C. PLANIFIER UNE TRANSFORMATION LOCALE DE L'OFFRE ALIMENTAIRE

1. Faire des collectivités territoriales, des éléments moteurs d'une offre alimentaire saine

Les collectivités territoriales ont un rôle majeur dans la prévention nutritionnelle de l'obésité. Le programme Vivons en Forme (VIF) de l'association Fédérons les Villes pour la Santé (FLVS) a été précurseur pour mobiliser les communes ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et leur apporter un soutien dans leur politique de promotion de la santé. Les villes qui adhèrent au programme reçoivent des formations pour les agents et les élus ainsi que des outils clefs en main pédagogiques à destination des enfants et de leurs familles. Thibault Deschamps, président de l'association, et Flora Demory, responsable des partenariats et du développement, ont indiqué aux rapporteures en audition que des études ont pu montrer la diminution de l'obésité dans les communes engagées dans le programme 207 ( * ) .

Les collectivités territoriales disposent d'autres moyens de mettre en place une réponse collective à l'épidémie d'obésité sans nécessairement décliner à l'échelon local une politique descendante.

a) Se saisir des projets alimentaires territoriaux

La loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt 208 ( * ) a créé les projets alimentaires territoriaux (PAT) dont l'objectif est de « rapprocher les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, les collectivités territoriales et les consommateurs et [de] développer l'agriculture sur les territoires et la qualité de l'alimentation » 209 ( * ) .

Les projets alimentaires territoriaux

Prévus à l'article L. 111-2-2 du code rural et de la pêche maritime, les PAT sont « élaborés de manière concertée avec l'ensemble des acteurs d'un territoire et répondent à l'objectif de structuration de l'économie agricole et de mise en oeuvre d'un système alimentaire territorial ». Peuvent ainsi être à l'initiative de ces PAT des collectivités publiques (État, collectivités territoriales, établissements publics...) ou privées (associations, agriculteurs) qui formalisent leur partenariat par un contrat.

Les objectifs des PAT sont multiples : consolider les filières territorialisées et favoriser leur résilience économique et environnementale, participer à la lutte contre le gaspillage alimentaire et la précarité alimentaire, et au développement des circuits courts, en particulier relevant de la production biologique. Elles cherchent ainsi à organiser une alimentation locale, « saine, durable et accessible » .

Les PAT peuvent mobiliser des ressources publiques - crédits budgétaires des collectivités, crédits du fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) ou du fonds européen de développement régional (Feder) - comme privées ou même générer leurs propres recettes.

Pour faire reconnaître comme PAT leur projet, les parties prenantes doivent répondre à un appel à labellisation du ministère de l'agriculture et de l'alimentation. En pratique, les porteurs de projet de ces PAT sont largement des collectivités territoriales qui bénéficient de l'appui du réseau national des projets alimentaires territoriaux chargé par la loi du 22 août 2021 dite « Climat et résilience » 210 ( * ) de construire des outils méthodologiques à leur service et de suivre le déploiement des PAT.

Dans le cadre du PNAN (2019-2023) a eu lieu en novembre 2021 le huitième appel à projets pour la labellisation de projets en PAT. Une enveloppe globale de 1,8 millions d'euros a ainsi été ouverte pour les lauréats réunissant des crédits du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, de l'Ademe et du ministère des solidarités et de la santé. Les vingt-sept projets lauréats, qui peuvent bénéficier d'une subvention jusqu'à 100 000 euros, auront une durée de 36 mois. Au 1 er avril 2022, un total de 373 PAT était ainsi reconnu par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation à différents degrés (niveau 1 ou de niveau 2) selon l'ambition du projet.

