qu'elle rende des comptes sur une période définie pour respecter ses objectifs. Je pense qu'il est important de changer de logique en passant d'indicateurs, y compris sur la qualité de prise en charge, portant sur des patients qui viennent vers le système de soins, à des indicateurs portant sur des populations qui viennent ou ne viennent pas vers les acteurs de santé. Cela nous amènerait à trouver les bons interlocuteurs et les bons partenaires, notamment parmi les associations. Il faudrait des objectifs clarifiés par les agences régionales de santé (ARS), contractualisés avec des acteurs rémunérés pour le coût que cela représente, évalués en fonction des résultats obtenus et séquencés dans le temps. Ce n'est pas incompatible avec le fait que chacun soit suivi par une équipe pluri-disciplinaire, type CPTS. Cela nous permettrait de franchir des caps en termes de qualité de prise en charge ou de soin. Nous avons des problématiques similaires avec la population scolaire, universitaire ou salariée. Nos dispositifs de santé publique, médecine scolaire, universitaire ou de travail, ont de grandes difficultés pour remplir leur mission. Nous pourrions là aussi imaginer des objectifs de santé publique contractualisés, pourquoi pas avec de nouveaux acteurs autres que ceux prenant traditionnellement en charge la santé de ces populations. Tel était le sens de notre article publié avec le professeur Jouve, à la suite de notre désarroi devant la situation des quartiers Nord de Marseille.

S'agissant des enjeux de formation, je suis diplômé de l'École des hautes études en santé publique (EHESP). Il s'agit d'une école pluridisciplinaire qui pourrait probablement encore renforcer les liens de formation entre ceux qui seront appelés à exercer des responsabilités tant administratives que médicales. J'ai eu la chance de suivre simultanément, avec des médecins, un troisième cycle de santé publique à la faculté de médecine de Bichat. Cela m'a beaucoup appris, notamment en culture générale médicale et crée des relations. Cette connexion entre les formations ne me semble pas difficile à organiser et à développer. Cela fait le lien avec les équipes de direction, notamment des gros établissements, qui pourraient associer des profils plus variés que ce n'est le cas aujourd'hui.

Sur la question de la place des femmes et de la féminisation, je vois deux enjeux. Les responsables hospitaliers et universitaires de demain sont très largement sélectionnés entre 30 et 45 ans, période où les carrières se dessinent. Or durant cette période, les femmes rencontrent souvent des contraintes liées à la maternité. Obtenir une liste de titre, publications et travaux durant cette période de vie est plus difficile pour une femme. Cela explique qu'autour de 30 % de femmes seulement sont promues à des fonctions hospitalo-universitaires. On peut réfléchir dans deux directions. Comment compenser le temps de maternité sur cette décennie afin de permettre aux femmes de boucler un projet de recherche et d'alimenter leur liste de titres et travaux ? On ne doit pas nier que sur cette période, on demande plus à certains qu'aux autres. Mais je ne suis pas sûr que l'on puisse échapper au débat sur une accélération des évolutions par une logique de quotas. J'en connais les limites et les critiques. Vous les avez vécus sur le plan politique au cours de ces dernières années. On ne peut pas constater, dans 10 ans, que rien n'a changé. Avoir un leadership hospitalo-universitaire aussi masculin pose un problème de principe. Je pense que cela constitue aussi un problème managérial de gestion des ressources humaines, d'attractivité et de fidélisation. Si nous voulons attirer ces jeunes femmes vers l'hôpital public, nous devons faire évoluer nos modèles de fonctionnement interne.

Quelles pourraient être les marges de manoeuvre ? Je ne pense pas à un texte de loi ou à un décret qui manquerait. Dernièrement, davantage de souplesse a été donnée au mode de fonctionnement interne des hôpitaux. Il s'agit d'abord d'un enjeu politique car la souplesse dont nous avons bénéficié pendant la crise était liée à une ambition qui nous dépassait tous, sauver des vies, assumer cette crise et passer outre les difficultés tant managériales, qu'économiques ou administratives. Cette ambition collective nous a permis de ne pas nous réfugier les uns derrière les autres. C'est de la politique. C'est très général, mais c'est un des enjeux. En tant que directeur général de l'AP-HM, je m'attache à faire en sorte qu'une vision collective nous donne envie de saisir les marges de manoeuvre que nous avons.

Il y a également des enjeux de gouvernance interne. Nous pouvons là encore donner plus de marges de manoeuvre aux équipes de pôles ou de services sur des questions très opérationnelles, comme les horaires de travail qui n'ont pas nécessairement à être totalement homogènes. Cela n'est déjà pas le cas, mais les horaires de travail pourraient être plus diversifiés encore, avec certes certains inconvénients à traiter : avoir des horaires différents entre services d'un même bâtiment ou d'un même pôle rend plus compliqué le fonctionnement de pools de remplacements. Nous pouvons peut-être envisager plus de complexité si on va vers plus de proximité et de marges de manoeuvre. Trop de simplicité et d'homogénéité peut réduire cet enthousiasme collectif.

Pour faire le lien entre la question des marges de manoeuvre et la présence de 70 % de femmes à l'hôpital, le fait d'avoir des horaires fixes a des conséquences majeures comme dans aucun autre secteur de la société, sur la vie personnelle de ces personnes, notamment sur les gardes d'enfants le matin ou le soir, qui ne sont pas compensés.

Enfin, je pense que dans les relations entre hôpitaux et ARS, nous devons aller plus encore vers l'assignation d'objectifs de santé publique ou de bonne gestion à moyen ou long terme, et une supervision a posteriori , avec peut-être une sanction plus forte lorsque les objectifs ne sont pas atteints.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Pourriez-vous nous donner un exemple de difficultés de mise en oeuvre de décisions prises en accord avec la communauté médicale ?

M. François Crémieux . - Il y en a tous les jours ! Lorsqu'avec le président de la commission médicale d'établissement, le professeur Jean-Luc Jouve, nous estimons qu'il faut réorganiser tel secteur de chirurgie vasculaire, de radiologie ou de psychiatrie, se pose la question de savoir comment convaincre l'intéressé, le doyen, le pôle, etc. C'est notre quotidien. Dans mon expérience professionnelle, la difficulté ne tenait pas tant à des désaccords de principe avec le président de la communauté médicale, mais plutôt à la complexité de ce monde professionnel, avec des pouvoirs et contre-pouvoirs, des logiques de discipline et des rapports de force entre les services. Nous sommes deux dirigeants, l'un élu et l'autre nommé, à la tête d'un hôpital, avec comme objectif de décanter les sujets pour faire avancer l'hôpital. Ce n'est pas du tout l'image que l'on donne de deux personnes qui passent leur temps à s'écharper avec une vision économique d'un côté et une vision médicale de l'autre.

M. Bernard Jomier , président . - La loi hôpital, patients, santé, territoires (HPST) avait notamment pour objectif de faire en sorte qu'il y ait une direction qui tranche. Or, vous semblez indiquer que cette même complexité prévaut. Est-ce que cela signifie que la gouvernance actuelle et le monde hospitalier en général, n'y trouve pas satisfaction ? Est-ce à l'intérieur de l'hôpital que se trouvent les solutions aux difficultés que vous pointez ?

M. François Crémieux . - Il y a des sujets à l'extérieur de l'hôpital, notamment dans les relations entre l'hôpital et sa tutelle, l'ARS, mais je pense que les enjeux principaux sont au sein de l'hôpital et d'ordres managériaux. Dans mon quotidien, il m'arrive d'assumer le pouvoir in fine sur des décisions d'ordre disciplinaire ou juridique, mais ces décisions ne font pas débat et n'entrent pas dans la catégorie des actes pouvant relever de l'excès de pouvoir des directeurs d'hôpitaux. Je pense que si j'exerce un pouvoir excessif à tort, ce n'est pas pour longtemps car dans la réalité du positionnement d'un directeur de CHU, ce n'est pas l'hôpital qui change mais le directeur qu'on bouge ! Cela implique que les décisions difficiles soient assumées de la manière la plus collective. Il peut y avoir des débats sur la personne qui doit exercer le pouvoir, mais l'important est de savoir qui a la responsabilité juridique. Cette responsabilité est administrative et peu contestée. Cela ne veut pas dire qu'il faut laisser la responsabilité managériale au bon sens de chacun, car cela fonctionne inégalement. Il pourrait y avoir une clause de revoyure régulière avec les ARS afin d'expliquer comment nous entendons diriger l'hôpital et rendre des comptes. Je pense que cela se fait déjà comme ça même si cela se voit peu. Il faut rendre cet exercice managérial au sein de nos hôpitaux plus visible pour éviter les faux débats.

M. Alain Milon . - Je souhaite revenir sur la loi HPST qui pâtit beaucoup d'une expression du Président de la République de l'époque qui avait dit qu'il fallait un seul patron à l'hôpital. Or, l'esprit de la loi HPST était de créer un binôme entre le directeur de l'hôpital et le président de la CME. Lors des discussions, nous avions dit qu'en cas de désaccord persistant entre les deux, c'était au directeur de prendre la décision. Je constate peu de difficultés entre ces deux personnages, notamment dans ma région. C'est un binôme qui travaille pas trop mal ensemble. Je souhaite revenir sur l'objectif de santé publique qui me semble assez compliqué à mettre en oeuvre pour un CHU comme à Marseille, qui est à la fois un centre hospitalier universitaire régional et un hôpital de proximité. Comment mettre en oeuvre dans les quartiers de Marseille des objectifs de santé publique à partir du CHU ? Quand on a un hôpital local, on peut travailler avec la CPTS et on arrive à fixer des objectifs de santé publique. Sur les relations parfois compliquées avec les ARS, je pense qu'elles tiennent surtout aux hommes. Néanmoins, nous pourrions faire des propositions sur la gouvernance des ARS. Dans le cadre du projet de loi 3DS, le Sénat avait souhaité un conseil d'administration co-présidé par le président de région et le préfet de région. Cela a été rejeté à la fois par l'Assemblée nationale et par le Gouvernement. Faire participer les politiques aux conseils d'administration des ARS et à la direction des hôpitaux est-il une bonne solution ? La contrepartie à une participation au processus de décision serait naturellement une participation financière.

M. Jean Sol . - Quelle part accordez-vous à la filière soignante dans votre conception managériale ?

M. Laurent Somon . - Concernant la possibilité de redonner des capacités aux pôles, cela va-t-il jusqu'à la délégation d'enveloppes à des pôles ou services pour leur permettre une autogestion ?

M. François Crémieux . - La notion de responsabilité populationnelle existe au moins dans trois domaines que sont les infarctus du myocarde, les AVC et les transplantations, même si on n'utilise pas cette terminologie. On donne à un CHU d'une région, compte tenu de la population desservie, des objectifs à atteindre en termes de capacité de soins à mettre en place ou de durée d'accès à une salle de soins. Il y a 800 000 habitants à Marseille, nous avons des objectifs et nous rendons des comptes régulièrement à l'ARS. La question est de décliner ces objectifs non pas seulement sur des soins techniques mais aussi sur des objectifs de santé publique et d'accès aux soins. Dans certains cas, le CHU sera impropre à répondre à la question parce que trop gros, trop loin, trop spécialisé. Dans d'autres cas, nous serons des partenaires utiles, en s'adossant par exemple sur nos services d'urgence ou sur un service de gynécologie-obstétrique, et nous serons en appui d'associations qui auront comme mission, en lien avec l'ARS, d'atteindre des objectifs de santé publique. J'insiste sur cette notion de responsabilité. Qui est responsable de quoi sur un territoire par rapport à la santé des habitants ? L'État et les élus sont responsables de la définition d'objectifs et d'éléments qui concourent à la santé et qui ne relèvent pas du système de soins. Les acteurs du système de soins devraient être responsabilisés sur le fait d'atteindre des objectifs de prévention, d'éducation, de vaccination ou d'accès aux soins... Les incitations financières ne suffisent pas. Au lieu de nous dire qu'on est responsable, par exemple, de la prévention des maladies sexuellement transmissibles sur les adolescents d'un quartier, on nous a donné des moyens pour créer des équipes mobiles en pensant qu'en apportant une offre de soins cela répondrait à la question de l'accès aux soins pour les populations concernées. Cela fait des décennies que l'on travaille avec cette logique et le résultat à Marseille est une inégalité aux soins que le covid a révélé de façon évidente.

S'agissant des soignants, c'est un enjeu majeur compte tenu de leur rôle et de leur mission. Alors que le Ségur a traité certaines questions catégorie par catégorie, la communauté des cadres considère avoir pour partie été oubliée. Une infirmière qui bénéficie, outre sa rémunération de base, d'heures supplémentaires et de surrémunérations de week-end ou autres, et qui progresse dans son parcours professionnel et devient cadre peut alors gagner moins. La mécanique de la rémunération des cadres est moins favorable que celle des soignants. C'est un enjeu de niveau national à la fois systémique autour de la formation, de la valorisation et de l'accompagnement des carrières des cadres.

J'ai évoqué l'attractivité et de la fidélisation des soignants. Le turn over est très important. Une fois le personnel formé, une partie du personnel de santé a tendance à repartir rapidement. Nous avons une déperdition de compétences liée à ces départs et d'énergie de la part de ceux qui les ont formés au sein des équipes. On atteint les limites du système ! En cette période, la crise a entraîné une partie des soignants à prendre des tournants dans leurs projets professionnels.

La délégation doit bien sûr inclure celle d'enveloppes budgétaires, mais les enjeux ne se résument pas à cela. À Marseille, ils sont plus larges. Nous cherchons à mettre autour de la table l'ensemble des protagonistes
- médecins, soignants, direction - et des problématiques, qu'elles portent sur le degré de liberté de choix sur les investissements, les questions de temps de travail et d'organisation des horaires ou les projets stratégiques. Notre défaut est de traiter toutes ces questions de manière segmentée avec chacun de nos interlocuteurs. Or, pour le bon fonctionnement d'une équipe, il faut prendre en compte tous les éléments. Cela peut conduire à des délégations d'enveloppe ou un droit de tirage sur des projets d'investissement. La question de la marge de manoeuvre ne doit pas se limiter à cette seule délégation financière. Il ne s'agit d'ailleurs pas de la demande principale, car les questions d'investissement peuvent être débattues en mont sans nécessairement recourir aux délégations. Donner à une équipe la possibilité de négocier l'organisation des horaires de travail est tout aussi important pour le collectif.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Nous n'avons pas encore évoqué la question des urgences. Souvent l'hôpital est le réceptacle de toutes les urgences, qui ne se traduisent pas forcément par une hospitalisation. Quelles solutions proposez-vous pour désengorger ce service et que pensez-vous du forfait urgence ?

M. François Crémieux . - J'espère que nous pourrons mettre en oeuvre ce forfait urgence qui est une mesure de simplification, même si je suis moyennement optimiste sur ses effets sur le parcours des patients et le recours aux urgences. De par mon expérience personnelle et professionnelle, je pense que l'idée selon laquelle un grand nombre de patients auraient recours aux urgences de manière infondée est inexacte. L'immense majorité des patients qui arrive à l'hôpital le fait de manière rationnelle. Ce n'est peut-être pas la meilleure manière de faire dans le système de santé à ce moment-là et à cet endroit-là mais, compte tenu des alternatives qu'avaient les patients, je pense sincèrement qu'aller aux urgences était souvent la meilleure des options. Les urgentistes reprochent qu'il n'y ait pas d'alternatives plus pertinentes, mais pas que le patient ait choisi cette formule. Je n'ai pas de solutions mais des inquiétudes.

Les services d'urgences des Bouches du Rhône, et notamment de Marseille, sont extrêmement fragiles, en raison d'équipes incomplètes, un tiers de médecins manquent par rapport à l'effectif cible, de la fatigue des deux années de crise que l'on vient de vivre, des évolutions cycliques difficiles à vivre et de l'absence de lits d'aval. Il faut avoir une réflexion en profondeur sur le sujet avec notamment les responsables de la filière universitaire. Aujourd'hui, le pessimisme est malheureusement très partagé.

M. Laurent Somon . - Avez-vous un retour sur les services d'accès aux soins (SAS) qui ont été expérimentés et sont destinés à répondre à cette problématique ?

M. François Crémieux . - J'ai eu des retours assez lointains de ce qui peut se faire ici ou là. Nous allons développer une expérimentation du SAS avec le SAMU de Marseille. J'ai l'espoir que le SAS vienne améliorer la qualité des parcours de soins des patients, notamment ceux avec des maladies chroniques et déjà connus par le système de santé. Le SAS doit jouer le rôle d'une tour de contrôle qui doit permettre aux patients d'avoir le bon parcours, grâce à sa connaissance du système de santé. Cela nous permettra peut-être d'améliorer le parcours de soins des malades sans forcément réduire le nombre de passages aux urgences. Mais cela ne résoudra pas à court terme les difficultés de recrutement des urgentistes pour faire fonctionner les services 24 heures sur 24 tout au long de l'année !

M. Bernard Jomier , président . - Nous reparlerons certainement du SAS dans les prochaines auditions. Vous avez largement développé le champ de l'hôpital et de la santé publique. C'est peut-être une voie supplémentaire pour redonner du sens à l'hôpital. Cela pose également la question des limites de l'hôpital et de sa place dans le système de santé. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de Mme Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile

(mercredi 26 janvier 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Mes chers collègues, je suis heureux d'accueillir Mme Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (Fnehad).

L'hospitalisation à domicile (HAD) est portée par près de 300 structures dans notre pays. C'est une forme d'hospitalisation relativement peu connue, bien qu'elle se soit nettement développée ces dernières années puisqu'elle représente une part non négligeable (plus de 5 %) des capacités d'hospitalisation.

Nous souhaitons vous entendre sur la situation propre à vos structures, dans le contexte global des difficultés que connaît le secteur hospitalier. Nous voudrions également savoir dans quelle mesure l'hospitalisation à domicile peut constituer une réponse à ces difficultés. Vous évoquerez très certainement sur ce point la feuille de route pour les cinq années à venir qui a été présentée le mois dernier avec le ministère des solidarités et de la santé.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et je vous invite, Madame Hubert, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Élisabeth Hubert prête serment.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Merci Madame la présidente de votre présence aujourd'hui.

En effet, nous sommes attentifs à l'hospitalisation à domicile et nous souhaitons avoir votre regard sur la situation de l'hôpital.

L'hospitalisation à domicile se concentre sur certains types de prise en charge : soins palliatifs, pansements complexes, assistance respiratoire ou nutritionnelle, chimiothérapies, soins à des patients lourdement dépendants.

Comme l'a indiqué Bernard Jomier, elle se développe, encore que, semble-t-il, d'autres pays européens y aient davantage recours. Vous nous direz ce qu'il en est.

Depuis le début de nos travaux, nous avons recueilli de nombreux témoignages sur les difficultés de l'hôpital en matière de ressources humaines, qui se sont accentuées avec la crise sanitaire même si elles préexistaient. Comment ce contexte général se traduit-il sur l'hospitalisation à domicile ? C'est une des questions que nous souhaitons aborder avec vous.

Nos travaux montrent également qu'une bonne partie des difficultés de l'hôpital trouvent leur source hors de l'hôpital, dans les dysfonctionnements ou les défaillances de l'organisation des soins, notamment le cloisonnement ou le manque de coordination entre les différents professionnels.

De ce point de vue, l'hospitalisation à domicile constitue une formule intéressante puisqu'elle repose précisément sur le décloisonnement et la coordination avec des intervenants issus du monde hospitalier, des professionnels médicaux ou paramédicaux installés en ville et, en ce qui concerne les patients les plus âgés, les structures médico-sociales.

L'hospitalisation à domicile peut-elle constituer une sorte de « laboratoire » de prises en charge mieux coordonnées et plus efficientes, dans lesquelles l'hôpital serait beaucoup moins qu'aujourd'hui, pour certains patients, une solution par défaut ? C'est également un point sur lequel nous souhaitons échanger avec vous.

M. Bernard Jomier , président . - Madame la présidente, nous vous proposons de commencer par un exposé introductif suite aux premières interrogations qui viennent d'être formulées. Mme la rapporteure aura ensuite certainement des questions à vous poser. Enfin, nos collègues, présents dans la salle ou en visioconférence, pourront intervenir. Vous avez la parole.

Mme Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile . - Je vous remercie de cette invitation et de l'opportunité qui m'est donnée d'aborder le sujet de de l'hospitalisation à domicile dans le cadre de cette commission d'enquête sur la situation de l'hôpital. En effet, il est important comprendre comment l'hospitalisation à domicile s'organise dans un environnement élargi.

La tension hospitalière est très régulièrement évoquée depuis deux ans. Or cette tension, dont je ne nie pas l'existence, ne se perçoit pas en termes d'activité d'hospitalisation à domicile. Les chiffres à fin novembre 2021 attestent bien d'une progression qui est habituelle d'une année sur l'autre depuis 15 ans, mais celle-ci s'est émoussée au cours de l'année 2021. En effet, l'augmentation du nombre de journées de HAD en 2020 était de 10,4 % alors qu'elle n'était que de 7,2 % au 30 juin 2021, en glissement sur un an. Cette baisse du taux de progression n'était alors ni inquiétante ni anormale, car elle était conjoncturelle, la covid ayant engendré une poussée de plus de 10 %.

À fin septembre 2021, la progression n'était plus que de 5,2 % comparée à fin septembre 2020. Cette diminution est intéressante et s'explique par les mois d'été qui avaient permis de constater une érosion de cette progression et pendant lesquels le recours à l'hospitalisation à domicile s'était fortement émoussé. À fin novembre, le taux de progression n'était plus que de 3,8 %. Nous constatons donc que le recours à l'hospitalisation à domicile est beaucoup moins intense qu'il ne l'a été par le passé dans toutes les régions pour des raisons que nous percevons un peu, mais sur lesquelles il serait trop long de s'appesantir ici.

Il a été question des tensions et des difficultés dans des établissements hospitaliers pour prendre en charge les patients. Un certain nombre d'ARS l'ont parfaitement entendu également, car elles organisent des réunions avec les centres hospitaliers ainsi que les établissements de HAD afin de comprendre les raisons pour lesquelles, alors que les hôpitaux sont sous tension, les établissements de HAD peuvent prendre en charge des patients.

Il me semble important de clarifier la situation, ce qui constitue d'ailleurs tout l'intérêt de votre commission d'enquête, non dans le but d'accuser, mais pour décrypter les raisons d'un malaise. La réponse ne saurait se réduire à affirmer la nécessité d'augmenter le nombre de lits puisque nous voyons bien qu'aujourd'hui, les raisons des crises sont certainement diverses et s'inscrivent dans une échelle de temps qui n'est pas simplement conjoncturelle ou liée uniquement à la crise de la covid.

Tout d'abord, il est important de savoir qu'aujourd'hui en France, tous les territoires sont dotés d'une offre d'hospitalisation à domicile. Je n'affirme pas qu'elle est efficiente et optimale partout, mais tous les territoires français en sont dotés, y compris nos territoires ultra-marins. Mayotte a obtenu deux autorisations il y a quelques mois. La Réunion a reçu de très belles offres et des tentatives d'en créer en Nouvelle-Calédonie et Polynésie sont engagées depuis un certain temps.

À date, les besoins sont couverts territorialement. Le nombre d'établissements de HAD n'augmente plus et a tendance à diminuer, non pas parce que des territoires ne seraient plus couverts, mais parce que des regroupements ont eu lieu. En effet, quelques années auparavant, à une époque qui correspondait au remplacement des ARH par les ARS, des établissements de HAD ont été créés en contrepartie de suppressions de services hospitaliers (service d'obstétrique, service de chirurgie, etc .). Remplacer des services par des lits de HAD n'était pas obligatoirement un gage d'efficience. Des structures de petite capacité ont vu le jour sur des territoires trop restreints pour pouvoir développer l'activité telle que nous la concevons. C'est ce qui a conduit à des regroupements.

Vous avez évoqué les difficultés de l'hôpital et ses dysfonctionnements. Nous connaissons tous un problème de ressources humaines. Ce problème existe dans le médico-social, dans le sanitaire aussi bien à l'hôpital qu'en clinique et il se manifeste aussi chez nous de manière prégnante. Recruter des médecins en HAD est un parcours du combattant en raison des exigences salariales élevées que nous sommes obligés d'accepter, indépendamment des crédits Ségur. Il nous est déjà difficile de recruter en y mettant le prix, mais c'est une tâche impossible si nous nous y refusons, notamment dans les deux tiers du territoire français qui sont les plus au nord. Le recrutement de médecins est en effet un peu moins ardu au sud.

Actuellement, nous connaissons également des difficultés pour recruter des infirmiers, mais nous y parvenons tout de même, compte tenu du nombre d'infirmiers qui ont été formés et de ceux quittant l'hôpital et désirant connaître d'autres expériences.

Concernant les aides-soignants, nous faisons face à d'énormes difficultés de recrutement, comme tout le monde. Malgré l'attractivité du travail offrant une plus grande autonomie, la possibilité de disposer de véhicules de société avec la prise en charge non négligeable des frais de carburant ainsi que des salaires en hausse, ces professionnels sont très difficiles à recruter. La cause principale est liée aux horaires coupés qui constituent un inconvénient majeur. En effet, en HAD, les aides-soignants travaillent avec des horaires coupés et subissent tous les inconvénients d'un travail qui commence tôt le matin, puis qui reprend en milieu d'après-midi.

Nous connaissons donc les mêmes difficultés de recrutement que les autres secteurs. Lorsque vous évoquez le dysfonctionnement de l'hospitalisation conventionnelle en proie aux insuffisances de coordination et d'organisation, nous en sommes à la fois les témoins et les victimes. En effet, les établissements de HAD sont des structures d'aval : quatre fois sur cinq, la demande de HAD émane d'un praticien hospitalier. Une fois sur cinq, elle provient d'un praticien du libéral, notamment lorsque des établissements ont davantage développé les relations avec le secteur libéral. Un patient sur quatre ou cinq vient d'une hospitalisation conventionnelle qui a précédé son séjour en HAD. Cependant, nous constatons toujours des appels au dernier moment.

À l'occasion d'une réunion organisée ce matin même, j'ai pris connaissance de statistiques indiquant que sur dix demandes faites en HAD, trois ou quatre ne seront pas honorées.

Dans un bon nombre de cas, les demandes de HAD ne sont pas honorées, car le patient est finalement orienté vers une autre destination (Ehpad, SSR etc .). En réalité, l'organisation utilise un logiciel d'orientation dénommé « Trajectoire » qui est un très bon outil, mais plutôt utilisé comme un « arroseur ».

Après avoir renseigné un certain nombre d'informations, la demande est envoyée à tous les établissements connectés sur le territoire donné et le premier établissement qui répond est pris en considération même s'il ne représente pas la meilleure solution pour le patient. Ce système n'est pas respectueux des patients ni de leurs choix. Ce logiciel permet effectivement d'aider aux orientations et favorise une certaine fluidité du système, mais il méconnaît très largement la situation des patients.

Parfois, les demandes ne sont tout simplement pas adaptées et concernent des soins qui peuvent être dispensés en ambulatoire par une infirmière seule, alors que nous représentons un évitement à l'hospitalisation conventionnelle pour des soins complexes, lourds et techniques, comme vous l'avez rappelé. Les mots ont un sens et une HAD reste une hospitalisation. Nous menons des réflexions sur ces sujets, mais nous dépendons d'une tarification à l'activité. Par conséquent, si nous ne pouvons pas établir une cotation, nous ne pourrons pas prendre en charge le patient. Ce travail pédagogique est encore et toujours d'actualité. En 2017, la Haute Autorité de santé a diffusé un outil d'aide à l'orientation des patients en HAD, intitulé l'ADOP-HAD. Cette application, simple d'utilisation, propose également d'appeler l'établissement de HAD pour de plus amples informations.

Or les demandes sont souvent trop tardives et nous sommes confrontés à des situations où le patient ne pourra pas être transféré en HAD, car il est décédé ou parce que son état s'est trop aggravé. Ces demandes trop tardives ne sont, encore une fois, pas respectueuses des patients. Nous avons même parfois des demandes de prise en charge de patients complètement débranchés et pour lesquels il ne reste aucun espoir. Ces demandes devraient nous parvenir dix à quinze jours plus tôt pour nous permettre de proposer un véritable accompagnement d'une fin de vie.

Nous assistons donc encore à d'énormes problèmes d'organisation, d'appropriation des rôles ainsi que de compréhension de ce qui peut être réalisé au domicile. Je trouve que de nombreux médecins et praticiens, ayant une culture très hospitalière et uniquement hospitalière, n'ont pas du tout perçu l'évolution et la possibilité offerte par le domicile au regard des progrès thérapeutiques et des progrès des techniques médicales. Aujourd'hui, nous pouvons réaliser à domicile des pansements complexes qui étaient inconcevables lorsque j'exerçais moi-même en tant que médecin. Nous pouvons diffuser des produits dont nous n'imaginions pas qu'ils seraient un jour diffusables à domicile. Paradoxalement, durant cette crise, il nous a été demandé de réaliser des perfusions de chimiothérapie, d'anticorps monoclonaux, qui nécessitent tout de même un minimum de procédure et de règles établies. Or nous sommes souvent contraints de répondre dans l'urgence.

Des patients qui nécessitent des soins pour lesquels les gestes sont connus et maîtrisés ne nous sont pas confiés alors que nous recevons des demandes de prises en charge de patients qui nécessitent des actes plus délicats et risqués. Nous pouvons les prendre en charge, mais un dialogue est nécessaire afin de mettre en place les protocoles nécessaires au bon suivi du patient. Cette contradiction pèse sur le fonctionnement. Elle trouve son origine dans les problèmes de compréhension de l'activité des acteurs du soin, de leurs capacités, d'une organisation à l'intérieur des établissements qui continue à être évaluée au nombre de lits alors que la règle de calcul a changé, des difficultés de recrutement et des insuffisances de personnel.

Pourquoi ne pas mettre en place une gestion mutualisée, notamment des hospitalisations des week-ends ? Cette suggestion n'est pas dénuée d'intérêt, car les personnels hospitaliers, infirmiers et aides-soignants, travaillent un week-end sur deux, notamment dans le public.

Ces dysfonctionnements d'organisation pèsent sur la capacité à interroger la justification de l'hébergement hospitalier, c'est-à-dire de se demander si la situation d'un patient arrivé aux urgences justifie qu'il soit dans un lit. Aujourd'hui, ce mode de pensée ne prédomine pas et nous évoluons même plutôt dans une culture à rebours de cette philosophie.

M. Bernard Jomier , président . - Selon vous, pourquoi ce mode de pensée persiste-t-il ?

Mme Élisabeth Hubert . - Je pense que les raisons sont nombreuses, mais que l'une d'entre elles a trait à la formation des médecins. En effet, cette formation hospitalo-universitaire se déroule dans un univers formaté et conditionné qui a fait disparaître certaines pratiques comme l'interrogatoire du patient et de son entourage, la sémiologie ou l'étude des signes. Les examens complémentaires étaient demandés seulement après cette première étape. De nos jours, les différents examens sont prescrits alors que le patient est déjà dans un lit : radio, scanner, prise de sang, etc . Ce tropisme technique conduit à moins mesurer et prendre en compte les éléments diagnostics cliniques. Il s'agit d'un problème de formation et de « tunnellisation ». Il y a une sous-segmentation des disciplines en médecine. En caricaturant un peu, un médecin de garde spécialiste de la hanche préfèrera attendre le lendemain pour confier à l'orthopédiste un patient qui s'est cassé le bras. Les spécialisations se sont multipliées en cardiologie, telles la rythmologie ou l'hypertensiologie. Je ne prétends pas que cela n'a que des défauts, car nous avons des professionnels qui sont parfaitement experts dans leur domaine. Néanmoins, ce n'est pas parce qu'un professionnel est hyperspécialisé dans un domaine qu'il n'est pas compétent dans d'autres.

Je considère que la formation est un élément extrêmement important sur lequel il faut insister, non pas en allongeant la durée de formation, mais en s'efforçant de l'adapter davantage aux besoins de la population qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Vous avez fait allusion au fait que nous pouvions être une sorte de « laboratoire ». Nous le sommes, ce qui constitue à la fois un avantage et un inconvénient. Nous sommes hybrides, car nous appartenons à un domaine, celui de l'hospitalisation, mais notre hospitalisation relève du domaine de l'ambulatoire. Ce caractère hybride est une immense chance. La taille de nos structures et le fait que nous ayons finalement des investissements extrêmement légers grâce au numérique nous permettent une grande adaptabilité. Avoir cette capacité d'adaptation est un élément important pour mieux prendre en compte les besoins qui nous sont exprimés, mais a contrario , il n'est pas toujours aisé de nous identifier.

De plus, l'hospitalisation à domicile est non seulement un dispositif sanitaire dans les conditions que je viens d'évoquer, mais lorsque nous effectuons des évaluations de prise en charge d'un patient, elles comportent trois dimensions :

- une dimension médicale en premier lieu avec un projet thérapeutique curatif ou palliatif ;

- une dimension soignante et organisationnelle avec une évaluation de l'organisation à mettre en place (le nombre de passages d'infirmiers, la prévision d'une aide-soignante si le patient est dépendant, le matériel) ;

- une troisième dimension psychosociale très importante, avec des lectures parfois un peu compliquées des situations. Par exemple, dire à un médecin que nous prenons en charge un patient un peu limite, car il existe un tel problème social dans son environnement que nous devons accompagner la mise en place de l'APA, et répondre à ce même médecin le lendemain que nous refusons un patient du même âge et présentant la même pathologie, peut être à l'origine d'incompréhensions. Or, le deuxième patient a un entourage et un environnement favorables, son autonomie n'est pas meilleure, mais notre intervention n'aurait pas été psychosociale. Elle aurait été uniquement soignante et du domaine d'une infirmière.

Ma dernière réponse concerne votre question sur les autres pays européens. Même si mon propos peut vous apparaître un petit peu sévère, il n'est pas un plaidoyer pro domo pour l'hospitalisation à domicile telle que nous la pratiquons, mais l'emploi des mêmes termes ne recouvre pas obligatoirement une réalité semblable à l'étranger. Le home care à l'étranger, notamment dans les pays anglo-saxons, ne recouvre pas toujours les mêmes situations. Un champ plus extensif existe, à mi-chemin entre l'hospitalisation à domicile de la France et l'ambulatoire, dans lequel sont intégrés un certain nombre de soins réalisés aujourd'hui en France par des prestataires.

De plus, une étude datant de quatre ou cinq ans et réalisée par un étudiant de l'École des hautes études en santé publique nous a permis de comprendre que l'on qualifiait d'hospitalisation à domicile en Angleterre, au Danemark, dans les pays nordiques, au Canada, en Espagne, en Italie, en Australie, des prises en charge comparables à l'hospitalisation à domicile en France, mais sur un champ territorial beaucoup plus limité. Par exemple, en Espagne, on trouve dans la région de Valence une activité se rapprochant beaucoup de l'hospitalisation à domicile, avec les mêmes champs et les mêmes organisations. Il en était de même pour une province en Australie. Ailleurs, nous nous sommes aperçus de similitudes pour certaines typologies de patients, comme les patients âgés pour les soins palliatifs par exemple. L'hospitalisation à domicile correspond donc à une réalité plus segmentée à l'étranger. Nous avons constaté que nous étions le seul pays doté d'une démarche aussi exigeante, technique et complexe, diffusée sur tout le territoire, avec un champ aussi large qui allait du nourrisson à la personne très âgée, et qui était solvabilisée par l'assurance maladie.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - J'ai une première question : par rapport à la prise en charge hospitalière, quelle est l'intensité en personnel requise pour une HAD ? En d'autres termes, est-ce que l'hospitalisation à domicile est plus ou moins exigeante en personnels médicaux et paramédicaux ?

Par ailleurs, peut-on dire que nous avons une couverture territoriale homogène ? Des disparités existent-elles ?

Vous avez évoqué la comparaison avec les autres pays. Lorsque vous expliquez que le nombre de lits n'a pas besoin d'être augmenté, qu'entendez-vous par « lits » ? Un lit peut-il être vide une partie du temps, mais avec du personnel qui y est affecté ? Qu'entendez-vous précisément par ce terme de « lit » ?

Par ailleurs, la Cour des comptes avait évoqué la possibilité d'envisager une HAD pour des patients arrivés aux urgences sous réserve d'avoir des organisations très réactives. Avez-vous eu des expériences en ce sens ?

Sur le financement, vous avez évoqué la tarification à l'activité. Le financement actuel de l'hospitalisation à domicile est-il satisfaisant ou plaidez-vous pour des réformes ?

Mme Élisabeth Hubert . - Concernant l'intensité en personnel, la situation a beaucoup évolué au fil des années et les chiffres que je vais vous communiquer correspondent à des moyennes.

Je commencerai par les médecins, non pas parce que je privilégie la profession, mais parce qu'ils sont les plus difficiles à recruter comme je vous l'expliquais précédemment.

Aujourd'hui, nous estimons que, compte tenu de la complexité des patients, l'idéal est d'avoir un médecin pour 40 à 45 patients maximum. Ce ratio permet aux médecins d'avoir une bonne connaissance de leur patientèle et d'assurer pleinement leur rôle de médecins-praticiens en HAD. Ils ne se substituent pas aux médecins traitants, mais agissent comme de véritables experts. Ils sont les praticiens du suivi des patients. Cependant, cette configuration idéale reste rare. Certains établissements y parviennent, mais temporairement seulement, car il suffit d'une absence ou d'une grossesse pour revenir à des situations moins confortables d'un médecin pour 50, 60, voire même 70 patients. La difficulté à recruter des médecins est bien entendu la première cause de ces difficultés.

Le deuxième poste est celui des infirmières, sachant que deux modes de travail coexistent en HAD.

Certains établissements, notamment les plus anciens, travaillent majoritairement avec des infirmières salariées. Ces établissements assurent le service auprès des patients comme à l'hôpital.

Mais de plus en plus d'établissements travaillent aujourd'hui avec des infirmières libérales. Une infirmière est ainsi affectée à un patient, qu'elle continue de suivre en HAD. Pendant des années, ce mode de travail a été conflictuel et difficile, mais nous constatons aujourd'hui une entente globalement satisfaisante sur le terrain. Certes, quelques frictions persistent, mais cette démarche est devenue commune et nous permet de nous adapter. Aujourd'hui, les infirmières libérales sont nombreuses et cette situation nous permet d'être moins dépendants des embauches. Par contre, nous sommes de plus en plus dotés d'infirmières-coordinatrices dans nos établissements de HAD. Elles représentent les chevilles ouvrières de l'organisation : elles se rendent au domicile pour observer la situation, évaluer si le circuit est respecté, si la traçabilité est satisfaisante et si les soins sont bien délivrés. Certains établissements de HAD comptent une infirmière-coordinatrice pour huit patients pour des raisons qui sont celles de leurs territoires. D'autres, notamment quand ils ont encore des infirmières salariées, comptent une infirmière-coordinatrice pour douze ou quinze patients. Leur nombre dépend des organisations internes, mais nous avons effectivement des infirmières coordinatrices en nombre assez important.

Concernant les aides-soignantes, le nombre idéal dépend de la proportion de patients qui ont besoin de soins de l'intime et cet équilibre peut être très variable selon les périodes et les territoires. Les territoires très ruraux ou très urbains comme Paris connaissent des temps de déplacement importants. Sur ces territoires, s'occuper le matin de cinq voire six patients s'avère être le maximum.

Nous avons également des temps de psychologues qui sont très variables, car certaines zones géographiques concentrent un nombre important de psychologues exerçant en libéral.

Nous avons tous des temps d'assistantes sociales qui peuvent être également variables. L'assistante sociale peut être celle de l'hôpital de rattachement.

Concernant la couverture territoriale, nous pourrons vous fournir les chiffres et je ne vais pas trop m'appesantir sur des différences qui sont encore très fortes selon les régions.

Certaines régions ont déjà atteint un taux de recours proche de trente patients pour 100 000 habitants. Ces taux correspondent à ceux fixés huit ans auparavant dans un précédent texte. Or aujourd'hui, certaines régions atteignent péniblement un taux d'une vingtaine de patients pris en charge pour 100 000 habitants. Il faut toutefois rester prudent avec les chiffres puisqu'ils recouvrent des réalités différentes. Ils peuvent notamment être faussés par des durées moyennes de séjour plus ou moins longues.

Pour revenir à votre question, je sais que de très beaux établissements ont réussi à se développer en zone très rurale. Le « très rural » n'est pas un inconvénient pour mettre en place de l'hospitalisation à domicile. D'ailleurs, les relations avec les infirmières libérales sont souvent bonnes en zone rurale. Certes, les médecins sont des espèces rares en zone rurale, mais ils ne se posent pas la question de savoir si l'hospitalisation à domicile est utile ou pas. Ils ne seront pas obligés de chercher des aides ou de monter des dossiers, car nous nous en occupons. Installer de l'hospitalisation à domicile en zone rurale est parfois compliqué, car certains hôpitaux subissent un fort déclassement, ce qui peut avoir une incidence sur l'hospitalisation à domicile. Néanmoins, les patients sont toujours présents et ont besoin d'un suivi.

Quand j'évoquais précédemment les lits, je parlais des lits d'hospitalisation conventionnelle, car je n'utilise pas le mot « lit » pour l'hospitalisation à domicile.

Je pense qu'on mesure encore trop les situations par rapport aux nombres de lits hospitaliers. Or, ce ne sont pas les lits qui manquent, mais le personnel. Il y a 25 ans, lorsque j'occupais d'autres fonctions, je travaillais avec une collaboratrice qui considérait que le lit, c'était « quatre roues avec une paillasse dessus » et donc que les « quatre roues avec la paillasse dessus » pouvaient bouger. Je crois que nous sommes encore dans une organisation qui dépend trop des chambres et des lits.

Concernant l'hospitalisation à domicile et les urgences, je peux vous donner l'exemple de l'ARS Occitanie qui a initié un processus intéressant. À l'aide d'une médecin référente de l'hospitalisation à domicile, très active et proactive, Pierre Ricordeau avait donné son aval pour mener une action auprès des urgences. Ils ont réuni les établissements pour leur demander ce qui serait nécessaire pour améliorer la coordination avec les urgences. Tous les acteurs ont souligné la nécessité de disposer de postes d'infirmiers. L'Occitanie a donc financé un temps d'infirmière de liaison pour une durée de six mois par département, l'idée étant de générer de l'activité permettant ensuite de financer le poste.

L'infirmière de liaison est HAD, mais par contre, elle est présente. Dans les endroits à forte densité, elle travaille au sein même de l'hôpital comme à Toulouse ou Montpellier, car elle a constamment du travail et des évaluations à faire. En Lozère, les urgences étant moins denses, elle n'est pas présente à demeure à l'intérieur de l'hôpital, mais elle y passe tous les matins pour vérifier si des patients seraient éligibles.

Quant au financement, la situation est toujours la même : nous sommes dépendants à 95 % de la tarification à l'activité et n'avons pas de frais annexes, à l'inverse des hôpitaux. Nous souhaitons simplement que notre tarification à l'activité soit plus adaptée à nos patients et aux soins actuels, alors qu'elle a été définie il y a bientôt vingt ans lorsque l'hospitalisation à domicile n'avait rien à voir avec la forme qu'elle a prise à présent.

M. Bernard Jomier , président . - Merci beaucoup pour tous ces éléments.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Quand vous parlez de l'organisation en milieu rural, quelles sont vos collaborations ? Est-ce plus facile en présence d'une CPTS ?

L'organisation des soins au niveau du territoire est-elle un facteur favorisant ? Si oui, quel est le meilleur système ? Peut-on considérer qu'il existe une diversité d'outils dans la boîte à outils et que c'est au professionnel de prendre celui qui correspond ?

Mme Élisabeth Hubert . - Il n'y a pas de lien de cause à effet. La présence de CPTS, dont il faut bien reconnaître qu'elles ne sont pas encore pleinement efficaces dans tous les territoires, n'est pas obligatoirement un gage de qualité parce qu'elles ne sont justement pas assez nombreuses ou pas encore efficaces pour que cela puisse véritablement être considéré comme un critère ou un indicateur. En revanche, il est certain que nous nous efforçons de renforcer les liens. Dans cette perspective, nous avons signé, il y a quelques mois, une charte avec l'Union nationale des professions de santé (UNPS). Nous avons convenu d'en signer également une avec la fédération des CPTS. Nous voulons donc renforcer les liens. Nous sommes également extrêmement attentifs à la mise en place des dispositifs d'accompagnement à la coordination (DAC). Il y a quelques années, votre assemblée a voulu que tous les dispositifs qui existaient et qui étaient émiettés soient mieux réunis. La démarche a été initiée au Sénat et a abouti aux DAC.

M. Bernard Jomier , président . - Vous êtes à l'hôpital, vous êtes à domicile, donc vous avez un regard sur la façon dont l'hôpital s'intègre dans le parcours de soins et n'est pas uniquement centré sur lui-même. Vous avez souligné le facteur culturel et de formation dans la difficulté à transformer le modèle.

Identifiez-vous d'autres motifs et surtout d'autres leviers sur lesquels agir ? Car l'activité de la HAD progresse, mais nous sommes quand même très loin d'une HAD qui couvre tout le champ des possibles. Des freins culturels sont connus dans de nombreux domaines de l'action publique, mais parfois des quotas, des indicateurs opposables, des outils réglementaires sont mis en place pour affirmer que telle ou telle pratique doit évoluer. Pensez-vous qu'il est nécessaire de mettre en oeuvre ce genre d'outils ? Si oui, lesquels ?

Vous nous avez expliqué que vous rencontrez des difficultés de recrutement, qui ne sont pas nouvelles et liées aux facteurs que vous avez expliqués. Avez-vous vécu une vague de départs comme celle observée à l'hôpital depuis la crise ? Si oui, quelle a été son ampleur ? Dans le cas contraire, pour quelle raison les personnels n'ont-ils pas quitté le secteur de la HAD ?

Mme Élisabeth Hubert . - Je commence par votre dernière question sur le recrutement et la fidélisation.

Nous ne rencontrons pas de problèmes majeurs. Parmi les professionnels de santé qui nous rejoignent, certains nous quittent parfois après quelques mois, souvent car ils désirent une plus grande proximité avec les patients. Nous arrivons cependant à en fidéliser d'autres, qui voient dans la HAD une forme d'aventure et une activité qui reste à défricher. Globalement, le recrutement pose problème et reste difficile ainsi que la fidélisation après plusieurs années d'exercice pour des questions salariales.

M. Bernard Jomier , président . - Observez-vous des vagues de départ ?

Mme Élisabeth Hubert . - Non, nous n'avons pas subi de vagues de départ.

Pour répondre à votre question sur la mise en place d'éléments un peu plus coercitifs, je dirais que je n'ai pas un penchant nature pour la coercition en règle générale. Néanmoins, la situation peut se révéler lassante à la longue.

À mon sens, trois actions sont à mener. Nous avons pu avoir satisfaction sur les deux premières, mais ce n'est malheureusement pas contrôlé.

En premier lieu, inscrire dans les contrats d'objectifs et de moyens des établissements hospitaliers le suivi du taux de recours, avec des objectifs à tenir. Beaucoup d'ARS l'ont fait, mais ce n'est pas le cas dans toutes les régions. Et lorsque cela a été fait, cela n'a pas partout été suivi d'effet : on constate que l'objectif n'a pas été atteint ou on argue de l'impossibilité de reconstituer le chiffre. On dispose donc d'un indicateur, mais il n'est pas suivi et n'est pas efficace.

Il y a quelques années a été votée dans une loi de financement une disposition prévoyant qu'un établissement hospitalier qui conserverait ses patients et ne ferait pas appel ou quasiment pas aux prises en charge ambulatoires, puisse être mis sous entente préalable. C'est l'arme atomique ! Sans aller jusque-là, il faut qu'un objectif soit fixé dans les contrats d'objectifs et de moyens des établissements sanitaires et médico-sociaux et dans la pratique libérale, qu'il soit suivi et qu'il y ait des conséquences s'il n'est pas atteint.

Dans un second temps, il faut élargir notre champ du possible pour faire en sorte que le recours soit amélioré. Nous avons évoqué la chimiothérapie et je ne parle bien évidemment pas de la chimiothérapie orale même si cette dernière se développe de plus en plus. Je fais ici allusion à des cures de chimiothérapie injectable. Nous y travaillons, y compris avec Unicancer, pour surmonter des obstacles qui ne sont plus techniques, mais financiers. Il s'agit également d'élargir notre offre sur les soins de suite, car nous le pouvons techniquement et réglementairement, et de renforcer notre présence sur la pédiatrie. Le paradoxe est que nous accueillons épisodiquement des enfants en fin de vie dans le cadre d'une prise en charge en soins palliatifs pour les accompagner à leur domicile à la demande des familles.

