C. LES ACCIDENTS : UN CHANGEMENT DE REGARD, UNE RÉPONSE JUDICIAIRE ET UNE PRISE EN CHARGE ASSURANTIELLE EFFECTIVES

Alors que l'on décompte 90 accidents de chasse et 8 morts en France en baisse respectivement de 46 % et 74 % depuis vingt ans, la création de la mission sénatoriale est assurément l'un des signes d'un changement de regard. Mais cette évolution de la société ne signifie pas pour autant que leur prise en compte judiciaire ou par les assurances n'ait pas été effective au cours des dernières années.

1. Un changement de regard sur les accidents de chasse et les victimes

Les accidents de chasse sont l'occasion où se manifeste l'ensemble de ces tensions de la manière la plus aigüe . C'est la raison de leur médiatisation.

Le drame paraît d'autant plus insupportable qu'il résulterait d'une activité illégitime et dangereuse.

La chasse serait illégitime pour des raisons morales mais aussi inutile au regard des besoins de subsistance et néfaste à la conservation des milieux, ce que les chasseurs contestent au regard de la consommation effective du gibier tué et leurs actions pour le développement de nombreuses espèces.

La chasse est également montrée comme une activité dangereuse et qui fait peur du fait de l'usage d'armes à feu. Si elle se pratique très majoritairement avec une arme à feu, la chasse n'est pas le tir. De nombreux modes de chasse n'emploient pas d'armes à feu, notamment parmi les plus anciens. Il n'en reste pas moins qu'il faut prendre toute la mesure de la spécificité pour le chasseur de donner la mort avec une arme à feu .

Dans nos sociétés, la possession d'armes à feu est l'apanage de la force publique, l'armée, la police et la gendarmerie. Les principales exceptions sont les sports de tir (tir sportif, ball-trap et biathlon) qui s'exercent sur des terrains délimités et sécurisés. Les chasseurs sont les seuls à pouvoir utiliser des armes dans la nature . Les questions du public sur les conditions dans lesquelles cette faculté peut s'exercer sont pleinement légitimes . La responsabilité des chasseurs est grande à cet égard. Il leur revient de montrer qu'ils en ont une parfaite maîtrise et qu'ils garantissent la sécurité des autres usagers . Chaque accident suscite donc des interrogations sur le droit qui leur est donné et leur capacité à assurer la sécurité.

L'évolution du regard porté sur les victimes est tout aussi marquée . On est passé de l'anonymat à la surmédiatisation. Dans une société qui était plus familière de la mort, l'accident de chasse était considéré comme un aléa, une fatalité. Tel n'est plus le cas et c'est heureux . La tolérance au risque est beaucoup plus faible. Tout doit être fait pour l'éviter surtout si la victime n'est pas un chasseur.

Les victimes sortent de plus en plus de l'anonymat et demandent la pleine reconnaissance de leur préjudice qui passe par la condamnation proportionnée de l'auteur du coup de feu.

Comme le montre l'action du collectif « Un jour un chasseur » qui a porté la pétition qui a provoqué la création de la mission, les victimes demandent à être reconnues à la hauteur du drame familial subi du fait de la perte irréparable d'un proche. Elles demandent des comptes à la société.

2. Des poursuites judiciaires systématiques

La mission a interrogé les ministères de la justice et de l'intérieur et des assureurs. Ses investigations ne font pas apparaître de déni de justice ou de problème de couverture d'assurance , bien au contraire. Les poursuites judiciaires sont systématiques.

a) Les accusations de refus de plainte et de collusion ne sont pas étayées

Tout d'abord, la mission n'a trouvé aucun élément venant confirmer l'affirmation selon laquelle existeraient des refus de plaintes, une collusion entre chasseurs et forces de l'ordre ou avec les tribunaux .

• Les dépôts de plainte

Le ministère de la justice a indiqué à la mission n'avoir connaissance d'aucun refus de plainte et que des formules spécifiques d'accueil pour les victimes ne sont pas justifiées.

