B. RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ET TRANSITION : PRÉSERVER LES ENTREPRISES ET LES SALARIÉS DE LA FIÈVRE

1. Un impact négatif direct du changement climatique et du manque de responsabilité sur la productivité et sur la santé des travailleurs
a) Évaluer les risques
(1) Les « Évaluations quantitatives d'impact sur la santé » (EQIS)

La méthode EQIS s'appuie sur des éléments de preuve fournis par diverses disciplines, dont l'épidémiologie et la toxicologie. Une fois établie la causalité de l'exposition à certains facteurs, comme la chaleur et la pollution de l'air, comme ayant un impact négatif sur la santé, on applique les données quantitatives disponibles aux informations sur l'exposition et les risques de santé. Cela permet d'aboutir à une évolution quantitative des impacts sur la santé.

Source : guide EQIS, Santé publique France, 2019.

Kévin Jean, chercheur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), donne l'exemple selon lequel une augmentation de la concentration de particules fines PM2,5 de 10 microgrammes par mètre cube augmente le risque de décès de 15 %. En revanche, 100 minutes hebdomadaires de vélo diminuent cette mortalité de 10 %. Ces chiffres permettent de quantifier les effets de divers scénarios, par exemple celui du respect des accords de Paris en matière de réchauffement climatique.

(2) Une carence de données officielles

Selon M. William Dab, ancien directeur général de la santé, les seuls chiffres officiels d'ensemble existant pour la mesure de la santé au travail sont ceux des maladies professionnelles et des accidents du travail déclarés, sous-évalués et insuffisants.

Au surplus, ceux-ci stagnent depuis dix ans, ne suivant que les variations de l'activité économique, ce qui marque un manque de progrès dans le domaine. Ainsi, en 2020, 540 000 accidents du travail ont été recensés, dont 550 mortels hors accidents de la route 259 ( * ) . 50 700 cas de maladies professionnelles ont été rapportés en 2018 au sein du régime général et du régime agricole.

(3) Un net retard des employeurs du secteur public dans l'établissement des DUERP

La loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail a permis la numérisation et rendu obligatoire le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), créé par le décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001, soit vingt ans après sa création.

Or, selon la dernière étude de la DARES, seuls 45 % des employeurs l'avaient réalisé.

Prenant acte de ce relatif échec, le quatrième plan santé au travail 2021-2025 compte dans ses objectifs la généralisation du DUERP, avec notamment un portail numérique de conservation des DUERP successifs, avec pour but une meilleure traçabilité.

En outre, on observe que de nombreux DUERP n'intègrent pas les risques psychosociaux (RPS).

Source : Dares, chiffres clés sur les conditions de travail
et la santé au travail, août 2021 (données 2016).

Enfin, il est à souligner que, dans une grande majorité des cas, ce sont les ouvriers et les employés qui sont le plus concernés par les maladies professionnelles et par les accidents du travail.

Proposition n° 30 : améliorer le suivi de la santé au travail en France en assurant la bonne réalisation des DUERP et les adresser chaque année à Santé publique France afin d'évaluer l'exposition aux risques sanitaires.

b) La chaleur excessive met en danger la santé des salariés et conduit à des pertes d'heures de travail
(1) Une température trop haute conduit à des pertes d'heures de travail

Les principales pertes de productivité liées au changement climatique sont celles qui découlent de la température, en particulier trop élevée, et pour les entreprises dont les procédés de production sont à chaud. Ainsi, selon l'OIT, 2,2 % des heures de travail annuelles pourraient être perdues à l'échelle du monde avec une hausse des températures de 1,5 degré Celsius, soit l'équivalent de 80 millions d'ETP à l'échelle du monde.

Ce sont plus d'un milliard de personnes qui pourraient être exposées, au moins un mois par an, à des conditions de chaleur non appropriées au travail, définies comme étant une température corporelle dépassant les 40 degrés Celsius du fait de facteurs environnementaux durant trois jours consécutifs, dans des conditions de faible intensité des efforts physiques. Les travailleurs urbains seraient de loin les plus nombreux à être concernés.

