B. DES ZONES DE RESPONSABILITÉ PERMANENTE CONCENTRANT DES RISQUES IMPORTANTS

1. Pour les FAZSOI, de nombreuses actions de coopération dans une zone vaste où la souveraineté de la France est contestée

Les Forces armées dans la zone sud de l'Océan indien, où le rapporteur spécial s'est rendu dans le cadre de sa mission, constituent un exemple éloquent des différents défis auxquels sont confrontées les forces de souveraineté, de par l'immensité de leur zone de responsabilité et la diversité des enjeux auxquels elles font face. La zone de responsabilité des FAZSOI couvre ainsi 24 millions de km² dont 2,7 millions de km² de zones économiques exclusives (ZEE).

Zone de responsabilité permanente des FAZSOI

Source : FAZSOI

Dans cette zone très vaste, la France doit assurer la protection :

- de plus d'1 million de Français répartis entre La Réunion et Mayotte ;

- d'environ 45 000 expatriés, chiffre en augmentation depuis l'implantation de l'entreprise Total au Mozambique ;

- de son territoire qui comprend, en plus de La Réunion et Mayotte, les îles Éparses (îles Europa, Bassas da India et Juan de Nova) et des Terres Australes françaises (îles Glorieuses et Tromelin) ;

- de sa ZEE (2,7 millions de km²) ;

- de ses échanges commerciaux qui sont dépendants de la navigation maritime (canal du Mozambique en particulier).

Les FAZSOI sont à la fois une force de souveraineté dont la mission principale est d'assurer la protection du territoire national (La Réunion, Mayotte, les îles Éparses et les terres Australes), et une force de présence dont la mission est d'assurer la protection des ressortissants français et la préservation de nos intérêts stratégiques.

L'enjeu principal de la France dans la région est le maintien d'une souveraineté dont les contestations actuelles devraient se poursuivre, notamment pour les îles du canal du Mozambique . Cette pression prend notamment la forme d'une activité de pêche illicite accrue dans le canal du Mozambique (îles Europa, Bassas da India et Juan de Nova), traduisant un sentiment de relative impunité des pêcheurs (malgaches pour l'essentiel), confortés par les revendications territoriales de leurs autorités politiques .

Ce contexte de tension n'empêche pas les FAZSOI de mener de nombreuses actions de coopération avec les États et organisations internationales de son voisinage , ce qui constitue l'une des vocations des forces de souveraineté. La présence française dans cette région du globe fait ainsi de la France un membre de la commission de l'océan Indien (COI), qui rassemble Maurice et Madagascar, les Comores et les Seychelles. Les FAZSOI sont également adossés à la brigade sud de la force africaine en attente, elle-même sous l'égide de la Southern African Development Community (SADC), qui comprend 16 pays d'Afrique australe.

Les actions de coopération régionale organisées et conduites par les FAZSOI répondent à trois enjeux principaux : l'amélioration de la connaissance de leur zone de responsabilité permanente (ZRP), le renforcement de l'influence de la France, et le soutien à la stabilité des pays de la zone. Elles permettent également de renforcer les capacités opérationnelles des FAZSOI en offrant l'opportunité d'entraînements non réalisables à La Réunion.

Exemples d'actions de coopération régionale des FAZSOI
avec Madagascar et Maurice

Outre les nombreuses interactions avec Madagascar, et les actions régulières de formation aux opérations de maintien de la paix auprès des pays de la SADC, les FAZSOI sont particulièrement impliquées dans le développement des coopérations régionales sur la sécurité maritime en soutenant notamment les initiatives régionales : le centre régional de fusion de l'information maritime (CRFIM - implanté à Madagascar), et le centre régional de coordination des opérations (CRCO - implanté aux Seychelles) du programme MASE - Maritime Security , financé par l'Union Européenne et piloté par la Commission de l'Océan Indien (COI). Les FAZSOI ont contribué en 2020 en coordination avec ces organisations à l'intervention sur une pollution maritime suite à l'échouement du vraquier japonais Wakashio à Maurice.

Source : ministère des armées

Il serait cependant souhaitable que de telles actions de coopération puissent s'articuler avec les politiques d'aide au développement menées au sein de la ZRP. La structuration d'une réelle coordination entre les forces de souveraineté et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ainsi que l'Agence française du développement (AFD) serait non seulement de nature à renforcer l'efficacité de leurs actions respectives en la matière mais permettraient également une meilleure « acceptation » de la présence française dans la zone.