Enfin, il faut développer le numérique sur des outils permettant à distance à un médecin spécialiste de maintenir le lien avec son patient et d'être averti en temps réel de la situation, de communiquer entre professionnels, de télé-consulter et donner de l'expertise, voire même, pourquoi pas, de télé-ausculter ou télé-administrer. Nous avons aujourd'hui des pompes connectées permettant de surveiller à distance des patients sous morphine ou Midazolam. Sur ce sujet, nous sommes éligibles au crédit Hôpital numérique ainsi qu'au Ségur numérique.

M. Bernard Jomier , président . - Merci beaucoup, je passe la parole à mes collègues sénateurs.

Mme Jocelyne Guidez . - Je vous remercie, car votre exposé était passionnant. Vous êtes assez directe et j'ai apprécié ce ton.

Je pense que l'hospitalisation à domicile est vraiment très mal connue. J'ignorais moi-même ses possibilités. Je vais simplement vous donner un exemple. Une personne âgée atteinte d'un cancer du pancréas n'a pas voulu rester à l'hôpital, car elle avait conscience d'être en fin de vie. Elle est donc retournée à son domicile, mais c'est sa famille qui a dû tout mettre en place. L'hospitalisation à domicile est méconnue. Si la famille avait eu conscience des possibilités offertes, elle aurait été soulagée et n'aurait pas eu à chercher une infirmière et à tout mettre en place elle-même. La possibilité de finir sa vie chez soi, entouré de ses proches, est une bien meilleure alternative que l'hôpital. Comment éviter d'être automatiquement adressé vers l'hôpital ? Comment obtenir une hospitalisation à domicile ?

Mme Élisabeth Hubert . - Merci. Je suis directe, car je suis passionnée et l'ai toujours été. Cet enjeu est merveilleux et constitue un véritable engagement pour moi. J'y crois très fort.

L'exemple que vous avez évoqué est malheureusement courant et je reçois régulièrement des interpellations analogues, y compris dans mon environnement amical. Je suis épouvantablement triste lorsque des relations ou des amis, en règle générale de milieux favorisés, m'expliquent qu'ils ne savent pas quoi faire ni à qui s'adresser alors qu'ils ont des relations et parfois même de l'argent. Je leur fournis les renseignements et les aide si je le peux, mais je me dis à chaque fois que si des personnes plutôt favorisées ignorent ces possibilités, alors des millions de Français sont totalement abandonnés dans l'accès à ces parcours de soins. Nous avons une tâche considérable pour faire connaître ces dispositifs. Nous avons effectivement un vrai problème de communication et il serait trop facile d'en imputer la responsabilité à d'autres. Nous sommes, sans doute, un milieu d'artisans. Les établissements de HAD ont longtemps été considérés comme des aventuriers. En réalité, nous nous retrouvons aujourd'hui dans une situation qui nous impose de pratiquer une forme de marketing avec des infirmières de liaison qui vont rechercher le patient. Nous devons impérativement pousser cette démarche plus loin. D'ailleurs, nous recrutons un chargé de communication avec l'intention de nous adresser directement au grand public et aux patients puisque les professionnels ne nous entendent pas et ne prescrivent pas la HAD alors qu'elle pourrait répondre à la demande des patients.

Au début de votre propos, vous avez évoqué des leviers, Monsieur le président. Dans la feuille de route de la HAD, sortie récemment, le premier des axes est d'améliorer la connaissance de la HAD et l'attractivité de cette activité. Cela relève d'actions de communication. Figurent ensuite sept autres axes avec des actions précises.

Lorsque vous me posiez la question des leviers, je vous ai répondu en mentionnant les indicateurs de suivi. J'ajouterai que dans les 48 heures, tout patient passant par les urgences et entré à l'hôpital devrait être évalué afin d'apprécier la nécessité de le maintenir dans un lit hospitalier. Pour revenir au tableau de la personne évoquée par Mme Guidez, un cancer du pancréas sur une personne âgée, il s'agissait clairement d'un patient relevant de la HAD, sans équivoque.

M. Bernard Jomier , président . - Je vous remercie. Je crois que tous les membres de la Commission auront été passionnés par cet échange et par ce point de vue de l'hôpital sans bâtimentaire comme vous le dites fort bien. Il éclaire la crise de l'hôpital par contraste.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de Mme Sophie Guinoiseau, présidente, et du Dr Jean-François Ricono, vice-président de la Fédération nationale des établissements
de santé de proximité

(jeudi 27 janvier 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Notre première audition de ce matin est celle de la Fédération nationale des établissements de proximité, représentée par sa présidente, Mme Sophie Guinoiseau, directrice du centre hospitalier de Layon-Aubance (CHLA), dans le Maine-et-Loire, et par son vice-président, le Dr Jean-François Ricono, président de la commission médicale d'établissement (CME) du centre hospitalier des Marches de Bretagne (CHMB), en Ille-et-Vilaine.

Nous sommes très heureux de vous accueillir. Avec votre audition, nous allons pouvoir évoquer la situation d'établissements hospitaliers situés hors des territoires urbains et métropolitains, ainsi que certaines problématiques spécifiques : les réponses aux besoins de santé dans des zones fortement touchées par la désertification médicale, ou encore la gradation des soins, c'est-à-dire la prise en charge au juste niveau, sans nécessairement recourir aux établissements équipés pour les soins les plus pointus.

Votre fédération, créée il y a quelques mois, est issue de l'association qui regroupait les ex-hôpitaux locaux. Elle présente l'originalité d'intégrer des professionnels libéraux. Je crois que vous-même, Docteur Ricono, exercez comme médecin libéral tout en présidant la CME d'un établissement.

Enfin, votre fédération est pleinement impliquée dans la réforme des hôpitaux de proximité, engagée par la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, et par une ordonnance du mois de mai dernier, même si vous représentez également d'autres établissements ne répondant pas à cette définition.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et j'invite chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sophie Guinoiseau et M. Jean-François Ricono prêtent successivement serment.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je vous remercie de votre présence aujourd'hui. Étant représentante du département du Maine-et-Loire, je rencontrerai demain les acteurs concernés par le problème du centre hospitalier de Layon-Aubance.

Cette audition nous permet de croiser deux problématiques importantes : celle des restructurations hospitalières et de la pérennité de petits établissements, et celle de la coordination territoriale des acteurs de santé.

Les restructurations ont conduit à fermer de nombreux petits établissements ou à réduire la gamme de leurs activités. D'un côté, se posent la question de la « masse critique » des établissements, au regard de leur volume d'activité, mais aussi celle de l'attractivité, notamment pour les médecins, et nous souhaitons bien entendu savoir comment vos établissements font face dans le difficile contexte actuel. De l'autre côté, il faut répondre aux besoins de patients éloignés des principaux centres urbains et organiser la permanence des soins et la prise en charge des urgences.

Par ailleurs, comme l'a indiqué M. le président, la structuration des soins de proximité a fait l'objet de réformes récentes. Nous recevrons tout à l'heure les représentants des formes d'exercice regroupé, particulièrement concernés par la mise en place des hôpitaux de proximité.

Nous serons donc très intéressés par vos appréciations sur les potentialités de cette ébauche d'organisation territoriale des soins, mais aussi éventuellement sur les obstacles ou les difficultés qu'elle pourrait rencontrer.

M. Bernard Jomier , président . - Je vais vous passer la parole à l'un puis à l'autre. Mme la rapporteure et nos collègues vous interrogeront à leur tour.

Mme Sophie Guinoiseau, présidente de la Fédération nationale des établissements de santé de proximité . - Je tiens tout d'abord à vous remercier, au nom des acteurs des hôpitaux de proximité, de nous associer à vos travaux sur la situation de l'hôpital et l'organisation du système de santé.

Que sont les hôpitaux de proximité ? Ce sont des établissements de santé, publics à 90 % et privés - principalement non lucratifs - pour 10 % d'entre eux. Dans une région, hors Île-de-France, ces établissements portent en moyenne 7 % à 12 % de l'offre publique de lits de médecine, et jusqu'à plus de 45 % de l'offre publique de lits de soins de suite et réadaptation (SSR).

Pour dresser un portrait type d'un hôpital de proximité sur la base d'une moyenne, je dirai que c'est un établissement en zone périurbaine ou rurale de 250 lits et places, sanitaire pour un tiers et médico-social pour deux tiers, souvent multisite avec des professionnels de santé salariés, mais également médicaux et paramédicaux en exercice mixte - vous l'avez souligné.

Premier niveau de la gradation des soins hospitaliers, l'hôpital de proximité partage une responsabilité territoriale avec les professionnels de la médecine ambulatoire ; quand il est public, il est membre d'un groupement hospitalier de territoire (GHT). En somme, l'hôpital de proximité est à la jonction de la ville et de l'hôpital, au croisement du sanitaire et du médico-social.

La Fédération nationale des établissements de santé de proximité (FNESP) représente les hôpitaux labellisés ou non comme vous l'avez dit, autonomes, en direction commune ou en sites rattachés. Notre structuration reflète le fonctionnement de nos organisations - vous l'avez également rappelé. Un premier collège représente les directions d'hôpitaux, un deuxième collège - le Dr Ricono en fait partie - représente les médecins, qu'ils soient libéraux ou salariés, et un troisième collège représente les élus et les usagers.

Les hôpitaux de proximité, c'est aussi une longue histoire avec des hauts et des bas. Regroupant les hôpitaux ruraux dans les années 1960, les hôpitaux locaux dans les années 1970, notre catégorie a intégralement disparu avec la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, avant de réapparaître en 2016 sous sa dénomination actuelle et d'être confortée dans ses missions par « Ma santé 2022 », qui ambitionnait initialement de labelliser 500 à 600 hôpitaux de proximité.

Quelques mois avant la crise sanitaire, nous étions dans l'attente de la mise en oeuvre de cette réforme avec espoir, après avoir vu les lits se fermer et le statut disparaître dix ans auparavant, creusant encore les inégalités d'accès aux soins sur nos territoires.

Aujourd'hui, deux ans après, nous tirons un constat difficile et plus global. Depuis le début de la crise, nos professionnels répondent présents et nos établissements assument, voire dépassent leur rôle premier. Vous l'avez entendu lors de précédentes auditions, les représentants des établissements de santé et médico-sociaux témoignent de l'intensité de l'effort et de l'usure des acteurs aujourd'hui.

Mais cette crise en suit une autre, structurelle et profonde. C'est une loupe grossissante mettant en exergue des difficultés préexistantes que vous connaissez : une offre déjà amputée - j'ai évoqué les lits de médecine, disparus dans nos structures - ; des ratios d'encadrement fragiles, voire clairement insuffisants sur le secteur médico-social ; des viviers de professionnels réduits, notamment pour les personnels médicaux ; des moyens de fonctionnement contraints, ne laissant plus de marge pour investir, qu'il s'agisse de moderniser le bâti ou de renouveler les équipements ; un manque d'attractivité en termes de rémunération.

À ces difficultés, il convient d'ajouter la spécificité de nos établissements : ils font partie des services publics hospitaliers ; à ce titre, plus que la continuité, ils assurent la permanence de l'accès aux soins. Un hôpital, un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou toute institution sociale et médico-sociale ne limite pas son activité aux horaires de bureaux. Ce fonctionnement entraîne des sujétions spécifiques affectant les hommes et les femmes qui y travaillent dans des conditions qui se sont dégradées ces dernières années.

Pour assurer notre mission, il nous faut recruter des effectifs en nombre suffisant. Pour ce faire, nous devons être attractifs et redonner plus de souplesse à l'institution et à ses acteurs. Le Ségur est un début de réponse, mais il faut aller plus loin. Et les investissements ne produiront leurs effets qu'au bout d'un certain temps. Or ce temps nous manque...

Sans reprendre les propositions déjà portées par mes collègues de l'hôpital, je souhaite insister sur deux points qui nous paraissent particulièrement importants.

Qu'il s'agisse des professionnels de santé à la ville ou de l'hôpital, nous sommes tous interdépendants, nous avons tous le même objectif : offrir le meilleur accompagnement possible aux patients et aux usagers, car chaque maillon est important. Pour une réelle gradation des soins, il faut un maillage adéquat. Par exemple, les adressages directs à l'hôpital doivent être possibles sans passer par les urgences déjà surchargées. Ce constat a été tiré pour les épidémies saisonnières. Il était visible en période estivale ; il est criant pendant la crise sanitaire. Nous pensons qu'il faut réarmer sans délai les lits de médecine fermés ces dernières années et revoir le maillage des hôpitaux de proximité, territoire par territoire pour renforcer cette chaîne.

Le système de santé s'appuie sur le sanitaire, le médico-social et le social. Délaisser l'un des acteurs, c'est fragiliser les autres. Les filières médico-sociales sont nécessaires au sanitaire ; leur réactivité est un facteur indéniable de fluidité du parcours des patients. Le sanitaire est aussi touché par les moyens alloués aux établissements médico-sociaux, quand par exemple, faute de personnels infirmiers de nuit, une personne âgée est adressée aux urgences.

Nous connaissons les mécanismes : les rapports les mettent en évidence, et les études démographiques confirment l'urgence. Pourtant, malgré les annonces, nous attendons encore cette grande loi qui reposera l'engagement de notre société auprès de ses aînés.

Je conclurai mon propos sur une note optimiste. Le projet pour la revitalisation de l'offre de soins de proximité est un pas dans le bon sens, alors que nous croyions ce modèle perdu voilà plus de dix ans. Cela démontre bien que, si nous écoutons les usagers et les acteurs de terrain, nous pouvons remettre du sens dans notre action et corriger les écueils. Il n'est peut-être pas trop tard pour donner un nouveau souffle à notre système de santé !

Docteur Jean-François Ricono, vice-président de la Fédération nationale des établissements de santé de proximité . - S'agissant de la présence médicale dans les établissements et du premier recours, j'ai une dizaine d'années d'expérience au sein de l'Association nationale des médecins généralistes d'hôpital local (AGHL). Avec mes collègues des différents territoires, je constate que tous les endroits où se trouvaient des hôpitaux locaux, avec la participation de médecins généralistes, ont plutôt bien résisté à la désertification et aux difficultés liées à la démographie médicale. Presque partout, ces hôpitaux locaux ont constitué le support de maisons de santé pluriprofessionnelles, de maisons de garde. Et nombre de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ont été créées autour de ces hôpitaux. Cette notion de territoire, avec la présence d'un hôpital local et des soins coordonnés autour, est le meilleur exemple pour résister aux difficultés, rester attractifs et fournir des soins de qualité à la population.

Concernant mon secteur, le CHMB est né d'un regroupement des hôpitaux locaux. Ont ensuite été créés autour des pôles de santé pluriprofessionnels, puis une CPTS, au sein du conseil d'administration de laquelle siégeaient le directeur de l'hôpital de proximité et des élus, afin de maintenir cette dynamique locale.

Comme partout, nous jonglons avec les difficultés du fait de tensions démographiques concernant le nombre de médecins et les effectifs d'infirmiers du centre hospitalier. Nos petites structures présentent néanmoins l'avantage d'être très agiles.

Dans les secteurs plutôt ruraux, la présence de lits de médecine est importante pour les soins ne réclamant pas une technique plus poussée et pour le maintien de soins palliatifs. Ces derniers sont souvent intégrés par les services d'hôpitaux locaux, car ils sont essentiels pour l'accompagnement du patient en fin de vie au plus près de sa famille.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Merci à tous les deux de cette présentation.

Le code de la santé publique prévoit désormais que les hôpitaux de proximité « assurent le premier niveau de la gradation des soins hospitaliers et orientent les patients qui le nécessitent ». Ce rôle assigné trouve-t-il sa place dans l'organisation des groupements hospitaliers de territoire, dont la vocation était de mieux structurer l'offre hospitalière, et qui produisent des résultats très variables ?

Par ailleurs, vous avez évoqué les liens entre les CPTS et les hôpitaux de proximité ? Existe-t-il beaucoup d'exemples comme le vôtre où les hôpitaux locaux sont dans les CPTS ? Quid de l'exercice mixte dans les hôpitaux de proximité que vous avez évoqué brièvement ? Qu'est-ce qui peut attirer des professionnels de santé dans ces hôpitaux, sachant que la notion de « désert » n'est pas très attractive et peut recouvrer des réalités urbaines, notamment à Paris.

M. Bernard Jomier , président . - À mon sens, ce n'est pas la bonne expression pour Paris.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Et pas non plus ailleurs.

M. Bernard Jomier , président . - J'évoquerai plutôt un « affaissement des soins de proximité », y compris en milieu urbain.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Oui, on pourrait aussi parler de « pénuries » dans certaines zones.

Combien d'établissements sont labellisés aujourd'hui ?

Mme Sophie Guinoiseau . - Il y en a 214, sur un total d'un peu moins de 400 hôpitaux de proximité. On en compte 20 de moins par rapport aux hôpitaux précédemment labellisés, mais seules 10 régions ont fait leur retour sur la première vague de nouvelles labellisations.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Dernier point : quel financement envisagez-vous pour les activités de médecine ? Qu'en est-il de l'actualisation de la dotation de responsabilité territoriale ? Si tout est compris dans une même enveloppe, cela changera-t-il grand-chose ?

Mme Sophie Guinoiseau . - Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) ont fait couler beaucoup d'encre, notamment sur leurs fonctions de support mutualisé. Il serait dommage de réduire les GHT aux seules fonctions d'achat : ce n'est pas leur coeur de métier. Si des ajustements ont été nécessaires pour répondre à nos attentes en proximité - la baguette de pain est un exemple souvent cité -, ce n'est clairement plus aujourd'hui une difficulté majeure. Nous avons trouvé des solutions par rapport aux contraintes des achats groupés.

Le GHT, ce sont surtout les filières. L'outil encore un peu neuf et jeune, mais les notions d'infirmières en pratique avancée (IPA), de consultations avancées, d'équipes mobiles de gériatrie, d'hygiène ou autres se structurent avec les GHT. Ensemble, nous apportons des réponses aux populations.

La période covid a accéléré certains de ces travaux et en a peut-être ralenti d'autres. Aujourd'hui, on le sent, les établissements veulent réinvestir dans le maillage de proximité. À cette fin, ils savent qu'il faut pouvoir déployer les consultations avancées.

Notre fédération, même si les avis ne sont pas uniformes, témoigne d'un certain optimisme. Les choses vont dans le bon sens et nous sommes également mieux représentés dans la gouvernance. Le renforcement de ce maillage nous aidera à aller encore davantage dans ce sens.

S'agissant des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), la situation varie en fonction des territoires. Il existe de nombreuses maisons de santé pluridisciplinaires ; ça a pris du temps, mais c'est en place. Historiquement, nous travaillons avec elles, cela fait partie de notre culture.

En ce qui concerne les CPTS, leur structuration appelle un travail administratif. Les partenaires et les acteurs sont sollicités. Nous voyons d'un bon oeil ce déploiement fortement incité par les agences régionales de santé (ARS) et les organismes représentatifs. Néanmoins, dans certains territoires, le déploiement pourra peut-être prendre un peu plus de temps en raison des freins administratifs.

L'exercice mixte - M. Ricono pourra compléter mon propos - constitue l'un des atouts majeurs de nos établissements. Aujourd'hui, on le sait, les professionnels médicaux et paramédicaux peuvent rechercher des modes d'exercice différents et vouloir exercer en cabinet, mais aussi à l'hôpital. Il y a dix ans, nous avions beaucoup de difficultés pour attirer des médecins dans mon bassin de population. Le président de la CME a fait découvrir aux internes de l'hôpital les atouts de la proximité. Grâce à cet effort, nous disposons aujourd'hui de cinq médecins, dont quatre de quarante ans : c'est l'avenir et ils sont attirés par cet exercice mixte. C'est un réel atout et une spécificité chez nous. Ce mouvement ne s'arrête pas aux médecins, il concerne également les personnels paramédicaux : ergothérapeutes, orthophonistes, etc . Nous n'avons pas forcément besoin de postes à temps plein ; un exercice à la fois en cabinet libéral et en structure hospitalière convient mieux à une organisation territoire fine.

Quant aux financements, nos établissements pratiquent tous des soins de suite et de réadaptation (SSR), financés à 90 % par une dotation et à 10 % par la modularisation. Nous sommes donc moins concernés par la tarification à l'activité (T2A). Pour la médecine, les évolutions législatives nous donnent davantage de sécurité et privilégient une vision non plus de court terme, mais de moyen et de long termes, ce qui nous permettra de piloter plus sereinement nos projets.

La dotation de responsabilité populationnelle est une nouveauté. En quelque sorte, nous allons expérimenter la confiance donnée aux acteurs de terrain pour porter la qualité et la prévention sur le territoire, de manière coordonnée. C'est un point positif, nous espérons simplement que les financements seront à la hauteur afin d'épargner à nos structures des effets de trésorerie quelque peu délétères. Quoi qu'il en soit, j'ai confiance.

Docteur Jean-François Ricono . - L'exercice hospitalier est attractif pour les jeunes médecins, car il amène de la richesse au niveau professionnel, il favorise la diversité et il permet de travailler en équipe. La plupart d'entre eux sont issus de l'internat. Ils connaissent donc déjà bien l'hôpital, ça ne leur fait pas peur.

La difficulté reste toujours de trouver un point d'équilibre entre l'exercice de ville et l'exercice hospitalier. Mais quand l'offre hospitalière est associée à la possibilité d'avoir un exercice libéral de qualité, avec une bonne organisation, de bons locaux et une coopération interprofessionnelle valable, c'est attirant.

Dans mon territoire, nous avons enregistré de nombreux départs à la retraite ces dernières années, mais nous avons aussi réussi à avoir huit installations de jeunes médecins, preuve qu'ils répondent présents si l'offre est qualitative en termes d'exercice, que ce soit sur l'hôpital ou sur la ville.

En ce qui concerne le secteur hospitalier, ce qui peut parfois constituer un frein, ce sont les contraintes administratives : traçabilité dans les logiciels, certifications, etc . Le ratio entre le temps passé auprès du patient et celui passé dans le service hospitalier est de un à trois. Malgré tout, ça fonctionne.

Vous avez posé une question sur l'articulation entre les CPTS et l'hôpital. Il existe d'abord peu de CPTS. Par ailleurs, seulement un petit nombre d'entre elles ont d'emblée intégré l'hôpital de voisinage dans leur conseil d'administration. Quoi qu'il en soit, toutes ces structures travaillent avec l'hôpital, c'est quand même l'objectif. Une CPTS doit intégrer tous les acteurs du soin sur le territoire, y compris les hôpitaux de proximité et les représentants du secteur médico-social.

M. Bernard Jomier , président . - Vous avez dit, Madame Guinoiseau, que vous étiez en attente d'une loi : nous avons tous compris qu'il s'agissait de la loi sur la dépendance et l'autonomie. Qu'en attendez-vous pour les hôpitaux ?

Quelle est l'adéquation entre vos capacités d'accueil en matière de formation et le nombre d'internes que vous recevez ? Leur proposez-vous un exercice mixte ?

Mme Sophie Guinoiseau . - Nous attendons beaucoup de la loi grand âge dans nos établissements, car le médico-social représente deux tiers de notre activité. Nous devons donc faire avec deux nomenclatures budgétaires différentes et deux logiques de financement parallèles. Pour atteindre l'équilibre, les hôpitaux de proximité doivent jongler, d'un côté, avec le département et l'ARS pour le volet médico-social et, de l'autre, avec l'ARS pour le volet sanitaire. Ce n'est pas toujours très simple, car les outils ne sont pas les mêmes.

Au-delà de ces modalités d'échanges budgétaires, notre société se pose la question du ratio d'accompagnement. Quel sera demain le taux d'encadrement de nos aînés dans les structures ? La dépendance augmente, les perspectives démographiques sont très claires : les personnes accueillies aujourd'hui en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) nécessitent plus d'accompagnement qu'hier. Et pourtant, nous peinons à trouver des moyens pour financer les postes nécessaires auprès des malades. La sanitarisation des Ehpad est nécessaire.

M. Bernard Jomier , président . - Appelez-vous à une majoration des ratios d'encadrement ?

Mme Sophie Guinoiseau . - Nous demandons plus de moyens pour recruter des personnels au bénéfice de nos usagers.

M. Bernard Jomier , président . - Lorsqu'elle était ministre, Agnès Buzyn avait annoncé un plan pour mettre en place des infirmières de nuit dans tous les Ehpad. Où en sommes-nous ?

Mme Sophie Guinoiseau . - Il ne s'agit pas aujourd'hui d'une pratique « classique » puisqu'il n'y a pas, à l'heure actuelle, d'infirmière de nuit dans les Ehpad. Il peut exister, en revanche, des expérimentations territoriales visant à mettre en place une garde infirmière itinérante entre plusieurs établissements, ce qui n'est pas tout à fait la même chose en termes de services rendus. Surtout, tous les établissements ne sont pas engagés dans cette démarche faute de ressources ou de financements.

Docteur Jean-François Ricono . - Vous nous avez interrogés sur les lieux de formation. Il est fondamental, pour favoriser l'installation, d'accueillir les internes dans les territoires ruraux et les hôpitaux de proximité, voire dans les maisons de santé adossées à ces hôpitaux. Presque tous les praticiens qui se sont installés chez nous ont d'abord fait de l'internat dans ces structures.

Mais il est difficile pour un hôpital local d'accueillir des internes en raison de ce qui est demandé dans les maquettes par les ARS et les départements de médecine générale. Je pense, notamment, à la seniorisation : un interne doit en effet pouvoir être chapeauté et assisté par un médecin en cas de difficulté, ce qui nécessite l'embauche d'un médecin salarié à temps plein ou de deux médecins à temps partiel. Il y a aussi des problématiques de distance et de logement.

Se pose également la question de l'adéquation par rapport au poste : quand il y a 100 internes à placer dans une subdivision de faculté et que les plus gros hôpitaux décident d'en garder 95 %, les petits hôpitaux ne ramassent que les miettes !

M. Bernard Jomier , président . - L'ARS pourrait ne pas accepter cet état de fait !

Docteur Jean-François Ricono . - Il existe à Rennes une commission d'adéquation à laquelle participent l'ARS, les internes et l'université. Il y a sept ou huit ans, le centre hospitalier des Marches de Bretagne avait récupéré un interne, mais pas les urgences de l'hôpital de Vannes...

M. Bernard Jomier , président . - Les CHU ont du mal à lâcher du personnel...

Mme Florence Lassarade . - Je remercie nos deux intervenants, qui apportent un peu d'optimisme. Les patrons des centres hospitaliers et universitaires (CHU) ne se rendent pas compte de tous les services que leur rendent les structures de proximité : ce sont elles qui leur permettent de se concentrer sur l'exercice de leurs spécialités !

Ma question porte justement sur le taux de spécialistes intervenant dans vos structures. J'ai été moi-même pédiatre dans le secteur à la fois libéral et hospitalier. Avez-vous facilement recours aux spécialistes ? Quid de vos relations avec le CHU ? Il est beaucoup question, en ce moment, du dossier médical numérisé. Une des priorités ne serait-elle pas d'harmoniser l'ensemble des pratiques afin de gagner du temps ? Enfin, comment est rémunéré l'exercice mixte dans vos hôpitaux ? S'agit-il de vacation ? Partagez-vous du personnel avec les CHU ?

M. Laurent Somon . - Les maisons médicales manquent de praticiens spécialisés. On espère pouvoir les trouver dans les hôpitaux de proximité. Rencontrez-vous des difficultés de recrutement ? Existe-t-il des expérimentations en termes de télémédecine, par exemple via la spécialisation d'infirmières pour accompagner de telles consultations ? Avez-vous développé des solutions alternatives aux consultations de spécialistes dans les hôpitaux de proximité ?

Mme Sophie Guinoiseau . - En ce qui concerne les spécialités dans les hôpitaux de proximité, nous nous basons avant tout sur un principe premier, qui est la complémentarité avec l'offre du territoire et non la concurrence avec elle. S'il y a assez de cardiologues sur un bassin de population, à quoi bon ajouter une offre supplémentaire ? Cela suppose, bien évidemment, de bien connaître son territoire, ainsi que les professionnels sur le départ ou ceux qui prévoient de s'y installer.

À l'heure actuelle, nos demandes portent sur la dermatologie, la cardiologie, l'ophtalmologie et les soins dentaires. Nous avons d'ailleurs beaucoup de mal à trouver des solutions sur ce dernier volet. Nous commençons à avoir des réponses en matière d'ophtalmologie et de cardiologie. En tout état de cause, les choses se structurent, mais avec les spécialistes présents dans les gros centres hospitaliers et les établissements supports de GHT qui, eux-mêmes, font parfois face à une pénurie. Ils essaient donc de changer les choses en sanctuarisant du temps pour nos établissements, via leurs propres professionnels ou par des réseaux associés à l'établissement support.

Pour les dossiers, vous avez totalement raison, la fracture numérique n'est pas récente, qu'il s'agisse de la télé-expertise, de la télémédecine ou du dossier patient. Sur ce point, le GHT a tout son sens pour harmoniser les outils et les pratiques, ce qui suppose un certain nombre de financements. Sur ce chapitre, les choses prennent du temps à se mettre en place.

En revanche, à l'heure actuelle, les acteurs sont plutôt prêts, formés et opérationnels en ce qui concerne les outils de télémédecine et de télé-expertise. Reste à trouver les médecins spécialistes pour pratiquer les consultations et à installer le matériel nécessaire : loupes grossissantes, appareils déportés, etc .

C'est un système qui peut également servir à organiser un suivi pour préparer à distance la consultation, si celle-ci ne peut pas avoir lieu en télé-médecine. Nous attendons également avec impatience l'arrivée d'IPA sur notre territoire, notamment en neurologie et pour la filière AVC. Il est important de décloisonner nos pratiques. Pour obtenir des réponses sur toutes ces spécialités, il faut aussi faire fructifier les expertises de chaque professionnel.

En ce qui concerne la rémunération, nous avons recours à des praticiens hospitaliers, mais aussi à des vacations. Pour ceux qui interviennent chez nous en exercice mixte, par exemple, cela peut faire l'objet d'une convention. Pendant la crise, nos structures ont enregistré une diminution des prises en charge de patients : cela a incité nos partenaires de la ville à revenir vers nous en interrogeant ces modes d'exercice. Nous appelons effectivement à une revalorisation de l'exercice mixte ville-hôpital. Il est dommage de ne pas davantage consolider ce lien par manque d'attractivité eu égard à l'exercice en cabinet.

Docteur Jean-François Ricono . - On trouve effectivement toutes formes de statut dans les hôpitaux de proximité : praticien contractuel à temps plein ou à temps partiel ; rémunération à titre libéral, etc . La pratique reste relativement souple. Il importe, néanmoins, de préserver l'attractivité financière, ce qui est toujours compliqué. La présence des spécialistes s'est organisée avec l'aide des GHT, parfois aussi avec celle des médecins libéraux des grandes villes du voisinage. Les situations sont très variables selon les territoires. Chez moi, par exemple, les consultations de spécialité sont un peu compliquées à organiser du CHU vers les hôpitaux de recours, a fortiori vers les hôpitaux de proximité. L'articulation avec les centres hospitaliers plus importants s'opère de mieux en mieux au niveau des services d'urgence. Les gros hôpitaux ne cherchent plus, comme il y a vingt ans, à aspirer tous les patients de la région. Les services d'urgences sont saturés de patients, en particulier âgés et polypathologiques instables. Quand les hôpitaux de proximité peuvent leur permettre de trouver rapidement un lit d'aval pour un patient admis en service d'urgence, nous sommes toujours les bienvenus ! Des relations se sont tissées un peu avant l'apparition des GHT, mais encore plus depuis leur création.

Dans mon hôpital, par exemple, qui est à la croisée du CHU de Rennes, mais aussi de l'hôpital de Fougères et de celui d'Avranches, notre cadre de santé du service de médecine communique tous les matins le nombre de lits disponibles aux trois services d'urgence de façon à pouvoir accueillir des patients de notre secteur qui y seraient arrivés dans la nuit.

Mme Marie-Christine Chauvin . - De plus en plus de structures mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR) ferment sur le territoire. Or ces antennes ont toute leur utilité pour réguler les patients et éviter l'embouteillage vers les services d'urgence des centres hospitaliers régionaux universitaires (CHRU). Quelle est votre analyse ?

Docteur Jean-François Ricono . - La réduction de l'offre de soins dans beaucoup de services d'urgence est un problème récent, mais majeur puisqu'il ne cesse de prendre de l'ampleur depuis deux ans. Cette difficulté s'explique à la fois par des raisons démographiques, mais également par un manque d'attractivité des postes de médecin urgentiste dans les hôpitaux. Il s'agit, en effet, de postes difficiles ; peu de médecins font toute leur carrière aux urgences.

Récemment, un médecin urgentiste de Saint-Malo a quitté son poste pour se tourner vers la médecine d'expertise et un urgentiste de Rennes, très apprécié, a ouvert une librairie tellement il en avait ras-le-bol. Ces quelques exemples doivent nous amener à nous demander ce que notre société est capable d'offrir à des praticiens expérimentés. Dans certains endroits, la saturation professionnelle est extrême.

Je suis également médecin pompier dans mon secteur. Il est relativement rare, lorsqu'on dérange une équipe SMUR, que le patient ne soit pas conduit dans un service d'urgence. En général, il s'agit de pathologies graves qui nécessitent des soins techniques. En revanche, il me paraît important d'avoir une réponse de premier niveau sur place. Il est notamment essentiel, de ce point de vue, d'avoir des infirmières de nuit dans les Ehpad afin d'éviter que les aides-soignantes n'appellent le 15 dès qu'un problème les dépasse, d'autant qu'il peut s'agir parfois uniquement d'une sonde urinaire bouchée !

Il faut aussi prévoir une meilleure articulation avec les médecins libéraux pour permettre le maintien sur place des patients. En général, dans nos services de SSR ou de médecine, une réponse médicale est possible la nuit. Quoi qu'il en soit, les difficultés rencontrées par les services d'urgence dans les centres hospitaliers mériteraient, à elles seules, la création d'une commission d'enquête !

M. Bernard Jomier , président . - Vous nous avez indiqué que vous souhaitiez une augmentation du nombre de lits de médecine. En manquez-vous ? Avez-vous des estimations à ce sujet ?

Mme Sophie Guinoiseau . - Nous demandons une réouverture des lits de médecine qui ont été massivement fermés. Nous en manquons, mais il est difficile de donner un chiffre précis, parce que depuis la loi HPST la catégorie juridique des hôpitaux locaux a disparu. Aujourd'hui, parmi les anciens hôpitaux locaux, 150 n'ont plus que du SSR, mais ils n'ont pas pour autant arrêté de prendre en charge des patients. Nous continuons cette activité avec les moyens que nous avons, sans reconnaissance par les autorités de la situation.

C'est vraiment un problème majeur, que les grands centres hospitaliers partagent : nous avons bien vu pendant l'épidémie de covid l'importance de disposer de lits de médecine pour assurer de la fluidité au système. Reconnaissez qu'il n'est pas idéal d'armer des lits covid à partir de lits de soins de suite... Dans mon établissement, nous avons des lits de soins palliatifs, ils ne sont plus reconnus comme des lits de médecine, mais la prise en charge existe toujours.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition commune de représentants de formes d'exercice regroupé

(jeudi 27 janvier 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Nous recevons maintenant les représentants des formes d'exercice regroupé ou coordonné et je suis heureux d'accueillir le docteur Pascal Gendry, président d'Avenir des équipes coordonnées (AVECsanté) et le docteur Claude Leicher, président de la Fédération nationale des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Le docteur Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé, va nous rejoindre en cours de réunion.

Notre commission d'enquête a pour objet la situation de l'hôpital, mais celle-ci est pour partie tributaire - cela a été souligné tout au long de nos travaux - de ce qui se passe hors de l'hôpital. C'est pourquoi nous avons souhaité échanger avec des représentants de la médecine de ville, libéraux ou salariés, qui ont pour point commun d'exercer dans un cadre structuré : maisons de santé pluriprofessionnelles, CPTS, centres de santé.

C'est donc sur l'articulation, dont on parle souvent, entre soins de ville et recours à l'hôpital que nous souhaitons aujourd'hui vous entendre et vous interroger.

Je vous rappelle que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat, qu'elle fera l'objet d'un compte rendu qui sera publié et qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. J'invite donc chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Pascal Gendry et Claude Leicher prêtent serment.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Vous représentez différentes formes d'exercice, les unes déjà anciennes, les autres plus récentes, qui ont en commun de participer à la structuration de l'offre de soins sur les territoires. Comme l'a indiqué Bernard Jomier, ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est d'évoquer avec vous les interactions entre votre domaine d'intervention et le secteur hospitalier.

Le recours à l'hôpital est parfois une solution par défaut, comme l'illustre l'activité croissante des urgences. De même, les conditions ne sont pas toujours réunies pour garantir le bon suivi des patients en sortie d'hospitalisation. Nous pourrons ainsi évoquer avec vous les conditions d'accès aux soins primaires et la question de la permanence des soins. Nous souhaitons également connaître votre regard sur les difficultés actuelles du système hospitalier et voir avec vous dans quelle mesure vous pouvez contribuer à les réduire, en construisant une meilleure organisation territoriale des soins.

Docteur Pascal Gendry, président d'Avenir des équipes coordonnées (AVECsanté) . - Je vous remercie de votre invitation. Mon profil est un peu atypique, puisque je suis médecin généraliste en zone très rurale et que j'exerce aussi en libéral dans un hôpital de proximité. Je participe également au fonctionnement d'un groupement hospitalier de territoire (GHT).

De manière liminaire, il faut bien avoir conscience, vous l'avez dit, que ce qui se passe en ville a un impact sur l'hôpital et réciproquement, tant pour l'aval que pour l'amont. De plus, l'hôpital, même en crise, reste très performant en France - nous devons là aussi en être conscients - et nous avons besoin de cette qualité, parce que les patients sont de plus en plus âgés et précaires et que les maladies chroniques se développent.

Il existe des tensions que je qualifierai de réciproques. L'hôpital connaît des tensions démographiques, des services ferment et des lits disparaissent, ce qui pose des difficultés pour nous, à la fois lorsque nous adressons des patients et lorsque nous récupérons des patients qui ne sont pas entièrement stabilisés. Nous pouvons donc être une variable d'ajustement des tensions hospitalières. De notre côté, nous avons aussi des problèmes démographiques, ce qui peut notamment entraîner des difficultés à la sortie de l'hôpital en termes d'offre de soins.

Comment assurer la continuité des prises en charge dans ce contexte de tensions ? Beaucoup de travail reste à faire en la matière, notamment pour mieux anticiper. Même quand une hospitalisation est programmée, les conditions du maintien à domicile après le séjour à l'hôpital ou en soins de suite et de réadaptation (SSR) ne sont pas toujours anticipées.

Or je crois qu'il est tout à fait possible de mieux organiser les relations entre la ville et l'hôpital. Deux exemples concrets : durant l'épidémie de covid, les pharmacies hospitalières ont rendu d'énormes services aux professionnels de santé de ville ; des consultations avancées de la part de spécialistes hospitaliers sont parfois disponibles dans nos structures.

Pour autant, nous rencontrons plusieurs difficultés.

Les équipes de soins primaires sont là pour assurer la coordination du parcours des patients, mais il arrive que des patients nous « échappent » pendant une certaine durée : c'est par exemple le cas pour ceux pris en charge en néphrologie ou en cancérologie. Ainsi, les hôpitaux « captent » des patients qui vivent pourtant chez eux et nous n'avons pas nécessairement toutes les informations à leur sujet, alors que nous les voyons régulièrement soit pour une autre pathologie, soit en cas de crise aiguë. J'ajoute que le développement des nouvelles technologies va certainement amplifier ce phénomène : ainsi, la télésurveillance ne s'organise pas toujours en coordination avec les professionnels en ville. Pour simplifier, je dirais que l'hôpital débarque à la maison, mais sans qu'il y ait une articulation optimale avec les autres professionnels du territoire.

Une autre difficulté est la méconnaissance que les uns ont des autres. La notion d'équipe de soins primaires, qui nous est chère, n'est pas toujours connue à l'hôpital qui raisonne d'abord en termes de médecin traitant. Or le patient qui sort de l'hôpital a souvent besoin d'une prise en charge par une équipe - médecin, pharmacien, infirmier, masseur-kinésithérapeute...

Nous avons aussi des difficultés de communication. Chacun connaît des histoires de lettres de sortie qui n'arrivent pas, mais c'est aussi le cas dans l'autre sens pour le volet médical de synthèse. Nous devons travailler ensemble pour améliorer les choses. Il est par exemple difficile d'obtenir un avis spécialisé, parce que chaque service hospitalier a son propre parcours et qu'il est difficile pour nous de nous y retrouver. Il faut donc réfléchir à la mise en place de cellules de coordination internes à l'hôpital auxquelles les professionnels de ville pourraient s'adresser. Il ne s'agit pas seulement de mettre en place une messagerie sécurisée, mais d'identifier des personnes qui peuvent répondre de manière réactive aux demandes.

Il en est de même dans l'autre sens : les hospitaliers doivent identifier facilement une personne qu'elles peuvent contacter dans nos structures et qui est spécifiquement chargée de faire cette interface, notamment pour faciliter les sorties des patients. Cela permettra aussi, de notre point de vue, de libérer du temps médical. Nous devons structurer nos équipes dans ce sens. Nous avons besoin de structures solides avec des systèmes d'information adaptés et interopérables.

Enfin, je mentionnerai l'importance de la fluidité des parcours et la nécessité de produire des efforts en termes de formation, tant en ville qu'à l'hôpital, afin de changer nos cultures et d'éviter les cloisonnements.

Docteur Claude Leicher, président de la Fédération nationale des communautés professionnelles territoriales de santé . - Médecin généraliste, je travaille dans une maison de santé pluridisciplinaire (MSP) depuis 2003 et nous sommes en CPTS depuis 2020. En 2002, j'ai participé à la création des maisons médicales de garde.

La crise de l'hôpital était prévisible ! Chacun a pu la voir venir depuis de nombreuses années ; elle prend notamment sa source dans l'accès direct aux services d'urgence. D'ailleurs, pendant longtemps, on a privilégié l'expression urgence plutôt que celle de soins non programmés. Nous portons aussi notre part de responsabilité dans cette situation.

Pour autant, cette crise n'est pas seulement celle de l'hôpital ou, de manière un peu plus large, celle de notre système de soins, elle est d'abord celle de notre système de santé. C'est d'autant plus important de faire ces distinctions que nous changeons de période, comme la crise actuelle le montre. Le système est en train de se transformer, mais il est vrai que cela prend du temps.

Aujourd'hui, l'hôpital sert de vase d'expansion pour toutes les demandes qui soit sont vues comme urgentes, soit n'ont pas obtenu une autre réponse. D'ailleurs, les maisons médicales de garde sont elles-mêmes devenues des lieux de consultation pour des gens qui ne trouvent pas de réponse auprès des professionnels de ville, notamment pour ceux qui ne trouvent pas de médecin traitant : elles fixent des rendez-vous et il n'y a parfois plus de disponibilités sans rendez-vous...

Depuis 1958, la France a investi dans les hôpitaux, qui sont aujourd'hui de très grande qualité.

Je rappelle que notre métier tourne autour du patient. Avec les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) arrive le temps de ce qu'on appelle la responsabilité populationnelle. Elles proposent des solutions qui concernent l'ensemble de la population.

Nous avons arrêté de projeter le modèle hospitalier à l'extérieur de l'hôpital ; je prends l'exemple des réseaux par spécialité - cardiologie, addictologie, périnatalité, etc . - qui ne servaient à rien : sur les 2 millions de diabétiques, il y en avait entre 100 000 et 150 000 qui étaient inscrits dans les réseaux de diabétologie... Aujourd'hui, les dynamiques sont différentes et ce sont les médecins généralistes et les structures de ville qui, dès le soin primaire, s'intéressent à des questions qui auraient auparavant été traitées par des spécialistes - c'est par exemple le cas, lorsque nous sommes attentifs aux risques d'obésité chez l'enfant.

Jusqu'à présent, notre responsabilité populationnelle n'était pas gérable, mais elle le devient avec le développement des structures d'exercice coordonné ou regroupé et celui des équipes de soins primaires et, plus récemment, des équipes de soins spécialisés.

En ce qui concerne les conditions de prise en charge des patients, notre CPTS a mis en place depuis deux ans une cellule de coordination ville-hôpital, notamment pour mieux organiser les sorties des patients. C'est un sujet très important et il nous faut anticiper les choses pour que la prise en charge soit prête, lorsque le patient rentre chez lui. Souvent, on nous demande de mettre les choses en place, alors que le patient est déjà chez lui. Cette coordination et cette anticipation sont facilitées par les nouvelles technologies - groupes de discussion, etc . À Valence, nous avons aussi mis en place une inter-CPTS qui regroupe plusieurs CPTS autour de l'hôpital de Valence.

Les difficultés dans l'articulation entre la ville et l'hôpital sont le premier sujet de préoccupation des CPTS. C'est aussi le lieu de l'articulation entre les soignants et le médico-social. Si le système de santé n'est pas correctement connecté avec le médico-social, il ne peut tout simplement pas fonctionner. C'est pourquoi nous avons créé une commission des cas complexes avec le concours de l'hôpital.

Nous prenons en charge à domicile des situations de plus en plus lourdes et complexes, mais nous pouvons faire mieux : aujourd'hui, des patients qui reçoivent de la chimiothérapie en ambulatoire en prennent parfois ensuite par voie orale, toujours en ambulatoire, et nous allons mettre en place un protocole avec le centre Léon Bérard de Lyon pour prendre en charge certains de ses patients.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Comment voyez-vous concrètement l'organisation des cellules de coordination que vous avez évoquées ?

À partir de vos expériences respectives, quelles sont vos propositions pour désengorger l'hôpital de la prise en charge des soins non programmés ? Je suis d'ailleurs surprise d'entendre que les maisons de garde proposent des rendez-vous... Quelles sont vos propositions en ce qui concerne la permanence des soins ?

Dans certains pays, certains cabinets de ville pratiquent des actes de petite chirurgie. Qu'en pensez-vous ?

Lors de nos auditions, on nous dit souvent qu'il faut mettre tout le monde autour de la table à l'échelle d'un territoire - professionnels de ville, de l'hôpital et du médico-social. Est-ce possible ? Comment voyez-vous les choses ?

Docteur Claude Leicher . - Les cellules de coordination ville-hôpital sont un axe central de travail pour les CPTS, qui disposent de la légitimité sur le territoire.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Mais il n'y en a pas partout.

Docteur Claude Leicher . - En effet, mais aujourd'hui il y en a presque 800, en incluant celles qui sont en train de se mettre en place, ce qui fait quand même une très bonne couverture de la population. J'avais proposé la création des CPTS en 2012 à Marisol Touraine, alors ministre de la santé, justement parce qu'il n'existait pas de lieu où les professionnels de ville pouvaient se coordonner et discuter ensemble avec les responsables hospitaliers. Les cellules de coordination doivent être vues comme une interface. Nous nous saisissons de la totalité des sujets qui sont sur la table.

En ce qui concerne les soins non programmés, je veux d'abord rappeler que la très grande majorité des médecins généralistes, c'est-à-dire des médecins de premier recours, en prennent en charge tous les jours. C'est notre métier ! D'ailleurs, nous faisons en sorte de ne pas remplir entièrement notre carnet de rendez-vous pour nous donner de la souplesse et pouvoir accueillir des patients au dernier moment. Il arrive aussi que nous utilisions des plages dédiées à la permanence des soins pour prendre en charge des gens auxquels nous n'avons pas pu donner de rendez-vous dans la journée. Nous allons donc être certainement amenés à augmenter la taille des maisons médicales de garde pour prendre en charge de tels patients.

Ainsi, les soins non programmés sont loin d'être tous pris en charge par l'hôpital. Les médecins généralistes donnent chaque année 280 millions de consultations et les médecins spécialistes 100 millions, sans compter les actes techniques.

Docteur Pascal Gendry . - Les problèmes d'offre nous obligent parfois à coller des rustines - nous faisons comme nous pouvons ! Dans un monde idéal, les soins non programmés doivent être pris en charge par les équipes de soins primaires. Cela ne signifie pas nécessairement par un médecin généraliste ; nous devons travailler dans un cadre pluriprofessionnel à partir du moment où des protocoles sont en place, que les conditions de sécurité sont réunies et qu'il est possible de recourir à une consultation médicale en cas de besoin. Mais il faut que les équipes soient organisées pour cela et il faut qu'elles soient déployées en nombre sur le territoire.

Il est vraiment très important de mettre en place des cellules de coordination ville-hôpital, dans lesquelles une ou deux infirmières seraient chargées, au moins pendant les horaires de bureau, de répondre aux besoins des professionnels de ville. En effet, quand un médecin généraliste doit consulter dans des délais rapides un confrère spécialiste, c'est très difficile pour lui de savoir comment faire : la procédure sera différente selon les hôpitaux ! Il faut au minimum harmoniser les pratiques des hôpitaux.

M. Bernard Jomier , président . - Madame Colombani, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Hélène Colombani prête serment.

