III. DES TRANSFORMATIONS DE L'EMPLOI À ANTICIPER ET À INTÉGRER DANS NOTRE MODÈLE DE PROTECTION SOCIALE

A. LA DÉCARBONATION DE L'ÉCONOMIE REDÉPLOIE LES EMPLOIS ENTRE SECTEURS

1. Transition écologique : objectifs liés au secteur de l'énergie

L'ensemble des éléments présentés ci-dessous part du postulat selon lequel des mesures de transition écologique seront effectivement mises en oeuvre, a minima celles actuellement prévues par la législation et les engagements internationaux de la France.

La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte fixe plusieurs orientations, en particulier la réduction de 28 % de l'énergie consommée par les bâtiments en 2030 par rapport au niveau de 2010 et la rénovation de 500 000 logements par an.

Pour atteindre ces objectifs, la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2019-2028 prévoit, pour 2028 :

- une baisse de 16,5 % de la consommation finale d'énergie par rapport à 2012, particulièrement de la consommation primaire des énergies fossiles, à - 35 % ;

- 277 millions de tonnes de CO2 émises par la combustion d'énergie, contre 322 millions de tonnes en 2016 ;

- une multiplication par 4 à 6 de la production de biogaz par rapport à 2017, soit de 24 à 32 térawattheures ;

- et un doublement de la capacité installée de production d'électricité renouvelable par rapport à 2017, au-delà de 100 gigawatts.

En complément, la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat prévoit la fin de la production d'électricité à partir de charbon en 2022, avec la fermeture des quatre dernières centrales de Cordemais, du Havre, de Saint-Avold et de Gardanne et l'installation obligatoire de panneaux photovoltaïques sur les nouveaux entrepôts et bâtiments commerciaux.

Au niveau européen, le Green Deal, dont l'un des objectifs est la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici à 2030 par rapport au niveau atteint en 1990, comprend plusieurs dispositifs, dont le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

2. Un gain net espéré en raison de la transition écologique

Du point de vue de l'emploi, et au vu de la corrélation nette observée entre consommation d'énergie, émission de gaz à effet de serre et produit intérieur brut, le principal risque lié à la transition écologique est celui d'une baisse de la croissance économique et d'une stagnation du pouvoir d'achat liées aux exigences croissantes de sobriété.

Dans ce contexte, tous les secteurs de l'économie ne sont pas égaux face aux gains ou aux pertes d'emploi. Il convient d'anticiper ces dernières et de donner les moyens à notre économie de pourvoir les métiers qui auront besoin de main d'oeuvre dans les années à venir.

a) L'intensité en matière d'emplois varie d'un secteur à l'autre

ETP par million d'euros de dépense en France en 2015
selon le secteur d'emploi

Source : Travaux de M. Philippe Quirion.

Tous les secteurs de l'économie ne sont pas égaux en matière de créations d'emplois : l'extraction d'hydrocarbures produit largement moins d'un emploi par million d'euros dépensé, contre plus de 10 pour les transports ferroviaires et 12 pour la construction spécialisée.

Trois raisons expliquent ce phénomène. La première, la plus importante, est liée au taux d'importation des différents secteurs considérés. Par exemple, isoler un bâtiment mobiliser des emplois non délocalisables et aboutit à une moindre consommation d'énergie, et donc à moins d'importations. A contrario , les stations-service et les raffineries de pétrole emploient quelques personnes, mais l'essentiel de la valeur ajoutée provient des importations.

Les deux autres raisons sont liées à la part de capital et les niveaux de rémunération des secteurs concernés : plus ils sont bas, plus le taux d'emploi est élevé.

b) Des secteurs menacés par la transition écologique
(1) Des secteurs inégaux face à la fiscalité énergétique

Selon le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), en 2018, la fiscalité sur les énergies fossiles acquittée par les entreprises représentait en France 12 milliards d'euros. Le poids de la fiscalité des carburants fait du secteur des transports, de loin, le premier contributeur, à hauteur de 10 milliards d'euros.