Il doit être rappelé que l'article 15-3 du code de procédure pénale fait obligation aux officiers et agents de police judiciaire de recevoir les plaintes, y compris lorsqu'ils ne sont pas territorialement compétents.

La gendarmerie nationale a rappelé de son côté qu'il s'agirait d'une infraction grave au code de déontologie (article R 434-11 du code de déontologie de la police et de la gendarmerie nationale). Tout citoyen serait alors fondé à saisir l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). À ce jour aucun cas n'est connu .

Il est en outre possible de saisir directement le procureur de la République ou de déposer une pré-plainte en ligne.

Enfin, la gendarmerie nationale a souligné que l'évolution de la sociologie des gendarmes dont les nouvelles recrues sont plus urbaines que rurales et méconnaissent ces sujets, ne plaide pas en faveur d'une présumée connivence. Au contraire, la gendarmerie nationale est parfois obligée d'organiser des formations spécifiques, par exemple en Seine-et-Marne, pour faire connaître le milieu agricole. L'OFB délivre également des formations sur les sujets de la police de la chasse et de la protection de l'environnement sur la base d'une convention conclue avec l'ONCFS 12 ( * ) en 2009 et complétée par un avenant du 30 octobre 2015.

• Le dépaysement des affaires

Concernant les accusations de collusion entre les chasseurs et les enquêteurs ou avec les magistrats . L'article 43 alinéa 2 du code de procédure pénale permet de délocaliser une affaire au stade de l'enquête. C'est par exemple le cas, en raison de la qualité de l'auteur ou de la victime, lorsqu'un avocat, un officier ministériel ou tout dépositaire de l'autorité publique est concerné. Il peut en être de même entre juridictions dans l'intérêt de la bonne administration de la justice (article 665 du code de procédure pénale).

Mais la Chancellerie a indiqué à la mission ne pas disposer d'informations venant étayer ces accusations . Lors de son audition, la Direction des affaires criminelles et des grâces a évoqué deux cas , celui d'un accident où le commandant du groupement de gendarmerie participait à la chasse et l'enquête dans « l'affaire Pilarsky » 13 ( * ) .

b) Une réponse pénale systématique

Concernant les auteurs des accidents de chasse, le ministère de la justice a indiqué à la mission que le taux de poursuite est très élevé et ne laisse apparaître aucune faiblesse ou complaisance .

Selon les données transmises, les accidents mortels font l'objet de poursuites systématiques devant les juridictions. Les accidents n'ayant pas entraîné de décès sont renvoyés devant une juridiction entre 50 et 60 % des cas (taux de poursuite) et font globalement l'objet d'une réponse pénale dans 90 à 95 % des cas .

Orientations et poursuites de 2012 à 2020 pour les accidents mortels
commis au cours d'actions de chasse

Affaires - Accident mortel chasse

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Affaires nouvelles

27

23

28

12

16

19

9

17

16

Affaires orientées

26

23

29

15

10

19

8

18

18

Affaires poursuivables

11

7

8

5

5

12

8

6

7

Réponse pénale

11

6

8

5

5

12

8

6

6

Taux de réponse pénale

100,0 %

85,7 %

100,0 %

100,0 %

100,0 %

100,0 %

100,0 %

100,0 %

85,7 %

Poursuites

10

5

6

5

5

11

8

6

6

Taux de poursuites

90,9 %

83,3 %

75,0 %

100,0 %

100,0 %

91,7 %

100,0 %

100,0 %

100,0 %

Source : SG-SDSE SID/CASSIOPEE-Traitement DACG/PEPP.

