B. UN PHÉNOMÈNE MULTIFACTORIEL : UN ENVIRONNEMENT PROPICE À L'OBÉSITÉ COMBINÉ À DE PRÉDISPOSITIONS INDIVIDUELLES

Affirmer que l'environnement est obésogène signifie que tous les leviers sont propices au développement de l'obésité : les modifications de l'offre alimentaire induites par le développement de l'industrie agroalimentaire, les nouvelles stratégies marketing (publicité et étiquetage alimentaire), les politiques agricoles et alimentaires, les politiques d'urbanisation, l'organisation des lieux d'études et de travail...

Dans son rapport de 2022, l'OMS-Europe retrace la genèse de ce concept : « L'environnement actuel [...] a été qualifié pour la première fois d'“obésogène” dans les années 1990. Ce terme comprend l'ensemble des facteurs qui favorisent l'obésité, considérée comme le résultat net des impacts biologiques, comportementaux et environnementaux qui agissent à travers les médiateurs de l'apport et de la dépense énergétiques. »

En 2013, la déclaration de Vienne sur la nutrition et les maladies non transmissibles de l'OMS appelait déjà à lutter contre cet environnement obésogène en « créant les conditions dans lesquelles le choix sain est le choix le plus facile ».

Pour décrire l'environnement obésogène, outre l'évolution de l'offre alimentaire, l'OMS pointe le « rôle de l'urbanisation, qui entrave l'activité physique et offre un accès plus simple à des aliments malsains ». Dans les zones urbaines défavorisées, les choix alimentaires sont plus limités, et les individus ont moins l'opportunité d'avoir une activité physique.

1. Le déséquilibre de la balance énergétique, à l'origine de l'épidémie d'obésité, est favorisé par un environnement obésogène

Le constat établi par l'Anses en 2017 est sans appel : « Le statut pondéral et les niveaux d'activité physique et de sédentarité de la population vivant en France métropolitaine restent inadaptés. »

a) Le déséquilibre de la balance énergétique

Au fil des décennies, la balance énergétique, c'est-à-dire le rapport entre les apports et la dépense d'énergie , s'est déséquilibrée, du fait :

- d'une part un apport excessif de calories et de nutriments ;

- d'autre part, une insuffisance de la dépense calorique.

Selon Santé publique France, les modélisations laissent penser que l'épidémie d'obésité est davantage liée à la hausse des calories ingérées qu'à la diminution des calories dépensées par une baisse d'activité physique .

Selon l'étude INCA 3 40 ( * ) , nos compatriotes consomment en moyenne chaque jour 2 200 kcal . C'est davantage que les apports journaliers recommandés. L'assiette des Français contient encore un peu trop de sel (en moyenne 9 grammes par jour chez les hommes et 7 grammes par jour chez les femmes à comparer aux objectifs du Programme national nutrition santé de respectivement 8 grammes par jour et 6,5 grammes par jour). Les apports en fibres sont quant à eux inférieurs d'un tiers à la portion recommandée.

Estimation des besoins énergétiques en fonction du sexe et de l'activité physique

Activité modérée

(moins de 30 min par jour)

Activité intense

(plus d'une heure par jour)

Femme

1 800 kcal

2 000 kcal

Homme

2 100 kcal

2 600 kcal

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

Le nombre de calories ingérées chaque jour en France depuis les années 1970 a augmenté d'un tiers . Au sein de cette augmentation, les calories dues au gras ont augmenté de 79 % et les calories dues aux protéines animales de 109 %. Le développement de l'obésité est dorénavant considéré comme majoritairement influencé par le sucre 41 ( * ) . Les matières grasses ne sont en effet pas réductibles à une seule famille, et certaines (les acides gras insaturés ou oméga 3) jouent un rôle favorable et protecteur pour la santé, en permettant notamment un bon développement neuronal. À l'inverse, la nocivité des acides gras saturés a été prouvée.

La pyramide des besoins alimentaires, qui représente les recommandations de consommation des différentes familles d'aliments, ne correspond pas aux aliments effectivement consommés en France.

Source : Food in action et Haute école Léonard de Vinci

Les aliments les plus consommés en 2020, par habitant par an

Consommation totale : industries agroalimentaires, restauration, ménages.