Docteur Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé . - L'explosion des maladies chroniques et l'évolution démographique justifient de travailler sur les relations entre la ville et l'hôpital. Depuis plusieurs années, ces relations se sont clairement améliorées et des expériences ont été menées en la matière. Ainsi, depuis les années 1990, les centres de santé accueillent des consultations avancées de spécialistes, ce qui est enrichissant pour tout le monde.

Aujourd'hui, nous rencontrons des difficultés pour accéder, dans des délais convenables et en secteur 1, à des soins de deuxième ligne et aux plateaux techniques. Dans les centres de santé - 25 % d'entre eux sont installés dans un quartier prioritaire de la politique de la ville -, le public est souvent précaire et pas en capacité de payer des dépassements d'honoraire.

Une autre difficulté réside dans les ruptures de charge à l'entrée, puis à la sortie de l'hôpital. Même si des expériences ont été menées, il reste beaucoup de travail à faire pour améliorer la fluidité des parcours de soins.

Par ailleurs, il n'existe aujourd'hui quasiment aucune instance de copilotage et de coordination entre la ville et l'hôpital sur un territoire donné. Une telle instance permettrait de coconstruire un projet partagé pour la population, à la fois en termes de prévention et de soins. Les CPTS sont un véritable outil pour cela, mais il faut qu'elles incluent l'ensemble des structures qui peuvent être concernées, y compris celles du secteur médico-social, ce qui est loin d'être le cas partout aujourd'hui.

Pendant l'épidémie, la CPTS de Nanterre et l'hôpital de la ville ont travaillé ensemble pour élaborer un document d'explication sur le parcours des patients covid, destiné aux patients et aux professionnels. Une telle démarche d'élaboration de protocoles cliniques et médico-sociaux pourrait se décliner pour d'autres maladies - le diabète, l'insuffisance cardiaque, etc . La première chose que demandent les professionnels, c'est souvent un annuaire expliquant les missions et compétences de chacun.

De nombreuses instances de coordination - conseils locaux de santé, conseils locaux en santé mentale, etc . - existent déjà dans les territoires, mais elles ne se parlent pas assez. Un travail de coordination est à faire, qui pourrait être mené au niveau des CPTS, à condition d'inclure tout le monde.

Sur les entrées et sorties dans les hôpitaux, il ne faut pas négliger l'importance de disposer d'un système d'information partagé. Faute d'interopérabilité entre les services d'information de l'hôpital et ceux des professionnels de santé du territoire, nous devons bricoler. Si certains utilisent la messagerie sécurisée de santé, beaucoup ne le font pas. Là encore, un travail reste à mener pour bâtir un système d'information partagé. Des réflexions sur le numérique ont été lancées dans le cadre du Ségur pour la médecine de ville, d'un côté, et pour l'hôpital, d'un autre côté, mais il manque une réflexion sur un système commun. On peut définir ensemble au niveau des territoires les outils à utiliser, mais cela suppose des financements, des compétences. Les médecins de ville manquent de moyens pour faire face à ces enjeux et ne peuvent pas s'appuyer sur des services informatiques.

En ce qui concerne les consultations avancées, plusieurs dispositifs ont été mis en place : assistants généralistes partagés, assistants spécialistes partagés, etc . Dans les centres de santé, on a ainsi pu intégrer un certain nombre de spécialistes et offrir à nos patients la possibilité de les consulter. On peut alors créer des parcours communs avec l'hôpital, ou définir des protocoles permettant un accès plus rapide aux plateaux spécialisés de l'hôpital sans passer par les urgences. Ce système mériterait d'être développé davantage : s'il est bien développé en Île-de-France, il l'est peu ailleurs, la situation étant très inégale selon les régions. En outre, si ce système est financé par les ARS pour l'hôpital, ce sont les gestionnaires des centres de santé qui doivent le financer pour la médecine de ville, ce qui n'est pas juste.

Au-delà, on pourrait développer des formations partagées entre la médecine de ville et l'hôpital, pour créer des parcours ou des échanges réguliers entre les centres de santé et les hôpitaux : cela permettrait aux uns et aux autres d'acquérir une meilleure connaissance réciproque, et de fluidifier les parcours.

Le développement de la télé-expertise dans certains domaines, comme la dermatologie ou la rétinographie pour les fonds d'oeil, constitue une avancée, mais l'intelligence artificielle ne sera pas la solution miracle aux déserts médicaux. Ils ne sont qu'un outil utilisable dans le cadre d'un parcours de soins.

M. Bernard Jomier , rapporteur . - Vous avez expliqué que le recours aux urgences pour les soins non programmés n'était pas toujours nécessaire ; il en va de même pour d'autres domaines, certaines situations de perte d'autonomie. Y a-t-il des situations dans lesquelles vous êtes contraints d'envoyer des patients à l'hôpital alors qu'une meilleure organisation des soins permettrait de ne pas le faire et d'éviter la saturation des hôpitaux ?

Ensuite, je n'arrive pas à comprendre vos propos sur la programmation des retours à domicile : souhaitez-vous qu'ils soient pris en charge par l'hôpital, par la médecine de ville ou par les deux ?

Mme Sonia de La Provôté . - On observe une évolution de la gestion de l'aval : des transmissions ne se font pas toujours ; pour des considérations économiques, on envoie le patient à sa sortie d'hôpital vers le médecin généraliste pour qu'il fasse l'arrêt de travail ; des prescriptions ne sont pas faites, et il n'est pas toujours simple au patient d'expliquer sa situation au médecin traitant pour qu'il fasse l'ordonnance - les patients n'ont pas toujours non plus la notion de l'urgence qu'il y a à consulter pour obtenir une ordonnance. La coordination est nécessaire. Une partie du secrétariat hospitalier ou encore des infirmiers référents faisaient ce travail de transmission, cela se fait moins. Il est problématique qu'un médecin généraliste apprenne le décès d'un de ses patients dans le journal...

Le Ségur de la santé n'a pas prévu d'investissements dans les soins primaires, dans les maisons de santé. Estimez-vous qu'il conviendrait de consacrer un Ségur aux structures qui ne sont ni des hôpitaux ni des Ehpad ?

La crise du covid est-elle une opportunité pour développer les CPTS ? Il me semble que l'on a fait comme M. Jourdain, et que l'on a commencé à fonctionner en CPTS à petite échelle, sans que cela n'en porte le nom. Un obstacle à leur développement est la crainte de la suradministration et d'un contrôle accru des ARS. L'initiative doit venir des territoires. Beaucoup de médecins ne veulent pas rentrer dans ce système, car ils ont peur qu'il ne soit une forme de contrôle déguisée des soins.

Enfin, la permanence des soins doit être aussi bien diurne que nocturne ; pour des raisons de démographie médicale, on manque d'une prise en charge en journée et les patients se reportent vers les urgences.

M. Bernard Jomier , rapporteur . - Nous voudrions aussi entendre votre réponse sur les services territoriaux de santé.

Docteur Pascal Gendry . - Sur la manière de prévenir des hospitalisations, notamment liées au grand âge, nous n'avons pas tiré toutes les conclusions de l'expérimentation Paerpa, relative aux personnes âgées en risque de perte d'autonomie, qui a été abandonnée alors qu'elle commençait à produire des effets. Quand, dans un territoire, on développe la coordination entre tous les professionnels de santé, et que l'on se donne des moyens pour recruter des infirmières de parcours ou développer des projets personnalisés de santé, on parvient à réduire les hospitalisations et à valoriser le maintien à domicile : on peut ainsi prendre en charge Mme Dupont qui a 80 ans et qui vient de se casser la figure. Certaines délégations départementales d'ARS disposent d'évaluations sur l'expérimentation Paerpa, qui montrent un moindre recours aux hospitalisations et une baisse des passages aux urgences. Mais ce processus demande du temps.

Les CPTS constituent une vraie opportunité, dès lors que l'on rassemble tous les acteurs qui veulent travailler ensemble, qu'elles ne sont pas limitées aux seuls professionnels libéraux et qu'elles sont ouvertes aux structures médico-sociales ou à l'hôpital. Ce dernier doit en être membre, et non simplement partenaire, pour pouvoir construire des parcours de soins, organiser la prise en charge des soins non programmés ou des urgences. Les CPTS ne doivent pas regrouper que des professionnels de santé en ambulatoire. Il faut agir au niveau du territoire de proximité, tel qu'il est ressenti par la population et par les professionnels de santé. Les GHT interviennent à une échelle beaucoup plus large, et cela pose un problème de coordination avec les CPTS. Il est difficile de construire des parcours de soins, de réfléchir sur les urgences ou les soins non programmés, si tous les acteurs ne sont pas intégrés dans la structure.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - La question du périmètre est centrale. Celui-ci est difficile à définir : faut-il fixer un seuil de population, une superficie géographique, etc . ? Les situations sont très variables selon les territoires. Les outils actuels - CPTS, GHT, etc . - sont-ils suffisants pour faire travailler tout le monde ensemble, ou bien faut-il créer une nouvelle structure de coordination ?

Docteur Claude Leicher . - Nous entrons dans une révolution organisationnelle qui doit commencer par l'ambulatoire - peu importe le mode d'exercice, libéral ou salarié, les centres de santé et les salariés ont toute leur place dans les CPTS. Si on place les praticiens en ambulatoire dans un système où ils ne savent plus très bien la place qu'ils occupent ni quels sont leurs partenaires, on ne pourra pas réussir !

Un hôpital local a toute sa place dans une CPTS ou dans une maison de santé pluriprofessionnelle. Mais il ne semble pas pertinent que l'AP-HP soit présente dans les CPTS à Paris - on pensait d'ailleurs qu'il ne serait pas possible de développer les CPTS à Paris, en fait il y en a une dans presque chaque arrondissement. Inutile donc de créer des problèmes là où il n'y en a pas ! Le médico-social a toute sa place dans les CPTS, tout comme les usagers.

Un hôpital local ou de taille moyenne peut travailler avec une CPTS comme partenaire, il n'est pas nécessaire qu'il en soit membre. Je ne suis pas sûr d'ailleurs que l'hôpital souhaite entrer dans le système de gouvernance de la CPTS : il a besoin que ses cadres gèrent avant tout l'hôpital.

Il convient d'organiser un Ségur des soins primaires. Il semble difficile de demander au médecin traitant ou à l'aide familiale à domicile de faire en sorte de garder à domicile une femme dont le mari vient de mourir et qui perd son autonomie parce qu'elle est atteinte d'hémiplégie, dans un territoire où l'on manque de médecins, d'infirmières, d'aides à domicile, etc ., si on ne leur donne pas les moyens de le faire, s'ils ne peuvent pas s'appuyer sur un réseau d'appui à la coordination ou sur le futur dispositif d'appui à la coordination (DAC). N'est-il pas risqué de laisser à domicile une personne âgée isolée dans ces circonstances : on a besoin d'une aide en urgence le soir pour que quelqu'un puisse venir passer la nuit avec elle, le temps de trouver d'autres solutions. Il faut que le législateur nous donne les outils pour nous permettre d'assurer le maintien à domicile.

M. Bernard Jomier , président . - On a inventé des tonnes d'outils au fil du temps. Les pouvoirs publics n'ont pas été avares de leur imagination. Pourquoi ces outils ne parviennent-ils pas à remplir leur tâche ?

Docteur Claude Leicher . - Parce que les outils n'ont pas été créés et ne sont pas gérés par les professionnels sur le terrain ! Quelle est la pertinence d'une plateforme gérontologique à 20 heures ?

Au contraire, nous voulons, dans les CPTS, que ce soient les acteurs de terrain qui se saisissent des outils et qui les créent - c'est, du reste, la raison pour laquelle cela ne va peut-être pas aussi vite que vous le souhaiteriez.

On m'a demandé de me saisir du futur DAC. Nous avons besoin d'être aidés par un service d'aide à domicile d'urgence, d'un petit pool dédié, que l'on peut mobiliser le soir grâce à un système d'astreinte, appeler, par exemple, pour une personne qui souffre d'hémiplégie et qui vit seule parce que son mari vient de mourir. Cela peut permettre de ne pas avoir à l'hospitaliser en urgence...

Il existe beaucoup d'outils, mais ils ne sont pas adaptés, n'étant pas gérés par les professionnels sur le terrain. La plupart du temps, on ne trouve pas les outils dont on a besoin.

Le retour à domicile doit-il être géré par l'hôpital ou par la ville ? Il faut une coordination ville-hôpital. Aujourd'hui, nous avons beaucoup facilité le travail des secrétariats hospitaliers grâce aux messageries sécurisées. L'Île-de-France, qui est toujours un peu en retard dans plein de domaines, l'est notamment dans celui-là. Pour notre part, nous avons, sur l'espace numérique de santé proposé par l'ARS, à la fois une messagerie sécurisée, qui s'appelle MonSisra, mais aussi la possibilité d'un dossier partagé, qui s'appelle MesPatients.

Nous allons également créer ce que l'on appelle le « bris de glace » pour que le médecin dispose du maximum d'informations sur le patient qu'il reçoit en urgence. Cela s'organise de façon collaborative. Je crois que c'est mis en place dans la région Auvergne-Rhône-Alpes depuis le début du mois de janvier.

Sur la gestion de l'aval, vous avez raison de dire que l'hôpital sert de déversoir. Nous remplissons également ce rôle sur tout un tas de sujets. Nous tâchons de jouer ce rôle en bonne intelligence. Il nous arrive de signer des arrêts de travail pour des patients immobilisés par une entorse ou un plâtre. Comme Hélène Colombani le disait tout à l'heure, le temps des diatribes est révolu. Petit à petit, l'idée d'un travail coordonné entre la ville et l'hôpital suit son chemin.

Oui à un Ségur des soins primaires ! Nous en serions très heureux.

Y a-t-il des CPTS qui se créent sans qu'il y ait rien dedans ? Il existe des indicateurs : si rien n'est fait de l'argent versé par l'ARS, il faudra bien le rendre tôt ou tard. Bien entendu, il faut vérifier que les fonds publics soient utilisés à bon escient.

Oui, la suradministration suscite des fantasmes, des peurs.

S'agissant du service public territorial de santé, je veux évoquer le rapport rédigé par Mme Devictor, à la demande de la ministre de l'époque, en préparation de ce qui allait devenir la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016. Que les ARS définissent les choses de manière autoritaire serait une catastrophe. La collaboration entre des acteurs qui n'ont pas l'habitude de la coopération nécessite une acculturation. Il nous semble plus opportun, dans notre pays libéral, au sens sociétal du terme, d'inciter les gens à être acteurs de leur métier et de leur vie.

Il est logique d'introduire les usagers dans les CPTS, comme on le fait dans les MSP depuis toujours - je ne parle même pas des centres de santé, car le principe est quasiment né avec eux.

Enfin, la permanence des soins (PDS) n'est qu'un concept d'organisation : la PDS, c'est quand les cabinets sont fermés. D'ailleurs, nous allons probablement de plus en plus utiliser les maisons médicales de garde, mais aussi les cabinets de médecine générale. Accueillir des patients en soins non programmés est quelque chose que l'on fait chaque jour : un patient qui nous appelle le matin et que nous réussissons à voir dans la journée, c'est du soin non programmé.

Docteur Hélène Colombani . - Tout d'abord, un Ségur des soins primaires me semble indispensable, de même qu'un Ségur de la santé publique. Nous avons formulé cette demande lors du Ségur de la santé. Il nous semblait difficile de pouvoir repenser le système de santé autrement que de manière globale. Il y avait des urgences du côté de l'hôpital. On nous avait promis, ensuite, un Ségur de la santé publique. Il faut dire que beaucoup de choses se sont passées depuis... L'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande, pour un système de santé fort et structuré, des soins primaires forts et structurés. Il y a de quoi faire.

La prise en charge des soins non programmés appelle, me semble-t-il, plusieurs niveaux de réflexion. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) a dressé la typologie des patients qui se présentent aux urgences : beaucoup s'y rendent pour des accidents ou des douleurs, souvent associées à d'autres pathologies. D'autres s'y rendent pour des maladies infectieuses.

S'agissant des accidents, certains centres de santé ont bénéficié d'un plateau de radiologie. Ils ont de quoi faire une radio des membres, une échographie, ce qui permet un certain débrouillage. S'ils pouvaient aussi faire des points de suture ou des plâtres, cela pourrait répondre à toute une partie de l'accidentologie qui arrive aux urgences sans y avoir forcément sa place. Il faut, d'ailleurs, un minimum de plateaux techniques : on sait que, dans la démarche clinique, il est désormais important, sur de nombreux sujets, de pouvoir faire un minimum d'examens biologiques et radiologiques. Il faut donc peut-être réfléchir à développer, en soins primaires, de petits plateaux au sein des centres de santé, des maisons de santé, des maisons de garde. Dans de nombreuses maisons de garde, il n'y a rien, si ce n'est un stéthoscope et, parfois, un électrocardiographe. Cela ne permet pas d'aller très loin.

J'ajoute à ce qu'ont dit Claude Leicher et Pascal Gendry que, dans beaucoup de territoires, notamment en zone urbaine, les médecins ne font plus de visite à domicile. En région parisienne, c'est très fréquent. Ils ne se déplacent pas, notamment pour des raisons de temps. Or, pour la prise en charge d'une personne âgée en perte d'autonomie, il est nécessaire d'aller de temps en temps la voir à domicile, dans son environnement, et de construire un plan personnalisé avec les autres acteurs qui la prennent en charge. Cela devient un problème dans certains départements.

D'autres propositions peuvent être faites.

On a parlé de la pratique avancée infirmière. Celle-ci peut trouver sa place dans les soins non programmés en soins primaires. Pour le moment, dans les soins primaires, la pratique avancée n'est considérée que pour les maladies chroniques stabilisées. Des évolutions peuvent être envisagées, notamment pour la visite à domicile. Des expériences se font en alternance avec le médecin traitant.

Quasiment tous les médecins ont, dans leur agenda du jour, des plages réservées aux soins non programmés, mais elles se remplissent dès le début de la journée. Il faut donc une coopération entre professionnels. Dans les centres de santé, il y a souvent du personnel infirmier. Nous mettons en place avec celui-ci un travail de protocolisation. Par exemple, nous considérons qu'il faut apporter une réponse aux nourrissons, aux femmes enceintes et aux personnes âgées, que l'on ne saurait laisser dans la nature. Ces populations sont d'abord prises en charge par les infirmières, avant de rencontrer le médecin. Il est à noter que, pour les infirmières, il n'y a pas d'acte qui valorise cette prise en charge, qui est donc à la charge du gestionnaire.

Il faut, à mon sens, réfléchir à toutes les possibilités, en se fondant sur le soutien de l'ensemble des professionnels de santé. C'est toute l'équipe traitante qui doit, ensemble, trouver des solutions pour recevoir tous les patients et éviter, bien évidemment, que ces derniers ne se présentent aux urgences, faute d'avoir obtenu une réponse. Puisqu'il y a de moins en moins de personnels médicaux dans certaines régions, il faut s'appuyer sur toutes les forces en présence, mais cela oblige à repenser la rémunération des protocoles mis en place.

Qu'entend-on par « service public de santé » ? Il faut réfléchir à un maillage du territoire. Je me suis rendue à Gand, en Belgique, dans le cadre d'échanges organisés par un réseau de soins primaires européen. Les soins non programmés et la permanence des soins ambulatoires (PDSA) sont organisés suivant des mailles de 200 000 à 300 000 habitants, et tous les médecins du territoire, quels qu'ils soient, y participent - ils font quelques gardes dans l'année pour la maille dont ils relèvent. De la même manière, en Aragon, en Espagne, où je me rends très régulièrement, il existe un maillage, et une PDSA pour chaque maille du territoire.

En France, il n'y a pas du tout de permanences de garde organisées dans beaucoup d'endroits. Il faudrait peut-être réfléchir à un maillage pour les soins primaires courants, ce qui implique des moyens et une équipe
- médecins généralistes, infirmiers en pratique avancée, assistants médicaux... - à même de prendre en charge un volume de population donnée et de la suivre, à la fois en termes de prévention, d'éducation thérapeutique, de soins...

Sur le terrain, les professionnels se sont organisés pour répondre à la crise. Par exemple, alors que de nombreux Ehpad, n'ayant pas de personnel infirmier de nuit, envoient les résidents aux urgences dès qu'ils ne vont pas bien pour ne pas prendre de risques, nous avons, dans les Ehpad de Nanterre, organisé, de manière expérimentale, une astreinte reposant sur un financement de l'ARS et sur les infirmiers libéraux du territoire, parallèlement à une astreinte au service de gérontologie de l'hôpital. Je sais que de telles astreintes se développent dans les Ehpad. C'est un exemple d'initiatives qui peuvent être prises.

M. Bernard Jomier , président . - Je vous remercie tous trois. Par vos témoignages, vous avez bien illustré les questions du parcours de soin, de la place de chacun et, par ricochet, du périmètre d'activité de l'hôpital, questions importantes que nous étudions dans le cadre de cette commission d'enquête.

Docteur Claude Leicher . - Les élus que vous êtes ne doivent pas oublier, dans la discussion, légitime, sur l'obligation d'installation de jeunes médecins - à laquelle je ne suis pas favorable -, que les ressources humaines n'existent plus. La première commune de France où il faudrait obliger les gens à s'installer ne se trouve au fin fond ni de l'Ariège ni de la Corrèze : c'est Paris.

Par ailleurs, le nombre de secteurs de garde est passé de 3 250 à 2 500. Il va désormais être ramené à 1 500, à la demande des ARS. Mon département, compte 22 secteurs de garde, qui fonctionnent tous.

Il faut en revenir aux réalités de terrain. Certes, SOS Médecins est présent dans les grandes villes, mais il y a énormément de généralistes qui sont toujours impliqués et dans les soins non programmés, et dans la permanence des soins, et dans la régulation. Certains sont même toujours attachés au service des urgences. Ne désespérons pas cette population qui continue de participer à ces actes difficiles, et faisons ce « Ségur de la santé des soins primaires » - la formule me va très bien -, de façon à mettre enfin les problèmes sur la table et à définir les moyens en fonction des objectifs que l'on se donne. Si nous ne mettons pas de moyens sur les soins primaires, dans dix ans, il y aura non plus 22 millions, mais 32 millions de passages aux urgences, ce qui n'est franchement satisfaisant ni pour vous ni pour nous.

M. Bernard Jomier , président . - Je vous remercie. Je pense que vous pouvez, en cette période préélectorale, adresser ces remarques aux différents candidats ; ils vous apporteront certainement des réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Denis Morin,
président de la 6e chambre de la Cour des comptes

(jeudi 3 février 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Je suis heureux d'accueillir M. Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes.

Dans le cadre de sa mission de contrôle financier et d'évaluation des politiques publiques, la Cour des comptes est très régulièrement amenée à examiner la situation du secteur hospitalier et, plus largement, l'organisation de notre système de santé.

Il était donc nécessaire que notre commission d'enquête l'entende, en la personne du président de la 6 e chambre, compétente en matière de sécurité sociale, de santé et s'agissant du secteur médico-social.

Monsieur le président, nous souhaitons avoir aujourd'hui votre éclairage sur les difficultés que traversent les établissements hospitaliers, dont beaucoup tiennent à des facteurs plus généraux qui affectent l'ensemble du système de soins, et nous serons bien entendu attentifs aux analyses et recommandations que vous pourrez formuler.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Denis Morin prête serment.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Merci, Monsieur le président, de nous apporter l'éclairage de la Cour des comptes. Le secteur hospitalier connaît effectivement des difficultés importantes, très accentuées par la crise sanitaire, mais dont les causes sont plus structurelles. Il bénéficie pourtant dans notre pays d'un niveau de financement élevé. Il y a donc certainement dans l'organisation, le pilotage et la régulation de l'hôpital, et plus largement du système de santé, des défaillances qui ont contribué à la situation actuelle.

Le maillage territorial entre établissements de différents types, de l'hôpital de proximité au centre hospitalier universitaire (CHU), est-il optimal ? Doit-il évoluer pour assurer « le juste soin » dans les meilleures conditions pour le patient ?

Dans le fonctionnement des établissements hospitaliers, dans leur financement, les modalités de régulation de leurs dépenses, peut-on donner davantage de marges de manoeuvre aux gestionnaires et aux équipes soignantes ? Nous nous sommes rendus à Valenciennes, dans un centre hospitalier « magnétique », dont la gestion semble donner des résultats.

Enfin, comment trouver un meilleur équilibre entre le recours à l'hôpital et les autres types de soins, en améliorant le parcours du patient et en répondant aux besoins de santé sur les territoires ? Comment la ville peut-elle libérer l'hôpital de la pression qui pèse sur lui ?

M. Denis Morin, président de la 6 e chambre de la Cour des comptes . - Les juridictions financières travaillent effectivement régulièrement sur l'hôpital public, au travers des contrôles organiques des chambres régionales des comptes (CRC). En outre, depuis la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, les cliniques privées font l'objet de contrôles sous la responsabilité conjointe de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes. Par ailleurs, nous conduisons un certain nombre d'enquêtes, souvent à la demande du Parlement, en particulier de la commission des affaires sociales du Sénat. Je citerai le rapport sur les CHU, qui posaient des pistes de réforme utiles. Nous avons travaillé récemment sur les groupements hospitaliers de territoire (GHT), à votre demande, et formulé des propositions de réforme ou d'approfondissement de celle-ci. Nous avons également travaillé sur les soins critiques et publié récemment un rapport à ce sujet, là aussi à la demande de votre commission eu égard aux défaillances de programmation, capacitaires, et à une baisse de tarifs régulière inexplicable.

Un certain nombre de thèmes sur lesquels nous nous sommes penchés, dans le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) ou dans le rapport public annuel, ont mis en évidence des déficiences en termes d'organisation et de mauvaise articulation entre la ville et l'hôpital - vous l'avez souligné dans votre propos liminaire, Madame la rapporteure. Nous avons en particulier apporté une contribution sur les urgences hospitalières. Nous avons aussi travaillé sur les activités chirurgicales, qui structurent énormément l'évolution du tissu hospitalier français, sur la dette des hôpitaux, ainsi que sur la lutte contre les maladies neuro-cardio-vasculaires. Plus récemment, nous avons fait un point sur le « virage ambulatoire », selon une expression déjà ancienne, qui s'est opéré à l'intérieur de l'hôpital, avec l'accélération du développement de la chirurgie ambulatoire au cours de ces dernières années, et à l'extérieur avec un meilleur partage entre la ville et l'hôpital.

La plupart de ces contributions mettent en évidence, à l'attention du Parlement, des pistes d'efficience réelles de notre système de santé. Je conçois que cela ne soit pas simple à entendre dans le contexte actuel ; soyez bien certains que cette efficience n'est pas non plus simple à exprimer.

En effet, nous entamons la troisième année de la pandémie de covid avec plus de 30 000 patients à l'hôpital, dont 3 700 en réanimation, sur une capacité totale de 5 000 lits. Par ailleurs, depuis le début de la crise, c'est l'hôpital public qui a, pour l'essentiel, supporté le choc en assurant 85 % des prises en charge de patients covid, dont 50 % dans des CHU où sont localisés la majorité des services de soins critiques.

Ce n'est pas un message qu'il est simple de porter, mais je rappelle que la Cour n'a pas critiqué l'ensemble des dépenses mises en oeuvre pour faire face à la crise. Nous avons seulement émis des réserves sur la gratuité et l'accès libre aux tests pour signaler que nous avons collectivement bénéficié d'un système unique en Europe. Nous n'avons pas non plus désapprouvé les dépenses du Ségur de la santé. Cela n'empêche pas de poser la question du financement de ces dépenses très substantielles, pérennes de surcroît.

Vous le savez, dans le champ de la sécurité sociale, les dépenses sont financées par la dette, l'impôt ou des économies. À nos yeux, c'est évidemment la troisième solution qui est préférable lorsque c'est possible. Contrairement au discours ambiant selon lequel on ne peut pas faire d'économies à l'hôpital, il existe, selon nous, de bonnes économies et de mauvaises économies. Dans les bonnes, je rappellerai que la direction générale de l'offre de soins (DGOS) a mis en place depuis dix ans le programme Phare (Performance hospitalière pour des achats responsables) permettant aux hôpitaux de mutualiser leurs achats et de réaliser chaque année 1 milliard à 1,5 milliard d'euros d'économies. Il n'est nullement question de toucher aux soins ni d'altérer la qualité de la prise en charge. De la même façon, la mutualisation des fonctions supports, dont notre rapport précité a mis en évidence l'accélération au sein des GHT, n'attente en rien à la qualité du soin. Celle-ci contribuerait plutôt à une meilleure prise en charge. Et les progrès de la chirurgie ambulatoire que nous avons mis en exergue, lesquels ont démarré très tôt dans le privé et concernent désormais aussi le secteur public, représentent une vraie amélioration de la qualité de la prise en charge. Ils seront en outre de nature à éviter des infections nosocomiales. Au total, la Cour avait chiffré les économies à attendre du fait de ce virage à 5 milliards d'euros.

Le message de la Cour est, en substance, de dire que des économies de santé peuvent résulter de la chasse à la non-qualité. Or cette dernière a un coût. Il est possible d'être plus efficients dans la dépense, tout en améliorant la qualité de la prise en charge du patient.

Dans les bonnes économies, je place la bascule, dont on parle beaucoup sans en voir la concrétisation, du curatif vers le préventif. À cette fin, notre système de santé doit être capable de réaliser des économies sur le curatif.

Ces pistes illustrent notre doctrine sur ces sujets, qui s'adapte au gré des circonstances et de l'évolution de notre système de santé. Elle n'inclut pas la recherche systématique d'économies, et certainement pas de mauvaises économies. Il y a de bonnes économies comme de bonnes dépenses !

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Vous avez rappelé les différents rapports de la Cour des comptes concernant l'organisation de l'hôpital et la place de l'ambulatoire. S'est-elle intéressée à l'hospitalisation à domicile ?

M. Denis Morin . - Dans un rapport récent sur la prise en charge à domicile, nous sommes revenus sur ce point.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - La présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (Fnehad), Mme Élisabeth Hubert, a indiqué lors de son audition que cette part était encore assez faible, même si elle progresse. Le coût de l'hospitalisation à domicile est-il particulièrement élevé ?

M. Denis Morin . - Nous ne l'avons pas véritablement objectivé.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - La difficulté est que le préventif a un coût, avec un retour sur investissement décalé. C'est souvent ce qui nous est opposé. La Cour a-t-elle apprécié le nombre d'établissements hospitaliers et le niveau des capacités ? L'organisation territoriale de la gradation des soins est-elle satisfaisante ? Des progrès doivent-ils être réalisés pour la prise en charge des soins les plus courants ? La tension sur les ratios personnels/patients est importante et dépend beaucoup du nombre de personnes soignées. Or avec le vieillissement de la population, les pathologies des patients hospitalisés sont de plus en plus lourdes. Quelles sont les marges de manoeuvre pour renforcer les personnels médicaux à l'hôpital, augmenter le temps des soins et de la prise en prise en charge des patients ? Comment diminuer ou simplifier certaines tâches administratives du personnel non soignant, de façon à gagner du temps pour le médical sans augmenter encore le déficit ?

Sur le financement, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) hospitalier n'est-il pas trop décorrélé de l'évolution des besoins de santé ? Un autre équilibre pourrait-il être trouvé entre la tarification à l'activité (T2A) et les autres sources de financement ? Que pensez-vous du projet de création d'objectifs régionaux de dépenses d'assurance maladie (Ordam) ? La régionalisation des décisions concernant l'accès aux soins à l'échelle d'un territoire ne le justifierait-elle pas ?

M. Denis Morin . - La France a un nombre particulièrement élevé d'établissements hospitaliers : 45 par million d'habitants, contre 36 en Allemagne, 33 aux Pays-Bas, 30 au Royaume-Uni, 18 en Italie et 16 en Espagne. Notre tissu hospitalier est donc l'un des plus larges d'Europe.

Pour autant, on ne peut pas affirmer que la gradation des soins soit correctement mise en place. Elle suppose d'abord une structuration correcte des soins « de premier recours ». Or nous n'avons pas énormément progressé en ce sens. Les dernières orientations prises par le Gouvernement remontent à « Ma santé 2022 », et la pandémie a un peu fait passer ces sujets au second plan. Il reste encore beaucoup à faire pour améliorer le premier recours et pour développer les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) - on est loin des 1 000 communautés actives, même si les 200 qui existent couvrent une population théorique de 14 millions d'habitants, comme annoncé récemment.

Nous sommes confrontés à un paradoxe : le maillage hospitalier est large, mais la prise en charge des soins de premier recours n'est pas satisfaisante dans notre pays. Et je ne parle pas du serpent de mer des déserts médicaux, au sein desquels l'accès au système de santé n'est pas aisé. Alors que 3 % de la population était concernée par ce sujet voilà dix ans, ce chiffre atteint les 6 % aujourd'hui.

Nous appelons de nos voeux à la fois une accélération de la structuration du premier recours et la réimplication de la médecine libérale dans la prise en charge de la permanence des soins, dont elle s'est très largement désengagée depuis dix ans et qui repose désormais sur l'hôpital. Hormis peut-être en Île-de-France, si l'on contacte un généraliste après 18 heures, il vous renvoie vers l'hôpital.

Par ailleurs, nous proposons de systématiser les seuils d'activité. Avec le développement de la chirurgie ambulatoire, le nombre de plateaux techniques n'a pas diminué, non plus que le nombre d'établissements qui effectuent moins de 1 500 actes par an - on enregistre même une unité supplémentaire. Par conséquent, pour faire évoluer la prise en charge de nos concitoyens dans le sens de la gradation des soins, il faut des solutions sur le premier recours et un système hospitalier plus resserré. Les seuils systématiques peuvent faciliter ces évolutions, comme l'indique la Cour dans sa note récente sur les problèmes structurels de la santé. Mais il ne s'agit pas de décisions couperets. Pour le réseau des maternités, par exemple, la norme de 300 accouchements par an a été fixée dans les années 1970. Les fermetures de petites maternités ces dernières années sont intervenues dans la douleur. Pour surmonter les difficultés, beaucoup d'efforts sont consentis. À ce propos, dans les territoires où la fermeture avait été considérée comme l'arrêt de mort de l'accès aux soins, comme à La Mure, des solutions ont pu être trouvées. Aujourd'hui, cette ville symbole ayant marqué les esprits en 1995 a retrouvé plus de présence médicale, de capacité d'accès aux soins ; elle présente en outre l'avantage d'être à proximité du CHU de Grenoble, et nombre de médecins libéraux sont revenus.

Sur la capacité à dégager du temps médical à l'hôpital, plusieurs pistes sont possibles. Par définition, notre système hospitalier étant très étalé, les coûts de structures sont élevés. Les logiques de regroupement, notamment à travers les GHT, pourraient dégager des économies sur les fonctions support et rétablir un équilibre au profit du soin.

De plus, des évolutions techniques comme le développement du numérique et, conformément au Ségur de la santé, des systèmes d'information hospitaliers (SIH) sont aussi de nature à dégager des gains de productivité. L'approfondissement des synergies entre les établissements au sein des GHT ira dans le même sens, à savoir plus de temps médical et moins de temps administratif.

Pour ce qui est des Ordam, l'ancien directeur général d'une agence régionale de santé (ARS) que j'étais voilà quelques années n'est pas insensible à cette interrogation. Mais il n'est pas logique d'avoir une responsabilité régionale financière sans disposer de la moindre capacité de régulation. La fixation de l'Ondam hospitalier ne relève en rien des ARS, même si des discussions se tiennent ensuite entre chaque établissement et le niveau régional. L'Ondam soins de ville est surtout déterminé par la politique conventionnelle, dont on ne peut pas dire qu'elle soit marquée par une forte modulation régionale. C'est pourquoi, en l'état actuel des choses, je ne suis pas très favorable à cette évolution qui responsabiliserait les acteurs régionaux sur la gestion d'une enveloppe ans leur donner la capacité d'agir sur celle-ci.

En revanche, l'Ondam est, par définition, un arbitrage et une tension permanente entre ce qui est médicalement utile et financièrement possible. Il fait partie des décisions budgétaires arrêtées chaque année par le Gouvernement et soumises au Parlement.

Cet objectif national n'est pas décorrélé des besoins de santé, puisqu'il se construit chaque année à partir d'une approche tendancielle dont la Cour a sans cesse voulu qu'elle soit mieux documentée. Ce travail est lourd et complexe pour les administrations visées, mais d'énormes progrès ont été réalisés en la matière. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) soumis au Parlement prévoit un programme d'économies annuelles pour que l'évolution des dépenses s'ajuste sur le niveau souhaité. À vrai dire, rien ne justifie de sortir de ce cadre, qui est un énorme progrès, y compris pour le débat démocratique. Les budgets hospitaliers, à savoir 92 milliards d'euros de dépenses, sont tout à fait comparables aux plus gros budgets civils de l'État accordés à l'éducation nationale - environ 50 milliards d'euros - ou à la politique de sécurité. Les enjeux sont tels qu'ils requièrent des discussions, des arbitrages, des éclairages, des analyses. C'est ce que l'on fait depuis bien des années, et c'est un gros progrès.

En revanche, la Cour a mis en avant dès 2018 que le respect des enveloppes votées chaque année en loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) est systématiquement passé par des gels budgétaires des dotations versées aux hôpitaux, et non par une régulation des dépenses de soins de ville. Autrement dit, c'est par ces gels et la baisse de ses tarifs que l'hôpital a compensé des défaillances de la régulation des dépenses de médecine de ville. Ce schéma pouvait se concevoir à la suite de la crise de 2008. Néanmoins, dans la durée, ce mode de régulation a des effets pervers, pointés par la Cour. En contrepartie, si le Gouvernement veut tenir une enveloppe de dépenses, il doit construire des dispositifs de régulation à l'attention de la médecine de ville.

Nous avons souligné toute la pertinence de l'accord prix-volume des biologistes, qui permet d'entrer dans une logique de régulation, avec une forte dimension de pertinence des actes. C'est ce qui était annoncé au début ; ce n'est pas tout à fait ce qu'il y a eu lieu par la suite. En tout cas, cette dimension de maîtrise médicalisée paraissait dès le départ bonne, avec des engagements globaux et des arbitrages prix-volume déclinés ensuite de manière, je crois, tout à fait transparente et consensuelle. C'est, me semble-t-il, un bon exemple de ce que l'on peut faire en termes de régulation de la médecine de ville.

Je ne crois pas que nous ayons récemment écrit sur la T2A.

M. Bernard Jomier , président . - Vous avez écrit beaucoup de choses sur la T2A en 2021.

M. Denis Morin . - Nous avons présenté des chantiers de réforme inaboutis sur les soins de suite et de réadaptation (SSR), sur les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et sur la psychiatrie, avec un gros travail sur la réforme de la tarification en la matière.

Nous ne sommes pas réintervenus sur la médecine, chirurgie, obstétrique (MCO). Pour la Cour des comptes, l'équilibre actuel dans le financement hospitalier, entre ce qui relève de la T2A et ce qui relève des dotations de type missions d'intérêt général et d'aides à la contractualisation (Migac), est plutôt satisfaisant. Vous le savez, la T2A, c'est 50 % des ressources dans les CHU et 80 % dans les centres hospitaliers (CH). Elle comporte sans doute des effets pervers. Il n'est tout de même pas documenté, me semble-t-il, qu'elle ait entraîné inflation des actes. En revanche, il est établi, c'est l'objet du contrôle de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) et des ARS, qu'elle a pu conduite à accentuer le codage des comorbidités. Il est également clair que la grille tarifaire est beaucoup plus complexe que dans les pays voisins et que sa simplification pourrait déjà être, je crois, utile.

Par ailleurs, je pense que, dans tous les segments de notre système de santé, en médecine de ville comme à l'hôpital, on tend à une tarification mixte. C'est, je crois, un bon indice pour assurer une meilleure organisation de notre système de santé. C'est d'ailleurs aussi ce que l'on observe dans les pays voisins ; ils sont sortis de ces grands débats un peu philosophiques entre tarification à l'acte et tarification globale, et ils ont fait un mix .

Le mix peut évidemment être différent selon les strates hospitalières. Je ne suis pas étonné que le poids de la T2A soit moindre dans les CHU, qui remplissent des missions d'intérêt général. Je ne suis pas étonné non plus que les petits établissements de proximité - il faut les maintenir, car, dans les territoires concernés, si l'hôpital disparaît, il n'y a plus rien ; c'est tout de même un enjeu majeur en termes d'égalité d'accès aux soins - soient sortis du régime de la T2A voilà maintenant quelques années. Pour eux, cette formule n'était pas adaptée.

Je pense que ce sont de très bonnes évolutions.

M. Bernard Jomier , président . - Dans son rapport du mois de décembre, la Cour des comptes souligne ses inquiétudes sur la trajectoire et évalue le niveau d'économies nécessaires sur les prochaines années à 6 milliards d'euros par an. C'est bien supérieur à ce qui a été constaté les années précédentes.

Vous défendez un certain nombre de hausses de tarifs : SSR, psychiatrie, accueil des personnes âgées et des personnes en situation de handicap dépendantes, etc . Cela commence à faire beaucoup de monde. Sur les soins critiques, vous appelez à une hausse non seulement du nombre de places, mais également des tarifs.

Vous proposez de diminuer le nombre de CHU sur le territoire de trente à dix, et vous appelez à supprimer les petits blocs chirurgicaux. Au sein des hôpitaux de proximité, dans le MCO, il reste un peu de M, et plus de C et de O. Cette évolution, largement inscrite dans la loi, n'est pas sans poser des difficultés dans un certain nombre de territoires.

Nous partageons évidemment tous - c'est le code génétique de la Cour des comptes - la préoccupation d'une bonne utilisation de l'argent public. Vous avez pointé des sources d'économies, par exemple sur les centres de dialyse privés. Mais cela ne me semble pas suffisamment significatif au regard de l'effort d'économies que vous prônez. Dès lors, où voyez-vous une possibilité de réduire autant la dépense ? Où sont les baisses de tarifs ?

Vous avez rappelé la nécessité de rétablir un équilibre en faveur des soins à l'hôpital. C'est une préoccupation que nous partageons. Mais nos interlocuteurs nous disent qu'il n'y a pas trop de personnels administratifs dans les hôpitaux. Nombre de soignants se plaignent de la charge administrative, qui s'est accrue. Or une partie de cette charge est incontournable.

La porte de sortie que nous voyons, c'est la question du ratio entre patients et soignants. Même si celui-ci n'est codifié que pour certaines spécialités, il est de facto en vigueur plus largement, en raison des programmes d'efficience qui ont été engagés pendant des années.

Nous souhaitons également mieux consacrer l'argent disponible à la fonction soignante et pas à l'administratif. Mais il n'y a pas 30 000 emplois administratifs inutiles à l'hôpital qu'il faudrait supprimer.

La Cour des comptes, garante de la bonne utilisation des fonds publics, ne peut évidemment pas effectuer son travail sans aller vers une analyse en santé publique. Je note d'ailleurs avec malice que la Cour, d'ordinaire peu encline à vouloir augmenter les recettes, a proposé une hausse des taxes sur les boissons alcoolisées et les boissons sucrées.

Nous sommes des parlementaires, dans le champ politique. Nous ne pouvons bien utiliser l'argent public qu'en fonction des objectifs que nous nous donnons. Faire la conversion vers un système plus préventif nécessite probablement d'investir. Comment la Cour des comptes nous conseillerait-elle de mener cette révolution de santé publique en fonction de la contrainte et du cadre budgétaires ?

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Vous avez évoqué tout à l'heure la simplification de la grille de tarification, qui est très lourde par rapport à d'autres pays. Est-ce que cela permet un gain de temps administratif ?

M. Denis Morin . - On peut le faire à coûts constants.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - On nous dit qu'il y a 30 % d'effectifs administratifs en plus par rapport à d'autres pays. Tout dépend ce qu'on met derrière le terme « administratif ». Selon le syndicat des manageurs publics de santé, ce chiffre est surévalué.

M. Denis Morin . - En effet, 30 %, cela me paraît beaucoup.

Le mérite d'une trajectoire est d'illustrer comment on va d'un point A à un point B, avec une équation simple : tout ce qui n'est pas des économies est appelé à être soit de la dette, soit des impôts. Or notre pays a déjà un taux de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés d'Europe et le niveau de dépenses publiques le plus élevé d'Europe avec le Danemark.

La Cour des comptes ne dit pas qu'il faut faire 6 milliards d'euros d'économies par an. D'ailleurs, elle ne dit pas : « Il faut. » Elle peut recommander, mais la décision appartient évidemment au Gouvernement, sous le contrôle du Parlement.

Nous savons bien que nous devrons à un moment ou à un autre nous interroger sur ce que nous faisons de la dette sociale. Je le rappelle, nous sommes un des rares pays à objectiver une dette sociale sur des dépenses de transfert. L'État transfère des ressources à la sécurité sociale, mais la dette sociale telle qu'elle a été arrêtée en 1996, transférée à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) avec l'idée qu'elle allait être remboursée très vite, existe encore. Cela a même été relancé par la crise. Nous avions presque atteint le moment où nous allions pouvoir supprimer la Cades, en 2024. Là, c'est reparti pour quelques années... C'est un élément de la dette publique générale, dont chacun sait qu'elle est à un niveau relativement élevé.

Je vous remercie d'avoir souligné que la Cour des comptes n'a pas toujours des messages allant dans le sens de la déflation des dépenses. Il nous arrive effectivement de mettre en évidence des segments sur lesquels nous considérons qu'il n'y a pas suffisamment d'argent public. Cela complique peut-être l'équation, mais cela fait aussi partie de notre approche en termes de qualité des dépenses : être capable de dire que nous ne critiquons pas tel aspect, car il nous paraît justifié.

Si des initiatives sont prises dans les prochaines années pour commencer à régler le problème de la capacité des établissements de santé et des Ehpad à recruter durablement des personnels à des niveaux de revenus acceptables pour qu'ils puissent vivre en Île-de-France, la Cour des comptes ne dira sans doute pas que c'est une mauvaise piste. Tout le monde le sait, le problème, qui est très médiatisé aujourd'hui, concerne toutes les administrations : à l'évidence, un jeune fonctionnaire en début de carrière, une aide-soignante ou une infirmière ne vivent pas correctement en Île-de-France.

Cette situation appelle un certain nombre de réponses. Le législateur l'avait, dans une certaine mesure, entrevu. Vous savez que les traitements résultant des grilles salariales sont complétés par une indemnité de résidence modulée par zones, mais d'un montant faible. Le législateur d'après-guerre avait effectivement vu que des écarts de niveau de vie pouvaient justifier des compléments. Évidemment, aujourd'hui, nous sommes loin de l'objectif qui était alors visé.

J'en viens aux économies générales de notre système de santé. La gradation des soins et le virage ambulatoire, même s'ils ne sont pas source d'économies instantanées, sont, me semble-t-il, des orientations structurantes qui permettent une meilleure efficience. La Cour des comptes a chiffré les économies possibles résultant du déploiement de la chirurgie ambulatoire à 5 milliards d'euros au début des années 2010. Voilà un gisement d'économies qui peut être mis en oeuvre au fil des années pour aller dans le sens d'une trajectoire de retour potentiel à l'équilibre.

De même, la gradation des soins est évidemment un élément qui permet une prise en charge à la fois plus efficiente et moins coûteuse. Les réticences qui existent parmi certaines professions médicales pour des délégations de tâches ou de compétences, le caractère très progressif de la montée en régime de l'infirmier de pratique avancée, la capacité qu'on pourrait avoir à mobiliser bien davantage les paramédicaux, qui ont - nous l'avons vu pendant la crise - montré toute leur efficacité en grande proximité des patients sont aussi des éléments qui permettent de dégager du temps médical, de l'utiliser au mieux pour la prise en charge du patient, tout en étant dans un système globalement plus efficient.

Dans le rapport de 2017, nous n'avons pas proposé de réduire le nombre de CHU. Nous avons proposé de développer des réseaux de CHU. D'ailleurs, j'observe que c'est exactement ce qui se fait ; cela avait même commencé avant le rapport. Aujourd'hui, d'autres types de réseaux apparaissent, par exemple en Nouvelle-Aquitaine. C'est autour de ces éléments-là que nous proposions de travailler. Il ne s'agit donc pas de supprimer des CHU, mais de les amener à travailler en coopération et, en particulier, à mieux coordonner leur activité de recherche. Sur ce point, vous le savez, nous avons un peu perdu par rapport à nos principaux voisins. L'évolution vers un réseau de CHU vise ainsi à renforcer notre capacité à être mieux organisés et plus efficients.

De même, par définition, la fermeture progressive des petits blocs chirurgicaux est aussi de nature à renforcer l'efficience. Il faut le faire avec prudence, dans la durée. Mais je pense que la démographie et les exigences de sécurité et de qualité de prise en charge remettront ce sujet à l'ordre du jour.

Certes, il est difficile d'aborder de tels sujets à un moment où l'hôpital est confronté à une crise.

