D. UN PREMIER BILAN POSITIF

Afin d'écrire le présent rapport à « l'encre du terrain », la mission a réalisé, au printemps 2022, deux consultations nationales auprès des élus locaux et des chefs de projet des programmes « actions coeur de ville » (ACV) et « petites villes de demain » (PVD). 856 élus locaux ont répondu à la première consultation et 668 chefs de projets à la seconde consultation. Afin d'exploiter de manière fine et précise les réponses reçues, la mission a fait appel à l'institut de sondage Opinion Way.

1. ORT : un dispositif salué par les acteurs rencontrés ou interrogés dans le cadre de la mission

Comme indiqué au paragraphe I. B.1, les « opérations de revitalisation de territoire » (ORT), dont la création doit beaucoup au Sénat, constituent le coeur du volet « revitalisation » de la loi ÉLAN.

Vos rapporteurs saluent la célérité avec laquelle le Gouvernement a mis en oeuvre ce nouveau statut. En effet, dès le 21 décembre 2018, Mme Jacqueline GOURAULT, alors ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, prenait une circulaire saluant l'outil ORT qui « accompagnera naturellement la mise en oeuvre du programme « Action Coeur de Ville » et qui permet « de conforter une dynamique de requalification de centres anciens dégradés ». La circulaire invite ainsi les préfets à engager « dès à présent la mobilisation des villes moyennes et centres-bourgs de nos territoires désireux de développer une dynamique de projet urbain pour leur centre ancien afin de mettre éventuellement en place une ORT » 19(*).

Une seconde circulaire, en date du 4 février 2019, est allée dans la même direction20(*) : « La création des ORT pourra être très rapide pour les 222 villes du programme national Action coeur de ville (ACV) car elles disposent d'ores et déjà d'une convention d'initialisation signée, qui vaut projet de territoire (...). Nous vous demandons d'engager dès à présent le dialogue avec les collectivités pour transformer rapidement les conventions ACV (...) en convention ORT afin qu'elles bénéficient dès que possible des outils juridiques de l'ORT. Vous veillerez également à engager la promotion active du dispositif auprès de l'ensemble des collectivités pour susciter et appuyer les projets de revitalisation de leur territoire. »

Au 1er septembre 2022, la quasi-totalité des communes « Action coeur de ville » sont signataires d'une convention ORT et environ 10 % des communes PVD.

Vos rapporteurs ont pu mesurer, lors de leurs auditions et déplacements, la grande satisfaction des élus sur ce dispositif. Ils rejoignent ainsi le constat dressé par l'Assemblée nationale dans son rapport du 23 février 202221(*) : « Il s'agit d'un des rares dispositifs suscitant l'unanimité positive des acteurs. »

Cette évaluation positive doit cependant être relativisée car, si la loi prévoit la réalisation d'un bilan annuel des actions entreprises dans le cadre de l'ORT et de leurs incidences financières22(*), ce bilan ne semble pas, en pratique, réalisé. La satisfaction des élus semble donc reposer davantage sur des intuitions empiriques que sur des éléments étayés. Il n'en demeure pas moins que le succès des ORT repose avant tout sur un élément-clé qui a souvent été mis en avant lors des auditions : la dynamique inhérente à la signature d'une ORT est en elle-même vertueuse. Elle permet en effet de créer un espace de dialogue et un mode de gouvernance favorables à la conduite des projets de revitalisation. C'est d'ailleurs cette même méthode collaborative et partenariale qui explique en grande partie la réussite des programmes « Action coeur de ville » et « Petites villes de demain » (cf infra, II).

La réussite de l'ORT transparaît dans les réponses au questionnaire adressé aux élus locaux. En effet, un peu plus de la moitié des répondants répondent « oui » à la question suivante : « Auriez-vous souhaité bénéficier d'une ORT ? ». Pourtant, la moitié d'entre eux reconnaissent ne pas « bien connaitre ce dispositif » (48,8 %). C'est donc la preuve de la réputation positive de ce statut en dépit d'une relative méconnaissance des élus.