Si le cahier des charges présente de nombreuses exigences
- à commencer par une adéquation du projet avec le PNA3, les rapporteures constatent que les enjeux de lutte contre l'obésité ne sont présents qu'indirectement que ce soit à travers les enjeux d'éducation alimentaire évoqués ou de promotion des légumineuses. L'objectif de qualité des aliments au regard de leurs compositions nutritionnelles ou de leur degré d'ultra-transformation n'est ainsi pas explicité dans les critères de reconnaissance de PAT . Les rapporteures recommandent donc d'enrichir les prochains cahiers des charges des appels à labellisation des PAT de ces éléments. De même, la question de l'offre de restauration rapide disponible sur un territoire pourrait être intégrée à un PAT, pour peu que les collectivités locales disposent de marge de manoeuvre à ce sujet (voir infra ).

Proposition n° 16 : intégrer plus explicitement les leviers de la lutte contre l'obésité (qualité de la composition nutritionnelle des repas en restauration collective, réduction des offres de produits ultra-transformés) aux cahiers des charges pour la reconnaissance des projets alimentaires territoriaux. (Ministère chargé de l'alimentation)

L'enjeu de consommer des produits frais et bruts par rapport à une alimentation ultra-transformée peut pourtant être un axe structurant d'un PAT porté par une collectivité territoriale . Anthony Fardet a indiqué aux rapporteures avoir pu conseiller des porteurs de projets pour intégrer ces enjeux à leur plan d'action. Les rapporteures ne peuvent que saluer les démarches engagées par le PAT Grand Clermont-PNR Livradois-Forez ou celle du PAT de la Brest Métropole. Ce dernier projet a permis la mise en place d'une navette pédagogique sous la forme d'un jeu d'évasion (« escape game » ) afin de sensibiliser de manière divertissante les habitants de la métropole à une alimentation saine et durable favorisant les aliments bruts (voir encadré ci-dessous).

Le PAT de Brest Métropole

Porté par Brest Métropole, le service promotion de la santé de la ville de Brest et par le centre communal d'action sociale (CCAS), le projet alimentaire métropolitain (PAM) a été labellisé comme PAT en janvier 2019. Il présente, entre autres, comme objectif de « renouveler et renforcer l'aide alimentaire et l'accessibilité pour tous à une alimentation de qualité et mettre en oeuvre un système diversifié d'information et de sensibilisation à l'alimentation durable ».

À cette fin, la « nutrinavette » est une action originale de sensibilisation des populations à l'approche développée par Anthony Fardet. Son caractère mobile lui permet d'aller à la rencontre des habitants notamment dans les quartiers prioritaires de la ville. Le jeu a été mis en service en novembre 2019 et permet, sans jauge liée au covid, de toucher 20 à 30 personnes par demi-journée pour un coût de 150 à 200 €.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat d'après la fiche du RnPAt de juillet 2021 sur l'escape game « Nutrinavette Subsistance »

b) Améliorer la restauration à destination des enfants et adolescents
(1) Le rôle primordial de la restauration scolaire

La restauration scolaire joue un rôle primordial dans la lutte contre l'obésité en tant qu'instrument collectif capable de corriger des inégalités sociales et de toucher des publics éloignés des préoccupations nutritionnelles . Elle intervient aussi pour un jeune public dont les habitudes alimentaires sont encore en construction. La DGOM a par exemple indiqué aux rapporteures avoir mis en place un groupe de travail spécifique sur la restauration scolaire à Mayotte, département spécifiquement précaire, afin d'améliorer quantitativement et qualitativement les collations et repas servis aux élèves.

Les PAT peuvent d'ailleurs être des outils à la main des collectivités territoriales pour fixer des objectifs en matière de qualité nutritionnelle des repas servis dans la restauration scolaire et organiser un approvisionnement local en produits bruts. Toutefois, les efforts doivent être menés même en l'absence de projets reconnus. Les collectivités territoriales peuvent se saisir des politiques d'achat, d'organisation et d'élaboration des menus et fixer des clauses ambitieuses dans les cahiers des charges établis pour les prestataires . Les exigences de qualité nutritionnelle portées par les collectivités peuvent être plus ambitieuses que les normes réglementaires et ne pas attendre les actualisations des textes prévues (voir supra ).