M. Bernard Jomier , président . - La loi de 2019 ne rend-elle pas ce mouvement inéluctable ?

M. Denis Morin . - Je ne suis pas certain que ce soit d'ores et déjà joué. Je pense de toute manière qu'il faut s'inscrire dans la logique de la gradation des soins. À mon sens, l'idée, qui avait été annoncée au moment de Ma santé 2022, de considérer que certains hôpitaux de proximité pouvaient être des portes d'entrée pour assurer la prise en charge des soins de premier recours était une très bonne idée.

Des structures existent. Elles peuvent être utilisées. Il peut y avoir à créer des maisons de santé pluriprofessionnelles, à mieux organiser des médecins libéraux dans les CPTS, à faire parler ces dernières avec les GHT et à utiliser les petits hôpitaux qui existent, plutôt que de les fermer, comme porte d'entrée en premier niveau.

L'hôpital est un univers complexe dans son fonctionnement interne, souvent très clivé. Je ne suis pas pour opposer ceux qui soignent - il y a évidemment une noblesse attachée au fait qu'à l'hôpital, on apporte réconfort et soin - et les administratifs. Je pense qu'un hôpital fonctionne bien, y compris en termes de gouvernance, quand les deux se parlent. Il peut y avoir des déséquilibres à corriger, mais un bon hôpital est un hôpital dans lequel le directeur et le président de la commission médicale d'établissement (CME) ont de bonnes relations et partagent une même vision. À l'inverse, quand il y a des tensions, même strictement personnelles, cela va moins bien.

Or c'est tout de même mieux si l'acte médical intervient dans un univers où les blocs sont organisés de manière rationnelle et où l'établissement sait gérer ses stocks, par exemple ses stocks de médicaments, sa dette. On a vu des établissements - fort heureusement, c'est déjà loin - fragilisés par des dettes, souvent de produits toxiques. Et les administrations ont apporté aux hôpitaux toute l'assistance qui convenait pour se sortir de telles situations. On n'imaginerait pas que, dans un établissement hospitalier quelconque, il faille mobiliser des compétences en matière de gestion de dette ; et pourtant, c'est le cas.

Pour qu'un hôpital fonctionne bien, les fonctions administratives doivent aussi être remplies. Les deux métiers doivent donc se parler et se compléter. Cela n'empêche pas qu'il puisse y avoir des gains de productivité, notamment grâce au numérique, permettant peut-être d'alléger le nombre d'emplois administratifs. De même, si on entre dans une démarche plus intégrative au sein des GHT - certes, c'est au moins aussi compliqué que l'intercommunalité -, on peut alléger le poids des fonctions support. La mutualisation de choses simples comme la blanchisserie ou, plus généralement, les achats, sont aussi un moyen d'alléger le poids des dépenses administratives et, sans doute, de mieux faire ressortir l'importance de la prise en charge du patient et du soin en tant que tel à l'hôpital.

Vous avez souligné l'importance des travaux que nous avons réalisés ces dernières années sur la santé publique. La Cour des comptes n'a évidemment pas vocation à exprimer un avis médical. Lorsque nous abordons de tels sujets, nous le faisons en général avec des experts, des praticiens hospitaliers, des médecins. Cela permet d'avoir un jugement plus sûr. Nous avons produit nombre de rapports sur la prévention, dont un, très important, sur la prévention de la dépendance, qui a eu un grand écho.

Vous avez fait référence au relèvement d'un certain nombre de taxes. Tabac, alcool, alimentation et environnement sont les quatre déterminants essentiels d'une bonne politique de prévention. Sur le tabac, entre le paquet neutre et l'augmentation des prix, les choses ont beaucoup évolué depuis dix ans. Sur l'alcool, de même que sur l'alimentation, beaucoup reste à faire, même si cela commence à bouger un peu.

Et sur l'environnement, c'est très compliqué - le sujet de la santé environnementale relève de deux chambres au sein de la Cour des comptes -, mais c'est une dimension tout à fait essentielle dans la prévention.

Sur ces sujets souvent difficiles, nous avons essayé de faire passer des messages, notamment auprès des parlementaires. Sur l'alimentation, nous avions formulé des propositions assez allantes, bien au-delà du simple nutri-score, qui a été long à être mis en place et qui ne marche pas si mal.

M. Bernard Jomier , président . - Nous vous remercions de vos réponses très précises et intéressantes, qui éclaireront nos travaux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Jean-Yves Grall, président du collège
des directeurs généraux d'agences régionales de santé

(jeudi 3 février 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Nous entendons cet après-midi M. Jean-Yves Grall, directeur général de l'Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes et président du collège des directeurs généraux d'ARS. Merci de votre présence, Monsieur le directeur général.

Les établissements hospitaliers sont au coeur des missions des ARS, issues des agences régionales d'hospitalisation. Nous souhaitons donc vous écouter sur la situation actuelle de l'hôpital et ses difficultés. Nous avons pu constater depuis le début de nos travaux qu'elles sont pour partie liées à des insuffisances dans l'organisation des soins, faisant de l'hôpital la variable d'ajustement de défauts dans les conditions de prise en charge des patients. L'enjeu d'une meilleure articulation des différents acteurs de santé sur les territoires est ainsi souligné avec force et concerne au premier chef les ARS.

Je précise que vous avez exercé en tant que praticien hospitalier, avant de diriger plusieurs ARS, et que vous étiez par ailleurs directeur général de la santé de 2011 à 2013.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Yves Grall prête serment.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Monsieur le directeur général, nous souhaitons connaître aujourd'hui votre appréciation sur la situation du système hospitalier.

La prolongation de la crise sanitaire accentue les difficultés, principalement en matière de ressources humaines. Mais il faut identifier les causes plus structurelles de ces tensions. Les unes sont propres au secteur hospitalier et appellent sans doute des réponses touchant à son organisation, son pilotage et son mode de régulation. Les autres tiennent aux répercussions sur l'hôpital de défaillances plus globales de notre système de santé, en amont et en aval de l'hospitalisation. On pense bien entendu à la permanence des soins ambulatoires et aux difficultés de prise en charge des soins non programmés. Mais plus généralement, le manque d'articulation entre les différents acteurs de santé ou l'absence de réponse appropriée à certains besoins sur les territoires jouent également en ce sens.

Comme l'a souligné Bernard Jomier, il y a là une forte dimension territoriale et beaucoup de nos interlocuteurs ont plaidé pour davantage de coordination et de décentralisation. Il est important pour nous de connaître votre sentiment dans ce débat.

M. Jean-Yves Grall, président du collège des directeurs généraux d'agences régionales de santé . - Je vous remercie de m'accueillir dans le cadre de cette audition qui me permet de vous faire part des réflexions issues de la pratique des directeurs généraux d'ARS, doublées pour ma part d'une connaissance professionnelle liée à ma profession de cardiologue, de praticien hospitalier, et ancien président de commission médicale d'établissement. J'ai également été directeur de l'agence régionale d'hospitalisation de Lorraine, comme vous l'avez indiqué.

En premier lieu, la crise sanitaire à laquelle nous faisons face depuis deux ans a montré sans ambigüité le rôle pivot et central de l'hôpital public qui a tenu et n'a jamais failli. À ce titre, il faut à nouveau remercier et prendre en considération les efforts réalisés par les personnels médicaux, non médicaux et administratifs, et souligner la résilience, le courage et le sens du service public dont ils ont fait preuve.

Ces événements ont aussi été le révélateur de la place que tient l'hôpital public dans notre système de santé, des difficultés - accentuées par la crise - auxquelles il faisait face déjà avant.

Depuis des années, les évolutions de notre système de santé ont été marquées par le virage ambulatoire, c'est-à-dire permettre la prise en charge la mieux appropriée pour la population en fonction de son état de santé, et ainsi tendre à orienter préférentiellement vers la ville les patients qui en relèvent, en allant vers une réduction du recours indu à l'hôpital. Cet objectif et ce virage ambulatoire étaient également accompagnés, depuis de nombreuses années, par le développement de l'hospitalisation à temps partiel - que ce soit en anesthésie et en chirurgie ambulatoire ou en hôpital de jour pour la médecine - et ces éléments ont guidé les pouvoirs publics dans l'évolution des objectifs nationaux des dépenses d'assurance maladie (Ondam) votés par le Parlement et tenus ces dernières années.

Pour autant, l'hôpital s'avère être toujours un recours pour la population et notamment le premier recours, souvent malgré lui. La situation de tension des urgences hospitalières révélait déjà un hôpital perçu comme premier recours pour nos citoyens et, en effet, la progression régulière de patients aux urgences est la traduction de parcours de soins inadéquats dans ce contexte. Il faut le dire : beaucoup de patients affluant aux urgences y viennent faute de possibilités de rendez-vous en médecine de ville, en période de permanence des soins ambulatoires, mais parfois également en journée.

S'agissant de la permanence des soins ambulatoires (PDSA), un tournant fondamental a pu être observé en 2002-2003, avec la modification de l'article 77 du code de déontologie médicale et le décret du 15 septembre 2003 issu des travaux menés par le sénateur Charles Descours. À partir de ce moment, la participation des médecins libéraux, rendue non obligatoire, n'a cessé de s'éroder, aboutissant peu à peu à rendre difficile pour nos citoyens la quête d'un médecin de ville le soir, la nuit et les week-ends.

Cet afflux a considérablement modifié l'organisation de l'hôpital et généré des tensions régulières qui prennent acuité lors de fortes affluences hivernales ou caniculaires. L'hôpital a su s'adapter, par exemple en redimensionnant sans cesse ses services d'urgence, en créant des services de médecine post-urgence et en essayant de préserver son activité programmée. L'afflux de cette demande de patients ne présentant pas d'urgence dans ces services finit même par menacer la prise en charge des vraies urgences, parfois noyées au milieu de ce flux. Il apparaît en effet que le problème auquel font actuellement face les services d'urgence n'est pas tant lié aux urgences qui y arrivent, mais aux patients qui y viennent et qui n'en relèvent pas. Dans certains territoires, les hôpitaux ont par ailleurs dû mobiliser leurs effecteurs - j'entends les SMUR - pour parfois devoir aller dresser des certificats de décès pendant les heures de permanence des soins ambulatoires, ce qui ne relève pas particulièrement de leurs missions.

Ainsi, il faut reconnaître qu'en dehors des grandes agglomérations, et en particulier dans les zones rurales, on peut voir que la continuité du service public de la santé ne repose parfois plus que sur le maillage des officines pharmaceutiques et sur l'hôpital public. C'est tout le sujet de la coordination ville-hôpital qui doit être sans cesse pensé de manière équitable. De fait, les expérimentations de services d'accès aux soins (SAS) qui permettent une régulation partagée entre médecine de ville et médecine hospitalière pour une réponse coordonnée paraissent aller dans le bon sens et il sera sûrement intéressant de suivre les expérimentations avant une généralisation qui, d'après les premiers éléments, peut s'avérer pertinente.

L'hôpital est soumis à des tensions multiples, mais les problèmes de démographie professionnelle en particulier médicale, sont au premier plan. Que ce soit en ville ou à l'hôpital, les difficultés liées à la démographie et au recrutement sont les mêmes, mais l'hôpital doit malgré tout assurer la permanence des soins.

Les spécialités les plus en difficulté semblent toujours les mêmes, à savoir celles dont la permanence des soins et la sujétion de service public sont les plus fortes.

Dans une étude que nous avons réalisée en Auvergne-Rhône-Alpes en 2019, il apparaissait que les postes totalement vacants dans les établissements publics étaient de l'ordre de 25 % à la fois sur les d'urgence et l'anesthésie-réanimation, avec une inégalité territoriale marquée, puisque près de 50 % des postes d'urgentistes ou de médecins anesthésistes-réanimateurs étaient vacants dans le Puy-de-Dôme ou dans l'Allier. Il s'y ajoute certainement une surspécialisation, au fur et à mesure des années, qui a entraîné une pénurie relative dans certaines disciplines.

Dans ce contexte, le départ des professionnels hospitaliers
- essentiellement les médecins - vers le secteur libéral pose le problème de la continuité et de la permanence des soins dans de nombreux hôpitaux, et donc territoires. À des rémunérations apparemment plus élevées dans le secteur privé s'ajoute une bien moindre sujétion. En conséquence, plus les praticiens hospitaliers quittent le secteur public, plus la lourdeur de cette sujétion s'accentue pour ceux qui restent. Il convient donc de travailler à mieux répartir cette charge pour la rendre supportable. Par ailleurs, s'ajoute dans ce contexte le recours à des intérimaires sur-rémunérés, pour permettre de remplir les tableaux de service dans un certain nombre d'établissements, ce qui crée un certain sentiment d'injustice chez les praticiens hospitaliers statutaires qui tiennent l'ensemble de la stabilité soignante dans ces établissements.

Aux difficultés connues de démographie s'ajoutent des éléments créateurs de rigidité et de pénurie de temps soignant : des attentes différentes des nouvelles générations de soignants, en particulier sur le plan de l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. S'y ajoutent également les inadéquations entre l'organisation du temps médical et du temps paramédical.

C'est moins le principe de la tarification à l'activité que ses modalités de régulation dans le temps ont pu déstabiliser. Néanmoins, ce n'est pas de mon point de vue le seul élément tendant à expliquer la situation actuelle.

Ainsi, le dernier filet de sécurité du système de santé peut même craquer par endroit. En témoignent les fermetures totales ou partielles de certains services d'urgence. Dans ce cadre, il faudra sûrement revoir l'opportunité de créer une DES de médecine d'urgence, ou alors revoir drastiquement les normes qui gèrent ce secteur. Pour autant, les établissements ont la nécessité de maintenir ces activités touchant fortement à la permanence des soins dans de nombreux territoires et d'aller vers des rémunérations importantes, pour permettre le recrutement de personnels intérimaires qui ne donnent pas toujours les gages de sécurité, pouvant peu à peu conduire à une certaine désaffection des populations dans les territoires.

Dans beaucoup de territoires - notamment ruraux -, l'hôpital se retrouve in fine le point convergent des difficultés des secteurs ambulatoires ou médico-sociaux, avec de plus un dilemme permanent entre proximité et sécurité, pour un accès à des soins de qualité.

La création des groupements hospitaliers de territoires (GHT) avait pour principal objectif de mettre en place une gradation des soins entre établissements publics, et en permettant l'association du secteur privé et du secteur médico-social. Cela peut être le gage du maintien d'un accès à des soins de qualité, puisque la seule justification est un projet médical partagé entre les territoires, prenant en compte cet aspect.

In fine, il n'y a pas d'établissement qui ne joue pas un rôle, mais certains ont un positionnement encore non approprié, essayant de maintenir coûte que coûte des activités dans des conditions qui ne garantissent justement pas les objectifs de qualité et de sécurité des soins. Dans ce contexte, les hôpitaux de proximité sont vraiment un pont intéressant entre le secteur ambulatoire et la médecine de ville. Cette nouvelle organisation constitue un atout certain d'attractivité sur ces territoires pour les jeunes professionnels de santé.

Ces constats ont conduit à l'élaboration du Ségur de la santé qui représente un effort inédit et massif, prenant principalement en compte deux types de préoccupations : l'amélioration des conditions salariales et l'amélioration des conditions d'accueil et de travail, via le Ségur investissement. À celles-ci s'ajoutent les éléments de la loi Rist qui a mis en évidence des évolutions organisationnelles internes aux hôpitaux et des mesures d'encadrement des rémunérations médicales.

La création des ARS en 2010 a permis de prendre en compte l'aspect territorial et décloisonné et d'élargir le rôle de celles-ci, en prenant en considération l'environnement sanitaire et médico-social et non le seul champ hospitalier. Pour autant, si les ARS ont compétence exclusive sur le champ hospitalier, il n'en est pas de même sur les autres champs : ces dernières sont en coresponsabilité avec les conseils départementaux pour ce qui concerne les personnes âgées, avec l'assurance maladie pour ce qui concerne le champ ambulatoire.

Concernant la ressource médicale, l'ARS partage des leviers incitatifs à l'installation et des mécanismes d'encouragement aux modes d'exercice coordonnés pour améliorer les parcours de soins et également le financement de postes d'assistants spécialistes à temps partagé (ASP). Elle dispose aussi de la possibilité, sans avoir tous les leviers, de répartir les postes d'internes dans les établissements de santé, et une possibilité d'action incomplète sur l'homologation des stages par les universités, sur la définition des maquettes par essence, sur l'inadéquation entre les postes partagés et les effectifs et in fine sur le choix des internes.

La structuration territoriale nécessite, près du terrain, le contact avec des acteurs - dont les élus - pour appréhender les réalités territoriales, notamment à travers les contrats locaux de santé qui constituent un levier. À travers ces leviers, l'ARS peut ainsi proposer une synergie entre le champ médico-social et l'hôpital, visant une prise en charge adaptée des patients.

En ce qui concerne les relations avec les établissements hospitaliers, l'ARS induit un dialogue stratégique qui répond à deux impératifs. En premier lieu, l'ARS doit veiller à conserver un positionnement de régulateur sans s'immiscer dans la gestion interne des établissements publics de santé. Ensuite, son analyse doit avant tout porter sur l'offre de soins en réponse à un besoin de santé sur le territoire, avant de constituer une approche technique et financière qu'il faut considérer comme la résultante et non comme le préalable de ce dialogue de gestion.

Pour avoir ce dialogue de confiance réciproque porteur d'actions comprises et de long terme, j'ajoute qu'il me semble important que les équipes des ARS puissent être pluriprofessionnelles et que ces dernières puissent notamment disposer de professionnels hospitaliers dans leurs effectifs, car le système de soins fonctionne largement sur une logique de pairs à pairs.

Nombre d'outils sont donc à notre disposition pour nous permettre de développer un égal accès aux soins sur les territoires. Néanmoins, se pose la possibilité de conduire efficacement une politique publique dépendant pour partie du volontariat des professionnels.

M. Bernard Jomier , président . -Avant de passer la parole à Mme la rapporteure, je salue la présence, dans la tribune du public, d'une délégation du Sénat de Côte d'Ivoire actuellement en mission d'étude à Paris. Je lui souhaite une cordiale bienvenue et un séjour fructueux dans notre pays.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - S'agissant de la PDSA et de la prise en charge des soins non programmés, vous avez évoqué les expérimentations liées aux SAS. Quels sont les leviers qui permettraient d'agir pour améliorer la situation, sachant que le retour à une permanence des soins obligatoire paraît difficile ?

Lors de nos travaux, il a souvent été fait référence à des fermetures d'établissements, de services ou de lits. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l'évolution du nombre d'établissements hospitaliers et du niveau des capacités hospitalières au cours des dernières années ? Voyez-vous des améliorations nécessaires en vue d'assurer une bonne prise en charge, une gradation cohérente des soins hospitaliers selon les types d'établissements et une allocation optimale des moyens ?

Plusieurs acteurs hospitaliers ont par ailleurs évoqué les relations entre les établissements et leur tutelle, en souhaitant un allègement des exigences en matière de remontées d'information ou de contrôles préalables et en plaidant pour des marges d'autonomie supplémentaires et des contrôles a posteriori. Quelle est votre opinion sur ces questions ? Les critères en vigueur sont-ils les bons ? Ce temps de contrôle dans les établissements pourrait-il être optimisé ? Comment ?

Vous avez en outre évoqué la nécessité d'associer les acteurs de santé, à la fois publics et privés. Comment, selon vous, serait-il possible d'améliorer le lien entre CPTS et GHT ?

Enfin, s'agissant de l'organisation, au plan territorial, d'un service public de santé, quelle pourrait être selon vous la bonne échelle populationnelle ? Sans doute cela varie-t-il fortement selon les territoires ?

M. Jean-Yves Grall . - S'agissant de la permanence des soins ambulatoires, dès lors qu'on exclut tout retour sur la notion de volontariat, il faut certainement créer les conditions d'une facilitation. Les maisons médicales de garde constituent indiscutablement un modèle qui fonctionne, mais il repose toujours sur la disponibilité de médecins volontaires aux heures d'ouverture, ce volontariat étant hétérogène sur le territoire. Je n'ai donc pas de solution particulière à vous indiquer, si ce n'est qu'il reste à disposer d'effecteurs, une fois les possibilités d'intervention structurées.

Les CPTS ont indiscutablement montré leurs bénéfices pendant la crise, permettant de regrouper et de coordonner l'ensemble des intervenants en ville et d'asseoir une réponse organisée avec l'ensemble des acteurs sur les territoires. Elles reposent elles aussi sur le volontariat et nécessitent un leadership . En fonction de la personnalité des uns ou des autres, le développement des CPTS est très variable selon les territoires. Il n'y a pas de mon point de vue d'étiage populationnel type. La CPTS du IV e arrondissement de Lyon, lequel comprend environ 80 000 habitants, a un périmètre géographique qui fait sens. Il en irait différemment pour le Cantal, avec 120 000 habitants dans un vaste territoire. Je crois qu'il faut trouver du sens et du pragmatisme dans l'organisation des professionnels sur un territoire adapté. Il n'y a pas à instaurer de normes, mais plutôt un dialogue territorial, et lorsque l'assurance maladie et l'ARS ont des projets de santé sous-tendant la création des CPTS, ils faut les adapter en fonction des réalités du terrain.

S'agissant des fermetures d'établissements, je ne crois pas qu'il y en ait eu ces cinq dernières années dans ma région. En revanche, il y a eu des évolutions de services, des fermetures d'activités et des évolutions du nombre de lits. Le nombre de lits de chirurgie en région Auvergne-Rhône-Alpes a par exemple diminué de près de 15 % entre 2015 et 2019, parallèlement à une augmentation de 10 % des places en chirurgie ambulatoire. S'agissant de l'obstétrique, le nombre de lits a diminué de l'ordre de 12 % sur la même période.

M. Bernard Jomier , président . - Estimez-vous que la France compte trop d'hôpitaux actuellement ? Le président de la sixième chambre de la Cour des comptes nous a indiqué ce matin des ratios plus élevés en France que dans les autres pays européens.

M. Jean-Yves Grall . - Je ne suis pas certain que la France compte trop d'hôpitaux en raison des besoins de proximité dans les territoires qui justifient une approche de premier recours, de prise en charge médico-sociale, de prévention. Pourquoi disposons-nous d'une capacité hospitalière plus élevée en France ? Deux phénomènes y contribuent : un vieillissement de la population ainsi qu'une organisation sanitaire particulière ; un recours à l'hôpital plus important, faute d'organisation suffisamment étayée en soins de ville, le virage ambulatoire n'ayant pas été réalisé autant qu'on pouvait l'espérer, au regard de l'écart qui existait à l'époque entre la France et les autres pays de l'OCDE.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - La France a-t-elle toujours compté un nombre d'établissements élevé, par rapport aux autres pays ? À quoi est-ce lié ?

M. Jean-Yves Grall . - Pour avoir exercé dans plusieurs régions, je pense que nous devons faire des progrès dans la compréhension par l'ensemble des acteurs des enjeux de qualité, de sécurité et de permanence des soins. On conserve parfois une maternité ou un service de chirurgie, mais la population n'y recourt pas, l'hôpital ne disposant pas de professionnels qualifiés dans lesquels celle-ci ait suffisamment confiance. Il faut finalement supprimer l'activité, ce qui ne signifie pas bien entendu que les besoins en gynécologie-obstétrique, en anesthésie, en chirurgie ne sont pas satisfaits. Il revient à l'ARS d'assurer les conditions de cette prise en charge, qui ne sera plus de proximité mais évitera toute perte de chance. Les notions de proximité et de qualité, ainsi que la possibilité d'avoir recours à des professionnels qualifiés génèrent les évolutions de l'offre.

En second lieu, je pense que les groupements hospitaliers de territoires (GHT) ont dans leurs gènes l'idée de gradation des soins, d'un continuum. Les équipes médicales de territoire au sein des GHT constituent à cet égard une bonne idée à encourager. C'est l'établissement siège qui fédère, pour une discipline donnée, l'ensemble des acteurs sur le territoire, dans une perspective de gradation des soins définie par les professionnels, seuls à même de connaître les conditions nécessaires à un égal accès de tous les patients à des soins de qualité.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Existe-t-il des différences dans la nature de la collaboration entre établissements d'un GHT selon que celui-ci comprend ou non un CHU ?

M. Jean-Yves Grall . - Je n'ai pas remarqué de différence réelle entre ces deux situations. Objectivement, tout dépend de la façon dont les différents responsables de spécialité s'organisent. Je citerai le CHU de Clermont-Ferrand, établissement support du GHT, qui a une dynamique d'aller vers les établissements et de travail avec eux plus forte que d'autres CHU. Ceci repose sur les ressources humaines médicales et la compréhension qu'ont les responsables de spécialité ou de service du CHU de l'organisation et de l'attention à porter à l'ensemble de la chaîne, quitte à obtenir avec leurs pairs un certain nombre d'évolution pour assurer une gradation des soins. À mon sens, la réponse n'est pas binaire. Le GHT constitué autour du centre hospitalier de Valence, qui fonctionne d'autant mieux qu'il a mis en place des directions communes, même si les établissements demeurent autonomes, a su créer grâce à un corps médical particulièrement dynamique une véritable subsidiarité dans l'organisation des soins hospitaliers sur le territoire. Cela dépend surtout du projet médical partagé entre les établissements et de l'énergie qu'on met à le faire vivre dans l'esprit du GHT, en assurant qualité, sécurité et gradation des soins. Seule la parole professionnelle peut être porteuse de ces évolutions. Elles doivent être sous-tendues par un projet de santé, plus que par des logiques administratives, et dans ce cas, cela est parfaitement compris par les populations.

S'agissant des liens avec la tutelle, il existe tout d'abord un cadre normatif qui s'impose aux établissements de santé. À ce propos, sans rien renier sur les principes, je pense que nous devons simplifier les modalités relatives à la qualité et à la certification, telles que les pratiquent les experts visiteurs ou le Cofrac, car celles-ci deviennent de plus en plus techniques. De même, tout ne peut pas relever d'une tarification à l'activité, parce que c'est extrêmement complexe et que nous avons besoin de pragmatisme.

En ce qui concerne les liens entre les ARS et les établissements de santé, j'ai pour ma part toujours mis en place un dialogue de gestion quasi permanent, avec des rencontres larges sur la situation d'un établissement, son insertion dans le territoire et le service rendu à la population. Nous arrivons à mener ce dialogue, fondé sur un partage de la juste utilisation des ressources, pour atteindre cet objectif. Il s'agit pour mes collègues et moi d'avoir une approche proximale, plutôt que d'adresser des questionnaires qui amènent également une pression psychologique.

M. Bernard Jomier , président . - Vous avez évoqué une pénurie liée à la surspécialisation. Pourriez-vous préciser ces propos et nous indiquer les filières concernées ?

Vous avez également mentionné les stages sur lesquels la compétence revient d'abord à l'université. Estimez-vous qu'il y a une mauvaise répartition des stages sur notre territoire, en termes d'offre de soins ?

Par ailleurs, Florence Lassarade souhaiterait que vous nous donniez des informations à propos des difficultés créées, dans l'organisation de la chaîne de soins, par les carences en lits d'aval.

M. Laurent Somon . -À propos de la relation entre les médecins de ville et l'hôpital, vous avez évoqué les SAS. Ne pensez-vous pas que trois éléments pourraient améliorer la situation : la revalorisation des visites à domicile, un système informatique uniforme sur le territoire national et le développement de la télémédecine ? Cette dernière pourrait-elle permettre une fluidité et un moindre engorgement de l'hôpital ?

M. Bernard Jomier , président .- Mme la rapporteure s'enquiert en outre de la place de l'hospitalisation à domicile (HAD).

Mme Sonia de La Provôté . - Je m'interroge à propos de la taille et du périmètre des GHT. Jugez-vous utile de disposer d'une structure réunissant à la fois les GHT et les CPTS ? On estime souvent que les GHT sont de trop grande taille pour organiser l'amont et l'aval des hospitalisations sur un territoire dimensionné à taille humaine. Ils auraient plutôt été dimensionnés pour gérer de la ressource, à la fois humaine et financière, mais pas toujours avec un objectif d'optimisation de la prise en charge des patients. Voyez-vous une évolution à mettre en oeuvre, de façon à fluidifier ce fonctionnement ?

M. Jean-Yves Grall . - S'agissant de la surspécialisation, je vous donne l'exemple de la cardiologie. Pour un certain nombre de cardiologues formés, on observe une ramification vers des dispositifs et des techniques de plus en plus sophistiqués qui finissent par capter un certain nombre d'entre eux et les retirent de la masse générale. Assurer la permanence des soins et disposer de personnels pouvant réaliser des opérations de cardiologie dites classiques est devenu difficile, en raison de cette surspécialisation. Il en va de même en néonatologie et en pédiatrie.

M. Bernard Jomier , président . - Il s'agit d'un choix des pouvoirs publics d'avoir fait évoluer la pédiatrie, afin qu'elle ne représente plus une spécialité de premier recours en ville, mais une spécialité de second recours et donc d'établissement hospitalier.

M. Jean-Yves Grall . - Il demeure néanmoins une segmentation avec la pédiatrie hospitalière en service.

À propos des stages, la répartition est dépendante des commissions d'adéquation. Le dispositif est simple : nous avons un nombre d'internes, l'obligation d'être à 107 % du nombre d'internes dans l'adéquation et de répartir ces stages sur l'ensemble du territoire de la subdivision dans les hôpitaux, ces stages ayant été agréés par la faculté. Les lieux d'affectation sont conditionnés par des exigences de formation des internes. Les internes donnent également leur avis sur cette dimension formatrice. Il est difficile de répartir des internes pour se faire former, lorsque vous n'avez pas de formateurs ni de praticiens qualifiés pour le faire.

Il ne s'agit donc pas d'un levier qu'on peut aisément manier, dans la mesure où les internes sont des praticiens en formation et qu'ils n'ont pas vocation à faire tourner seuls des services. Ils doivent être encadrés par des séniors. Là réside la difficulté : la bonne répartition des stages dépend de la qualification des établissements et de leur possibilité de former des internes.

Concernant l'hospitalisation à domicile (HAD), il s'agit d'une modalité de prise en charge qui, à mon avis, se trouve en dessous de ce qu'elle pourrait donner. La HAD ne se développe pas pour plusieurs raisons. Ce n'est pas le nombre d'autorisations qui manque, mais à mon avis la compréhension et la volonté des établissements eux-mêmes et des médecins qui prescrivent d'adresser en HAD. Les structures ne sont pas toujours utilisées à plein parce que la prescription n'est pas faite par les services hospitaliers.

S'agissant du lien entre CPTS et GHT, on ne se situe pas dans la même dimension. Les GHT visent une stratification hospitalière des soins
- qualité, sécurité, gradation des plateaux techniques - qui se conçoit nécessairement sur une emprise territoriale beaucoup plus grande. J'ajoute néanmoins que les GHT n'ont pas de raison juridique et que chaque établissement demeure autonome dans son projet territorial qui lui permet de travailler en proximité avec les CPTS dans son territoire, ainsi qu'avec l'ensemble des acteurs, y compris les SSR et le médico-social. Cela n'est donc pas antagoniste avec la dimension populationnelle plus réduite des CPTS, sur un territoire de proximité. Par ailleurs, je voudrais dire que les hôpitaux de proximité tels qu'ils ont été conçus constituent une marche en avant intéressante, pour intégrer les professionnels libéraux, en CPTS ou non. Ces hôpitaux permettent de mon point de vue de remplir réellement une fonction de proximité utile.

Quant à la télémédecine, je participais hier à une réunion avec le président du conseil départemental de l'Ain sur l'accès aux soins. Il s'agit du département de la région qui dispose de la plus faible densité de médecins généralistes. Le conseil départemental, en lien avec l'ARS, a notamment mis en place des cabines de télémédecine dans certaines pharmacies et la directrice du centre hospitalier de Bourg-en-Bresse a signalé que cela avait permis une diminution du passage à l'hôpital, des patients utilisant ces cabines pour des consultations simples au lieu de se rendre aux urgences. Tout ceci constitue à mon sens une voie qui peut être travaillée, à condition de ne pas aller trop loin. En effet, palper un malade me semble encore utile.

La télémédecine pourrait par ailleurs jouer un rôle important en Ehpad. Pendant la crise, le soutien médical aux Ehpad a été particulièrement fort et je pense qu'il conviendrait de capitaliser sur les organisations qui ont vu le jour en temps de crise pour essayer de les pérenniser.

Je n'ai pas d'avis sur le tarif des visites à domicile. Je pense que les mesures incitatives sont bonnes. Suffisent-elles à régler le sujet ? Je n'en suis pas certain. Il me semble à ce propos que nous avons eu un abondement général des rémunérations depuis des années. Est-ce que la visite à domicile ne repose que sur le tarif associé ? Je ne le sais pas.

Enfin, à propos de l'aval de l'hospitalisation, il me semble que deux aspects sont à considérer. D'une part, à l'intérieur des établissements de santé pour les patients arrivant aux services d'urgence, ce qui amène à la question de l'adéquation et de la justification de l'hospitalisation. À force de ne pas être suivis, les gens finissent par devenir très malades et doivent être hospitalisés, alors qu'on aurait peut-être pu rencontrer moins de difficultés en amont. D'autre part, une fois le patient dans la chaîne, comment l'en fait-on sortir ? Avons-nous assez de lits de soins de suite et de réadaptation (SSR) ? Cette question doit être traitée au plan territorial pour assurer de la fluidité des modalités d'admissions dans ces SSR. Le retour en Ehpad d'un certain nombre de patients hospitalisés peut également s'avérer difficile et prendre du temps en fonction de la possibilité des Ehpad de disposer de l'encadrement. On a parfois peur de reprendre des résidents, après qu'ils ont été malades. Je souligne à cet effet les efforts que nous avons fournis sur le plan de la paramédicalisation des Ehpad, par des infirmières de nuit, qui ont donné de bons résultats. Une expérimentation avec le réseau des urgences de la zone de Vienne avait porté sur la présence d'infirmières de nuit dans les Ehpad et sur la formation de leurs personnels infirmiers et non infirmiers, par les services d'urgence, sur la pertinence de l'envoi aux urgences. On avait observé une baisse de 30 % des admissions aux urgences des patients venant de ces Ehpad.

À propos de la régulation des SSR, nous disposons bien d'un système d'information en Auvergne-Rhône-Alpes, nommé Trajectoire. Je pense néanmoins que les coopérations et le liant mis entre les acteurs sont essentiels. Je suis d'accord avec vous, Mme de La Provôté : tout ceci ne peut pas être à grande échelle, mais à échelle proximale.

M. Bernard Jomier , président . - Laurent Somon souhaitait aussi vous questionner sur l'intérêt de développer des maisons médicales de garde adossées aux hôpitaux de façon plus systématique. Quel est votre avis sur ce point ?

M. Jean-Yves Grall . - J'y suis tout à fait favorable. Dans un rapport de 2006 sur les maisons médicales de garde, je signalais que ceci était important, permettant à la fois de sécuriser l'activité des médecins et d'avoir un plateau technique à proximité si besoin, d'avoir aussi un environnement sûr au niveau de l'architecture et de la sécurité. J'y suis très favorable, à la condition qu'il y ait des volontaires pour y participer. On pourrait systématiser ce dispositif, mais il ne sert à rien de le décréter, dès lors que cela nécessite des volontaires. L'essentiel, c'est que ce dispositif soit connu : une information reste à faire vis-à-vis de la population.

Nous avons expérimenté au centre hospitalier Alpes Léman, à Annemasse, la présence à l'entrée des urgences, à certaines heures, d'un médecin généraliste rémunéré par le fonds d'intervention régional (FIR) qui réoriente vers des généralistes de garde les patients ne nécessitant pas d'être traités en urgence.

Cette médecine généraliste et libérale à la porte des établissements pour améliorer le parcours des patients me paraît très utile. Ce n'est pas la structure qui manque, mais, je crois, le développement de ce dispositif en lien avec la permanence des soins ambulatoires par les médecins.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Un des points cruciaux de la crise de l'hôpital réside dans le mal-être des personnels, dans pratiquement toute la hiérarchie. Quelles solutions préconisez-vous, permettant de fidéliser et de renforcer le personnel soignant, toujours à flux tendu ? Avez-vous des pistes de réflexion, en matière de formation ou d'évolution des carrières, au-delà du côté purement pécuniaire qu'a apporté le Ségur ?

Par ailleurs, l'organisation des hôpitaux doit-elle faire une plus grande place aux services et au renforcement de la décision médicale par rapport à la décision administrative ? Que pensez-vous également des inter-CHU ?

M. Jean-Yves Grall . - Je soulignerai en préalable que je crois beaucoup en la responsabilité des acteurs, et de ce fait, en l'autonomie de fonctionnement des établissements. Je ne crois pas qu'il faille de nouveau légiférer sur l'organisation interne des établissements.

S'agissant de leur gouvernance interne, d'après mon expérience personnelle, je ne vois pas de directeur ne voulant pas prendre compte l'avis des médecins. Lorsque je reçois les établissements, on voit tout de suite quand le message porté est d'ordre médico-administratif, ce qui est le cas le plus fréquent, et quand, au contraire, cela ne fonctionne pas. Le représentant légal de l'établissement demeure le directeur. C'est lui qui este en justice et qui est passible de la cour de discipline budgétaire. Par ailleurs, je ne suis pas certain que les médecins convoitent la place de directeur d'établissement. Il s'agit à mon sens d'une affaire d'organisation interne, de travail entre les gens et de compréhension mutuelle et réciproque des difficultés des uns et des autres, pour avoir une résultante qui est l'intérêt de l'établissement et de la population qu'il dessert. Ceci suppose que l'ensemble des médecins puissent être acculturés à ce qu'est l'autre partie de l'hôpital
- dont la gestion -, et à l'inverse, que les équipes de direction puissent de temps en temps avoir une idée précise de ce qu'est le travail des médecins et notamment des conséquences liées à la pratique. Le dialogue doit être régulier et encouragé.

Quant au cas des personnels non soignants, je pense que la rémunération constitue un facteur, mais qu'elle n'explique pas tout. Nous avons besoin d'un management adapté, proche et entraînant, et qu'il y ait aussi une bonne adéquation entre l'organisation des médecins dans les établissements et l'organisation non soignante. Je pense qu'au sein des établissements, le comité technique d'établissement (CTE) doit avoir un rôle très important sur l'organisation du travail.

À propos des CHU, je distinguerais leur rôle de recours hospitalier
- ceux-ci constituant la plupart du temps le recours ultime dans un certain nombre de disciplines - de la partie universitaire. La région Auvergne-Rhône-Alpes compte notamment quatre circonscriptions d'internats. À ce titre, il serait commode pour le directeur de l'ARS qu'il y ait une certaine homogénéité d'interlocuteurs universitaires entre ces quatre circonscriptions. Quant à la recherche, peut-être faut-il réfléchir au sein d'un groupement de coopération sanitaire (GCS) à mener des travaux, pour avoir des cohortes partagées et avoir plus de force.

M. Bernard Jomier , président . - La Cour des comptes soulignait que la part de recours à l'activité de certains CHU s'établissait à moins de 3 %, ce qui interroge.

Mme Marie Mercier . - En Saône-et-Loire, dont je suis la sénatrice, pour répondre aux besoins des habitants et pallier la désertification médicale, le président du conseil départemental a lancé des maisons de santé avec des médecins salariés. Il est évident qu'il convient de réinventer la médecine générale. On en arrive notamment à ces « boîtes » à médecine, à l' e -médecine. J'ai senti dans vos propos une certaine forme de scepticisme. Vaut-il mieux une « boîte » à médecine que rien du tout ? Je laisse cette question en suspens. Il faut savoir penser à tout, mais peut-être savoir également se donner des limites.

M. Jean-Yves Grall . - Je partage totalement ce que vous dites. Dans la situation telle que nous l'avons décrite, toutes les initiatives, pour peu qu'elles soient cadrées et qu'elles répondent à quelque chose de raisonnable, me paraissent bonnes. Je vous rejoins néanmoins sur l'idée que cela ne peut être qu'un aspect palliatif ou périphérique, par rapport aux attentes d'un patient, à savoir d'être suivi sur le long terme par le même médecin, un médecin traitant. J'ajouterai qu'il faut être pragmatique avec tout ceci. Je crois que cela apporte dans tous les cas un médecin à des populations qui n'en disposaient pas.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Concernant la question de l'allègement des exigences et celle de la relation entre la tutelle et les établissements, avez-vous des pistes de propositions à nous adresser ?

M. Bernard Jomier , président . - Mme la rapporteure vous demande une contribution écrite participant à sa réflexion sur l'allègement des contraintes et des charges administratives qui pèsent sur les établissements hospitaliers.

M. Jean-Yves Grall . - Je vous transmettrai quelques lignes. De mon point de vue, tout ceci passe parfois par une déconcentration plus forte et une maximisation du lien entre le dépositaire de l'autorité sanitaire et les établissements, à savoir responsabiliser la relation entre l'ARS et les établissements, en essayant peut-être de lever les procédures trop contraignantes que nous sommes chargés de mettre en oeuvre et qui polluent parfois cette relation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de Mme Dominique Le Guludec,
présidente de la Haute Autorité de santé

(jeudi 3 février 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Nous poursuivons nos auditions en recevant Mme Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé.

Depuis le début de nos travaux, beaucoup de nos interlocuteurs ont fait état de difficultés organisationnelles, internes ou extérieures à l'hôpital, qui pèsent sur son fonctionnement et génèrent, de la part des médecins et des soignants, des insatisfactions quant à la façon dont ils assurent leur mission de soin. Ils parlent à ce propos d'une perte de sens liée à leur mission de soin.

La Haute Autorité de santé est investie de responsabilités particulières en matière de promotion et de contrôle de la pertinence et de la qualité des soins et des parcours de soins.

C'est pourquoi il nous paraissait important de bénéficier de votre éclairage et nous vous remercions, Madame la présidente, de votre présence aujourd'hui parmi nous.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Mme Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Dominique Le Guludec prête serment.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Merci, Madame la présidente, d'être venue pour évoquer le sujet de la crise de l'hôpital.

Le malaise qui traverse actuellement le monde hospitalier - et plus largement le secteur de la santé - s'est largement exprimé au cours de nos travaux comme dans les médias depuis plusieurs mois. Beaucoup de médecins et de soignants ont souligné le décalage entre leurs conditions d'exercice au quotidien et ce qui est demandé à l'hôpital - qui paraît toujours plus lourd en raison de l'évolution des besoins de santé et de réponses insuffisantes hors de l'hôpital.

Nous souhaitons connaître votre appréciation, en tant que présidente de la HAS, sur cette situation, et surtout évoquer avec vous les leviers d'amélioration possibles dans les domaines qui relèvent de votre compétence. Comment peut-on favoriser un plus juste recours à l'hospitalisation, en quelque sorte le juste soin au juste niveau ? Comment renforcer la pertinence des soins et décharger l'hôpital d'actes redondants ou qui devraient être effectués ailleurs ? Comment améliorer les parcours, au bénéfice des patients bien sûr, mais aussi pour éviter un engorgement des établissements, que ce soit au niveau des urgences ou du fait des difficultés de sortie ?

Enfin, la question de la certification est fréquemment revenue lors de nos auditions, moins quant à son principe - qui n'est pas contesté - que dans ses modalités de mise en oeuvre.

Mme Dominique Le Guludec . - Merci de m'inviter à parler de l'hôpital qui a une place centrale dans le système de santé et qui, comme vous, nous préoccupe.

Vous avez mentionné la crise que traverse l'hôpital. Elle est pour nous indéniable et probablement antérieure à la crise sanitaire que nous traversons. Je ne reviendrai pas sur le nombre d'emplois vacants dans les établissements, que ce soit en matière de personnel paramédical et médical. J'y ajouterai les problèmes de pérennité des équipes, de turn-over et de fidélisation des équipes, qui sont extrêmement importants pour la qualité du travail en équipe, et ceux de l'encadrement de proximité qui assure une cohésion importante dans les équipes hospitalières. Au-delà des questions organisationnelles, il est vrai que les problèmes touchant aux ressources humaines sont cruciaux à l'hôpital.

Dans le cadre de nos missions à la HAS, sachant que nous ne sommes pas régulateurs et que les moyens de l'hôpital ne dépendent pas de nous, nous pouvons dire qu'il existe un lien établi - par une littérature de très bon niveau -entre le niveau de personnel d'un établissement ou d'un service et la qualité des soins. Ceci est extrêmement important pour le travail en équipe, dont vous savez qu'il s'agit d'un des principaux leviers d'amélioration de la qualité au sein d'un établissement. La coordination n'est pas nécessaire seulement dans une équipe hospitalière, mais également entre la ville et l'hôpital ou entre le secteur médico-social et le secteur de la santé.

De façon plus anecdotique, vous savez que l'analyse des événements indésirables fait partie des missions de la HAS. On voit à cet égard que les erreurs de dosage de médicaments - qui constituent un des événements indésirables les plus importants - peuvent être dus à des interruptions de tâches et plus de 80 % des infirmiers, des sages-femmes et des médecins disent subir des interruptions de tâches fréquentes dans leur travail.

Nous ne sommes pas en charge des problèmes structurels de l'hôpital. Néanmoins, ceux-ci ont une implication sur nos missions qui sont la qualité, l'amélioration de la qualité et la pertinence. De même, les modes de financement peuvent s'avérer contre-productifs par rapport à un objectif de pertinence et avoir des conséquences directes sur nos propres missions. Nous reparlerons de façon plus pragmatique de leur impact sur nos missions, sur le plan de la certification des établissements et du recueil d'indicateurs de qualité. Ceux-ci ont pour mission première de donner des outils aux professionnels pour améliorer la qualité et ont un impact qui devient beaucoup plus important sur le financement dit à la qualité, ce qui n'est pas sans poser problème.

Vous savez par ailleurs que la HAS a pour mission de recommander les bonnes pratiques et de mesurer et d'améliorer la qualité des soins.

S'agissant de la pertinence des soins, il s'agit d'une dimension stratégique de tous nos travaux de recommandation et de parcours. Il s'agit d'éviter des traitements ou des actes inadéquats, dont l'appréciation quantitative est toujours difficile. Elle a souvent été estimée à 25 % ou 30 % des actes pratiqués. On voit bien que dans une circonstance où les ressources sont faibles - tant à l'hôpital qu'en ville -, il s'avère crucial d'éviter les redondances et de fluidifier les parcours en optimisant les coûts qu'ils engendrent.

Nous avons conduit plusieurs travaux sur la pertinence elle-même. Toutes les recommandations de bonnes pratiques définissent la prise en charge pertinente et constituent un outil pour les professionnels. Nous avons établi des fiches pertinence, c'est-à-dire des messages extrêmement courts pour dire si un acte est utile ou non ou si une prescription est adéquate ou non.

Nous avons évidemment déterminé les recours à l'hospitalisation, notamment la pertinence du recours à l'hospitalisation pour endoprothèse sans infarctus. Nous essayons ainsi de donner des outils aux médecins, pour que le patient soit hospitalisé à bon escient et pour éviter les hospitalisations inutiles.

Dans ce même domaine, nous avons fait des outils pratiques, par exemple un algorithme pour la pertinence d'adressage en SSR.

Ensuite, cette pertinence doit être mesurée pour être améliorée. Le sujet des indicateurs nous occupe beaucoup et il y a en effet de grosses difficultés à en trouver. Il existe plusieurs types d'indicateurs. Certains sont remplis par les patients et nous souhaitons les développer de plus en plus, car ils ne consomment pas de temps médical. L'indicateur I-SATIS interroge par exemple tous les patients qui ont été hospitalisés en médecine chirurgie obstétrique (MCO), en chirurgie ambulatoire ou en SSR.

Il existe également des indicateurs de qualité des soins, qui étaient traditionnellement recueillis dans les dossiers des patients. Néanmoins, remplir ces indicateurs demande du temps aux soignants. Aussi, nous nous penchons de plus en plus vers des indicateurs qui sortiraient des bases médico-administratives, avec beaucoup d'échecs, car ces dernières intègrent beaucoup de données de consommation de soins, mais peu de données médicales permettant d'évaluer la pertinence de cette consommation de soins. Il nous faudra donc inventer des systèmes de recueil d'indicateurs qui à la fois ne consomment pas de temps médical et vont au-delà de ce qu'on trouve dans le SNDS ou le PMSI. Ce n'est pas simple et il faudra sûrement faire évoluer ces bases nationales et probablement aider les établissements à se doter de plateformes de données. Encore faut-il que soient développés des outils pour requêter ces plateformes, en vue d'indicateurs sur les pratiques et de résultats de celles-ci, et donc d'indicateurs de qualité.

À notre sens, ces indicateurs sont absolument nécessaires si on veut donner aux professionnels les outils pour évaluer la qualité de ce qu'ils font. Dans le même temps, ils sont mal vécus à l'hôpital par les équipes, car ils leur consomment pour l'instant du temps médical, alors qu'ils n'en ont déjà pas pour les soins.