Relevons enfin que, du fait de leur succès, les ORT ont vu, à l'article 95 de la loi 3DS23(*), leur champ d'application élargi afin de permettre, sur dérogation préfectorale, la conclusion d'une convention d'ORT sur le périmètre d'une ou de plusieurs membres d'un EPCI, sans intégrer la ville principale de cet établissement. Pour permettre l'octroi de cette dérogation, deux conditions doivent être réunies : la ou les communes signataires doivent présenter une « situation de discontinuité territoriale ou d'éloignement » par rapport à la ville principale de l'EPCI dont elles sont membres et la convention qui est conclue doit identifier, parmi ses signataires, une ou plusieurs villes présentant des « caractéristiques de centralité », qui sont appréciées notamment au regard de la diversité des fonctions urbaines exercées en matière d'équipements et de services vis-à-vis des communes environnantes.

a) Le rôle confié à l'ANCT, un rôle conforme à la volonté du législateur

La loi n° 2019-753 du 22 juillet 2019 créant l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) confie à cette dernière la mission de « favoriser l'aménagement et la restructuration des espaces commerciaux et artisanaux » dans les ORT (article 2 de la loi créant un article L. 1231-2 dans le CGCT).

Ce rôle spécifique est conforme à l'esprit de la proposition de loi sénatoriale de 2018, laquelle appelait à la création d'une agence ad hoc permettant d'accompagner les élus locaux dans les conventions OSER, dont il faut rappeler ici qu'elles préfigurent la création des ORT. L'exposé des motifs de ce texte est de ce point de vue très éclairant : « Complément naturel des conventions OSER, la proposition de loi crée l'Agence nationale pour les centres-villes et centres-bourgs. Il est en effet illusoire de laisser penser à des collectivités fragiles qui ne disposent pas d'une ingénierie et de compétences techniques suffisantes pour être en capacité de conduire des opérations de revitalisation sérieuses. Or, la décision gouvernementale de désigner en une seule fois 222 villes bénéficiaires de son plan « Action coeur de ville » conduira nécessairement à aggraver un déficit d'expertise déjà criant en la matière. L'agence aura précisément pour mission prioritaire de renforcer l'ingénierie des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale en amont, par exemple en encourageant la mise en place de formations adaptées, et en aval, en contribuant au soutien des opérations de sauvegarde économique et de redynamisation. »

Créée en 2019, l'ANCT répond aux préoccupations exprimées dans l'exposé des motifs de la proposition sénatoriale, même si elle mène d'autres missions.

En termes d'organisation territoriale, l'ANCT s'appuie dans chaque département sur une délégation départementale constituée du Préfet et de la Direction départementale des territoires (DDT). Il appartient à la délégation départementale et à l'équipe nationale de l'ANCT de travailler ensemble pour proposer à chaque territoire un accompagnement « sur-mesure », en particulier dans la conclusion et le suivi des ORT.

Les élus locaux interrogés dans le cadre de la consultation en ligne lancée par le Sénat se sont déclarés satisfaits par cet appui de l'État. En effet, 67,4 % d'entre eux ont estimé être globalement bien accompagnés par l'ANCT et les préfectures dans la mise en oeuvre et le suivi de l'ORT.

UN ACCOMPAGNEMENT JUGÉ PLUTÔT POSITIF PAR LES ÉLUS

Source : consultation Sénat

b) La dispense d'autorisation, une mesure positive non remise en cause par la loi « climat et résilience »

Comme indiqué au paragraphe I. B.1.a), la loi ÉLAN a dispensé d'autorisation commerciale les projets commerciaux de taille réduite implantés au centre-ville d'une ORT. Les élus ont globalement salué cette mesure, sans toutefois fournir d'exemples précis à l'appui de cette appréciation positive.

La loi « climat et résilience » du 25 août 2021 a toutefois limité cette exonération aux seuls projets qui n'engendrent pas une artificialisation nette des sols24(*). En d'autres termes, les projets artificialisants sont soumis à autorisation, même s'ils sont situés en centre-ville d'une commune ORT.