Source : Ministère de l'agriculture et de l'alimentation

Les habitudes de consommation alimentaire varient en fonction de l'âge. « Si la proportion d'adultes qui déclarent manger au moins une portion de fruit ou légume par jour est plus élevée en France que dans la plupart des pays de l'UE, en 2019, environ 35 % des adultes déclaraient ne pas manger de légumes tous les jours et 40 % ne manger aucun fruit . En 2018, deux tiers environ des jeunes de 15 ans déclaraient ne pas manger de fruits ou de légumes tous les jours. » 42 ( * ) Moins de 20 % des enfants mangent cinq portions de fruits et légumes quotidiennement.

b) Les transformations de l'offre alimentaire

La détérioration nutritionnelle des aliments consommés

Les aliments consommés ont considérablement évolué depuis les années 1950-1960, pour deux raisons :

- le temps destiné à la préparation des repas à domicile a été fortement réduit : de 25 % entre 1986 et 2010 ;

- concomitamment, la transformation industrielle des aliments s'est considérablement accélérée. Selon l'économiste Fabrice Etilé, auditionné par la mission, « il y a eu un tournant dans les années 1970, époque à laquelle l'industrie alimentaire a adopté certains procédés de l'industrie chimique, via l'extraction d'ingrédients, l'ajout d'additifs, d'arômes et de saveur, et le développement du marketing. Cette dynamique technologique du côté de l'offre était d'ailleurs en germe dès les politiques agricoles d'après-guerre. Il s'en est suivi une interaction entre cette dynamique technologique, qui a un effet à la baisse sur les prix, et la demande des consommateurs de manger à moindre coût et à moindre perte de temps . L'alimentation est toujours plus transformée, plus dense en énergie, moins chère, mieux distribuée et mieux marquetée. Les aliments qui ont la moins bonne qualité nutritionnelle sont bien souvent les moins chers. » En formulant ses produits, l'industrie alimentaire en augmente la palatabilité, c'est-à-dire la sensation agréable que l'on perçoit en mangeant 43 ( * ) . L'apport calorique excessif est ainsi partiellement à l'attractivité gustative de cette nouvelle offre alimentaire, et à son moindre coût.

L'ultra-transformation des aliments

Lors des dernières décennies, les aliments dits ultra-transformés ont pris une part considérable à la fois dans l'offre agroalimentaire et dans les consommations. On estime ainsi que 36 % des calories ingérées par les adultes et 46 % de celles ingérées par les enfants proviennent d'aliments ultra-transformés (AUT) . Un AUT est un produit 44 ( * ) :

- ayant subi d'importants procédés de transformation impactant fortement la matrice alimentaire . Les procédés de transformation sont des procédés physiques tels que l'extrusion à haute température, le moulage, la pré-friture, la fermentation, etc .

- et/ou contenant des additifs alimentaires ou autres substances d'origine industrielle, telles les huiles hydrogénées, la maltodextrine, le sirop de glucose, etc . Ces additifs ou substances ont pour point commun de ne pas être utilisés pour les préparations culinaires domestiques.

La classification NOVA

Cette classification a été conçue en 2009, puis actualisée en 2016, par des chercheurs de l'université de Sao Paulo sous l'impulsion de Carlos Monteiro 45 ( * ) ; elle distingue quatre groupes d'aliments en fonction de leur degré de transformation.

Groupe NOVA 1 : aliments bruts ou naturels, pas ou peu transformés : fruits, légumes, viande, oeufs, lait, poisson, yaourt nature, céréales, farine.

Groupe NOVA 2 : ingrédients culinaires : huile, beurre, sucre, sel, miel. Ils sont utilisés pour préparer et ajouter du goût aux aliments du groupe 1.

Groupe NOVA 3 : aliments transformés ; ce sont des aliments bruts issus du groupe NOVA 1 cuisinés en utilisant les ingrédients du groupe NOVA 2 : pains, fromages, fruits secs, aliments conservés en salaison, fromages, pains simples.

Groupe NOVA 4 : aliments ultra-transformés. Les produits de ce groupe sont caractérisés par l'ajout d'ingrédients principalement industriels utilisés par exemple pour restaurer les propriétés sensoriels des aliments (goût, texture, etc .). Cette classe regroupe un ensemble vaste et hétérogène de produits dont tous n'ont vraisemblablement pas les mêmes effets sur la santé. Sodas, margarines, biscuits et gâteaux industriels, sauces prêtes à l'emploi, plats préparés, desserts lactés, céréales du petit-déjeuner pour enfants...

