Rapport d'information n° 831 (2021-2022) de MM. François-Noël BUFFET , Philippe BAS , Jean-Pierre SUEUR et Hervé MARSEILLE , fait au nom de la commission des lois, déposé le 27 juillet 2022

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N° 831

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 juillet 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur l' avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie (rapport d'étape),

Par MM. François-Noël BUFFET, Philippe BAS, Jean-Pierre SUEUR
et Hervé MARSEILLE,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

AVANT-PROPOS

Les 184 364 Calédoniens inscrits sur la liste électorale spéciale à la consultation (LESC), prévue par l'accord de Nouméa, ont été appelés, le 12 décembre 2021, à se prononcer une troisième fois sur la question de l'indépendance ou du maintien dans la République française de la Nouvelle-Calédonie 1 ( * ) . La question posée, identique à celle formulée à l'occasion des scrutins de 2018 et 2020, était la suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ».

Malgré les demandes des partis indépendantistes de reporter la date du scrutin pour des motifs tirés du contexte sanitaire et du deuil coutumier kanak alors proclamé, le scrutin a été maintenu et a vu le « non » l'emporter avec 96,5 % des suffrages exprimés 2 ( * ) . Toutefois, cette victoire du « non » s'est accompagnée d'un effondrement de la participation au scrutin, qui s'est établie à seulement 43,9 % des inscrits, alors qu'elle était de 73,7 % puis de 80 % lors des deux consultations précédentes.

Bien que la légitimité de ce scrutin demeure contestée, le cycle consultatif prévu par l'accord de Nouméa s'est ainsi formellement achevé, ouvrant une nouvelle période institutionnelle pour la Nouvelle-Calédonie .

Pour l'heure, celle-ci est néanmoins nimbée d'incertitudes, car le processus initié par l'accord de Matignon-Oudinot en 1988 et poursuivi par l'accord de Nouméa en 1998 n'a pas définitivement tranché l'ensemble des questions institutionnelles et politiques relatives au statut de la Nouvelle Calédonie . Un consensus ne s'est pas dégagé de ce processus et de nombreuses interrogations subsistent.

Certes, le Gouvernement français a fixé avant même la tenue de la troisième consultation le calendrier de l' « après-Nouméa » qui devait être structuré en deux périodes : une première période « de discussion et de stabilité à partir du 13 décembre 2021 », suivie de l'organisation d'un référendum dit « de projet » organisé avant le 30 juin 2023 3 ( * ) .

Depuis la proclamation des résultats, cette phase de discussion n'a toutefois pas été engagée , la reprise du dialogue ayant été repoussée en raison des élections présidentielle et législatives d'avril et juin 2022.

À l'issue de cette période électorale, deux déplacements du ministre en charge des outre-mer ont été consécutivement annoncés pour juin puis pour juillet 2022, avant d'être annulés. Le Gouvernement leur a préféré une réunion du « comité des signataires » prévue en septembre prochain à Paris 4 ( * ) . Ces annonces n'ont pas provoqué la reprise espérée du dialogue entre les parties , le Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS) ayant affirmé son refus de participer à cette réunion 5 ( * ) .

Les fils du dialogue devront être renoués le plus rapidement possible pour sortir de la période d'incertitude actuelle et ouvrir de nouveaux horizons pour la nouvelle Calédonie.

C'est dans une démarche d'écoute et de dialogue que les rapporteurs de la mission - François-Noël Buffet, Philippe Bas, Jean-Pierre Sueur et Hervé Marseille - ont mené leurs premiers travaux, en Nouvelle-Calédonie comme au Sénat .

À l'issue de ces travaux, la conviction des rapporteurs s'est trouvée confortée : bien que des divisions demeurent quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, un consensus se dégage au sein de la population comme parmi les acteurs politiques, institutionnels, économiques et sociaux en faveur de la recherche d'un accord entre les parties calédoniennes pour garantir la stabilité du territoire et son développement économique, social et culturel.

Les conditions de ce dialogue doivent, dès lors, être réunies sans tarder : aucune solution consensuelle et durable ne pourra en effet être construite sans la mise en oeuvre d'une méthode de négociation acceptée par l'ensemble des parties prenantes . Une telle méthode, qui doit garantir le bon déroulement de ces négociations, exige de l'Etat une action volontariste mais impartiale . L'État ne saurait se résigner ni à une position attentiste, qui se bornerait à enregistrer le moment venu un accord politique conclu en dehors de lui, ni, à l'inverse, à une action unilatérale, qui ne saurait fonder une solution durable. C'est ainsi que l'État, garant de la concorde civile, trouvera les moyens de prendre toute sa part à la création des conditions indispensables à l'émergence d'une solution politique équilibrée, consensuelle et durable quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Le présent rapport d'étape formule des propositions sur la méthode qui doit guider l'action des différentes parties afin de renouer les fils du dialogue dans « l'après-Nouméa » et ainsi permettre à la Nouvelle-Calédonie de construire pacifiquement et sereinement son avenir institutionnel et ses relations avec l'Hexagone .

À l'issue de ce rapport d'étape, la mission va poursuivre ses travaux en se concentrant d'une part, sur le bilan de l'accord de Nouméa et ses enseignements pour l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie., et d'autre part sur des recommandations quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

L'ESSENTIEL

L'achèvement des consultations prévues par l'accord de Nouméa ouvre une nouvelle page de l'histoire de la Nouvelle-Calédonie.

Le retard pris pour l'engagement des discussions sur son avenir institutionnel, pourtant envisagées par le Gouvernement dès juin 2021, et la cristallisation des antagonismes entre forces politiques calédoniennes consécutive à la consultation du 13 décembre 2021 appellent à réunir sans délai les moyens de négocier sereinement et ainsi ouvrir de nouveaux horizons.

Convaincue que le dialogue demeure le seul chemin viable , la commission des lois, nourrie des auditions et des échanges menés en Nouvelle-Calédonie comme au Sénat, a travaillé à l'établissement d'une méthode de négociation susceptible d'être acceptée par l'ensemble des parties prenantes, préalable nécessaire au bon déroulement des négociations à venir.

I. LA FIN D'UN PROCESSUS TRENTENAIRE QUI N'A PAS TRANCHÉ TOUTES LES QUESTIONS QUANT À L'AVENIR INSTITUTIONNEL ET AU STATUT DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE

A. AU TERME D'UN CYCLE POLITIQUE OUVERT IL Y A 34 ANS, L'ABSENCE DE SOLUTION PÉRENNE

Alors qu'un cycle politique semble se clore, les rapporteurs constatent que le processus engagé par l'accord de Matignon et prolongé par celui de Nouméa n'a pas apporté toutes les réponses espérées . S'il a contribué à apporter à ce territoire une paix civile dont la nécessité ne saura jamais être rappelée avec suffisamment de force, il n'a pas permis de résoudre les difficultés politiques qui ont justifié son engagement trente-quatre ans plus tôt.

Fragilisé par des contestations politiques et des incertitudes juridiques, ce processus trentenaire n'a pour l'heure pas débouché sur une solution politique consensuelle et pérenne quant à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie :

• l'organisation de trois consultations relatives à l'autodétermination n'a pas permis de sortir d'un vote qualifié d'« identitaire » par les chercheurs, ni épuisé les revendications de chacune des parties ;

• la vie politique calédonienne demeure largement déterminée par les débats institutionnels .

Par ailleurs, les institutions créées par les accords de Nouméa font l'objet de critiques nourries de la part tant des acteurs politiques que des représentants des acteurs économiques, sociaux, culturels, environnementaux, et de services de l'État en Nouvelle-Calédonie, illustrant la nécessité de réformes institutionnelles.

B. LA FIN DU PROCESSUS EST MARQUÉE PAR LA DISTENSION DES FILS DU DIALOGUE ENTRE LES PARTIES

Si le cadre posé en juin 2021 par le Gouvernement quant aux futures négociations sur l'avenir institutionnel semblait initialement facteur de consensus , les auditions menées par les rapporteurs ont montré l'érosion de l'adhésion des partis indépendantistes à ce cadre et la distension des fils du dialogue entre les parties .

Depuis la proclamation des résultats de la troisième consultation, la phase de discussion annoncée n'a pas été initiée et n'a cessé d'être repoussée par l'État , jusqu'à l'annonce d'une réunion du comité des signataires à Paris en septembre prochain. Ces annonces n'ont pas provoqué la reprise espérée du dialogue entre les parties , le Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS) ayant affirmé son refus de participer à cette réunion.

II. L'IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ DE RENOUER LES FILS DU DIALOGUE PAR UNE MÉTHODE DE NÉGOCIATION ACCEPTÉE DE TOUS

A. LE DIALOGUE EST LE SEUL CHEMIN VIABLE

À l'issue de leurs travaux, la conviction des rapporteurs s'est trouvée confortée : bien que des divisions demeurent quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, un consensus se dégage au sein de la population comme parmi les acteurs politiques, institutionnels, économiques et sociaux en faveur de la recherche d'un accord entre les parties calédoniennes pour garantir la stabilité du territoire et son développement économique, social et culturel.

Inauguration de la place de la Paix à Nouméa en présence des rapporteurs

Extrait du message de Gérard Larcher, Président du Sénat,
lu par François-Noël Buffet, président de la commission des lois,
au cours de l'inauguration de la place de la Paix à Nouméa le 26 juin 2022

« Cette poignée de main symbolisant la reconnaissance réciproque de deux légitimités nous contraint à consacrer toute notre énergie à poursuivre et approfondir le dialogue qui seul permettra de définir le chemin du futur ».

Les conditions du dialogue entre les parties doivent maintenant être rétablies, sans nouveau retard. Aucune réponse consensuelle et durable ne pourra être imaginée pour construire l'avenir calédonien sans la mise en oeuvre, par des actions concrètes et régulières, d'une méthode de négociation adaptée aux enjeux.

B. LA NÉCESSAIRE OUVERTURE DE NÉGOCIATIONS FRANCHES ET CONSTRUCTIVES SUR LES SUJETS DE DÉSACCORD

Selon les rapporteurs, l'« après-Nouméa » doit se construire sur un nouveau cycle de négociations qui, s'il ne peut ignorer l'héritage des accords de Matignon et de Nouméa, ne saurait être la simple actualisation de ceux-ci .

Une telle position implique de la part des parties à la négociation le respect d'une règle commune, condition sine qua non d'un dialogue renouvelé : n'exclure par principe aucun sujet de l'agenda des négociations , au risque d'empêcher les discussions d'avancer vers une solution d'avenir pacifique et consensuelle.

C. RÉUNIR SANS NOUVEAU RETARD LES MOYENS DE NÉGOCIER SEREINEMENT L'AVENIR INSTITUTIONNEL DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE

À l'issue des échanges conduits avec les parties prenantes de l'avenir calédonien, les rapporteurs proposent des points de méthode pour que les négociations appelées de leurs voeux par toutes les personnes rencontrées revêtent un caractère serein et fructueux pour définir l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

• Rétablir un lien de confiance entre les parties prenantes en réaffirmant l'impartialité et le rôle moteur de l'État

L e bon déroulement de ces négociations exige de l'État une action volontariste mais impartiale . Ainsi, l'État ne saurait se résigner ni à une position attentiste, qui se bornerait à enregistrer le moment venu un accord politique conclu en dehors de lui, ni, à l'inverse, à une action unilatérale, qui ne saurait fonder une solution durable. C'est ainsi que l'État, garant de la concorde civile, trouvera les moyens de prendre toute sa part à la création des conditions indispensables à l'émergence d'une solution politique équilibrée, consensuelle et durable quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

• Dépasser le strict débat institutionnel en élargissant le champ des discussions

Les rapporteurs rappellent qu'au-delà des enjeux juridiques et institutionnels dont il revient aux parties de discuter, ces négociations ne pourront s'extraire des grands défis d'avenir du territoire auxquels elles devront contribuer à apporter des réponses . Dès lors, c'est bien sur la totalité des défis que la population calédonienne devra ensemble relever que doivent porter les nouvelles négociations.

• Élargir les discussions à de nouveaux acteurs afin de renforcer l'acceptabilité sociale des équilibres issus des négociations

Les échanges et auditions des rapporteurs ont montré que les acteurs économiques, religieux, coutumiers, sociaux, environnementaux et les représentants de la jeunesse calédonienne sont des relais des besoins et préoccupations concrètes des populations calédoniennes et ont des propositions pragmatiques et diversifiées quant à l'avenir du territoire à partager . Dès lors, les initiatives visant à écouter et consulter ces acteurs doivent être amplifiées et systématisées .

En outre, les maires de Nouvelle-Calédonie n'ont, de toute évidence, pas été suffisamment consultés lors de l'élaboration des accords de Matignon et de Nouméa , alors que leurs « retours de terrain » auraient permis d'utilement nourrir la construction institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. C'est pourquoi, les rapporteurs appellent à mieux associer aux prochaines négociations les maires de Nouvelle-Calédonie, forces de propositions pragmatiques et concrètes .

• Associer pleinement le Parlement aux discussions

Indépendamment de l'issue des négociations sur le fond, de nombreuses évolutions statutaires pour la Nouvelle-Calédonie ne pourront intervenir qu'après d'importantes évolutions constitutionnelles et législatives . Dès lors, il apparaît indispensable que le Parlement soit associé aux négociations ainsi qu'aux réflexions sur les projets constitutionnels et législatifs qui pourraient être envisagés, et pleinement informé de l'évolution de l'ensemble de ces discussions.

• Conduire des discussions politiques éclairées par des considérations juridiques

Il ne fait aucun doute que les spécificités de la Nouvelle-Calédonie, pour lesquelles le Conseil constitutionnel a admis des dérogations importantes aux principes constitutionnels, justifient l'exploration de l'ensemble des voies de droit existantes et, le cas échéant, des innovations juridiques spécifiques afin de traduire les équilibres politiques résultant des négociations entre les parties . Les rapporteurs insistent toutefois sur la particulière attention qui doit être portée aux considérations juridiques au cours des négociations , afin qu'aucun équilibre ou compromis souhaité par les parties ne soit entravé par la suite dans sa mise en oeuvre en raison de la faiblesse de leur fondement juridique ou par un défaut d'anticipation des traductions juridiques afférentes.

LISTE DES PROPOSITIONS DU RAPPORT D'ÉTAPE

Proposition n° 1 : Garantir l'impartialité de l'État et consolider son rôle de proposition sur le dossier calédonien

Proposition n° 2 : Élargir les discussions à la diversité des défis auxquels devra répondre la Nouvelle-Calédonie (économie, société, santé, école, culture, environnement, finances, contexte régional)

Proposition n° 3 : Écouter et consulter les acteurs économiques, sociaux, environnementaux, culturels, coutumiers, religieux ainsi que la jeunesse calédonienne

Proposition n° 4 : S'appuyer davantage sur les maires de Nouvelle-Calédonie , forces de propositions pragmatiques et concrètes

Proposition n° 5 : Associer pleinement le Parlement aux discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie

Proposition n° 6 : Conduire des discussions politiques éclairées par des considérations juridiques

I. LA FIN D'UN PROCESSUS TRENTENAIRE QUI N'A PAS TRANCHÉ TOUTES LES QUESTIONS QUANT À L'AVENIR INSTITUTIONNEL ET AU STATUT DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE

Pour imparfait qu'il soit, le processus politique qui s'est développé au cours des trente-quatre dernières années a rempli le premier des objectifs qui lui avaient été assignés, à savoir rétablir durablement la paix civile sur le territoire calédonien et ainsi, éviter la survenance de nouveaux événements dramatiques tels que ceux des années 1980.

Chronologie des accords de Matignon et de Nouméa

Le 26 juin 1988, après « plusieurs décennies d'incompréhension et de violence », Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, réunis par le Premier ministre Michel Rocard, signent l'accord de Matignon.

En août 1988, l'accord d'Oudinot est signé par Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, chacun accompagné par une délégation.

Ces accords sont approuvés par le référendum national du 6 novembre 1988, avec 79,99 % des suffrages exprimés.

Le 5 mai 1998, à l'approche d'un scrutin d'autodétermination prévu par les accords de Matignon, les indépendantistes et les non-indépendantistes s'accordent sur l'accord de Nouméa, nouvelle « solution consensuelle », repoussant ainsi la consultation.

Cet accord est approuvé par une consultation locale le 8 novembre 1998, avec 71,86 % des suffrages exprimés.

Toutefois, fragilisé par des contestations politiques et des incertitudes juridiques, ce processus trentenaire n'a pour l'heure pas débouché sur une solution politique consensuelle et pérenne quant à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie .

Dès lors, ainsi que le résume le président Gérard Larcher : « Le travail accompli n'a peut-être pas encore construit le destin commun auquel vous souhaitez parvenir, mais il vous a permis d'affronter ces dernières années ce que l'on peut appeler la pression de l'histoire, c'est-à-dire le choc de plusieurs consultations référendaires » 6 ( * ) .

A. UN PROCESSUS TRENTENAIRE DONT L'ACHÈVEMENT LAISSE OUVERTS DES DÉBATS POLITIQUES ET JURIDIQUES ESSENTIELS

1. L'achèvement des consultations d'autodétermination prévues par l'accord de Nouméa laisse ouvert le débat sur les modalités du destin commun auxquels sont appelés les Calédoniens

Conformément au point 5 de l'accord de Nouméa, trois consultations à l'autodétermination ont été organisées en Nouvelle-Calédonie, entre novembre 2018 et décembre 2021.

Le processus d'autodétermination prévu par l'accord de Nouméa

Le point 5 de l'accord de Nouméa a prévu un processus inédit d'autodétermination d'un territoire au sein de la République française : trois consultations relatives à l'indépendance peuvent, sous réserve qu'elles soient demandées par le tiers des membres du congrès de Nouvelle-Calédonie, être organisées.

Il prévoit qu'« au cours du quatrième mandat (de cinq ans) du Congrès, une consultation électorale sera organisée. (...) La consultation portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l'accès à un statut international de pleine responsabilité et l'organisation de la citoyenneté en nationalité ».

Par ailleurs, « si la réponse des électeurs à ces propositions est négative, le tiers des membres du Congrès pourra provoquer l'organisation d'une nouvelle consultation qui interviendra dans la deuxième année suivant la première consultation. Si la réponse est à nouveau négative, une nouvelle consultation pourra être organisée selon la même procédure et dans les mêmes délais ».

Afin d'éviter toute partition du territoire, des garanties ont été prévues par l'avant-dernier paragraphe du point 5 de l'accord. Ainsi, « le résultat de cette consultation s'appliquera globalement pour l'ensemble de la Nouvelle-Calédonie. Une partie de la Nouvelle-Calédonie ne pourra accéder seule à la pleine souveraineté ou conserver seule des liens différents avec la France, au motif que les résultats de la consultation électorale y auraient été différents du résultat global ».

Le dernier paragraphe du même point 5 de l'accord prévoit par ailleurs la reconnaissance par l'État de « la vocation de la Nouvelle-Calédonie à bénéficier, à la fin de cette période, d'une complète émancipation ».

Enfin, cet accord est inscrit aux articles 76 et 77 de la Constitution. Ce dernier dispose notamment qu'« une loi organique (...) détermine (...) les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté ».

Organisés à la demande des élus indépendantistes du congrès de la Nouvelle-Calédonie, ces scrutins ont vu par trois fois une majorité des « populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie » - c'est-à-dire les Calédoniens inscrits sur la liste électorale spéciale pour la consultation - répondre « non » à la question de savoir si la Nouvelle-Calédonie devait accéder à la pleine souveraineté et devenir indépendante .

Selon les résultats officiels et définitifs, cette majorité a été de 56,67 % en 2018, 53,26 % en 2020 et 96,5 % en 2021 7 ( * ) . La participation à ces trois consultations a néanmoins été inégale, s'établissant respectivement à 73,7 % puis 80 % et enfin 43,9 %.

Trois consultations sur l'autodétermination
ont été organisées en Nouvelle-Calédonie entre 2018 et 2021

Conformément à la lettre de l'accord de Nouméa, les trois consultations ont été organisées en moins de quatre années, à des dates fixées par l'État faute d'accord d'une majorité des trois cinquièmes des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie quant à la date de la première consultation.

Les scrutins se sont ainsi déroulés 8 ( * ) les :

- 4 novembre 2018 ;

- 4 octobre 2020 ;

- 12 décembre 2021.

Le corps électoral admis à participer à ces scrutins est restreint. Le nombre d'électeurs inscrits à ces scrutins s'est établi à : 174 165 personnes en 2018, 180 799 en 2020 et 184 364 en 2021.

La question posée, fruit d'un accord du XVIIe comité des signataires de l'accord de Nouméa le 27 mars 2018 à Paris, a été à chaque fois la suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » 9 ( * ) .

Si les deux premiers scrutins ne souffrent d'aucune contestation juridique ou politique quant à leur régularité et leur légitimité, le troisième et dernier scrutin fait l'objet de critiques de la part des formations politiques indépendantistes .

En effet, ce troisième scrutin et la campagne électorale afférente se sont déroulés entre le 29 novembre et le 12 décembre 2021 dans un contexte sanitaire inédit marqué par l'épidémie de la covid-19 .

En raison de la crise sanitaire et de la déclaration le 6 septembre 2021 d'une période de deuil coutumier d'un an par le sénat coutumier de la Nouvelle-Calédonie, les partis indépendantistes ont sollicité le report de la consultation 10 ( * ) . Cette demande, à laquelle s'étaient opposés les partis non-indépendantistes 11 ( * ) , a été rejetée par le Gouvernement au motif que « la situation sanitaire (...) s'est nettement améliorée » 12 ( * ) . Selon les partis indépendantistes, ce refus « s'apparente à une véritable déclaration de guerre contre le peuple kanak » 13 ( * ) ainsi qu'à une « provocation politique » 14 ( * ) . Les partis indépendantistes ont, dès lors, appelé à la « non-participation » au scrutin 15 ( * ) .

Sur le plan juridique, le débat semble aujourd'hui clos, le Conseil d'État ayant jugé par deux fois que la tenue de la consultation relative à l'autodétermination au mois de décembre 2021 était juridiquement valide :

- une première fois au mois de novembre 2021, lorsque le Conseil d'État a rejeté un recours contre le décret du 30 juin 2021 convoquant les électeurs pour la troisième consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie 16 ( * ) ;

- une seconde fois, au mois de juin 2022 , en rejetant le recours formé - entre autres - par le Parti de libération kanak (Palika) demandant l'annulation des opérations référendaires tenues en décembre 2021 au motif que l'épidémie de covid-19 et la déclaration d'une période de deuil coutumier d'un an faisaient obstacle au bon déroulement à de telles opérations et, partant, portaient atteinte à la sincérité de ce scrutin 17 ( * ) .

Toutefois, les acteurs politiques calédoniens conservent des positions antagonistes quant à la légitimité politique du scrutin de décembre dernier .

D'une part, les responsables politiques indépendantistes arguent de l'insincérité des résultats du scrutin , au motif que la consultation n'a pu se dérouler dans de bonnes conditions et que la forte abstention consécutive à leur appel à ne pas participer au scrutin vicie le résultat de ce dernier.

À titre d'exemple, Roch Wamytan, président du congrès de la Nouvelle-Calédonie et signataire de l'accord de Nouméa, a déclaré à la suite du scrutin que, « si juridiquement [le référendum] est légitime, au niveau politique, il est complément illégitime. Il est illégitime, nul et non avenu » 18 ( * ) .

D'autre part, les responsables politiques non-indépendantistes arguent au contraire de la pleine légitimité du scrutin , au motif qu'il n'est pas juridiquement entaché d'insincérité et qu'il appartenait aux différentes formations politiques d'y participer.

Pour le député Nicolas Metzdorf, président de Générations NC et maire de La Foa au moment de la troisième consultation, le résultat est « incontestable » et « on vient de terminer l'Accord de Nouméa avec une Nouvelle-Calédonie qui va rester française ».

Le Rassemblement-Les Républicains, par la voix de Thierry Santa, rappelait quant à lui que si « la Nouvelle-Calédonie restera française », « les résultats ne doivent cependant pas être interprétés comme la victoire d'un camp sur un autre » 19 ( * ) .

Si le débat sur la validité juridique du troisième scrutin d'autodétermination est donc clos, les rapporteurs ne peuvent que constater la persistance de contestations quant à sa légitimité, qui fragilise l'achèvement du processus initié par les accords de Matignon et prolongé par l'accord de Nouméa .

2. Des incertitudes quant au statut juridique actuel de l'accord de Nouméa dont le caractère transitoire avait permis de justifier des dérogations aux exigences constitutionnelles

Initialement prévu pour une durée de vingt ans et susceptible de se terminer après trois consultations relatives à l'autodétermination, l'accord de Nouméa continue aujourd'hui à s'appliquer .

Ainsi qu'énoncé dans son préambule, « cette solution définit pour vingt années l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation ». Dès lors, l'application de l'accord de Nouméa, signé en 1998, a déjà dépassé de plus de quatre ans la durée initialement envisagée par ses signataires .

Pour autant, l'accord de Nouméa ne prévoit pas de limite formelle à la durée de son application s'agissant des institutions dont il a prévu la mise en place et des compétences dont il a convenu du transfert .

Au contraire, il comporte des garanties destinées à éviter tout risque de vide juridique quant à la situation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, sources d'incertitudes juridiques supplémentaires. En effet, comme le stipule son point 5, « si la réponse [à la troisième consultation] est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». Et, soucieux de ne pas créer de vide juridique, les signataires de l'accord ont assorti cette affirmation d'une garantie ainsi rédigée « tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur , à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette « irréversibilité » étant constitutionnellement garantie ».

Il est vrai cependant que le caractère purement transitoire des dispositifs prévus par l'accord a été consacré dans l'intitulé du titre XIII de la Constitution, introduit en 1998 dans le but d'assurer la conformité à la Constitution des mesures prévues par l'accord et d'en organiser les modalités d'approbation. 20 ( * ) On relèvera néanmoins que ce caractère « transitoire » renvoie à une période de transition dont les bornes n'ont été fixées par aucun texte.

Par ailleurs, si l'application prolongée dans le temps de ce texte semblait se justifier aux fins d'organiser les trois consultations prévues par ledit accord à son point 5, cette prolongation n'est pas sans conséquence .

L'accord de Nouméa ainsi que la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie contiennent nombre d'innovations juridiques qui constituent autant de dérogations à des principes constitutionnellement protégés, qui ont justifié la révision constitutionnelle de 1998 .

À titre d'exemple, la création d'une citoyenneté calédonienne ouvrant des droits en matière électorale et instituant une préférence pour l'accès à l'emploi et au foncier à ses seuls détenteurs déroge aux principes d'égalité et d'universalité du suffrage, de droit à la propriété privée et d'égal accès au travail.

Ces dérogations aux principes constitutionnels n'ont été jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel qu'en raison de leur caractère « limité et temporaire » 21 ( * ) .

De la même manière, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé conformes au protocole n° 1 de la Convention européenne les « restrictions mises pour pouvoir participer aux élections du Congrès et des assemblées de province en Nouvelle-Calédonie » en raison notamment du caractère « inachevé et transitoire » du statut de la Nouvelle-Calédonie 22 ( * ) .

En conséquence, Ferdinand Mélin-Soucramanien et Alain Christnacht émettent des réserves quant à la possibilité d'organiser les prochaines élections provinciales en 2024 selon les modalités dérogatoires mais transitoires ainsi prévues par l'accord de Nouméa . Pour le premier, « les élections provinciales de 2024 constitueront à mon sens un moment de vérité . (...) Tout cela n'en reste pas moins fragile et repose sur une forme de fiction » 23 ( * ) .

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les rapporteurs estiment que tant le caractère transitoire de l'accord que les dispositions constitutionnelles relatives à la Nouvelle-Calédonie rendent souhaitables des évolutions constitutionnelles et législatives mettant en place à un nouveau cadre constitutionnel pour l'archipel .

En raison de ce même caractère transitoire, l'organisation de nouvelles élections provinciales selon les principes définis par l'accord de Nouméa et la loi organique précitée pourrait soulever de sérieuses difficultés sur le plan constitutionnel .

Aussi les rapporteurs estiment-ils souhaitable d'anticiper de telles difficultés en recherchant une solution politique consensuelle de nature à de trouver une traduction juridique avant les élections provinciales de 2024 . Il n'est d'ailleurs pas à exclure que des adaptations destinées à garantir la continuité entre les deux systèmes électoraux soient à prévoir.

B. LA FIN D'UN CYCLE SANS SOLUTION POLITIQUE PÉRENNE ET MARQUÉE PAR LA DISTENSION DES FILS DU DIALOGUE ENTRE LES PARTIES

1. Au terme d'un cycle politique ouvert il y a 34 ans, l'absence de solution pérenne
a) Malgré un relatif consensus politique quant à l'achèvement d'un cycle politique, des visions antagonistes perdurent quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie

Quel que soit le regard porté par les acteurs politiques et les juristes sur la clôture effective du processus engagé par les accords de Matignon et de Nouméa, les auditions et entretiens menés par les rapporteurs en Nouvelle-Calédonie ont permis de constater la fin, si ce n'est de ce processus, du moins d'un cycle politique débuté trente-quatre ans auparavant .

Selon Sonia Backès, lors de son audition en qualité de présidente de la Province Sud, « l'accord de Nouméa est terminé ».

Du côté des indépendantistes, malgré les contestations relatives au troisième scrutin pour l'autodétermination, il n'est pas contesté que la Nouvelle-Calédonie arrive à la fin du processus initié il y a trente-quatre ans. Ainsi, comme l'a souligné Jacques Lalié, président de la province des Iles, lors de son audition, « nous arrivons à une nouvelle étape ».