Vos rapporteurs se sont interrogés sur l'impact de cette mesure : la logique de développement durable qui la sous-tend a-t-elle contrarié l'objectif de revitalisation commerciale poursuivi par la loi ÉLAN ? Certains projets commerciaux artificialisants se heurtent-ils désormais au refus des CDAC alors même qu'ils pourraient contribuer à la revitalisation commerciale du centre-ville ? Les exigences d'aménagement du territoire et de protection de l'environnement peuvent-elles être conciliées ?

En premier lieu, les déplacements effectués par vos rapporteurs montrent que le nombre de projets artificialisants dans les centres-villes semble particulièrement restreint. L'impact de la mesure apparaît donc très limité.

En deuxième lieu, la contrainte de non-artificialisation semble compatible avec une revitalisation des centres villes, laquelle vise à améliorer sa qualité urbanistique et environnementale, notamment en préservant des espaces verts qui ne peuvent que contribuer positivement à l'agrément des clients ainsi que des habitants. D'ailleurs, au-delà de la contrainte légale, les promoteurs comme les commerçants ont bien pris en compte ce principe paysager comme élément d'attractivité des centres-villes.

c) Le moratoire : une mise en oeuvre rapide, un dispositif dissuasif

Comme indiqué supra, l'une des mesures les plus emblématiques du volet « revitalisation » de la loi ÉLAN est la faculté pour le préfet de suspendre un projet d'exploitation commerciale situé en périphérie des ORT.

Vos rapporteurs se félicitent de la relative célérité avec laquelle le Gouvernement a mis en oeuvre cette disposition, étant rappelé que la loi ÉLAN a été promulguée le 23 novembre 2018. À cet égard, deux textes méritent d'être signalés :

- le décret en Conseil d'État n° 2019-795 du 26 juillet 2019 relatif à la faculté de suspension de la procédure d'autorisation d'exploitation commerciale ;

- la circulaire du 31 octobre 2019 du ministre de l'économie et des finances25(*) sur la faculté de suspension, par arrêté préfectoral, de la procédure devant les CDAC.

Le premier texte est venu opportunément préciser la procédure applicable : modalités de la suspension, conditions de validité de l'arrêté de suspension et de prorogation...

Le second texte a donné une forte impulsion aux préfets en rappelant l'attachement du Premier ministre à cette nouvelle prérogative. Toutefois, la circulaire fait montre d'une certaine prudence afin d'éviter toute contrariété avec le droit communautaire : « La mise en oeuvre de cette nouvelle faculté (...) ne doit pas toutefois remettre en cause le principe de libre établissement, ni être disproportionné au regard de l'objectif poursuivi. Il s'inscrit dans le strict respect du droit communautaire, et notamment de la directive dite « Services » du 12 décembre 2006 (n°2006/123/CE). La présente circulaire vise, par conséquent, à assurer l'efficacité d'un dispositif reposant sur un examen « au cas par cas » des projets, qui traduit ainsi le caractère exceptionnel, mais néanmoins fondamental, de la faculté de suspension qui vous est attribuée. Il ne s'agit pas, en effet, de substituer l'État aux commissions d'aménagement commercial. »

Cette circulaire souligne également que le préfet doit procéder à une analyse in concreto qui doit reposer sur de multiples critères : « Les faisceaux d'indices que vous devez examiner englobent notamment la vacance commerciale mais également les logements vacants et le chômage, et tous autres marqueurs forts de l'état et de la vitalité d'un territoire. (...). La valeur probante de telles données résulte de leurs sources, impérativement mentionnées à l'arrêté de suspension, et, leur pertinence, de leurs dates. Ces données doivent également être analysées au regard des particularités de chaque territoire en tenant compte des réalités locales ».

La circulaire précise en outre que, pour se déterminer, le préfet doit s'appuyer sur le dossier présenté : « La présentation que le pétitionnaire fait, dans son dossier, des effets de son projet au regard des objectifs légaux, est une précieuse source d'information pour le préfet ».