Les rapporteures ne peuvent que déplorer, comme il a été indiqué lors de plusieurs auditions, que la fréquentation de la restauration scolaire soit en baisse dans certains territoires ( cf . infra ) en raison d'une offre alimentaire extérieure plus attractive. Le syndicat de la restauration collective a ainsi regretté que les élèves trouvent facilement à l'extérieur les sucreries et boissons sucrées autrefois vendues dans les distributeurs des établissements scolaires et désormais interdites 211 ( * ) . Les efforts menés à l'intérieur des établissements scolaires risquent de se trouver neutralisés .

(2) Les effets délétères d'une offre de restauration rapide omniprésente

Parmi les nombreuses causes de la dynamique de l'obésité, la restauration rapide (« fast-food ») ne saurait devenir le bouc-émissaire de la lutte contre cette épidémie. Il convient toutefois de ne pas négliger sa part de responsabilité, que des travaux scientifiques étayent et objectivent.

La question de la régulation des offres de restauration rapide a déjà été portée dans le débat public. Prenant exemple sur la réglementation s'appliquant aux enseignes de sex-shop , un amendement des députés Philippe Folliot et Jean Dionis du Séjour au projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche 212 ( * ) proposait d'interdire l'implantation des fast-foods à moins de 200 mètres d'une école.

Cet amendement avait suscité une forme d'étonnement à l'Assemblée nationale et avait été rejeté 213 ( * ) . Pourtant, une étude de 2009, actualisée en 2010, montre qu'en Californie, la proximité d'un fast-food à moins de 0,1 mile (161 mètres) d'une école augmente l'incidence de l'obésité chez les enfants de 14-15 ans de 5,2 % en comparaison de ceux dont l'école est située à 0,25 mile (402 mètres) d'un tel restaurant 214 ( * ) . Une autre étude plus récente menée à New York prouve que la probabilité d'être obèse des élèves de tous âges diminue de près de 0,6 % à chaque dixième de mile supplémentaire séparant une résidence scolaire d'un restaurant fast-food 215 ( * ) .

Ces relations statistiques interviennent certes dans le contexte étatsunien aux habitudes alimentaires éloignées du modèle alimentaire français. Cet argument avait d'ailleurs été soulevé en 2009 lors des débats à l'Assemblée nationale. La situation a toutefois beaucoup évolué en une décennie. Il ressort des auditions menées par les rapporteures que ne sont plus exceptionnels les cas de lycéens voire de collégiens déjeunant régulièrement dans des établissements de restauration rapide de faible qualité nutritionnelle (enseignes bien connues de « fast-food », restaurants kebab, friteries...) au lieu de la cantine scolaire.

Lors de son audition, le Dr Patrick Houssel a ainsi souligné l'importance de réfléchir aux moyens de limiter à proximité des écoles l'offre de restauration rapide devenue pléthorique. Les rapporteures estiment en effet comme nécessaire de mettre un frein à l'installation de nouveaux restaurants proches des collèges et lycées . Une interdiction à la main des collectivités territoriales semblable à celle défendue par l'amendement de 2009 déjà mentionné pourrait être une première étape.

Proposition n° 17 : réguler l'installation des nouveaux restaurants de restauration rapide (« fast-foods ») à proximité des écoles, collèges et lycées. (Parlement)

Le Réseau des Villes-Santé de l'OMS entendu en audition soutient ainsi que « la réglementation sur l'implantation des débits d'alcool et de tabac à proximité des établissements scolaires pourrait s'étendre aux commerces proposant une alimentation non saine ( junk-food ). Les villes et intercommunalités auraient alors la capacité de réguler l'offre alimentaire. »

Les rapporteures sont cependant bien conscientes que les marges de manoeuvre du législateur sont en la matière restreintes. D'une part, le seul encadrement des nouvelles installations ne saurait préserver tous les environnements scolaires, un stock important de points de vente étant déjà implanté. D'autre part, une réglementation plus ambitieuse, justifiée certes par l'intérêt général et répondant à un objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, ne devrait pas porter atteinte de manière disproportionnée à liberté d'entreprendre également reconnue par le Conseil constitutionnel.