La multiplication des AUT permet à l'industrie agroalimentaire de diversifier et d'accroître son offre . Les AUT sont conçus pour satisfaire les papilles gustatives des consommateurs et créer un effet addictif, puisqu'ils sont enrichis en gras, sel et sucre. « Ces procédés ont pour but d'imiter certains aspects des aliments non transformés et de masquer certaines caractéristiques désagréables du produit final, mais aussi de limiter les coûts de production et d'améliorer les qualités sensorielles, pour rendre le produit, plus attrayant, plus palatable et inciter à sa consommation » 46 ( * ) . Le marketing autour de ces produits est par ailleurs particulièrement important, voire agressif. Ils sont très largement disponibles dans les rayons des supermarchés et dans les distributeurs.

Des travaux ont mis en évidence des associations entre consommation d'AUT et incidence de surpoids et d'obésité . L'étude prospective observationnelle NutriNet Santé, une web cohorte française lancée en 2009 dont l'objectif est d'étudier les associations entre la nutrition et la santé, fait état d'une « association positive entre la proportion d'AUT consommée et une augmentation de l'IMC », et des risques plus élevés de surpoids et d'obésité. Le chercheur en nutrition Anthony Fardet note que « de plus en plus d'études montrent que les populations qui ont une consommation élevée de produits ultra transformés sont celles qui ont les risques les plus élevés de développer des dérégulations métaboliques comme l'obésité [...] . Plus l'aliment est transformé, plus il est potentiellement hyperglycémiant, moins il est rassasiant ». Ainsi, « plus que la composition nutritionnelle, c'est le degré de transformation des aliments qui fait sens du point de vue de la santé » 47 ( * ) .

Plusieurs raisons sont avancées pour arguer de la moindre qualité des aliments ultra-transformés en comparaison des aliments bruts ou peu transformés. Tout d'abord, ils sont plus denses énergétiquement en moyenne, enrichis en sucres, sel, acides gras saturés. Ils contiennent en outre moins de fibres insolubles et de nutriments favorables. Ensuite, ils contiennent le plus souvent des additifs alimentaires nocifs : nitrites et nitrates (utilisés pour augmenter la durée de conservation des aliments), édulcorants (permettant un goût sucré avec un apport calorique faible ou nul), émulsifiants. En outre, certains composés provenant des emballages sont susceptibles de migrer vers la matrice alimentaire à la faveur d'un contact prolongé.

L'effet des modifications de la matrice alimentaire sur la biodisponibilité des nutriments et la vitesse de prise alimentaire peuvent enfin avoir un impact négatif. Selon Antony Fardet 48 ( * ) , « deux aliments de même composition mais avec des matrices ou des degrés de transformation différents n'ont pas le même effet sur la santé. Consommer 1 000 kcals d'aliments peu transformés n'a pas le même effet que 1 000 kcals d'aliment ultra-transformés. La matrice joue un rôle essentiel sur la biodisponibilité des nutriments, les qualités organoleptiques, le transit digestif et le sentiment de satiété, des paramètres qui contribuent fortement à la régulation du métabolisme et de la masse corporelle (en particulier grasse et musculaire) chez l'homme. »

Selon Anthony Fardet, puisqu'aucun produit n'est équilibré nutritionnellement en soi à l'exception du lait maternel, c'est la somme et la variété des aliments qui fait la qualité nutritionnelle de l'alimentation d'un individu. Plus les matrices sont dégradées, plus les nutriments deviennent délétères. L'aliment le plus sain sera donc l'aliment le moins transformé. »

Les rapporteures sont particulièrement sensibles à la question de l'ultra-transformation, dont la responsabilité dans l'épidémie d'obésité point depuis quelques années . Force est de constater cependant que les contours précis de cette incrimination ne fait pas encore l'objet d'un large consensus scientifique, sans doute en raison d'un nombre de travaux encore restreint. À rebours des éléments rapportés plus haut, Santé publique France note par exemple, dans sa contribution adressée à la mission d'information, qu'« en matière d'ultra-transformation, les travaux menés par nos homologues espagnols suggèrent que la composition des aliments serait un marqueur de qualité nutritionnelle plus pertinent que leur degré de transformation ».

