B. LES RELATIONS AVEC LES NON-CHASSEURS

Pour la mission, le deuxième volet de la sécurité pendant la chasse est d'améliorer l'information et les relations avec les autres usagers présents dans la nature.

1. Déclaration des chasses collectives à tir au grand gibier

L'un des principaux problèmes est l'absence d'une information correcte des non-chasseurs et des élus sur les zones chassées.

a) La pose de panneaux, une obligation utile, mais insuffisante

Aujourd'hui, en cas de chasse collective à tir au grand gibier, les chasseurs ont l'obligation de disposer des panneaux le jour même de la chasse sur les routes et chemins publics aux abords de la zone chassée pour avertir passants et automobilistes. Ces panneaux doivent être posés impérativement avant le début de l'action de chasse.

Toutefois, cette information se révèle difficilement compréhensible, incomplète et insuffisante .

En effet, l'indication d'un « tir à balles » ou d'une « chasse en cours » inquiète sans indiquer clairement l'attitude à adopter pour le non-chasseur . Lors de son audition, Mila Sanchez a donné l'exemple d'un tel panneau posé sur une voie rapide dans les Yvelines. Quelle attitude doivent adopter les automobilistes ? Il n'est pas si évident qu'il est attendu d'eux une plus grande vigilance dans le cas où un animal en fuite s'engagerait sur la chaussée, ce panneau ayant la même portée que celui posé sur les autoroutes et indiquant le passage possible d'animaux sauvages.

En forêt, pour un vététiste ou un randonneur, ce panneau ne vaut pas interdiction et c'est toute son ambiguïté source d'incompréhension . La responsabilité d'assurer la sécurité reste donc à la charge des chasseurs.

Cette information est en outre incomplète, car il faut se trouver confronté aux panneaux pour être averti d'une chasse en cours. Dans ce cas, comment faire ? Les élus ou la gendarmerie nationale ne sont pas non plus informés. C'est problématique si un événement sportif est par exemple organisé.

Enfin, l'information est insuffisante, car des promeneurs peuvent se trouver piégés par le déclenchement d'une chasse s'ils ont pénétré dans la zone avant son déclenchement et avant la pose des panneaux . C'est typiquement le cas s'ils sont partis à la journée alors que la chasse débute l'après-midi.

Ceci étant, dans certaines zones où la chasse est très limitée en raison de la fréquentation, comme dans certaines forêts domaniales ou certaines zones en Haute-Savoie, des panneaux d'information permanents sont installés sur les parkings et les départs de sentiers pour indiquer les jours de chasse programmés. 2 200 panneaux de ce type ont été installés dans ce département.

b) Pour une obligation de déclaration préalable des battues au grand gibier

C'est pourquoi la mission souhaite que la déclaration des battues soit rendue obligatoire dès lors qu'elles ont une conséquence sur le domaine public, c'est-à-dire qu'elles se traduisent par la pose de panneaux sur des chemins ou voies ouverts à la circulation du public . Il semble que c'est déjà le cas en Moselle depuis 1996 où, sauf exception, toute chasse collective doit être déclarée en mairie et à l'ONF au moins 7 jours avant.

Des chasseurs ont objecté à la mission que les chasses pouvaient être déclenchées sur faible préavis et la zone décidée en fonction de la détection des animaux le matin même.

Cette contrainte n'est pas insurmontable au regard des moyens aujourd'hui disponibles et d'ores et déjà mis en oeuvre dans certaines fédérations de chasseurs .

Plusieurs applications sur téléphone portable ont été présentées à la mission par leurs concepteurs. Il n'est pas dans son rôle de faire la promotion de l'une ou de l'autre, mais toutes permettent à un organisateur de déclarer une battue sur une zone donnée en moins de cinq minutes . Rien ne l'empêche d'ailleurs de déclarer une zone plus large au préalable et de la restreindre au vu des traces ou volcelets du gibier.

L'ONF a mis en place un tel dispositif en Île-de-France dans les forêts de Fontainebleau et de Sénart. Plusieurs fédérations, en Seine-et-Marne, Savoie, Haute-Savoie et Isère notamment, ont également imposé ces déclarations de battues. En Haute-Savoie, le dispositif est en place depuis 2016. L'application a fait l'objet de 25 000 téléchargements et 80 000 connexions. Les retours sont très positifs. Ces fédérations n'ont pas été confrontées à des actes anti-chasse notamment parce que ces applications ne permettent que la visibilité d'un secteur de quelques dizaines de kilomètres autour de soi. En Moselle, le SDGC prévoit le développement de déclarations de battues via son site internet.