Nombre de personnes exposées à des conditions de chaleur non appropriées au travail selon plusieurs modèles climatiques

Source : Andrews et al, Lancet Planetary Health, 2018.

L'adaptation des horaires de prise de poste est une réponse, de même qu'une adaptation des locaux et que la climatisation. Cependant, des horaires décalés sont un facteur de pénibilité du travail et la climatisation est consommatrice d'énergie, et le sera d'autant plus que les températures continueront d'augmenter.

(2) La hausse des températures pourrait causer des millions de décès de salariés chaque année

Selon les modèles climatiques, plus de 20 millions de travailleurs seraient exposés chaque année à un risque de décès en raison d'une chaleur excessive (ligne médiane dans le graphique présenté ci-dessous)

Nombre de personnes exposées à un risque de décès au travail
en raison de la chaleur selon plusieurs modèles climatiques

Source : Andrews et al, Lancet Planetary Health, 2018.

Proposition n° 31 : évaluer au niveau de la France la prévalence des pics de chaleur dans les années à venir et encourager l'adaptation des employeurs à ces pics en vue de préserver la santé des travailleurs.

c) Une augmentation des pollutions sonores

Chaque année, près de 600 salariés sont reconnus en maladie professionnelle à la suite d'une exposition aux nuisances sonores, et près de 9 % des salariés sont exposés à des bruits supérieurs à 80 décibels plus de 10 heures par semaine 260 ( * ) .

Pour ces derniers, les médecins du travail déclarent qu'un tiers ne dispose pas de protection sonore. Si l'exposition est la plus fréquente dans les métiers de l'industrie et de la construction (de 15 à 25 % des salariés), dans d'autres secteurs -- commerce et réparation automobiles, transports, entreposage, enseignement, santé --, les personnes exposées sont plus rarement protégées.

Selon les mêmes sources, 6,2 % des salariés sont exposés plus de 2 heures par semaine à des bruits comportant des chocs ou des impulsions, dont 39 % sans protection. Ces bruits sont nettement plus concentrés dans les secteurs de l'industrie et de la construction, dont les travailleurs souffrent donc d'une double exposition.

Entre 1994 et 2017, les nuisances sonores ont de plus augmenté, avec 32 % des salariés du secteur privé concernés contre 28 % auparavant, dont 68 % des ouvriers qualifiés (48 % en 1994). Seules les personnes travaillant dans le secteur de l'agriculture ont connu une baisse, de 10 points, mais leur proportion demeure plus élevée que pour les autres secteurs.

Un peu plus de 600 000 salariés déclarent ne pas entendre une personne située à deux ou trois mètres lorsqu'elle leur parle, même en élevant la voix.

Source : Dares, chiffres clés sur les conditions de travail
et la santé au travail, août 2021 (données 2016)

Les difficultés se concentrent sur certains secteurs : agriculture (prévalence de plus de 10 %) et industrie en particulier. Au total, 2,6 % des salariés sont concernés.

Proportion de salariés exposés selon la durée à un bruit supérieur à 80 décibels ou à un bruit comportant des chocs ou des impulsions (en %)

Source : Dares, chiffres clés sur les conditions de travail
et la santé au travail, août 2021 (données 2016).

Si les hommes sont plus souvent exposés à des nuisances sonores que les femmes dans le cadre de leur travail (trois fois plus pour une exposition de plus de 10 heures par semaine ; six fois plus pour des chocs ou impulsions plus de 2 heures par semaine), ces dernières déclarent deux fois moins souvent bénéficier d'une protection auditive.

De manière générale, les ouvriers sont de très loin les plus exposés aux nuisances sonores, de cinq à dix fois plus en proportion que les autres catégories sociales.

d) La persistance des troubles musculo-squelettiques parmi les salariés

Toujours selon la DARES, 88 % des maladies professionnelles reconnues en 2018 relèvent des troubles musculo-squelettiques , avec 10,8 millions de journées de travail perdues en 2018. En particulier, 985 000 salariés, soit 4 %, seraient soumis à la répétition d'un même geste ou d'une série de gestes à une cadence élevée durant plus de 20 heures par semaine, particulièrement les jeunes et les ouvriers non qualifiés.