Or, malgré d'incontestables avancées, ce processus n'a pas permis de dégager de solution politique consensuelle et définitive quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie . Les rapporteurs n'ont pu que le constater, les différents mécanismes mis en place par l'accord de Nouméa n'ont pas fait émerger une vision pleinement partagée au sein de la population calédonienne quant à l'avenir institutionnel de l'archipel.

Premièrement, l'organisation de trois consultations relatives à l'autodétermination n'a pas permis de sortir d'un vote qualifié d'« identitaire » par les chercheurs . En effet, pour Alain Christnacht, « l'espoir exprimé dès les accords de Matignon et renouvelé avec l'accord de Nouméa, c'était précisément de sortir d'un déterminisme ethnique opposant les Kanaks, pour l'indépendance, et tous les autres, contre » 24 ( * ) . Or, pour Sylvain Brouard et Samuel Gorohouna, chercheurs au CEVIPOF et au LARJE, « le premier déterminant du vote pour le « oui » est l'appartenance

communautaire et singulièrement à la communauté Kanak puis Océanienne », et ce lors des trois consultations 25 ( * ) .

Ainsi, comme le conclut Alain Christnacht, « au terme des trois référendums , le pari initial - à savoir sortir à terme du clivage ethnique - n'a pas vraiment été tenu ».

Plus encore, ce processus n'a pas épuisé les revendications de chacune des parties , et singulièrement celles des partis politiques indépendantistes en faveur de l'accession à la pleine souveraineté.

À l'issue du dernier scrutin, Roch Wamytan, président du congrès de la Nouvelle-Calédonie a déclaré que « les deux groupes sont renvoyés dos à dos » et confirmé sa vision politique selon laquelle « la Nouvelle-Calédonie conserve sa vocation à être indépendante, un jour » 26 ( * ) .

À l'inverse, du côté non-indépendantiste, Sonia Backès, présidente de la province Sud, réagissait en affirmant que « la question de l'appartenance à la République ne se pose plus . Ce qui va se poser, c'est la construction d'un projet de société et il nous appartient de le construire tous ensemble » 27 ( * ) .

Les auditions des principaux représentants des partis indépendantistes et non-indépendantistes conduites par les rapporteurs ont montré que ces positions exprimées à l'issue du scrutin n'ont pas connu d'évolution notable depuis .

Ainsi, les représentants du Parti de libération kanak (Palika) et de l'Union progressiste en Mélanésie (UPM) rencontrés au cours du déplacement, en particulier Paul Néaoutyine, Victor Tutugoro et Jean-Pierre Djaïwé, ont rappelé, dans des termes identiques, que « les consultations n'éteignaient pas la revendication à l'indépendance ». Cette affirmation est partagée par les représentants de l'Union-Calédonienne, en particulier Roch Wamytan pour qui « un combat de quarante ans ne s'arrêtait pas avec le troisième référendum ».

De la même manière, lors de son audition, la confédération Ensemble ! a rappelé que « le processus référendaire est terminé », position partagée par Virginie Ruffenach.

Deuxièmement, l'organisation politique calédonienne demeure largement déterminée par les débats institutionnels . Le débat politique est ainsi polarisé par le positionnement vis-à-vis de l'indépendance, qui demeure un critère d'identification fort pour l'ensemble des formations et du personnel politiques calédoniens. Les principaux responsables politiques continuent de porter des visions antagonistes de l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie au cours des campagnes électorales locales mais également nationales .

Ainsi, toutes les strates de l'organisation politique calédonienne sont organisées selon ce clivage :

- les maires de Nouvelle-Calédonie sont représentés par deux associations, l'association des maires de Nouvelle-Calédonie et l'association des maires français de Nouvelle-Calédonie, auxquels ils adhérent en fonction, à une exception près, de leur positionnement quant au maintien ou non de la Nouvelle-Calédonie dans la République française ;

- aucune des trois provinces de Nouvelle-Calédonie, qui ont été découpées afin de permettre une répartition du pouvoir politique entre les partis indépendantistes au Nord et dans les Iles Loyauté et non-indépendantistes au Sud de la Nouvelle-Calédonie , n'a connu d'alternance politique au cours des trente dernières années ;

- le congrès de la Nouvelle-Calédonie est structuré autour de groupes politiques classés selon leur positionnement par rapport à la question de l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie , à l'exception du parti de l'Éveil Océanien. Ce dernier, bien que refusant de se positionner sur cette question, ne s'extrait toutefois pas de cette summa divisio puisque, par la voix de son président, Mickael Tukumuli, auditionné par les rapporteurs, il « prône un équilibre entre les deux forces qui ne peut se réaliser que par la répartition du pouvoir politique » entre les partis indépendantistes et non-indépendantistes au sein du congrès et du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;

- le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, bien qu'il repose sur un fonctionnement collégial, est structuré selon les mêmes forces politiques .

Quant aux élections nationales , les dernières campagnes pour les élections présidentielle et législatives ont illustré, une nouvelle fois, le clivage politique et ethnique existant en Nouvelle-Calédonie .

Ainsi, selon Sylvain Brouard, chercheur au CEVIPOF, « lorsque l'on appréhende l'électorat kanak à partir de la proportion d'électeurs de statut civil coutumier au niveau des bureaux de vote, l'estimation de l'abstention et des bulletins blancs ou nuls lors des 1 er et 2 nd tours de l'élection présidentielle est, respectivement, de 96 et 99 % » et est ainsi « peu ou prou deux fois plus élevé que parmi les électeurs de statut civil commun » 28 ( * ) .

Troisièmement, si la société civile aspire à ce que de nouveaux thèmes, principalement économiques, éducatifs et sociaux, prennent la place qui leur revient dans le débat politique calédonien, force est de constater que n'a pas émergé de celle-ci une solution spontanée - et indépendante des formations et du personnel politiques - aux divisions que connaît ce territoire . La période ouverte par les accords de Matignon et prolongée par l'accord de Nouméa n'a ainsi pas permis de dégager par elle-même une vision politique partagée au sein de la société calédonienne qui s'imposerait, le temps aidant, avec la force de l'évidence.

Bien au contraire, selon Sylvain Brouard, chercheur au CEVIPOF, la confiance des Calédoniens dans l'avenir s'est dégradée au fil du processus de consultation sur l'autodétermination : « la défiance est aujourd'hui [en mars 2021] prédominante : 44 % de notre échantillon est plutôt ou très inquiet. Son niveau n'était que de 27 % en septembre 2020 » 29 ( * ) .

Au surplus, la démarche dite « d'écoute profonde » menée en 2021 avant la troisième consultation à l'autodétermination a mesuré le niveau de confiance dégradé au sein de la population calédonienne : 52 % des Calédoniens se sont déclarés inquiets ou très inquiets quant à l'avenir et au développement de la Nouvelle-Calédonie contre seulement 30 % se déclarant confiants 30 ( * ) .

Alors qu'un cycle politique semble se clore, les rapporteurs constatent qu'il n'aura pas apporté toutes les réponses espérées . S'il est loin d'avoir été vain, en ce qu'il a contribué à apporter à ce territoire une paix civile dont la nécessité ne saura jamais être rappelée avec suffisamment de force, il n'a pas permis de résoudre les difficultés politiques qui ont justifié son engagement trente-quatre ans plus tôt.

b) Les institutions politiques et administratives issues des accords souffrent aujourd'hui de défauts soulignés par l'ensemble des parties

Les auditions menées par les rapporteurs ont révélé les fragilités du système institutionnel institué par les accords de Matignon et de Nouméa, détaillé par la loi organique du 19 mars 1999 précitée . Les institutions créées par les accords de Nouméa font en effet l'objet de critiques nourries de la part tant des acteurs politiques que des représentants des acteurs économiques, sociaux, culturels, environnementaux, et de services de l'État en Nouvelle-Calédonie, illustrant la nécessité de réformes institutionnelles.

Deux types de critiques ont ainsi été systématiquement évoqués au cours des auditions.

Le premier concerne la répartition des compétences entre les institutions de Nouvelle-Calédonie, qui n'est pas jugée aujourd'hui pleinement satisfaisante .

Ainsi, l'ensemble des acteurs auditionnés a déploré l'enchevêtrement des compétences telles que réparties entre les différentes institutions de Nouvelle-Calédonie par la loi organique de 1999, source d'inefficacité des politiques publiques, de surcoûts et d'un défaut de lisibilité tant pour les citoyens que les acteurs politiques et économiques.

Concernant les transferts de compétences, comme l'ont rappelé toutes les personnes interrogées sur ce sujet, le transfert de l'État à la Nouvelle-Calédonie de la compétence du contrôle de légalité , alors même qu'il est rendu possible par l'article 27 de la loi organique de 1999, n'est pas souhaité tant les garanties nécessaires à l'exercice d'un contrôle respectueux de l'État de droit sont difficiles à mettre en oeuvre .

De la même manière, les difficultés rencontrées dans l'exercice par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de certaines compétences transférées, en particulier le droit civil et le droit commercial, semblent justifier, en particulier pour les acteurs économiques, une recentralisation de ces compétences.

Par ailleurs, la répartition actuelle des compétences entre les institutions calédoniennes est, selon certains acteurs auditionnés, source d'inefficacité et de difficultés concrètes pour les citoyens .

À titre d'exemple, les organisations syndicales ont unanimement dénoncé les difficultés à instituer une plateforme unique d'offres d'emplois publics abondée par l'ensemble des collectivités territoriales de Nouvelle-Calédonie. Les acteurs économiques réunis dans le consortium NC Eco ont particulièrement insisté sur le morcellement du droit de l'environnement en Nouvelle-Calédonie qui, relevant d'une compétence provinciale, varie d'une province à l'autre et complexifie les activités économiques.

La deuxième série de critiques porte sur les règles financières, budgétaires et comptables, et en particulier la clé de répartition, applicables en Nouvelle-Calédonie. Un consensus semble exister localement sur la nécessité de leur rénovation afin, notamment, de renforcer l'efficacité des dépenses publiques et de redresser la situation financière et budgétaire de la Nouvelle-Calédonie.

En outre, les deux associations des maires présentes en Nouvelle-Calédonie ont convergé dans leur souhait de doter les communes de Nouvelle-Calédonie d'une autonomie financière et d'outils d'intercommunalité similaires à ceux dont peuvent bénéficier les communes de l'hexagone.

2. La fin du processus est marquée par la distension des fils du dialogue entre les parties

Si le cadre posé en juin 2021 par le Gouvernement quant aux futures négociations sur l'avenir institutionnel semblait initialement facteur de consensus , les auditions menées par les rapporteurs ont montré l'érosion de l'adhésion des partis indépendantistes au cadre proposé par le Gouvernement pour les futures négociations et la distension des fils du dialogue entre les parties .

En effet, dès avant la tenue de la troisième consultation à l'autodétermination et soucieux de « la clarté sur "le jour d'après" » 31 ( * ) , le Gouvernement, par la voix du ministre des outre-mer, alors Sébastien Lecornu, le 2 juin 2021, a fixé le cadre qu'il envisageait pour négocier l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Les déclarations du Gouvernement relatives aux négociations
sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie du 2 juin 2021

Le Gouvernement a, par une déclaration de l'ancien ministre des outre-mer Sébastien Lecornu, le 2 juin 2021 32 ( * ) , posé le cadre des futures négociations sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, détaillant les principes directeurs des négociations, leur contenu, leur format et leur calendrier.

Sur les principes devant guider la suite des négociations, le Gouvernement avait alors déclaré :

« Si la discussion sur l'avenir institutionnel doit nécessairement commencer avant la troisième consultation, elle ne pourra trouver sa validation définitive qu'après.

« En effet, la discussion politique devra se poursuivre pour acter les nouvelles institutions de la Nouvelle-Calédonie, que celles-ci s'inscrivent dans l'indépendance (en cas de “oui”) ou dans la République française (en cas de “non”).

« Cela ouvre donc une nouvelle période de discussion, d'une durée limitée, qui sera consacrée à la préparation d'un projet et devra aboutir à sa validation, par consultation.

« (...) Au terme de cette période de discussion, une consultation devra intervenir pour approuver les futures institutions de la Nouvelle-Calédonie : il s'agira, alors, d'un référendum de projet ».

Le contenu des futures négociations devait inclure « les sujets vitaux pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie :

« - La réalisation de l'audit sur la décolonisation prévue par le comité des signataires du 2 novembre 2017, selon des modalités qui devront être remises à jour ;

« - La résorption des inégalités, au service de la cohésion de la population, en comprenant une réflexion sur l'évolution de la fiscalité ;

« - Le système éducatif, creuset des générations futures et vivier des savoirs dont la Nouvelle-Calédonie a besoin ;

« - La nécessaire diversification de l'économie calédonienne ;

« - La poursuite du rééquilibrage, selon des modalités qui devront évoluer pour atteindre mieux ses objectifs ;

« - La poursuite de la construction d'une identité calédonienne partagée, irriguée de la culture des Kanak, peuple premier, et de l'apport des populations arrivées par la suite ;

« - La place de la Nouvelle-Calédonie dans son environnement régional et, le cas échéant, dans la stratégie indopacifique portée par la France ;

« - La définition d'un chemin coutumier pour oeuvrer à la réconciliation des mémoires ».

Quant au format , le Gouvernement proposait « pour conduire ces échanges, (...) un cadre ad hoc de discussion avec les forces politiques calédoniennes ».

Concernant le calendrier , il était proposé :

- tout d'abord, « la mise en oeuvre de la période de discussion et de stabilité à partir du 13 décembre 2021 » ;

- puis « l'organisation, avant le 30 juin 2023, du référendum de projet pour l'approbation des nouvelles institutions calédoniennes ».

Néanmoins, ledit cadre souffre aujourd'hui de l'érosion de l'adhésion des partis indépendantistes, et ce pour deux principales raisons.

Premièrement, le refus du report de la date de la troisième consultation exposé ci-dessus a été un facteur important de défiance des partis indépendantistes vis-à-vis de l'État et de sa neutralité dans le processus .

Les partis indépendantistes l'ont tous affirmé en des termes identiques au cours de leurs auditions, ce choix relève selon eux d'un « passage en force » et « d'un parti pris de l'État pour les loyalistes » .

Cette position a par la suite été réaffirmée publiquement par les partis indépendantistes, notamment par l'Union Calédonienne qui, dans un communiqué de presse, a indiqué que « le Président Macron ayant décidé de sortir l'État de sa neutralité et d'épouser le point de vue de nos adversaires opposés à l'indépendance, il est clair que l'État français se place comme porte-parole des non-indépendantistes et réinvestit son statut d'État colonisateur » 33 ( * ) .

Deuxièmement, depuis la proclamation des résultats, la phase de discussion annoncée n'a pas été initiée et n'a cessé d'être repoussée par l'État : la reprise du dialogue a été repoussée une première fois en raison des élections présidentielle et législatives d'avril et juin 2022 puis semble de nouveau repoussée à une date ultérieure par le Gouvernement.

En effet, au lendemain des élections législatives, le 20 juin 2022, le déplacement de l'ancienne ministre des outre-mer Yaël Braun-Pivet prévu pour le 24 juin a été annulé , la ministre s'étant portée candidate à la présidence de l'Assemblée nationale.

Par la suite, le 16 juillet, le déplacement annoncé pour le 26 juillet 2022 des ministres de l'intérieur et des outre-mer et délégué aux outre-mer, Gérald Darmanin et Jean-François Carenco, a été annulé . Le Gouvernement a finalement fait le choix de réunir le comité des signataires en septembre prochain à Paris avant d'envisager tout déplacement ministériel en Nouvelle-Calédonie 34 ( * ) .

Cette décision ne semble pas avoir été concertée avec les parties calédoniennes. Elle ne répond d'ailleurs pas à l'attente exprimée par le FLNKS d'un dialogue bilatéral avec l'Etat préalablement à l'engagement de discussions tripartites entre l'Etat et les parties calédoniennes.

Le comité des signataires de l'accord de Nouméa

Prévu au point 6.5 de l'accord, le comité des signataires réunit, comme son nom l'indique, les signataires de l'accord. Il poursuit une triple mission :

« - prendre en compte les avis qui seront formulés par les organismes locaux consultés sur l'accord ;

« - participer à la préparation des textes nécessaires pour la mise en oeuvre de l'accord ;

« - veiller au suivi de l'application de l'accord ».

Réuni sur convocation du Gouvernement et à sa discrétion, le comité des signataires a été réuni dix-neuf fois depuis le 2 mai 2000. Sa dernière réunion date du 10 octobre 2019. À l'issue de chacune de ses réunions, un relevé de conclusions est rendu public.

Sa composition est évolutive : il réunit deux délégations composée des signataires historiques (présents en tout ou partie) mais également les parlementaires et représentants des institutions de Nouvelle-Calédonie. Sont parfois également conviés les représentants des forces politiques représentées par un groupe au congrès de la Nouvelle-Calédonie et les représentants d'associations de maires.

Ainsi, ces récentes annonces n'ont pas permis la reprise espérée du dialogue entre les parties , le FLNKS ayant affirmé son refus de participer à ladite réunion à Paris, estimant que la reprise du dialogue devait avoir lieu, comme l'exprimait Daniel Goa, président de l'UC, « ici chez nous » - en Nouvelle-Calédonie 35 ( * ) . L'Union progressiste en Mélanésie a déclaré que « les conditions dans lesquelles se présentent les reprises de discussions sur l'avenir du pays ne conviennent pas », réaction partagée par le Palika dénonçant « un coup de force de l'État » 36 ( * ) . Position réaffirmée au cours du dernier congrès exceptionnel du FLNKS, le 24 juillet 37 ( * ) .

Dans ce contexte empreint de divergences sur la reprise du dialogue entre les parties, la nomination de Sonia Backès , le 5 juillet 2022, au sein du Gouvernement et plus particulièrement comme secrétaire d'État rattachée au ministre de l'intérieur et des outre-mer, ainsi que ses récentes déclarations relatives à sa participation au sein de la délégation non-indépendantiste aux prochaines négociations, suscite des réactions tant du côté des indépendantistes que de certains non-indépendantistes 38 ( * ) .

Ainsi, Daniel Goa, président de l'Union Calédonienne, s'interroge sur « le flou dans le message », tandis que Jean-Pierre Djaïwé, porte-parole du Palika, qualifie cette nomination d'« acte politique qui confirme bien la volonté du président de la République de maintenir la Nouvelle-Calédonie dans la France », remettant en cause « l'impartialité de l'État » 39 ( * ) . Enfin, pour Virginie Ruffenach, vice-présidente du Rassemblement-Les Républicains, « il faut clarifier la situation car la base des discussions n'est pas saine » 40 ( * ) .

Si la ministre s'est défendue en indiquant « comprendre très bien que ça puisse poser question » et en rappelant que son « portefeuille (...) n'a strictement rien à voir avec la Nouvelle-Calédonie », les rapporteurs souhaitent rappeler que l'impartialité de l'État dans ce dossier est l'une des garanties fondamentales et qu'en la matière, la théorie des apparences trouve à s'appliquer . Il appartiendra dès lors à chacun, dans l'exercice des différentes fonctions, de maintenir, par des actes concrets, la confiance des parties comme de la population dans les négociations.

Force est donc de constater qu'à l'issue d'un processus trentenaire de dialogue, les fils du dialogue sont, aujourd'hui, sinon rompus, à tout le moins distendus entre les trois parties prenantes aux accords de Matignon puis Nouméa : l'État, les indépendantistes et les non-indépendantistes.

Tout doit être mis en oeuvre pour prévenir un retour à la violence politique qu'heureusement aucun protagoniste n'envisage. Il est donc essentiel de ne pas laisser croire que le dialogue politique est dans une aporie. Dès lors, la seule méthode dont dispose l'ensemble des acteurs calédoniens pour cheminer rapidement vers une évolution institutionnelle consiste à renouer un dialogue qui semble s'être éloigné. Le retard de plus d'un an déjà pris pour l'engagement des discussions envisagées par le Gouvernement en juin 2021 et la cristallisation des antagonismes entre forces politiques calédoniennes consécutive à la consultation du 13 décembre 2021 réduisent les chances d'aboutir à un accord en temps utile pour permettre la nouvelle consultation annoncée pour juin 2023 au plus tard, ce qui risque de rendre également très difficile l'organisation des élections provinciales de 2024, élections dont le corps électoral est l'un des enjeux du dialogue à venir. L'urgence d'un accord est également économique car les incertitudes actuelles sur l'avenir de la Nouvelle Calédonie fragilisent l'investissement, l'activité et l'emploi.

II. L'IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ DE RENOUER LES FILS DU DIALOGUE PAR UNE MÉTHODE DE NÉGOCIATION ACCEPTÉE DE TOUS

Si les fils du dialogue entre les parties sont aujourd'hui distendus et que des désaccords persistent quant à la façon d'y remédier, un consensus semble se dégager quant à la nécessité d'une reprise des discussions .

Comme le rappelait le président du Sénat Gérard Larcher à l'occasion de l'inauguration de la statue représentant la poignée de main historique entre Jean Marie Tjibaou et Jacques Lafleur sur la place de la Paix à Nouméa en juin dernier : « Cette poignée de main symbolisant la reconnaissance réciproque de deux légitimités nous contraint à consacrer toute notre énergie à poursuivre et approfondir le dialogue qui seul permettra de définir le chemin du futur ».

Les conditions du dialogue entre les parties doivent maintenant être rétablies, sans nouveau retard. Aucune réponse consensuelle et durable ne pourra être imaginée pour construire l'avenir calédonien sans la mise en oeuvre, par des actions concrètes et régulières, d'une méthode de négociation adaptée aux enjeux.

Dès lors, les rapporteurs proposent de s'appuyer sur les attentes partagées des parties pour ouvrir des négociations franches et constructives sur les sujets de désaccord et, à cette fin, de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour négocier sereinement l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie .

A. UN CONSTAT PARTAGÉ : LE DIALOGUE EST LE SEUL CHEMIN VIABLE

Les acteurs calédoniens rencontrés par les rapporteurs , qu'ils soient indépendantistes ou non-indépendantistes, personnels politiques ou représentants des acteurs économiques, sociaux, culturels, coutumiers, environnementaux, religieux ou de la jeunesse, ont tous reconnu l'impérieuse nécessité de renouer les fils du dialogue afin de construire une solution pérenne et apaisée pour l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie .

Cette nécessité a été affirmée par la société civile calédonienne, dont les rapporteurs ont entendu de nombreux représentants. La présidente du congrès des jeunes de Nouvelle-Calédonie , Lou Pidjot, l'a rappelé avec force et conviction au cours de son audition : « Nous avons un avenir : la paix ». Le congrès des jeunes a également insisté, dans une lettre ouverte adressée aux sénateurs, sur l'importance de « développer l'échange et l'information » pour « construire notre avenir ensemble sur le long terme » 41 ( * ) .

Par ailleurs, tout en rappelant l'inquiétude de ses membres quant à l'émergence de tensions et de situations violentes en cas d'échec des négociations, le comité des sages de Nouvelle-Calédonie a indiqué, par la voix de son président, Jean-Pierre Flotat, que « seule la voix du dialogue est viable et souhaitable ».

La nécessité de la reprise des discussions a également été affirmée par l'ensemble des formations politiques calédoniennes, qui ont publiquement émis le souhait d'un redémarrage du dialogue , malgré des divergences sur la forme que celui-ci devrait prendre.

D'une part, les mouvements indépendantistes rassemblés au sein du FLNKS ont exprimé, à la suite de leur dernier congrès puis aux rapporteurs lors des différents entretiens conduits , leur souhait de dialoguer sur l'avenir institutionnel d'abord par le moyen de « réunions bilatérales avec l'État » 42 ( * ) . Le Palika a fait de telles réunions bilatérales un préalable à la reprise du dialogue, estimant publiquement que serait envisageable, dans un second temps, « une discussion avec les autres [partis non-indépendantistes] parce qu'on comprend bien que si on parle de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, c'est avec les autres que l'on veut construire le pays » 43 ( * ) .

Par ailleurs, l'assemblée de la province des Iles Loyauté a émis, le 6 juillet 2022, le voeu que « l'ouverture du dialogue entre les parties prenantes pour préparer le processus de sortie de l'Accord de Nouméa et la poursuite du processus de décolonisation soient enclenchés immédiatement » 44 ( * ) . Plus précisément, si ce voeu rappelle que « la tenue du troisième référendum le 12 décembre 2021 sans le peuple kanak, peuple colonisé, restera à jamais une trahison au processus de décolonisation », il précise également que « les exigences de réunions bilatérales ne doivent pas compromettre aujourd'hui toutes discussions entre les partenaires locaux sur tous sujets qui nous intéressent et qui visent l'intérêt de la collectivité . ». Le président de la province Jacques Lalié a par la suite précisé que « ce voeu ne remettait pas en cause la stratégie du FLNKS » 45 ( * ) .

D'autre part, les partis non-indépendantistes ont approuvé les récentes annonces gouvernementales relatives à la convocation du comité des signataires en septembre prochain à Paris et appelé à la reprise du dialogue entre les parties .

En effet, la confédération Ensemble !, que préside Sonia Backès, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, a « salué le fait que le ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, engage cette démarche de dialogue avec les différents partenaires afin d'écrire une nouvelle page de l'histoire de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République française » 46 ( * ) .

Parallèlement à l'annonce de la réunion du comité des signataires, le Rassemblement-Les Républicains a, par la voix de Thierry Santa, estimé qu'« il [fallait] toujours une période préalable où des rencontres avec toutes les parties prenantes se tiennent pour que les choses se préparent au mieux ».

Par ailleurs, le groupe l'Avenir en Confiance (AEC) du congrès de Nouvelle-Calédonie, présidé par Virginie Ruffenach, a émis, le 13 juillet 2022, le voeu « de l'ouverture du dialogue entre les partenaires locaux pour préparer le processus de la fin de l'Accord de Nouméa » 47 ( * ) .

Au surplus, les deux associations représentant les maires de Nouvelle-Calédonie ont appelé à ce que le dialogue que les maires de toutes tendances politiques entretiennent au quotidien dans leurs communes inspire le processus de négociations à l'échelle du territoire .

Ainsi, Sonia Lagarde, présidente de l'association française des maires de Nouvelle-Calédonie, a estimé que « le dialogue entre tous existe puisque les citoyens sollicitent le maire qu'il soit du même bord politique ou pas pour résoudre leurs problèmes ». De la même manière, Robert Xowie, président de l'association des maires de Nouvelle-Calédonie, considère que « le vivre-ensemble et le dialogue sont déjà des réalités dans nos communes ».

Aussi les rapporteurs constatent-ils, pour s'en réjouir, que la reprise du dialogue, seul chemin viable pour construire un avenir commun, apparaît bien comme un objectif partagé, au-delà des divergences que peuvent entretenir certains acteurs. Ce consensus, qui ne s'étend pas aux formes que devrait prendre ce dialogue, doit toutefois être consolidé en s'appuyant sur les attentes partagées des parties afin d'ouvrir des négociations franches et constructives sur les sujets de désaccord.

B. S'APPUYER SUR LES ATTENTES PARTAGÉES DES PARTIES POUR OUVRIR DES NÉGOCIATIONS FRANCHES ET CONSTRUCTIVES SUR LES SUJETS DE DÉSACCORD

Fort heureusement, le processus de négociations qui doit s'engager afin d'écrire l'après-Nouméa ne semble pas devoir s'ouvrir pas dans les conditions dramatiques qui ont présidé à la signature des accords de Matignon puis de Nouméa . Ce contexte différent a, selon les rapporteurs, deux conséquences majeures sur le prochain cycle de négociations.

D'une part, les attentes partagées par les acteurs locaux quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie dépassent la seule volonté de garantir la paix civile sur le territoire. Plus nombreuses qu'à l'initiation du processus lancé par les accords de Matignon et Nouméa, ces attentes partagées doivent, selon les rapporteurs, être rappelées et constituer le socle de négociations constructives et pacifiées.

D'autre part, si ces négociations s'inscrivent nécessairement dans la suite du processus des accords de Matignon et de Nouméa qui les aura précédées, le processus qui s'engage doit dépasser celui qui s'achève aujourd'hui : « l'après-Nouméa » ne saurait constituer une simple actualisation de « Nouméa ». Dès lors, l'ensemble des parties doivent accepter que ce nouveau cycle de négociations puisse se fonder sur des équilibres et paramètres propres qui pourront différer des compromis passés. Aux yeux des rapporteurs, ceci n'apparait réalisable qu'à la condition qu' aucun sujet ne soit exclu par principe de l'agenda des négociations .

1. Les attentes partagées des parties quant à l'avenir institutionnel peuvent servir de socle à l'ouverture de négociations constructives et pacifiées

Ces négociations s'ouvrent non pas dans un contexte dramatique mais au contraire à la fin d'un cycle de trente-quatre ans de paix civile et de vivre-ensemble entre les populations sur le territoire calédonien.

La préservation de la paix sur le territoire demeure l'objectif premier, partagé par tous et justifiant à lui seul la reprise du dialogue. Comme l'a rappelé le sénateur de la Nouvelle-Calédonie Pierre Frogier le 2 décembre 2021 lors d'un discours devant la stèle d'Yves Tual à Boulouparis, « nous n'avons pas signé les accords de Matignon et de Nouméa pour prendre le risque de recréer les conditions de l'affrontement » 48 ( * ) . Constat appuyé par Gérard Poadja, sénateur de la Nouvelle-Calédonie, qui lors de son audition observait que : « nous devons être à la hauteur des accords passés qui ont su ramener la paix ». Lors de l'inauguration de la statue représentant la poignée de main entre Jean Marie-Tjibaou et Jacques Lafleur sur la place de la paix à Nouméa, Sonia Backès a également rappelé que « Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou ont offert aux Calédoniens le plus précieux des présents : la paix ».