À l'inverse, d'autres secteurs, quoiqu'émetteurs de gaz à effet de serre (GES), apparaissent relativement préservés par cette fiscalité : c'est le cas des secteurs de l'énergie (28 % des émissions mais 3 % de la fiscalité acquittée), de l'agriculture (6 % des émissions, 1 % des taxes réglées) et de l'industrie (17 % des émissions, 3 % du montant payé). Ce dernier, en raison du risque de délocalisation, est largement couvert par des mécanismes d'exonération et de taux réduit.

(2) La perte d'environ 20 % des emplois de l'industrie automobile

D'ici 2035, entre 50 000 244 ( * ) et 65 000 245 ( * ) emplois pourraient être supprimés sur les 280 000 emplois directs de la filière automobile. Cela est dû en particulier au fait qu'un moteur électrique soit sept fois plus rapide à fabriquer qu'un moteur thermique, et que l'électrification baisse les besoins e maintenance de 60 % 246 ( * ) .

En incluant des emplois connexes liés à la vente et à la maintenance des véhicules (les véhicules électriques demandent moins de maintenance), les pertes du secteur pourraient aller jusqu'à 300 000 emplois sur un total de 800 000, dont seule une petite partie pourrait être compensée par une relocalisation partielle de la production sur le territoire national 3 .

(3) Une diminution des constructions de logements neufs

De plus, la construction de logements neufs pourrait être amenée à diminuer compte tenu de la concurrence de l'usage des sols. 400 000 logements neufs sont actuellement construits chaque année, pour 250 000 foyers nouveaux sur la même période 3 . Ainsi, construire 150 000 logements neufs de moins par an, pour correspondre à ce besoin, aboutirait à environ 100 000 emplois de moins dans le secteur de la construction de logements.

(4) Un déclin des énergies fossiles au profit de l'électrification du mix

Le secteur des énergies fossiles est lui appelé à largement décliner dans les années à venir, avec la fermeture complète des dernières centrales à charbon situées sur le territoire français. La forte baisse de consommation globale d'énergie, particulièrement marquée s'agissant des énergies fossiles, ne serait probablement pas compensée par la hausse de la consommation d'électricité imposée par l'électrification de l'économie et des transports 247 ( * ) .

(5) Une mutation des mobilités

Selon le plan de transformation de l'économie française présenté par le Shift Project , respecter nos objectifs de développement durable impliquerait une diminution de 35 % du nombre de voyageurs-kilomètres pour le transport aérien de voyageurs, la baisse la plus forte étant enregistrée pour les vols court et moyen-courriers.

Cette concentration sur les vols les plus courts entraîne une baisse encore plus importante du nombre de passagers, d'où une diminution de plus de la moitié des emplois du secteur, qui passeraient de 70 000 personnes à 30 000.

Des 300 000 emplois du secteur du fret routier, plus de 100 000248 ( * ) pourraient être perdus en raison du report de modalités vers le fret fluvial, ferroviaire et cyclologistique.

c) Des gains d'emplois dans des secteurs non délocalisables et à forte intensité de main d'oeuvre

Dans le cadre de la transition écologique, les secteurs des transports sobres en énergie, des énergies renouvelables et de récupération et du bâtiment résidentiel sont particulièrement concernés par les gains d'emplois.

Selon l'Ademe, ces trois secteurs sont passés de 206 490 à 357 730 ETP entre 2006 et 2019, dont plus de la moitié pour le troisième. En 2019, les marchés associés à ces secteurs s'élevaient à 83,3 milliards d'euros, 2,5 fois plus qu'en 2006. Au totale, l'Ademe estime qu'un million d'emplois pourraient être créés à l'horizon 2050 si l'ensemble des actions de la stratégie bas-carbone sont mises en oeuvre, dont 540 000 dès 2030.

Les secteurs de l'énergie, du bâtiment et des transports sont également ceux qui ont été retenus par le rapport, remis en février 2019, relatif au plan de programmation de l'emploi et des compétences (PPEC) tenant compte des orientations fixées par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) prévue par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

(1) Rénovation thermique et réseaux de chaleur : un gain d'emplois lié au passage des travaux de construction à ceux de maintenance

Le modèle Transition écologique territoire emploi (TETE), élaboré par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et du Réseau action climat, se base sur les actions de transition nécessaires pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius à l'horizon 2050.