Près du double (7,7 %) sont soumis à la manutention manuelle de charges plus de 10 heures par semaine, surtout dans les secteurs de la construction, du commerce et de l'agriculture.

Enfin, 34,3 % 261 ( * ) des salariés déclarent devoir rester longtemps dans une posture pénible ou fatigante de façon prolongée pendant leur travail, contre 16,2 % en 1984, soit un doublement en trente ans et une stabilisation depuis dix ans.

Source : Dares, chiffres clés sur les conditions de travail
et la santé au travail, août 2021 (données 2016)

Tous les secteurs sont touchés, à des degrés divers, mais ceux de l'agriculture et de la construction se distinguent, avec une majorité du personnel concerné.

Proportion de salariés soumis à des contraintes articulaires et de la manutention manuelle de charges en 2017 (en %)

Comme pour les nuisances sonores, on observe que les ouvriers, et parmi eux particulièrement les ouvriers non-qualifiés, sont de loin les plus concernés par les contraintes articulaires et la manutention. Sur la répétition de gestes à cadence élevée plus de 20 heures par semaine, hommes et femmes sont concernés dans des proportions similaires, mais les hommes sont plus de deux fois plus soumis à la manutention manuelle de charges plus de 10 heures par semaine.

2. Développer le volet santé de la responsabilité sociétale des employeurs (RSE) pour mieux protéger les salariés
a) Une attention particulière à l'effectivité des démarches de RSE

La RSE se définit comme la contribution de l'entreprise au développement durable , définie selon la norme ISO 26 000 comme ayant pour périmètre la gouvernance de l'organisation, les droits de l'homme, les relations et conditions de travail, l'environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs et les communautés et le développement local.

Son respect peut être mesuré par différents critères de performance extrafinancière, au premier rang desquels les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Il convient cependant de porter une attention particulière à l'effectivité de ces critères, tant le risque d'écoblanchiment, ou de greenwashing, est grand : ainsi, alors que la transparence fait partie de la RSE, de grands groupes ont pu bénéficier de classements ESG avantageux malgré des pratiques contestées. Ce fut par exemple le cas de Wolkswagen, en 2015, à l'époque des révélations du diesel gate , ou, plus récemment, du groupe gestionnaire de maisons de retraite ORPEA.

b) Les entreprises ont une obligation de prévention au travail

Le code du travail précise les mesures nécessaires que l'employeur doit prendre en matière de prévention des risques professionnels pour assurer la sécurité des salariés et protéger leur santé physique et mentale. L'article L. 4121-1 du code du travail lui fait obligation de manière très générale de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur a également un devoir d'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Les risques professionnels mentionnés par le code du travail

1° Des contraintes physiques marquées :

a) Manutentions manuelles de charges ;

b) Postures pénibles définies comme positions forcées des articulations ;

c) Vibrations mécaniques ;

2° Un environnement physique agressif :

a) Agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées ;

b) Activités exercées en milieu hyperbare ;

c) Températures extrêmes ;

d) Bruit ;

3° Certains rythmes de travail :

a) Travail de nuit dans les conditions fixées aux articles L. 3122-2 à L. 3122-5 ;

b) Travail en équipes successives alternantes ;

c) Travail répétitif caractérisé par la réalisation de travaux impliquant l'exécution de mouvements répétés, sollicitant tout ou partie du membre supérieur, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte.

Les 9 principes de la prévention au travail

(article L. 4121 2 du code du travail)

L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Éviter les risques ;

2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail, ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 , ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs

Les entreprises ont ainsi une responsabilité en matière de lutte contre les addictions de leurs salariés.