De même, lors de leurs auditions, les partis UC-FLNKS et UNI ont insisté sur le fait que « ces accords ont permis la paix » et sur le fait que Jean Marie Tjibaou et Jacques Lafeur ont, à l'époque, « choisi la paix ».

Éminemment nécessaire, l'horizon commun de la préservation de la paix civile sur le territoire n'est plus néanmoins le seul dénominateur commun entre les parties à la négociation . Les entretiens et auditions conduits par les rapporteurs en Nouvelle-Calédonie comme à Paris ont permis de constater de nombreuses attentes supplémentaires partagées par les acteurs locaux parties aux négociations sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Selon les rapporteurs, alors que s'ouvre un nouveau cycle politique, indépendantistes et non-indépendantistes semblent partager au moins cinq autres points de convergence quant à leur vision de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie .

Premièrement, tous s'accordent dans leur volonté de voir réaffirmés les spécificités et les atouts de la Nouvelle-Calédonie . Pour reprendre les mots de Jean-François Merle, conseiller d'État honoraire, lors de son audition par les rapporteurs, « si l'on veut faire entrer la Nouvelle-Calédonie dans les cases existantes, on ne s'en sortira pas » 49 ( * ) .

En effet, du côté indépendantiste, ainsi que l'a souligné Paul Néaoutyine, président de la province Nord, « nous sommes un pays avec nos spécificités qui doivent être reconnues ». Quant aux non-indépendantistes, lors de l'audition de la confédération Ensemble !, Philippe Michel, président du groupe Calédonie Ensemble au Congrès, a notamment insisté sur le besoin de négocier « d'un cadre juridique particulier et adapté à la Nouvelle-Calédonie ».

Par ailleurs, les atouts dont dispose la Nouvelle-Calédonie pour construire son avenir ont été unanimement mis en avant par les acteurs politiques auditionnés, quoique pour des raisons différentes: d'un côté, les indépendantistes pour illustrer les bénéfices économiques que la Nouvelle-Calédonie pourrait tirer de l'indépendance ; de l'autre, les non-indépendantistes pour rappeler les atouts que la Nouvelle-Calédonie peut, en restant dans la République française, apporter à la France.

Deuxièmement, les auditions ont permis de témoigner de la volonté commune de consolider le vivre-ensemble entre les communautés de Nouvelle-Calédonie. Sur ce point, les maires de Nouvelle-Calédonie ainsi que leurs représentants, auditionnés par les rapporteurs, ont été les plus fervents défenseurs de cette volonté de consolidation du vivre-ensemble sur le territoire calédonien, indépendamment de leur positionnement politique. Georges Naturel, maire de Dumbéa, a ainsi rappelé que « nous, maires, loyalistes ou indépendantistes, nous accompagnons déjà le vivre-ensemble au quotidien et nous essayons de le consolider par des actions concrètes comme le sport ou les manifestations culturelles ».

Ce constat est partagé par le comité des Sages, selon lequel  « toutes les associations et les personnes entendues souhaitent le vivre ensemble et le destin commun qu'une majorité de la population vit déjà au quotidien ».

Troisièmement, les acteurs politiques s'accordent dans leur souhait de voir perdurer la garantie de la reconnaissance de chacun dans sa culture et ses spécificités .

Si cette attente est particulièrement prégnante pour les leaders indépendantistes dont le combat politique vise à décoloniser le peuple premier kanak, les non-indépendantistes ont fait leurs les attentes d'une reconnaissance des spécificités et de la culture de chacun, notamment celles des descendants des anciens bagnards de Nouvelle-Calédonie.

Ainsi, Sonia Backès, présidente de la province Sud, l'a rappelé lors de son audition, en affirmant « nous sommes français et calédoniens, nous avons nos différences et identités ». Le voeu émis par l'assemblée de la province des Iles Loyauté le 6 juillet 2022 a quant à lui réaffirmé : « la nécessité urgente de respecter et de promouvoir les droits intrinsèques des peuples autochtones, qui découlent de leurs structures politiques, économiques et sociales et de leur culture, de leurs traditions spirituelles, de leur histoire et de leur philosophie, en particulier leurs droits à leurs terres, territoires et ressources ».

Quatrièmement, les auditions menées par les rapporteurs ont témoigné de la revendication constante et unanime du maintien de liens futurs forts entre l'État et la Nouvelle-Calédonie. En effet :

- pour les indépendantistes, ainsi que l'a indiqué Paul Néaoutyine, président de la province Nord, « nous continuerons à avoir des liens privilégiés avec la France une fois l'accession à la pleine souveraineté réalisée » ;

- pour les anti-indépendantistes, les récentes annonces du Gouvernement ont été saluées en ce qu'elles « [témoignent] que les discussions s'engageront sur un avenir de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République française » comme l'a indiqué Christopher Gygès, porte-parole de la confédération Ensemble ! 50 ( * ) .

Cinquièmement, s'ils ne s'accordent pas nécessairement quant aux thèmes devant être inscrits à l'ordre du jour des négociations, les acteurs politiques auditionnés sont, dans leur ensemble, en attente d'un cycle de négociations qui apporte, au-delà du seul champ institutionnel, des réponses aux multiples défis de court et moyen termes auxquels doit faire face le territoire et sa population .

À titre d'exemple, la confédération Ensemble ! souhaite que soient inscrits à l'ordre du jour des négociations les thématiques suivantes : « le renforcement des moyens de lutte contre l'insécurité et la préservation du pouvoir d'achat des Calédoniens dans un contexte mondial d'hyperinflation » 51 ( * ) , tandis que le voeu de l'assemblée de la province des îles Loyauté précité appelle à négocier « sur tous sujets qui nous intéressent et qui visent l'intérêt de la collectivité » 52 ( * ) .

Cette vision semble partagée par l'État lui-même. Comme rappelé précédemment, le projet du Gouvernement quant aux négociations devant s'ouvrir le « jour d'après » la troisième consultation avait ainsi dressé une première liste de thématiques devant faire l'objet de négociations en dehors des discussions institutionnelles stricto sensu 53 ( * ) .

Au surplus, ces diverses attentes trouvent une résonance forte parmi la population calédonienne.

2. Sans remettre en cause l'héritage des accords de Matignon et de Nouméa, le nouveau cycle de négociations ne saurait exclure par principe des sujets de discussion

Selon les rapporteurs, l' « après-Nouméa » doit se construire sur un nouveau cycle de négociations qui, s'il ne peut ignorer l'héritage des accords de Matignon et de Nouméa, ne saurait être la simple actualisation de ceux-ci - ce d'autant plus que ce processus trentenaire n'a pas apporté toutes les réponses espérées aux questions institutionnelles et politiques calédoniennes.

Une telle position implique de la part des parties négociatrices le respect d'une règle commune, condition sine qua non d'un dialogue renouvelé : n'exclure par principe aucun sujet de l'agenda des négociations , au risque d'empêcher les discussions d'avancer vers une solution d'avenir pacifique et consensuelle.

En effet, si les parties souhaitent s'engager dans une négociation franche et ouverte, elles ne sauraient se prévaloir de consensus passés pour refuser de réexaminer aujourd'hui certains sujets . Si une tabula rasa n'est ni possible, ni souhaitable, les discussions quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie doivent s'extraire des face-à-face du passé et s'inscrire résolument dans l'avenir pour consolider le « destin commun » auquel aspirent les populations calédoniennes. Sauf à ce qu'ils emportent un consensus encore valable et durable, les compromis passés ne préjugent pas des compromis futurs, qu'il appartient précisément à un dialogue politique renouvelé de dégager.

À titre d'exemple, bien qu'exercé, juridiquement, à trois reprises en Nouvelle-Calédonie, le droit à l'autodétermination des Calédoniens, inscrit et protégé en droit international, demeure. De façon analogue, les modalités et le contenu des restrictions apportées au corps électoral pour les élections aux institutions calédoniennes restent aujourd'hui un sujet ouvert aux débats.

Comme l'a souligné le comité des Sages, le nouveau cycle de négociations qui s'engage doit « ouvrir la porte à tous les possibles » , faute de quoi de nouveaux équilibres pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie ne pourront être trouvés. Les rapporteurs appellent ainsi les parties à faire preuve du même esprit de responsabilité et d'ouverture que celui ayant présidé à la négociation des accords de Matignon puis de Nouméa .

C. RÉUNIR SANS NOUVEAU RETARD LES MOYENS DE NÉGOCIER SEREINEMENT L'AVENIR INSTITUTIONNEL DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE

Les rapporteurs ont pu, au cours de leurs travaux en Nouvelle-Calédonie comme à Paris, mesurer l'impérieuse nécessité de construire une méthode de négociation acceptée de tous, condition préalable indispensable pour renouer les fils du dialogue entre les parties.

Comme l'a rappelé le comité des Sages, par le passé, « la méthode Rocard a été acceptée par tous les dirigeants politiques » et a ainsi permis la conclusion des accords de Matignon puis de Nouméa. De la même manière, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou, a affirmé le 8 juillet 2022, qu'« on s'aperçoit bien que le pays a besoin de clarté dans ce qui va se passer depuis le dernier référendum » 54 ( * ) .

Force est de constater qu'aujourd'hui, les initiatives du Gouvernement pour relancer les négociations sur ce sujet ne font plus consensus et n'ont pas permis la reprise espérée du dialogue (voir supra ). Nourris des échanges conduits avec les parties prenantes de l'avenir calédonien, les rapporteurs proposent donc des points de méthode pour donner aux négociations appelées de leurs voeux par toutes les personnes rencontrées un caractère serein et fructueux pour définir l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

1. Rétablir un lien de confiance entre les parties prenantes en réaffirmant l'impartialité et le rôle moteur de l'État

Les rapporteurs font le constat que la réaffirmation de l'impartialité de l'État conjuguée à la consolidation de son rôle de proposition sur le dossier calédonien est une condition nécessaire à la reprise du dialogue entre l'ensemble des parties . Comme l'observait Jean-François Merle, « ce processus repose depuis toujours sur un trialogue entre les indépendantistes, les non-indépendantistes et l'État, dans un rôle à la fois d'arbitre et d'acteur » 55 ( * ) .

Or, les auditions menées par les rapporteurs ont permis de constater que certains acteurs considèrent que l'État ne remplit plus ce rôle aujourd'hui .

Comme évoqué précédemment, les partis indépendantistes sollicitent l'organisation de réunions bilatérales avec l'État, estimant que l'État serait sorti de sa neutralité en maintenant la date de la troisième consultation sur l'autodétermination et aurait, de ce fait, pris implicitement parti pour les mouvements non-indépendantistes.

Toutefois, les auditions ont parallèlement permis de mesurer les fortes attentes des acteurs de toute nature vis-à-vis de l'État quant à la poursuite des négociations. Par exemple, le comité des Sages a estimé que « l'État doit jouer son rôle de troisième partenaire des accords ».

De la même manière, les acteurs politiques, non-indépendantistes comme indépendantistes, ont nourri des attentes quant au rôle de l'État. Ainsi alors que Nicolas Metzdorf se félicitait que « l'État [n'ait] pas tremblé » 56 ( * ) en maintenant la date de la troisième consultation, Daniel Goa estimait que « la puissance administrante (...) détient seule le pouvoir de décider sur la suite de l'Accord de Nouméa » 57 ( * ) .

Les rapporteurs observent que ces attentes ne sont pas nouvelles et s'appuient sur le fait que, par le passé, l'État a su trouver un équilibre entre impartialité et volontarisme qui lui a permis tant d'entretenir un dialogue bilatéral avec chacune des parties que d'offrir à celles-ci un cadre de négociation trilatéral. Ces constats appellent de la part des rapporteurs des propositions de deux ordres quant au rôle que devrait endosser l'État dans les prochaines négociations.

En premier lieu, la réaffirmation, par des actes concrets, de l'impartialité de l'État dans ce processus apparaît comme un préalable à toute négociation.

Cette impartialité doit permettre aux acteurs locaux non seulement d'avoir confiance en la pleine volonté de l'État de respecter l'esprit et la lettre d'un prochain accord, mais également d e s'appuyer sans inquiétude sur ses capacités d'ingénierie . En effet, les moyens techniques et humains dont seul l'État dispose doivent, comme par le passé, être mis en toute objectivité au service des négociations politiques, pour deux raisons principales.

D'une part, il ressort des auditions qu'un bilan objectif, qualitatif comme quantitatif, établi à l'aide des services de l'État et en collaboration avec l'ensemble des parties, est indispensable pour construire une base saine de négociations et réfléchir à un système institutionnel, politique, financier et budgétaire robuste tirant les enseignements des réussites et des échecs du précédent.

D'autre part, les négociations devront aboutir à une traduction juridique, que seul l'État apparait en capacité de proposer et que lui seul aura la charge de défendre devant le Parlement , dans le cas où une révision constitutionnelle ou une modification législative serait nécessaire.

En second lieu, les rapporteurs estiment que le bon déroulement de ces négociations repose indispensablement sur une action volontariste de l'État qui ne saurait se résumer à son impartialité au cours du processus de négociation.

De l'avis unanime des personnes auditionnées, le besoin d'une implication constante et à haut niveau de l'État sur ce dossier est primordial. Partageant ce constat, les rapporteurs estiment que tout en permettant aux Calédoniens de s'accorder sur leur avenir, l'État ne saurait se résigner à la position attentiste de n'être que le simple greffier d'accords politiques préexistants localement puisqu'à l'heure actuelle, les conditions ne sont pas réunies pour que de tels accords puissent se nouer. L'État doit donc prendre toute sa part à la création des conditions indispensables à l'émergence, par le dialogue et la reconnaissance mutuelle, d'une solution politique équilibrée, consensuelle et durable quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

C'est pourquoi les rapporteurs proposent de réaffirmer la nécessaire impartialité de l'État, par des actions concrètes et répétées, tout en consolidant son rôle de proposition dans les négociations , s'inspirant ainsi de « la vieille sagesse de l'État » 58 ( * ) qui a permis aux accords de Matignon et de Nouméa de se nouer.

Proposition n° 1 : Garantir l'impartialité de l'État et consolider son rôle de proposition sur le dossier calédonien.

2. Dépasser le strict débat institutionnel en élargissant le champ des discussions

Au cours des auditions menées par les rapporteurs, les acteurs calédoniens de toute nature et indépendamment des orientations politiques, ont rappelé l'importance des défis auxquels devra répondre la Nouvelle-Calédonie à court, moyen et long terme .

À titre d'exemple, les diverses contributions de la société civile sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie recensées par le Haut-Commissariat ont permis de faire émerger des constats quasiment identiques au sein de la société civile quant aux défis qui devront être relevés à l'avenir par la Nouvelle-Calédonie.

Extraits des contributions à la consultation de la société civile
sur l'avenir institutionnel recensées par le Haut-Commissariat en 2021 59 ( * )

La consultation des « corps intermédiaires de la société civile » a permis de faire émerger dix défis qui, selon les répondants, se poseront à l'avenir en Nouvelle-Calédonie, à savoir : « le projet du “vivre ensemble”, le développement d'un modèle social calédonien basé sur la répartition des richesses et la diminution des inégalités ; le renouvellement du cadre institutionnel ; la transition énergétique et la gestion raisonnée des ressources ; la diversification de l'économie locale, l'articulation de l'ouverture internationale et de l'intégration régionale ; la valorisation de l'éducation et de la jeunesse ; l'autonomie alimentaire ; le besoin sécuritaire et la reconnaissance du peuple kanak ».

La « consultation des jeunes » a mis en lumière le « top 7 des préoccupations des étudiants calédoniens », qui sont « l'indépendance, la sécurité des biens et des personnes, la situation économique, l'environnement, le système scolaire et l'éducation, la pauvreté et le pouvoir d'achat ».

S i certains de ces défis sont éminemment liés aux questions institutionnelles, d'autres outrepassent le strict champ institutionnel . Plus précisément, en dehors du champ institutionnel, reviennent majoritairement des préoccupations relatives aux enjeux économiques, sociaux, culturels et environnementaux.

Les auditions conduites en Nouvelle-Calédonie comme à Paris ont permis de confirmer ce constat. Ainsi, y ont été unanimement cités, notamment : la relance économique, le redressement des comptes sociaux, la résorption des inégalités sociales, les défis environnementaux, les défis énergétiques et de l'exploitation du nickel, la mortalité routière, la surconsommation d'alcool et de drogues, les violences intrafamiliales, l'état de santé des populations calédoniennes et l'accès au soin sur le territoire, la délinquance chez les jeunes.

Dès lors, les rapporteurs rappellent qu'au-delà des enjeux juridiques et institutionnels dont il revient aux parties de discuter, ces négociations ne pourront s'extraire des grands défis d'avenir du territoire auxquels elles devront contribuer à apporter des réponses .

Les parties s'étaient, d'ailleurs, accordées en 2021, pour « prend[re] acte des chantiers que l'accord de Nouméa et, plus largement, le long processus engagé par l'État, n'auront pas permis de faire aboutir » et par conséquent « aborder, avec l'aide de l'État, les sujets vitaux pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie » dans le cadre des prochaines négociations 60 ( * ) .

Ainsi, bien que l'ensemble des propositions formulées à cette occasion ne fait plus aujourd'hui l'objet d'un consensus, les rapporteurs rappellent que l'élargissement des discussions au-delà des seuls sujets juridiques et institutionnels constitue un principe fondamental qu'il convient de réaffirmer au moment de l'ouverture de ce nouveau cycle de négociations . C'est bien sur la totalité des défis que la population calédonienne devra ensemble relever que doivent porter les nouvelles négociations.

Proposition n° 2 : Élargir les discussions à la diversité des défis auxquels devra répondre la Nouvelle-Calédonie (économie, société, santé, école, culture, environnement, finances, contexte régional).

3. Élargir les discussions à de nouveaux acteurs afin de renforcer l'acceptabilité sociale des équilibres issus des négociations

Si des initiatives ont été récemment prises afin d'associer la société civile et d'autres acteurs politiques aux discussions, les travaux menés par les rapporteurs ont montré l'enrichissement indéniable qu'apporterait l'amplification des initiatives visant à consulter et associer aux discussions une plus grande variété d'acteurs calédoniens .

Comme l'a fait justement valoir le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien lors de son audition, « le gouvernement précédent avait déjà eu l'intuition de la nécessité de consulter la société civile, et cela avait produit d'assez bons résultats (...) ce procédé devrait être amplifié » 61 ( * ) .

En effet, si les rapporteurs ne sauraient en aucun cas remettre en cause le modèle de négociations déployé depuis plus de trente ans - à savoir le principe de négociations de haut-niveau conduites par des délégations politiques composées d'acteurs choisis localement - , ce cycle de négociations gagnerait à associer davantage d'acteurs afin de renforcer l'acceptabilité sociale des équilibres issus des négociations .

Sans préconiser pour autant un élargissement systématique et permanent, il est proposé de mieux associer aux discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, selon des modalités différentes, d'une part, les acteurs économiques, sociaux, environnementaux, culturels, religieux ainsi que la jeunesse calédonienne , et d'autre part, les maires de Nouvelle-Calédonie .

L e souhait de la société civile d'être consultée sur son avenir institutionnel ne saurait être ignoré . Celle-ci n'a, du reste, pas attendu d'être consultée pour s'exprimer et se structurer afin d'apporter sa contribution aux discussions. Par exemple, les principaux représentants des acteurs économiques se sont rassemblés, à leur seule initiative, sous une bannière commune, NC Eco , afin de proposer un document unique exposant « la contribution des acteurs économiques de Nouvelle-Calédonie aux débats institutionnels » 62 ( * ) .

De la même manière, les divers appels à contributions lancés par l'État ont trouvé un écho favorable au sein de la société civile calédonienne dans son ensemble (acteurs associatifs, économiques, syndicaux, étudiants ou simples citoyens), permettant aux acteurs calédoniens d'exprimer leurs aspirations quant à l'avenir de leur territoire 63 ( * ) .

Par ailleurs, les travaux des rapporteurs ont montré que les acteurs économiques, religieux, coutumiers, sociaux, environnementaux et les représentants de la jeunesse calédonienne sont des relais des besoins et préoccupations concrètes des populations calédoniennes et ont des propositions pragmatiques et diversifiées quant à l'avenir du territoire à partager .

Dès lors, les initiatives visant à écouter et consulter les acteurs économiques, sociaux, environnementaux, culturels, coutumiers, religieux ainsi que la jeunesse calédonienne doivent être amplifiées et systématisées afin de nourrir le cycle de négociations sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Proposition n° 3 : Écouter et consulter les acteurs économiques, sociaux, environnementaux, culturels, coutumiers, religieux ainsi que la jeunesse calédonienne.

Au surplus, les deux associations représentants les maires de Nouvelle-Calédonie ont alerté les rapporteurs sur la nécessité d'un dialogue sur l'avenir institutionnel placé sous le signe de la recherche de solutions concrètes pour les citoyens.

Les maires de Nouvelle-Calédonie n'ont, de toute évidence, pas été suffisamment consultés lors de l'élaboration des accords de Matignon et de Nouméa , alors que leurs « retours de terrain » auraient permis d'utilement nourrir la construction institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Grâce à une telle consultation, non seulement les difficultés que rencontre le système communal calédonien auraient pu être évitées, mais surtout, des réflexions pragmatiques et concrètes émanant des élus les plus proches du terrain auraient pu être relayées.

Le président de l'association des maires de Nouvelle-Calédonie, Robert Xowie, a rappelé lors de son audition que les maires étaient « sans arrêt à la recherche permanente de solutions du quotidien pour leurs concitoyens » , et ce indépendamment de tout clivages politiques.

Cette position avait déjà été affirmée avec force par l'association des maires français de Nouvelle-Calédonie en mars 2021 : « fortes de leur enracinement territorial, [les communes de Nouvelle-Calédonie ] sont devenues et restent le lieu irremplaçable de concertation et de décision permettant, sur le terrain, de répondre à la satisfaction des besoins essentiels et spécifiques d'une population pluriethnique aspirant à construire, au quotidien, ce destin commun voulu par une grande majorité de nos concitoyens » 64 ( * ) .

Si un premier geste a été consenti par l'ancien Premier ministre Édouard Philippe, qui avait convié les représentants des associations de maires à certains comités des signataires, les maires n'ont toujours pas, à ce jour, été pleinement associés aux réflexions et discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Dès lors, les rapporteurs appellent à mieux associer aux prochaines négociations les maires de Nouvelle-Calédonie, forces de propositions pragmatiques et concrètes mais aussi vecteurs d'acceptabilité sociale des nouveaux équilibres issus des discussions en ce qu'ils représentent la cellule de base de la démocratie calédonienne : la commune.

En particulier, il apparait souhaitable que les représentants des maires de Nouvelle-Calédonie soient conviés aux réunions triparties sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie .

Par ailleurs, il pourrait être envisagé de réunir l'ensemble des maires au sein d'une assemblée des maires de Nouvelle-Calédonie afin de leur permettre d'exprimer les réalités du terrain comme des propositions relatives à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie . Cette assemblée des maires pourrait, par la suite, être régulièrement réunie afin d'être tenue informée de l'avancée des négociations .

Proposition n° 4 : S'appuyer davantage sur les maires de Nouvelle-Calédonie, forces de propositions pragmatiques et concrètes.

4. La nécessité de conduire des discussions politiques éclairées par des considérations juridiques et d'y associer pleinement le Parlement

Indépendamment de l'issue des négociations sur le fond, de nombreuses évolutions statutaires pour la Nouvelle-Calédonie ne pourront intervenir qu'après d'importantes évolutions constitutionnelles et législatives .

Le Parlement aura ainsi à connaître des équilibres juridiques trouvés et à s'assurer tant de leur bonne insertion dans notre droit que de leur adéquation avec les négociations politiques menées.

Dès lors, il apparaît indispensable que le Parlement soit associé aux négociations ainsi qu'aux réflexions sur les projets constitutionnels et législatifs qui pourraient être envisagés, et pleinement informé de l'évolution de l'ensemble de ces discussions. Le Sénat est disposé à assumer, à la place qui est la sienne, la plénitude de son rôle à cet égard. Comme l'avait déjà proposé le président du Sénat, Gérard Larcher, « le Sénat, Chambre des territoires, est prêt à accompagner ce processus » 65 ( * ) .

En effet, les travaux menés au Sénat, au sein du groupe de contact présidé par le président Gérard Larcher comme des commissions et délégations, ont permis de démontrer que, sans être l'une des parties des négociations, le Sénat, fidèle à sa vocation constitutionnelle, pouvait être une assemblée parlementaire à l'écoute de toutes les parties calédoniennes et constituer ainsi, dans la République, un cadre de confiance et de respect pour contribuer à l'invention de solutions nouvelles utiles à la recherche d'un accord.

Proposition n° 5 : Associer pleinement le Parlement aux discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Néanmoins, l'attention nécessaire aux considérations juridiques quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ne saurait intervenir qu'en fin de processus, une fois des accords trouvés.

En effet, certaines personnes entendues par les rapporteurs ont émis des interrogations quant aux fondements juridiques susceptibles d'être utilisés par le Gouvernement pour mettre en oeuvre les engagements politiques pris. À ce jour, certains d'entre eux semblent déjà dépourvus de base légale claire et solide .

À titre d'exemple, le référendum dit « de projet » annoncé par l'ancien ministre des outre-mer Sébastien Lecornu ne semble pas disposer d'un fondement juridique clair, dans le cas où il devrait prendre une autre forme qu'un référendum national. Comme l'a fait observer le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien, « la question est (...) de savoir sur quel fondement juridique ce référendum pourrait être organisé » 66 ( * ) .

La consultation du 8 novembre 1998 relative à l'approbation de l'accord de Nouméa, puis les trois consultations relatives à l'autodétermination organisées de 2018 à 2021 n'ont pu concerner les seules « populations intéressées de Nouvelle-Calédonie » qu'en raison d'un fondement constitutionnel exprès - les articles 76 et 77 de la Constitution - préalablement introduit par la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 67 ( * ) .

Les articles 76 et 77 de la constitution de 1958

L'article 76 de la Constitution dispose que : « les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française. Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 ».

Il a servi de fondement constitutionnel à la consultation sur l'accord de Nouméa du 8 novembre 1998 par un corps électoral restreint.

L'article 77 de la Constitution prévoit quant à lui qu'« après approbation de l'accord lors de la consultation prévue à l'article 76, la loi organique, prise après avis de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en oeuvre : (...) les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté ».

C'est sur ce fondement qu'ont été organisées les trois consultations relatives à l'autodétermination entre 2018 et 2021.

En effet, les décrets de convocation des électeurs à ces différentes consultations visent tous trois explicitement l'article 76 ou l'article 77 de la Constitution 68 ( * ) . L'on perçoit mal comment un nouveau référendum dit « de projet », dont la nature et l'objet différeraient sensiblement des consultations prévues à ces deux articles de la Constitution, pourrait trouver son fondement juridique dans ceux-ci.

Les rapporteurs observent également que, si des dispositions constitutionnelles permettent la consultation des populations intéressées en cas de cession, échange ou adjonction de territoire, ce référendum dit « de projet » ne semble pas entrer dans la catégorie des scrutins d'autodétermination mentionnés à l'article 53 de la Constitution .

Par ailleurs, les autres facultés prévues par la Constitution permettant, selon des modalités variées, de consulter les populations sur les évolutions institutionnelles ne paraissent pas, selon les rapporteurs, applicables à la Nouvelle-Calédonie . Ainsi, les procédures inscrites dans la Constitution permettant de ne consulter qu'une partie des électeurs du territoire national ne sont applicables qu'aux seules collectivités territoriales de droit commun ou aux collectivités d'outre-mer régies par les articles 73 et 74 de la Constitution.

Les consultations et référendums locaux sont ouverts aux collectivités territoriales hexagonales ou dans les outre-mer aux seules collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution

La Constitution prévoit plusieurs procédures de consultation d'une partie des électeurs du territoire national. Ainsi :

- le deuxième alinéa de l'article 72-1 de la Constitution ouvre la faculté à une collectivité territoriale d'interroger ses électeurs sur tout projet de délibération ou d'acte relevant de sa compétence ;

- le troisième alinéa de l'article 72-1 de la Constitution prévoit que « lorsqu'il est envisagé de créer une collectivité territoriale dotée d'un statut particulier ou de modifier son organisation, il peut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans les collectivités intéressées » ;

- le premier alinéa de l'article 72-4 de la Constitution impose avant un changement de régime juridique des collectivités d'outre-mer ou d'une partie de ces collectivités la consultation des électeurs intéressés ;

- le second alinéa de l'article 72-4 de la Constitution permet au le Président de la République « décider de consulter les électeurs d'une collectivité territoriale située outre-mer sur une question relative à son organisation, à ses compétences ou à son régime législatif » ; et

- le dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution n'autorise « la création par la loi d'une collectivité se substituant à un département et une région d'outre-mer ou l'institution d'une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités » qu'après « qu'ait été recueilli (...) le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités ».

Or, la Nouvelle-Calédonie n'est pas une collectivité territoriale au sens de l'article 72 de la Constitution, qui énumère limitativement les collectivités appartenant à cette catégorie - à savoir « les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 ».

La Nouvelle-Calédonie n'est pas plus une collectivité d'outre-mer régies par l'article 73 ou 74 de la Constitution , comme le dispose explicitement l'article 72-3 de la Constitution : « La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis par l'article 73 pour les départements et les régions d'outre-mer et pour les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l'article 73, et par l'article 74 pour les autres collectivités. Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre XIII. ».

