II. CONSOLIDER LES MAISONS FRANCE SERVICES AFIN D'AMÉLIORER ET DE DÉVELOPPER LE SERVICE AUX USAGERS

A. REPENSER LE PILOTAGE DU RÉSEAU FRANCE SERVICES À TOUTES LES ÉCHELLES POUR ATTÉNUER SON HÉTÉROGÉNÉITÉ

Une fois la phase de déploiement et le maillage géographique quasiment finalisés, il est nécessaire de passer à la phase d'animation du réseau. La multiplicité des acteurs impliqués dans le programme France services et les fortes variations selon les territoires et les maisons impliquent de mettre un accent tout particulier sur l'échelon départemental, qui doit s'assurer de la cohérence et de la cohésion du réseau .

1. Un pilotage du réseau France services au niveau national à améliorer
a) L'animation nationale du réseau France services, partagée entre plusieurs acteurs
(1) Une gouvernance nationale complexe

La gestion au niveau national du programme France services est partagée entre plusieurs acteurs.

Le rôle d'impulsion, de coordination et de pilotage du réseau est assuré par l'ANCT. La direction générale des collectivités locales (DGCL), en tant que responsable du programme 112, assure la gestion budgétaire et financière des crédits. La Banque des territoires , branche de la Caisse des dépôts et consignations, participe également à l'animation du réseau par le biais d'une convention signée avec l'ANCT. La MSA et La Poste, qui portent des maisons France services, sont également associées à la gouvernance nationale .

L'ANCT est l'interlocuteur national des opérateurs pour le déploiement de ce programme . La circulaire de 2019 est toutefois peu diserte sur la gouvernance du réseau. Elle indique que « sera réuni chaque semestre un comité de pilotage stratégique », en présence des ministres concernés, de la Banque des territoires, des opérateurs partenaires et des associations d'élus. La circulaire renvoie au commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), dont les missions ont été reprises par l'ANCT, le suivi du programme par l'organisation de réunions trimestrielles avec l'ensemble des partenaires.

Trois comités existent, mais sont peu formalisés et relèvent de la pratique plus que d'un cadre de gouvernance formalisé . Une réunion bimensuelle a lieu avec la Banque des territoires, la DGCL, l'ANCT et la Poste pour piloter le déploiement de France services. Une réunion technique est également réalisée par l'ANCT tous les quinze jours avec les opérateurs.

Un comité stratégique avec l'ensemble des acteurs (DGCL, ANCT, La Poste, opérateurs, associations d'élus et Banque des territoires) est réalisé quant à lui tous les trois mois. Il s'agit d'une innovation récente, qui semblait indispensable afin d'associer les opérateurs autrement que lors des réunions techniques. Il serait cependant sans doute utile de formaliser cette pratique afin de clarifier le rôle des différentes instances et de lui donner une existence autre que coutumière.

Recommandation n° 20 : Formaliser lors de la prochaine convention les différentes instances de gouvernance du réseau France services et la mise en place d'un agent dédié dans chaque préfecture. (ANCT)

(2) Une animation nationale du réseau à parfaire

Le pilotage du réseau France services, autour de l'ANCT et de ses partenaires, s'est nettement amélioré par rapport au réseau des MSAP.

Les effectifs de l'agence spécifiquement dédiés au programme France services restent cependant limités . Seuls trois chargés de mission, encadrés par une cheffe de projet et un directeur de programme et son adjoint, sont dédiés à la coordination des bientôt 2 500 France services et des neuf partenaires nationaux.

Emplois dédiés au pilotage et à l'animation du réseau France services

(en ETP)

ANCT

DGCL

Banque des territoires

6

3

8

Source : commission des finances

L'animation du réseau France services organisée par l'ANCT et la Banque des territoires se fait pour l'instant essentiellement à distance, par le biais de newsletters et de webinaires dédiés à la formation continue des agents. Ont également été organisées 13 rencontres régionales France services (soit une rencontre par an et par région). Si l'initiative semble très appréciable, il est nécessaire d'étendre le principe de ces rencontres à l'échelle départementale , afin de permettre à tous les agents France services d'y assister.

Les opérateurs entendus par le rapporteur spécial ont indiqué que l'ANCT n'était selon eux pas suffisamment force de proposition pour l'amélioration de l'articulation entre le réseau France Services et les réseaux des partenaires. « Dans ce domaine, son action se limite à annoncer des intentions d'amélioration et à solliciter les partenaires pour qu'ils communiquent leurs suggestions ou transmettent leurs bonnes pratiques » 9 ( * ) .