Il faudra faire attention. Le financement à la qualité reposait dans un premier temps sur un nombre d'indicateurs assez faible. Il s'élargit et c'est une bonne chose que le financement ne dépende pas uniquement du volume d'actes. Encore faut-il qu'il repose sur des indicateurs solides, valides et suffisamment nombreux pour couvrir les champs concernés et justifier des sommes de financement.

Concernant le régime des autorisations, nous avions fait un gros travail sur les déterminants de la qualité des soins, trois ou quatre ans auparavant, et avions abouti à la constatation que les seuils d'activité en chirurgie ou en néonatologie n'étaient pas toujours la bonne solution. Nous travaillons actuellement à des indicateurs de vigilance, c'est-à-dire des indicateurs d'alerte qui permettront aux ARS d'établir un dialogue avec les équipes si ces dernières dépassent certains seuils et de comprendre les raisons des mauvais résultats de ces indicateurs. Cet outil permettrait aux ARS d'évaluer si les structures ont la qualité nécessaire pour leur délivrer une autorisation.

S'agissant des parcours de soins, il s'agit davantage d'un parcours de santé, car il convient de regarder ce qui se passe en amont et en aval du soin, pour soulager ce dernier. Ces parcours de santé sont essentiels pour les patients et également pour tous les acteurs, car c'est souvent sur le plan de la coordination des différents étages du parcours qu'une amélioration de la prise en charge pourrait être faite. Chaque étape du parcours de santé est extrêmement importante, si on veut optimiser la consommation de soins.

Nous produisons déjà des guides de parcours pour établir, en consensus avec les professionnels et les patients, le bon parcours pour toutes les pathologies chroniques, de façon à connaître de façon optimale ce qui doit être fait à chaque étape.

Par ailleurs, nous adossons des messages de pertinence à ces parcours et développons des indicateurs de qualité de ces parcours, qui devraient idéalement être communiqués en permanence à l'échelon régional, afin qu'autour de la table, les médecins libéraux et l'hôpital voient quels sont les points qui pèchent sur le plan de la région. Il est en effet probable que, d'une région à une autre, les éléments déficients du parcours ne soient pas les mêmes. Ils pourraient alors construire des améliorations de ces parcours, à l'avantage de la prise en charge des patients et de la consommation de soins de l'ensemble du système.

Quant à la certification qui existe depuis vingt ans, il est indéniable qu'elle a amené à une amélioration de la qualité de nos établissements. Par contre, lorsqu'un niveau de qualité est atteint, il faut changer de système de certification si on veut continuer d'améliorer la qualité des soins et de la prise en charge, ce que nous avons fait il y a deux ans. Le système de certification précédent avait en effet des avantages, mais il évaluait surtout les process et s'adressait essentiellement aux équipes qualité des établissements. Nous avons voulu baser davantage l'évaluation sur les résultats du patient et parler aux équipes de leurs métiers.

Cette nouvelle certification a été expérimentée dans certains établissements, avec succès. Nous avons également fait un retour d'expérience de la crise sanitaire, pour voir si la certification - telle qu'elle avait été construite par les professionnels - correspondait toujours. Elle est déployée actuellement de manière souple. Nous avons en effet commencé par les établissements volontaires. Par ailleurs, lorsqu'un établissement nous demande de différer la visite de certification, nous la différons.

Nous avons énormément simplifié la procédure elle-même. Avant, les hôpitaux devaient remplir des tas de tableaux et nous les renvoyer. Désormais, nous leur fournissons des outils qu'ils utilisent pour eux-mêmes. Nous n'en demandons pas le retour, mais souhaitons qu'ils se les approprient en permanence.

La certification telle qu'elle a vécu a totalement changé. De ce qui nous remonte aujourd'hui, la nouvelle certification correspond beaucoup plus aux attentes des équipes et des patients. Restent à déployer des process qualité comme la certification pendant des périodes de manque de ressources à l'hôpital, où la mobilisation des équipes pour des processus de qualité est en effet complexe, quand il manque du monde à l'hôpital.

Les équipes chez qui nous allons en visite de certification font remonter que même si elles l'appréhendent, elles sont extrêmement satisfaites du moment de certification, du contact avec les experts visiteurs
- qui ont changé et ont été beaucoup médicalisés - et de la façon dont cette certification permet de faire remonter les difficultés, voire d'objectiver celles des équipes.

Nous n'avons pas pour mission de voir s'il y a une conformité de ratio de soignants. Par contre, par un certain nombre de critères de la certification, on peut faire remonter un certain nombre d'indicateurs sur les besoins.

Je terminerai simplement en évoquant l'importance de nos travaux actuels sur le numérique, en tant que levier organisationnel. Il nous paraît être une solution à un certain nombre de problèmes et en particulier le passage en droit commun de ce qui touche à la télésurveillance et qui va faire partie intégrante des parcours de soins des patients, que ce soit en amont ou en aval de l'hôpital.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Vous parlez de la pérennité des équipes et du sens à redonner aux équipes soignantes. Quelles seraient les pistes allant dans ce sens, selon la HAS ?

Vous avez également parlé d'indicateurs de vigilance qui seront à la disposition des ARS. Quels seraient-ils et à quelle échéance pourraient-ils être mis en place ?

Les financements actuels et les ratios de soignants sont-ils appropriés pour assurer la qualité des soins sur la durée ?

Par ailleurs, la HAS avait publié un rapport il y a une dizaine d'années sur le recours à l'hôpital en France, comparé à d'autres pays étrangers. Avez-vous actualisé ce travail ?

Vous produisez des fiches de messages assez simples destinées aux soignants. Avez-vous eu des retours, quant à l'intégration de ces messages dans la pratique médicale ? Savez-vous s'ils sont lus ?

Quant à la gradation de la réponse hospitalière, comment analysez-vous la répartition des missions entre les types d'établissements ? Comment peut-on assurer un maillage hospitalier pertinent, avec une qualité de l'offre et une bonne répartition de la charge des établissements ? La HAS s'est-elle intéressée au bilan des GHT ?

Mme Dominique Le Guludec . - S'agissant des solutions visant la pérennité des équipes, nous essayons d'analyser les raisons et les causes qui sont multifactorielles. Il y a en effet des problèmes de financement et de qualité de vie qui sont peut-être plus prégnants dans les grandes villes, par exemple en matière de logement.

Il y a la rémunération, mais aussi la proportionnalité par rapport aux conditions de vie des soignants. Il est vrai que ces dernières sont devenues très difficiles dans les grandes villes, depuis vingt ans.

C'est l'équipe qui fait sens à l'hôpital. Le travail en équipe nécessite notamment des équipes pérennes et du personnel en quantité suffisante. Ces éléments doivent être réinvestis pour pouvoir redonner à l'équipe des conditions de travail raisonnables.

Il faut absolument travailler avec les équipes sur la pertinence et la qualité des soins et également veiller à ce que les mécanismes de financement ne soient pas contre-incitatifs. Si les tarifs des séjours diminuent tous les ans, la seule préoccupation d'une gouvernance sera d'augmenter l'activité pour avoir les ressources correspondantes. Le dialogue entre les équipes et la gouvernance se situe donc au niveau de l'activité. « Combien d'activités » et non plus « quelle qualité de l'activité ». Je dirais qu'il ne faut pas avoir des incitations contradictoires : exiger d'un côté de la pertinence ; de l'autre, imposer une augmentation d'activité obligée pour garder ses moyens. Cela donne une perte de sens très importante aux équipes. Il faut en effet apporter de la stabilité de ce côté-là.

Les indicateurs de vigilance sont par ailleurs en phase de construction. Agnès Buzyn, alors ministre de la santé, nous avait demandé de travailler sur les déterminants de la qualité en santé. Il s'agissait en particulier de réformer les autorisations d'activité. Les travaux de la HAS à ce moment montraient que les seuils n'étaient pas forcément un indicateur pertinent. Pour certaines activités, plus on en fait, meilleure est la qualité. C'est le cas pour des chirurgies très spécialisées ou des procédures interventionnelle, par exemple le remplacement percutané de la valve aortique. Mais cela ne vaut pas de manière globale et ce seul critère ne peut déterminer les autorisations, d'autant que cela pourrait pousser à réaliser des activités pas nécessairement pertinentes pour atteindre le seuil requis. Nous avions préféré proposer des indicateurs d'alerte sur des résultats. Ils sont en train d'être travaillés. Ce sont des indicateurs de qualité qui ne pourraient pas servir pour délivrer une autorisation. La mortalité postopératoire dépend par exemple éminemment de la population soignée. En tant que telle, il ne serait pas possible de dire : « si vous avez telle mortalité, on vous ferme. » C'est pourquoi on les appelle « indicateurs d'alerte ». Ils permettront aux ARS d'être alertées et d'aller vers les équipes pour comprendre quelle est la justification ou les problèmes que rencontrent les équipes pour avoir un indicateur qui ne correspondrait pas à la moyenne des établissements français.

Les financements actuels et les ratios de soignants sont de la responsabilité de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) et je me garderai bien d'empiéter sur ses responsabilités. Par ailleurs, nous n'avons pas encore actualisé le rapport sur le recours à l'hôpital en France.

Par contre, nous abordons pour chaque pathologie ce qui doit être fait dans le cadre du parcours pour minimiser le recours à l'hospitalisation en diminuant les épisodes aigus et pour avoir le maximum de coordination, de façon par exemple à ne pas répéter en ville ce qui aurait été fait à l'hôpital. C'est pour cela que nous insistons, dans nos indicateurs de qualité, sur l'importance de la lettre de sortie et de son établissement rapide. Nous envisageons ceci, pathologie par pathologie.

Quelle est l'utilisation de nos messages et de nos recommandations ? Il s'agit d'une très bonne question, Madame Deroche, que je me suis beaucoup posée lorsque je suis arrivée à la HAS. Inquiets de cette utilisation, nous travaillons beaucoup à essayer d'améliorer l'impact de ces recommandations. Nous avons créé une commission spécifique à ce sujet.

Avec les années, nous avons raccourci de plus en plus les documents. Il existe toujours un document long dans lequel tout est rapporté, mais aussi des synthèses et maintenant des outils extrêmement courts, de l'ordre d'une page recto verso. Je pense que nous pouvons aller encore plus loin. On se rend compte que les professionnels n'ont plus le temps de lire des textes, qu'il faudrait tout leur mettre sous forme de logigrammes et de schémas.

Pour ce qui est de l'analyse de la répartition des établissements et de la gradation des missions, là aussi c'est du domaine de la DGOS. Nous abordons les GHT dans la certification, une partie leur étant dédiée. Nous souhaiterions aller plus loin, pour pouvoir y intégrer toute la coordination avec le champ médico-social, extrêmement important en amont et en aval de l'hôpital. Nous attendons pour ce faire que tout le dispositif d'évaluation externe que nous avons travaillé depuis deux ans dans les domaines social et médico-social trouve le support législatif pour pouvoir être mis en place.

M. Bernard Jomier , président . - Nous avons noté votre souci d'essayer de rationaliser les tâches, grâce à la certification notamment, pour rendre du temps aux soignants. Ils se plaignent également beaucoup des tâches relatives à la traçabilité des soins. Comment concilier un haut niveau de qualité des soins avec ces tâches de traçabilité ? La HAS mène-t-elle une réflexion sur des processus qui permettraient de réduire la consommation de temps soignant ? Sinon, suivant votre réflexion sur le temps d'écoute indispensable à la qualité des soins, ne faudrait-il pas dire clairement qu'il conviendrait d'augmenter le nombre de postes de soignants et qu'on ne peut pas augmenter les tâches non soignantes sans augmenter leur nombre ?

Mme Dominique Le Guludec . - Il y a les deux aspects. De notre côté, nous sommes responsables de trouver des solutions pour réduire le temps requis et je peux vous garantir que la certification - telle qu'elle est aujourd'hui - a totalement changé, a vu son process simplifié. Une cinquantaine d'équipes ont déjà passé cette certification et peuvent en témoigner.

À vrai dire, nous ne devrions pas en être là. Pendant la crise sanitaire, avec des établissements en plan blanc, nous avons stoppé le déploiement de ces certifications pendant des mois. Même si la qualité des soins ne doit pas être abandonnée en temps de crise, les process d'évaluation ont pu attendre et nous les reprenons actuellement avec souplesse, par rapport à la situation des établissements.

S'agissant des indicateurs, nous cherchons des solutions pour avoir les indicateurs sans demander du man power , du temps. Aujourd'hui, cela n'existe pas. Il faut construire les outils, afin que nous les ayons dans trois ou cinq ans. Ce que nous avons aujourd'hui se trouve dans les dossiers des patients. Sinon, il n'y a pas d'indicateurs de qualité. Le financement à la qualité est donc important, puisqu'il est incitatif. Il repose néanmoins sur des indicateurs et il faut être prudent avec ces derniers. Il n'y a rien de pire qu'un indicateur qui ne serait pas juste. On est dans une période avec des injonctions contradictoires : on a besoin d'outils qu'on n'a pas encore et qu'il faut construire. Aussi, nous travaillons beaucoup, d'une part à la simplification, et d'autre part à trouver des solutions. Une équipe data créée cette année à la HAS travaille justement à trouver des solutions, pour avoir ces données sans demander de temps aux professionnels.

En attendant, il faut du temps soignant. Je ne sais pas s'il faut augmenter le nombre de postes de soignants : tellement sont encore vacants. Il faudrait d'abord les remplir. Il faudrait par ailleurs essayer de stopper la fuite qui continue actuellement, que ce soit du personnel paramédical ou du personnel médical. Il y a en effet un plan d'attractivité de l'hôpital qui mérite d'être fait.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Accusons-nous un retard dans l'espace de santé individuel et le dossier médical partagé ? Des pays sont-ils parvenus à cette simplification, pourquoi ?

Mme Dominique Le Guludec . - Cela progresse, évidemment plus vite dans les gros établissements. Nous avons un vrai retard sur les plateformes des établissements. Nous sommes plutôt en avance sur le système de collecte national de données, mais ce sont des données qui ont été conçues dans un but de tarification médico-administrative et qui nous renseignent sur la consommation de soins et sur la caractérisation de la patientèle. Néanmoins, il n'y a pas de données médicales dans les bases médico-administratives. Pour parler d'indicateurs de qualité et de pertinence des soins, il faut des données médicales qui se trouvent dans les dossiers médicaux. Lorsque ces dossiers sont informatisés et accessibles, c'est déjà un pas majeur. Encore faut-il qu'ils soient interopérables, par exemple qu'en SSR, on sache avant que le patient arrive quel examen lui a été fait à l'hôpital, ou que le dossier initial soit accessible quand le patient est réhospitalisé dans un autre établissement.

Dominique Pon fait un travail absolument titanesque avec le Health Data Hub , pour essayer que nous rattrapions notre retard dans ce domaine et pour que dans les années qui viennent, l'interopérabilité des systèmes soit effective. De petits algorithmes pourront en effet aller chercher les données que vous voulez.

M. Bernard Jomier , président . - Nous vous remercions, Madame la présidente, pour vos explications détaillées.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition commune sur l'organisation de la prise en charge
des soins non programmés et des soins urgent :
audition des docteurs Patrick Pelloux,
président de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf),
Serge Smadja, secrétaire général de SOS Médecins France
et président de SOS Médecins Paris,
et Olivier Richard, chef de service du SAMU des Yvelines

(lundi 14 février 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Nous procédons cette après-midi à une audition commune sur l'organisation de la prise en charge des soins non programmés et des urgences.

Je suis heureux d'accueillir les docteurs Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf), Serge Smadja, secrétaire général de SOS Médecins France et président de SOS Médecins Paris, et Olivier Richard, chef de service du SAMU des Yvelines, département retenu parmi les vingt-deux territoires d'expérimentation du service d'accès aux soins (SAS).

Depuis le début de nos travaux, une question revient de manière récurrente : celle du grand nombre de patients qui se présentent aux urgences de l'hôpital alors qu'ils auraient pu relever d'une autre prise en charge, qu'il s'agisse des soins urgents ou, plus largement, des soins non programmés. Nous en avons discuté avec des chefs de service des urgences, mais aussi des représentants de médecins de ville exerçant sous forme regroupée ou coordonnée.

Au regard de l'importance de ce sujet, nous avons souhaité aujourd'hui revenir plus spécifiquement sur cette problématique avec des représentants de la médecine d'urgence et de SOS Médecins, structure de médecine de ville particulièrement concernée par la permanence des soins et les soins non programmés.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de céder la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Pelloux, M. Serge Smadja et M. Olivier Richard prêtent successivement serment.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Depuis le début de nos travaux, beaucoup de nos interlocuteurs soulignent le caractère insatisfaisant du recours respectif aux soins primaires, d'une part, à l'hôpital, de l'autre. En effet, l'hôpital est conduit à prendre en charge des patients qui n'ont pu recourir à la médecine de ville ou ont préféré se rendre d'emblée dans un service d'urgence.

Ce phénomène ne tient pas seulement à l'érosion de la permanence des soins ambulatoires. On l'observe aussi hors des horaires de permanence des soins, en particulier en raison de difficultés d'accès à des consultations non programmées. La démographie médicale est bien sûr un facteur aggravant.

Il est donc nécessaire de trouver des solutions pour redresser la permanence des soins ambulatoires. À ce titre, les enjeux sont sans doute assez différents en soirée, le week-end ou en nuit profonde. Il faut également parvenir à clarifier ce qui relève des urgences et des besoins de soins non programmés, l'objectif étant que le recours à l'hôpital cesse de s'imposer comme solution par défaut. C'était en partie l'objet du pacte de refondation des urgences, qui débouche notamment sur la mise en place des SAS.

C'est sur tous ces points que nous souhaitons vous entendre.

Dr Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France . - Il s'agit, pour nous, d'une audition très importante. En effet, nous avons suivi vos travaux et nous tenions à vous dire combien la situation est difficile pour ce qui concerne la permanence des soins.

Ces difficultés ne datent pas d'hier. Dans un rapport présenté en 1989 devant le Conseil économique et social, le professeur Steg avait souligné le problème des urgences et son travail avait fait bouger les lignes ; mais tout a été détruit en 2002. D'une certaine manière, l'obligation de faire des gardes en ville structurait le dispositif. De plus, chaque établissement de santé devait assurer un accueil d'urgence. Or tout cela a été supprimé, sans solution de substitution. Concomitamment - on le constate dans tous les pays, où l'on assiste à la flambée des urgences -, plus vous fermez de lits d'hospitalisation, plus la fréquentation des urgences augmente. On aboutit donc à une déstructuration.

Madame la rapporteure, vous soulignez avec raison le facteur de la démographie médicale. En médecine, mieux vaut faire un métier sans contraintes comme les gardes de nuit et les astreintes du week-end. Il est très difficile de vieillir dans nos métiers, qu'il s'agisse de la médecine d'urgence ou des autres métiers de la permanence des soins, comme la chirurgie et l'anesthésie, qui eux aussi impliquent des gardes.

Or, comme par hasard, qu'a-t-on oublié dans le Ségur pour rénover le système de santé ? La permanence des soins et les métiers à gardes.

Je dédouane d'emblée le Gouvernement. Le cabinet du ministre de la santé me l'a confirmé, le Gouvernement avait l'intention de valoriser la permanence des soins et les gardes dans les hôpitaux. Mais les syndicats de praticiens hospitaliers s'y sont opposés, préférant créer un échelon supplémentaire pour toutes les autres disciplines. De ce fait, il n'y a pas de valorisation du travail de nuit. En conséquence, la permanence des soins subit un désengagement profond et constant.

Cette situation a conduit à la publication, il y a quelques mois, d'un décret autorisant la fermeture des services d'urgence et des services mobiles d'urgence et de réanimation (Smur) en cas de problèmes organisationnels. C'est bien le cas, du fait du désengagement qu'entraîne le manque d'attractivité. Nous avons fait le point avant de venir devant vous : ces derniers jours, quelque soixante-dix services d'urgence et de Smur ont fermé leurs portes faute de médecins.

En découlent des problèmes majeurs : dès lors qu'une structure ferme la nuit, la charge est reportée sur les autres. Or tous les services d'urgence sont déjà saturés.

En outre - c'est à mon avis ce qui, avec le temps, permettra d'inverser la tendance -, ces problèmes suscitent un certain nombre de plaintes, par exemple lorsqu'une personne en train de faire un infarctus vient aux urgences et trouve porte close. Inutile de vous dire que de telles situations sont très mal vécues par la population... Des manifestations d'usagers ont d'ailleurs lieu tous les jours devant les structures dont les services d'urgence subissent ces fermetures.

Bref, la méthode choisie est mauvaise. La seule personne à même de savoir si elle a raison ou tort de venir aux urgences, c'est le malade. Ce n'est pas mon interprétation, c'est celle des juges. À cet égard, la jurisprudence est constante.

On ne savait pas comment imposer un certain nombre d'outils, comme la téléconsultation - Serge Smadja reviendra sur la fin de la visite à domicile. On ne savait pas comment tordre le cou à leurs opposants : on a profité de la crise du covid. Mais la téléconsultation donne également lieu à des plaintes : on a constaté un certain nombre de décès après des téléconsultations, faute d'un bon diagnostic. À coup sûr, la jurisprudence va faire mal.

En résumé, on constate une désorganisation profonde du système. Faute d'une rénovation pérenne, qui suppose un certain nombre d'obligations, les déserts médicaux s'étendent : au-delà des campagnes, les villes sont désormais touchées. Dans certains arrondissements de Paris, il est impossible de trouver un médecin se rendant, de nuit, au domicile du malade. Beaucoup de personnes n'ont même pas de médecin traitant : les praticiens installés ne prennent plus de nouveaux patients, du fait de la saturation du système. On déplore donc une inadéquation entre les besoins de la population et les moyens.

Dr Serge Smadja, secrétaire général de SOS Médecins et président de SOS Médecins Paris . - SOS Médecins, c'est 63 associations en France et 1 300 médecins. Nous recevons plus de 6 millions d'appels par an, qui donnent lieu à environ 4 millions d'actes - 2,8 millions de visites à domicile et 1,2 million de consultations. Nous couvrons à peu près 65 % de la population.

Nous avons noué d'importants partenariats avec les services publics. Nous sommes interconnectés avec le SAMU dans le cadre de partenariats formalisés depuis 2005 aux échelles nationale et locale, grâce aux déclinaisons qu'assurent les associations. Nous avons aussi des partenariats avec Santé publique France, à qui nous adressons quotidiennement nos données d'activité. Ce faisant, nous participons à la veille sanitaire en temps réel. SOS Médecins France, c'est même la première base de données ambulatoires.

Nous travaillons avec les services de police et de gendarmerie. Nous intervenons dans les commissariats, au titre des gardes à vue ou encore pour établir les certificats d'ivresse publique et manifeste. Nous sommes sollicités lors des découvertes de cadavre. Avec un certain nombre d'associations, nous intervenons dans les prisons.

Nous travaillons aussi avec les acteurs privés, notamment les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et certaines compagnies d'assistance médicale.

Nous fonctionnons 24 heures sur 24 - je le souligne, car c'est de moins en moins à la mode -, 7 jours sur 7. Notre matériel nous permet d'éviter autant que possible l'hospitalisation : électrocardiogrammes, lecteurs de glycémie, bandelettes urinaires, etc . De plus en plus, nos médecins pratiquent l'échoscopie au chevet du patient : c'est précieux pour détecter certaines pathologies urgentes.

Au fil du temps, nous avons diversifié notre réponse. Historiquement, SOS Médecins, c'est la visite à domicile et elle reste notre ADN. Pour nous, la visite à domicile demeure la principale réponse aux demandes de soins - j'y reviendrai. Nous avons aussi développé la consultation et, de manière plus timide, la téléconsultation - j'y reviendrai également.

Nous mutualisons nos moyens humains et techniques. Depuis notre apparition, il y a cinquante-cinq ans, nous n'avons cessé d'améliorer nos outils, qui sont désormais digitalisés. Pour un patient, le canal téléphonique n'est plus le seul moyen de joindre SOS Médecins : nous avons développé des applications informatiques de demande de soins.

Peu de médecins viendront devant vous pour dire que tout va bien, qu'il s'agisse des urgences ou des soins non programmés. La cause principale de ces dysfonctionnements, ce sont évidemment les problèmes de démographie médicale.

On rappelle souvent combien le système hospitalier souffre, et c'est tout à fait juste. Mais on parle beaucoup moins de la médecine ambulatoire et de la médecine de ville. Ainsi, quand on égrène les chiffres des contaminations quotidiennes du covid, on raisonne comme si les patients concernés, ils ont été jusqu'à 500 000, allaient tous se faire soigner aux urgences : heureusement que ce n'est pas le cas ! Pour beaucoup de pathologies, la médecine de ville prend en charge la majeure partie des patients. Tous les cas n'exigent pas une hospitalisation ou, a fortiori , une admission en réanimation.

Si la médecine de ville ne fait pas mieux, c'est d'abord parce qu'il n'y a pas assez de médecins, du fait d'une baisse terrible de l'attractivité des métiers. On a de moins en moins envie de faire ce que nous faisons. On a de moins en moins envie de travailler la nuit ou le week-end. Or, quand la médecine de ville est débordée, la situation de l'hôpital s'aggrave encore.

La politique tarifaire des actes a déséquilibré l'offre. Quand le périmètre retenu est le bon, la téléconsultation peut répondre aux demandes de soins, mais il ne faut pas passer d'un extrême à l'autre. La téléconsultation ne saurait être la réponse à tout, qu'il s'agisse des déserts médicaux, de la démographie médicale ou des urgences.

Surtout, si le médecin est rémunéré de la même manière qu'il soit chez lui, devant son ordinateur dans son canapé, ou qu'il gravisse les étages à quatre heures du matin pour se rendre chez une personne âgée en décompensation, personne ne voudra plus aller au domicile des malades. Il faut faire attention à ne pas trop déséquilibrer l'offre tarifaire. À l'inverse, il faut conserver une forme d'incitation : c'est peut-être terre à terre, mais c'est une réalité.

De même, prenons garde à la bureaucratisation du système. C'est bien de créer des systèmes coordonnés de soins ; c'est très bien que les médecins travaillent en réseau - c'est intellectuellement imparable et personne ne peut a priori le critiquer. Mais il ne faut pas surfinancer le fonctionnement administratif au détriment des médecins qui sont au chevet des malades et qui font les actes. Il ne faut pas qu'en définitive certains médecins se spécialisent dans l'administratif. In fine , on n'ira pas plus voir les patients à domicile.

Aujourd'hui, la complémentarité entre la ville et l'hôpital n'existe pour ainsi dire pas. Le covid a donné lieu à un certain nombre de balbutiements : on a commencé à se rapprocher, à réfléchir à des protocoles communs de prise en charge pour les patients pouvant rentrer chez eux avec de l'oxygène ou des anticoagulants. Bien sûr, il faut développer ces actions, mais on ne peut pas se contenter d'initiatives locales ou individuelles. Il faut formaliser ces dispositifs, les organiser - sans pour autant les rendre obligatoires : pour les médecins libéraux, ce sera toujours un gros mot ! -, pour que les uns et les autres puissent et veuillent se connaître.

D'ailleurs, cet effort est à l'oeuvre. Le pacte de refondation des urgences prévoyait que l'on adresse directement les personnes âgées dans les services sans passer obligatoirement par l'interne de garde : c'est un bon moyen de soulager un tant soit peu les urgences. De même, il faudrait pouvoir accéder au plateau technique des urgences directement par un médecin de ville, sans passer par le médecin de garde.

Pour nous, la visite à domicile reste essentielle pour appréhender dans sa globalité la réalité sociale et familiale des patients comme pour maximiser le virage ambulatoire, dont on parle depuis si longtemps.

Pour un grand nombre de pathologies urgentes ou invalidantes, le patient ne peut pas se déplacer. En cas d'épidémie, le fait de rester chez soi contribue à limiter la transmission de la maladie. La visite à domicile est également source d'économies, car elle évite des transports en ambulance par les pompiers ou par le SAMU. Il est stupide et navrant de mobiliser un camion de police pour conduire aux urgences une personne placée en garde à vue ; et je ne parle pas du coût de prise en charge des urgences - la visite à domicile limite les hospitalisations.

Or la visite est domicile est en danger. J'ai déjà évoqué la politique tarifaire en abordant la téléconsultation. On ne forme pas assez les étudiants pour cette prise en charge spécifique et l'on ne fait rien pour aider les médecins au titre de cet acte, plus pénible qu'une consultation. J'ajoute que, dans Paris, les problèmes de circulation et de stationnement, on n'en peut plus.

M. Bernard Jomier , président . - Évitons de dériver...

Mme Véronique Guillotin . - Cela compte !

Dr Olivier Richard, chef de service du SAMU des Yvelines . - L'épidémie de covid a durement touché la médecine de ville et la médecine hospitalière. Mais elle nous a aussi conduits à travailler ensemble, ce que nous faisons depuis de nombreuses années dans le département des Yvelines.

On dénombrait 10 millions de passages aux urgences en 1996. On en comptait 22 millions en 2018. L'augmentation annuelle du nombre d'admissions est de 3,5 %. Le nombre d'appels au SAMU est passé de 24 millions en 2013 à 29 millions en 2018.

Très concrètement, dans les Yvelines, le nombre de dossiers de régulation médicale a bondi de 120 000 en 2000 à 262 000 en 2021. Dans le même temps, le nombre de dossiers pour la permanence des soins au titre de la régularisation libérale est passé de 50 000 à 130 000.

À l'évidence, il se passe quelque chose dans la société : on observe un glissement des missions de la médecine d'urgence vers des problématiques sociétales et médico-sociales touchant les patients chroniques.

S'y ajoute, parmi les éléments contextuels, l'enjeu d'accessibilité aux soins. Dans un rapport publié en 2018 et traitant de l'accessibilité potentielle localisée (APL), la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) montre qu'en France plus de 5 millions de patients n'ont pas accès aux soins. Plus précisément, ces habitants ont accès à moins de 2,5 consultations par an. Un grand nombre de régions sont touchées
- Centre-Val de Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Île-de-France, Antilles-Guyane et Corse.

En Île-de-France, 18 % des patients n'ont pas accès aux soins. On pourrait imaginer que cette région bénéficie d'une forte densité médicale ; mais, comme le souligne l'union régionale des professionnels de santé (URPS) d'Île-de-France dans une enquête publiée fin 2020, 27 % des médecins libéraux partant à la retraite n'y sont pas remplacés.

Entre 2020 et 2030, nous allons passer de 6,4 millions à 8,6 millions de Français de 75 ans et plus, avec une charge de soins nécessairement plus importante.

Il existe de nombreuses instances de coordination territoriale : pas moins de vingt-trois dans mon département des Yvelines... Tout le monde travaille dans son coin, avec la conviction de bien faire. Il y a donc un réel besoin de coordination, pour potentialiser toute cette activité masquée, inaccessible ou illisible pour les soignants de ville.

J'aime à citer le rapport sénatorial de juillet 2017, publié par Laurence Cohen, Catherine Génisson et René-Paul Savary intitulé Les urgences hospitalières, miroir des dysfonctionnements de notre système de santé . Vous y écrivez notamment : « Les services d'urgence doivent être regardés non comme un point d'entrée défaillant dans le système de soins, mais comme un miroir grossissant des dysfonctionnements de l'ensemble de notre système de santé. Les difficultés des services d'urgence résultent de leur positionnement original, au confluent des carences de la médecine de ville et de la permanence des soins ambulatoires en amont. » Ces propos me semblent sévères pour la médecine de ville : les difficultés sont globales et il ne faut stigmatiser personne, car nous avons besoin de tout le monde. Vous écrivez d'ailleurs, un peu plus loin dans le rapport : « Il ne fait cependant pas de doute que la médecine de ville peut et doit prendre sa part des soins non programmés - non pas seulement dans le but de désengorger les urgences, mais avant tout afin d'améliorer le parcours et le suivi des patients. »

Vous estimez enfin que « l'amélioration du fonctionnement des urgences doit aller de pair avec un renforcement de l'interface entre la ville et l'hôpital, et notamment de la régulation médicale ».

C'est ce à quoi notre service travaille depuis plusieurs années. En 2019, nous avons présenté le « dispositif d'amélioration du parcours de soins pour des patients complexes ou en demande de soins non programmés urgents, sur le territoire des Yvelines, par le coexercice hospitalier et libéral ainsi que la formation des jeunes médecins ». C'était une démarche altruiste, portée par la plateforme territoriale d'appui, qui est une coordination de médecins libéraux dans les Yvelines, par l'Ordre des médecins et par le monde hospitalier.

Elle consiste à ouvrir aux soignants de ville, à travers un guichet unique, des solutions pour éviter les ruptures de parcours qui conduisent, par facilité ou par défaut, les patients aux urgences faute d'anticipation.

Ce projet ambitionne d'intégrer une plateforme de coordination ville-hôpital qui oeuvre en étroite collaboration avec les urgences et les médecins libéraux. Il y a de plus en plus de patients complexes à cause des difficultés de suivi en ville. Il faut anticiper les problèmes pour éviter les ruptures de parcours et favoriser le maintien à domicile, pierre angulaire de tout le système. Il est inutile de parler de médecine si l'on n'est pas en mesure de réorienter les patients qui ne nécessitent pas une hospitalisation vers une prise en charge en ville.

La conséquence de ce dispositif est une stabilisation du recours aux urgences. Nous ne travaillons pas à désengorger les urgences, mais à construire un parcours du patient abouti qui évite les ruptures.

Notre travail a précédé le Ségur, en particulier sa mesure 26 intitulée « Fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers ». C'est bien ce que nous essayons de faire, à travers une nouvelle articulation entre la ville et l'hôpital.

Les missions assurées par des structures d'urgence se sont décentrées en partie vers la prise en charge des complications des pathologies chroniques et des problèmes médico-sociaux. C'est pourquoi nous avons besoin d'une coordination pluripartenariale, plurisectorielle et pluriprofessionnelle.

Jusqu'à présent, nous avons surtout travaillé sur la médecine d'urgence, avec la problématique du soin non programmé : il fallait offrir une consultation à des personnes qui n'avaient pas accès à un médecin. Mais il faut aussi prendre en compte l'autre temporalité, celle de l'anticipation et des patients complexes, avec une organisation des soins qui ne les conduise pas systématiquement à l'hôpital, dans des services totalement débordés.

Nous avons donc choisi trois thématiques de travail : le médico-social, la gériatrie et la psychiatrie. C'est le travail en réseau, en collaboration avec les collègues de ville des autres spécialités, qui nous autorise à mettre en place une démarche centrée sur le patient.

Dans cette optique, la création des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) est une opportunité : elles fédèrent tous les acteurs, médecins, mais aussi infirmières, orthophonistes, etc . Leurs missions vont dans le même sens : améliorer l'accès aux soins, organiser des parcours de soins pluriprofessionnels, développer la prévention et la promotion de la santé, accompagner les professionnels de santé, structurer des espaces d'échanges. C'est fondamental.

Paradoxalement, la crise covid que nous avons combattue ensemble nous a fait avancer plus vite : nous avons créé les prémices d'une collaboration entre la ville et l'hôpital, en apportant des repas à domicile aux patients du covid, en leur assurant des consultations ou des téléconsultations.

Les visites à domicile sont essentielles : il faut absolument réinsuffler aux jeunes médecins l'envie de les faire. En effet, elles donnent la possibilité d'anticiper l'état d'un patient et coûtent beaucoup moins cher qu'une hospitalisation.

Nous avons eu la même démarche avec les gériatres pour les patients Ehpad, pour articuler la prise en charge entre la médecine de ville, l'hôpital, la gériatrie et les réseaux au profit du patient. Nous avons pu mener à bien cette tâche parce que nous avions identifié ces problématiques comme essentielles ; et nous avons pu avancer ensemble, parce que nous avions appris à nous connaître et à travailler ensemble.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Quelle est la place du SAS dans votre organisation ?

Dr Olivier Richard . - Le SAS est d'abord, pour nous, une amélioration de la réponse pour les soins non programmés. Jusqu'à présent, les patients dont l'état n'était pas grave avaient simplement une consultation par téléphone avec un médecin de ville : en journée, les cabinets n'étaient pas accessibles.

Désormais, en collaboration avec les CPTS, les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et les autres médecins du territoire, nous donnons accès à des consultations en journée pour les urgences.

M. Bernard Jomier , président . - S'agit-il seulement de consultations de médecins de ville, ou les spécialités sont-elles aussi concernées ?

Dr Olivier Richard . - Les places sont d'abord réservées pour les consultations de médecine générale ; elles seront ensuite ouvertes sur les spécialités.

La démarche est centrée sur le médecin traitant.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Il prendra en charge des patients dont il n'est pas nécessairement le médecin référent.

Dr Olivier Richard . - Oui. Nous essayons avant tout de rendre le médecin traitant accessible au patient, ce qui n'est pas toujours possible avec les filtres de l'agenda informatique et du secrétariat. Le SAS rend possible cette accessibilité. Nous avons eu des mots tout à fait aimables de patients qui ont pu obtenir un rendez-vous par ce biais.

Il est également très important de travailler sur des patients qui n'appellent pas nécessairement pour une consultation ou un soin non programmé - des patients complexes relevant d'un parcours de gériatrie ou de psychiatrie. Faire collaborer la ville, les spécialistes et l'hôpital permet d'anticiper les prises en charge pour ces patients.

Ainsi, dans les Ehpad, les échanges d'informations entre la médecine de ville et les gériatres évitent un accueil inapproprié de certaines personnes âgées à l'hôpital.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je souhaitais surtout savoir comment un patient qui n'a pas de médecin traitant et qui se retrouve en situation d'urgence est pris en charge.

Dr Olivier Richard . - Le patient qui n'a pas de médecin traitant, ou dont le médecin traitant est inaccessible, est confié à un médecin du territoire qui peut le prendre en charge.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Qui gère la plateforme territoriale d'appui ?

Dr Olivier Richard . - C'est une cogestion entre la médecine de ville et la médecine hospitalière, via un groupement de coopération sanitaire. La plateforme d'appui est une construction pluripartenariale coordonnée par la médecine de ville.

Dr Serge Smadja . - En matière de permanence des soins ambulatoires, la réponse est organisée au niveau réglementaire, avec un cahier des charges et un ou des médecins de garde désignés.

Auparavant, il n'y avait pas d'encadrement : on considérait qu'il appartenait aux médecins traitants de prendre en charge les urgences de leurs patients.

Mais, avec l'évolution de la démographie médicale que nous avons évoquée, les médecins traitants sont débordés. Il leur est difficile de prendre en charge les soins non programmés dans la journée. Même dans nos structures, conçues à l'origine pour les urgences et les soins non programmés, nous réalisons de plus en plus d'actes de médecine générale.

Avec le SAS, nous serons en mesure de flécher une réponse à partir de la régulation médicale conjointe de l'aide médicale d'urgente et de la médecine libérale. Nous nous en félicitons ; cependant, un soin non programmé a été défini comme une demande de rendez-vous dans les 48 heures. Or un patient qui se rend aux urgences n'attend pas 48 heures pour recevoir une réponse à sa demande de soins...

Je ne conteste pas le caractère vertueux du dispositif, mais la réponse, à domicile, à une demande de soins urgente a été oubliée.

Dr Patrick Pelloux . - Le SAS a été conçu pour absorber le SAMU et devenir une grande plateforme médico-psycho-sociale, dans la vision idyllique qu'en a mon collègue le docteur Richard. Ce n'est pas le cas partout, loin s'en faut, et des centaines de millions ont été engloutis dans ce projet. Dont acte.

M. Bernard Jomier , président . - Des centaines de millions ?

Dr Patrick Pelloux . - Oui ; au moment de la recomposition des urgences, les enveloppes ont été affectées au SAS. Il faut payer l'organisation, les médecins qui y participent... Mais tout cela a été acté par la loi. Des expérimentations ont été menées, comme celle que décrit le docteur Richard. Si cela fonctionne, j'en prends acte ; mais le problème est que cela ne fait pas baisser la fréquentation des urgences.

Dr Olivier Richard . - C'est le début...

Dr Patrick Pelloux . - Pour l'instant, la fréquentation ne baisse pas parce que c'est un système très complexe. Nous souhaitons tous que les maisons communes en cogestion fonctionnent, mais il y a des rapports de force entre la médecine de ville, les hôpitaux participant au service public, les hôpitaux lucratifs, les CPTS, les maisons de santé, etc .

Il est vrai que ce système dégage des plages de rendez-vous
- une sorte de Doctolib du SAS. Pourquoi pas, mais cela ne fait pas baisser la fréquentation des urgences, parce que les malades sont devenus complexes, et que l'hôpital veut désormais aller très vite.

La médecine va vers le soin ambulatoire, les opérations ambulatoires, sans se rendre compte que les gens ne se réduisent pas à un tableau Excel. Il y a de l'aléatoire, or dans tous ces systèmes, y compris les opérations ambulatoires, on n'a pas prévu, justement, que le malade ne va pas bien ; et le malade qui ne va pas bien se rend aux urgences...

Ainsi, depuis 2003 et la fin de l'obligation des gardes pour les médecins libéraux, les urgences sont devenues la variable d'ajustement de tous les dysfonctionnements.

Autre exemple, la psychiatrie. Lorsque les lois de 1992 et 1996 organisant les urgences ont été votées, un psychiatre était prévu dans chaque service. On l'a ensuite retiré, et désormais il est extrêmement difficile d'accéder aux urgences psychiatriques - sans parler de la pédopsychiatrie et de la psychiatrie des adolescents... Et lorsque ces malades se rendent aux urgences, on a recours à la sédation, faute de psychiatres, puisqu'il n'y en a plus dans certains secteurs.

Autre problématique de spécialité très pertinente pour la permanence de soins : la traumatologie, dont relèvent 50 % des malades qui viennent aux urgences. Sauf en mars 2020, lors du premier confinement, où l'on ne voyait plus arriver, à Paris, que cinq à six personnes par jour, qui se blessaient chez elles...

Jadis, la traumatologie était traitée par l'orthopédie publique, qui est désormais sinistrée : tous les chirurgiens orthopédistes sont partis vers le privé, pour l'attractivité de la rémunération et les moyens mis à disposition. C'est pourquoi les patients de traumatologie qui arrivent aux urgences sont transférés vers les cliniques privées, avec l'attente que cela engendre.

La direction générale de l'offre de soins (DGOS) avait conçu un indicateur intéressant, celui du besoin journalier en lits. Il donnait une vision mathématique : tel service d'urgence aurait besoin de vingt ou vingt-cinq lits pour fonctionner chaque jour. Mais l'indicateur n'a pas été mis en place parce qu'il aurait impliqué de rouvrir des lits, ce que l'on ne voulait pas.

Un mot sur la démographie médicale. L'obligation de faire des gardes, cette contrainte au temps, n'est plus d'époque. Lorsque la spécialité de médecine d'urgence a été mise en place, le principal syndicat représentant les internes en a tiré un argument pour refuser les gardes aux urgences. Il est extrêmement difficile de motiver les jeunes générations pour les gardes. Ainsi, on perd des heures à trouver un lit d'hospitalisation, faute de place aux urgences.

Dernier point, le SAS comme permanence de soins des Ehpad
- un sujet qui a fait l'actualité ces derniers jours. La prescription par les médecins coordinateurs a été votée, mais c'est encore balbutiant. Il n'a pas accès aux dossiers médicaux. Enfin, au moment d'envoyer un Smur pour un départ, l'aide-soignante ou l'infirmière demande au médecin de faire le point sur un grand nombre de malades.

Il y a eu des expériences positives, notamment à Amiens ; mais cela reste extrêmement compliqué. On sait bien que les urgences ne sont pas une destination adéquate pour les personnes âgées Gir 1 ou Gir 2, c'est-à-dire démentes ou grabataires.

Il faut une refonte du système, mais elle ne se fera qu'avec des femmes et des hommes qui veulent s'investir dans la permanence des soins. Ils ne le feront que si c'est attractif.

Or la permanence de soins est défiscalisée, pour les médecins libéraux, sur une partie de leur rémunération, ce qui n'est pas le cas pour les médecins du public. Quant à la progression de l'indemnisation, un praticien hospitalier touche deux cents euros de moins qu'un universitaire pour une garde nuit.

Au moment du Ségur, le Gouvernement voulait une égalité de rémunération pour le même travail. Cela a été refusé par les syndicats de praticiens hospitaliers, à l'exception du syndicat national des praticiens hospitaliers, anesthésistes réanimateurs (SNPHAR-E), parce qu'ils voulaient gagner un échelon.

En matière de permanence de soins, tout est lié : même si votre volonté est sincère, le SAS rénové ne se fera pas sans les femmes et les hommes. Or la contrainte au temps, le travail le week-end ou la nuit, ne sont plus acceptés par les jeunes générations - y compris pour les visites à domicile qu'évoquait Serge Smadja. Or la question est liée à celle du maintien à domicile. Il n'y a pas de solution facile.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Le maintien à domicile passe par le retour des visites à domicile, qui permettent de voir le patient dans sa vraie vie, pour ainsi dire.

Qu'est-ce qui rendrait aux médecins l'envie de faire des visites à domicile, en particulier pour les personnes très âgées polypathologiques ?

La médicalisation des Ehpad est un vrai sujet. La maltraitance, Monsieur Pelloux, ne concerne d'ailleurs pas que le privé. Nous allons former une commission d'enquête sur ce thème.

Faut-il revenir à une obligation de garde pour les médecins libéraux ? La région Pays de la Loire apportait son soutien aux centres de santé à la condition qu'ils participent à la permanence des soins. Notre commission a visité un hôpital de proximité à Lamballe où se trouvait une maison médicale de garde, assurée par des libéraux. Cette maison reprenait les soins non programmés qui n'avaient pu être effectués pendant la journée. Comment SOS Médecins voit-il l'organisation de ces maisons, placées à l'entrée des urgences pour éviter que certains patients n'y entrent ?

Dr Serge Smadja . - J'ai évoqué le déséquilibre tarifaire entre la visite à domicile et les autres actes. Cet été, à la demande des syndicats, la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) a prévu, dans l'avenant n° 9 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie, un doublement du tarif de la visite à domicile pour les plus de 80 ans en affection de longue durée (ALD) - mais quatre fois par an, et uniquement pour les médecins traitants. Comme, par définition, nous ne le sommes pas, nous en étions exclus. Sans commentaire...

De plus, nous avons diversifié notre réponse aux demandes de soins : nous avons développé des points fixes d'accueil pour les soins non programmés, à condition que les pathologies des patients le permettent et que ces derniers soient en mesure de se déplacer. Nous ne pouvons cependant pas ignorer l'aspect social des visites à domicile, en dehors de toute cause médicale : nous devons nous déplacer lorsqu'un parent élève seul trois enfants par exemple.

Je ne nie pas l'intérêt des points fixes d'accueil, qui constitue l'une des pistes de diversification de l'accès aux soins, mais nous nous battons pour le maintien de la visite à domicile, non seulement parce que nous adorons cette pratique, mais aussi parce que nous sommes attachés à la défense de ce service médical rendu particulier.

Dr Olivier Richard . - Les patients nous contactant pour des besoins moins urgents ne devraient pas attendre quarante-huit heures, mais plutôt douze heures.

Je souscris aux propos qui ont été tenus : les visites à domicile sont fondamentales. Celles-ci doivent être revalorisées : il est inadmissible que leur montant soit fixé à 35 euros. Certes, les patients souffrant d'une ALD bénéficient de quatre visites annuelles de leur médecin traitant à domicile. L'investissement des médecins pratiquant les visites à domicile doit être récompensé. Il en va de même pour le travail de nuit des médecins et des infirmières.

Chaque jour, une dizaine de patients ne se rendent pas aux urgences, car ils ont obtenu un rendez-vous auprès d'un médecin de ville. Les pratiques évoluent progressivement.

Auparavant, nous travaillions par silo et par spécialité. Or le département représente un échelon plus pertinent : les médecins apprennent à se connaître et constituent des réseaux utiles. Toutefois, la revalorisation des visites à domicile et des gardes de nuit est indispensable et elle ne doit pas être limitée à quelques centimes d'euros.

Nous devons mieux négocier le tournant de la médecine ambulatoire, dont chacun reconnaît l'intérêt. Quelque 8,4 millions de personnes âgées de plus de 75 ans auront cependant besoin de lits d'hospitalisation polyvalents.

Dr Patrick Pelloux . - Depuis les commissions d'enquête sur le covid-19, le nombre de lits en réanimation, essentiel pour prendre en charge les patients arrivant aux urgences dans un état grave, n'a pas augmenté, contrairement aux engagements du Gouvernement. Certes, le ministre de la santé a récemment annoncé la création de 1 500 à 2 000 lits de réanimation, mais encore faut-il des médecins ! Or des combats acharnés ont cours entre des universitaires sur la possibilité de former 100 médecins-réanimateurs chaque année, contre 76 actuellement. En tout état de cause, je pense que 150 médecins spécialistes seraient nécessaires. Sans l'apport des praticiens étrangers, notre système s'effondrerait.