Enfin, si les Mahorais ont pu être seuls consultés en 2000 sur leur adhésion à des institutions nouvelles pour leur territoire , le juge constitutionnel ayant admis que « les autorités compétentes de la République sont, dans le cadre de la Constitution, habilitées à consulter les populations d'outre-mer intéressées, non seulement sur leur volonté de se maintenir au sein de la République française ou d'accéder à l'indépendance, mais également sur l'évolution statutaire de leur collectivité territoriale à l'intérieur de la République », 69 ( * ) le fondement jurisprudentiel alors utilisé semble aujourd'hui incertain .

En effet, le Conseil constitutionnel avait alors précisé « que toutefois, dans cette dernière éventualité, lesdites autorités ne sauraient être liées, en vertu de l'article 72 de la Constitution, par le résultat de cette consultation ». Or, datée de 2000, cette décision a été rendue avant que la révision constitutionnelle de 2003 ne définisse un cadre constitutionnel, inapplicable à la Nouvelle-Calédonie, régissant les consultations locales devant pouvant être organisées dans les collectivités territoriales de droit commun ou d'outre-mer .

Ainsi, comme l'a précisé Alain Christnacht, conseiller d'État honoraire, lors de son audition par les rapporteurs : « si l'on a proposé la date de 2023 pour le référendum de projet, c'est parce que le renouvellement du Congrès aura lieu en 2024. Il faudra décider au préalable la composition du corps électoral : on revient donc une nouvelle fois à la question constitutionnelle » 70 ( * ) , question qui doit, selon les rapporteurs, rapidement trouver une réponse juridique robuste et claire afin que les négociations n'achoppent pas des incertitudes juridiques qui pourraient être dissipées .

C'est pourquoi, sans préjuger du résultat des négociations quant aux éventuelles restrictions du corps électoral appelé à se prononcer sur le « projet » de statut annoncé par le Gouvernement, les rapporteurs souhaitent alerter les parties quant aux délais enserrant toute procédure de révision constitutionnelle, s'il apparaissait nécessaire d'introduire une disposition constitutionnelle spécifique pour l'organisation de cette consultation .

Plus précisément, si le calendrier annoncé par le Gouvernement prévoyant l'organisation d'une consultation avant le 30 juin 2023 devait être maintenu, un tel projet de révision devrait être rapidement présenté aux parties et déposé au Parlement.

La procédure de révision prévue à l'article 89 de la Constitution

Définie à l'article 89 de la Constitution, la procédure de révision de constitutionnelle est particulièrement encadrée.

L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et au Parlement.

Toutefois, dans ce domaine, les deux assemblées parlementaires disposent des mêmes pouvoirs. Par conséquent, le projet ou la proposition de loi constitutionnelle doit être voté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat avant son adoption définitive, l'article 89 de la Constitution disposant que « le projet ou la proposition de révision doit être (...) voté par les deux assemblées en termes identiques. »

Par renvoi à l'article 42, l'article 89 de la Constitution rend applicable le délai de droit commun, introduit par la révision constitutionnelle de juillet 2008, de six semaines entre le dépôt d'un projet ou d'une proposition de loi et sa discussion en séance publique. Est également applicable le délai de quatre semaines entre la transmission du texte par la première assemblée saisie et sa discussion devant la seconde.

À l'inverse, sont inapplicables tant l'engagement de la procédure accélérée prévue par l'article 45 de la Constitution que, pour l'examen d'un tel texte à l'Assemblée nationale, la procédure du temps législatif programmé prévue par les articles 49 et 55 du règlement de cette assemblée.

Enfin, une fois voté en des termes identiques par les deux chambres, le texte doit être définitivement adopté, par référendum ou par un vote à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés du Parlement réuni en Congrès.

Ces incertitudes appellent, de la part des rapporteurs, deux observations complémentaires.

Il ne fait aucun doute que les spécificités de la Nouvelle-Calédonie, pour lesquelles le Conseil constitutionnel a admis des dérogations importantes aux principes constitutionnels, justifient l'exploration de l'ensemble des voies de droit existantes et, le cas échéant, des innovations juridiques spécifiques afin de traduire les équilibres politiques résultant des négociations entre les parties .

Les rapporteurs insistent toutefois, sur la particulière attention qui doit être portée aux considérations juridiques au cours des négociations , afin qu'aucun équilibre ou compromis souhaité par les parties ne soit entravé par la suite dans sa mise en oeuvre en raison de la faiblesse de leur fondement juridique ou par un défaut d'anticipation des traductions juridiques afférentes.

Aussi est-il indispensable que la réflexion juridique accompagne, sinon précède sur certains points, le processus de discussion politique. À cet égard, cette réflexion doit porter tant sur les délais enserrant les initiatives législatives ou constitutionnelles, que sur la nécessité de garantir la pleine validité juridique des solutions retenues pour favoriser l'expression du projet d'avenir de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que la continuité entre les dispositifs juridiques actuels et futurs.

Proposition n° 6 : Conduire des discussions politiques éclairées par des considérations juridiques.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 27 JUILLET 2022

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Au regard des enjeux juridiques et politiques de la nouvelle période institutionnelle qui s'ouvre à l'issue de la troisième consultation relative à l'autodétermination et à la demande du président Gérard Larcher, nous avons créé en février dernier, au sein de la commission, une mission d'information relative à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, dont je suis rapporteur aux côtés de Philippe Bas, Hervé Marseille et de Jean-Pierre Sueur.

Guidés par un esprit de dialogue et d'écoute, nos travaux se sont déroulés en trois temps.

Premièrement, nous avons mené un cycle d'auditions d'experts en droit en amont de notre déplacement en juin dernier.

Deuxièmement, nous nous sommes rendus cinq jours en Nouvelle-Calédonie au cours desquels nous avons rencontré un très grand nombre d'acteurs politiques, coutumiers, économiques et sociétaux, et nos collègues Pierre Frogier et Gérard Poadja.

Ainsi, notre mission s'est rendue dans chacune des trois Provinces, à Nouméa, à Ouvéa ainsi qu'à Koné. Nous avons conduit 36 auditions sur une cinquantaine d'heures environ et auditionné près de 110 personnes. Nous nous sommes recueillis à Ouvéa sur la stèle des gendarmes et le tombeau des 19 de Wadrilla. Nous avons assisté à l'inauguration de la place de la Paix à Nouméa, où une très belle statue immortalisant la poignée de main historique entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur a été dévoilée.

À notre retour, nos travaux se sont poursuivis par de nouvelles auditions, notamment des acteurs de la justice judiciaire et administrative, qui traitent de contentieux mélangeant droit commun et droit coutumier.

La mission s'est attachée à rencontrer le plus grand nombre d'acteurs possible, dans le temps, nécessairement limité, qui lui était imparti. Je remercie l'ensemble de nos interlocuteurs, et ce n'est pas une formule de style : bien que le dialogue soit aujourd'hui distendu entre les parties - j'y reviendrai -, tous ont accepté de discuter avec nous, ce qui était déjà en soi une réussite. Ils font confiance au Sénat, qui bénéficie d'un a priori très favorable : la relation particulière qu'entretient le Président du Sénat avec le territoire n'y est pas étrangère.

Nous avons essayé de remplir notre mission du mieux possible, et la liberté de parole a été totale. Le fil directeur de notre démarche a donc été d'instaurer un dialogue attentif, en nous montrant à l'écoute de tous les acteurs. J'insiste sur ce point, nous avons constamment adopté une position de dialogue et d'écoute humble.

À l'issue des auditions que nous avons menées, nous constatons que des visions antagonistes demeurent quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Malgré tout, un consensus se dégage au sein de la population comme parmi les acteurs politiques, institutionnels, économiques et sociaux pour essayer de parvenir, par le dialogue, à un accord sur l'avenir du territoire.

Le cycle de négociations ouvert par le Gouvernement, maintes fois repoussé et longtemps attendu par les parties, ne doit pas être une occasion manquée de renouer le dialogue. Le retard de plus d'un an déjà pris pour l'engagement des discussions envisagées par le Gouvernement dès juin 2021 et la cristallisation des antagonismes entre forces politiques calédoniennes à la suite de la consultation du 13 décembre 2021 incitent à chercher sans retard des moyens de négocier sereinement et à ouvrir de nouveaux horizons. Les contacts n'ont à ce jour toujours pas repris : cette attente est trop longue.

Convaincus que le dialogue demeure le seul chemin viable pour la Nouvelle-Calédonie, nous avons travaillé à l'établissement d'une méthode de négociation susceptible d'être acceptée par l'ensemble des parties prenantes, préalable nécessaire au bon déroulement des négociations à venir.

Nourris des échanges conduits avec les parties prenantes de l'avenir calédonien, nous proposons aujourd'hui une méthode structurée autour de six propositions.

Première proposition : garantir l'impartialité de l'État et consolider son rôle de proposition sur le dossier calédonien. L'État a l'absolue obligation d'organiser un processus de négociations de la manière la plus ouverte et la plus transparente possible. Chacun doit pouvoir exprimer ses positions, quelles qu'elles soient.

Deuxième proposition : élargir les discussions à la diversité des défis auxquels devra répondre la Nouvelle-Calédonie. Le sujet institutionnel est majeur, mais ce n'est pas le seul : quel avenir et quel développement économique pour la Nouvelle-Calédonie ? Comment gérer un destin collectif ?

Troisième proposition : écouter et consulter les acteurs économiques, sociaux, environnementaux, culturels, coutumiers, religieux ainsi que la jeunesse calédonienne. Nombreux sont ceux qui veulent prendre leur avenir en main : il faut les écouter. Je signale que la Nouvelle-Calédonie, qui compte 275 000 habitants, en a perdu 17 000 entre 2010 et 2020. Le monde économique est aujourd'hui en retrait en raison de l'instabilité institutionnelle.

Quatrième proposition : s'appuyer davantage sur les maires de Nouvelle-Calédonie. Ce n'est pas un toc du Sénat ! On le sait, les maires font vivre leurs communes et sont au quotidien en contact direct avec l'ensemble de la population.

Cinquième proposition : associer pleinement, et ce, dès le début, le Parlement aux discussions relatives à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, car il aura à connaître des évolutions législatives et constitutionnelles en la matière. Le Gouvernement présentera nécessairement un texte que nous devrons examiner : autant en être saisi le plus tôt possible pour ne pas le découvrir à la dernière minute...

Sixième et dernière proposition : conduire des discussions politiques éclairées par des considérations juridiques. La solution viendra en effet d'un accord politique mais qui devra ensuite être traduit, correctement, sur un plan juridique.

Pour conclure, le processus qui s'engage doit dépasser celui qui s'achève aujourd'hui. Autrement dit, « l'après-Nouméa » ne saurait constituer une simple actualisation de l'accord de Nouméa. Il faut repenser les choses, dans la durée. Les enjeux, tout comme les attentes à l'égard du Parlement et, partant, du Sénat, sont très forts.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - C'est avec émotion que je me suis rendu en Nouvelle-Calédonie. Avec Philippe Bas et François-Noël Buffet, nous avons reçu un bon accueil, notamment grâce à Pierre Frogier, que je salue.

Le premier jour de notre arrivée, nous sommes allés à Ouvéa, pour nous recueillir sur la stèle des gendarmes puis sur le tombeau des 19 Kanaks : cet acte a été perçu comme un signe d'ouverture et de dialogue.

À la suite des entretiens que nous avons eus, il me semble qu'un chemin existe pour dessiner l'avenir. Il faut reconnaître la spécificité de la Nouvelle-Calédonie, tout en prenant en compte le fait que peu de personnes imaginent couper totalement le lien avec la France. Mais il ne faut pas précipiter les choses ! L'annonce d'un référendum en 2023 par le gouvernement précédent était prématurée. Des difficultés constitutionnelles existent : sur quel fondement l'organiser s'il devait être autre chose qu'un référendum national ? Car s'il faut modifier la Constitution, il faudrait s'y prendre très tôt.

L'impartialité de l'État, évoquée par François-Noël Buffet, est importante.

Aussi, je tiens à rappeler que les discussions doivent être menées sans tabou. En effet, l'autodétermination est prévue par l'accord de Nouméa et il faudra certainement évoluer sur la question de la liste électorale.

Après 34 ans de cohabitation entre tous, malgré les graves problèmes, notamment économiques, qui se posent aujourd'hui, il serait temps de renouer un vrai dialogue. Pour cela, il ne faut pas annuler les voyages ministériels prévus ni demander aux parties de venir à Paris sans les avoir consultées. Le dialogue doit être organisé sur place, avec tous les acteurs.

Par ailleurs, nous devons prêter attention aux nominations gouvernementales. Certains choix n'envoient pas un bon signal...

Enfin, Jean-François Merle, que nous avons entendu, dit qu'il n'y a pas de solution toute faite en Nouvelle-Calédonie, rien de ce que nous avons en magasin n'est applicable. Trois référendums ont été organisés, mais les conditions dans lesquelles le troisième a eu lieu ne permettent pas de clore l'ensemble des questions.

La situation n'est pas facile, mais en s'inspirant des hommes qui ont fait preuve de bonne volonté depuis 34 ans, il est possible de continuer le chemin.

M. Philippe Bas , rapporteur . - Après cette allusion à Jules Romain, je résumerai mon sentiment en disant que nous sommes dans un entre-deux : ce n'est plus « Nouméa » et ce n'est pas encore « l'après-Nouméa ». Nous sommes dans une période de tous les risques, qui ne doit pas s'éterniser. L'incertitude entraîne un marasme économique : une partie de la population a quitté le territoire et les acteurs économiques hésitent à investir. Mais elle a aussi un effet politique : les référendums que l'on a devant soi unissent les parties calédoniennes dans une perspective politique, mais une fois qu'ils ont eu lieu ils divisent la Nouvelle-Calédonie suivant des clivages qui recouvrent largement le périmètre des communautés ethniques.

Dès juin 2021, le Gouvernement a choisi de s'inscrire dans un calendrier volontariste en annonçant un référendum de projet avant juin 2023. Pour cela, deux conditions doivent être remplies : il faut un projet et il faut pouvoir organiser un référendum ! Or ces deux points soulèvent de nombreuses interrogations.

S'agissant du projet, le Gouvernement le prépare-t-il avec des interlocuteurs qu'il choisit ou anime-t-il un dialogue entre parties calédoniennes ? Une fois qu'on a posé la question, on a la réponse : la solution ne peut être durable si elle est une décision unilatérale du Gouvernement. Le projet doit forcément reposer sur un accord, qu'il faut préparer par le dialogue. Or il n'y en a pas eu, ni avant le référendum du 13 décembre 2021, pour cause de campagne électorale, ni après, en raison des élections législatives et présidentielle. Le gouvernement nommé avant les élections législatives a compris qu'il était plus que temps d'agir s'il voulait tenir le calendrier : il a donc annoncé un déplacement de la ministre de l'outre-mer, mais elle n'est pas restée en fonctions. Le nouveau ministre a annoncé sa venue, avant de reporter son voyage.

On aurait pu imaginer que, sans visite ministérielle, des relations soient nouées avec les loyalistes et avec les indépendantistes, avant que l'ensemble des parties prenantes soient réunies. Mais le Gouvernement a annoncé unilatéralement la tenue d'une réunion du comité des signataires de l'accord de Nouméa. Est-ce l'instance la plus appropriée pour négocier ? Une partie des signataires n'est plus en fonctions, voire est décédée. La convocation de cette instance n'a pas été préparée par un dialogue bilatéral avec chacune des parties.

Les indépendantistes considèrent qu'après le troisième référendum, dont ils ont contesté la tenue, le Gouvernement a pris fait et cause pour l'une des parties contre l'autre : ils ne veulent pas participer à la réunion sans avoir au préalable dialogué directement avec l'État. Le calendrier annoncé, avec une excellente intention, par le gouvernement de l'époque est de plus en plus difficile à tenir. L'écriture du projet n'a pas encore commencé, et les positions sont plus antagoniques qu'elles ne l'ont jamais été.

Imaginons néanmoins que le Gouvernement engage une discussion respectueuse sur le projet avec chaque partie calédonienne et que cette discussion aboutisse en temps utile pour organiser un référendum en juin 2023 : nous sommes alors confrontés à un autre problème. Il faut que le référendum soit constitutionnellement possible, mais on ne trouve pas de terrain solide pour organiser cette consultation si elle devait prendre une autre forme qu'un référendum national.

Pas de projet, pas de référendum : comment tenir le calendrier du « référendum de projet » ?

Difficulté supplémentaire, des élections provinciales ont lieu en 2024, avec un corps électoral restreint, dont une partie des inscriptions est « gelée » depuis plusieurs décennies. Ce corps restreint se justifiait par le fait que les élections provinciales informaient la composition du Congrès de Nouvelle-Calédonie et, donc, du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, trois institutions qui « détermineront » l'avenir du territoire. L'accord de Nouméa prévoit que la citoyenneté calédonienne devait s'exprimer pour les élections déterminant la composition des organes de la collectivité néo-calédonienne. Le corps électoral restreint pour les élections provinciales a été conçu dans le cadre du processus d'autodétermination, qui est juridiquement clos. La dérogation constitutionnelle au principe de l'universalité du suffrage peut-elle survivre à l'achèvement de ce processus ? La question n'est pas simple à résoudre. Si le projet, qui devra notamment permettre de définir le corps électoral des élections provinciales, n'a pas fait l'objet d'un consensus à une date permettant d'organiser celles-ci en 2024 comme prévu, les difficultés seront encore accrues.

C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de faire ce rapport d'étape : il est temps de tirer la sonnette d'alarme. Nous risquons en effet de nous retrouver dans une impasse si des initiatives ne sont pas prises très rapidement pour rétablir un processus de négociation.

M. Patrick Kanner . - Merci aux rapporteurs pour ce travail intéressant.

Je fais mienne la première préconisation sur l'impartialité de l'État. Le président Bas a évoqué cette période d'entre-deux et les risques qu'elle comporte. Dans une tribune publiée dans Le Monde le 10 juillet dernier, Jean-François Merle prévient qu'il « ne suffit pas d'être impartial en son for intérieur. Il faut aussi ne pas donner prise, par son comportement, ses relations ou ses intérêts, au soupçon de partialité. » Il visait la nomination de Sonia Backès au Gouvernement, qui est autorisée, contrairement à la tradition républicaine, à rester également présidente de la province Sud.

Quel risque pose ce cumul de fonctions ? Nous connaissons les positions politiques tranchées de Sonia Backès.

Est-ce un acte politique assumé ? Peut-il être considéré comme une provocation par une partie de la population de Nouvelle-Calédonie ?

M. Mathieu Darnaud . - Je salue le travail des rapporteurs. La situation est complexe : le chemin existe mais les problèmes ne doivent pas être méconnus.

Le président Kanner a évoqué l'impartialité, qui me semble importante.

Je veux relever deux autres points.

Philippe Bas a souligné la difficulté du Gouvernement à renouer le dialogue. Quel rôle peut jouer le Sénat ? Il faudra composer avec toutes les parties prenantes sur l'ensemble des problèmes, notamment le problème économique, qui change la donne.

Par ailleurs, une partie des acteurs est exclue du corps électoral et ne peut pas prendre part aux décisions les concernant. Comment résoudre le problème épineux du corps électoral ?

M. Henri Leroy . - Je remercie la commission des lois d'avoir pris cette initiative. L'État se désintéresse de la Nouvelle-Calédonie, hormis le Sénat - Pierre Frogier a participé à l'accord de Nouméa et a suivi sur le terrain l'évolution du territoire. Vos six propositions correspondent parfaitement à ce qu'attendent les non-indépendantistes. Les indépendantistes, eux, ne croient qu'en une seule solution : l'indépendance.

Pierre Frogier peut nous éclairer sur l'impact de la mission que vous avez menée : il connaît très bien la côte est, qui est, avec certaines îles, le coeur du territoire des indépendantistes. J'ai commandé une compagnie de gendarmes dans cette région pendant quatre ans. Je rappelle que la Nouvelle-Calédonie est une terre révolutionnaire. Il y a plus d'un siècle, le chef Ataï est parti de l'île des Pins pour dévaster les Blancs de la côte est. Récemment, des événements importants et dramatiques ont eu lieu. Or, les Calédoniens ont l'impression que le Gouvernement se désintéresse d'eux. Ce désintérêt risque d'aboutir à une troisième intervention sanglante.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Personne ne le souhaite.

M. Philippe Bonnecarrère . - Merci pour ces explications qui permettent à ceux qui ne sont pas des spécialistes de ces questions, dont je fais partie, de mieux les appréhender.

Le titre XIII de la Constitution, consacré à la Nouvelle-Calédonie, contient des « dispositions transitoires ». A-t-il toujours une existence juridique ou est-il en quelque sorte « périmé » depuis la fin du processus de Nouméa ?

La question de la composition des listes électorales revient régulièrement. Est-ce vraiment un point essentiel à partir duquel tout se noue ou un éternel prétexte pour ne pas aborder plus généralement « le projet » ?

Enfin, la Nouvelle-Calédonie est-elle un sujet autonome ou existe-t-il un arrière-plan océanien ? J'ai été marri de découvrir qu'un élu indépendantiste avait pris la tête de la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale.

Mme Lana Tetuanui . - Merci pour le travail engagé.

Je rejoins ce que vient de dire Philippe Bonnecarrère. La vraie question qui se pose aujourd'hui est la suivante : quelles sont les intentions de la France à l'égard des collectivités du Pacifique ? Même les Polynésiens se posent cette question, et je crois qu'y répondre doit être le préambule avant d'entamer autre chose - je parle sous le contrôle du sénateur de la Nouvelle-Calédonie, Pierre Frogier. On ne peut plus parler aujourd'hui de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie sans évoquer ses voisins, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna. À 20 000 kilomètres de distance, nos destins sont liés !

L'assemblée de Polynésie a rendu au Sénat un rapport sur ce que décideraient les 6 500 Polynésiens vivant en Nouvelle-Calédonie au cas où celle-ci deviendrait indépendante : retourner au fenua ou rester sur le territoire calédonien ? Tout dépendra de ce qui se passera réellement, mais nous ne sommes plus dupes.

Dans quinze jours, le gouvernement de la Polynésie recevra une nouvelle fois le président du Congrès de Nouvelle-Calédonie. En ce moment, les indépendantistes calédoniens viennent souvent à Papeete demander le soutien de leurs amis polynésiens. Vu de la Polynésie française, on a l'impression qu'une partie d'entre eux ne veulent plus discuter avec Paris... On a bien compris que les indépendantistes n'avaient pas reconnu les résultats du dernier référendum.

Il ne faudra pas oublier d'associer la Polynésie française et Wallis-et-Futuna dans les prochains travaux que nous mènerons.

Quoi qu'il en soit, je vous félicite, messieurs les rapporteurs. Encore une fois, nous apposons la marque du Sénat dans nos collectivités du Pacifique. En tant que sénatrice de la Polynésie française, j'en suis fière !

M. Alain Richard . - Les trois rapporteurs ont présenté avec beaucoup de finesse et de hauteur de vue les embûches qui se dressent sur le chemin d'une solution qui puisse être partagée. On ne peut qu'en convenir.

Nous savons que les positions des représentants des diverses familles politiques de Nouvelle-Calédonie sont éloignées et que les états d'esprit sont peu tournés vers la confiance.

Nous pouvons, bien sûr, affirmer le rôle constructif du Sénat et sa force de proposition pour avancer, mais je souhaite vous alerter sur les répercussions qui pourraient découler, dans les futures discussions, du sentiment qu'il y aurait une discorde à Paris. La parole est libre et la critique politique toujours légitime, mais, si les acteurs du territoire comprennent qu'une grande assemblée comme le Sénat met en cause la démarche du Gouvernement, cela ne facilitera pas la poursuite du travail dans les deux prochaines années.

Mme Françoise Gatel . - Je veux vous remercier pour la qualité de votre travail et l'état d'esprit avec lequel vous l'avez mené. Vous avez d'ailleurs dit, avec une certaine émotion et beaucoup d'humanité, la nécessité d'être respectueux et humble sur cette question d'une grande complexité - notre collègue Alain Richard l'a rappelé. Je pense que le Sénat s'honore à anticiper une question difficile, qui va se poser rapidement et qui est essentielle. Il me paraît pertinent de mettre sur la table les écueils à éviter.

Au-delà de la Nouvelle-Calédonie se pose, comme le disent Philippe Bonnecarrère et Lana Tetuanui, une question quasi existentielle : celui du projet de la France en outre-mer et avec les collectivités ultramarines.

Je crois que, dans notre pays, le commun des mortels, dont je fais partie, a perdu une certaine culture de l'outre-mer. Il convient de rappeler les enjeux, notamment internationaux, y compris aux sénateurs de l'hexagone.

Nous devons être extrêmement vigilants sur les préoccupations et les craintes de nos concitoyens. Elles ne facilitent pas l'action sur ce dossier.

M. Pierre Frogier . - Je veux de nouveau vous remercier sincèrement de cette initiative. Je vous remercie de votre déplacement en Nouvelle-Calédonie et de l'image que notre Haute Assemblée, à cette occasion, a une nouvelle fois renvoyée en Nouvelle-Calédonie. Vous l'avez indiqué, le président Larcher a lui-même des contacts réguliers avec les différents acteurs politiques. Je suis persuadé que le Sénat, représentant des territoires, prendra une part essentielle à une nouvelle solution, à condition de déterminer les causes du trou d'air dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui. Nous n'avons pourtant pas manqué, depuis des années, d'essayer d'attirer l'attention des gouvernements sur l'issue du processus référendaire, qui, en réalité, n'a rien réglé.

Monsieur Bonnecarrère, comme Lana Tetuanui l'a rappelé, une revendication indépendantiste en Polynésie française n'est pas de même nature qu'une revendication indépendantiste en Nouvelle-Calédonie. Le peuple polynésien existe ! En Nouvelle-Calédonie, quoiqu'un certain nombre de responsables politiques l'affirment, il n'y a pas de peuple calédonien : il y a deux communautés, d'égale importance. La revendication indépendantiste a été l'occasion pour l'une de ces communautés de s'identifier par rapport à l'autre. Pour cette raison, la solution n'est pas dans l'indépendance ou l'absence d'indépendance.

Je le réaffirme, le problème aujourd'hui n'est pas tant de reconstruire ou de déconstruire les relations avec la France que de redéfinir les conditions d'exercice du pouvoir et des responsabilités en Nouvelle-Calédonie entre ces deux communautés humaines d'égale importance, l'une se revendiquant d'une antériorité historique, l'autre se revendiquant d'une majorité, expression de la volonté démocratique.

Je veux rappeler quelques éléments déterminants qui ont permis que, quoi que l'on dise, à la Nouvelle-Calédonie de vivre en paix pendant plus de trente ans. Si les choses se sont effectivement détériorées il y a une quinzaine d'années, ce n'est pas par hasard.

En 1988, après la réélection de François Mitterrand et le drame d'Ouvéa, le nouveau Premier ministre Michel Rocard engage des discussions, à Matignon, entre les délégations du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) et du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). Ces négociations aboutissent à la signature, le 26 juin 1988, des accords de Matignon, complétés en août suivant par l'accord Oudinot. Ces accords furent scellés par la fameuse poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur.

La Nouvelle-Calédonie plurielle et provincialisée s'engageait sur la voie du rééquilibrage, c'est-à-dire de la décolonisation, mais la fracture politique restait présente. C'est pourquoi les accords de Matignon, en 1988, ont renvoyé à dix ans plus tard la réponse à la question politique - dix ans consacrés à reconstruire, pour ensuite, sur ces bases pacifiées, répondre à un scrutin d'autodétermination.

Le statut né de Matignon et Oudinot est novateur. Il est simple, mais on a eu le génie de comprendre que les solutions à tous les problèmes dans ce territoire pluriel ne se satisfont pas d'une application sans nuances des procédures, si légitimes par ailleurs, de la démocratie majoritaire, car la Nouvelle-Calédonie doit établir la paix entre sa majorité favorable à la France et sa forte minorité favorable à l'indépendance. Les accords de Matignon ont permis d'imaginer une solution : le territoire est partagé entre trois entités géographiques de manière à permettre que, dans certaines d'entre elles, les indépendantistes, c'est-à-dire les représentants du peuple premier, soient majoritaires. La règle majoritaire est contournée sur l'ensemble du territoire pour mieux la retrouver au niveau des nouvelles collectivités qui le composent, c'est-à-dire les provinces. La paix, je le répète, est revenue par les provinces, par la satisfaction des indépendantistes d'occuper enfin, eux aussi, leurs lieux de pouvoir et par la reconnaissance de cette situation par les non-indépendantistes.

Ce schéma novateur est simple, car il écarte l'équation impossible d'un gouvernement devant représenter la diversité. Il confie l'exécutif territorial aux représentants de l'État impartial, mais il est assisté d'un conseil consultatif composé des représentants des trois provinces ainsi que du Congrès, gouvernement territorial constitué par l'addition des trois assemblées de province élues.

Les accords de Matignon sont véritablement le fondement d'une Calédonie nouvelle en paix et sur la voie du rééquilibrage, grâce à l'oeuvre bénéfique du partage provincial. La compétence de principe a été attribuée aux provinces.

Au même moment, en 1992 et 1993, chacun a compris qu'il était nécessaire de contourner le référendum d'autodétermination prévu en 1998, raison pour laquelle nous avons négocié l'accord de Nouméa. Or, si le préambule de celui-ci est un document exceptionnel, extraordinaire, on a oublié, dans la mise en oeuvre de l'accord, l'enracinement des accords de Matignon. La paix, le respect mutuel, le dialogue dans les différences, c'est l'héritage des accords de Matignon.