Il est également à noter que les louvetiers, pour leurs opérations de destruction, procèdent à la déclaration de leurs opérations sur le site « Mission louveterie », même si celle-ci, destinée aux seules autorités (maires, DDTM, gendarmerie, OFB), n'a pas vocation à être publique.

Plus globalement, depuis l'automne 2021, l'ONF met à disposition en open-data les calendriers de chasse dans ses 3 300 lots qui peuvent être aspirés et réinjectés dans des applications de chasse ou de randonnées.

Pour la mission, cette obligation doit être générale et ne pas se limiter aux domaines publics . Seules les chasses privées ne touchant aucune voie publique en seraient dispensées. En effet, dès lors qu'une chasse sur le domaine privé impacte une voie publique, elle n'est plus une affaire strictement privée puisqu'elle a des implications en matière de sécurité publique .

Il n'y a pas là d'atteinte inacceptable au droit de propriété ou à la liberté individuelle.

c) Vulgariser les arrêtés d'interdiction d'accès à la zone chassée

Logiquement, cette obligation faite aux chasseurs doit conduire les maires ou l'autorité compétente à prendre un arrêté interdisant l'accès à la zone chassée à chaque fois que cela se justifie et si le préavis est suffisant.

Comme cela a été indiqué, c'est d'ores et déjà le cas dans certaines forêts domaniales en Île-de-France où l'accès aux zones de chasse est interdit les quelques jours de l'année où, en semaine, des chasses à tir collectives au grand gibier ont lieu. C'est une mesure de sécurité au regard de la fréquentation importante de ces espaces. Les calendriers de chasse étant connus dès le début de la saison, leur mise en oeuvre juridique ainsi que l'information des autres usagers peuvent s'effectuer aisément. À cette interdiction s'ajoute souvent en Île-de-France, selon les témoignages de la FICIF et de la FDC 77, des chasseurs d'astreinte qui restent en forêt aux entrées de la chasse pour informer et dialoguer avec le public. À ce sujet, en Suisse, certains chasseurs sont formés à la médiation.

En Moselle, la FDC a prévu de diffuser une fiche juridique et pratique auprès des maires, notamment lorsque des actions de chasse ont lieu dans des zones de forte fréquentation (tourisme, parcours de santé, proximité d'habitations ou de zones d'activité).

La mission a également reçu le témoignage de maires qui peuvent prendre ce type d'arrêtés ponctuels s'ils sont prévenus en amont de l'organisation d'une battue.

Ces arrêtés ont pour but d'assurer la sécurité et évitent le caractère ambigu des panneaux d'information qui ne valent pas interdiction .

Bien entendu, cette obligation de déclaration préalable et ces possibles arrêtés impliquent un dialogue et une coordination, car ils ne doivent pas conduire, dans un massif donné, à bloquer l'accès des autres usagers par la succession des jours chassés dans des lots ou propriétés différentes (cf. Partie III).

Proposition n° 19 : Rendre obligatoire la déclaration préalable des chasses collectives à tir au grand gibier et favoriser la prise d'arrêtés interdisant l'accès aux zones de chasse lorsque les conditions de sécurité le justifient.

Rendre ces données disponibles en open data pour permettre aux différentes applications de les utiliser comme le fait déjà l'ONF.

2. La création d'un délit d'entrave en contrepartie de l'obligation renforcée de transparence
a) Les entraves à la chasse, une réalité insuffisamment réprimée

Un équilibre doit cependant être maintenu. Des mots mêmes du président de la fédération nationale des chasseurs, « il suffit de géolocaliser les chasses pour se retrouver avec un comité d'accueil » 43 ( * ) . Si les chasseurs doivent déclarer les chasses collectives à tir au grand gibier, cela ne saurait conduire à un développement des actes visant à empêcher la conduite de ces activités légales . L'entrave à la chasse, définie comme « le fait, par des actes d'obstruction concertés, d'empêcher le déroulement d'un ou plusieurs actes de chasse » est aujourd'hui sanctionnée par une contravention de la cinquième classe, soit 1 500 euros 44 ( * ) . Cette disposition est cependant peu appliquée puisque les condamnations prononcées sur cette base se comptent sur les doigts d'une main, et ce alors que les actes d'entrave aux activités cynégétiques se multiplient.