Lutter contre les addictions : une responsabilité particulière des employeurs

En France, 20 millions d'actifs sur 29 millions sont concernés par les consommations addictives, du simple usage à la dépendance 262 ( * ) . Or, les addictions ont un impact reconnu sur la santé : le troisième objectif de développement durable (ODD) prévoit ainsi de « permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge . »

En particulier, deux des cibles de cet ODD sont : « Renforcer la prévention et le traitement de l'abus de substances psychoactives, notamment de stupéfiants et d'alcool » et « renforcer [...] l'application de la Convention-cadre de l'Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac ».

Au travail, les addictions causent à la fois des difficultés de santé et l'aggravation des risques professionnels. Une démarche de prévention de la part de l'employeur est parfois nécessaire, mais court le risque d'atteindre à la vie privée du salarié. Si l'emploi est, globalement, un facteur de protection contre les addictions (les demandeurs d'emploi sont, par exemple, 2,5 fois plus touchés par l'addiction à l'alcool), 36 % des fumeurs, 9 % des consommateurs d'alcool et 13 % des usagers de cannabis reconnaissent un lien entre difficultés de la vie professionnelle (stress, rythmes de travail, etc.) et hausse de la consommation de substances psychoactives.

Usages de substances psychoactives des actifs occupés âgés de 16 à 64 ans en France

Sources : Baromètres santé 2005, 2010, 2014, INPES.

Si on constate une baisse de la consommation quotidienne d'alcool entre 2005 et 2014, la consommation des autres substances tend ainsi à stagner, voire à augmenter, y compris les autres modes de consommation d'alcool, dont une ivresse répétée. Certains secteurs sont en outre particulièrement touchés : construction, hébergement, restauration, arts, spectacle et service récréatif.

L'article L. 4121-1 du code du travail impose à l'employeur de protéger la santé physique et mentale des travailleurs, et donc de lutter contre les addictions. À cet égard, la bonne formation des médecins et infirmiers du travail est nécessaire : ils sont le relais naturel des politiques de prévention vis-à-vis des employés, tout comme les psychologues du travail lorsque les addictions comportent une dimension de santé mentale.

La sensibilisation des managers et des employés est également cruciale. Diffusion de guides, serious game , aménagement de lieux adaptés et de groupes d'échanges sont autant d'actions engagées par plusieurs entreprises.

Enfin, le dépistage et le contrôle, qui peut être aléatoire ou systématique pour certaines catégories de personnel (sécurité, management, etc.) sont un autre volet de la responsabilité des entreprises en matière de santé des salariés.

c) Les entreprises responsables sont aussi plus résilientes
(1) La prévention fait partie de la performance globale des entreprises

La RSE s'articule autour de quatre grandes dimensions :

- environnement et éthique : ex. certification environnementale, labels ;

- relation client : respect de normes de qualité, amélioration des processus avec les clients ;

- relation fournisseurs : relation contractuelle de long terme, conformité norme qualité, gestion intégrée des ressources d'information ;

- ressources humaines : gestion des compétences, management participatif, prévention des risques santé et sécurité au travail.

Dans ce contexte, la santé des travailleurs s'avère un pilier de la RSE . Le droit à un environnement sain et le concept de santé environnementale montent l'imbrication des deux concepts.

Cet aspect est particulièrement fort dans la dimension « ressources humaines » de la RSE, qui comprend la prévention des risques de santé et de sécurité au travail. Cependant, le respect des normes environnementales participe aussi de la santé des travailleurs, en réduisant par exemple leur exposition à des substances nocives.

Assurer la santé au travail est une des conditions de la réussite des politiques de RSE , ce d'autant plus dans le contexte de stagnation des accidents du travail et des maladies professionnelles évoquées plus haut.

Parmi les dimensions de la RSE, ce sont les ressources humaines qui ont le plus d'impact : une bonne gestion de la responsabilité sociale de l'organisation en matière de ressources humaines permettrait ainsi à une entreprise, en moyenne, d'être 20 % plus performante.