Le corps électoral restreint de l'accord de Nouméa que j'ai négocié en 1998 n'est pas celui qui a été mis en oeuvre à partir de 2007. Dans la mise en oeuvre de l'accord, ce ne sont plus les provinces, alors qu'elles sont toujours désignées comme détenant les compétences de principe, qui exercent ces compétences, du fait d'une disposition prise en faveur du congrès de la Nouvelle-Calédonie, lequel délibère aujourd'hui, par des lois du pays, sur des dispositions législatives. Progressivement, pendant vingt ans, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a aspiré les compétences des provinces. On a rapidement oublié d'où viennent les accords de Matignon et, aujourd'hui, je puis affirmer que, des provinces, il ne reste que le souvenir de ces gardiennes de la diversité qui avaient su ramener la paix. Dans son efficace simplicité, le schéma institutionnel des accords de Matignon organisait l'expression du pluralisme des assemblées provinciales. Malheureusement, l'accord de Nouméa a renié les légitimités provinciales et consacré le Congrès, regroupant les assemblées de province, comme assemblée délibérante majeure.

Alors que l'accord de Nouméa traduisait, à sa naissance, la recherche du consensus, par l'exclusion du référendum couperet prévu en 1998, il nous a entraînés à trois reprises dans tous les dangers des marécages référendaires.

Devant tous les reniements de l'esprit des accords de Matignon par les dispositions de l'accord de Nouméa, vous comprendrez le sens des diverses propositions que j'ai déjà eu l'occasion d'exposer dans cette assemblée et qui se réfèrent naturellement à l'acte fondateur de paix et de pluralisme en Nouvelle-Calédonie. C'est la raison pour laquelle je suis persuadé que toute solution d'avenir devra s'inscrire dans la réaffirmation de la voie tracée à Matignon en 1988.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Merci pour ces interventions extrêmement riches. Merci à Pierre Frogier de son exposé.

Pour faire suite à ce qu'ont pu dire Alain Richard et Patrick Kanner, je veux souligner que notre but n'est certainement pas de mettre de l'huile sur le feu ni de contrarier l'action du Gouvernement. Le sujet demande une grande responsabilité de chacun. En choisissant de vous présenter un rapport d'étape, nous souhaitons justement que vos contributions, mes chers collègues, puissent nourrir le rapport final.

Sonia Backès a déclaré, dans la presse calédonienne, non seulement qu'elle allait cumuler ses fonctions de ministre du Gouvernement avec la présidence de la province Sud, ce qui est déjà problématique, mais aussi qu'elle serait membre de la délégation loyaliste dans les discussions qui auront lieu. Comment un membre du Gouvernement peut-il d'emblée s'inscrire d'un côté quand l'impartialité de l'État est nécessaire pour avancer ? La situation risque d'être difficile.

Philippe Bonnecarrère, vous avez évoqué des dispositions transitoires. Je crois que vouloir trancher les choses trop définitivement serait une erreur ! Bien sûr, la question de l'élection de 2024 se pose, mais le rapprochement demandera du temps et passera nécessairement par une démarche bilatérale. Le Gouvernement doit parler avec les différentes parties, et cette discussion doit avoir lieu sur place. Nous le disons en tant que parlementaires et dans l'intérêt de la Nouvelle-Calédonie.

Pour ce qui concerne plus largement l'Océanie, il est évident qu'il y a un contexte. Les indépendantistes parlent beaucoup de l'Organisation des Nations unies (ONU). Ils voudraient y être reconnus : certains aimeraient, par exemple, obtenir le statut d'observateur. Je n'ai pas d'avis sur ce sujet ; nous ne prendrons pas position. Il faut laisser les discussions avoir lieu.

À ce sujet, j'ai toujours senti de part et d'autre, même dans les déclarations un peu raides, qu'une perche était tendue pour dialoguer.

M. Philippe Bas , rapporteur . - Je veux à mon tour remercier les collègues qui se sont exprimés.

Je souscris très largement à ce que vient de dire Jean-Pierre Sueur. C'est précisément parce que nous sommes conscients des dangers de la période actuelle qu'il nous paraît de notre devoir d'alerter sur la nécessité d'engager le processus de discussion avec les parties calédoniennes dans des conditions qui lui permettent d'aboutir. Or nous avons identifié un certain nombre d'obstacles, qu'il convient de lever. Nous nous bornons à le dire, de manière, je le crois, constructive.

Mathieu Darnaud, la discussion qui s'engage ne pourra pas éluder la question incontournable du corps électoral. Elle se posera, de toute façon, pour l'organisation des élections provinciales de 2024 : le corps électoral actuel peut-il encore être utilisé pour ces élections ?

Philippe Bonnecarrère s'est demandé si le titre XIII de la Constitution, intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie », continuait à être applicable. La réponse est oui. « Transitoire » ne veut pas dire « temporaire », mais une transition doit tout de même s'achever ! Il me semble que certaines des dispositions prises en application du titre XIII s'appliqueront durablement, quand d'autres, comme le corps électoral, peuvent soulever des difficultés, en ce qu'elles constituent des dérogations aux principes constitutionnels jugées conformes à la Constitution en raison de leur caractère transitoire. Certaines des dérogations aux principes fondamentaux de la République qu'il comporte soulèvent des problèmes d'application dès lors que le troisième référendum d'autodétermination a eu lieu, même si la légitimité de celui-ci est contestée par une fraction importante des parties calédoniennes.

Oui, la question des listes électorales est essentielle, mais elle ne l'est pas davantage que d'autres questions tout aussi fondamentales. En réalité, s'agissant de la Nouvelle-Calédonie, il n'y a jamais eu d'obstacle constitutionnel à la mise en oeuvre d'un accord. Tout est dans l'accord ! Les  accords passés étaient manifestement incompatibles avec la Constitution française : elle a été révisée.

La question des majorités politiques renvoie à l'alternative entre unilatéralisme et accord. Si un gouvernement propose une solution unilatérale de portée constitutionnelle et vient devant le Parlement pour l'imposer, ses chances d'aboutir sont très réduites. En revanche, un accord, quelles que soient les dérogations qu'il puisse comporter par rapport à notre ordre constitutionnel, aura une probabilité plus élevée, voire une probabilité élevée, d'emporter la décision du Parlement, voire du Congrès s'il revêt une dimension constitutionnelle.

La question est-elle purement calédonienne ou océanienne ? Nous progressons fortement dans notre approche des questions des collectivités ultramarines, en différenciant autant qu'il est possible les situations. Ce qu'a expliqué Pierre Frogier sur la différence de situation entre la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie m'a convaincu : en effet, la situation est peut-être plus simple sur le plan des communautés dans la première que dans la seconde, où le peuple premier et la population d'origine européenne sont d'importance démographique à peu près égale, quoique le périmètre de ces communautés soit parfois difficile à établir, chacun revendiquant comme siennes des parties de la population qui se situent entre les deux.

Je ne commenterai pas ce que Françoise Gatel, dont l'approche est, comme toujours, très mesurée, et Pierre Frogier ont dit sur l'historique et le reniement des accords de Matignon par la manière dont ont été appliqués les accords de Nouméa. Nous abordons là les questions de fond. Elles ne nous sont pas étrangères, mais, à ce stade, nous essayons surtout de mesurer les conditions dans lesquelles les points de vue pourraient être rapprochés, sans en épouser aucun. Je crois que le devoir d'impartialité que nous assignons au Gouvernement s'impose aussi à nous en cette période. Nous avons jusqu'à présent évité de nous prononcer sur ce que pourrait être le canevas d'un accord entre les parties. Celles-ci ne se sont du reste pas suffisamment confiées à nous pour que nous puissions vraiment avoir une idée à son sujet.

Toutefois, le travail à venir consistera tout de même pour nous à regarder d'un peu plus près ces questions de fond, y compris dans leurs dimensions juridiques. J'y insiste : chaque fois qu'il a été question de la Nouvelle-Calédonie, les questions juridiques ont été résolues. C'est l'accord qui commande.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Je répète avec beaucoup d'insistance ce qu'est notre volonté.

Sur le fond, les dispositions transitoires du titre XIII présentent une forme de fragilité juridique, singulièrement en prévision des élections de 2024. Le rapport met en évidence la position des juristes que nous avons auditionnés sur ce point particulier, mais celui-ci n'est pas le seul qui doive être regardé compte tenu de tous les enjeux qui existent.

Que la commission des lois du Sénat cherche à imposer une solution toute faite serait à la fois maladroit et présomptueux. Notre volonté est de dresser un état des lieux de la situation et d'essayer de trouver autant que faire se peut les voies et moyens permettant de construire une méthode pour essayer d'aboutir à un accord, qui sera porté par le Gouvernement et discuté par le Parlement le moment venu, mais qui viendra avant tout du terrain. Ce n'est pas une position de retrait : nous considérons que notre rôle, à ce moment précis du processus, consiste à faciliter les choses et à ne pas crisper les situations. Si nous voulons servir et les intérêts de la Nouvelle-Calédonie et les intérêts du pays, nous devons nous inscrire dans cette logique.

Je répète ce qui a été dit à l'attention d'Alain Richard : nous ne recherchons pas la polémique. Nous sommes convaincus que le dialogue doit s'instaurer et que la confiance doit être retrouvée. Nous pensons sincèrement et profondément que, si nous voulons avancer, les engagements pris doivent être tenus. Le premier élément sera la confiance.

Les propositions sont adoptées par la commission.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

PROGRAMME GÉNÉRAL DU DÉPLACEMENT

Le programme détaillé du déplacement sera publié
à l'occasion du rapport final de la mission d'information.

Vendredi 24 juin 2022

Horaires

Séquence

SÉQUENCE À NOUMÉA

Matin

Entretien avec Louis MAPOU,
président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

Visite du Sénat coutumier
et rencontre avec les présidents des aires coutumières

Entretien avec des représentants du groupe Union nationale pour l'indépendance (UNI) au congrès de Nouvelle-Calédonie

SÉQUENCE À LA PROVINCE DES ÎLES LOYAUTÉS - OUVÉA

Après-midi

Recueillement et dépôt d'une gerbe à la gendarmerie puis à Wadrilla

Visite de la Fête du Lagon

Entretien avec Jacques LALIÉ,
président de l'Assemblée de la province des Îles Loyauté

Entretien avec Maurice TILLEWA, maire d'Ouvéa

Samedi 25 juin 2022

Horaires

Séquence

SÉQUENCE À NOUMÉA

Matinée

Entretien avec Roch WAMYTAN,
président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie

Entretien avec Sonia LAGARDE, en qualité de
présidente de l'association française des maires de Nouvelle-Calédonie
en présence de Georges NATUREL, ancien président

Entretien avec Sonia BACKÈS,
présidente de la province Sud

Déjeuner avec le comité des sages

Après-midi

Table-ronde avec les conseillers commerce extérieur

Entretien avec Robert XOWIE,
président de l'association des maires de Nouvelle-Calédonie,
en présence de Maryline SINEMAMI, présidente-adjointe

Entretien avec des représentants du groupe UC-FLNKS et nationalistes au congrès de Nouvelle-Calédonie

Entretien avec des représentants
du groupe L'Avenir en Confiance au congrès de Nouvelle-Calédonie

Entretien avec les représentants
de la confédération Ensemble ! en Nouvelle-Calédonie

Dimanche 26 juin 2022

Horaires

Séquence

SÉQUENCE À NOUMÉA

Matinée

Visite du marché de Nouméa

Inauguration de la place de la Paix à Nouméa

Après-midi

Table ronde des maires de la province Sud

Entretien successifs avec les signataires de l'Accord de Nouméa

Entretien avec Ismet KURTOVITCH et Luc STEINMETZ

Lundi 27 juin 2022

Horaires

Séquence

SÉQUENCE À LA PROVINCE NORD - KONÉ ET ZONE VKP

Matin

Entretien avec Paul NÉAOUTYINE,
président de l'Assemblée de la province Nord

Après-midi

Table ronde avec les maires de la province Nord

Visite de l'usine du Nord

Mardi 28 juin 2022

Horaires

Séquence

SÉQUENCE À NOUMÉA

Matin

Rencontre avec des membres de l'Association des Cadres avenir

Table ronde des organisations syndicales

Rencontre avec le Congrès des jeunes de Nouvelle-Calédonie

Entretien avec Milakulo TUKUMULI,
président de la commission permanente,
président du parti de l'Éveil océanien

Après-midi

Entretien avec le Conseil économique,
social et environnemental (CESE) de Nouvelle-Calédonie

Table ronde des chambres consulaires et organisations professionnelles

Rencontre avec les représentants des églises catholique,
protestantes et évangéliques de Nouvelle-Calédonie

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LA COMMISSION

Mardi 7 juin 2022

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur des universités, Université de Bordeaux, co-auteur du rapport public Réflexions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie

Mercredi 8 juin 2022

M. Mathias Chauchat, professeur des universités en droit public, Université de la Nouvelle-Calédonie

M. Étienne Cornut, professeur des universités en droit privé, directeur du Centre de recherches critiques sur le droit, Université de Saint-Étienne

M. Jean Courtial, c onseiller d'État honoraire, ancien chef de la mission de réflexion sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, co-auteur du rapport public Réflexions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie

Mme Géraldine Giraudeau, professeure des universités en droit public, Université de Perpignan

Mercredi 15 juin 2022

M. Alain Christnacht, c onseiller d'État honoraire, co-auteur du rapport de la mission d'écoute et de conseil sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie

M. Jean-François Merle, c onseiller d'État honoraire, co-auteur du rapport de la mission d'écoute et de conseil sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LES RAPPORTEURS

M. Philippe Dunoyer , député de Nouvelle-Calédonie (1 ère circonscription)

M. Nicolas Metzdorf , député de Nouvelle-Calédonie (2 e circonscription)

M. Philippe Gomès , ancien député de Nouvelle-Calédonie (2 e circonscription)

Table ronde sur les enjeux financiers en Nouvelle-Calédonie

Chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie

Mme Florence Bonnafoux , présidente

Direction des finances publiques de Nouvelle-Calédonie

M. David Litvan , directeur

Agence française du développement (AFD)

M. Charles Trottmann , directeur des trois Océans

Mme Virginie Bleitrach , directrice de l'agence AFD de Nouméa

Tribunal administratif de Nouméa

M. Christophe Ciréfice , président du tribunal administratif de Nouméa

Table-ronde des acteurs judiciaires

Tribunal de première instance de Nouméa

M. Éric L'helgoualc'h , président du tribunal de première instance de Nouméa

M. Hervé Ansquer , vice-procureur près le tribunal de première instance de Nouméa

M. Yves Ravallec , vice-président au tribunal de première instance de Nouméa chargé de la présidence de la section détachée de Koné

M. Yves Couroux , vice-président au tribunal de première instance de Nouméa en charge de la section détachée de Lifou

Cour d'appel de Nouméa

M. Gilles Rosati , premier président près la Cour d'appel de Nouméa

M. James Juan , procureur général près la Cour d'appel de Nouméa

M. Jean-Michel Stoltz , magistrat honoraire exerçant des fonctions non-juridictionnelles à la cour d'appel de Nouméa

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Un coeur, une voix

COMPTES RENDUS
DES AUDITIONS EN COMMISSION

Audition de M. Ferdinand Mélin-Soucramanien,
professeur des universités, université de Bordeaux, co-auteur du rapport public Réflexions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie

(Mardi 7 juin 2022)

M. François-Noël Buffet , président . - Monsieur Mélin-Soucramanien, nous vous remercions de votre présence. Professeur des universités en droit public, vous êtes co-auteur du rapport remis au Premier ministre en 2013 « Réflexions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ».

À la suite de la dernière consultation à l'autodétermination de ce territoire, qui a eu lieu en décembre 2021, et du choix de la Nouvelle-Calédonie de demeurer au sein de la République française, une nouvelle période institutionnelle s'ouvre. Le Sénat, et particulièrement la commission des lois, a engagé un travail de fond afin de réfléchir à cette évolution - sachant que nous attendrons, le moment venu, la position et les propositions de l'État.

Un groupe de contact a également été mis en place par le président du Sénat, au sein duquel nous échangeons avec les parties prenantes sur ce sujet.

Philippe Bas, Jean-Pierre Sueur, Hervé Marseille et moi-même avons été nommés rapporteurs de la mission d'information que nous avons constituée sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Philippe Bas, Jean-Pierre Sueur et moi-même nous rendrons sur place du 22 au 29 juin. En prévision de ce déplacement, nous avons décidé d'auditionner un certain nombre de spécialistes de la Nouvelle-Calédonie, notamment dans le domaine institutionnel. Cependant, nous n'ignorons pas l'importance des questions économiques, sociales, et géopolitiques. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées travaille particulièrement sur ce dernier sujet, au travers d'une mission d'information dont le rapport doit paraître en octobre.

A également été convié à cette audition le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, Stéphane Artano.

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur des universités, Université de Bordeaux . - Nous sommes entrés depuis six mois dans une période de discussion, prévue pour dix-huit mois à partir de janvier 2022, donc devant se terminer en juin 2023. Certains s'inquiètent de voir le temps s'écouler. Nous sommes en effet à un an de l'échéance fixée par le Gouvernement.

Merci à vous, monsieur le président, et aux membres de votre mission d'information, de vous emparer de ce sujet. Tout laisse à penser qu'à l'Assemblée nationale le temps de réaction sera plus long compte tenu du contexte électoral. Cette initiative du Sénat, qui s'inscrit dans une autre temporalité, est donc à saluer.

J'ai de la période actuelle une vision qui n'est pas très pessimiste. Plusieurs personnes déplorent le temps perdu, regrettant que l'on tourne autour du sujet depuis plusieurs dizaines d'années sans en atteindre le coeur. Pour ma part, cela fait plus de dix ans que je travaille sur ce sujet. Professeur des universités, je n'ai aucun intérêt privé, moral ou financier en Nouvelle-Calédonie. Je suis intervenu à titre d'expert sur la question de son statut institutionnel à plusieurs reprises, la première fois à la demande de François Fillon, alors Premier ministre.

Depuis dix ans, un certain nombre de voies ont été fermées, d'autres ont été ouvertes ou esquissées. Il serait faux de dire que les gouvernements successifs n'ont pas travaillé, même s'ils l'ont fait avec plus ou moins d'ardeur selon les cas. Dans la période récente, les choses ont avancé. Les trois référendums ont été organisés dans une période très courte, et leur régularité sur le plan juridique est incontestable. L'État a donc bien fait son travail, cela alors même que certains ne jugeaient pas réellement envisageable la tenue des trois consultations successives prévue par l'accord de Nouméa. La première consultation a eu lieu en 2018, et a été suivie d'une deuxième puis d'une troisième.

Nous nous trouvons actuellement dans une phase très nébuleuse de l'accord. Après trois référendums ayant conclu au « non », l'accord de Nouméa prévoit en effet, par une ellipse formidable, que « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ».

Une chose est certaine : par trois fois, la population comprise dans la liste électorale spéciale constituée pour cette consultation référendaire - appelée liste électorale spéciale consultation (LESC) - a répondu « non » à la question de savoir si elle voulait que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante. C'est un peu comme le reniement de Pierre. L'un des rédacteurs de l'accord de Nouméa ne nie pas d'ailleurs avoir eu cette image en tête lorsqu'il a prévu les trois consultations possibles.

Nous en sommes donc au moment où les partenaires politiques doivent se réunir pour examiner la situation ainsi créée.

Si la consultation référendaire du 12 décembre 2021 a été marquée par un mot d'ordre de non-participation lancé par les partis indépendantistes et ses résultats contestés sur le plan politique et sur la scène internationale, ces derniers n'en sont pas moins incontestables du point de vue juridique. Il faut désormais passer à la négociation.

Je voudrais aborder cette question sous deux angles. Premièrement, quelle pourrait être la méthode de cette négociation ? Deuxièmement, quel pourrait en être le résultat ?

Plusieurs méthodes ont été éprouvées en application de l'accord de Nouméa, notamment au travers du comité des signataires de l'accord. Toutefois, le statut juridique de l'accord est incertain. Il avait en effet été conclu en 1998 pour une durée de vingt ans. Bien que l'on étire autant que possible sa durée d'application, sa base est devenue fragile et il ne pourra durer indéfiniment.

Au-delà de l'échéance de juin 2023, les élections provinciales de 2024 constitueront à mon sens un moment de vérité.

Cela étant, des dispositions transitoires ont été introduites dans la Constitution par voie législative. La loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie prise en application de l'accord de Nouméa n'est en outre pas frappée de caducité. Certains éléments sont donc un peu plus solides que d'autres. Tout cela n'en reste pas moins fragile et repose sur une forme de fiction. Il est vrai néanmoins que le droit se nourrit de fictions. Reste cependant que, sur le plan de la méthode, le comité des signataires ne constitue peut-être pas le bon cénacle pour la réflexion à mener.

Des initiatives comme les vôtres sont très louables et parviendront, je l'espère, à faire avancer le dossier.

Pour ma part, sans être un partisan de la démocratie participative à tout crin, je suis convaincu que cette question devra se régler en Nouvelle-Calédonie, moyennant une plus grande participation de la société civile. Un grand écart sépare en effet souvent les aspirations quotidiennes concrètes de la population des mots d'ordre politiques. L'un des enjeux du moment est de rapprocher la population de ces mots d'ordre, parfois outranciers, qui sont portés tantôt par les indépendantistes tantôt par les non-indépendantistes.

Il ne me revient évidemment pas de dire ce qu'il faudrait faire. Néanmoins, le gouvernement précédent avait déjà eu l'intuition de la nécessité de consulter la société civile, et cela avait produit d'assez bons résultats. Je pense que ce procédé devrait être amplifié.

Tout le monde aspire à sortir de l'indétermination, et des statuts temporaires fixés pour dix, vingt ou trente ans. Or, pour y parvenir, l'adhésion de la population sera capitale, et l'on ne peut imaginer une telle adhésion si elle n'a pas participé à l'élaboration du projet de société choisi.

Mon sentiment est par ailleurs que le problème de la Nouvelle-Calédonie tient moins à ses rapports avec la France qu'à un problème de vivre-ensemble interne. C'est pourquoi il serait bon que par le biais d'une sorte de conférence de citoyens la population s'exprime durant cette période. Le délai imparti étant court et les questions juridiques à traiter nombreuses, il sera toutefois difficile de l'organiser sérieusement. Ce sera néanmoins l'une des clés de résolution du problème.

J'en viens à présent au résultat possible du processus. Dans le rapport que Jean Courtial et moi-même avons rédigé en 2014 à la demande du Gouvernement, nous évoquions quatre voies possibles. Aujourd'hui, deux voies médianes sont encore à l'ordre du jour dans le débat : l'autonomie étendue et la pleine souveraineté avec partenariat. Celle du statu quo et de l'immobilisme n'est en revanche plus envisageable.

La voie de l'autonomie étendue est celle qui ressort le plus nettement des trois référendums négatifs. En effet, si nous prenons leurs résultats à la lettre, la Nouvelle-Calédonie a, par trois fois, déclaré qu'elle voulait rester sous la souveraineté de la République française. La difficulté concrète est de savoir comment lui donner davantage d'autonomie, ou comment lui en accorder une meilleure.

La Nouvelle-Calédonie dispose de toutes les compétences, à l'exception des compétences régaliennes et des trois compétences citées à l'article 27 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : l'enseignement supérieur, le statut des communes et la communication audiovisuelle. Nous pourrions imaginer de transférer ces dernières, mais cela ne constituerait pas une grande avancée.

La piste à creuser est sans doute celle d'une meilleure autonomie. Cela passerait par le chantier de la répartition des compétences internes entre l'entité Nouvelle-Calédonie et les provinces, et entre celles-ci et les communes. Les communes calédoniennes, au nombre de trente-trois, pourraient se voir attribuer d'autres compétences, notamment sur les questions coutumières. Il s'agirait donc d'accorder « mieux d'autonomie » plutôt que « plus d'autonomie ». Nous pourrions imaginer à ce titre un projet qui serait proposé au vote.

Il ne faut pas exclure néanmoins l'hypothèse de la pleine souveraineté avec partenariat. La difficulté juridique est qu'elle a été exclue par les trois consultations. Toutefois, cet objet politique demeure dans le débat.

Dans cette hypothèse, à l'image des consultations qui ont eu lieu au Québec, les questions suivantes seraient posées, lors d'une consultation référendaire, aux personnes inscrites : « Voulez-vous accéder à l'indépendance et à la pleine souveraineté et, le cas échéant, acceptez-vous ce projet qui vous lie à telle ou telle puissance - le Canada, dans le cas du Québec ? ». Cela reviendrait à rétrocéder les compétences régaliennes à la puissance en question.

Ces deux projets arrivent exactement au même résultat. Dans les deux cas en effet, la République française conserve les compétences régaliennes, ce qui est important du point de vue géopolitique et en matière d'ordre public sur le territoire. La différence symbolique qui les sépare est cependant non négligeable, la colonisation de ce territoire étant relativement récente et ayant été particulièrement violente. Il est probable néanmoins que la seconde option reviendra sur la table des négociations.

La question de la constitution du corps électoral est par ailleurs essentielle. Ces deux hypothèses peuvent se décliner en une multitude de variantes en fonction de la population qui participerait au référendum de projet prévu en principe en juin 2023.

La question est en outre de savoir sur quel fondement juridique ce référendum pourrait être organisé.

L'application de l'article 72-1 de la Constitution - qui a joué, par exemple, dans le cas de Mayotte - paraît exclue, car cet article renvoie à une consultation sur l'organisation d'une collectivité territoriale. Or l'entité Nouvelle-Calédonie n'est plus elle-même une collectivité territoriale, même si elle en contient en son sein.

Par conséquent, le fondement juridique le plus sûr, bien qu'il ne soit pas le plus solide, serait le préambule de la Constitution, qui a été utilisé pour la Corse.

La question la plus importante reste cependant celle de la définition du corps électoral. À ce sujet, deux thèses s'opposent : celle d'un corps électoral de droit commun et celle d'un corps électoral restreint. Selon la première, l'accord de Nouméa prévoyant trois consultations référendaires, et ces trois consultations ayant eu lieu, le corps électoral spécial constitué pour l'occasion n'a plus de raison d'être. Selon la seconde, on ne peut consulter la population générale de Nouvelle-Calédonie, il faut donc maintenir le corps électoral restreint de la LESC.

Il paraît peu probable que le Gouvernement désigne un corps électoral de droit commun pour voter sur le projet proposé. La question de la définition de ce corps fera sans doute l'objet d'une discussion intense. Toutefois, compte tenu du délai très réduit qui a été fixé, il sera difficile de déterminer un autre corps que celui qui était prévu par l'accord de Nouméa. Il n'est donc pas impossible que ce corps soit réanimé pour une quatrième et dernière apparition, faute de mieux. Ce sera l'objet de négociations. Cependant, s'il devait l'être, cela devrait probablement s'appuyer sur la loi organique et devrait faire préalablement l'objet d'un avis circonstancié du Conseil d'État.

M. Philippe Bas , rapporteur . - Le concept de « souveraineté partagée » se traduit-il par une pleine souveraineté avec partenariat, ou s'agit-il d'une troisième voie susceptible de prospérer et de se révéler fédératrice ?

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien . - La souveraineté en principe ne se partage pas. Ces mots n'ont donc pas vraiment de sens, juridiquement. La souveraineté est ou n'est pas, selon Jean Bodin. Cela dit, un partage de fait s'est bien effectué en Nouvelle-Calédonie. Le congrès de la Nouvelle-Calédonie est une assemblée législative, qui vote des lois du pays.

Même si cette formule sonne bien politiquement, je ne vois pas en quoi une telle « souveraineté partagée » serait différente des hypothèses déjà à l'étude.

M. Philippe Bas , rapporteur . - Dans le cadre des institutions de l'Union européenne, les États membres exercent en commun une partie des attributs de la souveraineté. L'accord des deux parties, calédonienne et hexagonale, ne pourrait-il déterminer l'exercice de certaines compétences ?

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien . - Si les compétences que la France a transférées à l'Union européenne peuvent toujours lui être reprises - même si cela se fait difficilement, comme le montre l'exemple de la Grande-Bretagne -, dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, les transferts de compétences sont irréversibles. Le rapport quasi fédéral entre la France et la Nouvelle-Calédonie va donc plus loin que celui qui unit la France à l'Union européenne.

M. Philippe Bas , rapporteur . - Le référendum que vous avez évoqué pour juin 2023, visant à faire approuver un nouveau statut, est-il réellement incontournable, et l'échéance de juin 2023 l'est-elle également ?

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien . - Une révision constitutionnelle est incontournable. Or il paraît difficile de le faire sans consulter les Calédoniens, d'autant que l'Organisation des Nations Unies (ONU) tance régulièrement la France sur le sujet. L'existence de dispositions constitutionnelles transitoires a en outre de quoi surprendre, et justifie cette révision.

Quant à l'échéance de juin 2023, elle a été fixée par le précédent gouvernement en janvier 2022 à la suite de la consultation référendaire du 12 décembre 2021 et au vu de la décision d'une partie du corps électoral de ne plus discuter avec le Gouvernement. Une période transitoire de dix-huit mois s'est donc ouverte, dont six mois viennent de s'écouler sans apporter d'élément notable.

M. François-Noël Buffet , président . - Ce délai de dix-huit mois n'a pas de base juridique, il découle d'une simple déclaration du Gouvernement. Les discussions pourraient donc durer indéfiniment !

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien . - Les élections provinciales de 2024 que j'évoquais précédemment marqueront néanmoins un retour à la réalité, sans compter les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui seront certainement émises par tel ou tel spécialiste du contentieux. La véritable échéance est donc à attendre en 2024, celle de juin 2023 relevant davantage d'un mot d'ordre politique.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Les signataires de l'accord de Matignon avaient imaginé un jour « J » auquel serait défini un statut définitif pour la Nouvelle-Calédonie. En réalité, à des fins d'apaisement, ils ont enclenché un processus qui en a lui-même entraîné un autre. Même si certains, peu nombreux, estiment que, les trois référendums prévus par l'accord de Nouméa ayant eu lieu, tout est terminé, ce processus se poursuit. N'y a-t-il pas là une vision du droit un peu atypique ?