Le programme national de l'alimentation et de la nutrition (PNAN) publié en 2019 prévoit d'étudier l'impact sur la santé de la consommation d'aliments ultra-transformés. Interrogée à ce propos, la DGAL indique que « la DGS, DGAL et DGCCRF sont en cours de discussion pour évaluer les modalités d'une saisine de l'Anses sur ce sujet, ce qui permettra de soumettre à une expertise collective les études scientifiques démontrant un lien entre ultra-transformation et surpoids/obésité » et de rajouter tout de même que « la DGAL soutient la consommation de produits bruts et peu transformés, en particulier en restauration collective ».

Les rapporteures ne peuvent qu'être étonnées que, bientôt trois ans après le lancement du PNAN, l'Anses n'a toujours pas été formellement saisie des enjeux de l'ultra-transformation. Pour fonder les décisions publiques et les recommandations sanitaires sur des considérations étayées, il convient sans tarder davantage d'évaluer les effets de l'ultra-transformation sur la santé.

Proposition n° 2 : financer de nouveaux travaux de recherche en précisant les axes de l'ANR ou du PHRC, notamment pour évaluer les liens entre la consommation d'aliments ultra-transformés et l'obésité. (Ministère chargé de la santé, Santé publique France)

Les pesticides et perturbateurs endocriniens

Les études menées sur la cohorte NutriNet Santé montrent que les plus gros consommateurs d'aliments issus de l'agriculture biologique ont moins de risque de souffrir d'un surpoids ou d'une obésité . Un récent article scientifique 49 ( * ) met en lumière, sur des souris, l'effet cocktail des pesticides : le mélange de plusieurs pesticides ne semble pas entraîner une simple addition des effets de chacun, mais au contraire démultiplier leurs effets . Les résultats de cette étude sont en faveur d'une plausibilité d'un lien pesticides-santé.

Les perturbateurs endocriniens , qui sont, selon la définition de l'OMS, « une substance ou un mélange de substances qui altèrent les fonctions du système endocrinien et de ce fait induisent des effets néfastes dans un organisme, chez sa progéniture ou au sein de (sous)-populations », ont notamment un impact sur les hormones liées à la satiété, et donc une influence sur la prise de poids.

c) Une dépense calorique très insuffisante

Parallèlement à l'augmentation des apports caloriques, l'insuffisance de la dépense calorique participe au déséquilibre de la balance énergétique et se présente sous deux angles :

- un défaut d'activité physique ;

- une augmentation de la sédentarité .

Faire du sport ou avoir une activité physique est loin d'être favorisé par les modes de vie, en raison notamment de l'étalement urbain et du « tout voiture ». La vétusté ou le manque d'infrastructures sportives, l'absence de pistes cyclables ou de parcours piétonniers agréables entravent également les mobilités douces qui permettent d'avoir une activité physique régulière.

Si 63 % des adultes de 18 à 79 ans pratiquent au moins deux heures et demie hebdomadaires d'activité physique modérée, comme le recommandent l'OMS et l'Anses, et que la proportion d'adultes français qui déclarent se livrer à au moins une activité physique modérée chaque semaine est supérieure à celle de plusieurs autres pays de l'UE, l'Anses estime que seuls 5 % des adultes ont une activité physique suffisante pour être protectrice . Les femmes sont plus exposées à un manque d'activité physique, puisque 70 % d'entre elles sont en deçà de tous les niveaux d'activité identifiés par l'Anses pour être en bonne santé, contre 42 % des hommes.

Les recommandations de l'Anses (2016)
sur les différents types et niveaux d'activité

1) Pratiquer 30 minutes, 5 fois par semaine, une activité cardiorespiratoire comme monter les escaliers ou faire du vélo, courir, marcher à bonne allure... ;

2) Effectuer du renforcement musculaire 1 à 2 fois par semaine comme, porter une charge lourde, jouer au tennis, faire de la natation ou de l'aérobic... ;

3) Réaliser des exercices d'assouplissement comme de la gymnastique, de la danse ou encore du yoga, 2 à 3 fois par semaine.