Selon ce scénario, de fortes créations nettes d'emplois sont attendues sur le secteur de la rénovation thermique des bâtiments et des réseaux de chaleur. On passerait ainsi de 170 000 emplois en 2021 à plus de 400 000 en 2032, avant un léger recul lié à l'hypothèse d'une hausse de productivité de 0,5 % par an, moyenne constatée ces vingt dernières années. À cela s'ajoutent des emplois qui seraient créés par l'utilisation de matériaux biosourcés : ainsi, la paille, moins coûteuse, nécessite deux fois plus de temps d'installation que le béton.

Ces quelque 230 000 emplois supplémentaires font donc plus que compenser la perte liée à la diminution des constructions neuves évoquées plus haut.

Source : travaux de M. Philippe Quirion, chercheur au CNAM, scénario TETE.

Une autre visualisation des évolutions d'emplois sur le secteur de la construction, rénovation comprise est la suivante :

Source : the Shift Project, PTEF 2022.

Les emplois en construction neuve, en prenant en compte une baisse des nouvelles constructions mais une hausse des besoins de rénovation, seraient ainsi transférés au profit de ces derniers. L'essentiel des nouveaux entrants sur ce secteur s'orienteraient ainsi vers les métiers de a rénovation.

Pour autant, le besoin de formation pour la construction neuve, s'il est appelé à se réduire, demeurera.

(2) Énergies renouvelables : installation de nouvelles capacités puis maintenance créeront des emplois supplémentaires

De façon similaire et selon le même modèle, le nombre d'emplois dans le secteur des énergies renouvelables serait amené à presque tripler, de 73 000 en 2021 à plus de 200 000 dès 2030, tout d'abord liés à l'installation de nouvelles capacités puis à leur maintenance.

Source : travaux de M. Philippe Quirion, chercheur au CNAM, scénario TETE.

(3) Transports : des compensations d'emplois grâce aux reports de modalités

Comme évoqué plus haut, les diminutions du fret routier dues à la transition écologique seraient compensées par la montée en puissance du fluvial, du ferroviaire et de la cyclologistique.

Scénario de décarbonation du fret - transformation des emplois

Source : the Shift Project, PTEF 2022.

Les emplois du fret ferroviaire seraient ainsi plus que doublés d'ici à 2050, passant de 10 900 à 24 000 emplois, et il en serait de même pour le transport fluvial, qui gagnerait 2 000 emplois à 3 500 ETP.

Dans un tel scénario, le plus fort gain potentiel, mais aussi le plus incertain, est celui de la cyclologistique, presque inexistante aujourd'hui, mais qui pourrait à terme représenter plus de 100 000 ETP 249 ( * ) . Celle-ci repose avant tout sur les vélos à assistance électrique (VAE) et les deux ou trois-roues légers électrifiés avec cargo qui, à charge équivalente, émet 85 % de CO2 en moins 250 ( * ) . Cet essor des déjà visible aujourd'hui : selon le plan national cyclologistique du Gouvernement, la vente de vélos cargos a augmenté de 354 % en 2020.

(4) Agriculture : près d'un demi-million d'emplois pourraient être gagnés par le développement de l'agroécologie et la relocalisation

Le secteur agricole, hors pêche, emploie aujourd'hui près de 1,5 million de personnes 1 , dont la moitié dans la production agricole proprement dite.

La France importe aujourd'hui une grande partie de sa consommation de fruits et légumes. Relocaliser cette production pour répondre aux besoins de notre pays, pour les cultures compatibles avec les conditions en France, pourrait nécessiter 366 000 ETP supplémentaires.

De même, la généralisation de pratiques agroécologiques, dont la diversification des cultures, la plantation d'arbres et l'autoproduction d'engrais et d'autres intrants pourraient nécessiter en moyenne entre 0,2 et 0,5 ETP 251 ( * ) par exploitation, soit 133 000 ETP de plus en 2050 par rapport à aujourd'hui.

(5) Des gains attendus dans d'autres branches

D'autres branches, comme l'industrie manufacturière, sollicitée tant pour la rénovation thermique que pour les énergies renouvelables, le génie civil ou encore les services, sont également amenées à gagner des emplois.

Au total et tous secteurs confondus, un gain de presque un million d'emplois pourrait être constaté d'ici à 2050, pour autant que les mesures de transition écologique soient prises.