Ne faudrait-il pas enclencher un nouveau processus, impliquant d'une part la question des élections provinciales, qui a pour corrélat celle de l'examen préalable des listes électorales, un travail sensible indispensable ? D'autre part, ne faudrait-il pas prévoir de reposer, à un moment ou à un autre, la question de l'autodétermination, comme plusieurs personnes le jugent nécessaire, et même si cela risquerait de déplaire à certaines autres ?

De manière générale, un nouveau processus juridique paraît s'ouvrir, nonobstant une série de réalités économiques, financières et sociales dont on ne peut faire abstraction.

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien . - L'accord de Matignon avait effectivement pour but de ramener la paix sur le territoire calédonien. L'accord de Nouméa visait pour sa part la construction d'un projet institutionnel. Il était tendu vers l'hypothèse de l'émancipation et de la décolonisation. Or cette hypothèse ne s'est pas concrétisée. Tout le problème vient de là. L'accord de Nouméa avait en effet été rédigé dans une logique de décolonisation, dénoncée par certains et louée par d'autres. Plusieurs acteurs imaginaient qu'il déboucherait vers l'acquisition de la pleine souveraineté, ce qui n'a pas été le cas.

La question du rapport au temps est par ailleurs primordiale. Une grande partie de la population est en attente d'une forme de sécurité dans le temps et de visibilité - pour les générations futures, comme pour des raisons économiques et financières.

Nous pourrions imaginer d'inclure dans le nouveau projet qui serait rédigé une clause de revoyure, assortie d'un rendez-vous fixé dans dix ou vingt ans. Pour ma part je ne suis pas persuadé que ce soit la meilleure solution, car cela reviendrait à reporter le problème et à créer une forme d'incertitude.

Le fait de ne rien prévoir n'est toutefois pas non plus une solution, d'autant que le droit à l'autodétermination, ou droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, est perpétuellement ouvert en France depuis 1946. Dans le cadre des négociations, une clause pourrait donc être inscrite quelque part, indiquant qu'une majorité qualifiée au congrès doublée d'une partie significative de la population pourrait décider l'organisation d'une consultation sur l'autodétermination - sans fixer de date, pour ne pas créer d'incertitude.

M. Stéphane Artano . - Je remercie le président François-Noël Buffet de son invitation, laquelle témoigne à la fois de l'importance des réflexions du Sénat sur ces sujets statutaires et du souci d'une bonne coordination des travaux des différentes structures internes à la Haute Assemblée.

La délégation sénatoriale aux outre-mer s'est emparée particulièrement de cette question institutionnelle en 2020, au sein du groupe de travail sur la décentralisation mis en place par le président du Sénat et chargé de repenser l'organisation des pouvoirs locaux.

Mon prédécesseur, Michel Magras, s'est attaché à approfondir le volet ultramarin de la réflexion sénatoriale. Ses recommandations ont fait l'objet d'un rapport rendu public en septembre 2020, axé sur la différenciation territoriale outre-mer, pour lequel Michel Magras a consulté l'ensemble des exécutifs et des présidents des assemblées territoriales des outre-mer - afin de recueillir leurs appréciations sur l'application des statuts actuels et de mesurer leurs attentes -, ainsi que plusieurs juristes éminents, dont Ferdinand Mélin-Soucramanien.

Nous avons eu l'occasion d'échanger, en présence de nos collègues députés de la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale, sur les souhaits d'évolution institutionnelle à court et moyen termes dans les territoires ultramarins.

Une réunion commune est en outre prévue le 29 juin au Sénat, avec l'Association des juristes en droit des outre-mer (Ajdom), comportant une séquence sur la Nouvelle-Calédonie à laquelle participera Alain Christnacht, conseiller d'État honoraire, ancien haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Au travers de la question de l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie et du caractère incontournable de son adaptation, le chantier des évolutions statutaires est devant nous.

Je salue la présence de Pierre Frogier, mais également celle de nos collègues de Guyane, de Guadeloupe, de Mayotte, de Wallis-et-Futuna ou encore de Polynésie française. Comme le débat sur la citoyenneté polynésienne l'a récemment montré, ces questions statutaires seront inscrites à l'agenda parlementaire des prochains mois. La crise du covid-19 et les derniers résultats électoraux ont mis en lumière la profondeur de la crise actuelle. Elle appelle des solutions, inédites et d'une grande technicité.

Le cycle d'auditions que vous entamez aujourd'hui est donc particulièrement opportun afin de permettre de préparer ces débats, décisifs pour l'avenir, sur le meilleur cadre juridique constitutionnel possible. Le directeur de la chaire des outre-mer de l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris, Martial Foucault, pourra vous apporter son expertise. Vous pourrez compter sur la contribution des élus de la délégation aux outre-mer à vos travaux.

M. François-Noël Buffet , président . - Monsieur le professeur, vous avez insisté sur un point essentiel : la question est moins celle des relations entre la Nouvelle-Calédonie et l'État que celle de la capacité à faire vivre ensemble plusieurs populations sur le territoire. Il semble d'abord nécessaire de faire en sorte que tout le monde trouve sa place. Avez-vous des pistes pour y parvenir ?

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien . - Le « destin commun » mentionné dans l'accord de Nouméa constitue un objectif, un idéal dont force est de constater qu'il ne s'est pas traduit dans la réalité. Le partage des voix recueillies lors des deux premiers référendums - 56,7 % en faveur du « non » pour le premier, 53,3 % lors du deuxième - montrait que la minorité des partisans du « oui » était loin d'être négligeable. Le « non » massif exprimé lors du troisième référendum l'a été par ailleurs dans les conditions de participation que nous connaissons. Ces trois référendums sont donc intervenus dans le cadre d'une société divisée. Ces résultats électoraux traduisent non seulement une scission territoriale, mais aussi une scission ethnique.

Ce dernier terme peut être employé ici, la Nouvelle-Calédonie constituant la seule partie du territoire de la République française où les statistiques ethniques sont autorisées.

Le destin commun peut toujours être affiché en étendard, ces difficultés n'en demeurent pas moins.

Le projet de partition présenté par Pierre Frogier a l'avantage de fournir des éléments à la discussion. J'ai pour ma part des réserves à son endroit, cette solution recelant, selon moi, plus de dangers que d'avantages.

Il faut garder à mon sens la boussole de l'universalisme, même si elle est un peu détraquée aujourd'hui. C'est pourquoi je privilégierais une méthode qui permette aux différents acteurs de travailler ensemble. Le projet que nous défendons depuis la Révolution française est le projet universaliste. Même si une forme d'impasse semble se présenter en Nouvelle-Calédonie, nous ne pouvons aller vers autre chose sans risquer de nous renier.

M. François-Noël Buffet , président . - Merci, monsieur le professeur, nul doute que nous aurons besoin à nouveau, à un autre moment, de vos lumières. Merci à tous.

Audition de MM. Mathias Chauchat, professeur des universités en droit public à l'université de la Nouvelle-Calédonie, Étienne Cornut,
professeur des universités en droit privé à l'université de Saint-Étienne, Jean Courtial, conseiller d'État honoraire, ancien chef de la mission
de réflexion sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie,
et Mme Géraldine Giraudeau, professeure des universités en droit public
à l'université de Perpignan

(Mercredi 8 juin 2022)

M. François-Noël Buffet , président . - La commission des lois du Sénat a décidé de créer en son sein une mission sur l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, composée de quatre rapporteurs : les questeurs Jean-Pierre Sueur et Philippe Bas, le président Hervé Marseille et moi-même.

Nous avons engagé une série d'auditions, dont celle-ci, pour laquelle nous accueillons Géraldine Giraudeau, professeure des universités en droit public international à l'université de Perpignan, Mathias Chauchat, professeur des universités en droit public à l'université de la Nouvelle-Calédonie, Étienne Cornut, professeur des universités en droit privé à l'université de Saint-Étienne et Jean Courtial, conseiller d'État honoraire et ancien président de la mission de réflexion sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, participe également à cette audition.

Mme Géraldine Giraudeau, professeure des universités en droit public international à l'université de Perpignan . - C'est un honneur pour moi de m'exprimer devant votre commission sur un sujet difficile et dont dépendent la paix et l'avenir des Calédoniens. J'espère pouvoir vous donner l'éclairage de mes spécialités, le droit international public et le droit comparé, sur trois aspects : le cadre juridique international applicable, les compétences internationales de la Nouvelle-Calédonie et ses compétences sur les espaces maritimes.

Quel est le cadre juridique international applicable ? L'accord de Nouméa prévoit explicitement que c'est le droit de la décolonisation. Sa pierre angulaire est le droit à l'autodétermination, consacré par la Charte des Nations Unies et par les résolutions 1514, 1541 et 2625 de l'Assemblée générale des Nations Unies. C'est un droit incontournable, essentiel, inaliénable dans le droit international, et il est consacré par notre Constitution.

En quelle mesure ce droit pourrait-il être explicité dans un nouveau statut ? Il reste applicable juridiquement même s'il n'est pas mentionné explicitement, mais on peut s'interroger sur la nécessité de le mentionner explicitement et de prévoir ses modalités d'exercice, notamment l'initiative de nouvelles consultations. Ce qui est certain, c'est que ce droit ne s'est pas éteint après la troisième consultation.

Il peut être intéressant d'aller voir ce qui se passe ailleurs. Le Pacifique est une région où la diversité des statuts territoriaux est de nature à montrer que beaucoup de variantes sont possibles entre l'autonomie et l'association d'États. On peut aussi s'intéresser aux cas des îles Féroé, du Groenland, des anciennes Antilles néerlandaises - à la suite de leur dissolution en 2010, Aruba, Curaçao et Sint Maarteen sont en effet des États associés aux Pays-Bas, mais avec le statut de pays constitutifs et non d'États souverains. Aruba s'était prononcée en faveur de l'indépendance, mais les autorités locales étaient revenues sur cette décision et la Constitution de l'île repousse désormais sine die la réalisation de cette indépendance. Le statut du Groenland, à son article 21, affirme son droit à l'autodétermination.

Les compétences internationales de la Nouvelle-Calédonie, quant à elles, sont explicitement consacrées par l'accord de Nouméa et la loi organique qui le retranscrit. Elles s'inscrivent dans une dynamique générale de décentralisation des compétences en relations internationales, que les États peuvent déléguer à des entités infra-étatiques. Ces compétences sont importantes pour que la Nouvelle-Calédonie puisse s'épanouir dans son environnement régional.

Aujourd'hui, les autorités de la République peuvent confier au président du gouvernement calédonien des pouvoirs pour signer des accords internationaux. Le congrès calédonien peut également autoriser le président du gouvernement à négocier un accord, à charge ensuite aux autorités de la République de lui donner les pouvoirs pour le signer.

La Nouvelle-Calédonie est membre d'organisations internationales comme le Forum des îles du Pacifique dont la Polynésie française est aussi membre à part entière depuis 2016 ; elle est, en même temps que la France, membre de la Communauté du Pacifique, organisation de coopération scientifique et technique, dont le siège est à Nouméa ; elle est enfin membre du Programme régional océanien de l'environnement.

La Nouvelle-Calédonie peut être représentée par des délégués, comme c'est le cas aujourd'hui au sein des ambassades de France en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Vanuatu et aux îles Fidji.

Les modalités d'exercice de ces compétences pourraient être éclaircies et précisées à la faveur de l'élaboration d'un nouveau statut. Il serait bon de préciser les distinctions entre droit d'initiative, droit à l'information, droit à la participation ainsi que la compétence pour conclure des traités - ce qu'on appelle le treaty-making power - qui pourrait être étendue par une délégation générale.

Même si c'est plus anecdotique, une perspective à ouvrir est la coopération entre différentes entités, comme celle qui existe entre le Groenland et les îles Féroé concernant la pêche.

L'exercice de la compétence sur les espaces maritimes, définie comme relevant de l'État par la convention de Montego Bay, présente des difficultés dans les territoires à statut particulier. La convention souffre de manques liés à sa date de signature et aux ambiguïtés sur la zone économique exclusive (ZEE) et sur le plateau continental, exacerbées dans le cas des territoires à statut particulier, d'autant plus que l'autonomie est forte.

Si l'article 22 de la loi organique attribue à la Nouvelle-Calédonie la compétence sur la ZEE, son article 21 est plus sibyllin sur le plateau continental. Celui-ci a bien été étendu à l'ouest de la Nouvelle-Calédonie, mais la demande d'extension à l'est de l'archipel est en attente, en raison du différend avec le Vanuatu relatif à la souveraineté sur les îles Matthew-et-Hunter.

La compétence de l'État sur le plateau continental en deçà des 200 milles marins a été interprétée en faveur de la Nouvelle-Calédonie. La montée des eaux peut avoir un impact sur les limites maritimes, par le recul de la laisse de basse mer et des points servant au tracé des lignes de base. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont été actives sur cette question, puisqu'elles sont signataires de plusieurs déclarations très importantes, comme celle du 6 août 2021 du Forum des îles du Pacifique, alors que la position de la France est plus discrète...

Dernière question en suspens : la protection des câbles sous-marins. L'ordonnance de 2016, qui clarifie certains aspects à ce propos, n'est en effet pas applicable à la Nouvelle-Calédonie.

M. Étienne Cornut, professeur des universités en droit privé et directeur du Centre de recherches critiques sur le droit à l'université de Saint-Étienne . - C'est un honneur autant qu'un plaisir pour moi de vous parler d'un territoire où j'ai vécu treize années de ma vie, au cours desquelles j'ai été amené à travailler sur des questions de transferts de compétences en droit privé - ma spécialité -, sur la question de la citoyenneté, qui aurait pu devenir une nationalité en cas d'indépendance, et sur la place de la coutume kanak au sein de l'ensemble calédonien.

Aujourd'hui, la Nouvelle-Calédonie exerce l'intégralité de la compétence normative sur le droit privé, à quelques exceptions près. Faut-il aller plus loin en l'étendant par exemple au droit pénal ? Signalons que l'article 27 de la loi organique prévoit des transferts facultatifs que le congrès doit demander, comme sur l'université, par exemple. La bonne question à se poser est : pour quoi faire ? En quoi serait-ce une plus-value pour le bien être des Calédoniens et la construction de ce que l'accord de Nouméa appelle le « destin commun ».

Autre question : celle de la répartition des compétences entre le congrès et les provinces calédoniennes. La Nouvelle-Calédonie connaît aujourd'hui trois codes de l'environnement, car ce sont les provinces qui sont compétentes en la matière. Cela me semble être d'une complexité extrême, alors que le changement climatique dépasse largement les enjeux territoriaux.

Les transferts de compétences impliquent de savoir à qui ce droit s'applique. C'est là que nous touchons à une problématique de ma spécialité, le droit international privé.

Depuis juillet 2013, la Nouvelle-Calédonie est compétente sur le droit civil, mais aujourd'hui, nous ne savons pas à qui ce droit s'applique : aux Calédoniens, aux résidents après une certaine période de présence sur l'île, aux métropolitains de passage ? Ces questions ne sont pas réglées. Si, en 2013, lorsque j'ai commencé à alerter sur ce problème, la question était théorique, car le droit calédonien et le droit métropolitain étaient identiques, on constate aujourd'hui des différences très profondes en raison de l'évolution importante du droit français.

Deuxième question, des plus brûlantes : que va devenir la citoyenneté calédonienne, qui est restreinte dans ses bénéficiaires comme dans les droits qu'elle confère ? Rappelons que son accès est gelé : moi, qui ai vécu treize ans sur l'île, je n'ai pas pu voter aux élections provinciales et encore moins aux référendums. Cette citoyenneté implique un droit de voter et d'être élu, et un seul droit social : la préférence pour l'emploi local. Cette notion doit être repensée. La mission de 2015 a recueilli l'avis de chacune des parties calédoniennes sur le sujet : toutes étaient d'accord pour la conserver, mais pour la refonder. Reste à savoir comment faire, notamment comment ouvrir le corps électoral.

La question du contenu de la citoyenneté se pose aussi. Il faudrait redéfinir non seulement qui en bénéficie, mais aussi ce que cela apporte, notamment en termes de droit civil. Cela pourrait devenir un critère pour appliquer le droit civil calédonien dont je parlais à l'instant. Il faudrait aussi définir les obligations qui s'y rapportent. Pour l'instant, il n'y en a pas. Ces obligations pourraient être d'ordre fiscal ou autres, comme des jours de citoyenneté par exemple.

Autre sujet : la place de la coutume kanak. Celle-ci est aujourd'hui reconnue notamment à travers des institutions, comme le Sénat coutumier - il donne un avis sur toutes les lois du pays touchant au domaine coutumier -, les conseils d'aire des huit aires coutumières, les clans et les chefferies. La justice la prend en compte en matière civile pour les 100 000 personnes de statut coutumier kanak, à qui on n'applique ni le droit métropolitain ni le droit calédonien.

Faut-il aller plus loin dans la reconnaissance de la place normative de la coutume ? La professeure Giraudeau a parlé du droit maritime. Les terres coutumières prises en compte juridiquement ne sont que des terres émergées, mais les Kanaks considèrent que leur statut ne s'arrête pas au rivage, qu'il concerne aussi des terres immergées. On pourrait aussi renforcer les institutions : aujourd'hui, le Sénat coutumier n'a aucun levier pour empêcher l'adoption d'une loi du pays qui porterait sur l'identité kanak. On pourrait imaginer, sinon un droit de veto, du moins un avis qui ne soit pas que consultatif dans tous les domaines de l'identité kanak, et pas seulement ceux définis comme tels par le congrès.

Le rôle des clans dans la justice pourrait aussi être renforcé. Aujourd'hui, les travaux d'intérêt général peuvent y être accomplis. Ne pourrait-on pas aller plus loin ? Les autorités coutumières jouent traditionnellement un rôle très fort de médiation. On pourrait leur donner plus officiellement des rôles de conciliation, de recours préalable - toutes ces procédures que la loi pour une justice du XXI e siècle de 2019 a placées à l'honneur.

M. Mathias Chauchat, professeur des universités en droit public à l'université de la Nouvelle-Calédonie . - Constatant que, lors de la deuxième consultation, les forces étaient équilibrées de part et d'autre, l'État aurait pu ouvrir un peu la porte en apportant des garanties en cas de victoire du « oui ». Au contraire, il s'est engagé dans la campagne du troisième référendum en réduisant le choix entre une indépendance de rupture à l'algérienne et la participation à la République, ce qui a conduit au boycott par les indépendantistes. À ce blocage, je vois quatre sorties possibles.

La première est le statu quo : on ne touche à rien et on applique le principe d'irréversibilité constitutionnelle. Ne rien faire, en Nouvelle-Calédonie, c'est souvent mieux qu'aller chercher les ennuis...

Deuxième sortie : le partenariat. Les consultations ne lient pas l'État français, qui pourrait construire un statut d'État associé comme cela existe partout dans le Pacifique, pour garantir une relation apaisée, durable avec la France. Des troubles en Nouvelle-Calédonie affecteraient en effet durablement nos relations avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les autres États insulaires du Pacifique.

Troisième sortie : une modification unilatérale de la Constitution et un référendum imposé - perspective qui est déjà qualifiée de « référendum Pons » par les indépendantistes. Ce n'est sans doute pas la voie à emprunter.

Quatrième sortie : on discute jusqu'à ce que les partenaires trouvent une solution politique.

Il n'y a pas d'autres sorties. Le problème, c'est que trois de ces voies nécessitent une modification de la Constitution.

L'accord de Nouméa, qui a été constitutionnalisé, dit bien à son point 5 que la sortie de l'accord nécessite une solution politique et insiste sur l'irréversibilité constitutionnelle : « Tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette “irréversibilité” étant constitutionnellement garantie. »

Cela ne peut s'interpréter que de cette façon : pour en sortir, il faudra modifier la Constitution pour déplacer la Nouvelle-Calédonie du titre XIII vers le titre XII, comme la Polynésie française. C'est un énorme caillou dans la chaussure.

Sur quoi porte l'irréversibilité de « l'organisation politique » de la Nouvelle-Calédonie ? Sur un corps électoral, un mode de scrutin, un nombre de sièges, le gouvernement collégial, la provincialisation, le rééquilibrage, l'autodétermination. Tous ces points sont expressément mentionnés à l'article 77 de la Constitution. Certes, on a vu le Conseil constitutionnel ne pas se montrer très respectueux des compétences de la Nouvelle-Calédonie... mais le risque juridique est bel et bien réel.

Localement, cette irréversibilité est interprétée par les indépendantistes comme le respect de la parole donnée, ce qui est essentiel dans la civilisation océanienne.

Lorsque Georges Lemoine avait conduit les discussions à Nainville-les-Roches, en 1983, bien avant les événements, l'idée générale avait été de reconnaître aux Kanaks leur droit à l'autodétermination, en contrepartie de quoi les autres se voyaient reconnu leur droit à rester. À Matignon en 1988, c'était la même chose, mais après les événements.

Les Kanaks ont toujours reconnu que la reconnaissance de leur droit à l'autodétermination était la condition du droit des autres - ici on dit « les Blancs » - à rester.

L'accord de Nouméa a permis la cohabitation du peuple kanak et des autres dans l'égalité de la citoyenneté, et c'est cela qui fonde le « destin commun », cette périphrase du peuple calédonien qui associe les deux peuples pour en faire un seul - ce qui n'exclut pas l'association avec la France.

Les métropolitains ont tendance à parler d'un « corps électoral restreint ». S'il est vécu comme tel par les métropolitains, les Kanaks y voient au contraire une ouverture généreuse ; ils considèrent en effet qu'ils sont le peuple colonisé et que l'utilisation par les autres de leur droit de vote pour empêcher l'autodétermination est une rupture du contrat social. Si l'on touche au corps électoral, on risque d'annuler toute la séquence. Ce qui meurt dans l'ouverture du corps électoral, c'est le peuple calédonien, qui disparaît pour ne laisser qu'une rupture entre les Kanaks et les Français.

Beaucoup de concessions ont été faites par les indépendantistes, notamment aux comités extraordinaires des signataires de 2015 et de 2016, à propos de la citoyenneté des natifs sans parent citoyen - ils ont le droit de vote. Les Kanaks - enfin, les indépendantistes kanaks, mais c'est la même chose à 97 % - ont convenu qu'il était absurde qu'ils ne soient pas citoyens et ont accepté que le haut-commissariat, en violation parfaite de la loi organique, les inscrive sur le corps électoral citoyen. En fait, on ne vérifie pas si la condition de l'existence d'un parent citoyen est remplie et les indépendantistes ne font pas de recours.

Sont donc citoyens les personnes nées dans le pays et qui y résident à 18 ans et ceux qui résident ailleurs, mais ont des parents citoyens. Les seuls exclus sont donc les métropolitains, les immigrants.

Difficulté supplémentaire : la France ne peut pas à la fois ouvrir le corps électoral et respecter le droit de la décolonisation. Une résolution des Nations Unies dispose ainsi qu'aucun pays ne doit favoriser l'immigration dans le but de modifier le résultat d'une autodétermination. Il faudra donc choisir : soit on ne respecte pas le droit international de la décolonisation, comme en Polynésie française, soit on n'ouvre pas le corps électoral, sauf sur la question des natifs - pour lesquels nous n'avons pas besoin de modifier la Constitution. Cette concession des indépendantistes a été considérée par les loyalistes comme très insuffisante, mais personne n'en a rien dit - bel exemple qui prouve que la Nouvelle-Calédonie est effectivement « le pays du non-dit »...

J'ai entendu tout ce qu'a dit Étienne Cornut sur la coutume. Je ne suis pas personnellement opposé à ce qu'on élargisse les droits coutumiers en matière de police administrative par exemple. Mais il faut se garder de ne pas l'élargir à tout : elle doit rester un statut civil. Attention à ne pas céder à l'idée de « développement séparé des races » ; même s'ils ne l'appellent pas comme cela, certains en Nouvelle-Calédonie ont un projet de société suivant le principe « chacun reste dans sa zone » : les Kanaks tiennent le monde rural, les Européens tiennent Nouméa et quelques communes du Sud. On serait loin alors du « destin commun dans un pays commun ». Il ne faut pas non plus céder à la tentation de jouer les coutumiers contre les indépendantistes, de diviser les Kanaks entre ceux qui veulent la coutume sans l'indépendance et ceux qui veulent l'indépendance sans la coutume.

Les discussions seront très difficiles. Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a dit qu'il n'engagerait des discussions qu'avec l'État français, considérant que ce dernier a fait campagne pour le « non » et que les autres ont répondu trois fois « non » à la question : voulez-vous être calédoniens et vivre dans un pays commun ? Il a tendance à vouloir leur dire : si votre pays c'est la France, que faites-vous ici ?

La modification de la Constitution est inévitable. Son absence serait vécue comme une rupture de parole par le FLNKS.

M. Jean Courtial, conseiller d'État honoraire, ancien chef de la mission de réflexion sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie . - Je vous remercie d'avoir accepté de décaler mon audition, même si la logique aurait voulu que je sois entendu en même temps que Ferdinand Mélin-Soucramanien. J'ai parcouru ce matin le document que nous avions produit : il me semble toujours d'actualité. Deux phrases me frappent en particulier dans l'accord de Nouméa : « Si la réponse est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. » ; « Tant que les consultations n'auront pas abouti, on continuera avec l'accord de Nouméa tel qu'il est, éventuellement indéfiniment. » On y est !

Le professeur Chauchat a indiqué la position des indépendantistes : ils voient dans le troisième référendum un mauvais geste et ils veulent parler à l'État. Cela implique certainement une phase intermédiaire avant la reprise des discussions entre les partenaires politiques calédoniens, pendant laquelle l'État doit prendre l'initiative.

Certains sujets majeurs n'ont pas été traités jusqu'à présent, et tant qu'ils ne le seront pas, on ne pourra pas déboucher sur une solution. Que signifie le « destin commun », horizon de l'accord de Nouméa ? C'est à la population calédonienne de le dire. L'État peut apporter toute son aide aux discussions, mais c'est aux partenaires de se déterminer.

La citoyenneté est un sujet brûlant, car elle évoluerait en nationalité en cas d'indépendance. Sujet plus mineur, les compétences qui n'ont pas été transférées. Si elles ne l'ont pas été, c'est que cela posait des difficultés politiques. Mais elles restent sur la table et peuvent constituer des axes de discussion.

La grande difficulté, c'est qu'en sortant d'un parcours normalisé, avec des étapes et des garanties, nous nous retrouvons comme en suspension. Bien sûr, nous pouvons continuer avec les institutions telles qu'elles sont. Mais ce qui était justifié, parce que provisoire, ne l'est peut-être plus, si c'est indéfini. Je ne parle pas du corps électoral ou du référendum, ni du droit à l'autodétermination, lequel, effectivement, ne s'éteint pas, mais du corps électoral pour les élections provinciales et le congrès. Ce qui était justifié par son caractère provisoire sur vingt ans devient beaucoup plus problématique sur le terrain politique et juridique.

L'urgence, c'est de rétablir le dialogue. Il faut une initiative de l'État pour que les réunions entre partenaires politiques prévues dans le document d'orientation se tiennent.

Il y a enfin une chose que l'expérience nous apprend : à chaque fois que l'on a envoyé une mission en Nouvelle-Calédonie parce que la situation était tendue, cela s'est bien passé. Tout n'a pas été résolu, mais cela a apporté la paix pendant un certain temps. Toutes les missions depuis 1988 jusqu'à la nôtre ont fortifié le dialogue. Seule différence : il faudrait, cette fois-ci, que la mission soit mixte, avec des membres désignés par le Gouvernement, mais aussi par les institutions calédoniennes. Cela préparerait les conditions du dialogue.

M. Philippe Bas , rapporteur . - Plusieurs d'entre vous ont signalé le caractère incontournable d'une révision constitutionnelle pour assurer durablement l'avenir de la Nouvelle-Calédonie et la coexistence entre les Calédoniens eux-mêmes.

Dans l'attente d'un accord à ce sujet entre les parties prenantes et avec le Gouvernement de la République, ce qui suppose un accord du Sénat puisqu'il y aurait révision constitutionnelle, il faudra que les élections, notamment provinciales, se tiennent et que les institutions de l'accord de Nouméa soient opérationnelles. Mais le corps électoral peut-il encore servir constitutionnellement pour ces élections ? Il n'avait de sens que parce que ces institutions étaient provisoires, dans le sens où - et je n'ose dire qu'il est restreint - il ne comporte pas tous les Français majeurs qui subissent l'administration des élus provinciaux...

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je voulais poser la même question concrète, qui attend effectivement une réponse avant les élections.

Madame Giraudeau, vous avez parlé des États associés. Autant cela me semble en accord avec la culture juridique des États que vous avez cités, autant cela me semble étranger à la nôtre. D'une certaine façon, cela suppose d'abord une indépendance, puis une coopération.

Monsieur Cornut a parlé des instances coutumières. J'ai eu beaucoup d'intérêt à les rencontrer. Je peux comprendre les propositions tendant à revaloriser le rôle de la coutume, mais j'ai plus de mal à voir comment les faire passer dans nos schémas républicains. Mais je manque peut-être d'imagination...

On pourrait imaginer un énième rapport sur le schéma idéal. Je crois que c'est vain. Les promoteurs de l'accord de Nouméa ont engagé un processus pour le moins baroque au départ. Mais pour que les gens se parlent, il fallait organiser trois référendums successifs, même si ce n'était pas évident.

Ne doit-on pas concevoir un nouveau processus ? Ne faut-il pas que réapparaisse dans le dispositif le mot « autodétermination » pour donner aux indépendantistes la garantie que ce principe résistera, pour que leur horizon ne se ferme pas ?