C'est chez les adolescents que le défaut d'activité physique est le plus préoccupant. D'après les résultats de l'enquête Esteban, seuls 51 % des garçons et 33 % des filles de 6-17 ans atteignaient les recommandations de l'OMS en matière d'activité physique. Les plus jeunes (6-10 ans) sont plus actifs mais l'on observe une nette baisse de l'activité physique après 10 ans. L'OCDE 50 ( * ) note que « le niveau d'activité physique chez les adolescents en France est l'un des plus faibles de l'UE. La proportion de jeunes Français déclarant avoir au moins une activité physique modérée tous les jours était la deuxième plus faible des pays de l'UE en 2018, après l'Italie. Cette tendance est particulièrement marquée chez les filles : 4 % seulement des adolescentes de 15 ans déclaraient exercer une activité physique au moins modérée, contre 11 % des garçons du même âge. »

Pour estimer la sédentarité , le temps passé assis devant un écran (télévision, jeux vidéo, ordinateur) est l'indicateur le plus utilisé dans les études, même s'il ne représente qu'une part du temps réel de sédentarité. Entre 2006-2007 et 2014-2015, le temps moyen passé quotidiennement devant un écran pour les loisirs a considérablement augmenté : de 20 minutes chez les enfants de 3 à 17 ans et de plus d'1 heure 20 chez les adultes 51 ( * ) .

En 2015, la proportion de jeunes passant 3 heures ou plus devant un écran chaque jour atteignait 45 % chez les 6-10 ans, 70 % chez les 11-14 ans, 71 % chez les filles et 87 % chez les garçons de 15-17 ans. 39 % des 15-17 ans passent plus de quatre heures et demie devant un écran alors que la recommandation est de moins de deux heures.

La sédentarité en France est trop élevée chez :

Tout comme la pratique de l'activité physique, la sédentarité est inégalement répartie socialement. Parmi les élèves de grande section, seuls 25 % des enfants de cadres passent en moyenne plus d'une heure quotidienne devant un écran les jours de classe, contre 59 % pour les enfants d'ouvriers.

Panorama des habitudes de vie
selon le groupe socioprofessionnel des parents

Source : Drees études sur les élèves de grande section, 2014

Part des élèves de 3 ème regardant plus de deux heures par jour les écrans
en semaine selon le groupe socioprofessionnel des parents (en %)

Cadres

61

Professions intermédiaires

70

Agriculteurs et commerçants

73

Employés

78

Ouvriers

81

Ensemble

73

Source : Drees études sur les élèves de 3 ème , 2017

2. Des facteurs individuels se cumulant avec l'environnement obésogène

Des éléments individuels tels que la génétique, la survenue d'évènements traumatiques ou encore la composition du microbiote vont, en rencontrant un environnement obésogène, favoriser l'émergence d'une obésité.

a) Des avancées de la recherche quant à l'incidence des gènes sur le développement de l'obésité

Selon le généticien Philippe Froguel, auditionné par les rapporteures, « l'héritabilité de l'obésité est d'environ 70 % ». L'Inserm a démontré qu'un individu avait deux à huit fois plus de risque d'être obèse si des membres de sa famille l'étaient eux-mêmes.

Les gènes d'obésité sont généralement exprimés dans le cerveau, où ils influencent la prise alimentaire : soit la faim dans le cas des obésités monogénique (hyperphagie) soit le comportement alimentaire (addictif) dans des cas d'obésité polygéniques.

Une petite minorité de personnes obèses (5 %) présentent une obésité monogénique, c'est-à-dire que la mutation d'un gène unique engendre une obésité liée à des troubles majeurs de la conduite alimentaire. Ce type d'obésité apparaît tôt dans l'enfance et de manière brutale. Le diagnostic génétique est très important pour reconnaître les obésités monogéniques et les prendre en charge rapidement. Cependant, le Pr Philippe Froguel déplore que ce diagnostic soit très peu effectué en France, alors même que des traitements médicamenteux destinés à traiter les obésités monogéniques sont actuellement développés.