Recommandation n° 7 : coordonner les actions de coopération régionale menées par les forces de souveraineté avec les politiques d'aide au développement conduites au sein de leur ZRP (ministère des armées, ministère de l'Europe et des affaires étrangères, Agence française du développement).

2. Des défis propres à chaque zone de responsabilité permanente

Chaque force de souveraineté fait ainsi face à des défis propres à sa zone de responsabilité permanente (ZRP).

La zone Caraïbe, qui concentre plus d'un million de ressortissants français est confrontée à six défis stratégiques :

- la coopération avec les alliés et notamment les États-Unis sur leur flanc sud, permettant de consolider la position de la France dans d'autres zones ;

- la lutte contre le crime organisé, essentiellement le narcotrafic, déstabilisant les États déjà fragiles et générant une insécurité majeure (14 des 20 pays avec le plus fort taux de criminalité au monde sont situés dans la Caraïbe, dont les 7 premiers) ;

- le maintien de la liberté de circulation dans une zone structurée par le canal de Panama avec un flux majeur entre le Pacifique et la côte Est des États-Unis, la côte Est de l'Amérique du sud, l'Europe et l'Afrique ;

- l'accès à 20 % des réserves mondiales d'hydrocarbures entre la Colombie, le Venezuela, Trinité-et-Tobago, le Guyana et le Surinam, mais moins de 6 % de la production. Cette zone est déstabilisée par les tensions entre le Venezuela et la Colombie, voisin rival, le Guyana dont il revendique les 2/3 du territoire et les réserves d'hydrocarbures, et les États-Unis par opposition politique ;

- deux États dont la souveraineté apparaît particulièrement fragile (Haïti et le Venezuela).

En Océanie, les Forces armées en Polynésie française (FAPF) sont confrontées à une zone immense , qui rassemble 40 % des eaux de souveraineté et de juridiction française (dont Clipperton où la souveraineté nationale est contestée, à 4 000 km de la terre française la plus proche). Les FAPF entretiennent par ailleurs des relations militaires structurées avec l'ensemble des pays riverains du Pacifique , de l'Amérique latine à l'Amérique du Nord, et de l'Océanie à l'Asie du Sud-Est et du Nord-Est. La coopération militaire se focalise sur les États-Unis et leur commandement régional (US INDOPACOM), et le Japon.

Les Forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC) permettent à la France de disposer d'un point d'appui stratégique pour contribuer à la stabilité et à la sécurité dans une zone où l'influence chinoise ne cesse de progresser , pour entretenir des relations privilégiées avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, mais aussi les États-Unis dont la présence est de plus en plus marquée, et pour s'affirmer comme une puissance riveraine du Pacifique.

L'environnement stratégique de la zone de responsabilité permanente des FANC concentre par ailleurs plusieurs enjeux sécuritaires, économiques et environnementaux.

Tout d'abord, la zone comprend une partie conséquente du Pacifique « utile », en concentrant l'essentiel des espaces archipélagiques habités et organisés en États indépendants.

La coopération de la France avec les États insulaires du Pacifique

La France, au travers du Pacific QUAD ( Quadrilateral Defence Coordination Group ) et de la FFA ( Forum Fisheries Agency ), s'engage militairement pour accompagner les États insulaires.

Ensuite, la ZRP des FANC est une région marquée par les catastrophes naturelles. La France au travers de ses forces de souveraineté, peut offrir son soutien aux États de la région 7 ( * ) . Par ailleurs, la ZRP constitue une zone particulièrement affectée par les effets directs et indirects du changement climatique. La sensibilité régionale sur les sujets environnementaux constitue une dimension majeure des enjeux de sécurité. Un exemple emblématique est la volonté des États insulaires de geler les limites des ZEE, fixées par des ilots potentiellement menacés par la montée des eaux.

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

Les enjeux de la présence des FANC ont également un volet national. Les FANC jouent un rôle prépondérant dans le soutien à l'action de l'État, le statut actuel du territoire laissant à l'État la responsabilité des questions de défense. La mission première est la protection du territoire national, des ressortissants français et de nos intérêts stratégiques, en particulier maritimes. À cet effet, les FANC affirment la présence française sur les espaces de souveraineté, notamment à Wallis et Futuna, ainsi que dans la zone des îles de Matthew et Hunter, faisant partie de la Nouvelle-Calédonie mais revendiquées par le Vanuatu. Elles assurent dans l'ensemble de la ZEE la protection face au pillage des ressources halieutiques et la lutte contre les activités illicites.