M. Stéphane Artano , président de la délégation sénatoriale aux outre-mer . - Hier, Ferdinand Mélin-Soucramanien a parlé de l'adhésion de la population calédonienne au nouveau cadre institutionnel. Mais les délais sont très serrés, avec un référendum qui devrait être organisé d'ici juin 2023. Comment, de votre point de vue de juristes, pensez-vous qu'on puisse associer la population, alors que les trois référendums ont marqué une rupture quasi ethnique entre deux communautés. Faut-il passer par les trois provinces, par les communes et leurs maires ? Comment est-ce possible juridiquement et politiquement ? Faut-il associer les institutions coutumières ?

M. Mathias Chauchat . - En ce qui concerne le corps électoral, question posée par Philippe Bas, il existe souvent une confusion, parfois entretenue d'ailleurs, entre les termes provisoire et transitoire. Je rappelle que la Constitution parle de « dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie » et que, dans la dernière phrase de l'accord de Nouméa, l'État français reconnaît la vocation de la Nouvelle-Calédonie à bénéficier, à la fin de la période, d'une pleine émancipation. Il s'agit donc bien d'une transition vers l'émancipation du pays. Les Kanaks considèrent que cette promesse leur a été faite par l'État français. Ils n'ont jamais considéré que le référendum conditionnait l'indépendance. Cette approche s'est un peu étiolée depuis la signature de l'accord. La France, qui n'a pas de culture de la décolonisation, a cru qu'elle pourrait faire comme dans les DOM-TOM et que cette idée serait oubliée, ce qui n'a évidemment pas été le cas.

En outre, il existe un principe général de permanence des textes : tant que la Constitution ou la loi organique n'est pas modifiée, ces textes continuent de s'appliquer. Les élections provinciales peuvent donc se tenir sans difficulté en 2024 avec le corps électoral actuel.

Pourquoi les loyalistes sont-ils si pressés ? C'est parce qu'à chaque élection ils reculent, que ce soit en raison de la démographie ou de leurs divisions, et que la majorité au congrès bascule doucement - je ne dis pas cela en tant que militant, c'est simplement la réalité. Les loyalistes ont déjà bénéficié d'un sursis grâce aux inscriptions frauduleuses sur les listes électorales. Tout le monde reconnaît ce phénomène, y compris au sein du comité des signataires. Je rappelle que c'est l'État qui procède à l'établissement des listes, mais que l'État de droit outre-mer est largement considéré comme étant de « très basse intensité »... En Nouvelle-Calédonie, les choses sont assez simples : quand on connaît l'ethnie des gens, on connaît leur vote ! Par conséquent, quand on inscrit quelqu'un, on sait que cela correspond à une voix indépendantiste ou à une voix loyaliste. Or on a constaté une bascule d'environ 7 000 personnes dans la citoyenneté, ce qui permet aux loyalistes de bénéficier de deux sièges supplémentaires au congrès. Sans cette bascule, la majorité aurait déjà été différente à l'avant-dernier mandat.

On le voit, l'urgence est politique, pas juridique, mais je veux vous dire que l'ouverture du corps électoral n'est pas compatible avec la paix civile. Si Eloi Machoro, militant de l'Union Calédonienne, a brisé une urne à Canala en 1984, c'est parce qu'il considérait que l'ouverture du corps électoral constituait une violation des droits fondamentaux. Je suis profondément convaincu que, si le Parlement décide de toucher au corps électoral, il ravivera les troubles en Nouvelle-Calédonie - ce n'est évidemment pas une menace, mais simplement ma conviction. Les Kanaks considèrent ce corps électoral comme le périmètre du peuple calédonien. Ouvrir le corps électoral revient à reconnaître que la France recolonise la Nouvelle-Calédonie, qu'elle fait venir des immigrants français pour rendre minoritaire le peuple kanak, alors même que nous sommes au bord de la bascule.

Comment voulez-vous que cela soit accepté ? Ce n'est pas possible ! Et il ne sert à rien de chercher tel ou tel argument dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, car nous nous situons dans le droit de la décolonisation et la résolution des Nations Unies demande aux États de mettre fin à l'immigration dans les pays en voie de décolonisation. Dans l'accord de Nouméa, le compromis s'est noué sur cette notion de citoyenneté : on n'arrête pas la libre circulation avec la métropole, on permet à des gens de venir en Nouvelle-Calédonie, mais en contrepartie ils ne votent pas. Mettre fin à cet équilibre reviendrait à casser le contrat social.

En ce qui concerne la question de Stéphane Artano, il me semble que la suggestion de Jean Courtial est la bonne. L'État se sent un peu isolé en Nouvelle-Calédonie, si bien qu'il cherche toujours à faire intervenir la soi-disant société civile, avec laquelle ses représentants forment une sorte de communauté intellectuelle, mais il s'agit principalement de métropolitains, de chefs d'entreprise, de bénéficiaires de la défiscalisation, etc. La consultation de la société civile est donc une mauvaise méthode ; elle est même prise comme une agression par les indépendantistes. Ce sont le congrès et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie qui devraient s'impliquer directement et institutionnellement dans les discussions.

Mme Géraldine Giraudeau . - L'association d'États est une terminologie qui recouvre des réalités différentes. Il existe dans le Pacifique plusieurs associations d'États souverains : les îles Cook et Niue sont des États associés à la Nouvelle-Zélande, les îles Marshall et la Micronésie sont associées aux États-Unis. La Common Law , largement répandue dans cette région, permet effectivement une souplesse dans les partenariats, mais rien n'interdit d'imaginer des associations d'États entre des entités qui ne relèveraient pas de cette culture juridique.

Le point commun entre les différentes formes d'associations d'États souverains est de laisser la conduite des relations internationales, de la défense et de la sécurité à l'État associé. Il existe donc très peu de différences en termes de compétences entre l'autonomie, lorsqu'elle est poussée, et l'association d'États souverains. La grande différence, c'est ce qu'on appelle en Nouvelle-Calédonie la « minute d'indépendance », c'est-à-dire le basculement vers la souveraineté : l'État qui s'associe peut se retirer à tout moment de l'association dans les conditions fixées au préalable.

Dans les anciennes Antilles néerlandaises, les termes « État associé » ont été utilisés, alors même qu'il s'agit d'un État unitaire. En fait, ce ne sont pas des États souverains, mais des pays constitutifs, et leurs relations avec les Pays-Bas sont organisées au sein d'une Charte.

En tout cas, le statut d'association offre des avantages certains.

En ce qui concerne le droit à l'autodétermination, l'accord de Nouméa pose utilement des jalons, mais il a peut-être donné l'impression d'enfermer ce droit et son exercice dans le temps. Rappeler que ce droit continue d'exister et que des portes sont ouvertes pourrait permettre de faciliter les discussions. On pourrait aussi envisager d'inscrire ce droit, voire ses modalités d'exercice, de façon beaucoup plus concrète. Cette porte de sortie ne doit pas être vue à mon sens comme un facteur d'instabilité ; je pense au contraire que lever la condition de temporalité peut permettre de diminuer les tensions. Le droit comparé montre qu'inclure de telles modalités ne rend pas les statuts plus instables - tous les États concernés adoptent régulièrement des ajustements selon les revendications locales et la situation.

L'exercice du droit à l'autodétermination est évidemment compliqué à mettre en oeuvre. Les représentants du peuple kanak ont accepté que les titulaires de ce droit ne recouvrent pas uniquement le peuple autochtone. Depuis la réinscription de la Nouvelle-Calédonie sur la liste des territoires non autonomes en 1986, l'Assemblée générale des Nations Unies a pris cela en compte, en évoquant le droit à l'autodétermination du peuple calédonien.

M. Jean Courtial . - En Nouvelle-Calédonie, il existe en fait deux corps électoraux spéciaux distincts.

En ce qui concerne celui des titulaires du droit à l'autodétermination, c'est-à-dire les personnes qui peuvent voter lors des référendums, nous nous situons dans le cadre du droit de la décolonisation et il n'existait pas véritablement, à l'époque où j'allais en Nouvelle-Calédonie, de débat sur ce sujet ni de revendication forte en vue de son élargissement.

Le problème est différent pour le corps électoral qui vote pour élire ses représentants dans les provinces et au congrès. Au sens du droit européen, le congrès est en effet un organe législatif. L'affaire a cependant été réglée en droit national, au moins provisoirement, par la réforme constitutionnelle de 2008. Bien sûr, une action en justice peut toujours être engagée et je ne sais pas ce qu'elle pourrait donner.

Il existe à l'évidence un très gros problème politique et celui-ci bloque peut-être aussi le transfert de l'une des compétences de l'article 27, à savoir le contrôle sur les administrations territoriales, en particulier le contrôle de légalité. Le corps électoral pour les élections provinciales et au congrès est quelque chose de tout à fait particulier et il pose un certain nombre de hiatus, par exemple si on devait l'étendre aux élections communales. Cela n'est peut-être pas insurmontable d'un point de vue juridique, mais pose des difficultés politiques, notamment au regard du principe d'universalité du suffrage.

Par ailleurs, dans le rapport que Ferdinand Mélin-Soucramanien et moi-même avons publié, nous soulignons le fait qu'il existe au fond peu de différences pratiques entre la situation d'États partenaires associés et celle d'une autonomie poussée. Reste cependant la force des symboles : le siège à l'ONU, le passeport, le nom du pays - nom que nous n'avons d'ailleurs pas su trouver pour la Nouvelle-Calédonie, alors que cela était prévu par l'accord de Nouméa -, etc. Ces symboles sont extrêmement puissants et on ne peut pas les négliger.

Je voudrais conclure par un exemple d'État partenaire qui nous concerne directement, ce qui peut surprendre : c'est Monaco ! Avec Monaco, on a tous les éléments d'un État partenaire et la Constitution monégasque fait même référence à l'accord avec la France. Bien sûr, nous sommes là très loin de la Nouvelle-Calédonie, mais c'est une source éventuelle d'inspiration.

M. Étienne Cornut . - Je suis du même avis que Mathias Chauchat et Jean Courtial sur la question de la citoyenneté : il est tout à fait possible d'organiser les élections provinciales de 2024, voire les suivantes, sur la base du corps électoral actuel. Cela a été dit, ce sont des dispositions transitoires, pas provisoires. On pourrait donc ne rien faire !

On peut cependant craindre que la Cour européenne des droits de l'homme ne maintienne pas son arrêt de 2005, si la situation devait durer trop longtemps, car elle évoquait dans ses motivations l'existence d'une période à peu près définie.

C'est un peu la même question pour les natifs : les natifs de Nouvelle-Calédonie qui n'ont aucun parent citoyen calédonien peuvent être inscrits sur la liste électorale pour les élections provinciales et au congrès. Certes, la Cour de cassation a admis en 2011 cette situation, mais elle n'en reste pas moins fragile. Une inscription dans la loi serait sans doute utile.

Nous devons distinguer clairement les deux notions : la citoyenneté calédonienne, qui permet de voter aux élections provinciales et au congrès, et la citoyenneté référendaire.

À mon avis, on ne peut pas revenir sur le caractère restreint de ces corps électoraux et ouvrir totalement le corps électoral à tout citoyen français posant le pied en Nouvelle-Calédonie. Ce serait un retour en arrière. On doit maintenir des restrictions, même s'il doit être possible de procéder à des ouvertures sous certaines conditions, en particulier de résidence. Il en est d'ailleurs ainsi dans le droit de la nationalité, qui mixe différentes conditions : droit du sol, droit du sang, naturalisation, mariage, etc. Ces voies doivent être explorées, mais nous devons garder à l'esprit la dimension profondément politique du sujet.

Je crois qu'il faut laisser comme horizon au peuple kanak le droit à l'autodétermination dans des conditions qui permettent effectivement à une telle décision d'être prise. Le droit à l'autodétermination doit s'appréhender du point de vue du peuple qui a été colonisé.

En ce qui concerne le droit coutumier, je crois qu'il faut élargir la prise en compte de la coutume kanak et redéfinir le rôle des autorités et institutions coutumières - les clans, les chefferies, le Sénat coutumier... Cela ne doit pas aller jusqu'à créer deux ordres séparés, si nous voulons avancer dans l'idée d'un « destin commun ». À une époque, le Sénat coutumier avait avancé l'idée de deux ordres séparés ; je ne crois pas que cette voie doive être suivie.

Pour autant, dans certains domaines, le droit coutumier devrait être mieux pris en compte - c'est déjà le cas en matière de droit de l'environnement. Il faudra cependant respecter les limites du champ républicain : par exemple, il ne s'agit pas, dans mon esprit, de donner aux autorités coutumières un pouvoir de sanction pénale. Je prends un exemple simple de cette prise en compte de la dimension coutumière : brûler une case kanak a un autre sens que brûler une maison en métropole, car cela porte atteinte à un symbole coutumier fort ; on pourrait donc envisager une circonstance aggravante dans le quantum des peines.

Enfin, il faut associer davantage les autorités coutumières aux processus de médiation et de conciliation.

Mme Géraldine Giraudeau . - Je rejoins ce que vient de dire Étienne Cornut. En Nouvelle-Zélande, le pluralisme juridique s'exprime clairement et les actes du Parlement néo-zélandais peuvent faire référence à des notions du monde maori, par exemple en ce qui concerne la notion de famille. Il faut bien sûr que les juristes soient formés en ce sens, mais il est possible de mieux prendre en compte le droit coutumier.

M. Mathias Chauchat . - Je souhaiterais poser une question à la commission : quel sera le corps électoral pour le référendum de juin 2023 ?

M. François-Noël Buffet , président . - L'idée de tenir un référendum en juin 2023 découle uniquement d'une déclaration du ministre des outre-mer de l'époque, Sébastien Lecornu. Cette déclaration d'intention n'engage personne et il n'existe pas de base juridique pour l'instant à ce sujet.

M. Philippe Folliot . - En ce qui concerne le droit coutumier, pensez-vous qu'il soit possible de prendre exemple sur certaines pratiques qui existent à Wallis-et-Futuna ?

M. Étienne Cornut . - La situation de Wallis-et-Futuna est très particulière. Il y a des rois, ce qui est très différent des chefs coutumiers de Nouvelle-Calédonie. La coutume est très présente dans ce territoire, elle est très encadrée et jalousement gardée par les chefferies royales. Je prends un exemple : la loi de 1961 conférant aux îles Wallis-et-Futuna le statut de territoire d'outre-mer prévoit la création d'une juridiction locale chargée d'appliquer le droit coutumier, mais elle n'a jamais été installée...

Audition de M. Alain Christnacht, conseiller d'État honoraire,
et de M. Jean-François Merle, conseiller d'État honoraire,
ancien conseiller technique chargé de l'outre-mer au cabinet du Premier ministre (Michel Rocard), co-auteurs du rapport de la mission d'écoute et de conseil sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie

(Mercredi 15 juin 2022)

M. François-Noël Buffet , président . - Nous poursuivons aujourd'hui notre cycle d'auditions dans le cadre de la mission d'information relative à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Nous avons engagé nos travaux immédiatement après le scrutin du 12 décembre 2021. La commission des lois a désigné quatre rapporteurs : Hervé Marseille, Jean-Pierre Sueur, Philippe Bas et moi-même. Nous nous rendrons en Nouvelle-Calédonie du 22 au 29 juin prochains.

Nous réfléchissons à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie à la suite des consultations d'autodétermination prévues par l'accord de Nouméa. De nouvelles discussions entre les parties sont prévues par le point 5 de l'accord de Nouméa. Je rappelle également que le précédent ministre des outre-mer avait annoncé un référendum dit « de projet » pour juin 2023.

Nous travaux sont complémentaires de ceux menés par le groupe de contact relatif à la Nouvelle-Calédonie créé il y a plusieurs mois par le président Larcher.

Dans ce cadre, nous souhaitons connaître votre vision de la situation institutionnelle actuelle et future de la Nouvelle-Calédonie.

Avant de vous céder la parole, je salue la présence de plusieurs de nos collègues ultramarins conviés en leur qualité de membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer du Sénat et en particulier de M. Stéphane Artano, président de la délégation.

M. Alain Christnacht, conseiller d'État honoraire . - J'ai participé, non à la discussion des accords de Matignon, mais, comme directeur de cabinet de Le Pensec, à ce qui a suivi : l'accord Oudinot, qui, au cours de l'été 1988, a mis en oeuvre les accords de Matignon, pour aboutir au projet de loi qui a été soumis à référendum.

La difficulté première de l'exercice, c'est la répartition de la population : au recensement de 2019, 41 % de personnes se sont déclarées kanaks, 24 % se sont déclarées européennes, les autres, métisses ou non, se déclarant calédoniennes par refus d'être assignées à une telle répartition.

L'espoir exprimé dès les accords de Matignon et renouvelé avec l'accord de Nouméa, c'était précisément de sortir d'un déterminisme ethnique opposant les Kanaks, pour l'indépendance, et tous les autres, contre.

Ainsi, en 1988, on avait prévu un référendum pour 1998. Mais, en 1991, Jacques Lafleur, leader des non-indépendantistes, a proposé d'y renoncer pour rechercher un accord consensuel. Cette proposition, à la fois très audacieuse et visionnaire - c'était la marque de fabrique de son auteur -, a fini par convaincre le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) et le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR). Dès lors, le Gouvernement lui-même a été convaincu.

On a bien avancé sur les voies d'un accord consensuel sous le gouvernement de M. Juppé, avant d'achopper sur la question du nickel. Le gouvernement de M. Jospin a résolu le préalable minier, puis a participé à l'accouchement de cet accord, qui, comme l'a dit M. Jospin à Nouméa lors de sa signature, s'inscrit dans les pas des accords de Matignon.

À cet égard, les corps électoraux distincts du corps électoral général ont toute leur importance. Il existe en effet un corps électoral restreint pour les élections provinciales et donc pour l'élection du Congrès.

Au départ, cette idée figure dans les accords de Matignon. En vertu du point n° 6 du texte n° 2, « les électeurs et les électrices de Nouvelle-Calédonie qui seront appelés à se prononcer sur ce projet de loi référendaire, ainsi que leurs descendants accédant à la majorité, constituent les populations intéressées à l'avenir du Territoire. Ils seront donc seuls à participer, jusqu'en 1998, aux scrutins qui détermineront cet avenir : scrutin pour les élections aux conseils de province et scrutin d'autodétermination ».

Cette disposition n'a pas été mise en oeuvre : lors de la discussion de l'accord Oudinot, elle a été jugée contraire aux principes constitutionnels. Toujours est-il qu'elle figurait explicitement dans les accords de Matignon.

Voilà pourquoi, lorsque la négociation de l'accord de Nouméa s'est engagée, le principe de restreindre le corps électoral pour les élections locales a été validé sans difficulté. Restait à savoir si ce corps électoral « glisserait » ou non : je ne reviens pas sur ce point, parfaitement connu de vous.

J'ajoute que la raison invoquée a toute son importance : il s'agit des scrutins qui sont qualifiés juridiquement comme ceux qui « détermineront » l'avenir du Territoire. Cette disposition est donc liée dès le départ à l'autodétermination. Ce point me paraît essentiel.

En 1998, cette restriction du corps électoral pour les élections provinciales a été liée à un nouveau concept : celui de citoyenneté, qui, lui, n'était pas directement lié à l'autodétermination. On estimait à ce titre qu'au-delà des délais légaux imposés au corps électoral national, un certain laps de temps était nécessaire pour comprendre les particularités calédoniennes.

Au terme des trois référendums, le pari initial - à savoir sortir à terme du clivage ethnique - n'a pas vraiment été tenu, même si, quand on analyse les motivations de vote, comme l'ont fait certains groupes d'universitaires, on constate la variété de motivations du vote indépendantiste, qu'il s'agisse du type d'indépendance, du lien avec la France ou, surtout, du corps de citoyens appelé à participer au nouvel État.

Les trois référendums ayant eu lieu, l'accord de Nouméa est révolu. Mais, juridiquement, la situation de l'accord de Nouméa est plus compliquée. Certains juristes soutiennent que les dispositions du titre XIII de la Constitution, fondements d'autres dispositions de la loi organique, ne peuvent disparaître de ce simple fait. À leurs yeux, il faut une révision constitutionnelle pour modifier ce titre ou le supprimer, afin que la Nouvelle-Calédonie rentre dans le droit commun de l'outre-mer.

Le Gouvernement avait sollicité le Conseil d'État sur ce point controversé, avant de retirer sa demande d'avis...

M. Philippe Bas , rapporteur . - Le projet d'avis était déjà rédigé ?

M. Alain Christnacht . - Les rapporteurs avaient été désignés et avaient eu de premiers échanges avec les commissaires du Gouvernement...

M. Philippe Bas , rapporteur . - Cela apporte une explication au retrait !

M. Alain Christnacht . - Évidemment, compte tenu de la date de sa remise, cet avis aurait pu interférer avec les débats électoraux.

On annonce à présent un référendum dit « de projet » que l'accord de Nouméa ne prévoyait bien sûr pas. On parle également d'un référendum institutionnel pour Mayotte.

Conscient de la situation, le précédent ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, avait en tête l'hypothèse d'une révision constitutionnelle pour soumettre un référendum de projet à un corps électoral restreint, qui ne serait peut-être pas celui de l'accord de Nouméa, mais qui ne serait pas en tout cas le corps électoral général. En effet, il ne sera pas facile de convaincre les indépendantistes, selon qui le troisième référendum n'a pas vraiment eu lieu, sinon juridiquement, du moins politiquement, de participer à une négociation portant sur le référendum « de projet » ; si ce référendum est présenté au corps électoral général, on se heurtera d'emblée à un blocage.

On revient donc à cette question : la fin de l'accord de Nouméa exige-t-elle une révision constitutionnelle explicite ? À titre d'exemple, le préambule de l'accord mentionnait le peuple kanak. Or la Constitution ne reconnaît pas de peuple corse ; elle ne reconnaît pas non plus de peuple kanak. Sans base constitutionnelle, le concept de peuple kanak disparaîtrait, alors même qu'il est maintenant admis par tous ; ce serait fâcheux.

Certains acquis des accords de Matignon et de Nouméa restent, cependant, bien ancrés dans la population. Je pense à l'institution provinciale, même si, bien sûr, on ne peut pas aller jusqu'à lui transférer tous les pouvoirs. Je pense à la notion de citoyenneté elle-même, à condition qu'il ne s'agisse pas d'un corps électoral totalement figé. À ce titre, les obstacles juridiques sont en partie solubles, même au plan conventionnel - je vous renvoie à l'arrêt Polacco et Garofalo c/ Italie de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) de 1997. De plus, même si la clef de répartition créée en 1988 et maintenue, l'idée de 1998 a un peu vieilli selon certains et l'idée de rééquilibrage reste présente.

Telle est, selon moi, la base sur laquelle il faut s'appuyer : un préambule, une charte des valeurs reconnaissant l'histoire, ses ombres et ses lumières, ainsi que le peuple kanak ; une certaine forme de citoyenneté ; et la nécessité d'un rééquilibrage pour mieux partager les fruits d'une économie très cyclique, car liée au nickel.

Le dernier point difficile de ces discussions, si elles peuvent s'engager, c'est l'exercice du droit à l'autodétermination.

En juin 2021, au cours de discussions auxquelles participaient certains indépendantistes, notamment ceux de l'Union calédonienne, le principe du droit à l'autodétermination a été rappelé. Bien sûr, le moment de son exercice posera difficulté. Il n'est pas envisageable de déclencher un quatrième, un cinquième référendum avec le seul tiers de voix que les indépendantistes détiennent nécessairement au Congrès.

Plus fondamentalement, beaucoup considèrent qu'il faut se garder de fixer de nouvelles dates pour l'autodétermination, même à horizon de quarante ans, notamment du fait des difficultés économiques du territoire. On peut imaginer des mécanismes d'autodétermination sans date fixe, ce qui ne serait évidemment pas sans difficulté.

J'y insiste, le sujet est lié à l'éventuelle restriction du corps électoral pour les élections provinciales : déconnectée du référendum d'autodétermination, une telle restriction n'est plus réellement justifiée.

Enfin, si l'on a proposé la date de 2023 pour le référendum de projet, c'est parce que le renouvellement du Congrès aura lieu en 2024. Il faudra décider au préalable la composition du corps électoral : on revient donc une nouvelle fois à la question constitutionnelle. Or le précédent gouvernement entendait bien qu'une révision constitutionnelle mette clairement fin à l'accord de Nouméa, donc au corps électoral très restreint et non glissant pour les élections provinciales et au Congrès, et pose les soubassements d'un autre corps électoral, applicable dès 2024.

M. Jean-François Merle, conseiller d'État honoraire . - Les accords de Matignon, qui constituent le compromis historique de départ, ont été conclus dans des circonstances dramatiques, moins de deux mois après l'affaire d'Ouvéa. L'opinion publique et monde politique avaient alors considéré qu'ils relevaient du miracle.

Le premier pilier de ces accords, c'est la reconnaissance de deux légitimités. Les indépendantistes avaient accepté que tous les électeurs présents sur le territoire en 1988 puissent voter au référendum prévu dix ans plus tard. C'était une avancée notable, par rapport aux discussions précédentes, menées sous l'égide du ministre Georges Lemoine à Nainville-les-Roches. À l'époque, les indépendantistes n'entendaient parler que des « victimes de l'histoire », concept que l'on peut comprendre intellectuellement, mais dont la définition juridique est tout de même difficile à établir.

On aurait tort de minimiser cette avancée, au regard du processus de décolonisation mené dans le cadre des textes de l'Organisation des Nations unies (ONU) postérieurs à 1960 : le fait qu'un peuple autochtone accepte de partager le droit à l'autodétermination n'a pas beaucoup d'équivalents, même si, en l'occurrence, c'est pragmatiquement la reconnaissance d'une réalité démographique.

Le second pilier des accords, c'est le fait que tout ne se décide pas à la majorité. Voilà pourquoi l'on y a introduit la notion de clef de répartition, pondérant la représentation de la province Nord et de la province des îles Loyauté au Congrès d'une manière un peu particulière.

Aujourd'hui, on entend parfois dire qu'en vertu de cette pondération le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, à majorité indépendantiste, et la présidence du Congrès, indépendantiste elle aussi, ne sont pas à l'image de la Nouvelle-Calédonie, qui, au moins lors de deux référendums sur trois, a voté pour le maintien dans la France.

Pour s'en tenir à l'analyse électorale stricto sensu , notons que la division du camp non-indépendantiste et l'unité du camp indépendantiste ont autant agi pour aboutir à ce résultat que la clef de répartition elle-même. Quoi qu'il en soit, ce point fait partie du compromis négocié à l'origine.

D'ailleurs, au sujet de la représentation politique de la Nouvelle-Calédonie, je rappelle un fait dont peu de gens s'émeuvent : depuis 1986, les deux députés du Territoire sont non-indépendantistes. Or, entre 1978 et 1986, il y avait un député indépendantiste et un député non indépendantiste, ce qui semble plus conforme à la réalité politique de la Nouvelle-Calédonie.

Quoi qu'il en soit, la question fondamentale est la suivante : peut-on remettre en cause l'un des termes de ces accords sans remettre en cause l'autre ? À l'époque, le président de la République avait estimé qu'un référendum national suffisait et qu'il ne fallait pas y ajouter une révision constitutionnelle, compte tenu des difficultés à faire aboutir celle envisagée précédemment.

On peut imaginer de revoir les clefs de répartition entre provinces, qu'il s'agisse des dotations de fonctionnement, des dotations d'investissement ou de l'attribution des sièges ; mais l'on ne peut pas procéder autrement que par la négociation. Agir de manière unilatérale, ou même passer par une décision majoritaire, ce serait implicitement remettre en cause la reconnaissance des deux légitimités par les accords de Matignon, sur laquelle repose aujourd'hui l'essentiel de la paix civile.

En parallèle, les exceptions constitutionnelles comptent parmi les points essentiels de l'accord de Nouméa, qu'il s'agisse des lois du pays, du corps électoral restreint ou encore de la préférence pour l'emploi local.

Or ces exceptions faisaient sens tant que l'on s'inscrivait dans un processus d'autodétermination. Pour le regretté Guy Carcassonne, le titre XIII de la Constitution était, en ce sens, la matrice de la Constitution d'un État en devenir : c'est ainsi qu'il justifiait les exceptions constitutionnelles héritées de l'accord de Nouméa.

Le problème, c'est que les Calédoniens en ont pris l'habitude. Aujourd'hui, les lois du pays paraissent tout à fait normales. Elles s'inscrivent dans le processus démocratique et, d'une certaine manière, fonctionnent assez bien. Le contrôle de constitutionnalité, tel qu'il s'est exercé, n'a rien mis au jour d'extravagant. Certains rapporteurs de la section de l'intérieur du Conseil d'État assurent même que, sur divers sujets, le gouvernement calédonien est sensiblement plus respectueux des avis du Conseil d'État que d'autres autorités.

J'en viens au corps électoral restreint pour les élections provinciales. Certes, le fait que 35 000 à 40 000 personnes soient exclues du vote du fait de leur date d'arrivée sur le territoire peut sembler saugrenu. Mais, lors de la mission sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, que le gouvernement de Manuel Valls nous avait confiée entre 2014 et 2016, nous n'avons pas rencontré de représentants des forces politiques proposant de revenir, pour les élections provinciales, au corps électoral général.

Parmi les candidats aux prochaines élections législatives, même le président de l'association Un coeur, Une voix, qui prétend fédérer les « exclus » du suffrage universel, ne défend pas une telle mesure. Ce qu'il propose, c'est que la durée d'exclusion soit la plus courte possible.

Toutes les forces politiques du territoire admettent le corps électoral restreint, pour différentes raisons.

La première est, sinon cynique, du moins purement politique ou pragmatique : même les non-indépendantistes en ont conscience, le fait de revenir au corps électoral général pour les élections provinciales serait un casus belli majeur avec les indépendantistes.