Il semble que la circulaire conçoive ce moratoire comme une arme de dissuasion dont, paradoxalement, l'efficacité se mesure à sa non-utilisation : « On peut d'ailleurs imaginer que les opérateurs économiques vont penser différemment leurs projets pour les inscrire (spontanément) dans la dynamique portée par les ORT, ne serait-ce que pour réduire les risques de suspension (auquel cas la seule existence du dispositif contribue à son efficacité) ».

D'après la Direction générale des entreprises (DGE), 7 arrêtés de suspension ont été pris en 2020 : 2 dans l'Allier, 2 dans l'Orne et 1 dans la Somme, la Haute-Vienne et les Vosges. S'agissant de la durée des suspensions prononcées :

- 2 l'ont été pour la durée maximale de 3 ans ;

- les 5 autres pour 3, 6 ou 7 mois ; ils concernaient 2 transferts/extensions de magasins « LIDL » (les demandeurs ont finalement renoncé au projet), 2 ensembles commerciaux et 1 « drive Leclerc ».

Enfin, signalons qu'un seul arrêté a été pris à l'initiative du préfet, les 6 autres ont fait suite à une demande des élus locaux.

L'exemple de St-Dié des Vosges (2020)

Quand une enseigne de grande distribution a voulu agrandir sa surface de vente de 40 % (passage de 1.000 m² à 1.400 m²), le maire de la commune de St-Dié des Vosges a considéré que l'offre commerciale était largement suffisante pour le bassin de vie concerné. Il a, en conséquence, saisi le préfet pour qu'il suspende le passage de ce dossier en CDAC. Le moratoire décidé a conduit l'enseigne à renoncer finalement à son projet d'extension.

Toujours selon la DGE, un seul moratoire a été pris en 2021. L'arrêté, pris par le préfet du Loiret, a suspendu pour une durée de six mois un projet de « drive Leclerc ». Ce faible nombre de moratoires interroge. Il tient sans doute, d'une part, à l'effet dissuasif de la mesure, ce que de nombreuses personnes entendues par vos rapporteurs ont souligné, d'autre part, au nombre limité de grands projets commerciaux envisagés en périphérie des ORT, en raison d'un changement du modèle économique commercial, l'immobilier commercial ayant connu des niveaux historiquement bas en 2021.

Vos rapporteurs ont acquis la conviction, lors des auditions et rencontres locales avec les services préfectoraux, que la simple existence du moratoire a ouvert un espace de discussion entre le préfet, les élus et les opérateurs économiques. De ce point de vue, cette mesure a donc bien rempli l'objectif de revitalisation qui lui était assigné.

En tout état de cause, un nouveau dispositif devrait contribuer à limiter les implantations commerciales dans les entrées de villes, qu'elles se situent ou non en périphérie d'une ORT : en effet, l'article 215 de la loi précitée dite « Climat et résilience » pose un principe général d'interdiction de création ou extension de projets d'équipement commercial qui engendreraient une artificialisation des sols (art. L. 752-6 (V) du code de commerce)26(*). Conçue à des fins de développement durable, cette règle de non-artificialisation peut contribuer à un opportun rééquilibrage centre/périphérie comme l'ont souligné de nombreuses personnes entendues par vos rapporteurs.

2. L'analyse d'impact du projet commercial, un nouvel outil au service de la revitalisation
a) Le nouveau critère des effets du projet commercial sur la revitalisation 

Le dernier rapport annuel d'activité de la Commission nationale de l'aménagement commercial (CNAC) souligne que les acteurs économiques n'ont pas toujours pris en compte le nouveau critère précité, introduit par la loi ÉLAN, concernant les effets du projet sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Ainsi peut-on y lire que « les lacunes des dossiers portent le plus souvent sur l'impact du projet, notamment en matière d'animation de la vie urbaine (informations sur la future destination des cellules commerciales projetées et éléments sur la vitalité commerciale des centres-villes environnants) ».