Pour la très grande majorité des personnes obèses, le « fond génétique », c'est-à-dire pas moins de cinq cents régions du génome, entraîne une susceptibilité augmentée à l'environnement obésogène. Plus de 12 000 mutations génétiques sont responsables de l'augmentation de la prévalence de l'obésité. Selon l'Inserm, « si chaque gène pris individuellement n'exerce qu'un faible rôle sur la masse et la composition corporelle, la contribution de ces gènes devient significative lorsqu'ils interagissent avec des facteurs externes tels que le déséquilibre énergétique ». Pour prévenir l'obésité commune, il est possible de réaliser un score de risque polygénique qui contribue à prédire le risque d'être obèse d'ici 5 ou 10 ans.

b) Le rôle du microbiote

Le microbiote, ou flore intestinale, est composé de plus de 100 000 milliards de microorganismes issus de plus de 1 000 espèces bactériennes. Depuis le début des années 2000, le rôle d'un microbiote appauvri et peu diversifié a été mis en exergue dans le développement de l'obésité 52 ( * ) .

Chez l'enfant, la composition du microbiote à l'âge de deux ans est corrélée à l'IMC à 12 ans. L'accouchement par voie basse et l'allaitement sont deux éléments protégeant d'une obésité future.

c) Facteurs psychologiques et violences sexuelles

Il existe un lien significatif entre violences sexuelles, psycho traumatismes et troubles alimentaires et obésité.

Lors de son audition, Nathalie Dumet, psychologue clinicienne et professeure de psychopathologie clinique, a insisté sur le fait que les troubles des conduites alimentaires (TCA), assortis ou non de troubles pondéraux, sont le révélateur de souffrances psychiques . Ils surviennent en lien ou dans l'après-coup d'évènements de vie désorganisateurs, voire traumatiques, restés inélaborés, et demeurés source de souffrance. On recense des situations variées : problématiques de pertes, de ruptures, de séparation, burn-out , harcèlement, abus, agressions ou violence. Les troubles des conduites alimentaires, notamment l'hyperphagie boulimique et la prise de poids afférente, peuvent constituer des solutions mises en place inconsciemment pour occulter et/ou réparer les traumatismes et les souffrances psychiques associées. Le trouble a une fonction défensive pour l'équilibre psychique du sujet , ce qui est à l'origine d'un risque d'effondrement (dépression, suicide) lorsque la personne obèse maigrit. Cela explique également pourquoi ces patients reprennent souvent rapidement le poids perdu.

La prévalence d'expériences d'abus sexuels, physiques ou émotionnels (maltraitance par le biais de la parole) sont plus importantes parmi les personnes atteintes d'obésité qu'en population générale. Les négligences des parents durant l'enfance sont également fréquentes dans les histoires de vie des personnes obèses : « les négligences physiques (privation de nourriture, d'hygiène, de soins) concernent 9 à 32 % des personnes en situation d'obésité, les négligences émotionnelles (manque d'attention entraînant des carences affectives, manque d'apprentissage et de relations sociales) sont identifiées chez 20 à 75 % des patients » 53 ( * ) . Pour Nathalie Dumet , les patients atteints d'obésité ont souvent des parcours de vie complexes « où la présence d'un nouvel évènement de vie négatif (accident de la route, cambriolage, divorce...) peut venir s'ajouter au(x) traumatisme(s) déjà vécu(s) ».

On estime que le risque d'obésité est augmenté de 40 % en cas de violences sexuelles lors de l'enfance 54 ( * ) ; 8 % des personnes obèses auraient été agressées sexuellement dans l'enfance, cette statistique s'élevant à 17 % pour les personnes atteintes d'une obésité de type III 55 ( * ) . Karen Sadlier, psychologue clinicienne et directrice du département « Enfant » de l'Institut de victimologie, a explicité lors de son audition les relations entre obésité à l'âge adulte et violences sexuelles dans l'enfance.

Plusieurs mécanismes peuvent expliquer ce lien étroit :

- le psychiatre américain Vincent Felliti a constaté en 1985, dans le cadre d'un programme de prise en charge des personnes obèses, que les individus ayant vécu des agressions sexuelles dans l'enfance ne parvenaient pas à perdre du poids, ou le reprenaient systématiquement. Pour lui, l'obésité agit comme un bouclier de protection pour se rendre moins attirant et plus imposant vis-à-vis des agresseurs sexuels ;

- le traumatisme crée un état dissociatif à l'origine de conduites addictives, d'automutilation et de troubles du comportement alimentaire pouvant engendrer une obésité. 54 % des personnes ayant subi des violences sexuelles dans l'enfance rapportent des troubles alimentaires ;

- des explications neurobiologiques : les évènements traumatiques, surtout lorsqu'ils sont répétés, engendrent d'une part une augmentation de la protéine-C réactive, à l'origine de phénomènes inflammatoires, d'autre part une augmentation de la production de cortisol, une hormone du stress impliquée dans le métabolisme des graisses et la régulation de l'insuline. Parallèlement, la sécrétion de deux hormones bénéfiques, la dopamine et la sérotonine, est entravée. Ces déséquilibres biologiques et hormonaux favorisent la prise de poids et l'inflammation du tissu adipeux.