La deuxième est d'ordre culturel. Les Calédoniens installés de longue date n'ont pas envie de voir un électorat métropolitain fraîchement débarqué bousculer les équilibres politiques locaux. À cet égard, un phénomène est assez intéressant à observer : le taux de participation aux deux premiers référendums a été très élevé dans la population d'origine européenne, de même que pour le « non » au troisième référendum ; mais plus d'un tiers des électeurs qui se sont exprimés pour que la Nouvelle-Calédonie reste dans la France n'ont pas jugé utile de se déplacer pour élire le président de la République française. C'est révélateur d'un certain attachement à la France, d'une certaine insertion dans l'ensemble français.

La troisième, qui n'est pas négligeable, a trait à l'emploi local, dans le secteur privé comme dans la fonction publique. Beaucoup de Calédoniens sont attachés aux dispositions en vigueur : ils ne veulent pas voir leurs enfants coiffés au poteau après avoir accompli des études supérieures.

Si, à l'issue de trois référendums, on se contente de dire : « La Nouvelle-Calédonie, c'est la France », comment justifier le maintien, même atténué, encadré ou réduit, de ces trois exceptions à des principes généraux d'un point de vue constitutionnel ? Que direz-vous à Édouard Fritch quand il viendra demander les mêmes lois du pays pour la Polynésie française ? Aujourd'hui, les lois du pays en vigueur dans ce territoire sont purement cosmétiques - il s'agit en fait de dispositions réglementaires, baptisées ainsi pour complaire à son prédécesseur. Que direz-vous à Gilles Simeoni quand il viendra demander un corps électoral restreint pour un certain nombre de questions foncières ? Et je ne reviens pas sur la question de l'emploi local.

Nous sommes donc face à la quadrature du cercle. En supprimant ces acquis, l'on se dirige d'une manière ou d'une autre vers une crise politique majeure dont personne ne connaît l'issue. En les maintenant, même sous une forme aménagée ou réduite, l'on s'expose à des difficultés d'ordre politique et juridique assez importantes.

Voilà pourquoi il faudra nécessairement reconnaître à la Nouvelle-Calédonie un statut complètement spécifique dans l'ensemble juridique français, comprenant une part de souveraineté partagée. C'est d'ailleurs déjà assez largement le cas, même pour les compétences régaliennes. La reconnaissance de la coutume en matière juridique est un point tout à fait essentiel ; en vertu de la loi organique actuelle, le Haut-Commissaire informe le président du gouvernement des décisions qu'il prend en matière d'ordre public ; de même, on trouve des représentants de la Nouvelle-Calédonie dans les ambassades de France de la région.

Quant aux grandes difficultés, elles portent deux noms : taxonomie
- si l'on veut faire entrer la Nouvelle-Calédonie dans les cases existantes, on ne s'en sortira pas - et nominalisme : en Nouvelle-Calédonie, rien n'est plus piégé que les mots.

Les Calédoniens de tous bords ont instauré une forme de terrorisme du vocabulaire. Ainsi, en vertu des accords de Matignon, les provinces devaient constituer une organisation fédérale de la Nouvelle-Calédonie. Puis, lors de l'examen du projet de loi référendaire, les présidents Marceau Long et Michel Bernard avaient plaidé pour que l'on supprime cet adjectif, même si, la réalité, c'est bien une forme de fédéralisme interne ; et aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, la réalité, c'est une forme de fédéralisme externe. Reste qu'en utilisant ces mots on plombera d'avance la discussion : les catégories juridiques et la terminologie renverront à des préjugés ou à des a priori .

Enfin, j'ai lu dans les professions de foi de candidats de la majorité présidentielle aux élections législatives de 2022 la volonté d'aboutir à « un statut de consensus définitif dans la République française ». J'y vois un double oxymore. En effet, cette expression signifie qu'il n'y aurait plus d'indépendantistes en Nouvelle-Calédonie. La méthode australienne permet certes d'aboutir à ce résultat, mais personne en France n'y songe. De plus, pour qu'il y ait consensus, il faut reconnaître la situation actuelle telle qu'elle s'est construite. Elle est assortie d'un certain nombre d'exceptions ; elle n'est pas simple ; mais il faut concilier le maximum de garanties à la Nouvelle-Calédonie, de la part de la France, et le maximum de reconnaissance de la spécificité calédonienne.

M. Philippe Bas , rapporteur . - Je veux revenir sur le nouveau référendum envisagé voilà quelques mois par M. Lecornu. Quelles sont les données juridiques du problème ?

M. Alain Christnacht . - Il y a eu une réunion en juin 2021 autour de M. Lecornu, qui a été source d'ambiguïtés : il s'agissait de fixer la date du troisième référendum et d'envisager les différentes perspectives en fonction des résultats possibles. L'Union calédonienne (UC) a d'abord donné son accord sur la date, puis est revenue dessus.

M. Lecornu a envisagé les deux hypothèses : soit le oui à l'indépendance l'emportait et des négociations de mise en oeuvre devaient avoir lieu ; soit le non l'emportait et il fallait alors également entamer un cycle de négociations pour déterminer ce qui allait succéder aux accords de Paris et de Nouméa, sachant que rien n'était prévu dans lesdits accords.

L'accord de Nouméa a-t-il cessé d'exister ? Si oui, à quel moment ? Faut-il envisager une révision constitutionnelle ?

Avec ce référendum de projet tel qu'il a été évoqué, il me semble que l'on se situe dans l'hypothèse d'une fin de l'accord de Nouméa. On peut comprendre que celui-ci a pour objet de proposer un nouveau statut dans la République pour la Nouvelle-Calédonie.

Pour déterminer ce nouveau statut, une loi organique suffira, adoptée au besoin par référendum national. Je ne pense pas qu'une telle solution soit retenue. Néanmoins, ce statut aurait une légitimité plus forte s'il s'accompagnait d'une consultation locale de la population.

On peut aussi imaginer le même scénario que pour l'accord de Nouméa : consultation de la population locale, avec un corps électoral à définir, puis une révision constitutionnelle qui en prendrait acte. Seulement, à l'époque, il y avait un consensus politique local.

Autre solution envisageable : pas de révision constitutionnelle. À ce moment-là, peut-on organiser une consultation locale de la population sur une évolution institutionnelle ? Je sais que ce n'était pas possible pour la Corse. Peut-on se fonder sur l'article 72 de la Constitution alors que la Nouvelle-Calédonie n'en relève pas ?

À mon sens, si l'on envisage une consultation locale, celle-ci ne peut se faire qu'avec le corps électoral général, mais il m'apparaît impossible d'obtenir l'accord des indépendantistes sur ce point.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je pense que le génie de l'accord de Nouméa a été d'éviter la violence en embrayant sur un processus démocratique. Les trois référendums pouvaient apparaître baroques, mais cela a fonctionné jusque-là.

Pensez-vous qu'il soit possible d'arriver à une issue définitive ? Le statu quo ne serait-il pas préférable ? Il me semble difficile d'imaginer un nouveau référendum. Ne vaut-il pas mieux une ambition plus modeste ?

Je suis pour ma part sceptique sur l'idée qu'il y aurait un plan définitif à moyen ou long terme.

M. Jean-François Merle . - En politique, je me méfie toujours de l'emploi des termes « définitif » et « immédiatement ». La force des deux accords, celui de Paris et celui de Nouméa, a été de permettre au temps de faire son oeuvre. Il faut savoir que les positions ont évolué dans chacun des deux camps. Il en est ainsi du FLNKS sur la composition du corps électoral. J'accorde une vertu majeure à cette temporalité.

Du point de vue institutionnel, il n'est pas difficile de trouver un compromis sur la pérennité de l'accord de Nouméa. Cependant, la question du gel du corps électoral va se poser au regard de la jurisprudence de la CEDH et des pactes des Nations Unies relatifs aux droits civils et politiques. Le Congrès et les assemblées provinciales restent des éléments centraux du processus d'autodétermination. C'est la raison pour laquelle le gel du corps électoral leur a été étendu.

M. Alain Christnacht . - Pourquoi les indépendantistes vont-ils le rester ? J'y vois plusieurs raisons.

Tout d'abord, il y a eu une lutte armée, avec des morts ; donc, ils ne peuvent pas donner le sentiment de trahir la cause.

Ensuite, la crainte existe d'une submersion démographique, alors qu'en pratique, c'est l'inverse qui se produit.

Enfin, pour les Kanaks, il n'y a pas eu d'accord sur la décolonisation, donc il faut dénouer symboliquement la chose.

En fait, j'ai coutume de faire une analogie avec l'Irlande, où la situation paraît figée pour l'éternité entre deux camps irréconciliables, alors qu'une troisième voie semble faire son chemin dans les esprits.

D'où ma question : les indépendantistes sont-ils toujours indépendantistes ? Il faut savoir qu'il y a des contradictions dans chaque camp. À mon sens, il y a des marges de manoeuvre sur la ligne de l'autonomie et les indépendantistes sont prêts à conserver des liens forts avec la France.

Sur la base de la jurisprudence Polacco et Garofalo c/ Italie de la CEDH de 1997, qui excipe de la particularité linguistique du Trentin-Haut-Adige afin de justifier la condition de résidence de quatre ans pour avoir le droit de voter, il me semble de ce point de vue que la restriction du corps électoral en Nouvelle-Calédonie n'est pas illégitime.

M. Jean-François Merle . - Certains indépendantistes préfèrent rester indépendantistes qu'être indépendants, peut-on entendre en Nouvelle-Calédonie...

M. Alain Christnacht . - Il y a deux associations de maires en Nouvelle-Calédonie, dont l'une est indépendantiste. Ses représentants nous ont demandé comment allait se dérouler le contrôle de légalité par l'État en cas d'indépendance...

M. Stéphane Artano , président de la délégation sénatoriale aux outre-mer . - Les membres de la délégation aux outre-mer sont très attentifs aux perspectives d'évolution institutionnelle des territoires ultramarins, sujet sur lequel mon prédécesseur Michel Magras a proposé des pistes dans le cadre de son rapport sur la différenciation territoriale outre-mer de septembre 2020.

Depuis, la délégation a tenu plusieurs réunions sur le sujet. Nous organisons, le 29 juin, une réunion commune avec l'Association des juristes en droit des outre-mer (Ajdom), durant laquelle une séquence sera exclusivement consacrée au statut de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que l'a souhaité son président, Ferdinand Mélin-Soucramanien.

Le titre XIII de la Constitution relatif à la Nouvelle-Calédonie prévoit que ces dispositions sont transitoires. Aussi, ce cycle d'auditions nous semble particulièrement opportun pour préparer les débats, décisifs pour l'avenir de ce territoire, sur le meilleur cadre juridique constitutionnel possible.

Ma question est simple : trouvez-vous opportun de mettre en place une nouvelle mission d'écoute et de conseil, sur le modèle de celle dont vous étiez chargés et qui avait abouti aux accords de Matignon ? Comment mobiliser, selon vous, les forces constructives et de dialogue qui existent sur place ? Selon quelle méthode et avec quel calendrier, dans l'idéal ?

M. Alain Richard . - Pouvez-vous aller plus loin sur la contrainte juridique que font peser les textes des Nations Unies ? Pourquoi la Nouvelle-Calédonie entre-t-elle dans la liste des territoires à décoloniser, et pas la Guyane ? Quels sont les critères retenus par l'ONU ?

Pour moi, une révision constitutionnelle s'impose, car je crains qu'un incident ne conduise un juge à constater que les dispositions sont caduques et qu'il en faut d'autres.

M. Alain Christnacht . - Il y a deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui cheminent actuellement.

La première a été soulevée devant le tribunal administratif de Nouméa : elle porte sur le consentement à l'impôt s'agissant d'une personne qui n'est pas électrice du Congrès, lequel vote l'impôt. Le tribunal l'a refusée, mais un appel a été formé contre ce refus.

La seconde question, transmise à la Cour de cassation par le tribunal judiciaire de Nouméa, porte sur la non-inscription sur la liste électorale spéciale.

La mission qui nous avait été confiée était apparue légitime du fait de sa composition pluraliste. Je crains qu'il ne soit difficile de renouveler l'expérience, car il y aura une forme de lassitude. Il faudrait sans doute plus d'intervenants locaux ayant une expertise extérieure.

M. Jean-François Merle . - Je suis d'accord, ce genre de mission a atteint ses limites. À mon sens, il conviendrait d'inverser le processus en interrogeant la société calédonienne sur des sujets précis, les réponses apportées déterminant le cadre constitutionnel le plus approprié. Mais la solution ne pourra apparaître que si l'État dit vraiment ce qu'il veut pour la Nouvelle-Calédonie.

Selon les résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU de 1960, il y a trois manières de sortir de la colonisation : l'accession à l'indépendance ; l'association du territoire avec la puissance administrante ; le maintien du statut au sein de la puissance administrante. Les trois référendums en Nouvelle-Calédonie répondent juridiquement à ces exigences, mais pas politiquement. De toute façon, la France s'est engagée pour l'instant à ne pas demander que la Nouvelle-Calédonie soit retirée de la liste des pays à décoloniser.

Pour ce qui concerne la Guyane, la réponse est dans la Constitution et elle résulte d'une demande des forces politiques locales.

Lorsque le général de Gaulle a proposé la mise en place de la Communauté en 1958, il n'y avait pas d'États indépendants. Ce n'est qu'après l'indépendance du Mali et du Sénégal, en 1961, qu'une révision constitutionnelle a permis que la Communauté comprenne des États ayant accédé à l'indépendance.

M. Alain Christnacht . - Je rappelle que des observateurs de l'ONU ont supervisé les trois référendums. Ils ont pu attester de leur qualité.

M. Jean-François Merle . - Je conclurai avec ces mots d'Edgard Pisani, ancien ministre du général de Gaulle : « Il n'y a pas de présence française durable, paisible et utile dans la région du Pacifique Sud sans l'accord de tous. Il n'y a pas l'accord de tous si n'est pas accompli l'acte politique qui consacre la naissance d'une nouvelle souveraineté. [...] Voilà pourquoi l'indépendance ! Pourquoi la France ? Parce qu'elle avait un intérêt légitime à défendre ; parce que beaucoup de Calédoniens exigent qu'elle demeure ; parce que tous les Calédoniens le souhaitent ; parce qu'elle a accompli sur ce territoire une oeuvre sans doute imparfaite, mais utile, qu'elle doit prolonger. Aucun responsable de la République n'a considéré les choses autrement. »

M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Je vous remercie de votre participation.


* 1 Cette date et la formulation de la question ont été fixées, pour cette consultation, par le décret n° 2021-866 du 30 juin 2021 portant convocation des électeurs et organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. Il est consultable à l'adresse suivante : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/jorftext000043728098 .

* 2 Résultats officiels et définitifs de la troisième consultation référendaire du 12 décembre 2021, Haut-Commissariat de la République française en Nouvelle-Calédonie, 13 décembre 2021. Les résultats détaillés sont consultables à l'adresse suivante :
https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/content/download/9258/71413/file/R%C3%A9sultats%20d%C3%A9finitifs%20R%C3%A9f%C3%A9rendum%20NC%20du%2012%20d%C3%A9cembre%202021.pdf .

* 3 Déclaration au terme de la session d'échanges et de travail du 26 mai au 1 er juin 2021, p. 2. Celle-ci est consultable à l'adresse suivante :

declaration_au_terme_de_la_session_dechanges_et_de_travail_du_26_mai_au_01_juin_2021_autour_de_lavenir_institutionnel_de_la_nouvelle-caledonie.pdf (gouvernement.fr) .

* 4 « Nouvelle-Calédonie : réunion du Comité des signataires à Paris en septembre 2022 », communiqué de presse du ministère de l'intérieur et des outre-mer, 16 juillet 2022. Le communiqué de presse est consultable à l'adresse suivante :

https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques/nouvelle-caledonie-reunion-du-comite-des-signataires-a-paris-en-septembre .

* 5 Les partis indépendantistes membres du FLNKS ont dans leur ensemble affirmé, par voie de presse, leur refus de participer au comité des signataires organisé à Paris en septembre 2022.
« Le FLNKS ne participera pas à un Comité des signataires à Paris »,
Les Nouvelles Calédoniennes , 18 juillet 2022. L'article est consultable à l'adresse suivante : https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/politique/le-flnks-ne-participera-pas-a-un-comite-des-signataires-a-paris .

* 6 Discours prononcé au nom de M. Gérard Larcher, président du Sénat, à l'occasion de l'inauguration de la place de la Paix à Nouméa le 26 juin 2022.

* 7 Résultats définitifs de la première, deuxième et troisième consultation publiés par le Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie.

* 8 Décrets n° 2018-457 du 6 juin 2018, n° 2020-776 du 24 juin 2020 et n° 2021-866 du 30 juin 2021 portant convocation des électeurs et organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

* 9 Relevé de conclusions du XVIIe comité des signataires de l'accord de Nouméa, 27 mars 2018, Premier ministre. Le document est consultable à l'adresse suivante : https://documentation.outre-mer.gouv.fr/Record.htm?idlist=2&record=19137487124919556699 .

* 10 Le FLNKS a réuni son bureau politique le 6 octobre 2021 et pris la décision de demander le report du scrutin. Les déclarations sont consultables dans leur intégralité à l'adresse suivante : https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/référendum-2021-pourquoi-le-flnks-souhaite-le-report-de-la-troisieme-consultation-1122097.html.

* 11 Le 8 novembre 2021, les dirigeants des trois principaux partis politiques non-indépendantistes ont tenu une conférence de presse commune afin de demander à l'État de « sortir de l'ambigüité et [d'] affirmer que la date du troisième et dernier référendum de l'accord de Nouméa est maintenue au 12 décembre 2021 ». Outremer360, « des partis loyalistes prêts à « réagir » en cas de report du référendum », 8 novembre 2021, https://outremers360.com/bassin-pacifique-appli/nouvelle-caledonie-des-partis-loyalistes-prets-a-reagir-en-cas-de-report-du-référendum .

* 12 Annonce par le Haut-Commissaire de la République française en Nouvelle-Calédonie du 12 novembre 2021 dans la commune de Ponérihouen.

* 13 Communiqué de presse du Parti de la libération kanak (Palika) en date du 14 novembre 2021.

* 14 Déclaration de Paul Néaoutyine, signataire de l'accord de Nouméa et président de la Province Nord, membre du Palika, reprise par Le Figaro https://www.lefigaro.fr/politique/nouvelle-caledonie-le-maintien-du-référendum-est-une-declaration-de-guerre-selon-des-independantistes-20211114 .

* 15 « Après le maintien du troisième référendum au 12 décembre, la Nouvelle-calédonie dans l'impasse, Le Monde, 13 novembre 2021, https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/11/13/apres-le-maintien-du-troisieme-référendum-au-12-decembre-la-nouvelle-caledonie-dans-l-impasse_6101941_823448.html .

* 16 Conseil d'État, 10 novembre 2021, req. n° 456139.

* 17 Conseil d'État, 3 juin 2022, req. n° s 459711, 459753.

* 18 Déclarations de Roch Wamytan du 12 décembre 2021 sur la chaine télévisée Outre-mer La 1 ère : https://la1ere.francetvinfo.fr/roch-wamytan-president-du-congres-caledonien-la-nouvelle-caledonie-conserve-sa-vocation-a-etre-independante-1179130.html .

* 19 Communiqué de presse du Rassemblement, 13 décembre 2021. Il est également consultable à l'adresse suivante :

https://drive.google.com/file/d/10Ry0c7ctWot0iFmCpTLmDQruOC0Y5A1K/view .

* 20 Lequel s'intitule : « Dispositions transitoires à la Nouvelle-Calédonie ».

* 21 Conseil constitutionnel, décision n°99-410 DC du 15 mars 1999 sur la loi organique du 19 mars 1999.

* 22 Cour EDH, 11 janvier 2005, Py c. France, req. n° 66289/01.

* 23 Audition par la commission des lois dont le compte rendu est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220606/lois.html.

* 24 Audition par la commission des lois du Sénat le 7 juin 2022, le compte rendu est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220613/lois.html#toc5 .

* 25 Sylvain Brouard et Samuel Gorohouna, « Comportements référendaires en Nouvelle-Calédonie : Régularités et changements lors des scrutins des 4 novembre 2018 et 4 octobre 2020 », Cahiers du LARJE, n° 2021-2, décembre 2021. L'article est consultable à l'adresse suivante : https://larje.unc.nc/wp-content/uploads/sites/2/2021/12/2021-2-S-Gorouhan-et-S-Brouard-B.pdf .

* 26 Opcit, p. 11.

* 27 Réactions recueillies par NC la 1 ère , « les loyalistes se félicitent de la victoire du non et les indépendantistes restent discrets mais contestent le scrutin », 13 décembre 2021. L'article est consultable à l'adresse suivante : https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/référendum-les-loyalistes-se-felicitent-de-la-victoire-du-non-les-independantistes-restent-discrets-mais-contestent-le-scrutin-1179166.html

* 28 Note transmise par Sylvain Brouard, chercheur au CEVIPOF de Sciences Po, « Élections présidentielle 2022 : comportements électoraux en Nouvelle-Calédonie ».

* 29 Sylvain Brouard, « Analyse des évolutions des attitudes éléctorales en Nouvelle-Calédonie, septembre 2020 - mars 2021 ». Note consultable à l'adresse suivante : https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/content/download/8084/62345/file/Analyse%20longitudinale%20CEVIPOF.pdf .

* 30 La démarche d'écoute profonde, étude menée à la demande du ministère des outre-mer, mai 2021. Les résultats sont disponibles à l'adresse suivante : https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/Publications/Contributions-a-la-consultation-de-la-societe-civile-sur-l-avenir-institutionnel/La-demarche-d-ecoute-profonde .

* 31 Déclaration de M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer, sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, à Paris le 2 juin 2021. Elle est accessible dans son intégralité à l'adresse suivante : https://www.vie-publique.fr/discours/280324-sebastien-lecornu-02062021-nouvelle-caledonie .

* 32 Opcit, p. 1 et 2.

* 33 Communiqué de l'Union Calédonienne, 11 juillet 2022, consultable à l'adresse suivante : https://drive.google.com/file/u/1/d/1SEl7vqscGnA4M-TFM7L98KN6kogdbGlh/view .

* 34 « Nouvelle-Calédonie : réunion du Comité des signataires à Paris en septembre 2022 », communiqué de presse du ministère de l'intérieur et des outre-mer, 16 juillet 2022.
Le communiqué de presse est consultable à l'adresse suivante :
https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques/nouvelle-caledonie-reunion-du-comite-des-signataires-a-paris-en-septembre .

* 35 Les partis indépendantistes membres du FLNKS ont dans leur ensemble affirmé, par voie de presse, leur refus de participer au comité des signataires organisé à Paris en septembre 2022.
« Le FLNKS ne participera pas à un Comité des signataires à Paris »,
Les Nouvelles Calédoniennes , 18 juillet 2022. L'article est consultable à l'adresse suivante : https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/politique/le-flnks-ne-participera-pas-a-un-comite-des-signataires-a-paris .

* 36 Ibid .

* 37 « Le FLNKS n'ira pa Comité des signataires et prépare ses bilatérales », NC la 1 ère , https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/le-flnks-n-ira-pas-au-comite-des-signataires-et-prepare-ses-bilaterales-1306608.html .

* 38 « Je serai là, que ça fasse plaisir ou non à certains », interview de Sonia Backès publiée le 11 juillet 2022 dans Les Nouvelles Calédoniennes.

* 39 Un comité des signataires de l'accord de Nouméa probablement en septembre, Outremer360, 8 juillet 2022, https://outremers360.com/bassin-pacifique-appli/nouvelle-caledonie-un-comite-des-signataires-de-laccord-de-noumea-probablement-en-septembre

* 40 Déclarations de Virginie Ruffenach sur la chaine télévisée NC la 1 ère le 11 juillet 2022. https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/nomination-de-sonia-backes-presidence-du-congres-bilan-electoral-ce-qu-on-peut-retenir-de-l-entretien-de-virginie-ruffenach-vice-presidente-du-rassemblement-les-republicains-et-presidente-du-groupe-avenir-en-confiance-au-congres-1302784.html

* 41 Lettre ouverte du congrès des jeunes de Nouvelle-Calédonie sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, adressée aux apporteurs, 18 juillet 2022.

* 42 « LE FLNKS prêt à discuter avec la mission d'information parlementaire », NC la 1 ère , 23 juin 2022, https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/le-flnks-pret-a-discuter-avec-la-mission-d-information-parlementaire-1297388.html .

* 43 Conférence de presse du Palika à l'issue de son assemblée générale, le 29 juin 2022.

* 44 Voeu relatif à l'ouverture du dialogue entre les parties prenantes pour préparer le processus de sortie de l'Accord de Nouméa, Assemblée de la province des îles Loyauté, 6 juillet 2022.
Le voeu est consultable à l'adresse suivante :
https://drive.google.com/file/d/1eghEFst4KT4Otbzo85B1m3d7BBm1iX8Z/view .

* 45 Interview de Jacques Lalié, Les Nouvelles Calédoniennes, 12 juillet 2022, https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/politique/jacques-lalie-le-voeu-ne-remet-pas-en-cause-la-strategie-du-flnks .

* 46 https://www.lnc.nc/article-direct/nouvelle-caledonie/politique/comite-des-signataires-les-loyalistes-de-ensemble-satisfaits-de-la-reprise-du-dialogue

* 47 Voeu relatif à de l'ouverture du dialogue entre les partenaires locaux pour préparer le processus de la fin de l'Accord de Nouméa, Groupe l'Avenir en Confiance du congrès de Nouvelle-Calédonie, déposé le 13 juillet 2022. Il est consultable à l'adresse suivante : https://drive.google.com/file/d/12Xi6zc1KhJIE_lcak_WIiBywRg449kmb/view .

* 48 « Depuis Boulouparis, le sénateur Pierre Frogier lance un appel à l'apaisement et au dialogue », NC la 1 ère , 2 décembre 2021.

* 49 Audition par la commission des lois dont le compte rendu est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220606/lois.html.

* 50 Interview télévisée de Christopher Gygès, NC la 1 ère , 17 juillet 2022. https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/transition-energetique-comite-des-signataires-dialogue-et-chute-envisagee-du-gouvernement-mapou-ce-qu-on-peut-retenir-de-l-entretien-de-christopher-gyges-membre-du-gouvernement-et-porte-parole-d-ensemble-1305032.html.

* 51 Publication sur la page Facebook de la confédération Ensemble ! Nouvelle-Calédonie le 18 juillet 2022.

* 52 Op. cit , p. 25.

* 53 Voir p. 19.

* 54 Interview télévisée de Louis Mapou, NC la 1 ère , 8 juillet 2022. https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/pret-afd-pouvoir-d-achat-sante-avenir-institutionnel-louis-mapou-president-du-gouvernement-invite-de-la-matinale-1301924.html .

* 55 Tribune de Jean-François Merle, « Nouvelle-Calédonie : « La nomination au gouvernement d'une élue non indépendantiste ne répond pas à l'exigence d'impartialité de l'Etat », Le Monde, 9 juillet 2022, https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/09/nouvelle-caledonie-la-nomination-au-gouvernement-d-une-elue-non-independantiste-ne-repond-pas-a-l-exigence-d-impartialite-de-l-etat_6134059_3232.html .

* 56 Réactions recueillies par NC la 1 ère , le 13 décembre 2022. https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/maintien-du-référendum-reaction-rapide-du-camp-loyaliste-1152445.html .

* 57 Communiqué de l'Union-Calédonienne, op. cit, p. 22.

* 58 Tribune de Jean-François Merle, « Nouvelle-Calédonie : « La nomination au gouvernement d'une élue non indépendantiste ne répond pas à l'exigence d'impartialité de l'Etat », Le Monde, 9 juillet 2022, https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/09/nouvelle-caledonie-la-nomination-au-gouvernement-d-une-elue-non-independantiste-ne-repond-pas-a-l-exigence-d-impartialite-de-l-etat_6134059_3232.html .

* 59 Ces consultations ont été publiées sur le site internet du Haut-Commissariat de la République française en Nouvelle-Calédonie.

* 60 Pour plus de précisions, voir encadré p. 19

* 61 Audition par la commission des lois dont le compte rendu est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220606/lois.html .

* 62 Ce document est consultable à l'adresse suivante : https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/content/download/7875/61358/file/Contribution%20NC%20eco.pdf .

* 63 Comme indiqué précédemment, l'ensemble des contributions transmises à l'occasion de ces consultations sont disponibles sur le site du Haut-Commissariat de la République française en Nouvelle-Calédonie.

* 64 https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/content/download/8086/62359/file/Contribution%20asso%20AFM%20NC.pdf

* 65 Communiqué de presse de Gérard Larcher, Référendum en Nouvelle-Calédonie, 12 décembre 2021. Le communiqué est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/presse/cp20211212.html .

* 66 Audition par la commission des lois dont le compte rendu est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220606/lois.html .

* 67 Loi constitutionnelle n°98-610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie.

* 68 Pour plus de précisions, voir : Décret n°98-733 du 20 août 1998 portant organisation de la consultation des populations de la Nouvelle-Calédonie prévue par l'article 76 de la Constitution ( https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000756754/ ), et Décrets n° 2018-457 du 6 juin 2018, n° 2020-776 du 24 juin 2020 et n° 2021-866 du 30 juin 2021 portant convocation des électeurs et organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie ( https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037019230 , https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042032902 , https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/jorftext000043728098 ) .

* 69 Conseil Constitutionnel, décision DC n° 2000-428 du 4 mai 2000, loi organisant une consultation de la population de Mayotte.

* 70 Audition par la commission des lois dont le compte rendu est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220606/lois.html .

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