Ce constat rejoint celui du rapport sénatorial intitulé « soutenir le commerce en milieu rural » : « L'impact d'une grande surface (alimentaire ou non) sur le commerce de centre-ville des petites communes alentours est, par exemple, encore trop peu étudié, alors qu'il peut être significatif dans le cas des communes rurales27(*). »

Cette attitude est donc sanctionnée par la CNAC lorsqu'elle statue sur les projets, sur recours d'une décision formée contre une décision d'une CDAC. Extrait du rapport annuel d'activité 2020 de la CNAC

La préservation des centres-villes est devenue une préoccupation majeure de la CNAC. La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique dite « ÉLAN » est venue renforcer l'analyse des effets des projets avec l'ajout d'un nouveau critère, qui est de fait examiné concomitamment avec l'examen des effets du projet sur l'animation de la vie urbaine : la contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville (...). La Commission examine de manière approfondie la vitalité commerciale des lieux d'implantation, grâce notamment à l'analyse d'impact transmise à l'appui du dossier de demande et réalisée par un organisme indépendant, obligatoire pour tout projet depuis le 1er janvier 2020.

Ce même rapport d'activité fournit quelques exemples de refus d'autorisation fondé soit sur le non-respect de l'étude d'impact soit sur les effets négatifs du projet en termes de revitalisation. Les six décisions de refus ci-dessous concernent la création de cellules commerciales dans des galeries attenantes à des supermarchés ou hypermarchés (p. 44-45 du rapport d'activité) :

« Considérant que les éléments transmis par le pétitionnaire ne permettent pas à la Commission nationale d'apprécier les effets du projet en terme d'aménagement du territoire et, plus particulièrement, au regard des effets sur l'animation de la vie urbaine ; que le pétitionnaire n`a pas joint d'étude d'impact indiquant quelle sera la contribution du projet à l'animation, à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial des centres-villes de S*** et de B***, alors que la commune de S*** a connu une diminution de sa population de 5,7 % entre 2006 et 2016 et que la ville de B***s figure parmi les communes du Plan « Action Coeur de Ville » (CNAC, 9 janvier 2020, 4028T) ;

« Considérant que le projet, qui prévoit la création de 7 cellules commerciales non alimentaires d'une surface totale de vente de 4 799 m² (...), contribuera à une augmentation de 177 % de la surface de vente totale de l'ensemble commercial ; que la réalisation de ce pôle commercial de périphérie est susceptible de fragiliser les commerces de centre-ville ; que, malgré la forte augmentation de surface de vente demandée, le pétitionnaire n'a pas transmis d'étude d'impact indiquant quelle sera la contribution du projet à l'animation, à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de C*** et des communes limitrophes (...) ; que la population de la zone de chalandise a augmenté de 4,1 % entre 2007 et 2017, elle a diminué à C*** de 7,7 % et à D*** de 5,2 % pendant cette même période ; qu'il n'apparait pas ainsi que l'augmentation importante de la surface de vente de l'ensemble commercial réponde à une augmentation de la demande » (CNAC, 20 février 2020, 3332TR) ;

« Considérant que la ville de V***, située à 13 minutes du projet, dont le centre-ville connait un taux de vacance commerciale de 20,9 %, est signataire d'une convention « Action coeur de ville » visant à revitaliser son centre-ville ; que le projet est susceptible de porter atteinte à l'animation urbaine de V*** ; que la zone de chalandise au cours de la période 2007-2017 connaît une très faible progression (+ 0,88 %) ; que la commune de B***, pendant la dizaine d'années considérée, connaît un déclin démographique (- 1,21 %) » (CNAC, 25 juin 2020, 4127T) ;