Les urgences font partie de la permanence des soins. Tous les malades se présentant aux urgences ne s'inscrivent pas dans une démarche de soins consumériste : il est illusoire de croire qu'on pourrait les diriger facilement vers d'autres services.

La télémédecine représente sans doute un progrès, mais comment établir un diagnostic sans examiner les malades ? Prenons garde à ne pas développer une médecine à deux vitesses avec, d'une part, les gens aisés capables de s'offrir une consultation, et, d'autre part, les personnes plus modestes, qui devront se contenter de la télémédecine et des infirmiers en pratique avancée. C'est un danger majeur. Nous ne devons pas nous tromper dans les solutions à apporter aux problèmes des urgences, qui, in fine , ne feraient qu'aggraver les maux de l'ensemble du système.

Mme Laurence Cohen . - Les problèmes liés à la permanence des soins sont tous imbriqués : il est impossible de traiter séparément les problèmes de l'hôpital, des urgences et de la médecine de ville. Je fais mienne la mise en garde du Dr Pelloux : certaines solutions pourraient en fait aggraver les choses.

Il faut bien sûr revaloriser les visites à domicile et le travail de nuit.

J'ai récemment échangé avec le Dr Maurice Raphaël, qui exerce aux urgences de l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, dans mon département. Ce dernier m'a expliqué avoir dû annuler ses vacances pour effectuer des gardes à l'hôpital. Je comprends mal la différence de traitement entre les praticiens hospitaliers et les médecins de ville, dont on se demande encore s'ils doivent faire des gardes. Je suis favorable à la suppression du décret Mattei : les difficultés et les obligations doivent reposer sur tous les médecins, et pas seulement sur une poignée de professionnels.

Si l'on veut poursuivre le développement du virage ambulatoire, le nombre de personnels paramédicaux doit être fortement développé afin d'accompagner les patients à leur sortie de l'hôpital.

Les centres de santé jouent aussi un rôle important dans la permanence des soins. Ils sont susceptibles d'attirer les jeunes professionnels, qui aspirent à travailler en équipe et à pratiquer des horaires de travail convenables.

Mme Véronique Guillotin . - J'ai moi-même exercé la médecine à une époque où les médecins participaient à la permanence des soins et effectuaient des visites à domicile, même la nuit. Tout n'était pas parfait : certaines visites de nuit étaient, par exemple, injustifiées. Le filtrage téléphonique et la coordination qui ont été instaurés depuis lors vont dans le bon sens.

Toutefois, les visites à domicile doivent être sanctuarisées. Comment donner l'envie aux jeunes médecins de les pratiquer de nouveau ? Le problème restera entier tant que ceux-ci seront aussi peu nombreux : il est impossible de se rendre au domicile des patients quand les médecins pratiquent déjà 50 actes à leur cabinet. Le renforcement de l'attractivité passe sans doute par une revalorisation des actes : selon vous, quel serait un tarif attractif pour les visites à domicile et les visites de nuit ?

La télémédecine représente un outil moderne pour les médecins faisant partie d'équipes coordonnées. Si elle peut être utile dans certains cas précis, elle ne saurait remplacer systématiquement le contact avec les patients.

Ne faisons-nous pas face à un problème de formation ? Hormis le manque de médecins, quelles sont les causes d'un tel changement dans les pratiques de la médecine de ville ? Des modules spécifiques de formation pourraient être créés pour redonner le goût de la médecine de famille.

M. Bernard Jomier , président . - Avant de vous rendre la parole pour que vous puissiez répondre à nos collègues, je remarque que vous aboutissez largement à la même analyse, malgré quelques différences d'appréciation. Le manque de médecins est la question essentielle. Les nouvelles stratégies d'organisation seront toujours mises en échec par cette pénurie.

De plus, vous plaidez tous pour une revalorisation de la permanence des soins ambulatoires (PDSA), des gardes et des visites à domicile.

Enfin, la question de la coordination des acteurs reste entière. Pourquoi les SAS rencontreraient-ils plus de succès que les tentatives précédentes ? Un changement de culture est-il réellement à l'oeuvre ?

Dr Serge Smadja . - Je suis réservé sur le retour à l'obligation des gardes pour les médecins libéraux. Il faut non pas créer des obligations, mais renforcer l'attractivité du métier et donner envie aux jeunes médecins de s'engager.

Dr Patrick Pelloux . - À l'hôpital, les médecins doivent assumer de nombreuses obligations.

Dr Serge Smadja . - Je reconnais qu'il s'agit peut-être là d'une forme d'injustice : l'attractivité de l'hôpital doit être renforcée. Chacun connaît les difficultés - voire les drames - auxquelles doivent faire face les médecins des urgences.

Toutefois, introduire des obligations est incompatible avec l'exercice de la médecine libérale, même si je comprends l'intérêt porté à ces propositions. Il en va de même pour la liberté d'installation des médecins et pour l'obligation d'installation dans les zones sous-dotées. Ce sont des sujets difficiles.

Il est délicat de définir la valeur pécuniaire d'une visite à domicile. Il convient plutôt de réfléchir à l'équilibre des rémunérations. Le soir et le week-end, la différence entre une visite à domicile et une consultation dans une maison médicale de garde est de 3,50 euros seulement. De même, dans la journée, le montant d'une visite à domicile est de 35 euros, contre 25 euros pour un acte simple au cabinet. C'est le déplacement du médecin qui doit être majoré.

Dr Patrick Pelloux . - Je suis favorable à la réintroduction des gardes pour les médecins de ville, à condition que celle-ci s'accompagne d'un contrat d'objectifs et de moyens. La population ne comprend pas cette désorganisation et cette inégalité prévalant non seulement dans certaines zones rurales, mais aussi dans les villes, à l'image de la Seine-Saint-Denis.

Des obligations statutaires s'imposent aux praticiens hospitaliers : même si c'est parfois difficile à vivre, je n'en suis pas malheureux.

Les revalorisations sont nécessaires. Pour une garde, le praticien hospitalier gagne 200 euros de moins qu'un universitaire. Cette situation, qui perdure depuis des années, est anormale.

En outre, pourquoi les médecins libéraux et les infirmiers bénéficient-ils d'une défiscalisation plus importante de leur rémunération issue des permanences de soins que les praticiens hospitaliers ? Cet avantage, obtenu par Roselyne Bachelot lorsqu'elle était ministre de la santé, avait ensuite été oublié. Nous devons revenir à une culture de l'égalité, ce qui suppose de remettre à plat le système, en examinant les rémunérations de tous les acteurs.

Madame Guillotin, vous avez évoqué à juste titre la question de la formation. À cet égard, je ne suis pas d'accord avec la position des doyens et des universitaires : les internes et les externes doivent pouvoir être formés non pas uniquement dans les centres hospitalo-universitaires (CHU), mais aussi dans les hôpitaux généraux. Soutenir que nous ne pourrions pas former davantage d'étudiants en médecine en France au motif que les CHU et les centres de stage seraient en nombre insuffisant est une aberration. On marche sur la tête : la ville d'Orléans vient de signer un protocole d'accord avec la faculté de médecine de Zagreb, en Croatie, pour engager une coopération de formation d'étudiants, à Orléans.

Il est extrêmement difficile de coordonner les actions, tant les systèmes vivent en autonomie totale depuis des années. Je me réjouirais du succès des formules de coopération ; cependant, je n'ai toujours pas compris qui dirigeait les SAS. À l'hôpital, il convient d'abandonner la culture des pôles, issue de la vision de l'hôpital-entreprise, et de revenir à la cellule structurelle du monde hospitalier : les services.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - L'audition des doyens des facultés de médecine de Tours et de Reims a montré que la situation évoluait peu à peu : certains doyens envisagent la formation en dehors des CHU.

Dr Patrick Pelloux . - Pas tous !

M. Bernard Jomier , président . - La situation parisienne n'est d'ailleurs pas le meilleur exemple en la matière.

Dr Olivier Richard . - Les centres de santé peuvent représenter une solution aux problèmes évoqués : il ne faut fermer aucune porte.

Les urgences sont en situation de souffrance, car elles souvent submergées par des flux incontrôlables. Or on ne peut pas fermer la porte des urgences : il faut donc prévoir leur organisation non pas au vu de leur activité moyenne, mais en fonction de leur pic d'activité - nous devons être en mesure de répondre à 90 % des situations. Les ratios de soignants par nombre de malades doivent être revus et les effectifs adaptés aux besoins.

Les revalorisations sont certes importantes, mais les questions financières ne sont pas le seul problème de l'hôpital. La revalorisation passe aussi par une meilleure qualité de vie au travail : parfois, les aides-soignantes demandent la création d'un poste supplémentaire, afin qu'elles puissent accomplir correctement leurs tâches. C'est le coeur de la mission de service public : les organisations doivent être repensées afin d'offrir un soin de qualité, empreint d'humanité.

M. Bernard Jomier , président . - Tous les personnels que nous avons entendus ont exprimé le même souhait : retrouver du sens à leur métier en regagnant de la qualité au travail.

Dr Olivier Richard . - La situation est extrêmement critique. Il faut réenchanter l'hôpital public, afin que ceux qui y travaillent ne souhaitent pas en partir et - soyons fous ! - que ceux qui l'ont quitté reviennent y travailler avec plaisir.

Dr Patrick Pelloux . - En 2008, la commission pour la libération de la croissance française, présidée par Jacques Attali, et dont le rapporteur était Emmanuel Macron, voyait dans le secteur médico-social un gisement d'emplois. Rien n'a été fait depuis.

Malgré des revalorisations salariales importantes, quelque 1 200 postes d'infirmières sont à pourvoir au sein de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). La situation est similaire dans tout le pays.

Nous faisons face à une spirale sociale infernale : plus les effectifs sont réduits, plus les défections sont à prévoir. Des stratégies salariales et un accompagnement quotidien sont nécessaires. Quelques hôpitaux ont créé un service de conciergerie pour leur personnel ; ces initiatives, très innovantes, doivent être reproduites. Sans cela, les situations que nous connaissons aujourd'hui se multiplieront. Aujourd'hui, en France, des services d'urgences et des Smur ferment chaque soir par manque de personnel : c'est profondément inégalitaire et scandaleux !

M. Bernard Jomier , président . - Je vous remercie pour votre contribution aux travaux de notre commission d'enquête.

La réunion est close à 18 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Thomas Fatôme, directeur général
de la Caisse nationale de l'assurance maladie

(mercredi 16 février 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux en recevant cet après-midi M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM).

On associe souvent le rôle de l'assurance maladie à la médecine de ville, puisque l'hôpital relève de la DGOS et des ARS. Il n'en reste pas moins que l'assurance maladie est malgré tout le financeur numéro 1, et de loin, de l'activité hospitalière, même si ce financement est globalisé.

Par ailleurs, l'assurance maladie contrôle, en lien avec les ARS, le codage et la facturation effectués par les établissements.

Une raison supplémentaire de vous entendre, Monsieur le directeur général, porte sur le fait que les difficultés de l'hôpital sont également liées
- nous l'avons vu depuis les travaux de cette commission d'enquête -, à des dysfonctionnements ou des défauts d'organisation globaux de notre système de santé. Il est loin le temps où l'assurance maladie n'était que le payeur. Elle est à présent un des principaux organisateurs de notre système de santé, au travers de ses différentes actions, que ce soit en termes d'amélioration de l'accès aux soins, de l'organisation des parcours et de l'optimisation des moyens, par une recherche de la qualité des prises en charge.

Cette audition est, comme d'habitude, diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu qui sera publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je dois vous rappeler, Monsieur le directeur général, que vous êtes devant une commission d'enquête et qu'un faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Thomas Fatôme prête serment.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Merci Monsieur le directeur général de votre présence à cette audition. Comme l'a dit le Président, vous avez un regard global sur le fonctionnement de notre système de santé, qui est très largement financé par l'assurance maladie, plus encore s'agissant des soins hospitaliers que des soins de ville.

Nous souhaitons donc connaître votre analyse sur la situation actuelle du système hospitalier et les facteurs de tension, propres à l'hôpital ou liés plus globalement au système de santé, qui affectent la prise en charge des patients et le fonctionnement des établissements.

Nous évoquons très largement, depuis le début de nos travaux, les interactions entre la ville et l'hôpital. Lundi encore, à propos des urgences et des soins non programmés, nous évoquions l'importance de la visite à domicile, notamment pour les personnes âgées.

L'organisation de la permanence des soins, la prise en charge des soins non programmés, l'optimisation des parcours, en amont de l'hôpital ou au retour à domicile, la pertinence des soins, sont autant de sujets qui sont en lien avec les difficultés de l'hôpital.

Enfin, beaucoup de nos interlocuteurs appellent à refonder, à l'échelle territoriale, l'organisation des soins, en associant tous les acteurs autour d'une mission de service public garantissant aux populations une prise en charge adaptée, avec des variations dans ce que l'on entend par cette mission de service public à l'échelle territoriale.

Ce sont les différents sujets que nous souhaitons évoquer avec vous. Je compléterai par des questions, après vos propos.

M. Bernard Jomier , président . - Monsieur le directeur général, je vous propose de prendre la parole pour une dizaine de minutes environ, puis la rapporteure et nos collègues pourront vous interroger.

M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie . - Merci Monsieur le président. Je suis accompagné de Julie Pougheon, directrice de l'offre de soins à la Caisse nationale d'assurance maladie.

Vous avez d'emblée rappelé ce que je voulais indiquer en introduction. L'assurance maladie est effectivement le principal financeur des établissements de santé, quel que soit leur statut. Près de 80 % des recettes de ces établissements proviennent de l'assurance maladie obligatoire ce qui, en effet, lui confère un rôle de payeur. Cela implique une mobilisation souvent méconnue et des travaux lourds de gestion des systèmes d'information, des systèmes de facturation et des paiements des établissements de santé.

Derrière ce rôle de payeur, vous l'avez évoqué, Monsieur le président, on trouve aussi celui de contrôleur de la tarification à l'activité. Près de 100 000 séjours font l'objet de contrôles chaque année. Cet exercice a toutefois été assez largement suspendu depuis la crise sanitaire, pour des raisons que l'on peut comprendre aisément, a fortiori avec la garantie de financement appliquée pour 2020, 2021 et le début de l'année 2022.

Au-delà de son rôle de payeur, l'assurance maladie tâche à la fois de structurer les soins de ville. Elle s'efforce aussi d'être un acteur de parcours de soins efficaces, en amont et à la sortie de l'hôpital. Enfin, elle oeuvre à promouvoir la qualité et la pertinence des actes, sans oublier un rôle important qui consiste à fournir des analyses et des travaux, pour participer à la compréhension des évolutions de notre système de santé. C'est notamment ce que nous faisons chaque année dans notre rapport « charges et produits » sur l'évolution du système de santé.

Je ne m'attarderai pas sur une analyse approfondie de la situation de l'hôpital. Sur une longue période, il est confronté à des évolutions assez largement contradictoires, avec d'un côté le vieillissement de la population et l'impact des maladies chroniques, qui rendent le recours à l'hôpital plus important, et de l'autre des évolutions technologiques et un virage ambulatoire qui, au contraire, réduisent les durées de séjour et diminuent également le nombre de lits.

En comparaison avec les autres pays européens, nous ne sommes pas extrêmement décalés. Nous comptons globalement plus de lits que la moyenne des pays, notamment de l'OCDE, mais un peu moins de personnel soignant par lit, et on voit, comme dans d'autres pays, à la fois une réduction globale du nombre de lits et une réduction des durées de séjour, qui s'expliquent assez largement par les progrès technologiques.

Nous connaissons aussi, bien évidemment, certaines spécificités, notamment en termes d'organisation, avec les trois secteurs du public, du privé lucratif et du privé non lucratif, qui cohabitent, parfois dans des logiques complémentaires et parfois dans des logiques de compétition, mais toujours sur la base d'un financement très largement couvert par l'assurance maladie obligatoire et par les complémentaires santé.

J'essaierai de partager quatre enjeux que je perçois aujourd'hui. Les trois derniers sont liés à des actions que l'assurance maladie engage sur les thématiques que j'ai déjà quelque peu évoquées.

Le principal enjeu tourne autour des problématiques d'attractivité, notamment en matière de ressources humaines de l'hôpital, et de capacités financières à investir. De ce point de vue, et même si nous ne sommes que le financeur, je relèverai tout de même le caractère historique des décisions prises dans le cadre du Ségur de la santé. J'utilise le terme volontairement, puisqu'il y a peu de points de comparaisons dans le système de santé, et même au-delà, d'un tel mouvement à la fois de revalorisation des personnels, de soutien à la restauration de la capacité financière des établissements de santé et de soutien de leurs investissements.

Vous connaissez les chiffres. Je propose de ne pas y revenir dans le détail, avec près de 9 milliards d'euros sur les revalorisations de personnels, près de 19 milliards d'euros sur le plan d'investissement, même si ces deux enveloppes n'obéissent pas du tout à la même logique et à la même temporalité. En tout cas, en tant que financeur, je peux témoigner d'un investissement absolument considérable, pour répondre aux différents défis.

Les effets de ces mesures mettront sans doute du temps à se mesurer et je perçois qu'on les oublie parfois un peu vite ou, en tous cas, qu'on ne mesure peut-être pas suffisamment à quel point elles sont massives et doivent permettre aux établissements de restaurer progressivement leur attractivité en termes de ressources humaines et d'investir pour le présent et pour l'avenir.

J'en arrive à présent aux chantiers sur lesquels l'assurance maladie est plus directement impliquée. En tant qu'opérateur, nous essayons d'être un acteur qui pousse à la structuration des soins de ville et à renforcer leur capacité à traiter plus de patients, en amont comme en aval de l'hôpital. Nous soutenons l'exercice coordonné (maisons de santé pluriprofessionnelles - MSP, centres de santé, équipes de soins coordonnés, etc .) et la dynamique des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Elles sont plus de 240 à avoir signé l'accord conventionnel interprofessionnel avec l'assurance maladie et couvrent près de 30 % de la population. Il en va de même avec l'accord sur les MSP et l'accord sur les centres de santé, dont la signature devrait être imminente et qui participe du renforcement de la capacité des soins de ville à s'organiser et à prendre en charge plus de patients.

Le second volet de cette action porte sur les soins non programmés et la permanence des soins, où nous intervenons en pilotage partagé avec nos collègues du ministère des solidarités et de la santé et, sur le terrain, entre le réseau de l'assurance maladie et les agences régionales de santé. Au-delà, on trouve bien évidemment la mise en place du service d'accès aux soins, dont nous avons défini avec les médecins libéraux, au travers de l'avenant n° 9, les conditions de financement, qu'il s'agisse de la régulation ou de l'effection. C'est ce cadre financier qui permet au SAS de se déployer sur le terrain même si, bien évidemment, tout n'est pas évident.

Par ailleurs, même si le sujet est davantage à la main des agences régionales de santé et du ministère, nous sommes également partenaires de la permanence des soins ambulatoires (PDSA). La revalorisation des tarifs de la permanence des soins ambulatoires, intervenue il y a quelques semaines, se traduit par une augmentation des forfaits de près de 20 %. Je pense que cette revalorisation adresse un signal fort d'attractivité et en tout cas de soutien aux médecins mobilisés par la permanence des soins.

Le troisième volet de la structuration des soins de ville vise à augmenter le temps médical disponible et à éviter des bascules vers les services d'urgence non justifiées. C'est à ce niveau que l'on retrouve le programme d'action sur les assistants médicaux. Nous avons comptabilisé à ce jour plus de 2 700 assistants médicaux employés par les médecins libéraux, avec l'équivalent d'une file active augmentée d'un million de patients et de près de 500 000 pour les médecins traitants. Il s'agit là bien évidemment de la mesure principale, mais il ne faut pas non plus oublier tout ce qui a trait à la structuration des équipes de soins autour des médecins, comme le rôle des infirmiers Asalée (actions de santé libérale en équipe) ou celui des infirmiers de pratique avancée.

Dans le même temps, il s'agit aussi de favoriser un certain nombre de délégations de tâches, ce qui nous amène notamment à négocier actuellement une nouvelle convention avec les pharmaciens, qui devrait les mettre en capacité d'assurer par exemple les rappels de vaccination, le dépistage du cancer colorectal et d'autres éléments du parcours de soins, comme la prévention des infections urinaires. Il s'agit de faciliter l'accès aux soins, de renforcer le temps médical et donc de mettre davantage les médecins libéraux en situation de prendre en charge des patients, et de diminuer les recours injustifiés à l'hôpital et aux urgences.

En complément de l'accompagnement et de la structuration des soins de ville, nous menons une action autour des parcours de soins. J'ai deux éléments majeurs à citer de notre côté. Le premier renvoie à tout ce qui touche aux programmes Prado d'accompagnement de la sortie de l'hôpital. Comme vous le savez, ces programmes se sont d'abord construits autour de l'accompagnement des femmes en sortie de maternité, organisé avec des sages-femmes libérales. Ce programme a assez profondément changé le rôle des sages-femmes libérales, augmenté leur nombre et solvabilisé leurs actions. En 2019, avant la crise, il a permis un accompagnement de sortie de l'hôpital de près de 400 000 femmes, ce qui est assez considérable. Il se déploie aujourd'hui sur d'autres types de prise en charge, notamment les sorties post-épisodes chirurgicaux, les sorties en cas d'insuffisance cardiaque ou en cas de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Il s'agit pour nous d'être un acteur qui facilite la sortie d'hôpital et la mise en relation entre l'hôpital, la médecine de ville et les acteurs des soins de ville. Un certain nombre de ces programmes a trouvé leur vitesse de croisière, même s'il faut continuer à les faire évoluer.

Derrière cela, on retrouve aussi notre ambition plus large d'essayer de structurer les parcours de soins, pas seulement en sortie d'hôpital, mais aussi en amont. Nous en avons fait état dans notre rapport « charges et produits » pour 2022, autour de l'insuffisance cardiaque. Nous commençons à construire des outils pour mettre les médecins généralistes en situation de mieux accompagner les patients susceptibles d'être victimes d'insuffisance cardiaque. Nous construisons de surcroît des outils tout au long de la chaîne et de ce parcours, puisque nous voyons à quel point nous pouvons faciliter le parcours de soins, en matière de prévention comme en matière d'accompagnement. Nous pouvons sans doute mieux organiser le recours à l'hôpital, éviter les hospitalisations injustifiées et organiser la sortie.

Le troisième axe d'action de l'assurance maladie concerne la qualité et la pertinence des soins. J'évoquerai simplement différents leviers et outils, d'abord des outils d'ouverture de données et de mise à disposition des structures de soin de leur situation et de leur « performance », même si le terme n'est pas sans doute le meilleur. Je ne prendrai qu'un exemple.

Comme vous le savez, nous sommes engagés sur le développement de la chirurgie ambulatoire. Cette activité répond à la fois à une attente des patients et des établissements de santé. Depuis deux ou trois ans, nous avons développé un outil appelé Visuchir, outil de data visualisation extrêmement performant de mise à disposition des établissements. Il fournit en open data aux professionnels des éléments sur leur taux de chirurgie ambulatoire, ainsi que des comparaisons par rapport à d'autres spécialités comparables ou à d'autres établissements comparables, entre départements ou entre régions. Nous tenons à développer cet outil, qui est assez largement plébiscité par les professionnels de santé exerçant ces activités.

Au-delà de l'utilisation des datas, nous soutenons le financement la qualité des soins, dans le cadre de la montée en charge de l'incitation financière pour l'amélioration de la qualité (Ifaq). Nous pensons que la diversification des modes de financement de l'hôpital, avec notamment la montée en charge des financements à la qualité, est un sujet important. Nous travaillons, en lien extrêmement étroit avec la DGOS, sur le devenir de ces indicateurs, leur enrichissement et le renforcement de leur caractère opérationnel.

Toujours autour des sujets de qualité et de pertinence des soins, j'évoquerai les dispositifs liés aux mécanismes d'accord préalable, que nous avons mis en place sur un certain nombre de prises en charge. Je citerai l'exemple très parlant de la chirurgie bariatrique, dans lequel notre pays connaissait depuis plusieurs années une augmentation extrêmement significative et même exponentielle. Nous avons mis en place cet outil d'accord préalable dématérialisé de la chirurgie bariatrique. Il a permis, je le crois, de s'assurer que les indications de réalisation de cette chirurgie et de prise en charge étaient mieux respectées. Cet outil s'applique également pour des orientations en SSR qui peuvent être injustifiées, même si cela pose souvent des sujets importants de système d'information. Ce type de démarche participe du soutien à la pertinence et à la qualité des soins.

Le dernier élément sur ce volet porte sur le contrat d'amélioration pour la qualité et l'efficience des soins (Caqes), contrat tripartite entre l'ARS, l'assurance maladie et l'établissement, qui évolue dans sa forme. Ainsi, il vise cette année à permettre un engagement partagé sur un certain nombre de thématiques, nationales ou régionales, autour de la prescription de produits de santé, de la prescription de transports et d'un certain nombre d'actes exécutés à l'hôpital, avec une forme d'intéressement qu'il nous semble intéressant de promouvoir, même si les exercices 2020 et 2021 ont été largement mis de côté, compte tenu des impacts de la crise.

Pour illustrer la mobilisation de l'assurance maladie sur les sujets qui touchent à l'hôpital ou, en tout cas, qui participent de cette prise en charge de parcours plus efficaces, je terminerai par citer le numérique en santé. Ce sujet est complètement d'actualité, puisque nous avons lancé le 3 février, sous l'égide du ministre, Mon espace santé.

Cet espace vise à consolider, au sein d'un espace sécurisé numérique de santé, l'ensemble des données du parcours de soin du patient, à sa main. Il lui appartiendra évidemment de décider de partager ces données avec les différents professionnels de santé, en ville et à l'hôpital. Derrière ce projet, on retrouve évidemment la feuille de route du Ségur du numérique en santé, qui vise à assurer le partage d'informations entre acteurs de ville et d'hôpital, avec des financements importants (2 milliards d'euros). La communauté hospitalière est très engagée dans ces projets, qui doivent permettre d'assurer l'utilisation de la messagerie sécurisée et la diffusion des comptes rendus d'hospitalisation. La démarche devrait de surcroît participer à forger un parcours de soins plus fluide. Il s'agit en tout cas de l'un des objectifs que nous avons fixés à ce programme d'action.

Je termine ici mon propos introductif, en ayant le sentiment d'avoir seulement effleuré beaucoup de sujets qui touchent à l'action de l'assurance maladie vis-à-vis de l'organisation des soins et de l'hôpital.

M. Bernard Jomier , président . - Merci Monsieur le directeur général. Madame la rapporteure, vous avez la parole.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - J'aimerais connaître votre appréciation sur le niveau de recours à l'hospitalisation en France. Quelle est son évolution dans le temps ? Avez-vous des comparaisons à nous fournir par rapport à d'autres pays ? Quelle est la caractéristique de la France sur ce point ?

Vous avez évoqué le programme Prado. La Cour des comptes a souligné le risque de redondance ou de mauvaise articulation avec d'autres initiatives. Où en est-on ?

Quelle est votre position sur la coexistence d'activités de l'hôpital public et du secteur privé lucratif ? Quelle est la complémentarité entre les deux ?

Vous avez évoqué les actions menées pour renforcer les prises en charge des soins non programmés. Vous avez noté l'amélioration des prises en charge pour la permanence des soins. Nous avons pris connaissance des travaux de Mme Polton sur les comparaisons avec l'étranger en matière d'attractivité dans les zones sous-denses. Comment pallier les déficits des zones sous-denses ? Il nous semble que les incitations doivent porter davantage sur l'installation que sur les gardes. De plus, il faut vraiment que les incitations financières soient très fortes, en évitant le saupoudrage. Qu'en est-il de votre action ?

Pouvez-vous nous dire combien d'assurés n'ont pas de médecin traitant déclaré ? Cela a souvent pour conséquence que ces personnes se tournent vers les espaces de soins non programmés des maisons médicales de garde ou directement vers l'hôpital.

S'agissant des assistants médicaux, ils apportent un gain de temps important pour les médecins libéraux. Nous sommes en deçà des autres pays européens sur ces dispositifs. Quel est le profil des assistants médicaux ? Selon vous, quel serait le nombre d'assistants nécessaires pour pallier la surcharge de travail, notamment celle des médecins traitants

Enfin, je voudrais évoquer l'Ondam hospitalier. N'a-t-il pas longtemps été décorrélé de l'évolution des besoins de soins ? La tarification ne correspond pas toujours au coût réel des prises en charge. La façon dont le tarif est fixé et son évolutivité restent assez floues. Quel est votre regard sur la T2A, quinze ans après sa mise en oeuvre ?

M. Thomas Fatôme . - S'agissant du niveau de recours à l'hôpital, je doute que la situation française affiche des spécificités majeures par rapport à nos voisins. Les comparaisons avec l'international doivent en outre être nuancées ou prises avec prudence, en particulier concernant l'imputation de telle ou telle organisation des soins sur la part hospitalière, sur les soins de ville ou sur le médicosocial.

Globalement, on observe une bascule assez forte, sur vingt ans, entre une hospitalisation complète qui voit son poids diminuer, et l'hospitalisation partielle, avec la chirurgie ambulatoire. C'est le premier point marquant.

Une réduction globale du nombre d'établissements et du nombre de lits s'observe aussi, en lien avec cette évolution structurelle, ainsi qu'une réduction de la durée moyenne de séjour. En France, elle était de 11,6 jours en 2004, pour passer à 8,8 jours en 2019. Cette évolution reste tout à fait comparable à ce qui se passe en Allemagne, en Italie, en Espagne ou au Royaume-Uni. Les mêmes phénomènes liés aux modalités de prise en charge s'observent.

L'un des éléments sans doute les plus préoccupants est l'augmentation continue du recours aux urgences qui, malgré différents dispositifs mis en place, a du mal à être régulée. Ces venues à l'hôpital ne sont pas toujours totalement justifiées par des urgences avérées. Ce phénomène reste bien évidemment compliqué à appréhender pour un usager ou un patient.

Vous m'interrogez en outre sur les éventuelles redondances entre le Prado et les programmes d'accompagnement à domicile. Je ne crois pas que nous soyons dans une configuration d'excès d'accompagnement des parcours de soins. La Cour des comptes a évidemment bien raison de s'inquiéter de risques de redondance, mais c'est moins un excès qu'une insuffisance globale d'accompagnement et de structuration de ces parcours que l'on observe. Je crois que la Cour des comptes a plus spécifiquement porté une interrogation sur l'intervention des branches retraite et maladie pour l'aide au retour à domicile après hospitalisation (ARDH). Nous avons intégré ce point dans nos programmes d'accompagnement. Dès lors, je ne crois pas qu'on puisse parler de redondance.

A mon avis, l'enjeu porte plutôt sur la structuration du côté de la ville, notamment au travers des CPTS. Sont-elles capables de prendre en charge une partie de ce parcours de soins et de cette sortie d'hôpital ? Si c'est le cas, tant mieux, même si l'objectif n'est pas que l'assurance-maladie abandonne ce dispositif d'accompagnement. Avec les CPTS, nous tenons seulement à ce que le parcours entre la ville et l'hôpital soit fluide et qu'il n'y ait plus besoin d'accompagnement en tant que tel. C'est l'un des objectifs que nous leur fixons et l'une des raisons pour lesquelles nous les finançons, y compris sur le sujet « parcours insuffisance cardiaque ». C'est plutôt à ce niveau qu'il nous faut agir collectivement, en déterminant comment nos programmes d'action Prado peuvent continuer à se déployer, comment ils peuvent céder la place un rôle accru des CPTS, dès lors qu'elles auront maillé le territoire, qu'elles se seront vraiment structurées en interne et qu'elles auront la capacité à faire. C'est dans cette optique que nous travaillons. Si nous réussissons, alors je pense que nous aurons oeuvré efficacement pour le parcours de soins des patients.

S'agissant du rôle respectif de l'hôpital public et du secteur privé, nous nous trouvons dans une situation où se mélangent complémentarité et concurrence, et je pense pour ma part que c'est assez fructueux. Nous ne sommes pas totalement dans la concurrence, parce qu'un certain nombre de champs d'action et d'intervention sont davantage en complémentarité qu'en concurrence. Pour autant, il existe parfois aussi une concurrence. Ce mix est assez sain. Nous perdrions beaucoup à faire des choix drastiques, dans un sens ou dans l'autre. Nous avons besoin de l'hôpital public, du secteur privé, comme du secteur privé non lucratif. Tous ont leur histoire et leur champ d'intervention prioritaire. Vous savez que le privé est évidemment plus impliqué sur le MCO et notamment la chirurgie ambulatoire que l'hôpital public. Je pense que ce mix d'interventions est à conserver, en essayant de favoriser les complémentarités. Nous avons vu dans la crise covid qu'elles étaient tout à fait possibles, lorsqu'elles étaient rendues nécessaires voire indispensables, et que les différents modes d'organisation coordonnée doivent être soutenus.

S'agissant de la permanence des soins ambulatoires, vous demandez si les dispositifs que nous avons arrêtés ou que le ministère a arrêté en lien avec nous, sont suffisants ou suffisamment attractifs. C'est évidemment une question délicate. Une hausse de 20 % des forfaits reste assez substantielle. Comme vous le savez, cette activité de permanence des soins reste jugée difficile et prenante par les médecins libéraux, qui n'ont pas souhaité se réinvestir massivement dans cette activité.

Peut-être avez-vous relevé une proposition des représentants des infirmiers libéraux. Il s'agirait que les médecins libéraux ne soient pas les seuls à se déclarer disponibles pour être acteurs de cette permanence des soins, mais aussi les équipes de soins et les infirmiers. C'est une idée à creuser. Il faudra analyser ce qu'elle signifie en termes de prise en charge, de délégation ou de responsabilités. Il me semble en tout cas que cette idée mérite d'être approfondie. Il est évident que nous devons continuer à investir, à la fois pour essayer de faire du service d'accès aux soins en journée une réalité. Nous en sommes encore à un niveau largement expérimental, puisque 22 projets de SAS se déploient actuellement. En tout cas, sans doute faut-il continuer à investir sur une permanence des soins plus efficace, pour diminuer les passages aux urgences. Pour répondre directement à votre question, je pense que c'est un travail qu'il nous faut encore approfondir au cours des prochains mois.

Sur les patients sans médecin traitant, j'ai deux chiffres à partager avec vous. 6 millions de patients n'ont pas de médecin traitant, sachant que 3 de ces 6 millions n'en ont pas du tout. Les 3 millions restant sont ceux dont le médecin traitant est en cessation d'activité. Ces deux chiffres doivent évidemment être pris avec beaucoup de sérieux. Nous actionnons deux leviers à ce sujet.

D'une part, il fait partie des missions prioritaires des CPTS. Derrière les financements de l'assurance maladie se trouve en effet l'idée que la CPTS doit inclure dans son programme d'action la façon d'accompagner les patients sans médecin traitant et de convaincre les médecins de devenir le médecin traitant de ces patients.

S'agissant des assistants médicaux, l'objectif vise précisément à permettre au médecin d'organiser son activité différemment et d'accepter davantage de patients dans sa patientèle, en tant que médecin traitant. Les 2 700 assistants médicaux recrutés permettent la possible inscription de 500 000 patients auprès d'un médecin traitant. Je crois donc que nous faisons oeuvre utile dans ce programme.

Les origines professionnelles des assistants médicaux sont variées. Ce sont parfois d'anciennes secrétaires médicales, parfois d'anciens professionnels de santé. Ils n'ont parfois pas de compétences particulières. Des obligations de formation vont de pair avec les programmes. Elles sont sans doute un peu lourdes par rapport au dispositif, ce qui explique peut-être une partie des freins que l'on rencontre encore. Il en existe deux autres, qui n'appellent d'ailleurs pas de réponse évidente. Le premier tient aux locaux. Nous avons lancé un sondage qualitatif pour savoir pourquoi les médecins n'ont pas recruté d'assistant médical. La première réponse était : « je n'ai pas le local adapté pour accueillir un assistant médical » . Le deuxième sujet, pour résumer, est la peur de l'embauche, si le recrutement ne fonctionne pas au bout de deux ou trois ans, etc.

Ce sont des sujets sur lesquels nous souhaitons revenir avec les médecins lors de la négociation de la future convention médicale, au deuxième semestre 2022. Il est important de tirer le bilan de ce dispositif, sachant que les médecins qui ont fait ce choix en sont extrêmement satisfaits. Ils nous l'ont indiqué. Cela a changé leurs pratiques, en leur apportant un appui considérable. Nous aimerions désormais aller plus vite et plus loin dans le déploiement. Sur la cible de 4 000 assistants médicaux à la fin de l'année 2022, nous en sommes à 2 700 La crise a freiné le mouvement, notamment en 2020. À ce jour, nous enregistrons une cinquantaine de contrats par semaine. Sans doute pourrait-on aller plus loin vis-à-vis de certains médecins, notamment les spécialistes, je pense en particulier aux pédiatres, auprès desquels nous pourrions davantage valoriser cet apport, en le faisant connaître. Beaucoup de médecins ne connaissent pas encore cette possibilité.

S'agissant de l'Ondam hospitalier, il est difficile d'émettre une vision tout à fait définitive. Au cours de la décennie 2010-2019, l'Ondam hospitalier a évolué comme la richesse nationale, ou juste en dessous, ce qui peut témoigner d'une forme de contrainte budgétaire importante, tout en rappelant que l'assurance maladie connaissait en 2010 un déficit de l'ordre de 11 milliards d'euros, ce qui était très significatif, et qu'avant la crise, en 2019 et 2020, nous étions proches de l'équilibre. Il convient donc d'étudier cette décennie à l'aune de cette situation. Sans doute le curseur entre cette contrainte budgétaire et les conditions d'évolution de l'organisation interne de l'hôpital et de son lien avec la ville n'est pas totalement étranger aux tensions que nous connaissons aujourd'hui.

S'agissant de la tarification à l'activité, il est là aussi difficile de répondre de façon extrêmement simple. Je pense qu'un système de tarification de l'hôpital doit être en mesure d'appréhender les différentes activités d'un établissement de santé, de s'adapter à l'évolution de ses charges et de son activité, d'accompagner son dynamisme et de soutenir la qualité des soins. Il existe sans doute beaucoup d'autres items qui s'attachent à cette tarification. Néanmoins, dès lors qu'on arrive à répondre à ces trois préoccupations, je pense qu'on parvient à un système de tarification cohérent. De ce point de vue-là, il faut souligner que le poids de la T2A dans les financements hospitaliers est légèrement supérieur à 50 %, ce qui signifie qu'un peu moins de 50 % correspondent à autre chose que la T2A. Il est utile de le noter. Pour tous ceux qui se souviennent de la dotation globale, je ne suis pas sûr que ce fût un système extrêmement pertinent, y compris pour accompagner les différentes activités hospitalières, voire les hôpitaux les plus dynamiques. C'est donc bien au travers d'un mix de financements que l'on peut répondre aux différents défis. C'est ce que produit notre système aujourd'hui. C'est d'ailleurs ce qui est à l'oeuvre dans les réformes du financement qui sont mises en oeuvre cette année pour la psychiatrie et l'année prochaine pour le SSR, avec un mix de financements qui conjugue des dotations liées à une forme d'activité, à la population et à la qualité. C'est un tel financement, comptant différents leviers, qui répondra aux différentes exigences.

Je terminerai en soulignant que nous disposons d'un système de tarification à l'activité dont la nomenclature est extrêmement fine et assez notoirement plus détaillée que dans d'autres pays. C'est sans doute le génie français à l'oeuvre. Même si la situation n'est pas non plus simple du côté de la nomenclature des actes techniques pilotée par l'assurance maladie, nous avons pu partager avec un certain nombre d'experts le fait que la nomenclature française de la T2A restait tout de même extrêmement détaillée. Peut-être mériterait-elle d'être un peu simplifiée. C'est un chantier compliqué.

M. Bernard Jomier , président . - J'aimerais que nous allions plus loin sur cette question, même si vous avez en partie répondu à la rapporteure. Dans votre introduction, vous avez signalé que le vieillissement de la population faisait partie des facteurs qui poussent au développement de l'activité hospitalière, tout comme le développement des maladies chroniques. Sur cette question du financement de l'activité hospitalière, la nécessité d'un mix est assez largement partagée. En revanche, on entend assez largement le point de vue que le financement à l'activité est adapté pour certains types d'activités, mais qu'il mérite certainement d'évoluer pour les pathologies chroniques ou les parcours complexes. Partagez-vous aussi ce constat ? Si oui, est-ce que vous avez mené des réflexions sur le mode d'emploi à appliquer ? On entend souvent que ce financement n'est pas suffisant et pas adapté à ces situations, mais il reste à écrire le mode d'emploi permettant de le faire évoluer positivement.

Par ailleurs, vous avez dit que nous comptions dans notre pays moins de personnels soignants par lit que la moyenne de l'OCDE. Je voudrais recueillir votre avis sur une initiative lancée dans les hôpitaux d'un État australien, le Queensland, où il a été décidé de prévoir une infirmière pour six patients. Le nombre d'infirmières a été augmenté de façon très importante. L'embauche de 167 infirmières a coûté 33 millions de dollars australiens, mais l'évaluation de cette décision a montré que cela avait permis d'économiser 255 réadmissions et plus de 20 000 journées d'hospitalisation, soit l'équivalent de 67 millions de dollars australiens. L'économie globale s'élève à 34 millions au total, en embauchant massivement du personnel soignant dans les hôpitaux. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

M. Thomas Fatôme . - En premier lieu, il est important de rappeler que le système n'est pas statique au niveau de ses modes de financement. Or il est en train de bouger assez profondément.

En effet, des réformes du financement sont mises en oeuvre pour des champs importants de la prise en charge hospitalière, les soins de psychiatrie d'un côté et les soins de suite et de réadaptation de l'autre. Leur calendrier a dû s'adapter, compte tenu notamment de la crise ou de la complexité de transformer des modes de financement assez profondément, avec ce mix que j'évoquais entre des formes de rémunération qui permettent de prendre en compte l'activité d'établissement, une forme de dotation populationnelle et une forme de financement à la qualité. Je reste succinct à chaque fois. Ce n'est pas exactement la même chose dans ces différentes réformes. Je pourrai bien évidemment y revenir.

Nous participons techniquement à ces travaux, même s'ils sont pilotés par les équipes du ministère. Nous y participons dans l'ingénierie, éventuellement par des études d'impact et dans la mise en oeuvre en aval dans les systèmes d'information. Je pense que ces réformes traduisent bien une évolution des modes de financement de l'hôpital, adaptés aux différentes formes de prise en charge. La T2A paraît adaptée pour certaines activités classiques de MCO, moins pour d'autres activités - on pense aux soins palliatifs mais aussi à d'autres modes de prise en charge. C'est le premier point que je souhaitais citer.

En outre, deuxième point, l'assurance maladie est très investie avec les équipes du ministère dans ce que l'on appelle les expérimentations de l'article 51. Ces expérimentations recouvrent notamment des travaux assez lourds, en construction, sur une tarification à l'épisode de soins pour certaines prises en charge. C'est en particulier le cas en chirurgie (la chirurgie orthopédique et la chirurgie viscérale et digestive), pour construire un mode de financement qui englobe un épisode de soins. Ces travaux très lourds ont été conçus en plusieurs phases. Nous débutons la phase 2, avec une quarantaine d'établissements de santé qui ont commencé à s'engager en octobre 2021 sur un financement effectif à l'épisode de soins. Je crois que c'est assez prometteur comme mode de financement, car il tient mieux compte de ce qui se passe à l'hôpital et de ce qui se passe en ville, avec une appréciation plus adaptée des séquences de soins.

J'en arrive à votre exemple australien. Les comparaisons internationales doivent être étudiées avec beaucoup de prudence, parce que la façon de comptabiliser les éléments peut fortement fluctuer. Nous ne comptons pas nécessairement tous de la même façon le nombre de lits ou même ce qui caractérise l'hôpital ou ce qui caractérise le médico-social. Grosso modo, nous atteignons environ 6 lits pour 1 000 habitants, là où la très grande majorité des pays se situe plutôt entre 2 et 4. Seuls les Allemands et les Japonais sont très au-dessus. Un schéma exactement inverse s'applique ensuite sur le ratio des personnels par rapport au nombre de lits. Ceux qui ont beaucoup de lits ont un ratio de personnel par nombre de lits moins élevé, car les montants finissent par s'égaliser. La France compte ainsi environ 3 ETP par lit d'hospitalisation, là où nos amis belges ou nos amis canadiens en comptent beaucoup plus.

De surcroît, il faudrait aussi étudier un peu plus finement l'historique de l'organisation des systèmes de soins. In fine , je ne saurais affirmer si l'exemple australien doit être suivi. Ce sont des sujets sur lesquels l'assurance maladie dispose de leviers et d'un champ d'action relativement limités. Tout ce que je peux me permettre de dire, c'est que le débat sur le nombre de lits est devenu assez compliqué dans notre pays. En réalité, n'oublions pas que s'il y a moins de lits qu'il y a vingt ans, c'est parce que nous avons fait des progrès techniques.

M. Bernard Jomier , président . - La CNAM dispose de capacités analytiques très importantes. Malgré toutes les limites aux comparaisons, sur lesquelles je vous rejoins, n'avez-vous pas mené d'analyses pour déterminer si augmenter le nombre de personnels soignants ne pouvait pas augmenter la qualité de la prise en charge, qui réduisait la durée d'hospitalisation et des réadmissions. Disposez-vous de données qui vont dans ce sens ?

M. Thomas Fatôme . - Nous disposons de très peu d'éléments sur le fonctionnement interne de l'hôpital, car nous ne les captons pas dans notre système d'information.

Mme Nadia Sollogoub . - Sur les assistants médicaux, j'ai eu un retour de médecins généralistes, qui me disent que les aides pour le financement de ces postes sont maintenues dans le temps sous condition que le nombre de patients augmente. Si on imagine que l'assistant médical permet de dégager plus de temps entre le médecin et son patient, cela ne signifie pas nécessairement qu'il peut prendre plus de patients. Pour ma part, j'habite dans un territoire rural où les médecins généralistes sont au taquet. Je pense qu'une difficulté se pose, parce qu'on a atteint une limite. Je crois que l'une des conditions posée est également de travailler en exercice coordonné, alors que les médecins qui exercent seuls pourraient bénéficier utilement d'un assistant médical.

Je suis élue lui dans le Nord de la Nièvre, sur le secteur de Clamecy. Un certain nombre de médecins généralistes ont émis une proposition pour la permanence des soins en journée, sachant que bien souvent les urgences ne fonctionnent pas dans notre hôpital de proximité, faute de praticiens. Il s'agit de s'organiser en journée pour proposer une permanence des soins, comme il en existe le soir et, chacun à leur tour, de libérer leur agenda et de se rendre disponible pour accueillir toutes les urgences que leurs collègues ne peuvent pas prendre, moyennant un forfait d'urgence. Ce système a donné lieu à une négociation de marchands de tapis avec le directeur général de l'ARS. Je comprends tout à fait. C'est le jeu de la négociation. Pour autant, il s'agit d'une proposition émanant d'un territoire, avec les moyens dont on dispose. Il faut l'écouter, parce que ces médecins ont vraiment besoin d'être entendus. Le directeur général de l'ARS a justement fait remarquer que cette proposition n'entrait pas dans le cadre négocié au niveau national.

Néanmoins, les dispositions arrêtées avec les CPTS sont complexes, apparaissent comme des usines à gaz et semblent totalement illisibles sur le territoire. En revanche, si on explique clairement aux généralistes combien cela leur rapporte de se rendre disponibles une journée, alors ils sont prêts à s'engager. J'aimerais entendre votre retour à ce sujet.

Je rejoins en outre ce que disait Bernard Jomier. Il importe de tout mettre dans la balance. En effet, investir en personnels peut sembler cher, mais aussi apporter d'importantes économies en termes d'engorgement à l'hôpital.

Mme Laurence Cohen . -Autour de la table, nous sommes tous très attachés à la qualité des soins. C'est le sens de nos propositions et de nos questionnements.

Je voudrais vous interroger sur le montant versé pour les visites exécutées en téléconsultation. Lors de nos auditions, SOS Médecins nous a fait état de la situation dans les territoires, c'est-à-dire non seulement un déficit de généralistes, mais en outre le fait que les généralistes ont de plus en plus de difficultés à faire des visites à domicile, pour différentes raisons. Le représentant de SOS Médecins attirait notamment notre attention sur le fait que si les consultations en télémédecine, qui doivent bien évidemment être rémunérées, sont à un tarif trop alléchant, alors les visites à domicile risquent de ne pas se développer, car elles nécessitent beaucoup de temps et d'engagement. La CNAM a-t-elle déjà reçu des retours à ce sujet, qui est nouveau ? Avez-vous des données ?