Proposition n° 25 : des scénarios de transformation de l'économie nécessaires pour respecter les orientations de transition écologique de la France et anticiper les besoins de main d'oeuvre correspondants d'ici à 2050

Le réseau des institutions d'évaluation des emplois verts
(Green Jobs Assessment Institutions Network, GAIN) :
un réseau d'experts sans participation française

Créé à l'initiative de l'Organisation internationale du travail (OIT) en 2013, le réseau GAIN rassemble des organismes d'évaluation de nombreux pays dans le but de faire des recherches sur l'impact de la transition écologique sur l'emploi.

Il a pour objectifs

le développement d'une méthodologie unifiée et d'un corpus de formation sur l'analyse et la modélisation des conséquences sociales et en termes d'emploi des politiques de développement durable ;

le renforcement de la capacité des gouvernements nationaux dans ce domaine.

Le GAIN se base sur des modèles économies entrées-sorties, à partir d'éléments de comptabilités nationales, et a pour objectif la définition de politiques publiques pour une transition juste.

Le réseau regroupe des organismes de recherche publics et privés, des chercheurs individuels et des organisations internationales. Cependant, l'OIT a indiqué à la rapportrice qu'aucune institution ni aucun chercheur français ne participait à ces travaux. De façon plus générale, l'OIT n'a que peu de contacts avec le monde de la recherche français dans le domaine des emplois verts, et a précisé que le réseau restait ouvert aux chercheurs et institutions de notre pays.

L'OIT a également fait part de sa volonté de mettre en place une facilité d'appui technique dans le cadre du déploiement de l'accélérateur mondial pour l'emploi et la transition juste. Dans ce cadre, l'organisation souhaite renforcer ses contacts avec des pôles français de compétences, en particulier Expertise France.

3. Accompagner les nécessaires transitions de l'emploi et de la formation professionnelle
a) Repérer les compétences nécessaires au développement des industries en tension

Deux catégories de compétences sont particulièrement précieuses pour répondre aux besoins de la transition écologique : les compétences transversales , génériques et mobilisables dans différentes situations professionnelles, et les compétences transférables , spécifiques à un secteur particulier mais qui peuvent être réutilisées dans un autre contexte d'emploi.

Selon l'Union française de l'électricité, 30 % des métiers de la filière de l'électricité sont en tension, dont les deux tiers du fait des besoins de la transition énergétique. Il s'agit pour ces métiers et les autres emplois en tension de trouver des passerelles, en amont et en aval, et d'identifier les formations et compétences nécessaires.

Un autre exemple est celui des fabricants de vélo. Aujourd'hui, la France n'assemble que 300 000 vélos sur deux millions vendus par an. Or, le vélo reste encore très peu utilisé dans notre pays, puisqu'il ne représente que 2 % des distances parcourues contre 20 % en Allemagne252 ( * ). Atteindre le même niveau, et donc multiplier par dix la consommation de vélos en France, imposerait une double relocalisation : passer d'un simple assemblage à une vraie fabrication en France, cinq fois plus intensive en emplois (10 ETP par million d'euros dépensé contre 2), et augmenter considérablement les capacités de production.

L'industrie du vélo ne représente cependant que 2 000 emplois en France, et nécessitera donc un apport massif de main d'oeuvre qualifiée : elle pourrait compter plus de 100 000 emplois d'ici à 2050253 ( * ). À cet égard, selon le service recherche et développement du fabricant Mavic, les compétences en fonderie de salariés de l'industrie automobile pourraient utilement être valorisées.

Des emplois pourraient également être redéployés de la filière des moteurs thermiques vers les services la maintenance et l'exploitation des systèmes de climatisation et de ventilation, et les énergies renouvelables thermiques.

De même, les sites amenés à fermer disposent de compétences collectives qui peuvent être utiles à la transition. Par exemple, les fabricants de moteurs de voitures peuvent redéployer leurs compétences vers la construction de moteurs d'éoliennes. Des démarches ont été lancées, comme celle du « CV de site », développé par le cabinet Syndex, qui permet de rendre publiques et compréhensibles pour des acteurs extérieurs les compétences techniques et humaines de sites industriels.