2. Prendre en compte la spécificité de l'offre alimentaire en outre-mer

La surexposition des populations ultra-marines à l'obésité trouve ses racines dans plusieurs éléments dont une précarité socio-économique plus importante. Les bouleversements rapides des habitudes alimentaires traditionnelles sont également un des déterminants de cette épidémie. La direction générale des outre-mer (DGOM) pointe ainsi « une surconsommation en produits gras et sucrés et une consommation en fruits et légumes et produits laitiers très inférieure aux recommandations (faible apport en fibres et en calcium) ». Enfin, l'offre alimentaire disponible n'est pas exemptée de toute responsabilité.

a) La teneur en sucre des aliments ultra-marins
(1) L'enjeu du sucre dans l'offre alimentaire ultra-marine

Motivée par des suspicions de produits beaucoup plus sucrés en outre-mer que dans l'Hexagone pour s'adapter aux préférences locales, la loi dite « Lurel » de 2013 216 ( * ) a mis sur le devant de la scène l'enjeu des teneurs en sucres des produits transformés sur les marchés ultra-marins. Le dispositif de la loi garantit que les produits vendus en outre-mer ne soient pas plus sucrés que les produits similaires vendus dans l'Hexagone. Elle limite ainsi le seuil maximal de sucre dans les produits non commercialisés en métropole à la teneur « la plus élevée constatée dans les denrées alimentaires assimilables de la même famille les plus distribuées en France hexagonale ».

La DGCCRF a réalisé une enquête en 2020 pour évaluer l'application de la loi Lurel. Le rapport, présenté aux rapporteures par la direction lors de son audition, ne constate globalement pas de mauvaise application de la loi s'agissant des boissons rafraîchissantes sans alcool (voir encadré ci-dessous).

Évaluation de l'application de la loi du 3 juin 2013 par la DGCCRF
pour les boissons rafraîchissantes sans alcool

Pour les produits identiques à ceux de l'Hexagone, aucune non-conformité n'a été décelée concernant les produits contrôlés. S'agissant des produits spécifiques aux outre-mer, sur treize références de boissons examinées, la DGCCRF a décelé comme non conforme une boisson énergisante commercialisée à Mayotte et a considéré deux boissons commercialisées en Guyane comme susceptibles d'être non conformes.

Source : Rapport de la DGCCRF communiqué à la commission des affaires sociales

Si la même conclusion est dressée par l'Inrae sur les secteurs des boissons, des biscuits et des produits laitiers frais, dont l'offre « ne se démarque pas de façon importante de celle observée sur le marché hexagonal », quelques exceptions peuvent toutefois être relevées. Un écart plus important est tout d'abord constaté pour les produits laitiers frais, lesquels sont en moyenne 13 % plus sucrés aux Antilles qu'en France hexagonale . En outre, au sein de ces secteurs, certaines familles de produits bien précises comme les boissons aux fruits gazeuses et plates, les limonades, les crèmes-desserts, les fromages frais et les yaourts sucrés ont des teneurs en sucres plus élevées aux Antilles. Or, ces produits peuvent être davantage consommés en France ultra-marine que dans l'Hexagone.

Commandé par la DGS, un rapport de l'Institut de recherche pour le développement note que « les consommations journalières moyennes de boissons sucrées en Guadeloupe et Martinique sont presque trois fois plus élevées que celles de la France hexagonale. La Guyane est presque au double. » 217 ( * ) De même, un Réunionnais sur cinq consomme des boissons sucrées tous les jours. Dans ce contexte, les effets obésogènes de certains produits populaires présentant une teneur moyenne en sucres légèrement supérieure en outre-mer que dans l'Hexagone sont démultipliés par une fréquence moyenne de consommation plus élevée.

(2) La loi Lurel : une réponse à compléter

La loi Lurel constitue une avancée majeure pour la qualité nutritionnelle de l'offre alimentaire en outre-mer. Les débats qui l'ont précédée et son adoption ont mis en évidence les inégalités de composition des denrées alimentaires. Elle a eu pour mérite de sensibiliser les opérateurs économiques à l'enjeu des teneurs nutritionnelles de leurs produits. La DGOM a confirmé que certains producteurs avaient mené des reformulations sans que l'ampleur de ces reformulations ne soit néanmoins connue. Il convient également de noter, comme l'ARS Martinique s'en inquiète, que ces reformulations correspondent souvent à une substitution du sucre par des édulcorants, ce qui ne peut être satisfaisant en soi.