Plus globalement, au plan géostratégique, depuis une dizaine d'années, le Pacifique Sud constitue une cible de l'expansion chinoise au-delà de la mer de Chine méridionale . Contrecoup de l'expansion chinoise, le Pacifique Sud est devenu un enjeu de la rivalité sino-américaine. Cette situation amène les États de la région à chercher un difficile équilibre entre leurs intérêts économiques et leurs intérêts sécuritaires. L'Australie, par ailleurs, ne souhaite plus se trouver seule en première ligne dans l'aide au développement de ses voisins insulaires. On y retrouve fréquemment désormais les États-Unis, la Nouvelle Zélande et le Japon. L'Europe est également présente avec des dispositifs financiers d'aide au développement. Dans cet espace, la France, dernier pays européen riverain de la zone, se présente comme une puissance d'équilibre et ses forces armées disposent d'un positionnement spécifique et original qui constitue un atout en termes d'influence. À ce titre, les FANC, tout comme les FAPF et les FAZSOI constituent selon le gouvernement « la clé de voûte de l'action de défense française » 8 ( * ) , dans la zone indopacifique, qui est le nouveau centre névralgique des tensions mondiales.

L'Indopacifique, théâtre de profondes mutations stratégiques

La montée en puissance et les revendications territoriales de la Chine, exprimées de façon chaque fois plus appuyée, l'intensification de la compétition sino-américaine, les tensions à la frontière sino-indienne, dans le détroit de Taïwan et dans la péninsule coréenne, modifient les équilibres régionaux et rendent l'équation stratégique plus complexe. S'ajoutent à cela des menaces transnationales persistantes, telles que la piraterie, le terrorisme, les trafics (stupéfiants, pierres et bois précieux, espèces protégées, etc.), la pêche illicite, non réglementée et non déclarée, et des crises de prolifération non résolues, ainsi que les conséquences désastreuses du dérèglement climatique, dont les effets se font déjà ressentir en matière de sécurité. Toutes ces évolutions ont des répercussions directes sur l'ensemble de la zone, y compris sur les territoires français.

Dans cet espace qui concentre 7 des 10 plus importants budgets de défense au monde, l'accentuation des déséquilibres stratégiques et militaires constitue une menace dont les conséquences sont globales, et pourraient ainsi impacter directement l'Europe : 30 % du commerce entre l'Asie et l'Europe passe par la mer de Chine méridionale. La majorité des États de l'Indopacifique se réarme depuis plus d'une décennie. Conjuguée au progrès des technologies, cette tendance durcit l'environnement opérationnel et porte en germe la rupture des équilibres régionaux, mais aussi mondiaux.

L'Indopacifique est caractérisé par sa dimension maritime. Le transit maritime représente 90 % des échanges commerciaux mondiaux, et les océans sont des espaces stratégiques cruciaux pour garantir les approvisionnements commerciaux et énergétiques. La sécurisation des voies maritimes est donc une priorité absolue. La mobilisation internationale autour de la lutte contre la piraterie somalienne au tournant des années 2010 a été la première illustration d'une nécessaire réponse multilatérale ces menaces. Aujourd'hui, les efforts se concentrent également sur la lutte contre les trafics de drogue, d'armes et de personnes, et sur le contrôle de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, une pratique en plein essor, instrumentalisée par certains États à des fins déstabilisatrices.

Ces menaces non traditionnelles sur la sécurité se superposent aux différends sur les frontières et délimitations maritimes qui génèrent de fortes tensions entre les États, notamment en mer de Chine méridionale et en mer de Chine orientale. S'agissant de la liberté de navigation dans les détroits internationaux, la France s'oppose à toute tentative de fait accompli, de modification unilatérale des dispositifs existants et de contestation du droit international par l'utilisation de la force.

Les États-Unis et la Chine sont engagés dans une compétition stratégique mondiale dont les principaux champs d'interaction sont situés dans l'Indopacifique. D'abord économique et technologique, cette rivalité s'est étendue au domaine militaire et déterminera, à moyen terme, la plupart des enjeux stratégiques régionaux. La compétition stratégique sino-américaine et le comportement de certains acteurs régionaux, qui privilégient les arrangements bilatéraux et les rapports de force afin de faire prévaloir leurs seuls intérêts nationaux, contribuent au délitement de l'ordre international, alors que les défis globaux exigent plus de coopération de la part des États. Les risques d'escalade non maîtrisée sont importants dans cette région dépourvue de mécanismes de règlement des crises. Conformément aux principes et aux valeurs qui caractérisent son engagement international, la France oeuvre en faveur d'un ordre international multilatéral et fondé sur le droit. Elle partage cet objectif avec ses principaux partenaires en Indopacifique.