En outre, l'animation au niveau départemental est renvoyée aux préfectures, ce qui induit de fortes variations selon les départements . Le réseau des animateurs départementaux de l'ANCT, en cours de mise en place, qui consiste à déployer dans tous les départements une aide à l'animation auprès des préfectures, semble aller dans le bon sens. Il est cependant trop tôt pour une première évaluation.

b) Améliorer le système de suivi pour une vision globale et précise des besoins des usagers

La Banque de territoires met à disposition du réseau France Services et des agents la plateforme France Services, qui constitue le principal outil de suivi du réseau. Le suivi d'activité, sous forme de tableaux de bord, doit permettre de recenser les activités de chaque France Services, chaque démarche effectuée par un usager devant être rentrée sur la plateforme.

Son rôle de « pilotage par la donnée » est en réalité très limité , du fait de son caractère uniquement déclaratif , dont la fiabilité est d'autant plus limitée que les agents n'ont pas toujours le temps de la remplir et passent fréquemment par une étape intermédiaire sur papier. Même si la Banque des territoires a indiqué au rapporteur spécial mesurer « l'effet déclaratif » en fonction de l'heure d'envoi de déclaration, les marges d'erreur demeurent importantes et se traduisent par une grande hétérogénéité dans les saisines d'activité sur la plateforme.

Les agents France services soulignent dans l'ensemble l'aspect compliqué à l'usage et l'inadaptation partielle de la plateforme . En particulier, celle-ci ne permet pour l'instant que de rentrer les démarches des opérateurs nationaux. Les agents mettent également en avant les difficultés de nomenclature qu'ils peuvent rencontrer lors de la saisine de leur activité. Les agents France services ont indiqué au rapporteur spécial qu'il était à cette heure impossible de prendre en compte le caractère itinérant des bus France services dans le logiciel de reporting , qui ne sont donc pas intégrés dans les résultats nationaux.

En outre, les porteurs de projet, et surtout les collectivités, maintiennent fréquemment leur propre système de suivi des données en doublon du système national . Étant donné la perte de temps que cela représente pour les agents, cette double saisine est inutile et devrait disparaître au profit de la plateforme nationale, qu'il faut améliorer mais qui permet une harmonisation minimale des résultats.

Les opérateurs considèrent qu'ils ne disposent pas suffisamment de données statistiques pour s'appuyer sur celles-ci dans le déploiement du réseau France services. La Banque des territoires indique quant à elle que les opérateurs ne se sont pas pleinement emparés des possibilités de traitement des données offertes par la plateforme France services et l'interface de restitution des données. Il est évident que la plateforme de suivi créée par la Banque des territoires ne peut, en l'absence d'interconnexion des systèmes d'information, être comparée avec le système de suivi mis en place par les opérateurs auparavant. Ceux-ci doivent toutefois s'approprier les outils existants en les intégrant dans leurs stratégies locales .

Il importe surtout de fiabiliser le système de reporting afin de pouvoir ajuster le réseau et surtout mesurer sa valeur ajoutée. La question de la consolidation du système de suivi et de mesure de la fréquentation est surtout indispensable dans l'optique de l'évolution des modes de financement qui sera décrite plus bas. Dans un premier temps, le rapporteur spécial considère qu'un simple système de capteurs de fréquentation (ou compteurs de personnes), installés à l'entrée des maisons France services permettrait de garantir à moindre coût la comptabilisation de la fréquentation des maisons et s'assurer par comparaison de la fiabilité des données renseignées sur la plateforme de reporting .

Il semble nécessaire que l'ANCT continue à sensibiliser les agents France services, mais aussi les élus locaux, pour disposer d'une base de données fiable et harmonisée au niveau national.

En tout état de cause, la performance du réseau ne pourra être évaluée sans un système de suivi robuste, permettant de mesurer l'apport direct des maisons France services et de mieux qualifier les besoins des utilisateurs .

Recommandation n° 25 : Poursuivre l'amélioration des outils de reporting du réseau France services et de la fiabilité des données (ANCT - Banque des territoires)

Le rapporteur spécial souligne cependant que la fréquentation mesurée en valeur absolue d'une maison France services n'a pas de signification réelle et ne constitue pas en tant que tel un critère permettant d'évaluer la performance d'une maison. La fréquentation ne constitue une donnée pertinente que rapportée à la population de la zone de chalandise d'une maison donnée.

2. Répondre à l'hétérogénéité entre départements : formaliser le rôle d'animation des préfectures

La mobilisation des préfectures départementales est une condition essentielle de la réussite du programme France services , tant lors de la labellisation des maisons que par la suite, afin de faire vivre le réseau des maisons et des agents France services.

a) Assurer la cohérence du réseau au niveau départemental lors de l'implantation des maisons France services

En amont de l'animation du réseau, le rôle des préfectures est fondamental dans son déploiement. Ce sont les préfectures de département qui identifient les maisons à labelliser, conduisent le processus de labellisation, échangent avec les porteurs de projets et l'ensemble des partenaires. Concernant l'accompagnement par l'État au cours du processus de mise en place des maisons France services, les élus locaux sont partagés sur leur perception. Près de la moitié des élus locaux s'estiment insatisfaits de la manière dont ils ont été accompagnés par les services de l'État .