S'agissant du dispositif lui-même de la loi, la DGCCRF a néanmoins exposé aux rapporteures un bilan assez mitigé tenant à plusieurs raisons. Premièrement, la loi et les textes d'application ne seraient pas suffisamment clairs sur la notion ciblée de « teneur en sucres ajoutés ». De nombreuses boissons commercialisées en outre-mer contiennent des jus de fruit, qui sont naturellement sucrés, en sus de sucres ajoutés. La teneur globale en sucre peut donc être très élevée sans entrer dans le dispositif de la loi. Deuxièmement, la notion de « denrées alimentaires assimilables de la même famille » retenue par la loi pour la comparaison n'est pas toujours adaptée pour certains produits locaux sans équivalent dans l'Hexagone . Troisièmement, il existe une véritable difficulté pour les petits producteurs locaux à connaître les teneurs dans l'Hexagone pour s'y conformer. Les rapporteures notent également que la loi ne prévoit pas de mécanisme de sanction. Dans le cas de denrées produites à l'étranger et importées, il n'existe pas de levier pour rendre la loi applicable. La DGCCRF constate donc que le mécanisme retenu par la loi n'est pas des plus opérants.

À elle seule, la loi Lurel semble insuffisante à assurer aux territoires ultra-marins une offre de produits sucrés n'accroissant pas les inégalités de santé entre les populations ultra-marines et hexagonales. C'est pourquoi les rapporteures considèrent que la fixation par voie législative et réglementaire de seuils maximaux de teneurs en sucre, en matière grasse et en édulcorant, comme il a été proposé plus haut, répondrait aux difficultés constatées. Ces seuils pourront s'appliquer aux produits spécifiques aux outre-mer dont les équivalents n'existent pas dans l'Hexagone grâce à une déclinaison prenant en compte leur particularité. De même, ces seuils pourront être définis pour la teneur globale en glucide et non pas se restreindre aux seuls sucres ajoutés.

Proposition n° 18 : au sein des travaux de définition de seuils nutritionnels maximaux pour les denrées alimentaires, fixer des teneurs limites aux produits spécifiques aux outre-mer sans équivalent dans l'Hexagone en prenant en compte leur spécificité et leur responsabilité dans l'excès d'apport en sucres constaté localement. (Parlement, Gouvernement)

b) Les produits frais : une solution rendue difficile par la pollution au chlordécone

La question du chlordécone, substance toxique abondamment utilisée comme pesticide, complique davantage la lutte contre l'obésité aux Antilles. Cette pollution concerne 20 % des surfaces agricoles en Guadeloupe et 30 % en Martinique. D'une part, ainsi que l'indique l'ARS Martinique dans sa réponse au questionnaire des rapporteures, « la pollution par la chlordécone a engendré une défiance d'une partie de la population vis-à-vis de l'État. La vaccination anti-covid l'a accentuée, se traduisant, fin 2021, par une crise sociale, s'ajoutant à la crise sanitaire. » Dans ce contexte, l'adhésion des populations aux messages sanitaires pourrait en être amoindrie.

D'autre part, la substance persiste dans les sols et les milieux aquatiques et contamine les aliments notamment les oeufs, la viande, les poissons côtiers mais aussi les légumes racines ou les écrevisses précisément constitutifs des mets traditionnels. Cette pollution empêche donc les populations de favoriser les produits frais locaux et ainsi de mettre en oeuvre les schémas de consommation généralement conseillés pour lutter contre l'obésité . En réponse, le programme Jardins familiaux (JAFA) porté par l'Ireps de la Martinique et relayé par la préfecture permet de tester les terrains privés afin d'y détecter le taux de chlordécone mais aussi de prodiguer des conseils aux particuliers pour adapter leurs cultures en cas d'exposition à la molécule.