Globalement, une entreprise menant des actions de RSE est, en moyenne, 13 % plus performante qu'une entreprise dont ce n'est pas le cas 263 ( * ) :

Source : Mme Patricia Crifo, CNRS.

§ La notion de ROP

M. Martin Richer, consultant RSE 264 ( * ) précise le concept de retour sur prévention ( Return on Prevention , ROP) : chaque euro investi dans la prévention se traduit par des retombées financières pour l'organisation. Selon certaines études, ce ROP peut ainsi aller de 1,01 à 4,81 265 ( * ) . La Commission européenne estime elle un rapport bénéfice-coût compris entre 1,29 et 2,18.

L'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) a mené une enquête aboutissant à un ROP de 2,2, c'est-à-dire que chaque euro investi dans la prévention offre un retour sur investissement de 2,20 €, essentiellement (71 %) grâce à un travail de production plus efficace car effectué en sécurité 266 ( * ) .

Répartition des gains liés aux actions de prévention

Source : OPPBTP, 2014.

S'y ajoutent des gains sur les achats (meilleur emploi des ressources) et du chiffre d'affaires additionnel lié aux activités supplémentaires développées grâce aux actions de prévention. Les actions recensées par l'OPPBTP avaient un délai moyen de retour sur investissement, sur un plan strictement financier, d'un an et demi.

Bien plus, selon cette étude, ce sont les plus petites entreprises qui ont le plus intérêt à mener de telles opérations, avec un bénéfice moyen de 8 170 € pour les entreprises de moins de 20 salariés.

Les entreprises investissant dans la politique de prévention sont ainsi doublement gagnantes, pour la santé de leurs salariés et pour les gains de productivité qu'ils dégagent .

(2) Le quatrième plan travail et santé reconnaît la priorité à donner à la prévention

Le quatrième plan santé au travail (PST4) 2021-2025 a été publié le 14 décembre 2021, et a pour objectif la lutte contre les accidents du travail. En cohérence avec la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, cette nouvelle édition met un accent particulier sur la prévention.

Source : PST4.

Il s'articule sur dix objectifs répartis en quatre axes, dont le premier (prévention primaire et culture de prévention) a une importance particulière en matière de responsabilité sociale des entreprises.

Il est à noter que, pour la première fois, le PST comporte des indicateurs stratégiques, qui permettront de mieux s'assurer de sa bonne exécution.

Source : PST4.

d) La RSE accroît les obligations des entreprises en matière de santé au travail

Sous la pression de la société, mais également des investisseurs , la RSE modifie considérablement les pratiques des entreprises et favorise leur prise de conscience de la nécessité de l'augmentation de la qualité de vie au travail 267 ( * ) .

Pour autant, il faut amplifier ce mouvement par une démarche d'accompagnement, surtout vis-à-vis des plus petites entreprises, moins armées pour anticiper les changements. En effet, si la multiplication des mesures de transition a un objectif louable, elle alourdit la charge réglementaire pour les entreprises, surtout de petite taille.

Par ailleurs, il reste d'importants efforts à fournir pour développer la responsabilité des employeurs en matière de prévention contre les risques, tant physiques que psychosociaux, au travail. Elles demeurent encore trop peu nombreuses. Ainsi, en 2016, seuls 48 % des employeurs avaient mis en oeuvre, sur 12 mois, de telles actions.

Actions de prévention contre les risques physiques et contre les risques psychosociaux

Proportion des employeurs ayant mis en oeuvre une action de prévention des risques

Source : Dares, chiffres clés sur les conditions de travail
et la santé au travail, août 2021 (données 2016)

Comme pour l'établissement des DUERP, ce sont là encore les employeurs des fonctions publiques d'État et territoriale, ainsi que les TPE et les PME, qui sont le plus en retard dans ce domaine.