Les actes d'entrave à la chasse peuvent prendre plusieurs formes . Il peut s'agir du positionnement de militants sur le trajet des chasseurs pour entraver leurs actions, de poursuite des chasseurs pour prendre des photos ou des vidéos en particulier en fin de chasse, de capture des chiens égarés, d'actes de vandalisme sur les infrastructures nécessaires à la chasse comme les miradors ou les huttes, comme cela a déjà été évoqué.

b) Des initiatives parlementaires ont déjà été prises

C'est la raison pour laquelle le Sénat avait, lors de la discussion de la loi du 24 juillet 2019, adopté un amendement de Jean-Noël Cardoux visant à transformer en délit le fait de s'opposer à un acte de chasse. Cet amendement n'a pas été retenu dans le texte finalement adopté par le Parlement, car d'autres activités légalement exercées subissent un phénomène d'entrave et qu'une disposition plus générale était davantage pertinente.

C'est donc par le biais d'une proposition de loi que le sujet est revenu sur le devant de la scène, le Sénat adoptant le 1 er octobre 2019 une proposition de loi punissant d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 5 000 euros d'amende les actes d'obstruction ayant pour effet d'empêcher le déroulement d'activités sportives ou de loisir exercées dans un cadre légal , ce qui inclut les actes de chasse 45 ( * ) .

Si cette proposition de loi n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l' Assemblée nationale , elle a conduit la chambre basse à se pencher sur le sujet en réalisant un rapport d'information , publié le 27 janvier 2021, sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l'exercice de certaines activités légales 46 ( * ) . Les auteurs du rapport, Martine Leguille-Balloy et Alain Perea, concluaient alors que de nouveaux outils étaient nécessaires pour améliorer la lutte contre les entraves .

c) La reconnaissance du délit d'entrave, une mesure nécessaire pour rendre obligatoire la déclaration des battues au grand gibier

La mission considère que, si la liberté d'expression est un droit constitutionnel, elle ne peut conduire à la réalisation d'actes d'entrave à des activités légales par des comportements répréhensibles. De plus, si les actions collectives de chasse à tir au grand gibier doivent être obligatoirement déclarées, ce qui est nécessaire pour assurer une plus grande sécurité, cela ne peut être un prétexte au développement des actions d'entrave .

Reprenant les travaux tant du Sénat que de l'Assemblée nationale, la mission recommande la définition d'un délit d'entrave dissuasif . Les menaces ou les actes d'obstruction ou d'intrusion, ayant pour effet ou pour objet d'empêcher le déroulement d'activités sportives ou de loisir autorisées et exercées conformément aux dispositions législatives et règlementaires en vigueur, pourraient être punis de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende 47 ( * ) .

Une circonstance aggravante pourrait être introduite lorsque le délit est commis à l'aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations : il serait alors puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amendes.

Enfin, et par cohérence, le délit d'entrave aux libertés d'expression, du travail, d'association, de réunion ou de manifestation pourrait être modifié à la marge pour ajouter les actes d'intrusion et d'obstruction parmi les éléments constitutifs du délit, et faire de la condition de concertation une circonstance aggravante.

Proposition n° 20 :  Introduire dans le code pénal un délit d'entrave au déroulement d'activités sportives ou de loisir exercées conformément aux dispositions législatives et règlementaires en vigueur par le biais, de manière concertée, de menaces ou d'actes d'obstruction ou d'intrusion puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. Introduire une circonstance aggravante lorsque ce délit est commis à l'aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations. Abroger, en conséquence, l'article R. 428-12-1 du code de l'environnement.

Modifier le délit d'entrave aux libertés d'expression, du travail, d'association, de réunion ou de manifestation pour ajouter les actes d'intrusion et d'obstruction parmi les éléments constitutifs du délit et faire de la condition de concertation une circonstance aggravante.


* 43 Audition de Willy SCHRAEN, président de la Fédération nationale des chasseurs par la mission conjointe de contrôle sur la sécurisation de la chasse le 1 er février 2022. La vidéo de cette audition est disponible à l'adresse suivante : https://videos.senat.fr/video.2763 666_61f930db4c46f.auditions-dans-le-cadre-de-la-mission-conjointe-de-controle-sur-la-securisation-de-la-chasse .

* 44 Article R. 428-12-1 du code de l'environnement, introduit par le décret n° 2010-603 du 4 juin 2010 créant une contravention pour obstruction à un acte de chasse .

* 45 Proposition de loi tendant à réprimer les entraves à l'exercice des libertés ainsi qu'à la tenue des évènements et à l'exercice d'activités autorisées par la loi , déposé par Jean-Noël Cardoux. Le dossier législatif est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl18-023.html .

* 46 Rapport d'information n° 3810 de la mission d'information commune sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l'exercice de certaines activités légales . Le rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/moyens_juguler_entraves_obstructions_activites_legales_mi .

* 47 En conséquence, l'article R. 428-12-1 du code de l'environnement, définissant la contravention d'entrave à la chasse, devrait être abrogé.

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