3. À l'échelle des territoires, lutter contre un environnement incitant à la sédentarité

Les collectivités territoriales peuvent être motrices d'une promotion de l'activité physique et sportive sur leur territoire et ont à ce titre plusieurs options. Leur engagement peut d'ailleurs être reconnu par le ministère des solidarités et de la santé et l'association des maires de France et des présidents d'intercommunalités, à travers le logo « Villes actives du PNNS ». Cette labellisation, demandée au directeur général de l'ARS, est octroyée depuis 2004 aux communes et EPCI signataires d'une charte formalisant leurs efforts.

a) Lever les freins à l'activité physique sportive

Prévu par la stratégie nationale sport santé 2019-2024, le déploiement des maisons sport-santé (MSS) doit permettre de rapprocher les professionnels de la santé et du sport pour accompagner l'activité physique d'un public ciblé. Ce dernier se compose tant des personnes souffrant d'une affection de longue durée (ALD) ou d'une maladie chronique pour laquelle une activité physique adaptée (APA) a été prescrite par un professionnel de santé que des personnes en bonne santé souhaitant être accompagnées dans leur pratique d'une activité physique et sportive. Elles répondent donc à une logique de prise en charge ou de prévention primaire de maladie comme l'obésité.

Lors de la table ronde sur le sport-santé du 20 janvier 2021 devant la commission des affaires sociales et la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, Christèle Gautier, cheffe du projet Stratégie nationale sport-santé au ministère des sports, a présenté la démarche devant aboutir à la reconnaissance de 500 maisons sport-santé en 2022. Quatre appels à projets ont été lancés à la date de rédaction de ce présent rapport et trois ont déjà abouti à une labellisation par les ministères chargés de la santé et du sport de 436 structures sur le fondement d'un cahier des charges précis.

Par la reconnaissance en MSS des structures dont elles sont porteuses ou qu'elles soutiennent à divers titres (centres hospitaliers, maisons de santé, associations sportives, cabinets médicaux...), les collectivités disposent d'un instrument à même de structurer et de promouvoir l'activité physique adaptée sur leur territoire . Les rapporteures ne peuvent donc que recommander l'engagement des collectivités dans cette orientation afin d'obtenir une couverture uniforme en MSS dans l'Hexagone et en outre-mer.

En outre, les collectivités territoriales compétentes ont une responsabilité importante dans l'offre sportive ouverte à leurs concitoyens. Le développement d'équipements sportifs publics est un axe important qui doit être renforcé d'un effort d'accessibilité au plus grand nombre. Les contrats de santé locaux entre les ARS et les collectivités territoriales, lesquels peuvent être des outils efficaces de lutte contre l'obésité (voir encadré infra ), pourraient intégrer des actions dans cette optique. Pourraient ainsi être contractualisés des engagements à construire de nouveaux aménagements dans des territoires défavorisés (quartiers prioritaires de la ville) ou à ouvrir les équipements sportifs sur des plages horaires plus importantes.

Les contrats locaux de santé

Les contrats locaux de santé (CLS) introduits à l'article L. 1434-10 du code de la santé publique par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Conclus entre l'agence régionale de santé et les collectivités territoriales pour mettre en oeuvre le projet régional de santé, ils peuvent porter sur « sur la promotion de la santé, la prévention, les politiques de soins et l'accompagnement médico-social et social ».

La lutte contre l'obésité fait partie des objectifs de certains contrats locaux de santé. C'est ainsi le cas du contrat entre la ville de Clermont-Ferrand et l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes qui identifie l'obésité comme l'une des maladies chroniques pour lesquelles des actions sont mises en oeuvre sur le territoire de la commune. La commune s'engage à être une « ville facilitatrice d'un milieu de vie favorable » mentionnant le rôle de l'aménagement du territoire en faveur des mobilités douces notamment ou bien des équipements sportifs.