Réponse des élus locaux à la question « Jugez-vous que l'accompagnement par l'État était... »

Source : plateforme de consultation des élus locaux du Sénat

Les choix d'implantation des maisons France services semblent avoir dans l'ensemble été peu problématiques . Toutefois, certains opérateurs ont pu faire remonter des situations locales, faute de diagnostic territorial adéquat, entraînant par exemple des doublons avec leurs propres réseaux. Il s'agit cependant essentiellement de cas hérités de l'implantation d'anciennes MSAP.

Le réseau France services doit s'inscrire dans le cadre des schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services au public (SDAASP). C'est d'ailleurs ce qui figure dans la Charte nationale France services : « tout projet France Services doit être étroitement articulé avec le schéma départemental d'amélioration et d'accessibilité des services au public. Lorsque ce schéma n'est pas encore arrêté, le projet doit s'inscrire dans le maillage préexistant des implantations locales des opérateurs partenaires. L'offre de services pourra par ailleurs s'appuyer sur d'autres schémas stratégiques locaux, comme les schémas départementaux de l'autonomie ou du handicap ».

S'agissant des MSAP, la Cour des comptes indiquait en 2019 que le maillage devait « résulter d'une approche locale et non d'objectifs quantitatifs nationaux », ayant abouti à une déconnexion entre l'implantation de certaines maisons et les besoins locaux identifiés dans les SDAASP .

Outre que lors de la labellisation le réseau France services a hérité de la logique d'implantation précédente, la mise en place de France services n'a pas permis de relier les créations de maisons et les SDAASP. La Banque des territoires a ainsi déclaré lors de son audition que le s maisons France services ne répondait que partiellement au besoin de rapprochement et d'accès aux services publics exprimés dans les schémas départementaux 10 ( * ) .

b) Des préfectures inégalement impliquées dans l'animation du programme France services

En 2019, la Cour des comptes soulevait l'insuffisance de la coordination territoriale des MSAP et indiquait que « sur le terrain, l'animation du réseau des MSAP par les préfectures de département va d'une absence totale à une animation très suivie ». Malgré l'accent mis sur le réseau France services, ce constat semble malheureusement encore en partie valable.

La Charte nationale France services indique qu'au « niveau départemental, les préfets sont responsables de la mise en oeuvre opérationnelle de cette politique publique ». Le référent « accessibilité des services au public » de la préfecture doit veiller au respect du bouquet de services et de la charte d'engagement. C'est lui qui coordonne les différents partenaires du socle France services en centralisant et en diffusant les informations et qui s'assure de leur respect du cahier des charges. Les préfectures de départements ont donc un rôle central dans l'animation du réseau France services.

À cet effet, il existe théoriquement un référent France services par préfecture, ce qui ne signifie pas un ETP . En réalité, le rapporteur spécial a pu observer des écarts importants selon les préfectures , et l'association des départements de France a indiqué le cas d'un département où il n'existe aucun lien avec la préfecture sur le sujet France services. L'animation du réseau au niveau départemental est très dépendante de l'implication directe des services de l'État dans le département, qui est parfois lacunaire.

Comme indiqué plus haut, depuis l'année précédente, l'ANCT a créé un réseau d'animateurs départementaux correspondant à un demi ETP , ce qui permet de venir en appui aux préfectures pour France services. S'il est trop récent pour être évalué, ce dispositif constitue sur le principe un progrès qui doit être souligné.

Les obligations des préfectures en matière d'animation du réseau France services sont pour l'heure assez limitées. Selon la Charte, les préfets doivent réunir au minimum deux fois par an un comité départemental d'accès aux services publics, en présence des partenaires de France Services, des associations d'élus et du président de la commission départementale de présence postale territoriale. Au niveau de chaque maison, les partenaires de la structure France services, le représentant de la préfecture de département, les élus locaux du territoire et le porteur de la structure France Services doivent se réunir en comité de pilotage au minimum une fois par an . La comitologie est parfois un peu plus développée dans certains départements , où sont mis en place à la fois des comités de pilotage et des comités techniques au sein de l'EPCI. Si cela permet aux différents acteurs d'échanger et de s'impliquer, cela ne facilite pas pour autant la gouvernance départementale et engendre parfois des doublons.

Afin de limiter l'hétérogénéité de l'animation d'un département à l'autre, il est nécessaire d'une part que l'ANCT formalise un cadre départemental d'animation et d'autre part de s'inspirer des bonnes pratiques dans certains départements.