De multiples dispositifs d'aide sont pourtant accessibles

Le volontariat territorial en entreprise (VTE) vert est une aide de 12 000 euros financée par le ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion et l'Ademe et versée par Bpifrance aux entreprises qui recrutent pour au moins un an un jeune en alternance ou un jeune diplômé pour une mission ou un projet de développement structurant pour la transition écologique de l'entreprise. Un tel projet peut prendre la forme de la création d'une chaîne logistique verte ou de la limitation de l'impact environnemental d'un produit. Lancé en septembre 2020, ce dispositif n'est devenu opérationnel que tout récemment, avec seulement une centaine d'aides attribuées au total.

La branche accidents du travail-maladies professionnelles (ATMP) de la sécurité sociale a également lancé plusieurs outils de prévention, comme la démarche TMS Pros (troubles musculo-squelettiques), à destination des entreprises. Elle finance aussi largement la formation initiale dans ce domaine : un million d'apprentis ont été formés en prévention en 2020.

Enfin, plus de 425 aides publiques (estimation fournie par l'UNSA), au niveau européen, national et régional, sont destinées à aider les entreprises en matière de responsabilité sociale. Elles concernent des sujets divers, de la performance énergétique à la gestion des déchets en passant par le transport des salariés.

Proposition n° 32 : créer un guichet unique pour l'accès des entreprises aux aides à la transition écologique et une base de suivi de ces aides, établir une liste exhaustive des critères environnementaux à remplir pour en bénéficier, et prévoir des sanctions en cas de non-conformité aux critères.

e) L'effet de levier de la commande publique pour encourager la responsabilité
(1) Une labellisation à consolider

L'évaluation de la prise en compte de sa responsabilité sociale par une entreprise repose en grande partie sur l'attribution de labels. Cependant, ces derniers sont de qualité variable. Partant de ce constat, la plateforme RSE, créée en 2013 et rattachée à France Stratégie, a publié un rapport en février 2021 portant sur la reconnaissance des labels RSE sectoriels et commerce équitable.

Ainsi, de multiples labels attestant d'une démarche de responsabilité sociale des entreprises existent, par exemple les normes ISO (5000/14 000/26 000) ou bien des certifications : pour le seul secteur du bâtiment, on compte ainsi, entre autres, NF Haute qualité environnementale (HQE), Bâtiments durables méditerranéens (BDM), Bâtiment basse consommation (BBC), Haute performance énergétique (HPE). Cette multiplicité nuit à la lisibilité de cette labellisation.

Ce processus de création continue : ainsi, le label Investissement socialement responsable (ISR ), créé par l'État français en 2016, prend en compte les performances de gouvernance environnementale et sociale (ESG) des organisations.

L'État et les administrations publiques peuvent, par le biais de la commande publique, envoyer un signal en direction des labels les plus robustes et les plus significatifs. Toutefois, une telle démarche reste empêchée par des obstacles juridiques.

(2) Veiller au soutien public des entreprises responsables

En effet, la prise en compte par les acheteurs publics de la démarche RSE demeure insuffisante et limitée par le code des marchés publics. Elle serait un levier supplémentaire pour encourager les organisations à engager cette démarche.

C'est d'autant plus problématique que le code des marchés publics, s'il autorise la prise en compte du développement durable à tous les niveaux de la passation du marché, de la définition du besoin à l'analyse des candidatures en passant par les conditions d'exécution, il la limite à l'existence d'un lien avec l'objet du marché 268 ( * ). En outre, la jurisprudence actuelle ne reconnaît pas l'introduction dans l'appel d'offres de clauses sur la politique globale de l'entreprise, y compris un critère de responsabilité sociale 269 ( * ) .

Proposition n° 33 : modifier l'article L. 2112-3 du code de la commande publique pour permettre aux acheteurs publics de prendre en compte la dimension RSE dans leurs appels d'offres.

3. Améliorer la résilience et la responsabilité de l'État employeur
a) Un premier plan santé au travail dans la fonction publique à la portée encore trop limitée

Le 14 mars 2021, Mme Amélie de Montchalin, ministre de la fonction et de la transformation publiques, a présenté aux partenaires sociaux le premier plan santé au travail pour la fonction publique, qui s'étale sur la période 2022-2025 270 ( * ) .