« Considérant que les éléments transmis par le pétitionnaire ne permettent pas à la Commission nationale d'apprécier les effets du projet en termes d'aménagement du territoire et, plus particulièrement, au regard des effets sur l'animation de la vie urbaine ; que le pétitionnaire n`a pas joint d'étude d'impact indiquant quelle sera la contribution du projet à l'animation, à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial des centres-villes de S*** et de B***, alors que la commune de S*** a connu une diminution de sa population de 5,7 % entre 2006 et 2016 et que la ville de B***s figure parmi les communes du Plan « Action Coeur de Ville » » (CNAC, 9 janvier 2020, 4028T) ;

« Considérant que le projet, qui prévoit la création de 7 cellules commerciales non alimentaires d'une surface totale de vente de 4 799 m² (...), contribuera à une augmentation de 177 % de la surface de vente totale de l'ensemble commercial ; que la réalisation de ce pôle commercial de périphérie est susceptible de fragiliser les commerces de centre-ville ; que, malgré la forte augmentation de surface de vente demandée, le pétitionnaire n'a pas transmis d'étude d'impact indiquant quelle sera la contribution du projet à l'animation, à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de C*** et des communes limitrophes (...) ; que la population de la zone de chalandise a augmenté de 4,1 % entre 2007 et 2017, elle a diminué à C*** de 7,7 % et à D*** de 5,2 % pendant cette même période ; qu'il n'apparait pas ainsi que l'augmentation importante de la surface de vente de l'ensemble commercial réponde à une augmentation de la demande » (CNAC, 20 février 2020, 3332TR) ;

« Considérant que la ville de V***, située à 13 minutes du projet, dont le centre-ville connait un taux de vacance commerciale de 20,9 %, est signataire d'une convention « Action coeur de ville » visant à revitaliser son centre-ville ; que le projet est susceptible de porter atteinte à l'animation urbaine de V*** ; que la zone de chalandise au cours de la période 2007-2017 connaît une très faible progression (+ 0,88 %) ; que la commune de B***, pendant la dizaine d'années considérée, connaît un déclin démographique (- 1,21 %) » (CNAC, 25 juin 2020, 4127T).

Vos rapporteurs se réjouissent de cette « jurisprudence » de la CNAC, pleinement conforme à la volonté du législateur.

Ils ont souhaité savoir si les CDAC dressaient un constat similaire. Il s'avère qu'une nette majorité de celles qui ont répondu au questionnaire de vos rapporteurs (28 sur 38) affirment que la préservation des centres-villes et centres-bourgs est également devenue une forte préoccupation de leur commission depuis la loi ÉLAN. Les CDAC confirment également l'analyse mitigée de la CNAC sur la qualité des analyses d'impact ; en effet, une large majorité des CDAC considère que l'incidence des projets sur la revitalisation des centralités est largement ignorée par les porteurs de projet. Lorsqu'elle existe, l'analyse d'impact est succincte et ressemble à un exercice relativement formel.

L'avis des CDAC sur la qualité des analyses d'impact

Source : questionnaire Sénat

b) Le test anti-friches

Comme indiqué plus haut, la loi crée l'obligation pour le demandeur de produire une analyse d'impact du projet commercial envisagé. Cette analyse doit notamment démontrer qu'aucune friche existante en centre-ville ne permet l'accueil du projet envisagé. En l'absence d'une telle friche, l'analyse d'impact doit démontrer qu'aucune friche existante en périphérie ne permet l'accueil du projet envisagé.

La mise en oeuvre de cette disposition s'est toutefois heurtée à une difficulté : celle consistant à identifier lesdites friches sur un territoire donné. Ainsi, M. Alban GALLAND, sous-directeur du commerce, de l'artisanat et de la restauration, à la direction générale des entreprises du ministère de l'Économie et des Finances, a déclaré lors de son audition le 3 février 2022 : « Sur le terrain, on a du mal à recenser les friches, elles sont souvent petites et il est fréquemment difficile de démontrer qu'elles pourront contenir la surface commerciale envisagée. »

De même, le rapport sénatorial précité, intitulé « soutenir le commerce en milieu rural », souligne que les friches commerciales demeurent insuffisamment répertoriées, alors que certaines d'entre elles pourraient utilement accueillir des projets commerciaux envisagés en périphérie des communes. Il est toutefois intéressant de relever que, dans le cadre de la consultation menée par la mission, de nombreuses CDAC ont souligné l'intérêt, pour les porteurs de projets, de recourir à la base de données tenue par le CEREMA28(*). Cette base, dénommée « cartofriches », est régulièrement mise à jour. Elle recense actuellement 7.200 sites en friches.