Orientations et poursuites de 2012 à 2020 pour les blessures involontaires
commises au cours d'actions de chasse

Affaires - Accident de chasse

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Affaires nouvelles

145

150

134

113

127

113

97

99

115

Affaires orientées

136

139

117

110

104

120

93

98

99

Affaires poursuivables

61

60

51

48

57

59

41

46

48

Réponse pénale

55

53

48

46

53

54

38

44

43

Taux de réponse pénale

90,2 %

88,3 %

94,1 %

95,8 %

93,0 %

91,5 %

92,7 %

95,7 %

89,6 %

Poursuites

30

30

28

33

30

31

18

23

26

Taux de poursuites

54,5 %

56,6 %

58,3 %

71,7 %

56,6 %

57,4 %

47,4 %

52,3 %

60,5 %

Source : SG-SDSE SID/CASSIOPEE-Traitement DACG/PEPP.

Une partie significative des affaires a donné lieu à des condamnations en première instance (extraction du système d'information décisionnelle - SID - qui enregistre les 5 millions d'affaires pénales orientées chaque année).

Infractions d'homicide involontaire et de blessures involontaires
commises au cours d'actions de chasse ayant donné lieu à condamnation de 2015 à 2020

Infractions ayant donné lieu à condamnation

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Accident de chasse

21

18

16

27

17

19

Accident mortel chasse

7

6

7

9

6

5

Total

28

24

23

36

23

24

Source : SG-SDSE SID/CASSIOPEE-Traitement DACG/PEPP.

Enfin, en plus d'être sanctionnables dans le cadre du code de l'environnement, les accidents de chasse sont réprimés comme des délits sur le fondement du code pénal pour homicide involontaire (article 221-6 du code pénal), blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à trois mois (article 222-19) et blessures involontaires ayant entraîné une ITT inférieure mais résultant de la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement (article 220-20).

Dans ces situations, un dépistage alcoolique est obligatoire . Le refus de s'y soumettre est puni d'une peine d'un an de prison et 3 750 euros d'amende (article L. 3354-1 du code de la santé publique). Le dépistage de stupéfiants ne l'est pas et ne paraît pas justifié dans le cas de la chasse aux yeux de la Chancellerie. Il poserait d'ailleurs des problèmes techniques s'il devait s'appliquer systématiquement. Il reste néanmoins possible à l'initiative des enquêteurs (article 60 et 77-1 du code de procédure pénale).

Les accidents n'entrant pas dans les catégories ci-dessus sont des infractions contraventionnelles (articles R. 622-1, R. 625-2 et R. 625-3 du code pénal). Le dépistage n'est pas obligatoire et la Chancellerie l'estime problématique au regard de la proportionnalité des peines car son refus est passible d'une peine d'emprisonnement alors que l'infraction initiale n'entraînera qu'une amende.

Une dernière précision est nécessaire, même si elle n'est pas directement liée à la sécurité à la chasse : ni le ministère de la justice ni celui de l'intérieur ne peuvent établir de statistiques sur les crimes et délits commis en utilisant des armes qui peuvent servir à la chasse. Ces armes sont en effet classées en catégorie C, catégorie qui comprend d'autres types d'armes. Par ailleurs, ces ministères ne peuvent établir de statistiques sur le nombre de chasseurs qui en seraient les auteurs.

3. Une indemnisation intégrale et sans plafond des victimes

En matière de chasse, l'assurance est obligatoire et l'indemnisation des victimes est intégrale. En cas d'auteur non identifié, c'est un fonds spécifique qui prend le relais.

a) Une assurance couvrant les tiers est obligatoire

La chasse est un domaine où l'assurance est légalement obligatoire . Elle est prévue par les articles L. 423-26 et L. 423-17 du code de l'environnement. 89 fédérations sur 94 proposent de la souscrire en même temps que la validation annuelle du permis de chasser . Dans ce cadre, son coût est de l'ordre de 20 à 25 euros. Si l'assurance n'est pas souscrite en même temps, elle doit l'être préalablement. Enfin, dès lors qu'un carnet de battue a été institué par le Schéma départemental de gestion cynégétique (SDGC) et par la Fédération départementale des chasseurs pour répertorier tous les chasseurs présents et leurs numéros de permis et formaliser leur prise en compte des règles de sécurité, la présentation et l'enregistrement de l'attestation d'assurance sont obligatoires 14 ( * ) .