Recommandation n° 22 : Établir un cadre commun d'animation du réseau à l'échelle départementale pour uniformiser l'action des préfectures de département. (ANCT - Banque des territoires - préfectures de département)

Concernant les modalités de l'animation du réseau France services, elle doit garantir un partage d'expérience entre l'ensemble des acteurs et surtout des agents France services dans le département . Il est nécessaire de créer du lien entre les agents France services du département , confrontés parfois à des territoires et des populations diverses, notamment par le biais de rencontres a minima bisannuelles.

En outre, dans plusieurs départements qui ont anciennement oeuvré sur les problématiques d'accès aux services publics, le Conseil départemental est associé à l'animation du réseau, qu'il co-anime parfois avec la préfecture . Si cela semble être de bonne politique dans la mesure où le département constitue un acteur fondamental sur ces sujets, cela ne peut conduire à ce que les services de l'État limitent leur action dans le pilotage départemental de France services .

3. Ancrer France services dans les territoires par le lien avec les communes
a) Mettre en avant l'articulation du réseau France services et des services publics locaux auprès des élus des territoires

La mairie constitue historiquement la première France services , au sens où il s'agit du principal relais de proximité avec les services publics présents dans l'ensemble des territoires. Il est donc nécessaire que le réseau France services se développe en coopération étroite avec les communes.

Le programme France services est encore insuffisamment identifié par les élus locaux dans certains territoires. Les témoignages recueillis sur la plateforme de consultation des élus du Sénat l'indiquent : « Peu de publicité faite sur ces maisons et c'est bien dommage. Beaucoup de maires ruraux ne connaissent pas précisément le fonctionnement, le rôle, les horaires, les possibilités. À titre personnel, si je ne m'y étais pas intéressé, je n'aurais jamais eu connaissance de l'étendue des possibilités » ; « toutes les collectivités du secteur ne se sont pas approprié France Service pour référence » ; « nous n'avons que très peu d'informations sur la maison France Service la plus proche. Nous n'avons pas de contact avec eux et ne faisons pas appel à leur services » ; « manque d'information général », etc.

Il est donc indispensable de mettre en place un important travail de communication auprès des élus locaux. Les associations d'élus entendues par le rapporteur spécial ont exprimé leur souhait de travailler avec l'ANCT à un dispositif qui permettrait un meilleur lien entre les mairies et France services . Le rapporteur spécial considère que c'est impératif, en particulier en milieu rural peu dense, afin d'ancrer durablement France services en faisant en sorte que les élus et les secrétaires de mairie se l'approprient pleinement, en particulier dans les toutes petites collectivités.

De la mairie à la France services : les dispositifs de recueils

Le dispositif de recueil des empreintes (DR) permet l'enregistrement d'une demande de passeport ou de carte d'identité avant transmission du dossier en préfecture et la personnalisation du passeport par le centre de production. Les DR sont très majoritairement installés en mairie. Toutefois, 12 maisons France services actuellement sont équipées de DR et 4 le seront très prochainement.

À ce jour, 180 France services ont fait l'objet d'un accord entre le maire et la France services et sont susceptibles de demander un DR si elles le souhaitent .

Le rapporteur spécial considère que les DR ont toute leur place dans les maisons France services. Le mouvement initié sur un petit échantillon de maisons France services devrait donc se poursuivre.

Recommandation n° 9 : Dans les communes où il n'existe pas de système de recueil des données, favoriser la délivrance de titres d'identité dans les maisons France services (Ministère de l'intérieur - ANTS)

b) Associer davantage les secrétariats de mairie, première porte d'entrée des maisons France services

Les secrétaires de mairie assurent des missions qui sont aujourd'hui également celles des agents France services . La mise en place du programme France services a d'ailleurs pu susciter chez certains élus (notamment exprimée au travers de la consultation effectuée par le rapporteur spécial) la crainte que le rôle d'accompagnement des secrétariats de mairie ne soit amoindri. Or, les agents France services ne remplacent pas les secrétaires de mairie, mais ont des rôles complémentaires .

Il est essentiel d'associer les secrétariats de mairie au déploiement de France services, afin de bien articuler les missions des uns et des autres. En particulier, il est nécessaire que les secrétaires de mairie connaissent bien le rôle des maisons France services afin de pouvoir y renvoyer les usagers si nécessaire : les communes doivent être un relais vers les France services.

L'ANCT a engagé avec l'association des maires ruraux (AMRF) un travail en ce sens, au travers de l'organisation d'une journée nationale en novembre 2021 avec les secrétaires de mairie . Cette journée nationale devrait être rééditée en novembre 2022, ce dont se félicite le rapporteur spécial. Ces efforts doivent être poursuivis.


* 9 Réponse du ministère de l'Intérieur au questionnaire transmis par le rapporteur spécial.

* 10 Audition de la Banque des territoires.

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