Par ailleurs, concernant le temps d'hospitalisation, vous avez souligné qu'il était plus court, ce dont on ne peut que se réjouir, du fait des progrès de la médecine ou de la montée de l'ambulatoire. La CNAM dispose-t-elle de retours sur les réadmissions ? L'exemple australien que Bernard Jomier a cité montre bien que la prévention permet des économies à long terme. Or la France reste en retard à ce sujet.

Enfin, je tiens à creuser la piste ouverte par Catherine Deroche. Nous avons constaté qu'il y avait très peu de mécanismes de régulation des dépenses de médecine de ville et que l'Ondam hospitalier a été contraint et sous-exécuté, pour combler le déficit des dépenses de soins de ville. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Mme Raymonde Poncet Monge . - Vous avez évoqué l'évolution de l'Ondam hospitalier de 2010 à 2019, en montrant qu'il avait suivi la richesse nationale, ce qui constituait certainement une contrainte réelle. Qu'en est-il de l'évolution de l'Ondam soins de ville ? Reliez-vous la sous-exécution de l'Ondam hospitalier, qui est tout de même un peu étonnante, au mécanisme de la T2A ? En effet, toute augmentation de l'activité est absorbée, dans le cadre de l'enveloppe fermée de l'Ondam, par la baisse de la valeur des tarifs, entraînant de façon un peu perverse une course à l'activité.

Comment expliquez-vous la sous-exécution, depuis plusieurs années, de l'Ondam hospitalier, sinon sous l'hypothèse d'une compensation de ce que vous ne maîtrisez pas en termes de régulation, à savoir l'augmentation de l'Ondam soins de ville qui, lui, est sur-exécuté ?

Bernard Jomier a souligné qu'il n'était pas question du nombre de lits, mais du nombre de personnes par lit. Vous avez indiqué que la situation française n'était pas exceptionnelle voire plutôt en dessous de la moyenne. Quand on réduit le nombre de lits et que l'hospitalisation partielle augmente, alors on se concentre sur le moment le plus consommateur de soins, juste avant la sortie de la personne. Ne pensez-vous pas que cela devrait augmenter le nombre de personnels par lit, non seulement parce que l'hospitalisation partielle nécessite beaucoup de logistique, mais aussi parce que ça génère un recentrage sur le moment le plus concentré en soins ? Face à cette baisse de lits, pour autant qu'elle soit totalement expliquée par l'ambulatoire et les progrès techniques, il aurait dû y avoir une augmentation tendancielle du nombre de soignants autour de ces lits.

Enfin, la question de la durée moyenne de séjour est valable pour la chirurgie mais pas vraiment et même pas du tout pour la médecine générale. Vous avez en outre évoqué la complémentarité entre le public et le privé, mais n'est-ce pas plutôt une segmentation, avec de nombreux actes réalisés dans le privé qui peuvent s'inscrire dans l'ambulatoire et la baisse des durées moyennes de séjour, alors que le public se concentre sur la médecine générale, qui n'a pas vraiment changé. Pensez-vous que les outils favorisent le privé lucratif, ou plutôt que le lucratif se coule dans les outils et segmente son activité ?

Je terminerai par l'exemple des soins critiques. Je m'étonnais dans l'une des auditions que les soins critiques étaient déficitaires, tant dans le public que dans le privé, et que le privé lucratif continuait à en faire. On m'a répondu que ce n'était pas gênant, car le privé lucratif va ensuite réaliser un acte chirurgical très lucratif. Cela leur permet de rebondir, alors que l'hôpital public rentre en médecine générale après les soins critiques et ne récupère rien du tout. Est-il normal que les deux soins critiques soient également valorisés ?

Mme Jocelyne Guidez . - Vous avez évoqué l'augmentation du recours aux urgences, sans entrer dans le détail. A l'heure actuelle, on construit de plus en plus de maisons médicales ou de maisons de santé, mais les médecins ne font pas de gardes. Comment éviter les urgences, surtout pour de la bobologie ?

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - J'ai une dernière question. Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (HAD), nous a indiqué que la HAD progressait mais doucement. Avez-vous des informations à ce sujet ?

M. Thomas Fatôme . - Je tâcherai d'apporter des éléments de réponse dans l'ordre, même si certains éléments se recoupent.

Dans l'avenant relatif aux assistants médicaux figure bien un engagement visant à ce que les médecins prennent en charge davantage de patients. Il s'agit à la fois de passer potentiellement un peu plus de temps avec certains patients, mais aussi d'assumer une patientèle plus importante. Honnêtement, les retours que nous avons reçus, tant quantitatifs que qualitatifs, témoignent que cela fonctionne. Ce n'est pas parce que nous sommes plus intelligents que les autres ou que nous avons inventé le système. C'est ce qui s'observe dans les autres pays dont les organisations reposent sur des cabinets dans lesquels les médecins comptent autour d'eux davantage de professionnels de santé ou des personnes qui ne sont pas loin d'être des professionnels de santé, pour accompagner leur pratique. Si l'assurance maladie finance cet appui, c'est à la fois par souci de qualité de prise en charge individuelle, mais aussi pour mettre le médecin en situation d'assumer une patientèle plus importante. Je crois que ce qui est devant nous, c'est une organisation des soins de ville, une organisation des cabinets de médecins de ville et une organisation des maisons de santé qui s'appuieront davantage sur une collaboration entre le médecin et les professionnels paramédicaux. C'est typiquement ce qu'on fait avec les psychologues, quand on prend en charge des soins de psychologie. C'est aussi pour aider le médecin traitant à prendre en charge des patients et ne pas le laisser seul. Je pense que c'est de plus en plus une équipe de soins qui se construit. Peut-être que le patient ne verra pas toujours le médecin ou qu'il le verra sur une durée plus courte, ce qui change un peu nos habitudes, du fait de prises en charge plus simples, assurées par d'autres professionnels de santé. C'est là le modèle des infirmières Asalée, un peu le modèle, d'une certaine manière, des IPA libérales, même s'il y a sûrement différents modèles d'IPA. Je propose que Mme Pougheon apporte un complément à ce sujet.

M. Bernard Jomier , président . - Veuillez prêter serment de dire toute la vérité et rien que la vérité. Levez la main droite et dites « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Julie Pougheon prête serment.

Mme Julie Pougheon, directrice de l'offre de soins de la caisse nationale de l'Assurance maladie . -S'agissant des conditions pour obtenir une aide pour l'embauche d'un assistant médical, nous sommes effectivement partis sur le principe que les médecins accompagnés étaient en exercice regroupé, avant même d'être en exercice coordonné. Ce n'est pas nécessairement un médecin isolé, mais plutôt un médecin en exercice regroupé. Il existe néanmoins un certain nombre de dérogations à cette règle, notamment dans les zones sous-denses, où elle ne s'applique pas. Là où il existe des problèmes de démographie médicale, nous avons levé cette exigence.

Par ailleurs, sur l'ensemble des autres zones, des dérogations existent si les médecins ne sont pas regroupés physiquement, c'est-à-dire s'ils n'ont pas un lieu d'exercice commun mais s'ils travaillent dans une logique de coordination, soit parce qu'ils ont des assistants partagés, parce qu'ils partagent le même dispositif de continuité des soins, ou parce qu'ils ont des lieux d'exercice qui sont proches.

La logique que nous essayons de pousser comme dynamique à travers nos différents dispositifs consiste à sortir les médecins de leur exercice isolé. Une fois cette condition remplie, ils doivent prendre l'engagement de s'inscrire dans une démarche d'exercice coordonné, qui n'est pas forcément en place au moment où ils bénéficient de l'aide, mais qui doit se concrétiser dans les deux ans. Là encore, nous appliquons une vision large de la notion d'exercice coordonné, puisque nous couvrons toutes les formes d'exercice coordonné, aussi bien les maisons de santé pluriprofessionnelles que les équipes de soins primaires ou spécialisés, que des formes plus locales, qui pourraient être reconnues par les commissions paritaires qui associent l'assurance maladie et les médecins.

Nous nous inscrivons donc dans une vision large, dans l'objectif de sortir le médecin d'une pratique isolée en cabinet, en continuant à les inciter à s'orienter vers la coordination des soins.

M. Thomas Fatôme . - S'agissant de la permanence des soins en journée, nous tâchons avec le SAS de faire ce que vous décrivez, à savoir proposer un numéro de téléphone disponible en journée pour assurer la régulation médicale. Ce numéro permet notamment aux gens qui n'ont pas de médecin traitant ou qui ne trouvent pas de rendez-vous avec leur médecin traitant de bénéficier d'un point d'appui. Cette régulation médicale permet de déterminer le niveau d'urgence et si une consultation médicale ou une visite est nécessaire, avant de déclencher une « effection », c'est-à-dire une prise de rendez-vous. C'est ce que nous voulons faire dans le cadre du SAS. C'est la raison pour laquelle nous finançons la régulation à hauteur de 90 euros de l'heure, qui est le tarif fixé dans l'avenant n° 9. Nous avons également prévu un financement à l'effection, avec à la fois des forfaits structures versés aux médecins et puis, si aucun rendez-vous n'est trouvé, une rémunération complémentaire de l'ordre de 15 euros, en simplifiant. C'est ce que les ARS essayent de déployer sur le terrain avec notre appui, et qui doit sûrement donner lieu à des adaptations territoriales, parce que cette problématique varie évidemment selon les départements.

Je précise que dans nos relations avec les CPTS, nous sommes assez souples. La CPTS reste libre d'appuyer l'organisation du SAS comme elle le souhaite, grâce aux financements de l'assurance maladie. Nous n'avons pas prescrit de modèle extrêmement précis. Nous tenons seulement à ce qu'il existe une articulation avec le SAS, sans compétition entre les organisations de soins non programmés, sinon l'assuré ne pourra pas s'y retrouver.

L'un de nos seuls points de vigilance es que nous voulons éviter de financer des formes d'astreinte ou de permanence de médecins qui « attendraient le malade ». Je caricature volontairement. Dans cette période difficile de démographie médicale, il est absurde de financer de telles périodes et de stériliser du temps médical, alors que nous avons besoin de temps médical disponible et qu'il s'agit de l'un des éléments que nous voulons pousser. C'est sur ce point que des discussions se tiennent parfois, quand les médecins libéraux demandent que nous rémunérions l'astreinte, y compris si le patient ne se présente pas. Dans la période actuelle, nous préférons les mises en commun d'information ou d'agendas, pour permettre à un régulateur de trouver des rendez-vous, plutôt que d'assigner des périodes d'astreinte à des médecins libéraux en journée. Cela ne nous semble en effet pas complètement adapté.

Madame Cohen, vous avez évoqué les sujets de téléconsultation. Il se trouve que l'avenant n° 9 a tiré les enseignements de la crise sanitaire en simplifiant un certain nombre de règles de prise en charge. La règle qui imposait de rencontrer physiquement la personne avant de pouvoir réaliser une téléconsultation a été supprimée. Les règles des zones sous-denses ont également été adaptées. Le tarif dépend ensuite du secteur d'activité des médecins. Si le médecin est en secteur 2, il peut faire une téléconsultation à son tarif de secteur 2. S'il est en secteur 1, elle sera réalisée au tarif secteur 1. Il faut être tout à fait clair. Les conditions d'exercice des professionnels ne changent pas.

De notre point de vue, la téléconsultation trouve progressivement sa place dans le parcours de soins, mais c'est encore très récent. Les téléconsultations représentent environ 5 % des consultations des médecins généralistes. Avant la crise, il y a deux ans elles représentaient moins de 0,5 %. Le taux reste faible mais n'est pas nul.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Les critères n'étaient pas les mêmes.

M. Thomas Fatôme . - Les pratiques n'étaient pas les mêmes non plus, à la fois du côté des professionnels et des assurés. Il n'y avait pas de réelle connaissance de cette pratique.

Nous avons fixé un cadre conventionnel avec l'avenant n° 9, qui assouplit le dispositif, tout en fixant un certain nombre de critères de qualité. Nous préparons actuellement une charte de la qualité des téléconsultations avec les organisations syndicales, en lien avec le Conseil de l'ordre. Nous prévoyons aussi des verrous et des plafonds. Nous considérons ainsi qu'un médecin libéral ne peut pas réaliser plus de 20 % de son activité en téléconsultation. Nous pensons en effet qu'il faut conserver une part significative d'activité en présentiel, dans un fonctionnement équilibré.

Mme Cohen et Mme Poncet-Monge ont suggéré que l'absence de mécanisme de régulation sur la ville se répercutait de ce fait sur l'Ondam hospitalier. Le sujet est compliqué.

En premier lieu, il existe tout même des mécanismes de régulation, y compris a priori , des soins de ville. Les dispositifs tarifaires que l'assurance-maladie négocie avec les professionnels de santé libéraux n'interviennent ainsi qu'après un délai de six mois après leur signature, ce qui constitue généralement un délai compatible avec la construction de l'Ondam. Il a pu y avoir des périodes dans lesquelles des revalorisations non prises en compte pouvaient impacter l'Ondam. Ces périodes-là sont derrière nous, depuis maintenant un grand nombre d'années. Par ailleurs, si jamais le comité d'alerte était amené à intervenir pour faire état d'un risque de dépassement de l'Ondam supérieur au seuil d'alerte, alors les revalorisations seraient décalées.

Ensuite, il faudrait étudier finement dix années d'Ondam pour vérifier les raisons pour lesquelles les soins de ville sont allés plus vite et les soins hospitaliers sont allés moins vite que prévu. Sur un plan macroéconomique, les écarts restent tout de même minimes. En moyenne, l'Ondam hospitalier de la période 2010-2019 a atteint un taux de 2 % par an et l'Ondam de ville 2,3 % par an, dans un univers où, sur longue période, la bascule progressive des prises en charge de l'hôpital vers la ville est mécanique et naturelle. La réduction des durées de séjour fait qu'il y a davantage de transport sanitaire, davantage de prises en charge en ville, davantage de sages-femmes qui interviennent à la sortie de la maternité et davantage d'infirmiers qui interviennent à domicile, parce que les gens restent moins longtemps à l'hôpital. Cette bascule progressive d'un système hospitalier vers un système où la ville prend davantage de place est assez cohérente. C'est un mouvement que partagent tous les pays développés.

Cela rejoint ensuite la préoccupation de l'engagement que prend le Gouvernement vis-à-vis du Parlement lorsqu'il propose le vote d'un objectif de dépenses d'assurance maladie et les moyens qu'il se donne pour le faire respecter. Avant la crise, le respect de l'Ondam a longtemps été un objectif de crédibilité du Gouvernement sur le pilotage des dépenses d'assurance maladie. Cela ne me semble pas totalement anodin, quand on pense à la masse que représentent les dépenses d'assurance maladie dans le PIB et au regard des enjeux de finances publiques. C'est aussi à regarder à l'aune de ces critères.

Vous m'avez de surcroît interrogé, Madame Poncet-Monge, sur les évolutions du nombre de personnels par lit. Il est intéressant de l'étudier sur longue période. J'ai évoqué le nombre de trois ETP par lit actuellement. Il était de deux au début des années 2000. De fait, cette hausse de 50 % constitue une augmentation significative du nombre de personnels par lit.

Vous m'avez également interrogé sur les réhospitalisations. Cet indicateur est notamment suivi par l'ATIH. Les statistiques attestent d'une certaine forme de stabilité dans le poids des réhospitalisations dans l'activité de MCO. Pour notre part, nous avons fixé comme l'un des objectifs du parcours « insuffisance cardiaque » que j'ai évoqué, notamment dans l'organisation de la sortie d'hospitalisation des insuffisants cardiaques, d'éviter la réhospitalisation. C'est un point qui est bien documenté. La sortie d'hôpital d'un insuffisant cardiaque mal organisée, sans relais du médecin traitant ou d'un infirmier, est en effet un facteur important de réhospitalisation C'est donc l'un des objectifs du programme Prado insuffisance cardiaque.

S'agissant de la HAD, je crains de ne pas avoir de données détaillées sur ce sujet. Nous pourrions vous relayer ces éléments, si nous en avions.

Mme Julie Pougheon - Nous ne disposons effectivement pas de beaucoup de points de comparaison.

Nous savons que nous étions, en 2019 en France, à 6,3 % des hospitalisations de court ou moyen séjour qui correspondent à une HAD. En comparaison avec l'international, il apparaît que nous faisons partie des pays qui ont choisi de ne pas restreindre le champ d'intervention de la HAD, soit à certains territoires, soit à certaines pathologies, mais de l'ouvrir largement. C'est aussi le cas, sauf erreur, de l'Australie et de l'Espagne, alors que certains autres pays ont plutôt fait le choix de cibler la HAD sur certaines pathologies ou certains territoires. Nous affichons donc plutôt une politique favorable à la HAD, en comparaison avec les autres pays, mais nous ne disposons guère de données pour nous situer.

M. Bernard Jomier , président . - Il y a donc une politique favorable, mais un taux qui reste faible, malgré tout, en comparaison avec les autres pays. Peut-être existe-t-il des freins culturels ou au niveau de l'organisation. Je pense que c'était le sens de la question de la rapporteure.

Merci, Monsieur le directeur général, pour vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de Mme Katia Julienne, directrice générale de l'offre de soins du ministère des solidarités et de la santé

(jeudi 17 février 2022)

M. Bernard Jomier , président. - Chers collègues, nous recevons ce matin Mme Katia Julienne, directrice générale de l'offre de soins au ministère des solidarités et de la santé.

Nous arrivons au terme des auditions de notre commission d'enquête - nous recevrons le ministre M. Olivier Véran jeudi prochain - et nous avons entendu depuis le mois de décembre de nombreux acteurs du système de santé, hospitaliers ou non.

Ils nous ont livré leur appréciation sur les difficultés actuelles de l'hôpital et sur les facteurs - propres à l'hôpital ou parfois extérieurs - ayant conduit à de très fortes tensions que la crise sanitaire a bien entendu aggravées. Nous avons notamment évoqué la fragilisation des ressources humaines hospitalières, la question du mode de régulation budgétaire et de son adéquation à la fonction que remplit l'hôpital dans notre système de santé, à savoir répondre aux besoins des patients qui s'adressent à lui, bien souvent parce qu'il est le seul à pouvoir les prendre en charge. Nos interlocuteurs ont également largement souligné la nécessité, à l'échelle de chaque territoire, de véritablement coordonner la prise en charge des patients de sorte que le recours à l'hôpital soit plus pertinent et mieux préparé en amont et en aval.

Tous ces sujets sont évidemment au coeur de la responsabilité de la DGOS. Je vous remercie, Madame la directrice générale de votre présence aujourd'hui.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Katia Julienne prête serment.

M. Bernard Jomier , président . - Madame la rapporteure, vous avez la parole.

Mme Catherine Deroche , rapporteure. - Madame la directrice générale, comme l'a indiqué le président Bernard Jomier, toutes les problématiques liées au fonctionnement de l'hôpital et à son rôle dans notre système de soins ont été évoquées depuis le début des travaux de notre commission d'enquête.

À l'automne 2019, l'hôpital se trouvait dans une situation telle qu'un plan d'urgence était annoncé par le Gouvernement. La crise sanitaire a débuté quelques semaines plus tard. Depuis deux ans, l'hôpital a certes démontré sa résilience, mais les cinq vagues successives survenant dans une situation déjà tendue ont entraîné des conséquences profondes et sans doute durables. Bernard Jomier l'a évoqué, l'état des ressources humaines, médicales et surtout paramédicales est très préoccupant, avec des départs, des difficultés de recrutement, un impact sur les capacités hospitalières alors que les retards liés aux déprogrammations se sont accumulés. C'est un premier point sur lequel nous souhaitons vous entendre.

La crise a également mis en suspens la mécanique du financement de l'hôpital, que ce soit la régulation de l'Ondam hospitalier ou l'ajustement des tarifs. Mais il paraît difficile, une fois la crise surmontée, de revenir purement et simplement aux pratiques antérieures, sans tenir compte de la réalité des besoins de santé et de l'aspiration des équipes hospitalières à davantage d'autonomie. C'est un deuxième sujet de préoccupation.

Enfin, nous souhaitons également aborder avec vous les modalités concrètes d'amélioration des parcours, d'accès à des soins non programmés hors de l'hôpital et de coopération avec la médecine de ville. Beaucoup d'outils existent, mais le chantier paraît encore largement devant nous.

M. Bernard Jomier , président. - Madame la directrice générale, vous avez la parole. La rapporteure et nos collègues présents et à distance formuleront ensuite leurs questions.

Mme Katia Julienne, directrice générale de l'offre de soins au ministère des solidarités et de la santé. - Je vous remercie de m'accueillir dans le cadre de cette audition.

En 2019, avant la crise du covid, l'hôpital et le système de santé étaient déjà confrontés à trois types de difficultés.

La première concerne la nécessité d'adapter le système de santé à une évolution des besoins de santé de la population (vieillissement démographique, développement des pathologies chroniques), mais également au souhait légitime des patients d'être pris en charge de manière moins fréquente et moins durable au sein des établissements de santé et davantage à domicile. Cela implique de questionner la place de l'hôpital, des soins ambulatoires et du médico-social.

La deuxième difficulté, intrinsèque à l'hôpital, mise en exergue par le plan « investir pour l'hôpital » en 2019, renvoie à l'attractivité insuffisante du métier de soignants, au manque de reconnaissance pour les métiers du soin, à une vétusté des équipements avec leur impact sur les conditions de travail, et aux financements encore trop centrés sur l'activité.

Troisièmement, la crise du covid est intervenue. Je salue la résilience de notre système de santé, que nous devons en premier lieu à l'ensemble de nos professionnels, de santé mais pas seulement, qui y ont concouru. Si l'hôpital a été fortement impacté, l'ambulatoire et le médico-social ont également joué un rôle important. La crise a représenté un accélérateur d'évolution sur certains sujets (service d'accès aux soins - SAS - et télémédecine), mais a aussi exacerbé des tensions. Nous sommes en effet confrontés à trois enjeux majeurs.

La réorganisation de notre système de santé constitue le premier enjeu majeur. Nous avons besoin d'améliorer la fluidité des parcours, à travers le dispositif du SAS, qui permet de désengorger les urgences et de s'occuper des patients pour lesquels existent des besoins de prise en charge des soins non programmés. Le dispositif fait l'objet d'expérimentations sur dix-neuf sites pilotes. Je fonde beaucoup d'espoirs dans ce dispositif et dans son déploiement. Par ailleurs, la télémédecine a fortement évolué pendant la crise. Elle doit cependant être renforcée et prendre sa place sans pour autant se substituer aux visites à domicile et aux consultations. La télésurveillance constitue un autre enjeu pour la télémédecine, notamment pour certaines pathologies chroniques. Deux dispositifs complémentaires, les centres de santé et les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), permettent à des professionnels de choisir leur mode d'exercice - salarié ou libéral - et d'exercer en collectif et en ambulatoire. On compte plus de 2 000 maisons de santé. Cet effort pourra se poursuivre. De plus, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) permettent de mieux structurer l'organisation en ambulatoire, en lien avec l'hôpital. Nous croyons également beaucoup dans le dispositif des contrats locaux de santé.

Le deuxième enjeu concerne l'attractivité pour les professionnels de santé. Premièrement, nous devons travailler à faire évoluer les compétences des professionnels. À titre d'exemple, les infirmiers en pratique avancée (IPA) sont encore insuffisants et ne sont présents que dans quelques secteurs d'activité. De toute évidence, le deuxième volet concerne la rémunération. Le Ségur a permis d'injecter des revalorisations salariales massives - près de 10 milliards d'euros - qui ont permis d'augmenter les salaires et de revaloriser les primes et les gardes. Troisièmement, la qualité de vie au travail et l'organisation interne de l'hôpital constituent des sujets plus complexes. Bien qu'un certain nombre de dispositions relèvent de l'encadrement juridique, les faits montrent que des évolutions d'organisations au sein des hôpitaux permettent tout aussi bien d'améliorer l'organisation interne de l'hôpital.

Enfin, un volet très important concerne la démographie. Les estimations de l'observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) montrent que nous devons viser un objectif de progression des personnels médicaux de l'ordre de + 14 % en moyenne sur les cinq prochaines années. Nous devrons organiser notre système de santé en fonction et prendre en charge les soins des patients. L'enjeu démographique concerne également les paramédicaux, sur lesquels la crise a laissé des marques (difficultés de recrutement, abandon des instituts de formation en soins infirmiers - IFSI - par les étudiants). Certains ont quitté l'hôpital dans des proportions encore difficilement mesurables. Les établissements remontent de réelles difficultés.

Le troisième et dernier enjeu concerne les questions financières. La T2A (tarification à l'activité) occupe une place trop importante. Nous devons reprendre la réforme du financement de nos segments d'activité, qui a été retardée par la crise du covid. La réforme du financement des urgences et de la psychiatrie est déjà engagée. La réforme de l'activité de soins de suite et de réadaptation (SSR) est programmée pour 2023. Les travaux sur la réforme du financement des soins critiques doivent commencer. La demande des acteurs est forte. Les financements de l'activité dans une part plus réduite, ainsi que la responsabilité populationnelle, sous forme de dotations spécifiques, permettront de sécuriser le financement de ces segments d'activité, à l'aide d'indicateurs de qualité. L'investissement constitue également un sujet important. Le gouvernement a injecté un montant extrêmement important dans des projets de santé, dans une logique davantage territoriale et globale. La fin du comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers (Copermo) marque une évolution culturelle très forte. L'année passée, l'enveloppe de 650 millions d'euros pour les investissements du quotidien a également permis de solutionner des questions moins coûteuses mais tout aussi fondamentales pour la qualité de vie de professionnels de santé dans les établissements.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je vous remercie pour cette présentation très synthétique. Je partage votre propos concernant l'exercice coordonné des outils évoqués (CPTS, contrats locaux de santé, centres de santé, MSP).

Concernant la permanence des soins, quels sont, selon vous, les moyens disponibles afin de renforcer le SAS, notamment avec la participation de médecins, qu'ils exercent dans des MSP ou dans des centres de santé ?

Par ailleurs, nous avons hier évoqué le sujet des assistants médicaux avec le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). Ces derniers libèrent du temps médical pour les médecins. La question de leur formation a été soulevée. Celle-ci est souvent très longue, parfois surdimensionnée par rapport aux tâches demandées. Pouvez-vous nous faire part de vos réflexions sur ce sujet ?

La tension sur les effectifs est évidente. Disposez-vous de chiffres concrets concernant l'évolution des ratios de prise en charge selon les spécialités ? Les normes d'effectifs avaient été établies à une période où les rotations de patients étaient moindres. Nous ressentons un manque d'effectifs dans certains secteurs.

S'agissant des vacances de postes, quelle est la part de supervision assurée par les agences régionales de santé et la DGOS ? De quelle manière le ministère prend-il connaissance du nombre de lits effectivement armés par rapport aux capacités théoriques ?

Concernant des financements de l'hôpital, vous avez souligné l'équilibre nécessaire à trouver entre le financement de l'activité et les autres types de ressources des hôpitaux. Cependant, la fixation des tarifs à l'activité tient assez peu compte des besoins en investissement des services pour la prise en charge du patient. Nous souhaitons entendre vos réflexions sur ce point.

Le plan d'investissement lancé fin 2019 s'élevait à 13 milliards d'euros sur 3 ans. Le Ségur de la santé s'étale-t-il bien sur 10 ans et quelle somme représente-t-il ?

Vous avez mentionné un nouveau modèle de financement avec, entre autres, la T2A. Est-ce à enveloppe constante ? Les besoins réels des établissements sont-ils pris en compte ? Est-ce lisible de multiplier les modèles de financement ?

Mme Katia Julienne. - Concernant la permanence des soins, je crois beaucoup en les vertus du SAS car nous rencontrons des difficultés de permanence des soins et un engorgement des urgences également en journée. De plus, le SAS est très bien accepté par les urgentistes et les médecins généralistes qui travaillent ensemble dans une gouvernance équilibrée. Ce dispositif permet par ailleurs de rassurer le patient et de déterminer ce qui est du ressort de l'urgence hospitalière et non hospitalière. Combiné au développement des MSP et des centres de santé, le SAS nous permettra d'absorber un besoin de santé croissant. Une étude l'Irdes a montré que les MSP ont une capacité d'augmentation de la taille de leur patientèle. Enfin, le SAS présente un intérêt en psychiatrie : 5 SAS sur 19 ont développé cette filière.

Le sujet des ratios est extrêmement compliqué puisque peu de textes comportent des ratios obligatoires. Les ratios sont davantage des maquettes organisationnelles au sein des établissements de santé. Toutefois, la fixation des ratios dans les textes devrait se limiter à quelques spécialités (maternité, soins critiques). Ce qui n'omet pas la réflexion nécessaire à mener sur le bon niveau d'effectifs qui permet d'absorber la charge des patients dans les différentes spécialités.

M. Bernard Jomier , président . - Nous entendons votre réponse, mais ce ratio ne doit alors pas être fixé de manière détournée par des mesures comme celles prises par le Copermo dans les projets de rénovation. Dans ce cas, on aboutit non pas à des ratios réglementaires, mais à des ratios provenant d'objectifs financiers qui visent à maîtriser la masse salariale. L'intention doit être clarifiée.

Mme Katia Julienne. - Concernant les données chiffrées, nous ne disposons pas de système d'information qui remonte automatiquement le nombre de postes vacants. Nous disposons d'enquêtes ad hoc auprès des établissements (lits fermés, vacances de postes). Quant aux enquêtes annuelles de la Drees, elles permettent d'établir, via la statistique annuelle des établissements (SAE), un bilan statistique et documenté des effectifs.

La question de l'évolution des effectifs constitue en effet un point fondamental, compte tenu de l'aspiration des professionnels d'articuler leur vie professionnelle et familiale. Cela renvoie à la question du financement de la masse salariale, qui représente une part importante des dépenses de l'assurance maladie.

Concernant les nouveaux modèles de financement, la T2A fait l'objet de nombreuses critiques du fait du niveau de ses tarifs (arbitrage prix/volume) et qu'elle complexifie encore le système de tarification français. Les réformes de financement doivent donc conduire à la simplification, d'où l'importance de celle concernant la maternité. Toutefois, il faut distinguer une modalité de financement et un niveau de financement. Malgré des crédits croissants, l'ensemble reste dépendant du niveau de l'Ondam, qui est voté. Nous veillons à obtenir des crédits qui permettent d'accompagner les impacts financiers de ces réformes dans le temps, pour éviter que les établissements soient perdants dans des proportions non soutenables.

Concernant la formation des assistants médicaux, la CNAM sera mieux disposée à répondre.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Concernant les ratios, l'exemple du CHU de Nancy montre que le Copermo avait conditionné l'aide de l'État à la suppression de 175 lits et de 600 postes. Bien que le Gouvernement ait annoncé en mars 2021 un maintien des lits et de 300 postes, ce ratio avait était imposé par le Copermo. Or l'une des difficultés subie par le personnel est cette tension sur les effectifs, de laquelle découlent de moins bonnes liaisons entre les équipes, et un épuisement des soignants.

Mme Katia Julienne. - C'est pourquoi nous avons décidé de modifier le mode de gestion de l'investissement. Le Gouvernement a mis fin au Copermo tel qu'il existait, car vos critiques étaient largement partagées par les différents acteurs.

Dans le cadre du Ségur, dont les investissements atteignent 15 milliards d'euros pour le sanitaire, il a été décidé de revoir en profondeur la gouvernance, pour qu'elle ne soit plus axée sur des critères strictement financiers. Le Conseil national pour les investissements en santé (CNIS) a ainsi été doté d'un conseil scientifique qui travaille sur des référentiels médicaux et territoriaux afin de soutenir les décisions d'investissement et d'accompagner le processus de déconcentration des décisions vers les régions, pour les investissements inférieurs à un certain montant.

M. Bernard Jomier , président. - Vous soulignez la nécessité d'adopter une logique d'analyse des besoins en santé. Le code de la santé publique confie aux ARS ce rôle d'évaluation des besoins en santé sur les territoires. Les différentes auditions menées jusqu'alors ont révélé que les acteurs de santé et élus locaux ne comprennent pas le processus d'élaboration de ces décisions, entre le recensement des besoins en santé et les arbitrages. Ce n'est en tous cas pas au Parlement que cela se passe. Les chiffres de l'Ondam nous parviennent quelques jours avant la délibération et ne sont fondés sur aucune analyse d'objectifs en santé publique dans les territoires.

Par ailleurs, les fermetures des services d'urgence et des maternités constituent des sujets récurrents, auxquels nous n'obtenons toujours pas de réponse claire. Selon la DGOS, quel serait le temps de trajet maximal acceptable entre le lieu de vie et une maternité ou un service d'urgence ?

Mme Katia Julienne . - Tout d'abord, l'analyse du besoin de santé pour l'organisation territoriale de l'offre de soins, renvoie aux autorisations et au schéma régional d'organisation que les ARS élaborent régulièrement ; ce sera le cas en 2023. Ce point rejoint votre deuxième question sur les maternités. Par ailleurs, s'agissant de l'investissement, le conseil scientifique du CNIS travaille sur les référentiels qui aideront les ARS à procéder une analyse territoriale, qui sous-tend le besoin auquel répond l'investissement d'un établissement sur un territoire. Chaque ARS travaille ensuite à partir de cette analyse des besoins afin de réaliser les schémas régionaux d'organisation de santé (SROS) et c'est sur cette base que sont délivrées les autorisations.

M. Bernard Jomier , président . - Les ARS travaillent isolément. Est-ce souhaitable ?

Mme Katia Julienne . - J'ignore la manière dont travaillent concrètement les ARS avec les uns et les autres pour l'élaboration de ces schémas. En revanche, les SROS sont indispensables pour que les ARS puissent mettre en oeuvre les autorisations. Les prochains schémas, prévus pour 2023, appliqueront l'ensemble des révisions des décrets d'autorisations en cours d'élaboration.

M. Bernard Jomier , président . - Vous êtes directrice de la DGOS, mais vous n'êtes pas en mesure de décrire le travail des ARS. Or les élus l'ignorent également. Peut-on interpréter cela comme un problème dans le partage de l'évaluation et de la décision sur la construction des choix budgétaires ? Vous n'êtes pas en situation de décrire le mode de travail des ARS et les élus ne le sont pas non plus

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Le SROS est-il l'émanation du projet régional de santé (PRS) ?

M. Bernard Jomier , président . - Pas nécessairement.

Mme Katia Julienne . - Le rôle de l'administration centrale consiste à construire des outils juridiques en matière d'autorisation d'organisation des soins et des outils financiers que les ARS peuvent ensuite décliner. Notre rôle est seulement de fournir une boîte à outils.

S'agissant des maternités, nous préparons un décret d'autorisation. Le temps de trajet vers les maternités peut varier d'un territoire à l'autre. Le rôle de l'administration centrale n'est pas d'imposer des règles uniformes sur tous les territoires, mais de construire des obligations minimales indispensables, puis de fournir les outils aux ARS, qui ont ensuite la liberté de les moduler. Nous avons de plus créé l'engagement maternité, qui permet la prise en charge des transports et des hôtels hospitaliers pour les femmes. De nouveau, les ARS sont en charge de déployer cet outil sur les territoires.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - J'entends votre argument d'adaptation territoriale. Mais s'agissant des maternités, la notion de temps est universelle. La DGOS est bien la direction de l'organisation des soins et les ARS sont en charge de mettre la politique de santé en application sur les territoires. Toutefois, la notion de projet de santé d'un territoire suppose nécessairement l'organisation des soins. Mais je n'insisterai pas davantage sur ce point.

Mme Laurence Cohen . - Je vous remercie, Madame, pour vos propos introductifs.

Concernant la démographie médicale, vous avez indiqué qu'il fallait attendre l'échéance de 2030 afin obtenir une démographie pouvant répondre aux besoins de santé, soit une hausse de 14 % des effectifs sur les cinq prochaines années, pouvez-vous confirmer cette information ?

Ma première question concerne les paramédicaux. Je souhaiterais davantage de précisions à ce sujet. Je suis étonnée que la DGOS ne disposent pas de chiffres exacts sur le déficit des paramédicaux, infirmiers, orthophonistes et autres professionnels.

Ma deuxième question revient sur les financements. Je partage le constat que la T2A a pris une trop grande place. Toutefois, je suis très dubitative concernant l'exemple que vous avez évoqué, celui de la psychiatrie. Votre proposition d'appliquer la T2A à la psychiatrie, alors que ce service y échappait jusqu'alors, me semble contradictoire. Concernant les maternités, les abus inhérents à la T2A sont évidents. Un certain nombre d'établissements affichaient un taux de césarienne très élevé, ce qui révèle un abus de pratique de ces tarifs. Pouvez-vous nous apporter plus de précisions ?

Par ailleurs, je note une contradiction concernant le temps de trajet minimum par rapport aux établissements de santé et de soins. Vous apportez de nouveau l'exemple des maternités avec la prise en charge des transports et des hôtels hospitaliers. On supprime donc des établissements de proximité qui semblent mieux répondre aux besoins, sous prétexte d'économies, tout en engageant ces nouvelles dépenses.

Les économistes de la santé ont d'ailleurs remis en cause la question du point flottant au niveau de la T2A, qui a mon sens devrait être supprimée.

Enfin, vous annoncez une révision à venir de la gouvernance et des référentiels. J'estime que nous devrions conférer davantage d'autonomie aux établissements, qui ont réellement la maitrise de la réponse aux besoins en termes de santé des populations sur les territoires. Les directeurs d'ARS sont des préfets qui prennent leurs ordres au niveau du ministère, ce qui donne l'impression d'un cloisonnement de l'administration. Au moindre problème, on crée une nouvelle agence, ce qui n'aboutit en rien à la fluidité souhaitée. Si vous souhaitez réellement remanier la gouvernance, conférez du pouvoir aux acteurs de terrain et aux établissements en lien avec les élus.

M. Jean Sol . - Madame la directrice générale, je souhaitais entendre votre avis sur la formation des infirmiers, qui ne me semble plus adaptée, et surtout sur la sélection des candidats en parcours supérieur. Je suis personnellement convaincu que la formation n'est pas adaptée au quotidien réel des jeunes infirmiers qui prennent leurs fonctions dans des établissements de santé, qu'ils soient publics ou privés.

Vous évoquiez l'importance de développer la profession des infirmiers en pratique avancée (IPA). Toutefois, la situation de terrain est très éloignée de ces déclarations d'intentions. Après deux ans d'études, ceux-ci peinent à trouver un poste en lien avec leur formation et leur rémunération est peu motivante. Il manque des arrêtés fixant les contours de leur exercice professionnel, notamment au service des urgences et en gériatrie.

L'absentéisme au sein des établissements de santé est particulièrement préoccupant. Le moment n'est-il pas venu de s'intéresser à la question et d'imaginer des solutions afin d'encourager les agents concernés à réinvestir leur poste ?

Pour quelles raisons les outils de mesure de la charge en soin ne sont-ils pas généralisés au niveau des établissements ? À mon sens, cela permettrait de mettre en adéquation les effectifs à l'activité et à la charge de travail dont souffrent nos professionnels de santé.

Mme Katia Julienne . - Concernant la démographie médicale, les travaux de l'ONDPS et de la Drees, présentés l'année dernière, ont en effet indiqué un creux pour les professions médicales jusqu'en 2030, puis d'une remontée de la démographie ensuite. Ils font également état d'une projection d'un besoin de développement des formations médicales de + 14 % en effectifs au cours des cinq prochaines années. Ces chiffres augurent des difficultés de prise en charge médicale et d'une nécessité d'adapter notre organisation pour y faire face.

S'agissant des personnels non-médicaux (PNM), nous recevons des chiffres réguliers de la Drees (nombre d'effectifs par établissements, par catégorie d'établissement, par catégorie de professionnels). En revanche, nous ne disposons pas de système d'information nous permettant de déduire le nombre de postes vacants d'où la mise en place d'enquêtes en lien avec les établissements de santé et leurs représentants. Bien que le nombre d'effectifs de PNM ait progressé, nous avons décidé d'augmenter le nombre de quotas de formations en IFSI en 2020, 2021, et 2022. Il serait utile de conduire des travaux pour les PNM similaires à ceux sur les personnels médicaux.

Il est vrai que la réforme du financement de la psychiatrie a introduit une part de financement d'activité pour le secteur public. Or ce n'était pas le cas pour le secteur privé. En psychiatrie, comme en SSR, deux modes de tarifications très différents existaient. Dorénavant, les différents compartiments de financement seront identiques dans le public et dans le privé (lucratif ou non lucratif). Je partage votre opinion selon laquelle la T2A n'est pas nécessairement adaptée à la maternité, son financement doit évoluer. Ces travaux ne sont pas encore engagés mais ils sont nécessaires.

S'agissant de la gouvernance, le niveau de décision doit en effet se rapprocher du terrain. À titre d'exemple, le relèvement des heures supplémentaires pour l'AP-HP était auparavant décidé au niveau de la DGOS. Les textes ont évolué afin que ces décisions ne relèvent plus de cette dernière. De plus, les autorisations exceptionnelles d'activité auxquelles nous avons recouru au cours des deux dernières années, ont également fait l'objet d'assouplissements. De même, la réforme des financements des compétences des ARS accroît les compétences de celles-ci. Je suis convaincue qu'il nous faut aller dans ce sens d'un transfert des compétences.

Par ailleurs, des travaux doivent en effet être engagés sur la formation des infirmiers diplômés d'État (IDE) et des IPA. Les représentants des IPA nous ont fait part des difficultés rencontrées. Nous travaillons actuellement avec eux en hôpital et en ambulatoire pour développer, déployer et accompagner le fonctionnement des IPA.

L'outil de mesure de charge en soins est intéressant s'il demeure à la main des établissements. Je ne suis pas favorable à en faire un outil national.

M. Bernard Jomier , président . - Vous avez tracé les perspectives de décentralisation et de renvoi d'un certain nombre de décisions vers les ARS. Depuis une vingtaine d'années, les lois se sont succédé, dont la dernière significative en date - la loi HPST - porte sur les instances de démocratie sanitaire. Nous avons constaté que ces dernières avaient été largement absentes pendant la crise du covid. Quel est votre regard sur la place, le rôle et le fonctionnement de ces instances ? Faut-il les modifier, les supprimer, les renforcer ? Leur rôle semble uniquement consultatif et la question de leur efficience se pose donc.

Mme Katia Julienne . - Je n'ai aucun doute sur la nécessité de les renforcer. Les résultats d'une étude Pantere (pandémie, territoire et éthique), financée par la DGOS, ont démontré l'utilité de nos espaces éthiques régionaux pour les professionnels. Il faut donc élargir ces structures aux patients et à leurs familles et renforcer leur place dans les instances ainsi que dans les travaux. À titre d'exemple, nous suivons très régulièrement le déploiement du SAS avec les représentants des urgentistes et des médecins généralistes, mais aussi des associations de patients, bien qu'aucun texte ne l'oblige. Autre exemple, la commission nationale de psychiatrie comporte une représentation très forte des associations de patients et de leurs familles. Leur participation doit devenir systématique, une habitude de travail permanente.

Mme Catherine Deroche , rapporteure . - Je vous invite, pour l'audition, à bien vouloir compléter vos propos par des chiffres et des réponses très précises.

S'agissant de la connaissance de la situation actuelle, vous nous parlez d'études sur le nombre de praticiens, sur les personnels non médicaux, etc. Je trouve étonnant, dans un pays comme le nôtre, que l'on ne sache pas quel est le niveau du personnel manquant, le flux des personnels, l'insertion professionnelle des jeunes médecins diplômés. Un tableau de bord contenant ces indicateurs devrait être régulièrement actualisé sans devoir nécessairement passer par des enquêtes spécifiques. Cela paraît un peu ubuesque. Comment se fait-il que la DGOS ne puisse pas disposer de tableaux de bord actualisés du nombre de personnels disponibles sur le terrain ?

Mme Katia Julienne. - Nous ne sommes tout de même pas dépourvus d'outils. Les travaux statistiques de la Drees sont conséquents et riches en données. Nous disposons également des enquêtes ad hoc et nous sommes en lien permanent avec les ARS, les fédérations, les conférences hospitalières et les syndicats. Ce sont des relais avec lesquels nous travaillons.

Par ailleurs, nous menons un chantier numérique de taille, qui implique l'amélioration des systèmes d'information, des remontées de données, mais aussi de la simplification pour le quotidien des professionnels administratifs et soignants. De plus, ce chantier inclut le développement d'outils de monitoring et de reporting de la qualité des soins.

Mme Raymonde Poncet Monge . - Le ministre de la santé, à la suite des indications données par le professeur Jean-François Delfraissy, a diligenté une enquête concernant le pourcentage de lits fermés temporairement à cause de la vacance de personnels. Le chiffre de 20 %, avait été contesté par la Fédération hospitalière de France. Quels sont les retours sur cette enquête.

Mme Katia Julienne. - Les résultats de cette enquête, que nous pouvons vous communiquer, sont inférieurs à ceux mis en exergue. Certains auditionnés avaient souligné la nature évolutive de ce chiffre, qui ne faisait qu'indiquer une situation à un instant t.

M. Bernard Jomier , président . - Cette audition est terminée. Nous vous remercions, Madame la directrice générale. Nous nous retrouverons le jeudi 24 février à 14 heures pour l'audition de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Olivier Véran,
ministre des solidarités et de la santé

(jeudi 24 février 2022)

M. Bernard Jomier , président . - Nous accueillons M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. L'hôpital a abordé la pandémie, alors qu'il était déjà fragilisé. Votre prédécesseur avait d'ailleurs fait adopter un plan d'urgence. Au fil des nombreuses auditions, nous avons pu constater à quel point ces fragilités avaient été accentuées, mais elles étaient préexistantes à la crise sanitaire.

Ces fragilités proviennent à la fois de l'hôpital lui-même, de ses moyens humains et financiers, de son organisation et de sa gouvernance, mais aussi de notre système de santé. Elles tiennent aussi aux conditions d'accès aux soins et aux parcours de soins entre la ville et l'hôpital, parfois complexes.

Nous avons entendu les institutions de santé, les acteurs du soin et les élus. Arrivés au terme de ces auditions, nous souhaitons aborder ces points avec vous et avoir votre vision de l'avenir de l'hôpital.

Comme vous témoignez devant une commission d'enquête, je vous rappelle qu'un faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14, 434-15 du code pénal. Je vous invite à dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier Véran prête serment.

M. Bernard Jomier , président . - Je vous remercie Monsieur le ministre. Madame la rapporteure, vous avez la parole.

Mme Catherine Deroche , rapporteure. - Je vous remercie pour votre présence, Monsieur le ministre. Après deux mois d'échanges, et après avoir reçu une grande variété d'acteurs, plusieurs thèmes importants émergent. Le premier thème est celui de l'état des ressources humaines. Ce point était déjà sensible avant la crise. Or la situation ne s'est pas améliorée, notamment pour le personnel paramédical. L'inquiétude reste forte, du fait de fortes difficultés de recrutement, ce qui impacte les capacités hospitalières et suscite des interrogations sur l'avenir lorsqu'on constate des abandons en cours d'étude.

La deuxième série d'interrogations porte sur le fonctionnement de l'hôpital, une fois la crise franchie : allons-nous revenir aux pratiques antérieures ou repartir sur des bases différentes ? Qu'en est-il de la marge d'autonomie laissée aux équipes et des modalités de financement, et leur articulation avec les finalités de soin ?

Enfin, un large consensus s'est manifesté sur la nécessité de renforcer la relation entre la ville et l'hôpital et de mieux coordonner le parcours entre l'hôpital et la médecine de ville, qui souffre également. Sur le terrain, les acteurs semblent prêts. Le foisonnement des outils et l'implication sont toutefois inégaux sur le terrain, ce qui rend difficile l'atteinte des objectifs affichés.

M. Bernard Jomier , président . - Nous vous écoutons, Monsieur le ministre, pour votre exposé introductif.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé . - Monsieur le président, Madame la rapporteure, mesdames et messieurs les sénateurs, vous m'invitez à faire un point sur la situation hospitalière, qui me préoccupe. J'ai toutefois la prétention d'en comprendre de nombreux tenants et aboutissants.

Si nous ne découvrons pas les problèmes à l'hôpital, la crise sanitaire a démontré plusieurs choses. En premier lieu, les problèmes sont aigus et chroniques, mais l'hôpital est capable de réagir et a conservé suffisamment de capacités de réaction pour faire face à l'impensable. J'en veux pour preuve le dédoublement des lits de réanimation et l'organisation des lits de rééducation. L'hôpital, bien qu'en difficulté sur le plan financier, après près de vingt ans de politique de réduction budgétaire, est un outil incroyable, grâce à ses soignants, que j'ai appelés Hussards blancs de la République. Ils ont réussi à tenir vague après vague. Les capacités en termes de lits ont augmenté progressivement. Après deux années de pandémie, il apparaît que l'hôpital a fait front. En France, nous n'avons pas vu certaines scènes observées dans d'autres pays dotés de systèmes sanitaires modernes, comme l'Italie. En outre-mer, confronté à une vague estivale particulièrement intense, des milliers de renforts ont été sollicités pour soutenir les équipes sur place. Le nombre de lits intensifs a été multiplié par quatre, cinq, voire six, sur place, en dépit de conditions très difficiles. Le premier enseignement est donc que l'hôpital a tenu.