En réalité, c'est la règle du « zéro artificialisation nette » (ZAN) qui a parachevé la logique « anti-friches » de la loi ÉLAN. Ainsi, on peut relever que la circulaire du Premier ministre du 24 août 202029(*) s'inscrit pleinement dans cette démarche. Elle rappelle en effet qu'à « l'été 2018 le Gouvernement présentait son « plan biodiversité », qui définissait l'objectif « zéro artificialisation nette» (ZAN) et recommandait, notamment, de «freiner l'artificialisation brute. » » Elle souligne également que « l'incitation à la reprise d'une friche existante, introduite à l'article L. 752-6 du code de commerce par la loi ÉLAN tend vers le zéro artificialisation nette tout en concourant à la revitalisation du tissu économique et commercial existant. »

Lors de son audition, M. Alban GALLAND a fait valoir que le ZAN, désormais inscrit dans la loi « climat et résilience », devrait « avoir un impact important sur les nouveaux gros projets, et sur ceux qui veulent s'étendre sur leurs réserves foncières » lorsque ces dernières sont végétalisées. La ZAN pourrait donc, au-delà de son objectif initial de développement durable, contribuer à la régulation des installations commerciales.

Ainsi, le Sénat s'est saisi de ce sujet dès le 12 mai 2021 avec le rapport d'information de M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Anne-Catherine Loisier et M. Christian Redon-Sarrazy, fait au nom de la commission des affaires économiques n° 584 (2020-2021) « Objectif de zéro artificialisation nette à l'épreuve des territoires », qui a souligné que « les zones rurales font face à des enjeux spécifiques de revitalisation et de développement, souvent touchées par la mutation économique, le départ des jeunes ménages et le manque de services de proximité » et que les objectifs de lutte contre l'artificialisation devaient « garantir à tous les territoires des opportunités égales de développement économique et démographique ».

c) L'indépendance des organismes chargés de réaliser l'analyse d'impact

Comme mentionné supra, la loi ÉLAN crée l'obligation pour le demandeur de produire une analyse d'impact du projet commercial envisagé. Cette étude est réalisée par un organisme indépendant habilité par le préfet (article L. 752-6 du code de commerce).

Lors de leurs déplacements, vos rapporteurs ont interrogé les préfets sur les critères à l'aune desquels l'habilitation est accordée ou refusée. Les services de l'État ont souligné, d'une part, qu'il est difficile de concevoir une totale indépendance de l'organisme à l'égard du pétitionnaire qui le rémunère, d'autre part, que l'appréciation de l'indépendance est délicate pour les préfectures, ce d'autant qu'il n'existe pas de base centralisant les agréments délivrés. Ainsi, une préfecture a-t-elle découvert a posteriori qu'elle avait refusé un agrément à un organisme qui l'avait pourtant obtenu dans le département voisin...

Interrogées par vos rapporteurs dans le cadre de la consultation nationale précitée, les CDAC relèvent des difficultés similaires. Ainsi, plus de la moitié d'entre elles considèrent que la rétribution par le pétitionnaire peut porter atteinte à l'indépendance de l'organisme. Pour autant, il semble, au vu des éléments recueillis par vos rapporteurs, qu'aucune exploitation commerciale n'a jamais été refusée par une CDAC au motif que l'indépendance de l'organisme était douteuse.

Quelles solutions face à ces difficultés ?