De même, l'adhésion à un club sportif peut s'avérer onéreuse et empêcher la pratique de certains sports par les publics les plus précaires. À l'échelle nationale, le Pass'Sport permet d'attribuer aux jeunes de six à dix-huit ans une subvention de 50 euros sous condition de ressources pour financer l'obtention d'une licence sportive. Lorsqu'il est possible, les publics les plus précaires pourraient bénéficier de complément de la part des collectivités pour les aider à financer une adhésion au club ou même pour financer les cours de sport suivis.

Proposition n° 19 : rendre accessible l'activité physique et sportive sur tout le territoire par des engagements au sein des contrats locaux de santé (horaires d'ouverture des équipements élargis, aides financières pour les licences sportives, etc .). (Collectivités territoriales, agences régionales de santé)

b) Encourager par l'aménagement urbain

Il ressort des auditions menées par les rapporteures que les leviers à la disposition des communes sont nombreux. L'urbanisme en soi est un puissant vecteur de la promotion de l'activité physique . En premier lieu, il s'agit de favoriser les mobilités actives ou douces . L'aménagement de pistes cyclables mais également d'espaces réservés et sécurisés pour les piétons (trottoirs larges, éclairage public) sont des éléments cruciaux. Parmi les multiples déterminants de l'obésité en Martinique, l'ARS a ainsi pointé un aménagement urbain défavorable avec une absence de voies cyclables ainsi qu'une offre peu satisfaisante de transports en commun. Par conséquent, la voiture devient indispensable pour se déplacer au détriment des trajets multimodaux incitant à l'activité physique.

Dans une vision holistique, la lutte contre l'obésité intègre des actions publiques à première vue éloignées de la prévention de la maladie. Par exemple, selon le réseau des Villes-Santé de l'OMS, la mise en place du mobilier urbain (bancs, assises, toilettes publiques) ou la gestion des trottoirs (encombrement par des déchets, des poubelles, etc .) sont autant d'éléments pouvant avoir une incidence sur l'activité physique des populations. De même, le réseau recommande la création de parcours urbains et la mise en place de signalétique piétonne indiquant le temps de trajet en minutes.

Les collectivités territoriales doivent participer enfin à l'effort de la lutte contre la sédentarité en proposant des équipements publics qui ne soient pas uniquement réservés à une seule catégorie de la population (enfants, sportifs). Les terrains de jeux et les parcs doivent se multiplier à destination des plus jeunes mais pourraient par exemple accueillir des agrès pour les adultes. Comme le mentionne le réseau des Villes-Santé de l'OMS, « créer des environnements favorables à la pratique d'activité physique nécessite de considérer tout type d'activité physique [...] et pas uniquement proposer des aménagements pour les sportifs ». Enfin, l'association Fédérons les Villes pour la Santé insiste sur l' importance des espaces naturels en milieu urbain qui sont un des « moyens de faire de la promotion de la santé et de diminuer le stress par une augmentation de la pratique physique à tous les âges (marche, vélo, etc .) ».


* 207 A. Constant, G. Boulic, A. Lommez et al ., « Locally implemented prevention programs may reverse weight trajectories in half of children with overweight/obesity amid low child-staff ratios : results from a quasi-experimental study in France », BMC Public Health , 2020.

* 208 Loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.

* 209 Article L. 1 du code rural et de la pêche maritime.

* 210 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 211 Article 30 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

* 212 Devenu la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010.

* 213 Compte rendu intégral, Session extraordinaire de 2009-2010, séances du jeudi 1 er juillet 2010 JORF, Assemblée nationale, XIII e Législature.

* 214 Janet Currie, Stefano DellaVigna, Enrico Moretti, and Vikram Pathania, « The Effect of Fast Food Restaurants on Obesity and Weight Gain », NBER Working Paper n o 14721, Février 2009.

* 215 Han, Jeehee et al . « Does Proximity to Fast Food Cause Childhood Obesity? Evidence from Public Housing », Regional science and urban economics , vol. 84, 2020.

* 216 Loi n° 2013-453 du 3 juin 2013 visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer.

* 217 IRD, Alimentation et nutrition dans les départements et régions d'Outre-mer , 2020, p. 45.

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