Ayant dit cela, j'ai évoqué une politique de réduction budgétaire et de contraintes sur l'hôpital. Ce propos reposait sur deux constats. En premier lieu, les dépenses de santé prenaient une part croissante du PIB. Une politique de maîtrise médicalisée a donc été mise en place, avec l'instauration du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), pour quantifier les actes à l'hôpital, comparer la durée moyenne des séjours, évaluer les prises en charge hospitalières, afin de sortir d'un système de dotation globale qui ne tenait pas compte de la réalité de l'activité de l'établissement.

Deuxièmement, face à ce qu'ils percevaient comme de l'hospitalo-centrisme, pas forcément à mauvais titre, de nombreuses responsables politiques ont considéré que la médecine de ville devait prendre plus de place et prendre en charge davantage de malades. L'hôpital devait intervenir en second recours, en qualité de plateau technique. Le virage ambulatoire devait contribuer au développement de la médecine de ville, l'hôpital devant se consacrer à ses seules missions. Ce dernier a donc été privé de sa capacité à développer l'offre de premier recours et l'offre générale de soins pour les maladies chroniques. Une telle démarche aurait pu être valable s'il n'y avait eu, dans le même temps, un phénomène de désertification médicale. Deux hôpitaux distants de 100 kilomètres pouvaient ainsi se voir empêchés de soigner les patients diabétiques, alors qu'il n'y avait aucun diabétologue installé entre eux. Il en a résulté un recul de l'accès aux soins.

Cette prise de conscience ne date pas de la crise. À mi-chemin du mandat précédent déjà s'était forgée la conviction qu'il fallait arrêter d'assécher budgétairement l'hôpital et sortir progressivement du système de tarification à l'activité (T2A). En 2017, l'engagement du candidat Macron était ainsi de réduire à 50 % la part du financement par la T2A. Cela correspond à un bon niveau de T2A, dans la mesure où cette tarification demeure valable pour des actes techniques et reproductibles, mais il faut en sortir pour la prise en charge médicale, en particulier des maladies chroniques.

Il y a eu peu d'oxygène apporté lors du précédent mandat, malgré l'intention de la ministre de l'époque, faute d'arbitrage budgétaire en ce sens. En 2017, nous avons pris l'engagement d'avoir un objectif pluriannuel d'Ondam hospitalier. La croissance des dépenses hospitalières a ainsi été fixée à 2,3-2,4 %, soit environ 50 % de plus qu'au cours du mandat précédent. La crise sanitaire a bouleversé tout cela. L'hôpital est devenu une priorité aux yeux des Français. La part du PIB qui lui est consacrée n'a plus semblé exorbitante. Ainsi, dans un contexte de crise, nous avons pu libérer des budgets, soit 30 milliards d'euros lors de l'année de la crise sanitaire, ce qui n'avait jamais été fait par le passé. D'autres auraient probablement fait des choix similaires. Je ne vois pas un gouvernement de gauche ou de droite refuser de donner de l'argent à l'hôpital.

Nous l'avons fait avec une attention particulière portée aux hôpitaux des territoires. Nous avons d'abord mobilisé 19 milliards d'euros pour désendetter les hôpitaux et investir massivement dans le bâti et dans l'organisation des établissements, soit 3 000 hôpitaux et Ehpad. 75 % de l'enveloppe budgétaire est consacrée aux petits et moyens hôpitaux, alors que les plans précédents - Hôpital 2007 et Hôpital 2012 - portaient à 80 % sur les gros hôpitaux. Certains établissements de taille moyenne pensaient ne pas survivre à la décennie. Au contraire, ils survivront et seront reconstruits. C'est un signal très fort envoyé à la communauté hospitalière et il a été très bien reçu par cette dernière.

Quant à l'attractivité des métiers, les problèmes ne sont pas récents. Avant la crise, 300 000 infirmières diplômées n'exercent pas leur métier. Le passif date d'il y a 50, voire 60 ans. Ce sont des métiers féminins, donc historiquement mal payés. Je l'affirme pour le dénoncer. Or il convient de prendre soin de ceux qui prennent soin de nous. Nous avons pu déployer une politique massive lors du Ségur de la santé. Cinq semaines de travail intensif avec les syndicats ont permis de conclure des accords majoritaires dans la Fonction publique hospitalière.

La revalorisation des salaires représente 10 milliards d'euros pour 1,5 million de salariés. Elle était nécessaire. Ces augmentations (200, 250, 300 euros de plus par mois) comptent énormément et contribuent à relancer l'attractivité des métiers, mais elles ne suffisent pas.

L'aspect salarial est essentiel, comme le bâti et l'outil de travail, mais d'autres leviers doivent être actionnés.

En premier lieu, il faut revenir sur la gouvernance de l'hôpital. L'hôpital est-il gouvernable aujourd'hui ? Nicolas Sarkozy disait en 2007 qu'il ne devait y avoir qu'un seul patron à l'hôpital, son directeur. Il en a résulté la loi HPST. Auparavant, on affirmait que l'hôpital ne pouvait pas être gouverné.

J'ai souhaité que l'on ne rentre pas dans ce débat et préféré me fonder sur ce qui avait fonctionné pendant la crise. Les équipes médicales et de direction avaient toutes le regard tourné dans la même direction, sauver des vies et soigner la covid. Il n'y avait plus d'indicateurs, de critères, de paramètres, de normes ou de contre-arbitrage. Tout le monde a agi dans le même sens, ce qui signifie que c'est possible. Ce qui l'est pendant une période de crise doit l'être en dehors. Dans le cadre du Ségur, avec les médecins, les soignants, les directeurs d'hôpitaux, nous avons conçu une boîte à outils qui est à disposition de tous les établissements pour leur permettre de s'organiser comme ils le souhaitent. On rend non opposable une partie du code de la santé publique. S'ils le souhaitent, ils peuvent recréer des services, voter pour désigner leurs responsables, intégrer de nouveaux membres dans les commissions médicales d'établissement. Il convient de faire vivre la démocratie interne au sein de l'établissement, notamment dans le cadre des commissions médicales d'établissement. Les établissements doivent s'organiser dans cette optique. Il ne s'agit pas de dire qui, du médecin ou du directeur, doit décider. Les différents acteurs doivent travailler ensemble.

Il faut aussi renforcer les investissements du quotidien pour les équipes et leur attribuer des budgets, par exemple pour rénover les locaux, mettre en place une tisanerie, acheter des pousse-seringues ou des lève-malades. Des moyens leur seront donnés à cet effet.

On paie mieux, on reconstruit, on modernise, on donne plus d'argent aux équipes, on donne plus de flexibilité et de fluidité à la gouvernance en favorisant les accords au niveau local.

L'autre enjeu en matière d'attractivité pour l'hôpital est celui de la formation et de l'évolution des carrières et des métiers. Je souhaite que l'on arrive à ce qu'i n'y ait plus de retour à l'institut. Lorsqu'une aide-soignante veut devenir infirmière, et qu'elle dispose de l'expertise et de l'expérience requises, un tel retour est démotivant, voire insultant au regard des compétences acquises par ces personnels. Au ministère, nous prônons la médicalisation progressive de personnels paramédicaux, en attribuant le statut d'infirmier en pratique avancée (IPA) aux puéricultrices, aux infirmières anesthésistes, aux infirmières de bloc opératoire. Il s'agit aussi de reconnaître la place de l'apprentissage, de l'alternance, de la validation des acquis de l'expérience (VAE) et de la VAE inversée, afin de permettre aux soignants d'acquérir de nouvelles compétences et d'évoluer dans leur métier. Si une personne exerce le même métier à 60 ans qu'à 20 ans dans les mêmes conditions sans qu'il ait été tenu compte de l'expérience acquise, cela ne participe pas à l'attractivité des parcours.

Au cours des prochaines années, cet axe est prioritaire. Certes, le corporatisme existe. Des médecins considèrent que l'on donne trop de compétences aux infirmières. Je réponds que la France ne peut pas être le seul pays de l'OCDE ne prévoyant aucun statut intermédiaire entre bac+3 et bac+12. De même, il faut donner des perspectives d'évolution aux aides-soignantes.

Le système de santé est assez cloisonné et fonctionne en silos. J'ai néanmoins de bons rapports avec les partenaires sociaux et les corps intermédiaires. Nous parvenons à avancer. Je crois profondément à la possibilité de continuer à réformer.

S'agissant des lits fermés, quel est le bilan de la situation ? Un rapport du conseil scientifique en avait parlé. On cite beaucoup de chiffres sans toujours les maîtriser. Nous avons effectivement un problème de remontée d'indicateurs. Je souhaite néanmoins vous faire part des résultats de l'enquête que j'avais fait réaliser sur la situation des ressources humains à l'hôpital. Plus de 1 100 établissements y ont répondu. L'absentéisme a augmenté d'un point entre 2019 et 2021, pour atteindre 5 % du personnel médical, 10 % des infirmiers, 15 % des aides-soignantes, hors absences liées à la covid. Sur les mois d'octobre à novembre 2021, la baisse des effectifs représente 1 000 ETP sur le panel d'établissements. Elle fait suite aux départs de soignants, qui masquent des réalités différentes d'une profession à l'autre. Ce constat confirme les besoins d'une hausse des capacités de formation, telles que mises en place dans le cadre du Ségur de la Santé. 6 000 places supplémentaires ont été mises en place dans les IFSI et les IFAS, pour former 6 000 infirmiers et aides-soignants supplémentaires.

Sur le plan des capacités hospitalières, nous observons une légère diminution du nombre de lits par rapport à 2019, soit 2 %. On est loin des 20 % évoqués. Elle est plus marquée en chirurgie mais contrebalancée par un développement important de la chirurgie ambulatoire, en hausse de 8 %, et une hausse très importante de l'hospitalisation à domicile (+ 26 %). Cette diminution du nombre de lits est temporaire et liée à la désorganisation des services en raison de la gestion de la crise sanitaire. On a transformé des chambres doubles en chambres simples, et donc fermé des lits. Parmi les grands projets annoncés lors du Ségur de la santé, par exemple à Nancy, j'ai demandé que des ouvertures de lits soient mises en oeuvre là où des suppressions étaient prévues, en portant une attention particulière aux unités de soins critiques et de réanimation, parce que nous avons pu constater que nous en manquions.

Parmi ce qui a bien fonctionné pendant la crise sanitaire, on peut évoquer la sortie dérogatoire du code des marchés publics. Il s'agit parfois d'un boulet attaché à la cheville des hôpitaux et certains achats peuvent coûter plus cher. Cette sortie dérogatoire a permis aux établissements d'acheter de grandes tentes extérieures pour créer un service d'accueil d'urgences séparé. Dans le cadre du code des marchés publics, il aurait fallu suivre des procédures qui auraient duré plusieurs mois. Nous ne pouvons pas le faire, car cela relève du droit communautaire européen. Ces normes peuvent encore peser sur nos établissements.

Quant aux liens ville-hôpital et entre l'hôpital et le secteur médico-social, ils se sont avérés efficaces pendant la crise sanitaire, y compris entre le public et le privé. J'ai participé à des réunions de coordination dans les territoires, avec le président du Conseil de l'ordre, les présidents de syndicats, les directeurs d'hôpitaux, leurs présidents de CME, les directeurs de cliniques et d'Ehpad. Les acteurs se parlent, planifient et mettent en commun. Ces démarches ont été efficaces et ont permis à l'hôpital de tenir. C'est un autre enseignement de la crise que nous devons conserver pour la suite : arrêtons de diviser entre ville et hôpital, entre hôpital et clinique privée. Arrêtons de cloisonner les professions. Prônons la liberté et la flexibilité. Au fond, c'est une des principales demandes des professionnels.

M. Bernard Jomier , président . - Merci, Monsieur le ministre. Madame la rapporteure va vous poser plusieurs questions.

Mme Catherine Deroche , rapporteure. - Merci, Monsieur le ministre. Je vais poser une première série de questions sur les ressources humaines. Nous sommes un peu étonnés de ce manque de vision précise. Des chiffres circulent sur les postes vacants et sur les fermetures de lits. Le ministère a réalisé une enquête, mais la situation ne semble pas suivie de manière régulière au niveau central ou régional. Il en va de même pour le taux d'abandon en cours d'études pour les étudiants infirmiers, ce qui est pourtant un grand facteur d'inquiétude. Avez-vous des éléments plus récents que ceux recueillis à l'automne ? Il est nécessaire de procéder à un suivi plus étroit pour être plus réactif.

Vous avez souligné le caractère historique des revalorisations du Ségur, mais pour apprécier cet effort, il faut le replacer par rapport à l'évolution des rémunérations du personnel hospitalier depuis plusieurs années. Dans le questionnaire de la commission d'enquête, des questions précises ont été posées au ministère sur ce point, notamment la rémunération des soignants depuis dix ans, les écarts entre le public et le privé ou les éléments de comparaison européens, mais aucune réponse n'a été apportée, alors que ces éléments sont nécessaires pour évaluer le rattrapage effectué. Pouvez-vous nous donner ces précisions ou vous engager à nous transmettre les réponses ?

Nos auditions font également ressortir certaines mesures du Ségur mal ressenties par les praticiens et soignants, en particulier des reclassements dans de nouvelles grilles indiciaires, qui bénéficient aux nouveaux personnels recrutés, mais font perdre de l'ancienneté à certains personnels en poste et retardent leur promotion. Les critères des primes de soins critiques excluent certains personnels soignants travaillant dans ces services. Enfin, il faut souligner l'absence de revalorisation du travail de nuit ou de week-end. Avez-vous l'intention de corriger ces points ?

Nous avons enfin échangé avec des établissements ayant bénéficié des aides du Ségur pour redresser leur situation financière dégradée, notamment le CHU de Nancy. Des réductions d'effectifs sont prévues dans le cadre des projets de modernisation des infrastructures. L'engagement a pourtant été pris de porter ces efforts sur les fonctions supports, et de ne pas réduire le nombre de postes de soignants, voire de les augmenter. Y a-t-il une doctrine en la matière ? A-t-on renoncé à poursuivre la suppression de postes de soignants ? Quelle est, selon vous, la marge de manoeuvre pour les fonctions supports s'agissant des réductions d'effectifs ?

M. Olivier Véran . - Concernant les chiffres et les indicateurs, chaque fois que nous en demandons, il faut mobiliser du personnel administratif pour faire remonter les informations. Il faut trouver le bon équilibre. Nous avons une vision très jacobine de l'hôpital tout en ayant un discours politique qui se voudrait girondin. Il m'est demandé de donner plus de latitude aux hôpitaux pour gérer comme ils l'entendent, tout en vérifiant que tout est parfaitement conforme et millimétré. Il faut savoir ce que l'on veut. Un des retours d'expérience de la crise est que notre organisation actuelle est très jacobine et pyramidale. L'administration centrale passe des commandes aux territoires, aux agences déconcentrées et aux établissements de santé. Des normes, des directives, des circulaires sont émises dans cette optique. Un système dans lequel le central serait au service des territoires, et non l'inverse, pourrait être essayé. Les fonctions centrales seraient des fonctions supports pour les territoires et les établissements de santé. Cette question mérite d'être posée.

Je me suis penché sur les raisons relatives aux abandons d'études
- j'avais cité le chiffre de 1 300 - par les étudiants en soins infirmiers. Plusieurs paramètres l'expliquent. Cela peut s'expliquer par une externalité négative de Parcoursup, puisqu'il n'y a plus d'entretien motivationnel, la sélection se faisant par dossier, ce qui empêche d'apporter des informations indispensables à ces jeunes. Il faut aussi noter une démédicalisation de l'accueil des soignants. Les médecins ne connaissent pas le nom des stagiaires qui passent plusieurs mois dans leur service. Si ces derniers ne se sentent pas accueillis, ils auront tendance à ne pas rester. Ce sont des éléments d'amélioration à envisager.

Pour les éléments salariaux, nous vous enverrons les éléments que vous souhaitez. Une enquête a été réalisée par la Drees afin de comparer les salaires français aux salaires moyens dans l'OCDE. À niveau horaire équivalent, il apparaît que nous avons gagné de nombreux rangs dans les classements. Dans les grilles salariales, personne n'a rien perdu. Toutes les transformations de grille salariale dans la fonction publique répondent aux mêmes règles. Les syndicats l'ont d'ailleurs signé. Lorsque les grilles sont modifiées dans la fonction publique hospitalière ou dans la fonction publique territoriale, l'impact se situe au niveau des entrants, et non au niveau des personnes déjà insérées dans la grille. De surcroît, les personnes déjà dans la profession ont obtenu un réel gain salarial grâce au reclassement. Lorsque l'on supprime les premiers échelons d'une grille pour en ajouter en haut de grille, il n'est pas possible de faire basculer toutes les personnes en fonction à un échelon supérieur. Cependant, dans les faits, nul ne perd rien. Pas un médecin n'a perdu de l'argent en raison des mesures du Ségur. Certes, certains médecins soulignent que de jeunes médecins ayant moins d'expérience qu'eux obtiennent des salaires de même niveau, mais telles sont les règles lorsqu'on modifie les éléments indiciaires.

En outre, une prime de 100 euros a été accordée aux infirmières en réanimation, comme le proposait le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales. Les autres aspects du volet soins critiques doivent être détaillés et emporteront d'autres conséquences.

Sur la valorisation du travail de nuit et le week-end, je suis d'accord avec vous. Lors de la négociation avec les organisations syndicales dans le cadre du Ségur, j'avais soumis une première proposition valorisant davantage les périodes de temps de travail additionnel. La majorité des syndicats n'ont pas fait ce choix. Nous avons donc privilégié l'indemnité de service public exclusif. Un médecin ne travaillant pas dans le privé mais exclusivement dans le public obtient une revalorisation sensible de son salaire. Des efforts financiers ont été consentis pour revaloriser les salaires, mais nous n'avons pas pu aller au-delà. Une réflexion devrait toutefois être menée dans un cadre statutaire unifié de la fonction publique. Ne pourrions-nous pas moduler certains paramètres afin de tenir compte de la charge liée à la permanence de soin propre à certaines spécialités ? Plutôt que de majorer la rémunération des gardes, ne pourrait-on prévoir, quand, dans une spécialité, cinq gardes par mois sont prévues, une revalorisation de la rémunération de base.

Quant au personnel soignant, nul n'a la volonté de supprimer du personnel. Aucun hôpital ne souhaite une réduction du nombre d'infirmières. L'objectif des établissements est au contraire d'en avoir plus. Les hôpitaux en manquent et en cherchent. Si des lits ne sont pas ouverts, cela ne signifie pas qu'ils ont été intentionnellement laissés fermés par les pouvoirs publics pour faire des économies. Avoir des lits fermés coûte bien plus cher, puisqu'il faut solliciter l'intérim pour remplacer les médecins et les infirmières. Il peut en outre en résulter des retards de soins. En tant que ministre de la santé, mon bonheur serait d'apprendre que les hôpitaux ont pu recruter tout le personnel souhaité. La situation est encore pire en santé mentale et en psychiatrie. Le budget existe. Nous avons renforcé l'attractivité de ces métiers via des hausses de salaire, une amélioration de l'outil de travail et la mise en place de formations. La situation va aller en s'améliorant, mais il était largement temps.

Mme Catherine Deroche , rapporteure. - Le mode de tarification actuel (T2A et enveloppe fermée de l'Ondam) est-il dépassé à vos yeux ? Faut-il le revoir ? Au-delà des dotations complémentaires pour compenser les effets pervers de la T2A, des réflexions sont-elles entreprises sur la tarification en parcours de soins ? Comment les ARS définissent-elles l'adéquation entre le besoin de santé d'un territoire et les équipements sanitaires disponibles ? La directrice générale de l'offre de soins n'a pu nous répondre sur ce point. L'organisation territoriale des soins, par la coordination des acteurs concernés, est revenue lors de chaque audition. Où en est la réflexion du ministère à ce sujet ?

Enfin, s'agissant de l'intérêt médical, où en est-on de la suspension des dispositions de la loi Rist sur ce point ? Le président de la CME de l'AP-HP nous a alertés sur la situation des unités neuro-vasculaires, en précisant qu'il y avait 30 % de lits fermés à Paris fin 2021. Il en résulte une réelle perte de chance pour les patients. Des dispositions particulières ont-elles été prises à ce sujet ?

M. Olivier Véran . - Sur la T2A, la France a été excessive dans la mise en place de ce dispositif. Elle est allée trop loin, en allant jusqu'à près de 100 % de T2A, excepté la psychiatrie. Lorsqu'elle a été mise en place, les économistes de la santé avaient considéré qu'il y aurait un contre-pouvoir. Il y aurait certes un outil de mesure des soins effectués pour pouvoir payer l'hôpital, mais le salaire d'un médecin étant identique à la fin du mois, quelle que soit l'activité de l'hôpital et l'éthique étant très forte, les médecins contre-balanceraient une éventuelle pression administrative sur la T2A.

En réalité, les médecins se sont retrouvés sous le feu nourri d'un pilotage par les indicateurs. Des effets pervers se sont produits. Tout système de financier génère des effets pervers et doit donc être revisité, rénové.

La charge administrative liée à la T2A est excessive. J'ai rédigé un rapport à ce sujet en 2015, que j'ai remis à Marisol Touraine à l'époque. Nous en étions presque arrivés au stade de chronométrer les actes des ergothérapeutes pour quantifier le temps auprès d'un malade en fonction des actes. L'évaluation des soins en termes quantitatifs représentait 5 à 10 % du temps efficace de soin, ce qui n'a pas de sens. C'est pourquoi nous souhaitons sortir de ce système.

Prenons l'exemple de la réanimation : l'ARS demande à l'hôpital de maintenir dix lits ouverts. Or chaque lit ouvert suppose un effectif spécifique de personnel soignant. Il faut alors payer pour les lits, qu'ils soient ouverts ou pas. Il faut sortir de ce système. La réforme du financement des soins de suite et de réadaptation (SSR) va en ce sens. On tend donc à réduire à 50 % la part de la T2A et à développer la dotation populationnelle et le financement de la qualité. Des garanties de financement ont aussi été instituées depuis eux ans.

Sur les besoins de santé, le problème est qu'on ne sait pas les évaluer. Je ne sais pas dire combien de consultations chez un médecin doit faire en moyenne un Français en fonction de sa pathologie. Les économistes réfléchissent à l'identification de ce qu'est un besoin, mais nous ne pouvons fonctionner qu'en termes d'offre, et non de besoin. Certains indicateurs sont probants : l'accès en trente minutes à la maternité, aux urgences... Pour le reste, la situation est complexe. Combien de fois une personne de 60 ans en bonne santé doit-elle voir son médecin chaque année pour obtenir un gain réel en matière de santé ? Il est difficile de le dire.

Sur la question de l'intérim médical, nous avons repoussé l'application d'une mesure qui me semble juste sur le plan social et efficace en matière de lutte contre les dérives de l'intérim. Cela était inapplicable pendant un telle vague épidémique. Il s'agit d'une mesure que nous souhaitons mettre en oeuvre cette année. Il convient néanmoins de laisser aux soignants la possibilité de souffler, sans rajouter une pression supplémentaire en matière de ressources humaines.

Sur les unités neurovasculaires, cet enjeu n'est pas national, mais le sujet de l'AP-HP. Il est aussi lié aux prix de l'immobilier à Paris. Une infirmière travaillant à l'AP-HP perçoit le même salaire qu'une infirmière de Montluçon ou de Grenoble, alors que les loyers sont bien plus élevés à Paris. Or elle doit parfois commencer en horaires décalés, à 7 heures, à 14 heures ou à 21 heures, alors qu'elle vit à une heure de son établissement. Elle n'a donc plus de vie. Le ministère travaille à l'identification de centaines de logements sociaux destinés au personnel soignant des hôpitaux parisiens.

M. Bernard Jomier , président . - C'est une bonne nouvelle, car je suis intervenu à de nombreuses reprises sur cette question dans le cadre de fonctions antérieures. Je voudrais compléter les interrogations de la rapporteure. Pendant un certain nombre d'années, on n'a pas recruté de soignants, parce qu'il fallait réduire les coûts. Même si les ratios n'étaient pas formalisés, de facto , le nombre d'infirmières diminuait dans les hôpitaux, la masse salariale représentant la principale dépense annuelle.

Vous avez rappelé que les lits étaient fermés, faute d'un nombre suffisant d'infirmiers. Les institutions, les établissements, les directeurs d'hôpitaux et les soignants ont confirmé, lors des auditions, que de nombreux lits étaient fermés. Ma question est la suivante : supposons que l'hôpital redevienne attractif et que les infirmières postulent à nouveau, jusqu'à quelle limite va-t-on recruter des professionnels ? Allons-nous revenir aux ratios Copermo, non écrits sur le papier et non réglementaires, ou allons-nous privilégier des ratios plus élevés ? Il y a un mot que vous n'avez pas prononcé, alors qu'il a été évoqué tout au long de ces auditions, c'est « crise de sens du métier ». Les directeurs nous ont confirmé que si les mesures du Ségur sont significatives sur le plan des revalorisations, les soignants ne reviennent pas à l'hôpital. Cette question de la crise de sens de leur métier, qui ne touche d'ailleurs pas que les soignants, nécessite d'autres réponses.

Il faut proposer un cadre de travail adapté et satisfaisant aux soignants. Cette réponse est importante. Il y a trois jours, à Strasbourg, une infirmière nous rappelait qu'elle éprouvait avant une grande fierté à exercer son métier, mais que ce n'était plus franchement le cas, à cause de ses conditions de travail. Ce discours est récurrent. Lors des auditions, je constate une grande différence de discours entre les institutions et les soignants. Elle est réellement marquante : un fossé tend à se créer. Ce ne sont pas les mêmes mots qui sont utilisés. Les soignants, y compris les jeunes soignants, décrivent l'hôpital comme un lieu de violence institutionnelle, et utilisent des mots très durs. Ce constat est inquiétant. A contrario , les institutions représentant l'État utilisent un discours et des processus en décalage total avec la réalité vécue par les soignants. Ce fossé explique une partie de la crise que connaît l'hôpital. Cette dernière ne se résoudra pas seulement par l'apport de moyens financiers.

M. Olivier Véran . - Je suis d'accord avec vous, Monsieur le président. Je représente l'institution, je suis médecin hospitalier et j'ai auparavant exercé des fonctions de soin. Ce discours n'est pas nouveau, je le comprends. Je n'ai pas employé les mots « perte de sens » dans mon intervention liminaire, mais lorsque je parle de donner un pouvoir décisionnel à l'équipe, de lui attribuer un budget, d'investir dans son quotidien, d'accroître les rémunérations, de sortir de la logique administrative et financière, de lui ôter la pression comptable liée à la T2A, de revaloriser la charge liée à la permanence des soins, de permettre d'évoluer dans ses métiers et ses compétences, je ne dis pas autre chose. Cependant, entre l'annonce et la réalisation, il s'écoule du temps.

Faites-moi confiance : le Ségur ne joue pas uniquement sur la feuille de paie. Certaines actions sont immédiatement visibles, alors que d'autres démarches prennent cependant un peu plus de temps. Lorsque l'on rénove des structures hospitalières, il faut trois à quatre ans pour réaliser les travaux. Ce temps de réorganisation interne des hôpitaux et de changement de la gouvernance est incompressible. Existe-t-il des éléments déterminants non mis en place susceptibles de changer radicalement la donne à très court terme ? Il convient d'accroître le personnel, de former davantage de personnel et d'embaucher 15 000 soignants supplémentaires, de remplir les postes non pourvus et d'ouvrir 4 000 lits à la demande. Lorsqu'une infirmière est rappelée chez elle, le soir, pour lui demander de venir travailler le lendemain, ainsi que le week-end suivant, il en résulte un sentiment de violence institutionnelle. Vous mettez la personne sous pression. Ce constat est encore plus manifeste dans les gros hôpitaux. Il faut s'appuyer sur des équipes bien dimensionnées.

En tant que ministre, ma première décision a consisté à demander qu'aucun départ anticipable de plus de 48 heures ne soit pas remplacé. Lorsqu'une infirmière part en congé pendant dix jours et ne peut pas être remplacée, ce n'est pas tolérable. Cela fait partie des mesures qui comptent, de la qualité de vie au travail.

Il faut aussi traiter la question des conflits. Je constate de nombreux conflits au sein des équipes, qu'il faut apaiser. Plus la pression est grande, plus il y a de conflits, et inversement. Ce travail d'apaisement est fondamental.

Comment expliquer le fait que l'année dernière, le nombre de soignants a diminué, alors même qu'on a augmenté les salaires et que nous essayons de recruter ? De nombreux établissements ont indiqué que de nombreux départs ont été différés. Les soignants ont préféré ne pas partir en pleine crise sanitaire. Une fois la vague passée, ils sont partis. Le renouvellement des effectifs est insuffisant. Cela explique notre volonté de développer la formation. Avec Amélie de Montchalin, nous déployons l'apprentissage, l'alternance et la VAE.

Enfin, concernant la crise des vocations, il apparaît que sur Parcoursup, la formation la plus demandée est celle d'infirmière (687 000 demandes), suivie de la formation de médecin (660 000 demandes). Si ce problème de vocation existait, nous le constaterions à ce niveau. En revanche, nous observons de nombreuses sorties, parce que le métier est trop dur. Il faut y ajouter le rapport au travail, puisque lorsqu'on fait un métier du soin, on travaille la nuit et le week-end. Cela fait partie des engagements indispensables, qui doivent être rappelés aux jeunes. Il faut reconnaître ce travail et faire en sorte que ces heures ne soient pas excessives. Le risque d'épuisement existe, mais nous ne souhaitons plus de telles situations. Avec Frédérique Vidal, nous avons pris l'engagement total de la tolérance zéro sur toutes les dérives rencontrées par les étudiants en santé.

Ces mesures sont une réponse à cette crise de sens. S'agit-il d'une situation franco-française ? Je ne le pense pas. À titre d'exemple, une moitié de maternité sont en cours de fermeture en Suède. Les difficultés en matière de ressources humaines sont considérables en Angleterre. Le ministre allemand de la santé estime que la situation est catastrophique dans les établissements allemands. Il ne faut pas imaginer que ce problème ne concerne que la France. C'est une tendance que l'on observe dans tous les pays de l'OCDE depuis environ vingt ans, marquée par une tentation de l'économie persistante.

M. Bernard Jomier , président . - Je vais passer la parole à mes collègues. Avant cela, pouvez-vous revenir sur les ratios ?

M. Olivier Véran . - Je pense qu'il faut sortir de la logique des ratios. Nous devons confier aux établissements et aux équipes au niveau local le soin d'évaluer les charges en termes de soins. Le ratio peut être un garde-fou, mais si vous donnez suffisamment de moyens à une équipe et tenir compte de la réalité de chaque unité hospitalière, cela constitue une meilleure garantie en termes de qualité de prise en charge. Je crois qu'il ne faut pas tendre vers la mise en place de ratios, mais au contraire prévoir une organisation plus flexible.

Mme Catherine Deroche , rapporteure. - Vous affirmez que l'on ne sait pas évaluer les besoins en santé, mais les schémas régionaux sont établis sur la base d'une évaluation des besoins en santé. Si l'on ne sait pas les évaluer, comment faire ?

M. Bernard Jomier , président . - Cela rejoint les échanges que nous avons eus avec la DGOS.

M. Olivier Véran . - Pour les soins de premier recours, les soins spécialisés de second recours et les soins ultraspécialisés, ils correspondent à des strates territoriales différentes. Il n'y a aucun sujet sur ce point. C'est ce que nous évaluons avec le SROS. J'évoque par ailleurs le besoin du citoyen. J'ai constaté une décorrélation entre le nombre de consultations par an sur un territoire donné et la densité médicale sur le territoire. Dans certaines régions, le nombre de consultations est plus élevé, alors que la densité médicale est plus faible. J'avais suivi des travaux à Sciences Po avec le professeur Tabuteau sur la question du besoin en santé. A contrario , le besoin en organisation de système de santé peut être évalué sur la base d'indicateurs.

Mme Laurence Cohen . -Merci, Monsieur le ministre. Je ne vais pas revenir sur nos points de désaccord, dans la mesure où nous ne parviendrons pas à nous convaincre, mais je souhaite revenir sur certains de vos propos. Je m'appuie sur les auditions que nous avons pu avoir depuis le début de la commission d'enquête et le vécu des personnels de santé. Personnellement, j'ai été particulièrement frappée par l'état des urgences, ce qui correspond aux témoignages que j'ai reçus dans mon département. Ce n'est pas un problème nouveau, qui ne date pas de la crise sanitaire. Les urgences constituent un problème à ne pas traiter séparément du reste de notre système de santé. Je pense que nous sommes d'accord à ce sujet.

Il a été dénoncé le fait que lorsqu'on est urgentiste, on l'est à vie. Je vous avais interrogé à ce sujet ; vous considérez à juste titre que ce métier est particulièrement épuisant et qu'il faudrait ne pas l'être à vie. Il conviendrait dès lors de décloisonner cette spécialité d'urgence et de rétablir la capacité de la médecine d'urgence. Il s'agit de permettre à un médecin d'être urgentiste tout en travaillant dans un centre de santé. Je n'ai pas eu le sentiment dans vos propos que vous étiez hostile à cette perspective. Comment mettre en place ces mesures au niveau gouvernemental ?

Sur les urgences, nous constatons un affaiblissement du niveau 2, c'est-à-dire des hôpitaux de proximité tels qu'ils existaient par le passé. Des services d'urgences disparaissent ou doivent réduire leur temps d'ouverture, ce qui crée une catastrophe, compte tenu du maillage actuel de la médecine de ville. Comment y remédier ? Il me semble nécessaire de raisonner en filière de soins, mais nous en sommes loin.

Vous avez évoqué la formation. Il nous a été affirmé à plusieurs reprises que les médecins ou les infirmières bénéficieraient d'une formation de « moins bonne qualité ». Le nombre de professeurs disponibles pour enseigner est en diminution, ce qui est problématique. Compte tenu des conditions de travail dans les hôpitaux, la notion de compagnonnage a disparu. Ce compagnonnage assuré par les anciens n'est plus possible, en raison du nombre de professionnels qui exercent et du nombre de professeurs chargés d'enseigner. Nous avons auditionné des professionnels qui ont alerté sur la dimension catastrophique de la situation. 30 % des étudiantes et des étudiants infirmiers n'achèvent pas leurs études. Comment agir ? Au niveau de l'attractivité des métiers, ne faut-il pas prévoir un ratio entre patients/soignants et revenir sur les statuts ?

Enfin, nous avons été alertés à plusieurs reprises sur la gouvernance. Les soignants sont soumis ou démis dans de nombreux endroits. Le pouvoir des directions d'hôpital est absolu. Depuis la loi HPST, les médecins sont nommés par l'administration. Il en résulte beaucoup de souffrance au sein des personnels médicaux. Des médecins-chefs des urgences sont obligés de revenir de vacances pour assurer leur mission et ne reçoivent même pas un remerciement de leur direction. Il faut remettre de l'humain au sein de l'hôpital. Que comptez-vous faire pour remédicaliser la gouvernance ? La direction médicale doit être soutenue par un accompagnement administratif, nécessaire, mais non dominant. Dans mon esprit, il ne s'agit pas de donner le pouvoir aux médecins, mais au secteur médical dans son sens large en intégrant des élus et des usagers dans les conseils d'administration.

Mme Sonia de La Provôté . - Merci beaucoup. J'ai deux questions. Ma première question concerne cette fameuse crise des vocations. Vous avez confirmé un réel engouement sur Parcoursup. Cependant, 30 % des étudiants engagés dans ces formations ne finissent pas leurs études. Parmi ces derniers, un grand nombre d'étudiants sont perdus de vue. Dans les promotions d'étudiants reçus, le décalage est si considérable que nombre d'entre eux préfèrent jeter l'éponge, en raison souvent de problématiques de mise à niveau. L'accompagnement n'est pas à la hauteur des besoins. La bienveillance et la remise à niveau sont nécessaires. L'afflux sur Parcoursup ne signifie pas que la vocation se concrétise par une volonté d'exercer le métier.

En outre, la taille des promotions est conditionnée par la capacité à former les jeunes. Les problématiques de stage doivent être prises en considération. Or, sur le terrain, et en fonction des secteurs, il est parfois difficile de trouver des terrains de stage. La taille des promotions s'en trouve limitée. En termes de financement, la modernisation des établissements a certes été accompagnée dans le cadre du Ségur, mais peu de moyens ont été consacrés à la formation de plus grandes promotions. Des moyens seront-ils déployés pour permettre la formation de plus grandes promotions ? Tout temps perdu d'année en année représente des soignants en moins sur le terrain, d'autant plus que de nombreux départs en retraite se profilent au cours des années à venir.

Ma deuxième question porte sur les besoins de santé, qui sont normalement évalués au travers des plans régionaux de santé. Nous constatons une grande difficulté à réaliser ces évaluations, car il est difficile de recueillir des données de santé dignes de ce nom. Certains territoires sont particulièrement en difficulté sur ce plan. En parallèle de cette restructuration, voire de ce sauvetage de l'hôpital public et du système de soins, ne faudrait-il pas mettre en place un système de recueil des données, parce que l'évaluation des besoins repose d'abord sur l'évaluation de la santé et de l'état de santé de la population ? Je vous remercie.

M. Jean Sol . - Monsieur le ministre, je souhaite revenir sur les vocations, que vous avez évoquées avec satisfaction et optimisme a priori . La principale préoccupation de ces jeunes ne porte-t-elle pas plutôt sur l'accès à la sécurité de l'emploi que sur une véritable vocation pour ce noble métier ? C'est ce que je pense.

La sélection via Parcoursup mérite d'être revue. Certains jeunes brillants, ayant obtenu une mention, se retrouvent recalés, alors que leur motivation est importante. La formation est-elle adaptée à nos besoins, à l'évolution de la prise en charge médicale au sein de nos établissements ? Je constate un fossé entre la formation théorique et la pratique. Lors de leur première prise de fonction dans les établissements, ces jeunes sont rapidement angoissés, inquiets et souhaitent rapidement quitter l'établissement dans lequel ils se sont engagés.

Vous avez évoqué la possibilité de donner du pouvoir décisionnel aux établissements et aux acteurs. J'y suis favorable, mais c'est un changement de paradigme, un changement radical de gouvernance, auquel les professionnels de santé ne sont pas habitués. Il va falloir instituer un dispositif d'accompagnement important. La gouvernance se fera de la base vers le sommet stratégique, et non plus du sommet vers la base. Ne pouvons-nous pas travailler sur des modèles et sur des maquettes à expérimenter ? Je crains que les soignants, dans le feu de l'action et alors que nous ne sommes pas sortis de la crise sanitaire, ne puissent pas avoir cette capacité à être force de proposition et à faire preuve de créativité et d'innovation.

M. Olivier Véran . - Je vais commencer par la fin, Monsieur le sénateur. Reprendrez-vous un peu de jacobinisme dans votre intervention girondine ? Vous dites « donnons plus de responsabilité et de pouvoir décisionnel au local, mais cadrons bien les choses ».

M. Jean Sol . - Le président de la Cour des comptes a dit « la santé, c'est l'État ».

M. Olivier Véran . - Il suffit que je dise que les ratios n'étaient pas l'alpha et l'oméga de l'organisation des équipes. On m'a répondu « oh là, il faut mettre des ratios ». Je n'affirme pas qu'il ne faille pas donner les moyens aux équipes de soigner comme il faut, mais je dis qu'à chaque fois qu'on applique des critères normatifs au niveau national, on prive les équipes de la capacité de penser les organisations de façon différente. La flexibilité, la liberté et l'autonomie des établissements supposent de le faire en confiance et d'évaluer les résultats. Demander aux établissements d'expliquer comment ils seront autonomes ne relève plus de l'autonomie.

Même les partisans de l'autonomie prônent une autonomie bien contrôlée. Vous constatez l'ampleur du changement. C'est parce que les établissements l'ont fait pendant la crise sanitaire qu'on dit qu'ils savent faire. Ils l'ont démontré pendant la crise sanitaire. Ce n'est pas avec mes petites mains que j'ai doublé les lits de réanimation. Ce ne sont pas les médecins ou le directeur seuls qui ont décidé de transformer les blocs opératoires en unités de réanimation bis pour soigner les malades de la covid. C'est l'équipe tout entière. Ce que les établissements ont réussi dans ce contexte peut l'être hors de ce même contexte. C'est le seul moyen d'éviter que les mauvais réflexes du passé reviennent. Nous avons connu une période assez incroyable à l'hôpital, avec un regain de sens et la latitude d'agir, mais une fois la crise passée, le naturel revient au galop. Non, cela ne doit pas être le cas.

Madame Cohen, vous m'avez posé de nombreuses questions. La première porte sur les urgences, qui sont toujours de fait sous-dimensionnées. Entre la conception d'un service d'urgence et son ouverture, plusieurs années se sont écoulées. L'activité des urgences aura explosé dans l'intervalle, pressurisant ainsi ce service. Les urgences souffrent d'une augmentation massive, continue et régulière du nombre de passages par an. Vous en avez cité quelques causes : le fait de ne pas trouver de médecin en ville ou la nuit, le fait de ne pas savoir ce que l'on a. Les urgences souffrent ainsi d'une explosion de leur activité, constatée année après année. Des mesures correctives importantes ont ainsi été mises en oeuvre. Le service d'accès aux soins (SAS) est expérimenté dans 18 sites pilotes et génère des résultats probants. Il prévoit une régulation commune à la médecine de ville et l'hôpital, les patients étant orientés vers des médecins de ville qui peuvent accueillir des patients dont l'état ne justifie pas un passage aux urgences. Ce dispositif fonctionne.

Par ailleurs, les urgentistes ne doivent pas rester urgentistes à vie. Nous avons réformé l'internat en 2017, en créant une spécialité « médecine d'urgence », à la demande des acteurs, qui leur permet d'avoir de la formation continue et d'accéder à un deuxième DES. Par ailleurs, nous constatons parfois une mauvaise compréhension des choses. Il n'est pas obligatoire d'avoir un urgentiste par ligne aux urgences, mais un urgentiste par service. Les urgentistes peuvent être accompagnés par des médecins qui ne le sont pas. Parfois, il est compliqué de recruter des médecins qui ne sont pas urgentistes pour venir participer à la permanence des soins, parce que chacun doit réaliser ses propres gardes, a son propre rythme, mais les règles en la matière sont plus souples que ce que l'on imagine généralement.

Les hôpitaux de proximité sont en plein développement. Ce dispositif a été initié par Marisol Touraine, puis prolongé par Agnès Buzyn. Je l'accentue en développant des hôpitaux de proximité et en y intégrant des plateaux techniques, de la biologie et de la radiologie, afin de réinstaller ces établissements de proximité dans leur vocation première.

Sur la question des postes d'encadrants, nous augmentons le nombre de personnels hospitalo-universitaires de 250 en cinq ans, afin d'améliorer l'encadrement des étudiants. Les Assises ont permis la création supplémentaire de 12 postes hospitalo-universitaires en trois ans. Un sujet reste néanmoins fondamental, la péréquation des postes hospitalo-universitaires. Il y a de gros écarts entre universités, par exemple entre Paris-Descartes et Lille II. Il faut s'interroger sur la juste répartition de ces postes et leur corrélation à la charge en matière de formation.

Quant à la réforme de l'accès aux études de santé, nous avons augmenté les capacités d'accueil qui ont été accrues de 15 % en médecine. Nous avons prévu des locaux supplémentaires et nous développons les stages en ambulatoire. Six millions d'euros ont été engagés en 2021 dans l'enseignement par simulation, qui se déploie progressivement. Cet enjeu est important.

S'agissant des questions d'attractivité, je ne souhaite pas que l'on donne l'impression que les directeurs et personnels administratifs des hôpitaux seraient des bourreaux insensibles aux difficultés. Ils se trouvent en grande souffrance. Les contraintes médico-économiques auxquelles ils sont confrontés les empêchent parfois d'accompagner les projets qu'ils souhaiteraient. Les contraintes de gestion des personnels soignants sont aussi les leurs, et ils ne le vivent pas bien. C'est pourquoi je leur tire mon chapeau. Ils sont indispensables.

Je considère néanmoins qu'il faut proposer un CDI à tout le monde à l'hôpital. Je pense que les contrats intermittents, d'un mois ou de six mois, ne sont pas souhaitables. Le CDI doit être la règle d'emblée. Comment rompre un contrat de travail lorsque cela se passe mal ? S'agissant des médecins, les chiffres ne vous donnent pas complètement raison Madame Cohen. Le nombre de procédures disciplinaires à l'encontre des médecins est très faible, une vingtaine par an pour la France entière. Sous ce gouvernement, nous avons rendu possible la rupture conventionnelle dans la fonction publique, comme dans le secteur privé, mais ce dispositif n'est pas ouvert aux médecins hospitaliers, dont le statut est hybride.

Enfin, sur les questions de formation, on dit que les professions sont trop cloisonnées. Tout médecin que je suis, il me semble qu'il faudrait donner plus de compétences aux soignants et leur permettre d'évoluer au long de leur carrière. Une idée avait été émise par Lionel Jospin, la mise en place d'une première année de licence santé, commune aux différentes professions de santé, mais elle ne s'est pas concrétisée. Il s'agissait de faire acquérir aux différents acteurs des professions de santé (infirmiers, soignants et médecins) des rudiments de connaissances en anatomie, en physiologie, en sciences humaines et sociales, en éthique et en écoute. Des modules communs pourraient être institués, ainsi que des démarches d'apprentissage par des pairs. En deuxième année de médecine, une semaine de stage infirmier est prévue, pas plus. Cela ne permet pas de connaître la diversité des métiers à l'hôpital. Il faut créer plus de lien et de liant dans le début de carrière des futurs professionnels de santé. Dans le cadre de Parcoursup, un entretien motivationnel est indispensable. Il ne faut pas engager les jeunes dans des études qu'ils ne suivront pas. Il en résulterait du temps perdu pour ces étudiants et des soignants en moins dans notre pays. Tel est le travail de Frédérique Vidal.

M. Bernard Jomier , président . - Ce point fait l'unanimité, il n'y a pas de doute.

Mme Marie-Christine Chauvin . - J'ai réagi lorsque vous avez indiqué que le personnel administratif était indispensable. Le personnel dit hôtelier l'est également. Je pense notamment aux agents de service, dont la mission est fondamentale. Lorsqu'ils sont absents, elle doit être assumée par les aides-soignantes. Il en résulte une surcharge de travail. On se rend compte, malheureusement, d'une perte d'attractivité de ce métier. L'hygiène des locaux revêt une grande importance. Ce personnel a besoin de reconnaissance.

M. Olivier Véran . - Dans le cadre du Ségur, la demande portait sur une augmentation de 300 euros pour les infirmières. Finalement, l'augmentation est de plus de 200 euros pour tout le personnel, y compris le personnel hôtelier. J'ai souhaité que la même revalorisation (183 euros nets de socle) soit attribuée à la cantinière, à l'électricien ou à l'infirmière. Lorsqu'on s'engage dans un exercice au service du soin, c'est une vocation. Je crois profondément à la vocation de nos soignants. Je ne souscris pas à l'opinion du sénateur Sol concernant la sécurité de l'emploi. On ne se tourne pas vers les métiers du soin pour la sécurité de l'emploi, mais pour l'envie d'aider l'autre. On sait qu'on s'engage dans une carrière faite de joies et de bonheur, mais aussi de tensions et de difficultés, avec l'appréhension d'être confronté à la maladie et à la mort. On se demande toujours si l'on sera à la hauteur et si l'on sera en mesure d'accompagner les autres. Le simple fait de se poser ces questions montre que l'on a une vocation chevillée au corps.

C'est cette vocation extraordinaire qui a permis à nos établissements et à la médecine de ville de tenir. Personne n'a jamais rien lâché. Si les soignants sont exigeants vis-à-vis de leur outil de travail, ce n'est pas pour eux-mêmes, mais pour ceux dont ils prennent soin. Lorsqu'un soignant estime ne plus être en mesure de faire de la bientraitance et de bien accompagner les gens qu'ils soignent, il y a un problème. Ce sont des sentinelles. C'est pourquoi je les appelle Hussards blancs de la République. J'y crois profondément.

M. Bernard Jomier , président . - Je vous remercie onsieur le ministre. Cette audition clôt le cycle de nos auditions plénières. La rapporteure a prévu l'organisation d'auditions complémentaires les 7 et 8 mars. La prochaine réunion plénière se déroulera le mardi 29 mars à 17 heures pour l'examen du rapport. Le projet de rapport sera mis en consultation pour les membres de la commission d'enquête la semaine précédente. Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page