Proposition n° 26 : établir une cartographie professionnelle des compétences en fonction de leur transférabilité entre filières en tension et en contraction.

b) Des outils de formation et de reconversion existants mais insuffisants

Les évolutions du marché du travail qui ont lieu dans le cadre de la transition écologique doivent être accompagnées de politiques adaptées de formation. L'objectif en est double : ne laisser aucun travailleur sur le côté du chemin et donner aux filières les moyens de réaliser la transition en répondant à leurs besoins de main d'oeuvre.

(1) Un soutien du plan de relance au compte personnel de formation de transition professionnelle dont l'impact reste à mesurer

S'agissant du compte personnel de formation de transition professionnelle (CPF-TP), dans le cadre du plan de relance, une dotation de 100 millions d'euros a permis de financer des projets de transition professionnelle spécifiquement ciblés vers les métiers à forte perspective d'emploi ou vers des salariés issus de secteurs d'activité dont le taux d'emploi diminue. Dans ce cadre, des projets de reconversion professionnelle portant vers des métiers relatifs à la transition écologique ont été financés. Pour l'heure, la DGEFP n'a pas été en mesure de communiquer le nombre de projets financés à la mission d'information.

(2) Un dispositif TRANSCO trop générique et individualisé

Le dispositif Transitions collectives (Transco), présenté le 11 janvier 2021, s'adresse à des salariés dont l'emploi est fragilisé qui se positionnent vers un métier porteur localement. Ce dispositif s'adosse à la réglementation relative au projet de transition professionnelle individuel.

Transco a pour objectif de protéger les salariés dont l'emploi est fragilisé, en leur proposant de développer leurs compétences dans le cadre d'un cycle maximum de 24 mois de formation certifiante et les préparent à des métiers « porteurs ». Cela a lieu tout en sécurisant la rémunération pendant le parcours de formation, et le contrat de travail, le dispositif de transition collective vise à favoriser la mobilité professionnelle, en particulier intersectorielle et la reconversion à l'échelle du territoire.

Le dispositif se constitue autour de plateformes territoriales d'appui aux transitions professionnelles, qui mettent en relation des entreprises ayant des salariés qui souhaitent se reconvertir et des entreprises ayant des besoins de recrutement sur un même bassin d'emploi.

Le dispositif est géré par les associations de Transition Pro (ATPro) qui instruit la demande de prise en charge du projet de transition professionnelle et autorise la réalisation, assure le financement et le suivi du projet, selon les mêmes modalités que les projets de transitons professionnelles de droit commun.

Des listes 254 ( * ) sont établies et permettent d'identifier les métiers porteurs sur les territoires afin d'orienter prioritairement le financement des parcours de formation vers ces métiers. Ces listes permettent aux salariés qui s'engagent dans le parcours de formation d'être sécurisé sur les perspectives d'embauche à l'issue de la formation et pour l'État de s'assurer que la formation financée permet une embauche rapide.

Pour autant, ce dispositif apparaît trop générique par rapport aux besoins réels de formation des salariés, et s'adresse uniquement à des individus effectuant une démarche volontaire , au lieu d'être un dispositif collectif à la destination de l'ensemble des personnes concernées.

L'évaluation de Transco, prévue au second semestre 2022255 ( * ), devra être suivie avec attention pour juger de la pertinence du dispositif en matière d'adéquation aux besoins et de nombre de personnes accompagnées.

(3) Renforcer le rôle des opérateurs de compétences dans les filières industrielles

L'article 43 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets prévoit une mission d'information des entreprises sur les enjeux liés à l'environnement et au développement durable aux opérateurs de compétences (OPCO), associations gérées par les partenaires sociaux et agréées par l'État qui gèrent les fonds de la formation professionnelle. Cette mission est inscrite à l'article L. 6332-1 du code du travail et concerne toutes les entreprises, même si leur service de proximité est avant tout destiné au bénéfice des très petites, petites et moyennes entreprises.

Dans ce cadre, les OPCO poursuivent plusieurs objectifs : adaptation des compétences des salariés aux enjeux de la transition, mobilisation et adaptation de l'offre de formation, création de référentiels de compétences intégrant la transition écologique et valorisation des nouvelles compétences, aussi bien auprès des salariés actuellement en poste que des personnes en orientation ou en recherche d'emplois.