Les troubles mentaux se retrouvent plus fréquemment chez les personnes atteintes d'obésité que dans la population générale 56 ( * ) . Ainsi, l'hyperphagie boulimique est un trouble du comportement alimentaire qui peut se retrouver chez les personnes obèses. Les crises de boulimie qui la caractérisent peuvent entraîner une prise de poids rapide et conséquente. La dépression augmente quant à elle de 58 % le risque de devenir obèse. Les troubles addictifs sont également plus fréquents chez les personnes atteintes d'obésité : environ 10 % des candidats à la chirurgie bariatrique évoquent un passé de dépendance à l'alcool ou d'usage de substances illicites. Les personnes souffrant de troubles psychotiques sont également souvent touchées par l'obésité : la plupart des médicaments antipsychotiques destinés à soulager les troubles bipolaires ou la schizophrénie sont obésogènes et peuvent entraîner une prise de poids de plus de 10 kg au cours des premières années de traitement.


* 40 Étude INCA 3, Évolution des habitudes et modes de consommation, de nouveaux enjeux en matière de sécurité sanitaire et de nutrition , 2017.

* 41 Rapport de l'Anses relatif à l'actualisation des apports nutritionnels conseillés pour les acides gras, mai 2011.

* 42 OCDE, Profil de santé par pays, 2021.

* 43 D'après le Larousse, un élément palatable procure une sensation agréable lors de sa consommation.

* 44 C. Debras, B. Srour, E. Chazelas et al ., « Aliments ultra-transformés, maladies chroniques et mortalité : résultats de cohorte prospective NutriNet-santé », Cahiers de nutrition et de diététique , 2021.

* 45 Carlos A. Monteiro, Geoffrey Cannon, Renata Levy et Jean-Claude Moubarac, « NOVA : the star shines bright », World Nutrition , vol. 7, nos 1-3,ý 7 janvier 2016, pp. 28-38.

* 46 B. Srour, E. Chazelas et M. Touvier, « Aliments ultra-transformés : de la recherche aux recommandations », Revue du praticien , vol. 71, décembre 2021.

* 47 Anthony Fardet, « Prévention des maladies chroniques : pour une classification holistique des aliments selon leur degré de transformation », Nutritions & Endocrinologie , 2017, 15(83).

* 48 Op . cité.

* 49 « Metabolic Effects of a Chronic Dietary Exposure to a Low-Dose Pesticide Cocktail in Mice: Sexual Dimorphism and Role of the Constitutive Androstane Receptor », Environmental Health Perspectives , 25 juin 2018.

* 50 OCDE, Profil de santé par pays , 2021.

* 51 Étude INCA 3, Évolution des habitudes et modes de consommation, de nouveaux enjeux en matière de sécurité sanitaire et de nutrition , 2017.

* 52 Judith Aron-Wisnewsky, Karine Clément, « Microbiote et obésité : données cliniques et chirurgicales », Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition, Vol. XIX, n° 5-6, mai-juin 2015.

* 53 Joris Mathieu, C. Petit, C. Lombard et al ., « Obésité sévère, quelle prise en charge psychologique ? », Revue de psychologie clinique , 2021-2.

* 54 H. Hailes , R. Yu et al ., « Long-term outcomes of childhood sexual abuse: an umbrella review », Lancet psychiatrie , 2019.

* 55 Wiss, Brewerton, Tomalyama, (2021). « Limitations of the protective measure theory in explaining the role of childhood sexual abuse in eating disorders, addictions and obesity », Eating and Weight Disorders - Studies in Anorexia, Bulemia and Obesity , 27, 1249-1267.

* 56 Loïc Locatelli et al ., « Quand le poids influence la santé mentale... et réciproquement », La Revue médicale suisse , 2017.

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