En premier lieu, certaines préfectures ont suggéré de confier la compétence de l'agrément à la CDAC plutôt qu'au préfet. Vos rapporteurs estiment toutefois que la réflexion n'est pas mure pour recommander, à ce stade, une telle évolution. L'État devra en évaluer l'intérêt et examiner d'autres options, telles que la passation d'un accord-cadre imposant aux entreprises le recours à des organismes retenus par l'État dans le cadre d'une mise en concurrence préalable (avec un système de « tour de rôle »).

En second lieu, une CDAC a suggéré, dans le cadre de la consultation nationale de vos rapporteurs, de contraindre l'organisme qui réalise l'étude d'impact à déposer une déclaration d'intérêts pour limiter les risques de conflit d'intérêts. Vos rapporteurs jugent cette piste intéressante.

d) L'association du tissu économique aux décisions de la CDAC

Vos rapporteurs sont naturellement convaincus de la nécessité d'associer le tissu économique aux décisions prises par la CDAC en matière d'aménagement commercial.

En premier lieu, plusieurs CDAC ont regretté, dans le cadre de la consultation menée par la mission, la décision de la Cour de justice de l'Union européenne concernant l'expertise des chambres consulaires. Elles ont confirmé ne plus convoquer les représentants des CCI/CMA pour tenir compte de cette décision de justice, rappelée aux préfets par la circulaire précitée de janvier 2022.

En second lieu, la majorité des CDAC qui ont répondu à la consultation du Sénat (31 sur 38) ont affirmé qu'elles procédaient aux auditions des associations de commerçants ou d'animateurs de commerces, et ce conformément aux dispositions de la loi ÉLAN. Toutefois, certaines réponses soulignent que ces associations ou animateurs ne viennent pas toujours aux auditions des CDAC. Il semble donc que le défaut de concertation signalé à Bourges, dans le cadre du déplacement de la mission, soit isolé.


* 19 Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Circulaire du 21 décembre 2018 de présentation des dispositions d'application immédiate de la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/44240.

* 20 Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Circulaire du 4 février 2019 relative à l'accompagnement par l'État des projets d'aménagement des territoires, https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/44430.

* 21 Bazin, T., Dubos C., Lagleize, J-L., Lioger, G. (2022, 23 février). Rapport d'information déposé par la commission des affaires économiques sur l'évaluation de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (dite « loi ELAN »), N°5121 (Quinzième législature), https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-eco/l15b5121_rapport-information#.

* 22 Dernier alinéa de l'art. L. 303-2 du CCH.

* 23 Art. L. 303-3 du code de la construction et de l'habitation.

* 24 L'artificialisation est définie par l'article L. 101-2-1 du code de l'urbanisme comme « l'altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». En d'autres termes, l'artificialisation consiste à réaliser des opérations d'aménagement visant à affecter des sols naturels, agricoles ou forestiers à des fonctions urbaines, telles que des activités commerciales. Ce même article définit l'artificialisation nette des sols comme le solde de l'artificialisation et de la renaturation des sols constatées sur un périmètre et sur une période donnés.

* 25 Ministre de l'Économie et des Finances, Ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Circulaire du 31 octobre 2019 sur la faculté de suspension, par arrêté préfectoral, de la procédure devant les commissions départementales d'aménagement commercial, https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/44880.

* 26 En revanche, une dérogation à ce principe général peut être accordée, en particulier lorsque le projet se situe dans le secteur d'intervention d'une ORT et qu'il répond aux besoins du territoire.

* 27 Belin, B. et Babary, S. (2022, 16 mars). Rapport d'information fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques sur les perspectives de la politique d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale, sur le volet « attractivité commerciale en zones rurales », N° 577 (2021-2022), http://www.senat.fr/rap/r21-577/r21-577.html.

* 28 Le Cerema (centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) est un établissement public sous la tutelle du ministère de la Transition écologique. Il accompagne l'État et les collectivités territoriales pour l'élaboration, le déploiement et l'évaluation de politiques publiques d'aménagement et de transport.

* 29 Premier ministre. Circulaire du 24 aout 2020 sur le rôle des préfets en matière d'aménagement commercial dans le cadre de la lutte contre l'artificialisation.