Différents OPCO ont ainsi internalisé le changement climatique dans les démarches suivantes :

• l'OPCO coopération agricole, agriculture, pêche, industrie agroalimentaire et territoires (OCAPIAT) a ainsi créé une équipe dédiée d'étude et de prospective pour conduire des travaux sur les enjeux de la transition écologique dans la filière en matière d'emploi et de besoins en compétences et un réseau de conseiller pour sensibiliser les entreprises ;

• Constructys, spécialisé dans la construction et le bâtiment, développe un programme de formation aux économies d'énergie à destination des salariés, en partenariat et avec des financements d'EDF ;

• l'OPCO 2i (interindustrie), avec la convention relance industrie, soutient les entreprises industrielles en difficulté ou en activité partielle en finançant des actions de formation de leurs salariés et en certifiant certaines compétences, avec par exemple en 2016 la création d'un certificat de compétences professionnelles de la métallurgie de référent énergie, pour l'optimisation de la consommation d'énergie des équipements industriels du secteur.

Les OPCO gèrent aussi le Fonds national de l'emploi (FNE), doté de 808 millions d'euros de 2021 à 2022, qui finance la formation de salariés d'entreprises en difficulté ou faisant face à des mutations économiques ou technologiques importantes.

Proposition n° 27 : renforcer l'accompagnement des salariés des filières en contraction.

Fermeture des centrales à charbon :
un dispositif exceptionnel qui a connu des difficultés

L'ordonnance n° 2020-921 du 29 juillet 2020 portant diverses mesures d'accompagnement des salariés dans le cadre de la fermeture des centrales à charbon, et le décret n° 2021-297 du 18 mars 2021 pris en son application est le volet gouvernemental d'une série de mesures visant à accompagner les salariés des quatre dernières centrales à charbon avant leur fermeture définitive. Près de 800 salariés étaient concernés. Ces derniers devaient être accompagnés pour une durée de 24 mois, voire 30 mois pour les plus proches de l'âge de la retraite, via un congé d'accompagnement spécifique.

Pour autant, d'importantes difficultés ont été rencontrées. Ainsi, le projet de fabrication et de combustion de granulés de bois Ecocombust, qui devait remplacer la centrale de Cordemais, a dû être abandonné en juillet 2021 après plus de 20 millions d'euros d'investissements. L'appel à manifestation d'intérêt pour une nouvelle unité de production de granulés, émis le 16 février par le Gouvernement, doit donc être suivi avec prudence.

(4) Un fonds pour la transition juste, bienvenu mais limité à certains territoires

Le fonds de transition juste, fonds européen doté de 17,5 milliards d'euros, dont 1 milliard pour la France, vise à atténuer le coût économique, environnemental et social de la transition vers la neutralité climatique, dans les territoires les plus émetteurs de gaz à effet de serre d'origine industrielle. Il est à noter que la France reçoit un montant équivalent à celui dont bénéficie l'Italie, mais nettement moins que la Pologne (premier bénéficiaire à 3,5 milliards d'euros), l'Allemagne et la Roumanie.

70 % des montants de ce fonds, gérés au niveau de la région, sont consacrés à la reconversion ou à l'adaptation d'entreprises, issues de secteurs en déclin ou en transformation, vers une économie décarbonée, mais aussi à la diversification de l'économie locale. Les 30 % restants sont fléchés vers la formation et à la recherche d'emploi des travailleurs et des demandeurs, via un programme national géré au niveau local par les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS).

Toutefois, seuls certains territoires sont concernés . Il s'agit des départements du Nord, du Pas-de-Calais et des Bouches-du-Rhône, un territoire s'étendant sur 27 établissements publics à coopération intercommunale de la région Grand Est, l'axe Seine et Bresle en Normandie, le territoire Rhône et Isère en Auvergne-Rhône-Alpes et le territoire du pacte de Cordemais dans la région Pays de la Loire.

c) Recentrer la formation en direction des secteurs porteurs en s'appuyant sur les EDEC
(1) Mettre à profit les nouvelles compétences des Crefop pour renforcer la dimension environnementale de la gestion des emplois et des parcours professionnels à l'échelon régional

Les engagements de développement de l'emploi et des compétences (EDEC), accords conclus entre l'État et des branches professionnelles pour anticiper les mutations de l'emploi, pourraient davantage prendre en compte la dimension environnementale.