Source : Gouvernement, La stratégie de la France dans l'Indopacifique, 2018

3. Des points d'appui stratégiques pour les armées

Les forces de souveraineté constituent des points d'appui et de projection stratégiques, et permettent à la France d'appartenir au « club » des pays disposant d'une présence militaire globale, plus restreint encore que celui des puissances nucléaires. En incluant également les forces de présence, la France se positionne dans ce domaine à la troisième place, derrière les États-Unis et la Russie mais devant le Royaume-Uni 9 ( * ) .

Ces points d'appui confèrent des avantages opérationnels aux trois armées, mais exigent d'importantes capacités de projection . La marine nationale peut ainsi renforcer sa présence dans les ZEE ultra-marines en y projetant ses moyens en fonction des besoins, grâce aux bases navales outre-mer et de facilités d'escale auprès de partenaires . Ces derniers lui permettent de déployer, en fonction du besoin en outre-mer, une palette de moyens différenciés, pouvant aller d'une frégate de premier rang jusqu'au groupe aéronaval. Les projections en zone indo-pacifique sont régulièrement réalisées par la marine nationale (mission « Jeanne d'arc » et « Marianne » en 2021, mission « Clemenceau » du groupe aéronaval en 2019 et 2021, qui permet la projection du Charles de Gaulle dans le golfe arabo-persique et dans l'océan Indien). Ces projections visent à réaffirmer la volonté et la capacité de la France à défendre ses intérêts dans la zone, qu'il s'agisse de la protection de ses ZEE (de manière directe ou indirecte) ou la défense de la liberté de navigation. Le déploiement du sous-marin nucléaire d'attaque Emeraude en Indopacifique s'inscrit dans la défense de ces intérêts et visait avant tout à montrer aux compétiteurs la capacité de la marine nationale à opérer avec ses forces sous-marines dans la zone.

L'armée de l'air et de l'espace procède également à des exercices de projection dans les outre-mer. L'exercice « Marathon » (2022) a ainsi permis de démontrer la capacité de l'armée de l'air à projeter deux Rafale B et un avion multirôle de ravitaillement en vol et de transport (MRTT) sur la base aérienne 181 de l'île de La Réunion , ce qui suppose que les infrastructures d'accueil soient en bon état, ce qui n'est pas toujours le cas (cf. infra III. B. 1.). En 2021, l'armée de l'air et de l'espace est également parvenue à projeter des avions de combat jusqu'en Polynésie française, à près de 16 000 km de l'hexagone. L'exercice « Wakea » a ainsi permis à l'armée de l'air de « tester ses limites » et de se familiariser avec la zone 10 ( * ) , en démontrant la capacité de la France à projeter ses Rafale dans ses outre-mer les plus éloignés et en affirmant sa présence dans l'indopacifique. De manière plus habituelle, la projection régulière d'A400M dans le Pacifique constitue un atout important pour répondre à des besoins ponctuels (évacuations sanitaires pendant l'épidémie de Covid-19).

Même si sa capacité de projection repose sur les deux autres armées, l'existence de ces points d'appui constitue un atout pour l'armée de terre. Le Centre d'entrainement en forêt équatoriale (CEFE) du 3 ème régiment étranger d'infanterie (REI), basé à Kourou en Guyane, en fournit un bon exemple, puisqu'il permet chaque année à plus de 2 000 militaires de suivre différents stages d'aguerrissement en forêt équatoriale, dans des conditions de rugosité et de rusticité accrues. Il constitue notamment un outil important dans le cadre de la préparation des militaires, du grade de sergent jusqu'aux jeunes officiers, afin d'améliorer leur résilience face aux hypothèses d'engagement dans des conflits de haute intensité 11 ( * ) .


* 7 Elle coopère avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande au travers de l'accord FRANZ qui permet aux trois États de coordonner leurs moyens pour venir en aide aux États insulaires.

* 8 Gouvernement, La stratégie de la France dans l'Indopacifique, 2018.

* 9 Elie Tenebaum, avec Morgan Paglia et Nathalie Ruffié, « Confettis d'empire ou points d'appui ? L'avenir de la stratégie française de présence et de souveraineté, Focus stratégique , n° 94, février 2020.

* 10 Audition du major général de l'armée de l'air.

* 11 Sous-chef d'état-major « opérations aéroterrestres » de l'état-major de l'armée de terre.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page