Aucun phénomène de non assurance n'a donc été rapporté à la mission comme il peut par exemple en exister dans le domaine automobile.

Ce volet obligatoire est une assurance responsabilité civile visant à indemniser les dommages matériels ou corporels causés aux tiers par le chasseur ou son chien. Des options spécifiques existent pour les organisateurs de chasse ou les rabatteurs.

Pour se couvrir lui-même, le chasseur doit souscrire une assurance dommage qui est facultative.

Lors de son audition, AXA qui représente environ 17 % du marché, a indiqué que les primes perçues s'élevaient à environ 5 millions d'euros hors taxes pour une charge moyenne de dommages versés de 3,8 millions d'euros et ainsi confirmé que la chasse présentait un risque maîtrisé pour les assureurs, le nombre d'accidents allant décroissant.

Selon la Fédération de l'assurance, aucune extension d'assurance obligatoire n'est nécessaire.

Enfin, l'assurance chasse étant souscrite pour une année et payée en une seule fois, très peu de cas de suspension, de résiliation ou de fraude à ces décisions sont répertoriés.

b) Le FGAO prend en charge les victimes si l'auteur est inconnu

Dans le cas où l'auteur ne peut être identifié ou serait non assuré, l'indemnisation des dommages est prise en charge par le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO).

Cette circonstance se produit une dizaine de fois chaque année (10 dossiers en 2019, 8 en 2020, 7 en 2021).

Selon la Fédération de l'assurance, aucune modification juridique ne serait utile (articles L. 421-1 et L. 421-8 du code des assurances) au regard de ce très faible nombre de cas.

c) Le principe d'une réparation intégrale pour les victimes et de la responsabilité présumée du tireur

Actuellement, la prise en charge des victimes directes et indirectes se fait selon les règles de la réparation du dommage corporel en droit commun. Le principe est la réparation intégrale d'autant que l'assurance obligatoire dispose d'un plafond illimité .

Sur le rapport d'un médecin expert et une fois la consolidation médicale atteinte, une évaluation définitive est arrêtée. Ce processus, lié à l'état médical, peut prendre plusieurs années.

Cette prise en charge peut inclure une partie psychologique. AXA signalait par exemple quelques cas de trouble du sommeil suite à des accidents en 2020. Les conséquences peuvent bien évidemment être beaucoup plus graves.

AXA a indiqué que, en moyenne sur dix ans, trois cas graves représentant plus de 150 000 euros d'indemnisation étaient traités. Sur la même période, quatre sinistres ont conduit à une indemnisation moyenne de 1,8 million d'euros.

Interrogée par la mission lors de son audition, AXA n'a ainsi pas conseillé de rendre obligatoire l'assurance des responsables de chasse. L'assureur a souligné qu'actuellement, le plus court chemin pour garantir la couverture des dommages de la victime est la responsabilité présumée du tireur qui est assurée. Rechercher la responsabilité de l'organisateur sera toujours plus complexe et long même si elle est nécessaire dans certaines affaires.

Mais les représentants d'AXA ont aussi insisté sur le fait que la meilleure indemnisation est celle qui n'existe pas car l'accident n'a pas eu lieu. Le volet prévention est donc essentiel .

À cet égard, les assureurs peuvent s'engager dans des opérations de réduction des primes en cas de formation, de distribution de gilets orange ou encore d'instruments pour mesurer et marquer les angles de tir lors des battues.


* 12 Office national de la chasse et de la faune sauvage intégré au sein de l'OFB depuis la loi du 24 juillet 2019.

* 13 Le 16 novembre 2019, une femme a été dévorée par son chien en forêt de l'Aigle. La meute de l'équipage de chasse à courre a été mise en cause mais totalement disculpée.

* 14 L'article R. 422-63 14 du code de l'environnement rend également cette assurance obligatoire pour les ACCA.

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