En particulier, l'article 42 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets prévoit la présence de personnalités « qualifiées dans le domaine de la transition écologique » au sein des comités régionaux de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Crefop). Forts de ce surcroît de compétences, les Crefop pourraient augmenter la dimension prospective de leurs travaux en soutien aux EDEC.

Ces derniers, à l'instar de ce qui a été fait pour la filière électrique256 ( * ), pourraient ainsi être déclinés région par région pour être au plus près des spécificités territoriales.

L'appel à projets « Soutien aux démarches prospectives compétence » du Plan d'Investissement dans les Compétences 2018-2022 montre la priorité affichée donnée à la transition écologique dans les politiques de formation de ces dernières années .

Pour autant, une étude de capitalisation 257 ( * ) des EDEC achevés entre 2019 et 2021 relève que les impacts de la transition écologique sur les métiers et compétences sont un sujet encore peu exploré par les branches professionnelles .

Proposition n° 28 : développer le rôle prospectif des Crefop dans l'évaluation des impacts de la transition écologique

(2) Loi climat : un encouragement à une GPEC durable à confirmer

La loi climat apporte de nouvelles dispositions à la GPEC de branche et d'entreprise. Plusieurs filières se sont emparées du sujet à travers leur Observatoire des métiers et des qualifications (OPMQ) de branches ou d'OPCO en s'appuyant sur des Engagements et développements et compétences (EDEC) dans les filières du BTP, de l'électrique ou encore de l'eau.

Cependant, comme cela est mentionné plus haut, si la prise en compte de la transition écologique figure dans le cahier des charges des EDEC, force est de constater qu'elle n'est pas toujours effective dans les faits .

Afin de mieux accompagner les entreprises dans la définition de leurs besoins en matière de formation professionnelle, les OPCO doivent contribuer à définir leurs besoins en matière de formation professionnelle intégrant la transition écologique.

Les EDEC déjà créés ont permis d'engager plusieurs actions, dont :

- la création d'une certification « éco-manager » au sein de la branche audiovisuelle afin de garantir les conditions de l'écoresponsabilité lors d'événements éphémères ;

- l'élaboration de cours en ligne sur l'économie circulaire à destination des salariés dans la plasturgie ;

- une enquête « Éco prospective », dans le secteur du commerce, pour dresser un état des lieux des pratiques écologiques d'une entreprise, obtenir une analyse du niveau de maturité et envisager des actions et des recommandations à mettre en place.

d) Anticiper et accompagner le verdissement des emplois
(1) Au-delà des métiers verts : les métiers « verdissants » concernent déjà un salarié sur sept

Les métiers verts, soit ceux dont la finalité est directement environnementale, sont exercés par 140 000 personnes en 2018, soit 0,5 % de l'emploi total. Pour autant, de plus en plus de métiers sont « verdissants », c'est-à-dire dont les compétences évoluent pour intégrer les enjeux environnementaux : 3,8 millions 258 ( * ) seraient concernés.

C'est par exemple le cas de nombreux métiers du bâtiment, ou encore de l'agriculture, concernés par les économies d'énergie. En 2013, ces métiers représentaient 12,8 % de l'emploi total, contre 14 % en 2018. Ils sont en grande partie des emplois de techniciens, d'ingénieurs et de scientifiques, situés en milieu urbain.

Pour autant, les entreprises peinent à traduire cette transition par l'identification des compétences techniques et spécifiques qui découleront de l'adaptation aux nouveaux modes de production « verts » ou « verdis. Les besoins de formation professionnelle des salariés, pour leur permettre de monter en compétences et ainsi pérenniser leur emploi, ne sont donc pas encore pleinement identifiés, alors que les branches peinent par ailleurs à évaluer la maturité écologique de leurs entreprises.

De plus, l'article 304 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets prévoit que le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1 er janvier 2022, un rapport sur les métiers et compétences en tension en rapport avec la transition écologique, sur l'offre de formation professionnelle initiale et continue à ces métiers et compétences et sur l'opportunité que présente le déploiement des écoles de la transition écologique pour répondre au besoin de formation professionnelle identifié. Or, ce rapport n'a toujours pas été, à la date de publication du présent rapport, remis au Parlement.

La négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels pourrait être intégrée dans le plan de développement des compétences (PDC).

Proposition n° 29 : confier aux observatoires d'analyse et d'appui au dialogue social une mission d'évaluation des nouvelles méthodes de travail liées au changement climatique.

(2) Lever les freins à l'attractivité de certains emplois et secteurs verts

La reconversion de certains emplois nécessitera un travail sur l'attractivité des nouveaux postes. Par exemple, le report modal du fret routier sur le transport à vélo pose la question du niveau de salaire, de la sécurité physique et de la pénibilité du travail. Travailler sur ces problématiques de l'attractivité sera nécessaire pour assurer la pérennité des nouvelles filières de formation.

Manque de compétences : un constat déjà formulé par le Sénat

Selon le rapport d'information n° 536 (2019-2020) de MM. Michel Canévet et Guy-Dominique Kennel, fait au nom de la délégation aux entreprises, déposé le 18 juin 2020 « Des compétences de toute urgence pour l'emploi et les entreprises » , la France souffre de façon générale d'un manque de compétences expliquant à la fois un taux de chômage relativement élevé et un grand nombre de postes non pourvus.

Le rapport soulignait la fragilité de l'apprentissage, malgré une hausse appréciable en 2018-2019 (321 000 contrats supplémentaires sur la période, soit 5 % de plus), face à la crise liée à la pandémie de covid.

Il recommandait en particulier la possibilité pour les entreprises d'amortir l'ensemble de l'investissement immatériel contribuant à améliorer les compétences : en effet, pour l'heure, seules sont concernées les formations consécutives à la mise en service d'un investissement.

Il dressait également le constat selon lequel les entreprises, et particulièrement les PME, étaient insuffisamment sensibilisées aux possibilités d'accompagnement de la GPEC proposées par les OPCO et, en l'absence de candidat idéal, à l'intérêt d'une formation en interne.

Un changement dans les habitudes et les méthodes de travail sera également nécessaire.

C'est particulièrement vrai dans le domaine de la rénovation de logements : aujourd'hui, entre deux et trois millions de gestes individuels de rénovation ont lieu chaque année, mais ils ne concernent qu'une partie du logement et sont nettement moins efficaces qu'une rénovation unique globale, tout en bénéficiant d'aides publiques comme MaPrimeRénov' (deux milliards d'euros pour 2022).

Cependant, certaines interventions sur un logement peuvent nuire à son efficacité énergétique. Par exemple, des travaux effectués par un plombier, un chauffagiste, un ventiliste ou un électricien risquent de dégrader l'étanchéité à l'air de l'enveloppe par les perforations liées à leurs interventions.

Ainsi, un double changement de pratiques est nécessaire : travailler en équipe pour effectuer une rénovation globale et, pour les gestes individuels, prêter davantage attention à l'ensemble des facteurs d'efficacité énergétique .


* 244 France Stratégie, Localisation de la production automobile , 2021.

* 245 Observatoire de la métallurgie, 2021.

* 246 The Shift Project, PTEF 2022.

* 247 Le Shift Project, dans son plan de transformation de l'économie française, estime que 15 000 emplois seraient créés par une hausse de la consommation d'électricité de 20 %, sans fournir d'estimations pour les pertes d'emploi dans le secteur des énergies fossiles en raison des difficultés d'évaluation.

* 248 Shift Project, PTEF 2022.

* 249 Shift Project, PTEF 2022.

* 250 Ministère de la transition écologique, plan national cyclologistique, 3 mai 2021.

* 251 Bertin et al. 2016.

* 252 Source : the Shift Project.

* 253 Rapport du député Guillaume Gouffier-Cha sur sa mission sur la filière économique du vélo en France auprès de M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre des transports.

* 254 https://travail-emploi.gouv.fr/formation-professionnelle/formation-des-salaries/transitions_collectives/article/les-metiers-porteurs-en-region

* 255 Instruction N° DGEFP/2022/35 du 7 février 2022 relative au déploiement du dispositif « Transitions collectives » prévu par France relance.

* 256 Source : UNSA.

* 257 Source : DGEFP.

* 258 Ministère de la transition écologique, décembre 2021.

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