Il entend « faire reculer les risques, sources de drames humains et de freins à la qualité du service public, et encourager la diffusion et la consolidation d'une véritable culture de prévention dans les trois versants de la fonction publique » et s'inspire des principes généraux des responsabilités de l'employeur du secteur privé en matière de prévention.

Cependant, à l'issue du dernier comité de concertation avant la publication du plan, plusieurs organisations syndicales ont regretté le manque de concertation et l'aspect non contraignant du plan 271 ( * ) .

L'État devrait pourtant se montrer exemplaire et donner l'exemple afin d'entraîner les acteurs économiques à se préparer à la transition climatique.

Proposition n° 34 : s'assurer du respect et de l'efficacité du plan santé au travail pour la fonction publique.

b) Déterminer une cartographie des risques des agents publics

Les différentes auditions menées par la mission ont permis de dresser le constat selon lequel l'État et, de façon plus générale, les administrations publiques, en tant qu'employeurs et acteur économiques, ne sont pas aussi armées que les entreprises en matière de préparation et d'adaptation de leurs parties prenantes à la transition climatique.

Pour leur part, les entreprises publiques s'y préparent. Ainsi, EDF met à jour, tous les six mois, une cartographie des risques , discutée par son comité exécutif.

Plus généralement, la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre prévoit que les entreprises de plus de 5 000 salariés dont le siège social est en France, ou de plus de 10 000 salariés, établissent un plan de vigilance .

Ce dernier comporte les éléments suivants 272 ( * ) :

« 1° Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;

« 2° Des procédures d'évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ;

« 3° Des actions adaptées d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;

« 4° Un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements relatifs à l'existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ;

« 5° Un dispositif de suivi des mesures mises en oeuvre et d'évaluation de leur efficacité. »

L'État est dépourvu d'un tel outil, alors qu'il l'impose aux entreprises. Or, les fonctionnaires, qu'ils relèvent de l'État, des collectivités territoriales ou de la fonction publique hospitalière, sont placés, à l'égard des risques climatiques et environnementaux, dans la même situation que les salariés du secteur privé. Aucun argument ne s'oppose donc à ce que les employeurs publics se dotent d'une cartographie des risques de santé publique concernant les agents des trois fonctions publiques.

Ces éléments semblent souhaitables et bienvenus pour implémenter une culture de la transition climatique au sein des administrations publiques.

Proposition n° 35 : créer une cartographie des risques de santé publique des trois fonctions publiques, mise à jour régulièrement.


* 259 Ministère du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, Plan pour la prévention des accidents du travail graves et mortels 2022-2025, 14 mars 2022.

* 260 Dares, chiffres clés sur les conditions de travail et la santé au travail, août 2021, selon l'enquête Sumer de 2017.

* 261 Enquête Conditions de travail et Risques psychosociaux, 2016

* 262 France Stratégie, Engagement des entreprises pour la prévention des conduites addictives, 2019

* 263 Benhamou, S., Diaye MA., Crifo P., 2016. RSE et compétitivité. Évaluation et approche stratégique.

* 264 Management & RSE, 17 novembre 2014, mis à jour le 19 octobre 2020

* 265 Elsler D et. al., « A review of case studies evaluating economic incentives to promote occupational safety and health », Scandinavian Journal of Work, Environment & Health

* 266 OPPBTP, Une approche économique de la prévention, 2014

* 267 « Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : une exemplarité à mieux encourager », rapport d'information de Mme Élisabeth LAMURE et M. Jacques LE NAY, fait au nom de la délégation aux entreprises n° 572 (2019-2020) - 25 juin 2020.

* 268 Article L. 2112-3 du code de la commande publique.

* 269 Arrêt « Chiffoleau » du Conseil d'État du 25 mai 2018.

* 270 https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/publications/hors_collections/Plan_Sante_Travail_FP_2022_2025.pdf

* 271 La Gazette des communes, 15 février 2022.

* 272 Art. L. 225-102-4 du code de commerce

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page